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Date : 20190725


Dossiers : A-175-17

A-315-17

A-323-17

Référence : 2019 CAF 211

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE RIVOALEN

 

ENTRE :

KEN INSCH, LAWRENCE FONG et

PETER LEUNG

demandeurs

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

et

L’INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

intervenant

Audience tenue à Calgary (Alberta), le 8 mai 2019.

Jugement rendu à Ottawa, (Ontario), le 25 juillet 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE RIVOALEN


Date : 20190725


Dossiers : A-175-17

A-315-17

A-323-17

Référence : 2019 CAF 211

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

KEN INSCH, LAWRENCE FONG et

PETER LEUNG

demandeurs

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

et

L’INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

intervenant

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DAWSON

[1]  La principale question soulevée dans la présente demande de contrôle judiciaire réunie est de savoir si des syndiqués ‑ représentés par leur syndicat durant le règlement des griefs et l’arbitrage ‑ ont qualité pour poursuivre une demande de contrôle judiciaire visant une sentence arbitrale ayant tranché en leur défaveur un grief portant sur l’interprétation d’une disposition de la convention collective lorsque leur syndicat ne les représente plus, mais est censé autoriser la poursuite de la demande.

[2]  Cette question s’inscrit dans le contexte factuel décrit ci-après.

A.  Les faits

[3]  À l’époque des faits, les demandeurs travaillaient à l’Agence du revenu du Canada à titre d’agents des appels assignés aux dossiers d’envergure (AU-04), au Bureau des services fiscaux de Calgary, en Alberta. Ils appartenaient à l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada. L’Agence du revenu du Canada et l’Institut avaient conclu une convention collective.

[4]  Les demandeurs et d’autres ont déposé des griefs reprochant à leur employeur d’avoir contrevenu à l’article 45.07 de leur convention collective. Cet article prévoit qu’un employé doit toucher une indemnité provisoire lorsqu’il est tenu par l’employeur d’exercer à titre intérimaire une grande partie des fonctions d’une classification supérieure pendant trois jours ouvrables consécutifs. Les demandeurs affirment que, durant une longue période, ils ont exercé des fonctions associées à des postes des groupe et niveaux AU-05 et AU-06.

[5]  Les griefs ont été réunis et renvoyés à l’arbitrage en application du paragraphe 209(1) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, L.C. 2003, ch. 22, article 2 (la LRTSPF ou la Loi). Comme les griefs portaient sur « l’interprétation ou l’application, à [leur] égard, de toute disposition d’une convention collective », les demandeurs ont obtenu de l’Institut qu’il accepte de les représenter dans la procédure d’arbitrage, comme le prévoit la Loi (paragraphe 209(2)).

[6]  L’arbitre a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour examiner les griefs, car les questions en litige portaient sur la classification, et non sur la rémunération provisoire. L’arbitre a ajouté que, si elle avait tort de tirer cette conclusion, l’Institut ne s’était pas acquitté de son fardeau de démontrer que les fonctionnaires s’estimant lésés s’étaient vu attribuer des tâches transcendant la description de poste des agents des appels assignés aux dossiers d’envergure (AU-04) (2017 CRTEFP 45).

[7]  L’Institut a retenu les services d’un avocat pour demander le contrôle judiciaire de la sentence arbitrale au nom de chacun des trois demandeurs. Par suite de discussions confidentielles entre l’Institut et les demandeurs, ces derniers se sont représentés eux-mêmes dans la demande de contrôle judiciaire. Les demandeurs se représentent seuls depuis.

[8]  Dans sa réponse, le procureur général, défendeur en l’espèce, affirme que les demandeurs n’ont pas qualité pour poursuivre leur demande.

[9]  L’Institut s’est vu accorder le statut d’intervenant dans la demande au sujet de la question de savoir si les demandeurs ont qualité pour poursuivre le contrôle judiciaire, étant donné qu’ils ne sont plus représentés par l’avocat de l’Institut. La conseillère générale aux affaires juridiques et chef des services des relations du travail de l’Institut a déposé un affidavit dans lequel elle déclare sous serment que [traduction] « l’Institut continue d’autoriser, d’appuyer et d’approuver la poursuite » de la demande.

