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Date : 20190716


Dossier : A-104-18

Référence : 2019 CAF 206

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

appelant

et

ANDREW JAMES FISHER-TENNANT, PAR LA TUTELLE DE JONATHAN TENNANT

intimé

et

ASSOCIATION CANADIENNE DES AVOCATS ET AVOCATES EN DROIT DES RÉFUGIÉS

intervenante

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 13 février 2019.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 16 juillet 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LASKIN

Y A SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

MOTIFS DISSIDENTS :

LE JUGE NEAR

 


Date : 20190716


Dossier : A-104-18

Référence : 2019 CAF 206

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

appelant

et

ANDREW JAMES FISHER-TENNANT, PAR LA TUTELLE DE JONATHAN TENNANT

intimé

et

L’ASSOCIATION CANADIENNE DES AVOCATS ET AVOCATES EN DROIT DES RÉFUGIÉS

intervenante

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LASKIN

I.  Aperçu

[1]  En accueillant la demande de contrôle judiciaire visant une décision rendue au titre de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29, un juge de la Cour fédérale a déclaré qu’Andrew James Fisher-Tennant était citoyen canadien (Fisher-Tennant c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 151 (le juge Ahmed)). Le juge de première instance n’a pas certifié de question de portée générale dans son jugement. Selon l’alinéa 22.2d) de la Loi sur la citoyenneté, il ne peut être interjeté appel devant notre Cour d’un jugement de la Cour fédérale consécutif à un contrôle judiciaire portant sur toute question régie par cette loi s’il n’y a pas de question certifiée.

[2]  Malgré cette disposition privative, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration interjette appel de la décision du juge de première instance. Il s’appuie sur la jurisprudence de notre Cour concluant que l’alinéa 22.2d) ainsi que d’autres dispositions privatives de la Loi sur la citoyenneté et de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), dans certaines circonstances, n’interdisent pas qu’il soit fait appel de décisions ne comportant pas de question certifiée. Le ministre soutient que le juge de première instance a commis deux erreurs relatives à sa [TRADUCTION] « compétence », lesquelles rendent l’appel recevable. Selon lui, le juge a commis ces erreurs d’une part en prononçant une déclaration de fait alors qu’il ne le pouvait pas et d’autre part en [TRADUCTION] « usurpant » le rôle de décideur que confère au ministre la Loi sur la citoyenneté, de sorte que le juge de première instance a accordé une mesure de réparation qu’il n’avait pas le pouvoir d’accorder dans un contrôle judiciaire régi par la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7.

[3]  L’intimé, Andrew, est âgé de trois ans. Il est représenté dans l’instance par son père biologique, Jonathan Tennant, qui soutient que le juge de première instance n’a commis aucune erreur qui rendrait possible l’appel devant notre Cour sans question certifiée.

[4]  Pour les motifs qui suivent, je souscris à l’avis de Jonathan Tennant. Je rejetterais donc l’appel du ministre au motif qu’il est irrecevable aux termes de l’alinéa 22.2d) de la Loi sur la citoyenneté.

II.  Les faits

A.  La citoyenneté par filiation

[5]  La partie I de la Loi sur la citoyenneté porte le titre « Le droit à la citoyenneté ». Selon l’alinéa 3(1)b) de cette loi, qui se trouve dans la partie I sous l’intertitre « Citoyens », sous réserve des autres dispositions de la Loi, une personne « a qualité » de citoyen par filiation si elle est née à l’étranger après le 14 février 1977 d’un père ou d’une mère, autre qu’un père ou une mère adoptifs, ayant qualité de citoyen au moment de la naissance.

[6]  Depuis 2009, l’alinéa 3(3)b) vient limiter la citoyenneté par filiation prévue à l’alinéa 3(1)b) à la première génération d’enfants nés à l’étranger d’un père ou d’une mère canadiens (Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté, L.C. 2008, ch. 14, au paragraphe 2(2)).

[7]  Toutefois, la règle limitant la citoyenneté à la première génération prévue à l’alinéa 3(3)b) est assujettie, entre autres, à l’exception relative aux personnes au service de la Couronne visées à l’alinéa 3(5)b). Ainsi, selon cette exception, la limite ne s’applique pas à « la personne née d’un parent dont, au moment de la naissance de celui-ci, le ou les parents étaient, sans avoir été engagés sur place, au service, à l’étranger, des Forces armées canadiennes ou de l’administration publique fédérale ou de celle d’une province ».

[8]  En l’espèce, Andrew est né en novembre 2015 aux États-Unis. Jonathan Tennant est citoyen canadien et le père biologique d’Andrew, tandis que Marc Fisher est citoyen américain de naissance et son père adoptif. Cependant, Andrew n’appartient pas à la première génération d’enfants nés à l’étranger de sa famille : son père biologique, Jonathan Tennant, est né en 1971 en Malaisie alors que le père de ce dernier, Paul Tennant, Ph. D., et sa mère, Susan Carey, tous deux citoyens canadiens de naissance, y résidaient et que Paul Tennant y travaillait. À sa naissance, Jonathan Tennant avait qualité de citoyen canadien au titre de l’alinéa 5(1)b) de l’ancienne Loi sur la citoyenneté, S.R.C. 1970, ch. C-19. À l’époque, cet alinéa prévoyait qu’une personne née à l’étranger avait qualité de citoyen si son père était citoyen canadien.

[9]  Il s’ensuit qu’à moins que ne s’applique l’exception relative aux personnes au service de la Couronne, c’est-à-dire, à moins que le grand-père d’Andrew, Paul Tennant, n’ait travaillé en Malaisie « au service, à l’étranger, des Forces armées canadiennes ou de l’administration publique fédérale ou de celle d’une province » au moment de la naissance de son père, Jonathan Tennant, la limite relative à la première génération prévue à l’alinéa 3(3)b) s’applique à Andrew, qui ne serait alors pas citoyen canadien par filiation. Inversement, si l’exception relative aux personnes au service de la Couronne s’applique, alors Andrew a qualité de citoyen par filiation en vertu de l’alinéa 3(1)b)

[10]  Si l’article 3 prévoit les circonstances dans lesquelles une personne a qualité de citoyen dès la naissance, quant à lui l’article 5 de la Loi sur la citoyenneté, sous l’intertitre « Attribution de la citoyenneté », dispose que certaines catégories de personnes peuvent acquérir la citoyenneté sur demande, si le ministre leur attribue ce statut. Les articles 5.1 et 11 prévoient également l’attribution de la citoyenneté sur demande. La Cour suprême du Canada a reconnu et analysé la distinction qui existe entre la citoyenneté de naissance et l’attribution de citoyenneté dans l’arrêt Benner c. Canada (Secrétaire d’État), [1997] 1 R.C.S. 358, aux paragraphes 2 à 4. Je reviendrai sur cette distinction plus loin dans les présents motifs.

B.  La demande de certificat de citoyenneté

[11]  Jonathan Tennant a présenté une demande de certificat de citoyenneté au nom d’Andrew au titre du paragraphe 12(1) de la Loi sur la citoyenneté. Selon cette disposition, le ministre doit, sur demande, décider si la personne a qualité de citoyen et, si tel est le cas, sous réserve des règlements applicables, lui délivrer un certificat de citoyenneté ou lui fournir un autre moyen de prouver sa qualité de citoyen.

[12]  Jonathan Tennant a écrit dans la demande qu’il est né en Malaisie en 1971 alors que son père, Paul Tennant, y travaillait au service de la Couronne. Dans l’espace prévu pour les « [d]étails sur le service de la Couronne », Jonathan Tennant a écrit que son père était [TRADUCTION] « un professeur d’université engagé par le gouvernement du Canada dans le cadre d’une entente de coopération technique entre le Canada et la Malaisie ».

[13]  Jonathan Tennant a joint une copie du passeport de son père, délivré le 1er avril 1971, à l’appui de la demande d’Andrew. Le passeport contenait un visa de travail temporaire [TRADUCTION] « pour un emploi de professeur à l’Université de Penang dans le cadre du Plan Colombo ». Il portait également l’inscription suivante :

[traduction] LE DÉTENTEUR SE REND EN MALAISIE À TITRE DE PROFESSEUR D’UNIVERSITÉ DONT LES SERVICES SONT RETENUS PAR LE GOUVERNEMENT DU CANADA DANS LE CADRE DE L’ENTENTE DE COOPÉRATION TECHNIQUE ÉTABLIE ENTRE LE CANADA ET LA MALAISIE.

[14]  Jonathan Tennant a également inclus une lettre de l’Université de la Colombie-Britannique attestant que Paul Tennant avait enseigné à l’Université de Penang de 1971 à 1973 et que c’était l’Université de la Colombie-Britannique qui payait son salaire et ses avantages sociaux durant cette période. Ces frais étaient ensuite remboursés par l’Agence canadienne de développement international du gouvernement du Canada. Finalement, il a fourni une copie de la demande d’enregistrement de naissance à l’étranger, dans laquelle son père avait écrit qu’il travaillait [TRADUCTION] « au service d’un projet de l’ACDI » au moment de sa naissance.

