Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20190718


Dossier : A-425-18

Référence : 2019 CAF 209

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE STRATAS

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

EVOLUTION TECHNOLOGIES INC.

appelante

et

HUMAN CARE CANADA INC.

intimée

Audience tenue à Ottawa (Ontario), les 12 et 13 juin 2019.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 18 juillet 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LASKIN

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE STRATAS

 


Date : 20190718


Dossier : A-425-18

Référence : 2019 CAF 209

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE STRATAS

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

EVOLUTION TECHNOLOGIES INC.

appelante

et

HUMAN CARE CANADA INC.

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LASKIN

[1]  L'appelante, Evolution Technologies Inc., et l'intimée, Human Care Canada Inc., fournissent toutes deux des dispositifs d'aide au déplacement. Ces dispositifs comprennent notamment des déambulateurs à roulettes, plus communément appelés « marchettes ». Le modèle « Nexus » de Human Care, déambulateur à siège fixe et à pliage central, est une réalisation commerciale de son brevet canadien no 2 492 392. Human Care a intenté une action devant la Cour fédérale au motif que les déambulateurs « Xpresso » d'Evolution — qui sont également à siège fixe et à pliage central — constituent une contrefaçon des revendications 16 et 18 de son brevet. Evolution nie toute contrefaçon et présente une demande reconventionnelle en déclaration d'invalidité.

[2]  La Cour fédérale a tranché en faveur de Human Care : Human Care Canada Inc. c. Evolution Technologies Inc., 2018 CF 1302; jugement et motifs supplémentaires, 2018 CF 1304 (la juge Elliott). La Cour a conclu que tous les éléments essentiels des revendications 16 et 18 du brevet, selon la façon dont elle les a interprétées, sont présents dans le déambulateur Xpresso. Elle a par conséquent conclu qu'il y avait contrefaçon. La Cour a ensuite conclu que le brevet était valide et a accordé des réparations, notamment une injonction permanente, une indemnisation raisonnable pour la période comprise entre le lancement du déambulateur Xpresso et la délivrance du brevet, ainsi qu'une reddition des comptes et la restitution des bénéfices. Elle a également rejeté la demande reconventionnelle d'Evolution.

[3]  Evolution interjette appel devant notre Cour et invoque plusieurs motifs d'appel. Elle fait valoir que la Cour fédérale a non seulement omis d'appliquer son interprétation des revendications lors de l'analyse de la contrefaçon, mais qu'elle a aussi mal interprété le libellé des revendications, ce qui s'est traduit par une conclusion de contrefaçon erronée. Evolution fait valoir que, lorsque le brevet est correctement interprété, quatre éléments des sept que la Cour fédérale a jugé essentiels sont absents du déambulateur Xpresso : le [TRADUCTION] « dispositif formant barre de tension et permettant de répartir le poids », la [TRADUCTION] « barre de tension [...] connectée structurellement auxdits premier et second supports », le [TRADUCTION] « croisillon s'étendant entre le [...] support et le [...] châssis », et [TRADUCTION] « une poignée passant au travers du premier support ». À l'appui de ses observations sur le deuxième de ces éléments, Evolution invoque des déclarations que le demandeur du brevet a faites, selon elle, au Bureau des brevets et elle invoque le nouveau paragraphe 53.1(1) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4, récemment adopté, en application duquel, dans une procédure relative à un brevet, une communication écrite entre le demandeur du brevet et le Bureau des brevets dans le cadre de la poursuite de la demande du brevet peut être admise en preuve pour réfuter une déclaration faite par le titulaire du brevet relativement à l'interprétation des revendications. Evolution affirme également que la Cour fédérale a commis une erreur susceptible de révision en faisant défaut de conclure que le brevet était invalide en raison de la portée excessive et de l'évidence.

