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Date : 20190808


Dossier : A-39-18

Référence : 2019 CAF 216

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LA JUGE WOODS

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

 

 

LA BANDE INDIENNE DE SQUAMISH ET SYETÁXTN, CHRISTOPHER LEWIS EN SON NOM PERSONNEL ET AU NOM DE TOUS LES MEMBRES DE LA BANDE INDIENNE DE SQUAMISH

 

 

appelants

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS

 

 

intimé

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 8 avril 2019.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 août 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE WOODS

LA JUGE RIVOALEN


Date : 20190808


Dossier : A-39-18

Référence : 2019 CAF 216

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LA JUGE WOODS

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

 

 

LA BANDE INDIENNE DE SQUAMISH ET SYETÁXTN, CHRISTOPHER LEWIS EN SON NOM PERSONNEL ET AU NOM DE TOUS LES MEMBRES DE LA BANDE INDIENNE DE SQUAMISH

 

 

appelants

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS

 

 

intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DAWSON

[1]  Avant le contact avec les Européens, les groupes autochtones qui vivaient près de l’embouchure du fleuve Fraser pêchaient à des fins alimentaires, sociales et rituelles. Le « fleuve et ses ressources halieutiques abondantes jouaient un rôle prépondérant » dans la vie des peuples autochtones (R. c. Kapp, 2008 CSC 41, [2008] 2 R.C.S. 483, par. 4). Aujourd’hui, la Loi sur les pêches, L.R.C. 1985, ch. F-14 et ses règlements interdisent aux Premières Nations de pêcher à quelque fin que ce soit sauf celle autorisée par les permis délivrés par le ministère ou le ministre des Pêches et des Océans.

[2]  Le « saumon sockeye du fleuve Fraser » est une espèce migratoire de saumon sockeye originaire du bassin hydrographique du fleuve Fraser. Il peut parcourir jusqu’à 1 500 kilomètres en amont pour retourner à son lac ou à sa rivière de fraie. Il fait habituellement un retour très productif tous les quatre ans, qui engendre une abondance attendue des stocks de poisson. Toutefois, les gestionnaires des pêches et les biologistes du ministère des Pêches et des Océans ont signalé une baisse dans l’abondance et la productivité du saumon sockeye du fleuve Fraser depuis le début des années 1990.

[3]  Aujourd’hui, environ 140 Premières Nations, dont la bande indienne de Squamish, détiennent des permis de pêche à des fins alimentaires, sociales et rituelles visant différents endroits le long des routes migratoires du saumon sockeye du fleuve Fraser. Or, au cours des dernières années, le nombre de saumons remontant le fleuve s’est révélé insuffisant, deux ou trois années sur les quatre ans du cycle du saumon, pour satisfaire aux allocations de pêche actuelles des Premières Nations à des fins alimentaires, sociales et rituelles.

[4]  Pour ces raisons notamment, la gestion de la pêche au saumon sockeye du fleuve Fraser présente des difficultés importantes. Le présent appel découle de cette situation factuelle difficile.

I.  Le contexte factuel

[5]  La bande indienne de Squamish est une bande au sens de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5. La bande de Squamish forme un groupe distinct au sein des peuples salish du littoral. Elle a sa propre langue, sa propre culture et sa propre économie.

[6]  Les régimes administratifs et législatifs applicables sont résumés ci-après. Il suffit à ce stade-ci d’indiquer que les parties conviennent que la bande de Squamish a reçu une allocation de pêche vers 1992 permettant la pêche de  20 000 saumons sockeye du fleuve Fraser par année. La bande de Squamish a conclu une entente de pêche globale fondée sur cette allocation. Elle a également reçu un permis de pêche communautaire fondé sur cette allocation.

[7]  Les parties s’entendent également sur le fait qu’une fois l’allocation fixée, elle s’applique aux années subséquentes, sauf si une augmentation est demandée.