[10]  Aux termes d’une ordonnance datée du 29 août 2018, la demande de contrôle judiciaire a été réunie à celles présentées ultérieurement par MM. Fong et Leung, qui avaient été mis hors de cause dans la demande initiale pour des raisons de procédure. Une copie des présents motifs sera versée dans chaque dossier.

B.  Les questions en litige

[11]  Je formulerais en ces termes les questions soulevées par les demandeurs dans la présente demande réunie :

  1. Les demandeurs ont-ils qualité pour poursuivre la demande de contrôle judiciaire?

  2. L’arbitre a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle en concluant qu’elle n’avait pas compétence pour statuer sur les griefs?

  3. L’arbitre a-t-elle enfreint les droits que l’équité procédurale assure aux demandeurs ou agi de sorte à susciter une crainte raisonnable de partialité?

  4. L’arbitre s’est-elle fondée sur de faux témoignages?

C.  Les demandeurs ont-ils qualité pour poursuivre la demande de contrôle judiciaire?

[12]  L’avocate du procureur général affirme que les demandeurs ne sont pas des personnes directement touchées par la décision de l’arbitre, comme l’exige le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, car ils cherchent à obtenir un avantage prévu à la convention collective. Cependant, ils ne sont pas parties à ce contrat intervenu exclusivement entre l’Institut et l’Agence du revenu du Canada. L’avocate plaide en outre que l’exclusivité entre un employeur et un syndicat est un principe clé des relations du travail selon lequel seul le syndicat peut présenter un grief.

[13]  Ken Insch, demandeur en l’espèce, affirme avoir qualité pour agir selon la loi et la common law, puisque le paragraphe 209(2) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral autorise le contrôle judiciaire, qu’il a signé le grief et que l’Institut appuie sa demande. Il soutient en outre qu’il est directement touché par la sentence de l’arbitre qui lui a refusé la rémunération provisoire. Il dit également être directement touché par la fraude, le parjure et la conduite inacceptable observés durant l’audience devant l’arbitre et affirme que le « gouvernement » avait envers lui l’obligation d’agir équitablement. Les autres demandeurs souscrivent à ces observations.

[14]  Dans sa réponse aux observations du procureur général, l’Institut reconnaît qu’il doit appuyer toute demande de contrôle judiciaire portant sur l’interprétation ou l’administration de la convention collective. Renvoyant à différents arrêts, notamment Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39, [2001] 2 R.C.S. 207, au paragraphe 62, et Migneault c. Nouveau Brunswick (Conseil de gestion), 2016 NBCA 52, l’Institut fait valoir que seul le syndicat peut présenter des litiges à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la Commission) qui portent sur l’interprétation et l’application de la convention collective en vigueur. Suivant cette exigence, les syndiqués ne peuvent individuellement plaider un argument au sujet de l’interprétation ou de l’application d’une convention collective, sans l’appui du syndicat agissant à titre de représentant de l’ensemble des membres de l’unité de négociation concernée.

[15]  Cela dit, l’Institut fait valoir que les processus de règlement des griefs et d’arbitrage prévus dans la LRTSPF et la loi qui l’a précédée diffèrent de ceux établis dans la plupart des autres ressorts; aux termes de la Loi, le fonctionnaire s’estimant lésé doit déposer le grief en son nom. Il devient donc le demandeur ou le défendeur dans une demande de contrôle judiciaire présentée à l’égard d’une sentence arbitrale.

[16]  L’Institut affirme toutefois qu’il doit continuer d’appuyer toutes les demandes de contrôle judiciaire portant sur l’interprétation ou l’administration de la convention collective, comme c’est le cas en l’espèce, sans quoi son autonomie dans son rôle consistant à veiller au respect de la convention collective serait compromise.