[4]  À mon avis, nous devons uniquement nous pencher sur les motifs d'appel portant sur l'élément [TRADUCTION] « dispositif formant barre de tension et permettant de répartir le poids » de la revendication. Evolution fait valoir que la Cour fédérale a accepté, lorsqu'elle a examiné les témoignages d'experts quant à la façon dont la personne versée dans l'art comprendrait les revendications, que l'expression « dispositif formant barre de tension » des revendications 16 et 18 porte uniquement sur les « dispositifs » qui sont « principalement » sous tension. Je conviens avec Evolution que la Cour fédérale en est implicitement arrivée à cette interprétation, et qu'elle a ensuite commis une erreur de droit en n'appliquant pas cette interprétation lors de l'examen de la contrefaçon. Puisque l'élément « dispositif formant barre de tension » est un élément essentiel de la revendication que fait valoir Human Care, cela invalidait la conclusion selon laquelle le brevet avait été contrefait. Pour ces motifs, que j'explique plus en détail ci‑après, j'accueillerais l'appel.

[5]  Lors de son analyse de l'interprétation, la Cour fédérale a examiné les éléments de preuve du témoin expert de Human Care, David Brienza, ainsi que ceux du témoin expert d'Evolution, Jonathon Schuch. La Cour a indiqué clairement (aux paragraphes 185 à 193 de ses motifs publics), sous le titre « La manière dont M. Brienza et M. Schuch ont interprété les revendications », qu'elle a préféré l'approche de M. Brienza, qu'elle a notamment décrite comme « téléologique » et comme découlant de l'examen « [du] brevet dans son ensemble ». À l'opposé, la Cour fédérale a conclu que M. Schuch avait adopté une approche « étroite », sans tenir compte du « texte proprement dit » des revendications et sans examiner le texte dans son juste contexte.

[6]  Comme il a été indiqué précédemment, l'une des conclusions de la Cour fédérale est que l'élément « dispositif formant barre de tension » mentionné dans les revendications 16 et 18 est présent dans le déambulateur Xpresso. La Cour a conclu qu'il correspondait au « montant » du déambulateur Xpresso. La revendication définit l'élément « dispositif formant barre de tension » comme suit :

[TRADUCTION]

un dispositif formant barre de tension et permettant de répartir le poids entre les premier et second supports, ledit dispositif étant ajustable entre une position déployée, dans laquelle ladite barre de tension est connectée structurellement auxdits premier et second supports lorsque le dispositif est en position d'utilisation, et une position déverrouillée permettant de mettre le dispositif en position de rangement

[7]  La Cour fédérale disposait du témoignage des deux experts pour l'aider à interpréter cet élément de la revendication. M. Brienza a déclaré dans son rapport d'expert que la personne versée dans l'art comprendrait que l'expression « permettant de répartir le poids entre les premier et second supports » [TRADUCTION] « décrit une fonction du « dispositif formant barre de tension » » et que [TRADUCTION] « lorsqu'un poids est appliqué à l'un des « supports », une force vers l'extérieur (ou « tension ») est créée dans le « dispositif formant barre de tension » ». Il ajoute qu'une personne versée dans l'art comprendrait que le terme « position déployée » s'entendrait d'une position dans laquelle le « dispositif formant barre de tension » est [TRADUCTION] « complètement étendu et capable de résister à la force de tension lorsqu'il est sous charge » : dossier d'appel, page 2736.

[8]  Dans son rapport principal et son rapport en réplique, M. Schuch affirme que le « dispositif formant barre de tension » dont il est question dans le brevet ne subit qu'une force de « traction », et que le montant du déambulateur Xpresso, qui est assujetti à une force « transversale », ne répond pas à cette définition : dossier d'appel, pages 20237 et 20833. Les termes « traction » et « transversale » décrivent des forces différentes. Une force de « traction » résulte du fait de tirer ou d'étendre dans le sens de la longueur du montant, alors qu'une force « transversale » est le contraire : une force qui s'applique perpendiculairement au sens de la longueur du montant.