[8]  Le 5 juillet 2011, la bande de Squamish a demandé [traduction] « une augmentation considérable » du nombre de poissons qu’elle avait le droit de prélever à des fins alimentaires, sociales et rituelles. Le 27 janvier 2012, la bande de Squamish a demandé une augmentation de son allocation de pêche au saumon sockeye du fleuve Fraser, de 20 000 à 70 000 saumons.

[9]  Cette demande a seulement été accueillie en partie. Dans une lettre datée du 8 mai 2014, la directrice générale régionale du bureau régional du Pacifique de Pêches et Océans Canada (la directrice régionale) a augmenté l’allocation de pêche de la bande de Squamish à des fins sociales, alimentaires et rituelles, de 10 000 saumons sockeye, 4 500 saumons kéta et 9 000 saumons roses par année (la bande de Squamish n’avait pas demandé d’augmentation de son allocation de saumon rose ou de saumon kéta, comme le confirme sa lettre du 18 décembre 2013 adressée au ministère). Les allocations de saumon coho et chinook sont demeurées inchangées, tout comme celle de crabe et de crevettes. En conséquence, l’allocation de pêche de la bande de Squamish s’établit actuellement à 30 000 saumons sockeye du fleuve Fraser, 8 500 saumons kéta, 10 000 saumons roses, 1 500 saumons chinook et 500 saumons coho, par année, à des fins alimentaires, sociales et rituelles. Insatisfaite de ce résultat la bande de Squamish a demandé le contrôle judiciaire de cette décision.

[10]  Pour les motifs énoncés sous la référence 2017 CF 1182, la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire.

[11]  Les conclusions suivantes de la Cour fédérale étaient déterminantes :

  • La bande de Squamish n’a pas démontré que la décision de la directrice régionale avait une incidence négative sur son droit revendiqué de pêcher du saumon sockeye du fleuve Fraser. Selon la Cour fédérale, la bande de Squamish « exerce son droit revendiqué à la pêche du saumon sockeye grâce à son allocation à des fins [alimentaires, sociales et rituelles] » (motifs, par. 70).

  • La bande de Squamish devait étayer « sa prétention voulant que l’incapacité de pêcher 70 000 saumons sockeye, par rapport aux 30 000 alloués, avait un effet préjudiciable sur son droit revendiqué sur la pêche au saumon sockeye » à des fins alimentaires, sociales et rituelles (motifs, par. 72).

  • De plus, la bande de Squamish n’a pas établi en quoi « l’allocation [...] actuell[e] » était insuffisante à ses fins alimentaires, sociales et rituelles (motifs, par. 74).

  • L’obligation de consulter ne jouait pas « [é]tant donné le manque de preuve quant à l’effet préjudiciable [...] sur le droit revendiqué de la Nation de Squamish » de pêcher à des fins alimentaires, sociales et rituelles (motifs, par. 76).

  • Subsidiairement, si l’obligation de consulter avait joué, « cette obligation se situait du côté moindre de l’échelle » (motifs, par. 78).

  • Il a été satisfait à toute obligation de consulter, car le Canada était seulement tenu « d’aviser les intéressés des mesures envisagées, de communiquer les renseignements pertinents et de discuter des questions soulevées par suite de l’avis » (motifs, par. 79).

  • Plus précisément, « POC a consulté la Nation de Squamish à de nombreuses reprises et [celle-ci] a bénéficié de plusieurs occasions de soumettre des éléments en preuve à l’appui de sa revendication ». Le ministère des Pêches et des Océans a « informé la Nation de Squamish des renseignements nécessaires à l’évaluation de sa demande » et a « tenu la Nation de Squamish informée tout au long du processus » (motifs, par. 81).

[12]  La Cour fédérale a ensuite conclu que la décision de la directrice régionale était raisonnable au fond. La Cour fédérale a conclu que la directrice régionale « a rendu une décision fondée sur des politiques. Elle doit tenir compte de nombreux facteurs concurrents dans le contexte complexe de la gestion des pêcheries » (motifs, par. 95). La directrice régionale a « utilisé son pouvoir discrétionnaire de façon raisonnable en tenant compte de facteurs concurrents, y compris les revendications des autres groupes autochtones » (motifs, par. 95).