[17]  Avant d’aborder l’analyse de la question en litige, il est utile de revoir d’abord les dispositions pertinentes de la convention collective et de la LRTSPF.

1.  La convention collective

[18]  La convention collective est intervenue entre l’Agence du revenu du Canada et l’Institut.

[19]  À l’article 25 de la convention collective, l’employeur reconnaît « l’Institut comme agent négociateur unique de tous les employés décrits dans le certificat délivré par la Commission des relations de travail dans la fonction publique le 12 décembre 200l, et qui vise les employés de l’unité de négociation Vérification, finances et sciences classifiés actuellement en conformité avec » les normes de classification prescrites. Les demandeurs étaient des employés décrits dans ce certificat.

[20]  Aucune disposition de la convention collective n’accorde à un fonctionnaire individuel le droit inconditionnel de formuler, à quelque niveau, un grief portant sur l’interprétation ou l’application d’une disposition de la convention collective.

[21]  L’article 34 de la convention décrit la procédure de règlement des griefs. L’article 34.07 prévoit une importante limite empêchant un fonctionnaire de présenter « un grief individuel s’il ou elle estime être lésé-e [. . .] par l’interprétation ou l’application [. . .] d’une disposition d’une convention collective [. . .] à moins d’obtenir l’autorisation de l’Institut et d’être représenté-e » par l’Institut.

[22]  De même, l’article 34.22 précise qu’un employé ne peut renvoyer à l’arbitrage un grief individuel portant sur « l’interprétation ou l’application [. . .] d’une disposition d’une convention collective » sans l’accord de l’Institut.

[23]  L’examen qui suit des dispositions pertinentes de la LRTSPF montre que la clause 34 de la convention collective reprend dans une large mesure les exigences légales.

2.  La LRTSPF

[24]  Le préambule de la Loi reconnaît « que l’engagement de l’employeur et des agents négociateurs à l’égard du respect mutuel et de l’établissement de relations harmonieuses est un élément indispensable pour ériger une fonction publique performante et productive ». On y reconnaît par ailleurs que « les agents négociateurs de la fonction publique représentent les intérêts des fonctionnaires lors des négociations collectives, et qu’ils ont un rôle à jouer dans la résolution des problèmes en milieu de travail et des conflits de droits ».

[25]  Selon le paragraphe 2(1), une « convention collective » s’entend d’une convention écrite « entre l’employeur et un agent négociateur donné et renfermant des dispositions relatives aux conditions d’emploi et à des questions connexes ».

[26]  La partie 1 de la Loi, qui porte sur les « Relations de travail » définit les « parties », dans le cas de négociations collectives, d’un arbitrage, de la conciliation ou d’un différend, comme étant « [l]’employeur et l’agent négociateur » (paragraphe 4(1)). La partie 2 de la Loi, qui porte sur les « Griefs », ne comporte aucune définition de « parties ».

[27]  Le paragraphe 208(1) de la Loi prévoit que « le fonctionnaire a le droit de présenter un grief individuel » s’il s’estime lésé « par l’interprétation ou l’application [...] de toute disposition d’une convention collective ». Cependant, le fonctionnaire ne peut présenter un grief qu’à condition « d’avoir obtenu l’approbation de l’agent négociateur de l’unité de négociation à laquelle s’applique la convention collective [...] et d’être représenté par cet agent » (paragraphe 208(4)).

[28]  De même, le paragraphe 209(1) autorise le fonctionnaire à renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur « l’interprétation ou l’application [...] de toute disposition d’une convention collective ». Cependant, avant que le fonctionnaire puisse renvoyer un grief à l’arbitrage, « il faut que son agent négociateur accepte de le représenter dans la procédure d’arbitrage » (paragraphe 209(2)).