[15]  La demande a été examinée par une agente de la citoyenneté de Citoyenneté et Immigration Canada. Elle s’est adressée par écrit à la Direction de l’orientation des programmes de citoyenneté et de passeport. L’objet de sa lettre était : [TRADUCTION] « Vérification de l’emploi au service de la Couronne ». Elle y demandait si les documents fournis par Jonathan Tennant étaient [TRADUCTION] « recevables pour que s’applique l’exception relative aux grands-parents au service de la Couronne ». Un conseiller principal du programme lui a répondu plusieurs mois plus tard. Il a affirmé qu’un [TRADUCTION] « emploi à l’Université de la Colombie-Britannique […] n’ouvre pas droit à l’exception relative aux grands-parents au service de la Couronne », car l’emploi à l’étranger pour le compte de l’Université de la Colombie-Britannique [TRADUCTION] « n’appartient à ni l’une ni l’autre des catégories de services de la Couronne, soit “administration publique fédérale” et “administration publique provinciale” ». Il a également affirmé que, si Jonathan Tennant avait des documents montrant que Paul Tennant avait occupé un emploi à l’étranger pour le compte du gouvernement du Canada durant la période visée, [TRADUCTION] « nous les prendrions en considération ».

[16]  L’agente a rédigé une note sur la demande d’Andrew, dans laquelle elle a écrit sa conclusion voulant que l’exception relative aux personnes au service de la Couronne ne fût pas applicable [TRADUCTION] « [s]elon les renseignements reçus et à la suite d’une vérification [auprès de la Direction de l’orientation des programmes de citoyenneté et de passeport] ». L’agente a écrit à Jonathan Tennant pour l’informer de sa décision et du fait qu’Andrew ne satisfaisait pas aux critères légaux de citoyenneté.

C.  La demande de contrôle judiciaire

[17]  Jonathan Tennant a demandé au nom d’Andrew l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agente conformément au paragraphe 22.1(1) et à l’article 22.2 de la Loi sur la citoyenneté. Dans sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, il a demandé une déclaration selon laquelle Andrew est [TRADUCTION] « un citoyen canadien au motif qu’il satisfait aux critères de citoyenneté canadienne prévus par la Loi sur la citoyenneté », ainsi qu’une ordonnance sous la forme d’un mandamus [TRADUCTION] « obligeant le ministre à délivrer un certificat de citoyenneté à Andrew dans les 30 jours suivant l’ordonnance ». Jonathan Tennant soutenait, entre autres, qu’Andrew [TRADUCTION] « répond[ait] aux exigences légales de citoyenneté canadienne en vertu de l’alinéa 3(1)b) de la Loi sur la citoyenneté et qu’il [avait] ainsi droit à un certificat de citoyenneté ». Subsidiairement, Jonathan Tennant a demandé que la décision de l’agente soit annulée et que l’affaire soit renvoyée pour nouvel examen. Jonathan Tennant a produit un affidavit à l’appui de la demande, ainsi qu’un affidavit de Paul Tennant.

[18]  Le ministre s’est opposé à la demande d’autorisation. Jonathan Tennant a ensuite fait valoir dans son mémoire en réponse que l’agente avait entravé son pouvoir discrétionnaire en considérant la réponse de la Direction de l’orientation des programmes de citoyenneté et de passeport comme étant déterminante. La Cour a accueilli la demande d’autorisation, puis le ministre a déposé une requête écrite en jugement dans laquelle il concédait la question de l’entrave au pouvoir discrétionnaire et demandait l’annulation de la décision de l’agente et le renvoi de l’affaire pour un nouvel examen. Jonathan Tennant s’est opposé à la requête au motif qu’il souhaitait présenter des observations orales sur le droit d’Andrew à un jugement déclaratoire.

[19]  La requête du ministre et la demande de contrôle judiciaire ont été entendues ensemble par la Cour fédérale. Dans ses motifs, le juge de première instance a affirmé (au paragraphe 14) que les parties s’entendaient sur le fait que l’agente avait entravé son pouvoir discrétionnaire et que « [l]es seules questions en litige qui demeurent entre les parties portent sur la question de la réparation et des dépens ».

[20]  Le juge de première instance a ensuite analysé la demande de jugement déclaratoire de Jonathan Tennant sous le titre « La disponibilité de la décision imposée ». Il a d’abord conclu (aux paragraphes 18 à 20) qu’il ne s’agissait pas d’un cas où il fallait « laisser le décideur terminer son travail », car « la conclusion de fait pertinente a été tirée » par l’agente « bien qu’elle ne l’ait pas été de la manière exigée par la loi » et qu’aucun autre document n’était nécessaire pour compléter le dossier. En conséquence, il a conclu qu’il n’y avait pas lieu de craindre en l’espèce « d’intervenir dans le processus de décision en invoquant un dossier factuel incomplet » ni « de soupeser la preuve à la place du décideur ».

[21]  Le juge de première instance a ensuite examiné l’argument du ministre voulant que la Cour fédérale ne puisse pas rendre de jugements déclaratoires portant uniquement sur des conclusions de fait. Il a souscrit à cette observation, mais il a estimé qu’elle ne s’appliquait pas à l’espèce (au paragraphe 21), parce que la déclaration demandée par Jonathan Tennant, à savoir que son fils Andrew avait qualité de citoyen en vertu de l’article 3 de la Loi sur la citoyenneté, n’était pas une question de fait, mais une question de droit, et que la Cour fédérale a compétence pour faire cette déclaration.

[22]  Ensuite, sous le titre « L’applicabilité de la décision imposée », le juge de première instance a résumé la preuve dont disposait l’agente. Il a conclu (au paragraphe 28) que « [l]a seule conclusion logique sur la preuve est que M. Tennant était à l’emploi de l’ACDI et était par conséquent un fonctionnaire de l’État ». Il a affirmé qu’il serait futile de renvoyer le dossier à un autre agent au vu d’une preuve aussi limpide. Il a également fait observer (au paragraphe 31) que « l’approche de l’agente démontre un manque de diligence », ce qui « milite [...] en faveur d’une réparation qui correspond à la gravité des conséquences qui découlent de la conduite de l’agente ». Finalement, il a souligné que le libellé de l’article 3 de la Loi sur la citoyenneté est déclaratoire en soi. Il a affirmé (au paragraphe 33) que, « lorsqu’il est satisfait à l’exigence prévue par l’article 3, une personne est citoyenne, indépendamment de l’action ministérielle » (souligné dans l’original) et que par conséquent rendre une « décision imposée » n’empiéterait pas sur le pouvoir discrétionnaire ministériel.

[23]  Pour ces motifs, le juge de première instance a conclu (aux paragraphes 23 et 34 à 36) que l’affaire justifiait ce qu’il a appelé « la mesure de réparation exceptionnelle d’une décision imposée ». Il a expressément refusé de renvoyer l’affaire pour nouvelle décision, écrivant que « toute décision qui ne confirmerait pas la citoyenneté [d’Andrew] ou qui en retarderait la reconnaissance serait injuste ». Il a affirmé que, puisqu’il avait conclu « que M. Tennant était un fonctionnaire de l’État à l’étranger » au moment pertinent, Andrew est « légalement» citoyen canadien .

[24]  Le ministre a demandé au juge de première instance de certifier la question suivante :

[traduction]

La Cour fédérale a-t-elle compétence pour rendre une décision imposée ou un jugement déclaratoire portant qu’un demandeur est un citoyen canadien conformément à la Loi sur la citoyenneté, quand un décideur n’a pas tiré une conclusion de fait selon laquelle le demandeur est un citoyen canadien selon les dispositions de la Loi sur la citoyenneté?

[25]  Le juge a conclu (au paragraphe 41), qu’il n’y avait pas lieu de certifier cette question. Il a affirmé que « la question de savoir si la Cour fédérale a compétence pour rendre une décision imposée est déjà bien établie » non seulement en général, mais également en matière de citoyenneté.

[26]  Le juge de première instance a rendu le jugement suivant à l’issue de l’instance :

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

1.  Je déclare par les présentes qu’Andrew James Fisher-Tennant est un citoyen du Canada.

2.  Aucuns dépens ne sont adjugés.

3.  Il n’y a aucune question à certifier.

D.  L’appel devant notre Cour

[27]  Le ministre a présenté un avis d’appel pour dépôt au greffe de notre Cour. Il était écrit dans l’avis que la décision du juge de première instance faisait partie des [TRADUCTION] « exceptions limitées » à l’exigence de la question certifiée, car le juge avait commis deux erreurs de [TRADUCTION] « compétence », soit en rendant un jugement déclaratoire sur une question de fait et en s’arrogeant le pouvoir que le paragraphe 12(1) de la Loi sur la citoyenneté confère au ministre de déterminer si Andrew a qualité de citoyen. Le greffe a soumis l’avis d’appel à un juge de notre Cour conformément à l’article 72 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, lequel a donné au greffe la directive de le déposer.

[28]  Jonathan Tennant a déposé une requête au titre de l’article 74 des Règles des Cours fédérales, lequel dispose que la Cour peut « à tout moment ordonner que soient retirés du dossier de la Cour les documents qui n’ont pas été déposés en conformité avec les présentes règles ». Il a soutenu que le ministre n’avait pas établi [TRADUCTION] « de manière suffisante et sur le fondement d’une cause défendable » que l’appel relevait des exceptions prévues à l’exigence relative à la certification d’une question. Le ministre s’est opposé à la requête, en grande partie au motif que la directive donnée en vertu de l’article 72 établissait que l’appel devait être entendu et que la requête constituait une tentative déplacée d’interjeter appel de cette décision. La Cour a rejeté la requête dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Tennant, 2018 CAF 132 (le juge Stratas, siégeant seul). Je me pencherai sur les motifs rendus par mon collègue le juge Stratas lorsque j’examinerai la jurisprudence sur la portée et les limites de l’alinéa 22.2d) et de dispositions similaires.