[13]  Finalement, la Cour fédérale a conclu : « il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale dans ce processus » (motifs, par. 114).

[14]  La Cour est saisie de l’appel interjeté à l’encontre du jugement rendu par la Cour fédérale.

II.  Les questions en litige et le résumé des conclusions

[15]  À mon sens, les questions suivantes permettent de trancher le présent appel :

  1. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que l’augmentation de l’allocation de pêche au saumon sockeye à des fins alimentaires, sociales et rituelles demandée par la bande de Squamish ne faisait pas jouer l’obligation de consulter ou, dans le cas contraire, que l’obligation se situait à l’extrémité inférieure du continuum applicable en la matière et qu’il y avait été satisfait?

  2. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que la décision de la directrice régionale était raisonnable?

[16]  Pour les motifs qui suivent, je conclus que la Cour fédérale a commis une erreur. Plus précisément, l’augmentation de l’allocation demandée par la bande de Squamish faisait jouer l’obligation de consulter, et cette obligation ne se situait pas à l’extrémité inférieure du continuum applicable en la matière. Il n’y a pas été satisfait raisonnablement et adéquatement. Il s’ensuit que la décision prise par la directrice régionale était déraisonnable. Je présente en plus amples détails la nature de la réparation qui découle de ces conclusions.

[17]  Il serait utile, pour mettre en contexte les questions en litige, d’examiner le régime légal et administratif applicable, le dossier certifié du tribunal et la décision de la directrice régionale.

III.  Le régime légal et administratif applicable

[18]  L’article 4 de la Loi sur le ministère des Pêches et des Océans, L.R.C. 1985, ch. F-15, confère un vaste pouvoir au ministre des Pêches et des Océans quant à toute question liée aux pêches. Dans le contexte de l’espèce, le ministre, ou la directrice régionale agissant en son nom, est habilité à établir les prises totales autorisées et les allocations de pêche à des fins alimentaires, sociales et rituelles (mandat en matière d’allocation).

[19]  En 1992, le Ministère a adopté sa Stratégie relative aux pêches autochtones en réponse à l’arrêt R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075 de la Cour suprême du Canada. Dans l’arrêt Sparrow, la Cour suprême a conclu que lorsqu’un groupe autochtone détient un droit de pêche à des fins alimentaires, sociales et rituelles, ce droit a préséance sur toute autre utilisation de la ressource, hormis les questions de conservation de celle-ci. La Stratégie s’applique lorsque le Ministère gère une pêcherie et lorsque le règlement d’une revendication territoriale comportant l’établissement d’un régime de gestion des pêches n’est pas encore finalisé.

[20]  La Stratégie prévoit un cadre, conforme à l’arrêt Sparrow, pour l’établissement des mandats et des ententes de pêche globales et des permis communautaires délivrés en vertu de l’article 4 du Règlement sur les permis de pêche communautaires des Autochtones, DORS/93-332. Cette Stratégie vise à gérer les pêches par la conclusion d’ententes mutuellement acceptables et limitées dans le temps. Toutefois, s’il n’est pas possible de conclure une entente, le Ministère examinera les consultations tenues avec le groupe autochtone et délivrera un permis de pêche communautaire.

[21]  En 1993, le Ministère a instauré sa Politique sur la gestion des pêches autochtones. La Politique prévoit que les Autochtones pêchant à des fins alimentaires, sociales et rituelles ont priorité, après les questions de conservation, sur tous les autres groupes. Cette pêche est seulement restreinte s’il faut [traduction] « atteindre un objectif de conservation valable, procurer à d’autres peuples [autochtones] assez de poisson aux fins de consommation, atteindre un objectif de santé et de sécurité valable ou atteindre un objectif impérieux et important ». La Politique prévoit également que le Ministère « consulte les peuples [autochtones] avant de prendre des décisions ou des actions susceptibles d’avoir une incidence sur la pêche [autochtone] à des fins alimentaires, sociales et rituelles » et « procède à des consultations sur les allocations ».