[29]  Ces dispositions trouvent écho dans le Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, DORS/2005-79. Ainsi, l’article 67 du Règlement permet à un fonctionnaire de présenter un grief individuel, et le paragraphe 69(1) exige que le fonctionnaire s’estimant lésé, qui présente un grief individuel portant sur l’interprétation ou l’application d’une convention collective, produise une déclaration du représentant autorisé de l’agent négociateur concerné indiquant que le fonctionnaire, en présentant le grief, a l’approbation de l’agent négociateur et est représenté par lui. Le paragraphe 89(1) du Règlement précise en outre que l’avis de renvoi à l’arbitrage d’un grief portant sur l’interprétation ou l’application d’une disposition de la convention collective doit être présenté sur la formule 20 de l’annexe. La formule 20 sert à recueillir de l’information sur le fonctionnaire s’estimant lésé et se termine par une déclaration, conforme au paragraphe 89(3), d’un représentant autorisé de l’agent négociateur compétent indiquant que l’agent négociateur accepte de représenter le fonctionnaire s’estimant lésé dans la procédure d’arbitrage.

3.  Discussion

[30]  L’examen des dispositions pertinentes de la Loi, du Règlement et de la convention collective montre que le droit à l’arbitrage dans le secteur public fédéral découle directement de la législation et non de la convention collective : sous réserve des limites précitées, le paragraphe 208(1) de la Loi donne au fonctionnaire le droit de présenter un grief individuel, et le paragraphe 209(1) permet à des fonctionnaires comme les demandeurs de renvoyer à l’arbitrage des griefs individuels.

[31]  Aux termes de ces dispositions législatives, les parties à l’arbitrage d’un grief individuel devant la Commission sont les fonctionnaires s’estimant lésés et l’employeur. Le syndicat n’est pas partie à l’arbitrage, mais doit accepter de représenter le fonctionnaire durant les processus de règlement des griefs et d’arbitrage. Par conséquent, contrairement à ce que prétend le procureur général, les demandeurs n’exercent pas leur droit à l’arbitrage aux termes de la convention collective conclue entre l’Institut et l’Agence du revenu du Canada.

[32]  De plus, ce régime légal a préséance sur l’exigence d’un lien contractuel invoquée par le procureur général, du moins en ce qui concerne le droit à l’arbitrage de griefs individuels.

[33]  Le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales autorise quiconque est « directement touché par l’objet de la demande » à présenter une demande de contrôle judiciaire. Le procureur général n’a pas démontré que les demandeurs, à titre de parties à la demande d’arbitrage présentée par eux aux termes de ce régime légal, n’étaient pas « directement touché[s] » par la sentence dont ils sollicitent le contrôle. En tant que parties visées par la sentence arbitrale, les demandeurs ont qualité pour présenter et poursuivre la présente demande.

[34]  Cela dit, je reconnais la difficulté que présente le régime légal lorsqu’il s’agit de définir le rôle du syndicat à l’étape du contrôle judiciaire.

[35]  La Commission et ses prédécesseurs ont systématiquement conclu que, lorsqu’un grief porte sur l’interprétation ou l’application d’une convention collective, le fonctionnaire s’estimant lésé ne peut agir que s’il est représenté par son agent négociateur (voir, par exemple, Cavanagh c. Agence du revenu du Canada, 2014 CRTFP 21, [2014] C.R.T.F.P.C. no 21; Boivin c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2009 CRTFP 98, [2009] C.R.T.F.P.C. no 98). En pareils cas, si l’agent négociateur retire ultérieurement son appui, le grief n’est plus arbitrable (Yarney c. Administrateur général (ministère de la Santé), 2011 CRTFP 112, [2011] C.R.T.F.P.C. no 111).

[36]  Cependant, comme le montre l’examen du régime légal et de la convention collective, il n’existe aucune exigence légale comparable lorsqu’un fonctionnaire demande le contrôle judiciaire d’une sentence arbitrale rendue en sa défaveur.