[29]  Après le rejet de la requête de Jonathan Tennant, l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés (l’ACAADR) a reçu l’autorisation d’intervenir dans le présent appel sur l’interprétation qu’il faut donner aux dispositions privatives et les pouvoirs de réparation de la Cour fédérale.

III.  La question en litige et la norme de contrôle

[30]  La question préliminaire est celle de savoir si l’alinéa 22.2d) de la Loi sur la citoyenneté empêche le ministre d’interjeter appel. Pour trancher la question, la Cour peut examiner si les erreurs alléguées par le ministre sont de nature à justifier l’audition d’un appel malgré la disposition privative et si le juge de première instance a bel et bien commis ces erreurs.

[31]  Sur la question de savoir si les erreurs alléguées du juge de première instance sont de nature à justifier l’audition de l’appel malgré la disposition privative, notre Cour se prononce en première instance. Il n’y a donc aucune norme de contrôle à appliquer.

[32]  Sur la question de savoir si le juge a bel et bien commis les erreurs alléguées, c’est la norme de contrôle applicable en droit administratif établie dans l’arrêt Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, aux paragraphes 45 à 47, [2013] 2 R.C.S. 559, qui s’applique au contrôle judiciaire de la décision du ministre fait par le juge de première instance, alors que c’est la norme de contrôle applicable en appel établie dans l’arrêt Housen c. Nikolaison, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, qui s’applique à la décision du juge de première instance quant à la mesure de réparation appropriée (Sturgeon Lake Cree Nation c. Hamelin, 2018 CAF 131, au paragraphe 51).

IV.  L’audition de l’appel malgré la disposition privative

A.  Les dispositions privatives

[33]  Les alinéas 27(1)a) et c) de la Loi sur les Cours fédérales disposent qu’il peut être interjeté appel devant notre Cour d’un jugement définitif ou d’un jugement interlocutoire rendu par la Cour fédérale. Toutefois, les dispositions d’autres lois peuvent l’emporter sur les droits d’appel prévus par la Loi sur les Cours fédérales (Tennina c. Canada (Revenu national), 2010 CAF 25, au paragraphe 11).

[34]  La Loi sur la citoyenneté et la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés n’autorisent le dépôt de demandes de contrôle judiciaire que sur autorisation de la Cour fédérale. Elles interdisent le dépôt devant notre Cour d’appels visant des décisions interlocutoires et des décisions sur les demandes d’autorisation de contrôle judiciaire ainsi que le dépôt d’appels visant des jugements rendus à la suite de contrôles judiciaires s’il n’y a pas de question certifiée. L’article 22.4 de la Loi sur la citoyenneté et le paragraphe 75(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés précisent tous deux que les dispositions de ces lois l’emportent sur celles de la Loi sur les Cours fédérales en cas d’incompatibilité.

[35]  La disposition pertinente en l’espèce est l’alinéa 22.2d) de la Loi sur la citoyenneté, qui régit les demandes de contrôle judiciaire présentées en application de cette loi et dispose que « le jugement consécutif au contrôle judiciaire n’est susceptible d’appel à la Cour d’appel fédérale que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci ». L’alinéa 74d) est une disposition équivalente dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Notre Cour a qualifié cette disposition de « second filtre » – le premier étant l’exigence de l’autorisation, qui s’applique aux demandes de contrôle judiciaire à la Cour fédérale, et le deuxième étant l’exigence de la question certifiée, qui s’applique aux appels déposés devant notre Cour à l’encontre de décisions rendues par la Cour fédérale (Mudrak c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178, au paragraphe 11). La Cour a ajouté que, par la deuxième exigence, « on visait à isoler les questions de droit importantes des questions de fait » et que, « [c]omme la question certifiée est une condition préalable à l’exercice de la juridiction de notre Cour, il s’agit d’une exigence qui ne doit pas être prise à la légère » (Mudrak, aux paragraphes 12 et 19). Ces observations s’appliquent également à l’alinéa 22.2d) de la Loi sur la citoyenneté.

[36]  Comme je l’ai mentionné précédemment, le juge de première instance n’a pas certifié de question dans sa décision. Le ministre a néanmoins interjeté appel, au motif que le juge de première instance aurait commis des erreurs d’une nature telle que le droit reconnaît à notre Cour le pouvoir d’entendre l’appel malgré l’alinéa 22.2d) de la Loi sur la citoyenneté et d’autres dispositions privatives.

B.  L’interprétation des dispositions privatives par les tribunaux

[37]  La jurisprudence a établi que certains types d’erreurs justifient l’audition d’un appel malgré une disposition privative. Parmi ces types d’erreurs se trouvent la partialité ou la crainte raisonnable de partialité du juge de première instance ainsi que le refus de celui-ci d’exercer sa compétence (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Katriuk, 1999 CanLII 7421 (C.A.F.), au paragraphe 10; Canada (Procureur général) c. Subhaschandran, 2005 CAF 27, au paragraphe 15, [2005] 3 R.C.F. 255; Es-Sayyid c. Canada (Sécurité publique et protection civile), 2012 CAF 59, au paragraphe 28, autorisation d’interjeter appel devant la C.S.C. refusée, 440 N.R. 398). Une autre catégorie d’erreurs justifiant l’audition d’un appel est constituée des erreurs commises dans le cadre d’un « acte judiciaire distinct et divisible », soit une décision concernant l’exercice d’un pouvoir qui ne découle pas de la Loi sur la citoyenneté (ou de la LIPR), mais d’une autre source (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S 391, aux paragraphes 65 et 66).

[38]  Notre Cour a également utilisé l’expression « erreur de compétence » pour décrire certaines erreurs qui justifieraient qu’on entende un appel malgré l’existence d’une disposition privative (Sellathurai c. Canada (Sécurité publique et protection civile), 2011 CAF 223, aux paragraphes 15 et 16, [2012] 2 R.C.F. 243). Toutefois, elle s’est également montrée réticente à utiliser ces termes, étant donné les incertitudes entourant le mot « compétence » dans d’autres contextes. La Cour a ainsi préféré parler de « questions très fondamentales » qui « touchent directement la primauté du droit » (Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 144, aux paragraphes 19 à 21).

[39]  Je partage l’avis que mon collègue le juge Stratas a exprimé dans les motifs de sa décision rejetant la requête déposée au titre de l’article 74 des Règles en l’espèce (au paragraphe 16), selon lequel la jurisprudence n’a pas très bien délimité la portée des exceptions aux dispositions privatives. Il a estimé que la requête était une occasion de formuler une « explication plus claire » des exceptions. Il a expliqué (au paragraphe 19) en quoi l’exception qui reposerait sur l’erreur de « compétence » serait peu utile, car il s’agirait au bout du compte d’une question d’interprétation des lois, et l’erreur serait, au mieux, une simple erreur de droit. Ainsi, il a ainsi affirmé (au paragraphe 17) que la Cour, plutôt que de se concentrer sur les erreurs dites de « compétence », devrait ne pas donner effet à une disposition privative lorsque la décision de la Cour fédérale soulève des questions relatives à la primauté du droit. L’interdiction d’interjeter appel ne s’appliquerait donc pas dans les circonstances suivantes :

·  La décision de la Cour fédérale serait mal fondée ou comporterait un vice de fond influant directement sur la capacité de cette dernière de trancher le litige; par exemple, la décision révèle a priori qu’elle a manifestement outrepassé les limites de sa compétence, ou encore l’avis d’appel compte des éléments importants étayant un manquement au principe interdisant toute partialité réelle ou apparente.

·  L’erreur crée une crainte sérieuse liée au respect par la Cour fédérale de la primauté du droit.

[40]  Le juge Stratas a ensuite affirmé (aux paragraphes 17 et 18) que l’exception ne viserait pas « les débats portant sur des questions d’interprétation des lois, des erreurs de droit, l’exercice par le tribunal de son pouvoir discrétionnaire ou le poids à accorder à un élément de preuve et à son appréciation », mais seulement les vices « de fond » qui influent « directement » sur la « capacité » de la Cour fédérale de trancher le litige, et qui plus est uniquement lorsqu’ils créent des « craintes sérieuses » liées au respect de la primauté du droit. « Ce seuil élevé », poursuit-il, « assure le respect de l’irrecevabilité absolue privilégiée par le législateur, sauf dans les cas plus rares où il subsiste des craintes très marquées liées à l’observation du principe constitutionnel de la primauté du droit ».