[22]  En 2006, le Ministère a instauré le cadre d’accès des Premières Nations au poisson à des fins alimentaires, sociales et rituelles (le cadre de 2006). Il établit les critères, les indicateurs et les étapes balisant le traitement des demandes de Premières Nations de la Colombie-Britannique voulant prélever du poisson à des fins alimentaires, sociales et rituelles, y compris les demandes d’augmentation d’allocation. Le cadre de 2006 se divise en cinq parties, la plus pertinente étant la partie 2A, laquelle porte précisément sur les demandes de modification des allocations.

[23]  À l’époque où la directrice régionale a pris sa décision, le Ministère travaillait à la restructuration et à la simplification des critères et des indicateurs de la partie 2A du cadre de 2006. Cette restructuration découlait, en partie, des consultations tenues avec les Premières Nations sur la pêche à des fins alimentaires, sociales et rituelles.

[24]  La directrice responsable de la gestion du saumon et des services aux clients du bureau régional du Pacifique a affirmé que le critère applicable à l’époque de la décision de la directrice générale exigeait que les demandes [traduction] « soient évaluées suivant un ensemble de critères communs. Les demandes relatives à la pêche [à des fins alimentaires, sociales et rituelles] devaient témoigner de la mise en balance de certains éléments : la diversité et l’abondance des ressources disponibles localement; les besoins et les préférences des communautés; les considérations relatives à la gestion des opérations ».

IV.  Le dossier certifié du tribunal

[25]  Le dossier certifié du tribunal est peu étoffé. Le Ministère confirme que le dossier comportait quatre documents : une lettre de la bande de Squamish au Ministère datée du 1er avril 2014, une lettre du Ministère à la bande de Squamish datée du 7 avril 2014, une note d’information à l’intention de la directrice régionale datée du 8 mai 2014 et la lettre du 8 mai 2014 de la directrice régionale informant la bande de Squamish de sa décision.

[26]  La lettre du 1er avril 2014 résumait les renseignements fournis au Ministère. La bande de Squamish demandait au Ministère de confirmer que ceux-ci, avec les renseignements fournis dans sa lettre datée du 18 décembre 2013, étaient suffisants pour permettre au Ministère d’accéder à sa demande. La lettre du 7 avril 2014 indiquait que les renseignements supplémentaires fournis dans la lettre du 18 décembre étaient [traduction« utiles pour l’analyse en cours » de la demande de la bande de Squamish. La lettre indiquait de plus que le Ministère devait consulter les autres Premières Nations concernées et tenir compte de leurs intérêts. Le Ministère affirmait que la consultation avait été entreprise et qu’il avait demandé que les commentaires lui soient soumis au plus tard le 30 avril 2014.

[27]  Les documents manquants dans le dossier certifié du tribunal sont notamment les suivants : des lettres de la bande de Squamish dans lesquelles elle fait valoir ses préoccupations et ses objections, les ententes conclues durant les réunions avec le Ministère et réponses aux demandes de renseignements du Ministère. Vu mon avis sur le processus de consultation, cette omission n’est nullement déterminante. Toutefois, il est difficile de croire, à la lumière du dossier du tribunal, que la directrice régionale avait été dûment informée des renseignements fournis par la bande de Squamish durant le processus de consultation.