[9]  Dans son rapport en réplique, M. Brienza a indiqué qu'une personne versée dans l'art comprendrait qu'un « dispositif formant barre de tension » n'a pas à être soumis uniquement à une force de traction et que [TRADUCTION] « la fonction primaire du « dispositif formant barre de tension » est de résister à une force de tirage (empêcher l'étirement) » : dossier d'appel, page 24358. En contre‑interrogatoire, on a demandé à M. Brienza si un ingénieur comprendrait que le terme « barre de tension » signifie [TRADUCTION] « une composante conçue pour résister à une force transversale ». Il a répondu qu'un ingénieur comprendrait qu'une barre de tension [TRADUCTION] « pourrait être soumise à des forces de traction et à des forces transversales », mais aussi que [TRADUCTION] « l'objet de la barre de tension est de résister à la force transversale » : dossier d'appel, page 1216.

[10]  La Cour fédérale a résumé le témoignage des experts sur ce point en indiquant (aux paragraphes 240 et 241) que pour M. Schuch, le « dispositif formant barre de tension » n'était soumis qu'à une force de traction « pure », tandis que pour M. Brienza, le « dispositif formant barre de tension » était « principalement » sous tension pendant son utilisation (souligné dans l'original). La Cour fédérale a résumé davantage la différence entre les deux experts comme suit (paragraphe 242) :

En fin de compte, la différence qu'il y a entre les deux experts à propos de cet aspect du dispositif formant barre de tension est un désaccord au sujet du degré de tension que supporte ce dispositif et s'il résiste à des forces de compression quelconque[s].

[11]  La Cour fédérale n'a alors pas explicitement résolu le « désaccord au sujet du degré de tension » et ne s'est pas prononcée non plus sur le point de savoir si le « dispositif formant barre de tension » est soumis à une force de traction « pure » ou « principalement » à une force de tension. Elle conclut plutôt son analyse de cet élément des revendications en affirmant être persuadée (au paragraphe 243) :

qu'en raison de l'environnement dans lequel fonctionne un déambulateur, celui‑ci sera soumis à des forces diverses, dont des forces de traction et des forces transversales. Un dispositif d'aide au déplacement, qu'on s'en serve à l'intérieur ou à l'extérieur, est confronté à la possibilité distincte qu'il butte contre des murs, des portes, des pierres ou d'autres obstacles en se déplaçant dans des espaces étroits, autour d'objets ou même sur un sol inégal. De tels impacts feraient en sorte que des forces s'appliquent à des angles divers, autres que purement verticaux ou horizontaux.

[12]  Plus loin dans les motifs, cependant, la Cour fédérale affirme expressément (au paragraphe 420) avoir « souscrit à l'interprétation des revendications que M. Brienza a avancée ». Cela doit vouloir dire l'interprétation de l'ensemble des revendications et de leurs éléments.

[13]  En appel, Evolution a d'abord fait valoir que la Cour fédérale avait commis une erreur de droit en n'offrant aucune interprétation [TRADUCTION] « expresse » ou [TRADUCTION] « claire » de l'expression « dispositif formant barre de tension » : mémoire d'Evolution, aux paragraphes 30 et 54. En réponse, Human Care a fait valoir que la Cour fédérale avait fourni une interprétation claire de l'expression « dispositif formant barre de tension » et que l'argument d'Evolution n'était [TRADUCTION] « qu'une plainte que la Cour fédérale avait accordé plus de poids aux éléments de preuve présentés par M. Brienza qu'à ceux de M. Schuch » : mémoire de Human Care, au paragraphe 37.

[14]  À l'audience de l'appel, Evolution a exprimé clairement qu'elle acceptait la thèse énoncée dans le mémoire de Human Care. En d'autres termes, elle reconnaît maintenant que la Cour fédérale a interprété l'expression « dispositif formant barre de tension » conformément au témoignage de M. Brienza. Evolution souligne cependant que la Cour fédérale avait conclu que les experts différaient d'avis sur le degré de la force de traction que subirait le « dispositif formant barre de tension » : une force de traction « pure », selon l'opinion de M. Schuch, ou « principalement » une force de traction, selon celui de M. Brienza. Evolution prétend qu'en retenant le témoignage de M. Brienza, la Cour fédérale a interprété l'expression « dispositif formant barre de tension » comme exigeant que le « dispositif » soit « principalement » sous tension. En raison de cette interprétation, Evolution affirme que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant à la contrefaçon, puisque le dossier ne démontre pas que le montant du déambulateur Xpresso est principalement sous tension.