[41]  Ainsi, et suivant les observations du juge Stratas, les exceptions aux dispositions privatives qui ont été définies ne comprennent pas, et ce, indépendamment de la façon dont on les qualifie, les erreurs de droit (Mahjoub, au paragraphe 21). Plusieurs jugements abondent dans le même sens. Par exemple, notre Cour a conclu, dans l’arrêt Huntley c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 273, au paragraphe 8, [2012] 3 R.C.F. 118, autorisation d’interjeter appel à la C.S.C. refusée, 435 N.R. 391, que « l’omission d’appliquer la bonne norme de contrôle est une erreur de droit “ordinaire” et non une usurpation de pouvoir ». Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Katriuk, 1999 CanLII 9238, au paragraphe 8 (C.A.F.), autorisation d’interjeter appel refusée, [2000] 1 R.C.S. xiii, notre Cour a conclu « qu’une conclusion de fait erronée fondée sur une mauvaise appréciation de la preuve produite » n’entraînait pas une perte de compétence, mais au plus, une erreur de droit dans l’exercice de cette compétence.

[42]  Dans le même ordre d’idées, notre Cour a rejeté l’argument voulant qu’il suffise qu’une « ordonnance [échappe] à la compétence conférée à la Cour fédérale par la loi » pour que soit neutralisée la disposition privative de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, et elle a conclu que « cet argument pourrait retirer tout son sens à [la disposition privative] » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Edwards, 2005 CAF 176, au paragraphe 12; voir également Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Lazareva, 2005 CAF 181, aux paragraphes 8 et 9). Dans ces deux cas, les appels jugés assujettis à l’interdiction légale étaient fondés sur le motif (semblable à l’un des motifs avancés en l’espèce) que la Cour fédérale avait « usurpé » le pouvoir conféré au ministre en accordant la mesure demandée. Le ministre semble soutenir, d’après la réponse de l’avocat lorsque la Cour a parlé de ces décisions durant l’audience, qu’elles ne rendent pas compte de l’état du droit actuel.

C.  Les thèses des parties et de l’intervenante sur la nature et la portée des exceptions

[43]  Le ministre soutient qu’en adoptant la disposition privative, [TRADUCTION] « le législateur n’a pas pu avoir l’intention de soustraire les erreurs alléguées à l’examen en appel, car ne pas assujettir les erreurs à l’examen en appel constituerait une atteinte au principe de la primauté du droit et fragiliserait la confiance du public en l’administration la justice » (mémoire du ministre, au paragraphe 33). Il affirme que la disposition privative ne s’applique pas lorsque le juge de première instance a commis une [TRADUCTION] « erreur de compétence », que ce soit en outrepassant sa compétence ou en omettant de l’exercer. Le ministre invoque également et semble approuver le seuil établi par le juge Stratas, c’est-à-dire la présence d’un « vice fondamental » et d’une décision où une erreur « crée une crainte sérieuse liée au respect […] de la primauté du droit » (mémoire du ministre, au paragraphe 35).

[44]  Dans ses observations, Jonathan Tennant semble invoquer la notion de droit administratif de la [TRADUCTION] « véritable question de compétence » (mémoire de Jonathan Tennant, aux paragraphes 13 et 14). Il soutient que, pour qu’il soit donné suite à l’appel, le ministre doit [TRADUCTION] « démontrer que les questions soulevées sont de véritables questions de compétence qui ne commandent aucune [retenue] ». Toutefois, il reprend également (au paragraphe 15) le critère formulé par le juge Stratas. Jonathan Tennant soutient (au paragraphe 16) que [TRADUCTION] « [c]e n’est que dans de rares circonstances qu’un appelant peut établir le défaut ou la perte de compétence de la cour ».

[45]  L’ACAADR soutient que les dispositions privatives de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et de la Loi sur la citoyenneté devraient être interprétées suivant les mêmes principes que ceux appliqués aux dispositions privatives restreignant l’accès au contrôle judiciaire. Elle soutient que les dispositions privatives ont toujours été interprétées restrictivement, citant à l’appui l’arrêt Crevier c. A. G. (Québec) et autres, [1981] 2 R.C.S. 220, à la page 237, et l’arrêt Chrysler Canada Ltd. c. Canada (Tribunal de la concurrence), [1992] 2 R.C.S. 394, à la page 405.

[46]  L’ACAADR soutient que notre Cour ne devrait pas adopter le critère tel que l’a formulé le juge Stratas, car elle estime qu’ainsi libellé, le critère s’écarte de la jurisprudence existante et devient plus exigeant. Elle soutient que le juge Stratas a utilisé des termes [TRADUCTION] « qualitatifs » et [TRADUCTION] « sans définition » en affirmant que les erreurs doivent être « de fond », « sérieuses » et « importantes » pour ouvrir droit à un appel, ce qui donnerait lieu à une interprétation trop large des dispositions privatives. Elle soutient qu’une telle interprétation devrait être rejetée, car elle limiterait indûment l’accès à la justice pour les non-citoyens vulnérables.

[47]  L’ACAADR ne partage pas non plus la réticence du juge Stratas à décrire le critère pertinent en termes de « compétence ». Elle établit une distinction entre les [TRADUCTION] « simples » erreurs de compétence et les [TRADUCTION] « véritables » erreurs de compétence, au sens de ces termes dans le contexte des contrôles judiciaires. L’ACAADR cite la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, au paragraphe 31, [2018] 2 R.C.S. 230, qui affirme que « les “véritables” questions de compétence renvoient à une signification bien plus restreinte de la “compétence” que celle habituellement donnée à ce mot ». En conséquence, l’ACAADR presse notre Cour d’adopter un critère axé sur les [TRADUCTION] « simples » questions de compétence, au motif que [TRADUCTION] « le débat sur la compétence » qui sévit dans la jurisprudence sur le contrôle judiciaire [TRADUCTION] « n’a pas à s’étendre à d’autres domaines du droit » (mémoire de l’ACAADR, au paragraphe 22).

[48]  En réponse, le ministre ne croit pas que le raisonnement du juge Stratas ait changé le critère sur [TRADUCTION] « l’exception liée à la compétence » ni qu’il aurait pu le faire en siégeant seul. Le ministre soutient que la description que fait le juge Stratas du critère est issue d’un raisonnement conforme à celui suivi par les formations de notre Cour dans les arrêts Mahjoub et Huntley. Il soutient que la crainte que l’application du critère tel que l’a formulé le juge Stratas réduise l’accès à notre Cour est sans fondement.

D.  Il n’est pas nécessaire en l’espèce de revoir la nature et la portée des exceptions

[49]  Je reconnais et respecte les efforts déployés par mon collègue le juge Stratas pour donner une « explication plus claire » des circonstances dans lesquelles il conviendrait d’entendre un appel malgré la disposition privative. Je souscris en grande partie à ses motifs.

[50]  Néanmoins, il pourrait y avoir un certain fondement à l’observation de l’ACAADR sur la description des exceptions en termes qualitatifs. L’utilisation, pour la définition d’exceptions, d’expressions comme « vice de fond », « manifestement outrepass[er] les limites de sa compétence », influer « directement » sur le jugement et créer une « crainte sérieuse » liée au respect de la primauté du droit pourrait engendrer son propre lot de difficultés d’interprétation. La primauté du droit est en soi un concept qui est difficile à définir. De plus, il faudrait sans doute examiner plus en détail pourquoi le fait pour le tribunal d’avoir « manifestement » outrepassé sa compétence justifierait que l’appel soit entendu malgré la disposition privative, tandis que le fait de l’outrepasser de manière insidieuse ou subtile n’ouvrirait pas droit à un appel. Une autre difficulté potentielle est le risque de donner une dimension constitutionnelle à la portée de l’interdiction de faire appel, alors que l’appel n’est pas un droit constitutionnel (Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, au paragraphe 136, [2007] 1 R.C.S. 350). Par ailleurs, la catégorie de la « primauté du droit » ne semble pas viser les questions relatives à l’« acte judiciaire distinct et divisible », dont certaines reposent sur le libellé particulier de la disposition privative en cause. Nous n’avons pas reçu d’observations exhaustives, et dans certains cas aucune observation, sur ces difficultés potentielles.

[51]  Le ministre a raison lorsqu’il avance dans ses observations que les points de vue exprimés par un membre de notre Cour siégeant seul à titre de juge de la requête, tant qu’ils n’ont pas été adoptés par une formation de la Cour, ne changent pas le droit établi par les jugements rendus par des formations de notre Cour (Sport Maska Inc. c. Bauer Hockey Corp., 2016 CAF 44, aux paragraphes 37 et 38, [2016] 4 R.C.F. 3). Au bout du compte, j’estime qu’il est inutile de décider en l’espèce s’il convient ou non d’adopter la formulation de mon collègue ou une variation de celle-ci. Il en est ainsi parce que, pour les motifs que j’exposerai maintenant, je conclus que les erreurs qu’aurait commises le juge de première instance ne sont pas des erreurs du tout ou sont des erreurs ordinaires d’une nature qui ne justifie pas que soit écartée la disposition privative de l’alinéa 22.2d) de la Loi sur la citoyenneté, quelle que soit la façon dont les exceptions actuellement reconnues à cette disposition sont formulées.

V.  Les erreurs alléguées

[52]  Le ministre soutient que le juge de première instance a commis deux erreurs de « compétence » qui ont mené à l’octroi d’une mesure de réparation qu’il ne pouvait accorder en contrôle judiciaire selon la Loi sur les Cours fédérales, ce qui permet à notre Cour d’entendre et de trancher son appel.