[37]  Le contrôle judiciaire d’une décision concernant l’interprétation ou l’application d’une clause d’une convention collective met en jeu les droits de tous les membres du syndicat. Aux stades du règlement des griefs et de l’arbitrage, les droits de tous les membres sont protégés par l’exigence voulant que le syndicat représente les fonctionnaires s’estimant lésés. Cette exigence est conforme à l’impératif voulant que le syndicat participe à tout processus de règlement des griefs ou d’arbitrage portant sur l’interprétation ou l’application de la convention collective afin de veiller aux intérêts de l’ensemble de l’unité de négociation. Je suis d’avis qu’il n’est guère logique de renoncer, dans une demande de contrôle judiciaire, à la protection que confère la représentation syndicale durant les procédures de règlement des griefs et d’arbitrage – car le contrôle judiciaire a une plus grande valeur de précédent que le règlement des griefs ou l’arbitrage. Cependant, les textes législatifs ne proposent aucune solution dans les cas relativement rares où un syndiqué, mais pas son syndicat, désire poursuivre le contrôle judiciaire.

[38]  L’Institut prétend que le syndicat conserve en l’espèce le contrôle ultime du grief, car il devra représenter les fonctionnaires s’estimant lésés si notre Cour renvoie l’affaire à l’arbitrage. Cette observation fait toutefois fi du pouvoir qu’a notre Cour de donner des directives exécutoires à un arbitre, voire, dans des cas exceptionnels, de dicter l’issue.

[39]  De plus, bien que l’avocat de l’Institut ait rédigé l’avis de demande de contrôle judiciaire, les demandeurs soulèvent dans leur demande réunie des questions que l’avocat n’avait pas énoncées, à savoir que les demandeurs n’ont pas été bien représentés par l’Institut et que l’employeur, par l’entremise de fonctionnaires nommément désignés, a présenté de faux témoignages. Une prétention non nuancée aussi grave de parjure à l’endroit de collègues ne saurait contribuer à créer des relations patronales-syndicales harmonieuses. C’est toutefois une conséquence susceptible de résulter de l’absence de représentation syndicale dans le cadre du contrôle judiciaire.

[40]  Il existe peut-être un moyen de reconnaître et de respecter la responsabilité qu’a le syndicat de veiller aux intérêts de l’ensemble de l’unité de négociation lorsque la demande de contrôle judiciaire soulève des questions portant sur l’application ou l’interprétation d’une convention collective.

[41]  Aux termes de l’alinéa 303(1)a) des Règles des Cours fédérales, le demandeur désigne à titre de défendeur toute personne « directement touchée par l’ordonnance recherchée, autre que l’office fédéral visé par la demande ». Il est possible que les demandeurs qui ne sont plus représentés par leur syndicat lors du contrôle judiciaire soient tenus, selon cette disposition, de désigner le syndicat à titre de défendeur dans leur avis de demande et de lui signifier leur avis de demande. L’application du paragraphe 303(1) ferait en sorte que le syndicat intéressé reçoive l’avis de demande et ait la possibilité de participer à l’instance pour veiller aux intérêts de l’ensemble de l’unité de négociation dans les cas portant sur l’interprétation ou l’application de la convention collective.

[42]  Passons aux questions de fond soulevées par les demandeurs.

D.  L’arbitre a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle en concluant qu’elle n’avait pas compétence pour statuer sur les griefs?

[43]  La prétention des demandeurs ‑ que la conclusion de l’arbitre selon laquelle elle n’avait pas compétence pour examiner les griefs appelle la norme de la décision correcte ‑ est sans fondement (mémoire des faits et du droit des demandeurs, au paragraphe 60). La conclusion de l’arbitre quant à son incompétence en la matière est, comme il se doit, assujettie à la norme de la décision raisonnable (Nadeau c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 203, [2018] A.C.F. no 1133, au paragraphe 16; Klos c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 160, [2018] A.C.F. no 916, aux paragraphes 1 à 3).

[44]  De même, la prétention des demandeurs  ‑ voulant que l’arbitre, en estimant que les griefs soulèvent une question de classification, ait commis une erreur de droit comparable à un abus de son pouvoir discrétionnaire et à une erreur de compétence­ est elle aussi sans fondement.