[15]  Mais comme son avocat l'a fait valoir durant les plaidoiries, Human Care n'est plus d'accord pour dire que la Cour fédérale a accepté le témoignage de M. Brienza « dans son ensemble ». Human Care soutient que la Cour fédérale a suivi, dans son analyse de l'interprétation, une approche selon laquelle elle établit d'abord le point de désaccord et la position de chacune des parties selon le témoignage d'expert pour en arriver à une opinion sur l'interprétation correcte de chaque terme des revendications en litige. Human Care affirme que, lorsque la Cour fédérale a adopté expressément les points de vue de M. Brienza, elle l'a indiqué dans ses motifs. Par conséquent, elle fait valoir que la Cour fédérale n'a pas accepté l'interprétation que donne M. Brienza au terme « dispositif formant barre de tension » et est arrivée à une interprétation différente. Cependant, les passages des motifs où cette interprétation se retrouve, selon Human Care (paragraphes 237 et 243), n'indiquent pas qu'ils portent sur l'interprétation de cet élément des revendications et n'indiquent pas qu'il y a désaccord avec M. Brienza.

[16]  À l'audience, on a demandé à Human Care comment le paragraphe 243 des motifs de la Cour fédérale pouvait être interprété pour résoudre le désaccord soulevé dans les paragraphes qui le précèdent. Son avocat a répondu en se reportant de nouveau au témoignage d'expert en soutenant que, d'après M. Brienza, [TRADUCTION] « la barre de tension, telle qu'elle est utilisée pour retenir les sièges, utilise principalement la force de traction ». L'avocat a également affirmé qu'au paragraphe 243, la Cour fédérale conclut que l'expression « dispositif formant barre de tension » renvoie à un « dispositif » soumis non seulement à des forces de traction pures, mais à des forces de traction et à des forces transversales. L'avocat affirme qu'Evolution n'a pu relever d'erreur dans l'interprétation de la Cour fédérale et il ajoute que, même si notre Cour devait conclure que l'interprétation donnée par la Cour fédérale à l'expression « dispositif formant barre de tension » suppose un « dispositif » soumis principalement à des forces de traction, il subsiste un fondement factuel grâce auquel la Cour fédérale aurait pu conclure à la contrefaçon.

[17]  Comme il a été indiqué ci‑dessus, la Cour fédérale a exprimé clairement qu'elle préférait le témoignage de M. Brienza sur les questions d'interprétation, et a expressément affirmé être d'accord avec son interprétation des revendications. Human Care a elle‑même fait valoir que la Cour fédérale avait préféré ses éléments de preuve [TRADUCTION] « sur chacune des questions en litige à l'audience » : mémoire de Human Care, au paragraphe 3, en italique dans l'original. Comme le reconnaît Human Care, la déférence en appel s'impose à l'égard de l'appréciation par le juge de première instance du témoignage des experts qui a une incidence sur l'interprétation : ABB Technology AG c. Hyundai Heavy Industries Co., Ltd., 2015 CAF 181, aux paragraphes 22 et 23.