[53]  En premier lieu, il affirme que le juge de première instance a outrepassé sa compétence en prononçant ce qui était essentiellement une déclaration de fait, c’est-à-dire que Paul Tennant était un fonctionnaire de la Couronne, alors que la Cour fédérale n’a pas compétence pour prononcer des jugements déclaratoires sur des conclusions de fait. En second lieu, il soutient que le juge de première instance a outrepassé sa compétence en [TRADUCTION] « s’arrogeant un pouvoir que le législateur a conféré au ministre », soit le pouvoir exclusif de rendre des décisions à l’égard des demandes de preuve de citoyenneté. J’examinerai successivement chacun de ces deux moyens.

A.  Le juge de première instance a-t-il prononcé une déclaration de fait sans en avoir le pouvoir?

[54]  Comme je l’ai écrit précédemment dans les présents motifs, la principale mesure de réparation accordée par le juge de première instance était un jugement déclaratoire selon lequel « Andrew James Fisher-Tennant est un citoyen du Canada ». Les parties s’entendent sur le fait que la Cour fédérale peut prononcer un jugement déclaratoire lorsqu’elle tranche une demande de contrôle judiciaire. Ce pouvoir lui est conféré par l’alinéa 18(1)a) de la Loi sur les Cours fédérales, lequel dispose qu’elle peut prononcer un jugement déclaratoire contre tout office fédéral :

Recours extraordinaires : offices fédéraux

Extraordinary remedies, federal tribunals

18 (1) Sous réserve de l’article 28, la Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, pour :

18 (1) Subject to section 28, the Federal Court has exclusive original jurisdiction

a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;

(a) to issue an injunction, writ of certiorari, writ of prohibition, writ of mandamus or writ of quo warranto, or grant declaratory relief, against any federal board, commission or other tribunal; and

b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l’alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d’obtenir réparation de la part d’un office fédéral.

(b) to hear and determine any application or other proceeding for relief in the nature of relief contemplated by paragraph (a), including any proceeding brought against the Attorney General of Canada, to obtain relief against a federal board, commission or other tribunal.

[55]  Aux termes du paragraphe 18(3), on ne peut se prévaloir des recours prévus au paragraphe 18(1) que sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire conformément à l’article 18.1. Le paragraphe 18.1(3) énonce ensuite les pouvoirs de Cour fédérale à l’égard des demandes de contrôle judiciaire, ce qui inclut encore une fois le pouvoir de prononcer un jugement déclaratoire :

Pouvoirs de la Cour fédérale

Powers of Federal Court

(3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

(3) On an application for judicial review, the Federal Court may

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

 

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.

[56]  En outre, l’article 64 des Règles des Cours fédérales dispose que la Cour fédérale peut « faire des déclarations de droit qui lient les parties à l’instance », qu’une réparation soit ou puisse être demandée ou non en conséquence.

[57]  Or, le ministre soutient que le juge de première instance a outrepassé son pouvoir de rendre des jugements déclaratoires en vertu des paragraphes 18(1) et 18.1(3) en prononçant une déclaration de fait. Il invoque à l’appui de cette observation la déclaration de notre Cour dans l’arrêt Makara c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 189, au paragraphe 16, selon laquelle « la Cour fédérale n’a pas compétence de rendre des jugements déclaratoires sur de simples questions de fait ». Le ministre avance que le jugement déclaratoire rendu par le juge de première instance est [TRADUCTION] « essentiellement » une déclaration de fait, car le juge a d’abord dû tirer la conclusion de fait que Paul Tennant était un fonctionnaire de la Couronne en 1971 (mémoire du ministre, au paragraphe 57).

[58]  Cette interdiction faite à la Cour fédérale de rendre des jugements déclaratoires sur de simples questions de fait invoquée par le ministre puise sa source dans la décision Gill (J.S.) c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1991] A.C.F. no 944 (QL) (C.F. 1re inst.), au paragraphe 13. Dans cette affaire, le demandeur, dont la demande de résidence permanente avait été rejetée au motif qu’il avait menti sur son état civil, avait demandé un jugement par lequel il était déclaré qu’il n’avait jamais été marié et qu’il avait répondu la vérité aux questions dans sa demande de résidence permanente. La Cour fédérale, s’appuyant alors sur l’arrêt de notre Cour LeBar c. Canada (1988), [1989] 1 C.F. 603 à la page 610, où il était établi qu’un jugement déclaratoire « indique quel est le droit », a conclu que la mesure demandée était une « déclaration de fait » outrepassant sa compétence et a radié la déclaration. La Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a suivi un raisonnement semblable dans l’arrêt Shore Disposal Ltd. v. Ed DeWolfe Trucking Ltd. (1976), 72 D.L.R. (3d) 219, à la page 222, 16 N.S.R. (2d) 538 (C.A.).

[59]  À mon sens, les analyses figurant dans la décision Gill et d’autres décisions semblables ne font que donner effet au principe bien établi voulant qu’un jugement déclaratoire doive régler une question réelle dont la résolution revêt un véritable intérêt pour les deux parties. La Cour suprême a récemment réitéré les exigences relatives aux jugements déclaratoires dans l’arrêt S.A. c. Metro Vancouver Housing Corp., 2019 CSC 4, au paragraphe 60 :

Un jugement déclaratoire est accordé par le tribunal de façon discrétionnaire et peut être approprié a) lorsque le tribunal a compétence pour entendre le litige, b) lorsque la question en cause est réelle et non pas simplement théorique, c) lorsque la partie qui soulève la question a véritablement intérêt à ce qu’elle soit résolue et d) lorsque la partie intimée a intérêt à s’opposer au jugement déclaratoire sollicité […]

[60]  Ces facteurs, qui sont tous présents en l’espèce, régissent depuis longtemps les jugements déclaratoires. Il est également clair depuis longtemps que les jugements déclaratoires peuvent nécessiter une décision quant aux faits donnant naissance à un droit légal. Comme l’a écrit Paul Martin dans l’ouvrage The Declaratory Judgment, (1931) 9:8 C.B.R. 540, à la page 547, cité avec approbation dans l’arrêt Telecommunication Employees Association of Manitoba Inc. et al. v. Manitoba Telecom Services Inc. et al., 2007 MBCA 85, au paragraphe 62, 214 Man. R. (2d) 284, [TRADUCTION] « essentiellement, le jugement déclaratoire consiste en l’établissement de droits ».

[61]  Le recours aux jugements déclaratoires pour régler des questions de statut est également bien connu en droit canadien (The Declaratory Judgement, à la page 546).

[62]  Par exemple, dans l’arrêt Daniels c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 CSC 12, [2016] 1 R.C.S. 99, la Cour suprême a rendu un jugement déclaratoire selon lequel les Indiens non inscrits et les Métis sont des « Indiens » visés au paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.). Pour ce faire, elle s’est appuyée (au paragraphe 4) sur « un certain nombre de conclusions de fait cruciales » tirées par le juge du procès. Dans l’arrêt Glynos c. Canada (C.A.), [1992] 3 C.F. 691, 1992 CanLII 8572 (C.A.), un précédent sur lequel Jonathan Tennant s’appuie particulièrement, notre Cour, s’étant fait une opinion claire du droit de M. Glynos à la citoyenneté au titre d’une disposition qui, contrairement à l’article 3 de la Loi sur la citoyenneté actuelle, exigeait que la citoyenneté soit attribuée, a prononcé un jugement déclaratoire selon lequel M. Glynos était « admissible à la citoyenneté ». Le jugement déclaratoire du juge de première instance en l’espèce ressemble aussi à celui rendu par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Gehl c. Canada (Procureur général), 2017 ONCA 319, au paragraphe 89, 138 O.R. (3d) 52. Bien que, dans cette affaire, la Cour d’appel de l’Ontario ait rendu un jugement déclaratoire établissant le droit à l’inscription en tant qu’Indien de Mme Gehl au motif qu’il y avait, selon cette cour, peu d’issues raisonnables possibles au vu du dossier étayant la demande d’inscription de l’appelante, cela n’a pas fait du jugement déclaratoire une déclaration de fait.

[63]  À mon sens, le statut de citoyen canadien par filiation pourrait faire l’objet d’un jugement déclaratoire. Comme le soutient à juste titre Jonathan Tennant, notre Cour a conclu que la citoyenneté canadienne était une « une création statutaire fédérale » qui « n’a pas de sens autre que celui que lui reconnaît la loi » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Taylor, 2007 CAF 349, au paragraphe 50, [2008] 3 R.C.F. 324).

[64]  Comme je l’ai mentionné précédemment, c’est la Loi sur la citoyenneté en soi, en l’occurrence l’alinéa 3(1)b), qui confère la citoyenneté par filiation. Cette citoyenneté n’est pas attribuée par le ministre, elle est acquise de naissance (Assal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 505, aux paragraphes 68 à 70). La procédure encadrant l’obtention d’une preuve de citoyenneté, désormais prévue à l’article 14 du Règlement no 2 sur la citoyenneté, DORS/2015-124, en témoigne. Cette disposition exige du demandeur qu’il produise « une preuve établissant qu’il est un citoyen » (non souligné dans l’original). Il s’ensuit que le certificat de citoyenneté délivré en vertu du paragraphe 12(1) n’est qu’une preuve de citoyenneté. Le certificat en soi ne confère pas ce statut. Dans les mots de la Section d’appel de l’immigration, « [c]e n’est pas le [TRADUCTION] “certificat de citoyenneté” qui confère la citoyenneté, c’est le fait d’être né citoyen qui donne droit à un document écrit établissant la citoyenneté » (Schlesinger c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CanLII 92532, au paragraphe 17). Ou, comme l’a affirmé la Cour fédérale dans la décision Assal (au paragraphe 68), « [l]e certificat de citoyenneté ne constitue, pour un citoyen de naissance, qu’une reconnaissance ou une preuve de cette qualité de citoyenneté ».