[45]  Les demandeurs ne présentent guère d’observations portant directement sur la conclusion de l’arbitre voulant qu’elle n’ait pas compétence et n’indique aucune erreur manifeste dans son raisonnement. La majeure partie de leur argumentation consiste plutôt à plaider de nouveau leur cause et porte sur la dissimulation frauduleuse d’information, une question que la Commission n’a pas tranchée, car elle a conclu à son incompétence en la matière.

[46]  Après avoir examiné la distinction importante entre le grief portant sur la rémunération intérimaire et celui portant sur la classification, l’arbitre a invoqué la décision rendue dans Bungay c. Conseil du Trésor (Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2005 CRTFP 40, où, au paragraphe 59, la Commission a fourni une liste non exhaustive des caractéristiques permettant de distinguer les deux types de griefs.

[47]  L’arbitre a conclu que les préoccupations des demandeurs concernaient l’ensemble de leurs fonctions depuis leur nomination respective à des postes d’agents des appels assignés aux dossiers d’envergure (AU-04) et que leurs fonctions étaient demeurées constantes au fil des ans. Elle laisse ainsi entendre que le problème soulevé par les demandeurs était en fait que leur travail était depuis longtemps sous-évalué.

[48]  L’arbitre a noté que les griefs des demandeurs étaient en partie fondés sur une comparaison de leurs tâches avec celles de leurs homologues dans un autre bureau des appels. L’arbitre a ensuite examiné la nature de la plainte des demandeurs et conclu que les questions soulevées portaient essentiellement sur la classification (motifs, au paragraphe 224). Cette décision reposait en très grande partie sur les faits ainsi que sur l’appréciation faite par l’arbitre des éléments de preuve. Il s’agit d’une décision qui commande la retenue. Les demandeurs n’ont pas démontré que la conclusion était déraisonnable.

E.  L’arbitre a-t-elle enfreint les droits que l’équité procédurale assure aux demandeurs ou agi d’une manière suscitant une crainte raisonnable de partialité?

[49]  Les demandeurs prétendent que l’arbitre a enfreint le droit que leur assure l’équité procédurale. Elle a jugé irrecevables certains de leurs éléments de preuve, mais a jugé recevables tous les éléments de preuve de l’employeur. Selon eux, l’instance était entachée de partialité. Ils prétendent en outre que l’arbitre a suscité une crainte raisonnable de partialité, puisqu’elle a [traduction] « fondé sa décision presque exclusivement sur les témoignages des représentants de l’employeur, même si les demandeurs ont été jugés tout aussi crédibles » (mémoire des faits et du droit des demandeurs, au paragraphe 95).

[50]  Les demandeurs affirment en outre que leurs éléments de preuve ont été écartés au motif qu’ils ne portaient pas sur [traduction] « la période visée par le grief » (mémoire des faits et du droit des demandeurs, au paragraphe 79). Comme il n’existe aucune transcription de l’audience devant l’arbitre, notre Cour doit s’en remettre à la preuve par affidavit.

[51]  Or, selon cette preuve, il semble que les éléments de preuve aient été exclus pour divers motifs. Par exemple, en ce qui concerne la note de service datée du 2 juin 2005 portant sur le système de codage des dossiers de la Division de la vérification – l’affidavit d’une représentante de l’employeur indique que ni l’expéditeur ni la personne-ressource mentionnés sur ce document n’ont témoigné et que l’agent négociateur n’a cité aucun témoin ayant reçu ce document. Qui plus est, le document ne mentionne que la Division de la vérification; or, les demandeurs travaillaient à la Division des appels. Ces faits justifieraient l’exclusion de ce document; de plus, la représentante de l’employeur n’a pas été contre-interrogée.

[52]  Un deuxième exemple est celui d’une note de service datée du 21 mars 2003. Le même affidavit de la représentante de l’employeur précise que le document a été écarté parce que l’agent négociateur n’a pu le relier au témoin, M. Fong, demandeur en l’espèce. Ni l’expéditeur, ni le destinataire de la note de service, ni son présumé auteur n’ont témoigné à l’audience. Ces faits justifieraient là encore que la note de service ait été écartée.