[18]  Human Care n'affirme pas que la Cour fédérale a présenté de façon erronée la position de M. Brienza en résumant que le désaccord était de savoir si un « dispositif formant barre de tension » doit être « purement » ou « principalement » sous tension pendant son utilisation. Je conviens donc avec Evolution que la Cour fédérale a implicitement interprété l'expression « dispositif formant barre de tension » conformément au témoignage de M. Brienza, tel que l'a compris la Cour fédérale. Dans de telles circonstances, notre Cour peut confirmer cette interprétation implicite si elle est d'accord : voir Bourgault Industries Ltdc. Flexi‑Coil Ltd., [1999] A.C.F. no 315 (QL) (C.A.F.), au paragraphe 13, autorisation d'interjeter appel refusée, [2000] 1 R.C.S. xi, et comparer Polansky Electronics Ltd. v. AGT Ltd., 2001 ABCA 36, aux paragraphes 15 à 22. Dans l'arrêt Polansky, la Cour d'appel de l'Alberta n'a pas pu trouver même une interprétation implicite dans les motifs du juge de première instance, et il y avait des opinions d'experts contradictoires ainsi que des questions de crédibilité non résolues au sujet du témoignage d'expert à l'égard de la portée des revendications, ce qui a exigé que l'affaire soit renvoyée pour nouvelle audience.

[19]  Je suis d'accord avec l'interprétation implicite faite par la Cour fédérale de l'élément « dispositif formant barre de tension ». J'ai présenté ci‑dessus une partie du témoignage d'expert sur la façon dont la personne versée dans l'art comprendrait le terme. Je ne vois aucune erreur dans la façon dont la Cour fédérale a résumé et accepté le témoignage de M. Brienza à cet égard.

[20]  J'estime également que l'interprétation faite par la Cour fédérale est compatible avec le principe de l'interprétation téléologique. L'interprétation téléologique porte [TRADUCTION] « non seulement sur l'objet général de l'invention, mais aussi sur l'objet de ses différents éléments » : Donald H. MacOdrum, Fox on the Canadian Law of Patents, 5e édition, édition à feuilles mobiles (Toronto, Thomson Reuters, 2013), au paragraphe 8:6(h). Il est clair que l'objet du « dispositif formant barre de tension » est principalement de résister à une force de traction, même s'il peut aussi être soumis à d'autres forces.

[21]  J'examine à présent la question de la contrefaçon. Comme l'a fait valoir Human Care dans sa plaidoirie, lors de l'analyse de la contrefaçon, le tribunal doit comparer le dispositif contesté — en l'espèce, le déambulateur Xpresso — avec les revendications telles qu'elles ont été interprétées. Evolution affirme que, compte tenu de l'interprétation implicite faite par la Cour fédérale de l'expression « dispositif formant barre de tension », elle a commis une erreur en concluant à la contrefaçon, puisque le montant du déambulateur Xpresso n'est pas principalement sous tension pendant son utilisation. Evolution prétend qu'il n'y avait aucune preuve attestant du contraire.

[22]  Comme il est indiqué plus haut, Human Care a fait valoir durant sa plaidoirie que, même si notre Cour confirmait l'interprétation implicite de la Cour fédérale selon laquelle un « dispositif formant barre de tension » suppose un « dispositif » qui est « principalement » sous tension pendant son utilisation, la Cour fédérale pouvait quand même conclure à la contrefaçon. Cependant, l'avocat de Human Care a semblé abandonner cette thèse en abordant la contrefaçon, en convenant en fin de compte que le degré de tension était un « faux problème » et un « faux argument ». Human Care a plutôt insisté sur la partie du témoignage de M. Brienza dans laquelle il mentionne que le montant du déambulateur Xpresso est soumis à une certaine force de traction pendant son utilisation. L'avocat de Human Care a prétendu qu'il n'était pas nécessaire que la Cour fédérale détermine le degré de force de traction, pourvu qu'elle conclue que le montant du déambulateur Xpresso contribue à répartir le poids et empêche l'affaissement du siège en utilisant la tension, à tout le moins en partie.