[65]  Contrairement à ce que soutient le ministre, un jugement déclaratoire établissant la citoyenneté d’une personne, à tout le moins, n’est pas « seulement » une déclaration de fait. La nature du jugement déclaratoire rendu par le juge de première instance ne justifie donc pas qu’il soit conclu à l’inapplicabilité de la disposition privative.

B.  Le juge de première instance a-t-il usurpé le rôle du ministre?

[66]  Le ministre soutient que le jugement déclaratoire du juge de première instance a pour effet de trancher sur le fond une demande présentée au titre du paragraphe 12(1) de la Loi sur la citoyenneté, ce qui, selon lui, ne relève pas des pouvoirs légaux de la Cour fédérale. Le ministre soutient que le législateur lui a conféré le pouvoir exclusif de trancher les demandes présentées au titre du paragraphe 12(1). Il affirme que rien dans la Loi sur les Cours fédérales ne permet à la Cour fédérale de rendre une décision sur le fond ou de substituer sa décision à celle du ministre puis de décider elle-même si un demandeur satisfait aux critères énoncés au paragraphe 12(1). Le ministre fait valoir la distinction qui existe entre le rôle de la Cour en appel, lequel permet à la Cour de substituer ses conclusions à celles du décideur de première instance, et son rôle en contrôle judiciaire, lequel, selon lui, ne lui permet pas d’agir de la sorte.

[67]  Parmi les principaux précédents qu’invoque le ministre figure l’arrêt de notre Cour Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Rafuse, 2002 CAF 31, aux paragraphes 8 et 9, dans lequel notre Cour souscrit à l’affirmation de la Cour fédérale dans la décision Xie c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, 75 F.T.R. 125, au paragraphe 17, 1994 CarswellNat 484 (WL) (C.F. 1re inst.), voulant que la Cour fédérale n’ait pas, en contrôle judiciaire, le pouvoir de « remplacer la décision du tribunal qui fait l’objet du contrôle judiciaire par son opinion et [de] rendre la décision que le tribunal aurait dû rendre ». Il s’appuie également sur l’observation formulée par le juge Stratas dans sa décision sur la requête déposée au titre de l’article 74 des Règles (au paragraphe 25), selon laquelle « la Loi sur la citoyenneté indique clairement que seul le ministre est investi de ce pouvoir [d’attribuer la citoyenneté] ».

[68]  Toutefois, contrairement à ce que fait valoir le ministre, le droit relatif au contrôle judiciaire reconnaît à la cour de révision le pouvoir de substituer son point de vue à celui du décideur administratif, sous réserve du respect de certaines conditions. Le juge de première instance n’a donc pas commis d’erreur en concluant que cette mesure de réparation était à sa disposition si les conditions étaient réunies.

[69]  À cet égard, il y a deux affirmations pertinentes dans l’arrêt Rafuse. L’une est celle qu’a invoquée le ministre. L’autre, qui cite également la décision Xie, est la suivante (au paragraphe 14) :

Bien que la Cour puisse donner des directives quant à la nature de la décision à rendre lorsqu’elle annule la décision d’un tribunal, il s’agit d’un pouvoir exceptionnel ne devant être exercé que dans les cas les plus clairs […]

[70]  La première affirmation discutée dans la décision Rafuse, c’est-à-dire que la Cour ne peut pas substituer sa décision à celle du décideur administratif dans un contrôle judiciaire présenté en vertu de la Loi sur les Cours fédérales, a été répétée par notre Cour dans plusieurs autres arrêts. Dans l’arrêt Jada Fishing Co. Ltd. c. Canada (Ministère des Pêcheries et des Océans), 2002 CAF 103, au paragraphe 10, autorisation d’interjeter appel refusée, [2002] 4 R.C.S. vi, notre Cour a conclu qu’elle « n’a[vait] pas compétence » pour substituer sa décision à celle d’un tribunal, qu’elle pouvait seulement « soit rejeter l’appel soit rendre le jugement que la Section de première instance aurait dû rendre » et que « la Section de première instance n’aurait pas pu, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, remplacer la décision [du tribunal] par la sienne ». Voir également les arrêts Canada (Ressources humaines et Développement social) c. Layden, 2009 CAF 14, aux paragraphes 10 à 12; Adamson c. Canada (Commission des droits de la personne), 2015 CAF 153, au paragraphe 62, autorisation d’interjeter appel refusée, [2016] 1 R.C.S. v; Canada (Procureur général) c. Burnham, 2008 CAF 380, au paragraphe 11.

[71]  Or, malgré cette première affirmation dans l’arrêt Rafuse, il est clair qu’à tout le moins la Cour peut substituer ses conclusions à celles d’un décideur administratif indirectement ou, en fait, au moyen des mesures de réparation prévues par la Loi sur les Cours fédérales. En outre, cette possibilité est reconnue dans l’arrêt Rafuse même, dans le deuxième passage cité ci-dessus. La cour de révision peut procéder à une substitution indirecte de nombreuses façons.

[72]  La façon plus évidente est celle qui consiste à annuler la décision du tribunal inférieur et à ordonner au décideur de tirer une conclusion précise. Il est maintenant bien établi que cette forme de réparation, soit une combinaison du certiorari et du mandamus, est possible lorsque, selon les faits et le droit, le décideur administratif dispose d’une seule issue légale ou peut tirer une seule conclusion raisonnable, de sorte qu’il serait inutile de renvoyer la décision au décideur pour nouvelle décision (Université Trinity Western c. British Columbia College of Teachers, 2001 CSC 31, aux paragraphes 41 à 44, [2001]1 R.C.S. 772; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. LeBon, 2013 CAF 55, aux paragraphes 13 et 14; D’Errico c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 95, aux paragraphes 14 à 16; Sharif c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 205, aux paragraphes 54 et 59).

[73]  Notre Cour a fait observer que, lorsqu’elle accorde une mesure de cette nature, la « cour de révision agit en fait comme juge du fond » (Première Nation de Namgis c. Canada (Pêches et Océans), 2019 CAF 149, au paragraphe 6; voir également l’arrêt Layden, au paragraphe 10). Comme l’a affirmé la Cour fédérale, « la présente Cour [peut] accomplir indirectement ce qu’elle n’a pas le droit de faire directement. Elle [peut] obliger la Commission à formuler une conclusion particulière, ce qui, en fait, abouti[t] à substituer sa propre décision à celle de la Commission » (Turanskaya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. n1776 (QL) (C.F. 1re inst.), au paragraphe 6, confirmée par [1997] A.C.F. n254 (QL) (C.A.F.)).

[74]  Comme il en a été question précédemment, ce type de recours en certiorari et mandamus (ainsi que d’autres mesures équivalant à une substitution indirecte dont il sera question ci-dessous) est parfois appelé en anglais « directed verdict » (« verdict imposé » ou « décision imposée » en français), notamment par le juge de première instance en l’espèce. À proprement parler, cette expression est inexacte et, pour éviter toute confusion, il vaudrait mieux ne pas l’utiliser. La notion du « verdict imposé » appartient au droit criminel et non au droit administratif (R. c. Rowbotham; R. c. Roblin, [1994] 2 R.C.S. 463 à la page 467). Toutefois, cette expression peut être interprétée comme englobant, entre autres, la mesure qu’est la substitution indirecte du jugement au motif qu’il n’existe qu’une seule issue raisonnable.

[75]  La cour de révision peut également accomplir une substitution indirecte en prononçant un jugement déclaratoire reconnaissant les droits des parties. Il semble également que ce type de substitution indirecte ne soit possible que lorsqu’il n’existe qu’une seule issue raisonnable.

[76]  La Cour suprême du Canada a reconnu qu’un jugement déclaratoire peut avoir l’effet d’une substitution, dans l’arrêt Kelso c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 199. Dans cet arrêt, la question était de savoir si M. Kelso avait le droit d’être réintégré dans son ancien poste à la fonction publique. En réponse à l’argument voulant que seule la Commission de la fonction publique, et non la Cour, pût procéder à des nominations, la Cour suprême (à la page 210) a fait observer qu’il était « tout à fait juste de dire que la Cour ne peut pas nommer M. Kelso à un poste de la Fonction publique » et que « [l]’acte administratif de nomination est du ressort de la Commission », mais elle a ajouté que « la Cour a le droit de “déclarer” quels sont juridiquement les droits respectifs de l’appelant et de l’intimée ». La Cour a ensuite rendu un jugement déclaratoire selon lequel « l’appelant a[vait] le droit de demeurer ou d’être rétabli dans [son] poste ». L’arrêt Glynos c. Canada, dont il a été question ci-dessus, est un autre exemple.