[53]  D’autres exemples semblables existent.

[54]  Par conséquent, bien que les demandeurs laissent entendre que l’arbitre a rejeté des éléments de preuve parce qu’ils ne portaient pas sur la période visée par les griefs, il semble qu’ils aient été écartés également pour d’autres motifs. En général, les tribunaux ne doivent pas substituer leur appréciation de la pertinence de la preuve à celle du décideur, sauf si le rejet d’éléments de preuve pertinents a une incidence telle sur l’équité de l’instance qu’on ne peut que conclure à un manquement à la justice naturelle (Université du Québec à Trois-Rivières c. Larocque, [1993] 1 R.C.S. 471, à la page 491).

[55]  Les demandeurs n’ayant pas produit de meilleure preuve, je ne vois aucun motif permettant de conclure que des documents ont été écartés à tort, d’une manière qui témoigne d’un manquement à la justice naturelle ou qui suscite une crainte raisonnable de partialité.

[56]  De même, le fait que l’arbitre ait fondé sa décision sur des éléments de preuve présentés par des représentants de l’employeur ne saurait étayer la thèse de partialité formulée par les demandeurs. Prétendre à l’existence de partialité est une accusation qu’on ne lance pas à la légère. Les demandeurs n’ont présenté aucun élément de preuve ni argument démontrant à une personne raisonnable et bien renseignée qui étudierait la question en profondeur que, selon toute vraisemblance, l’arbitre ne rendrait pas une décision juste (Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394). Un simple désaccord quant à la manière dont l’arbitre a évalué des éléments de preuve contradictoires n’emporte pas une conclusion fondée de partialité.

F.  L’arbitre s’est-elle fondée sur de faux témoignages?

[57]  Les demandeurs font valoir que l’Agence du revenu du Canada, par l’entremise de ses fonctionnaires, a présenté de faux témoignages. L’allégation de parjure est également une allégation grave, qui ne saurait être étayée par de simples affirmations (Rafizadeh c. Banque Toronto Dominion, 2014 CAF 144, au paragraphe 8).

[58]  En l’espèce, les demandeurs font valoir que, puisqu’ils ont été victimes de fraude de la part de leur équipe de gestion, chaque élément contradictoire de la preuve constitue une poursuite apparente de la fraude. Cependant, les mensonges ou occurrences de parjure reprochés peuvent tout au plus être qualifiés de divergences d’opinions au sujet des éléments de preuve produits au nom de l’Agence du revenu du Canada, et bon nombre des observations formulées par les demandeurs sur cette question équivalent à une demande de nouvelle appréciation de la preuve dont était saisie l’arbitre. Les demandeurs sont loin d’avoir fait la preuve du parjure.

G.  Conclusion

[59]  Pour les motifs qui précèdent, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire. Je statue ainsi, car j’estime que la décision de l’arbitre selon laquelle la Commission n’avait pas compétence était raisonnable et que les demandeurs n’ont pas démontré que cette conclusion était entachée de partialité ou de quelque autre irrégularité.


[60]  Puisque les deux parties ont eu partiellement gain de cause devant notre Cour, je ne rendrais pas d’ordonnance relative aux dépens.

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Johanne Gauthier, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Marianne Rivoalen, j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossiers :

A-175-17

A-315-17

A-323-17

 

 

INTITULÉ :

KEN INSCH, LAWRENCE FONG et PETER LEUNG c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET L’INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 mai 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE RIVOALEN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 25 juillet 2019

 

COMPARUTIONS :

Ken Insch

Lawrence Fong

Peter Leung

 

Pour les demandeurs

POUR LEUR PROPRE COMPTE

 

Karen Clifford

 

Pour le défendeur

 

Steven Welchner

 

Pour l’intervenant

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

 

Pour le défendeur

 

Welchner Law Office Professional Corporation

Ottawa (Ontario)

Pour l’intervenant

 

 

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