[23]  À mon avis, les arguments de Human Care sur la contrefaçon relèvent plutôt d'une position qu'elle aurait pu adopter à l'égard de l'interprétation. La contrefaçon est une question mixte de fait et de droit; le tribunal doit d'abord interpréter les revendications pour ensuite déterminer si, au vu des faits, le dispositif contesté en relève : ABB Technology, au paragraphe 30. L'interprétation des revendications doit donc précéder l'examen des questions de contrefaçon : Mediatube Corp. c. Bell Canada, 2017 CF 6 au paragraphe 28, conf. par 2019 CAF 176. Lorsqu'on atteint l'étape de l'examen de la contrefaçon, l'accent est mis sur les faits. Comme l'a affirmé la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, 2004 CSC 34, [2004] 1 R.C.S. 902, au paragraphe 30 : « Dans la plupart des affaires de contrefaçon de brevet, les faits indiquent clairement s'il y a eu contrefaçon, une fois que la revendication a été interprétée : il suffit de comparer la chose fabriquée ou vendue [...] avec les revendications interprétées. »

[24]  En l'espèce, comme on l'a vu plus haut, la Cour fédérale a conclu que selon l'expression « dispositif formant barre de tension », le « dispositif » doit être principalement sous tension. Cependant, la conclusion de contrefaçon de la Cour fédérale (au paragraphe 346) est fondée non pas sur cette interprétation, mais sur la conclusion selon laquelle le montant du déambulateur Xpresso « est soumis à des forces de tension, en plus de forces transversales », et que le « dispositif formant barre de tension » est par conséquent « présent dans le déambulateur Xpresso ». L'analyse de contrefaçon de la Cour fédérale révèle donc une erreur de droit isolable — le défaut d'appliquer, à l'étape de la contrefaçon, l'interprétation de l'expression « dispositif formant barre de tension » qu'elle avait adoptée plus tôt.

[25]  Une « règle fondamentale » de l'interprétation des revendications d'un brevet veut que les revendications reçoivent « une seule et même interprétation à toutes les fins » : Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, [2000] 2 R.C.S. 1067, à l'alinéa 49(b), Tearlab Corporation c. I‑MED Pharma Inc., 2019 CAF 179, au paragraphe 34. Comme notre Cour l'a écrit, « les revendications doivent recevoir une seule et même interprétation à toutes les fins » : Zero Spill Systems (Int'l) Inc. c. Heide, 2015 CAF 115, au paragraphe 96, autorisation d'interjeter appel refusée sub nom. 1284897 Alberta Ltd. c. Zero Spill Systems (Int'l) Inc., [2016] 1 R.C.S. v.

[26]  Je conviens également avec Evolution que, si la Cour fédérale avait appliqué son interprétation de l'expression « dispositif formant barre de tension », elle n'aurait pas eu de fondement factuel pour conclure que le montant du déambulateur Xpresso est principalement sous tension pendant son utilisation. Human Care ne nous a pas indiqué d'éléments de preuve pouvant fonder une autre conclusion. Par conséquent, puisque le déambulateur Xpresso ne comprend pas l'un des éléments essentiels des revendications telles qu'elles ont été interprétées, la conclusion de contrefaçon ne peut pas tenir : Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, [2000] 2 R.C.S. 1024, aux paragraphes 68 et 75.

[27]  Par conséquent, j'accueillerais l'appel et j'annulerais le jugement de la Cour fédérale du 28 décembre 2018, à l'exception du paragraphe 11, qui rejette la demande reconventionnelle. L'avocat d'Evolution a confirmé à l'audience que la demande reconventionnelle n'était pas en litige et n'avait pas à être tranchée. Je rendrais le jugement que la Cour fédérale aurait dû rendre, c'est‑à‑dire que je rejetterais l'action de Human Care. J'adjugerais également à Evolution ses dépens devant la Cour fédérale et devant notre Cour.

« J.B. Laskin »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

« Je suis d'accord.

David Stratas, j.c.a. »


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-425-18

 

INTITULÉ :

EVOLUTION TECHNOLOGIES INC. c. HUMAN CARE CANADA INC.

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

Les 12 et 13 juin 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LASKIN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 18 juillet 2019

COMPARUTIONS :

Andrew Brodkin

Richard Naiberg

Jordan Scopa

Jaclyn Tilak

 

Pour l'appelante

 

Kristin Wall

Amy Grenon

Chelsea Nimmo

Pour l'intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Goodmans LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour l'appelante

 

Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

Pour l'intimée

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.