[77]  Les arrêts Kelso et Glynos faisaient suite à des requêtes en jugement déclaratoire, mais des jugements déclaratoires équivalant à des substitutions sont également rendus dans le contexte de demandes de contrôle judiciaire : voir par exemple l’arrêt Giguère c. Chambre des notaires du Québec, 2004 CSC 1, [2004] 1 R.C.S. 3, dans lequel la Cour suprême a rendu un jugement déclarant que l’intéressé avait droit à l’indemnisation que la Chambre lui avait refusée, et l’arrêt Gehl c. Canada (Procureur général), précité.

[78]  Il est également possible que, dans certaines procédures administratives, l’annulation de la décision faisant l’objet du contrôle sans autre réparation ramène, dans les faits, les parties à leur situation d’avant la décision. Dans ces circonstances, la simple annulation de la décision administrative pourrait équivaloir à y substituer indirectement le point de vue de la cour de révision (Stetler v. The Ontario Flue-Cured Tobacco Growers’ Marketing Board, 2009 ONCA 234, au paragraphe 49, 311 D.L.R. (4th) 109; Retail, Wholesale Department Store Union v. Yorkton Cooperative Association, 2017 SKCA 107, au paragraphe 48; Telus Communications Inc. v. Telecommunications Workers Union, 2014 ABCA 199, aux paragraphes 35 et 36, 575 A.R. 325; Association des policiers provinciaux du Québec c. Sûreté du Québec, 2010 QCCA 2053, aux paragraphes 6 et 73, autorisation d’interjeter appel refusée, [2011] 2 R.C.S. v).

[79]  La substitution indirecte est donc un pouvoir reconnu, quoiqu’exceptionnel, dans le droit régissant le contrôle judiciaire. Le droit reconnaît également un pouvoir de substitution directe, c’est-à-dire lorsque la Cour accorde elle-même la réparation demandée au décideur administratif, encore une fois, dans des circonstances exceptionnelles (Renaud c. Québec (Commission des affaires sociales), [1999] 3 R.C.S. 855, au paragraphe 3; Bessette c. Colombie-Britannique (Procureur général), 2019 CSC 31, au paragraphe 94).

[80]  La juge Deschamps, dans ses motifs dissidents dans l’arrêt Giguère, a défini de la manière ci-après les circonstances dans lesquelles la cour de révision peut substituer sa conclusion à celle du décideur administratif (au paragraphe 66, renvois omis et non souligné dans l’original) :

Une cour de justice ne peut substituer sa décision à celle d’un décideur administratif à la légère ou de manière arbitraire, sans justification sérieuse. Ainsi, un tribunal judiciaire peut statuer sur le fond si le renvoi au tribunal administratif s’avère inutile […] C’est aussi le cas lorsque, une fois l’illégalité corrigée, le décideur administratif est sans compétence, faute d’assise juridique […] Il en va de même lorsque, suivant les circonstances et la preuve au dossier, une seule interprétation ou solution est envisageable, c’est-à-dire que toute autre interprétation ou solution serait déraisonnable […] Par ailleurs, il est également acquis que le dossier ne sera pas renvoyé à l’autorité compétente si celle-ci n’est plus en état d’agir, par exemple, s’il y a crainte raisonnable de partialité […]

[81]  Cette affirmation semble fondée sur l’idée que la substitution, dans les circonstances limitées établies par la juge Deschamps, ne doive pas estomper la séparation des pouvoirs entre les branches judiciaire et exécutive et qu’elle ne contrecarre pas les motifs pour lesquels le pouvoir décisionnel a été conféré aux décideurs administratifs (Giguère, aux paragraphes 67 à 69).

[82]  Bien qu’elle se trouve dans les motifs dissidents, l’affirmation de la juge Deschamps selon laquelle la substitution est possible lorsque la cour conclut qu’il n’y a qu’une seule issue raisonnable, de sorte que le renvoi de l’affaire au décideur administratif serait futile, a depuis été adoptée et a servi de fondement dans plusieurs jugements, portant autant sur la substitution directe que sur la substitution indirecte. Ce raisonnement a même été confirmé et appliqué depuis par la majorité à la Cour suprême, quoique dans le contexte d’un appel prévu par la loi dans lequel la cour semblait avoir un pouvoir de substitution directe établi par une loi (Groia c. Barreau du Haut-Canada, 2018 CSC 27, au paragraphe 161, [2018] 1 R.C.S. 772).

[83]  Notre Cour a également, à au moins deux reprises, procédé à une substitution directe suivant les motifs de la juge Deschamps dans l’arrêt Giguère, soit dans les arrêts Canada c. Bande indienne de Williams Lake, 2016 CAF 63, infirmé pour d’autres motifs par 2018 CSC 4, [2018] 1 R.C.S. 83, et Canada (Procureur général) c. Bétournay, 2018 CAF 230. Dans ces arrêts, la Cour semble considérer le premier précepte de Rafuse et la conclusion dans Jada Fishing comme étant dépassés.

[84]  L’arrêt Williams Lake portait sur une demande de contrôle judiciaire d’une décision du Tribunal des revendications particulières présentée en vertu de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, L.C. 2008, ch. 22, et de l’article 28 de la Loi sur les Cours fédérales. La Cour a conclu qu’il n’y avait qu’une seule issue possible et a par conséquent décidé (au paragraphe 119) « de rejeter la revendication particulière présentée en application des alinéas 14(1)b) et 14(1)c) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières ». Dans l’arrêt Bétournay, qui était également une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 28 de la Loi sur les Cours fédérales, notre Cour a conclu (au paragraphe 69) que, bien qu’il ne soit généralement pas de mise que la cour de révision substitue sa conclusion à celle du tribunal, il existe néanmoins une exception à ce principe lorsqu’il n’y a qu’une seule issue raisonnable possible. Notre Cour (au paragraphe 70) a ensuite accueilli la demande de contrôle judiciaire et, « [r]endant la décision qui aurait dû être rendue par la Commission, [a rejeté] le grief contestant la suspension sans solde » et « [a annulé] l’ordonnance de remboursement de salaire et des avantages sociaux pendant la période de suspension ».

[85]  D’autres cours d’appel ont également suivi le raisonnement de la juge Deschamps dans le contexte de demandes de contrôle judiciaire, par exemple dans les arrêts Canadian Centre for Bio-Ethical Reform v. South Coast British Columbia Transportation Authority, 2018 BCCA 344, au paragraphe 60, 426 D.L.R. (4th) 333; et Stetler v. The Ontario Flue-Cured Tobacco Growers’ Marketing Board, aux paragraphes 42 et 49, précité à titre d’exemple de substitution indirecte au moyen de la partie de l’ordonnance annulant la décision administrative. Dans l’arrêt Stetler, la Cour d’appel de l’Ontario, se fondant sur l’arrêt Giguère, a, [TRADUCTION] « par souci de clarté », prononcé un jugement déclaratoire rétablissant le quota rejeté par l’Office.

[86]  En l’espèce, la demande adressée au ministre visait l’obtention d’un certificat de citoyenneté conformément au paragraphe 12(1) de la Loi sur la citoyenneté. Le juge de première instance n’a pas accordé cette mesure. Après avoir conclu qu’il n’existait qu’une conclusion raisonnable à la question de la citoyenneté d’Andrew, il a prononcé un jugement déclaratoire qui, dans les faits, obligera le ministre à délivrer un certificat. Comme il a été établi précédemment, ce type de réparation équivalent à une substitution peut être accordé dans des circonstances exceptionnelles, lorsque la cour détermine que la substitution est justifiée.

[87]  De plus, le juge de première instance a longuement examiné dans ses motifs s’il pouvait utiliser et s’il était judicieux d’utiliser la « décision imposée », l’expression dont il s’est servi pour décrire une mesure de réparation équivalant à la substitution. Il a conclu que, bien qu’il s’agît d’une mesure exceptionnelle, il pouvait néanmoins en faire usage. Il a ainsi conclu (au paragraphe 28) que « [l]a seule conclusion logique sur la preuve est que M. Tennant était à l’emploi de l’ACDI et était par conséquent un fonctionnaire de l’État », et qu’il serait futile de renvoyer l’affaire au ministre pour nouvelle décision. Par cette conclusion, la présente affaire entre dans la catégorie des situations exceptionnelles où l’octroi d’une mesure de réparation équivalente à la substitution a été jugé indiqué.

[88]  Le juge de première instance a peut-être commis une erreur dans son appréciation du dossier en tirant cette conclusion et en jugeant qu’il était satisfait aux conditions préalables justifiant la substitution. Il est également possible que le juge de première instance n’ait pas fait suffisamment preuve de retenue envers la décision du ministre : il n’a même pas mentionné la norme de contrôle applicable. Il n’a pas non plus analysé le critère juridique servant à déterminer le statut d’employé. Finalement, il se peut aussi que le juge de première instance ait commis une erreur, comme le soutient le ministre, en s’appuyant en partie sur des éléments de preuve, soit les affidavits de Jonathan Tennant et de Paul Tennant, dont ne disposait pas le ministre lorsqu’il a rendu la décision visée par le contrôle et qui ne relevaient pas des exceptions relatives aux éléments de preuve supplémentaires recevables en contrôle judiciaire (Sharma c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 48, aux paragraphes 7 à 9).

[89]  Néanmoins, à supposer que le juge de première instance ait commis ces erreurs, il s’agirait de « simples » erreurs ou d’erreurs « ordinaires » d’un type que notre Cour corrige fréquemment lorsqu’il n’y a pas de disposition privative (un exemple récent : Canada (Procureur général) c. Allard, 2018 CAF 85, aux paragraphes 44 à 46). Ces erreurs ne seraient pas suffisamment graves pour faire entrer la présente affaire dans l’une ou l’autre des catégories de situations justifiant que notre Cour fasse abstraction de la disposition privative adoptée par le législateur à l’alinéa 22.2d).

[90]  Étant donné que la disposition privative s’applique en l’espèce, il n’appartient pas à notre Cour de déterminer si le juge de première instance a commis ou non ces erreurs lorsqu’il a substitué sa conclusion à celle du ministre. Il s’ensuit qu’on ne peut considérer que notre Cour a adopté ou rejeté la démarche du juge de première instance. Toutefois, les présents motifs ne devraient pas être interprétés comme étant une invitation aux juges procédant à des contrôles judiciaires en vertu de lois comportant des dispositions privatives à faire fi des exigences applicables au contrôle judiciaire, notamment la nécessité de faire preuve de retenue à l’égard des décideurs administratifs. Il demeure que les mesures de réparation équivalant à substituer la conclusion de la cour à celle du décideur administratif ne devraient être accordées que dans des situations exceptionnelles.

VI.  Dispositif proposé

[91]  Pour les motifs qui précèdent, je conclus que l’alinéa 22.2d) de la Loi sur la citoyenneté empêche le ministre de faire appel. En vertu du pouvoir que confère à notre Cour l’alinéa 52a) de la Loi sur les Cours fédérales, j’annulerais l’appel. Jonathan Tennant ne demande pas de dépens, et je n’en adjugerais pas.

« J.B. Laskin »

j.c.a.

« J’y souscris.

Wyman W. Webb, j.c.a. »


LE JUGE NEAR (motifs dissidents)

[92]  J’ai lu les motifs de la majorité et je suis malheureusement incapable de souscrire à ses conclusions. Il est inutile de répéter le contexte factuel et procédural de l’espèce, car il est présenté en détail dans les motifs de la majorité.

[93]  Il n’est pas contesté que la Cour fédérale a le pouvoir de prononcer des jugements déclaratoires lorsqu’elle tranche des demandes de contrôle judiciaire. En l’espèce, la Cour fédérale a été saisie d’une demande de contrôle judiciaire, mais elle n’a pas effectué de contrôle judiciaire. La Cour fédérale a plutôt simplement prononcé une déclaration de fait fondée sur des nouveaux éléments de preuve dont ne disposait pas le ministre lorsqu’il a rendu sa décision initiale dans l’exercice du pouvoir que lui a conféré le législateur à l’article 12 de la Loi sur la citoyenneté.

[94]  La Cour fédérale a conclu que Paul Tennant était un fonctionnaire de la Couronne en 1971 à la lumière de ces nouveaux éléments de preuve, ce qui l’a menée à déclarer que l’intimé était citoyen canadien. Elle a tiré cette conclusion sans faire de contrôle judiciaire ni examiner la possibilité de recourir au mandamus (plutôt qu’au « verdict imposé », une notion inconnue en droit administratif), comme il lui était loisible de le faire sur le fondement du dossier dont le ministre avait originalement été saisi. La Cour fédérale a plutôt prononcé une déclaration de fait en se fondant sur des nouveaux éléments de preuve que le ministre n’avait pas examinés. Notre Cour, dans l’arrêt Makara (au paragraphe 16), a conclu que la Cour fédérale « n’a pas compétence de rendre des jugements déclaratoires sur de simples questions de fait ». Je suis de cet avis. À mon sens, les déclarations du juge de première instance, bien qu’elles aient des répercussions juridiques sur le droit à la citoyenneté de l’intimé, ne se rapportaient qu’aux conclusions de fait de la Cour fédérale, et non à celles du ministre, c’est-à-dire que PaulTennant travaillait à l’étranger à titre de fonctionnaire de la Couronne lorsque Jonathan Tennant est né, de sorte que l’intimé est citoyen canadien. En conséquence, le jugement déclaratoire rendu par la Cour fédérale dans ces circonstances constituait une erreur suffisamment grave pour que l’on conclue que la disposition privative ne s’applique pas en l’espèce.

[95]  Cette conclusion suffit pour trancher la question et accueillir l’appel. Toutefois, j’estime que la Cour fédérale a également usurpé le rôle du ministre et rendu une décision sur le fond malgré le fait que le législateur ait conféré au ministre le pouvoir exclusif de trancher les demandes présentées au titre du paragraphe 12(1) de la Loi sur la citoyenneté. La Cour fédérale a manifestement substitué sa décision à celle du ministre. Nul ne conteste le fait qu’en règle générale, dans le contexte d’un contrôle judiciaire, la Cour n’a pas le pouvoir de substituer son opinion à celle du décideur administratif et de rendre la décision que le décideur administratif aurait dû rendre (Bétournay, au paragraphe 69; Rafuse, au paragraphe 9; Xie, au paragraphe 17). Les motifs de la majorité établissent à bon droit qu’il y a exception dans des circonstances extraordinaires où, à l’aide d’une combinaison de certiorari et de mandamus, le tribunal peut parvenir à un tel résultat de manière indirecte. Cependant, les faits de l’espèce ne témoignent pas de telles circonstances extraordinaires. En fait, la Cour fédérale n’a effectué aucun contrôle judiciaire et n’a fait preuve d’aucune retenue à l’égard du ministre en sa qualité de décideur initial.

[96]  La majorité a à juste titre fait référence à la jurisprudence issue de l’arrêt Giguère qui repose sur le raisonnement de la juge Deschamps voulant que, dans des cas extraordinaires, la Cour puisse substituer sa conclusion à celle du décideur lorsque, « suivant les circonstances et la preuve au dossier, une seule interprétation ou solution est envisageable, c’est-à-dire que toute autre interprétation ou solution serait déraisonnable » (Giguère, au paragraphe 66). Il est établi qu’une telle substitution constitue un pouvoir exceptionnel en droit en matière de contrôle judiciaire et que ce pouvoir devrait être utilisé avec prudence. Tel n’est pas le cas en l’espèce. La litanie d’erreurs possibles mentionnées dans les motifs de la majorité (au paragraphe 88) montre que la décision n’allait pas de soi, tant s’en faut. À mon sens, étant donné que la Cour fédérale n’a pas effectué de contrôle judiciaire et qu’elle s’est fondée sur des éléments de preuve dont le ministre ne disposait pas lorsqu’il a rendu sa décision et qui sont contestés, il n’est pas du tout manifeste que la déclaration de fait voulant que l’intimé ait qualité de citoyen fût la seule issue raisonnable. Il ne s’agissait pas non plus d’une situation exceptionnelle exigeant que la Cour substitue sa décision à celle du ministre plutôt que de renvoyer l’affaire au ministre pour nouvelle décision après examen complet des faits, en vertu du pouvoir que lui a conféré le législateur, comme ce serait le cas normalement.

[97]  Contrairement à ce qu’avance la majorité dans ses motifs, ne pas renvoyer l’affaire au ministre dans ces circonstances constitue à mon avis « une invitation aux juges procédant à des contrôles judiciaires en vertu de lois comportant des dispositions privatives à faire fi des exigences applicables au contrôle judiciaire, notamment la nécessité de faire preuve de retenue à l’égard des décideurs administratifs ». Les cours de révision seront ainsi invitées à prononcer des déclarations de faits fondées sur des éléments de preuve dont ne disposait peut-être pas le décideur initial, à refuser de certifier des questions, puis à se fonder sur la disposition privative pour se soustraire à tout contrôle dans des circonstances qui n’ont rien d’exceptionnel ou d’extraordinaire.

[98]  Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel, j’annulerais la décision de la Cour fédérale et je renverrais l’affaire à un autre agent de la citoyenneté pour nouvelle décision, sans dépens.

« D. G. Near »

j.c.a.

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


(APPEL D’UN JUGEMENT RENDU PAR L’HONORABLE JUGE AHMED DE LA COUR FÉDÉRALE DU CANADA LE 13 FÉVRIER 2018, DOSSIER NO T-1027-17)

DOSSIER :

A-104-18

 

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. ANDREW JAMES FISHER-TENNANT, PAR LA TUTELLE DE JONATHAN TENNANT, ET L’ASSOCIATION CANADIENNE DES AVOCATS ET AVOCATES EN DROIT DES RÉFUGIÉS

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 13 février 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

le juge LASKIN

 

Y A SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

 

MOTIFS DISSIDENTS :

LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 JUILLET 2019

 

COMPARUTIONS :

Gregory G. George

David Joseph

Elinor Elstub

 

POUR L’APPELANT

 

Martha A. Cook

 

POUR L’INTIMÉ

Michael Bossin

Laïla Demirdache

 

POUR L’INTERVENANTE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER­:

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

 

POUR L’APPELANT

 

Martha Cook Professional Corporation

Stratford (Ontario)

 

POUR L’INTIMÉ

 

Services juridiques communautaires d’Ottawa

Ottawa (Ontario)

POUR L’INTERVENANTE

 

 

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