V.  La décision de la directrice régionale

[28]  La lettre du 8 mai 2014 informait la bande de Squamish en partie en ces termes :

Le Ministère a examiné votre demande d’augmentation de pêche au saumon sockeye du fleuve Fraser. Notre analyse a porté sur des facteurs tels que les besoins de la communauté [aux fins alimentaires, sociales et rituelles], les données récentes sur les prises, les préférences de votre communauté, la population des espèces dans votre zone de pêche, y compris les rivières Squamish et Capilano et l’environnement marin, ainsi que les répercussions sur les autres Premières Nations. En conséquence, le permis de pêche communautaire [à des fins alimentaires, sociales et rituelles] de la bande de Squamish sera modifié à compter de 2014 en vue de permettre une prise maximale de 30 000 saumons sockeye, de 8 500 saumons kéta et de 10 000 saumons roses. Les allocations relatives aux saumons chinook et coho demeureront inchangées. La pêche de la bande de Squamish au crabe et aux crevettes à des fins [alimentaires, sociales et rituelles] se poursuivra. La bande de Squamish pourra discuter d’autres possibilités de pêche de poissons osseux marins à des fins [alimentaires, sociales et rituelles].

[...]

La très grande demande en saumon sockeye du fleuve Fraser de la part de toutes les Premières Nations est un facteur prépondérant dans notre décision. Bien plus de 100 Premières Nations détiennent des permis de pêche au saumon sockeye du fleuve Fraser à des fins [alimentaires, sociales et rituelles]. Le Ministère a reçu de nombreuses demandes d’augmentation. Or, le nombre insuffisant de saumons sockeye revenus frayer dans le fleuve au cours des dernières années ne permet pas d’autoriser les prises demandées à des fins [alimentaires, sociales et rituelles]. Le Ministère tente de parvenir à une décision qui concilie les intérêts de la bande de Squamish quant au saumon sockeye du fleuve Fraser et les allocations à des fins [alimentaires, sociales et rituelles] des autres groupes, dont bon nombre ont seulement accès au saumon du fleuve Fraser, et ce, tout en tenant compte des contraintes générales relatives aux prises. En plus du saumon sockeye du fleuve Fraser, l’accès à d’autres espèces locales de saumon (saumon rose et kéta) a été augmenté. Il pourrait y avoir d’autres possibilités de pêche à des fins [alimentaires, sociales et rituelles] dans l’environnement marin qui pourraient être envisagées. Cette démarche devrait permettre un certain équilibre, sur plusieurs années, dans l’accès général à des fins [alimentaires, sociales et rituelles] de la bande de Squamish.

[non souligné dans l’original]

VI.  La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que l’augmentation de l’allocation de pêche au saumon sockeye à des fins alimentaires, sociales et rituelles demandée par la bande de Squamish ne faisait pas jouer l’obligation de consulter ou, dans le cas contraire, que l’obligation se situait à l’extrémité inférieure du continuum applicable en la matière et qu’il y avait été satisfait?

A.  La norme de contrôle

[29]  Il est bien établi en droit que la Cour, dans le présent appel, doit déterminer si la Cour fédérale a choisi la norme de contrôle appropriée et si elle l’a appliquée correctement à la décision de la directrice générale.

[30]  L’existence et la portée de l’obligation de consulter sont des questions de droit (Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 R.C.S. 511, par. 61 à 63). Toutefois, ces questions reposent habituellement sur une appréciation des faits; il faut ainsi faire preuve d’une certaine retenue à l’égard des conclusions de fait rendues par le décideur initial (Nation haïda, par. 61). La Cour suprême a conclu dans l’arrêt Ktunaxa Nation c. Colombie-Britannique (Forests, Lands and Natural Resource Operations), 2017 CSC 54, [2017] 2 R.C.S. 386, qu’un juge qui siège en révision ne tranche pas les questions constitutionnelles soulevées de façon isolée selon la norme de décision correcte; il doit plutôt se demander si la décision – quant à savoir si la consultation et le processus d’accommodement étaient adéquats – était, dans l’ensemble, raisonnable (par. 77 et 82). En l’espèce, la question de la norme de contrôle n’est nullement déterminante, car, à mon avis, il n’était ni correct ni raisonnable de conclure que l’obligation de consulter ne jouait pas en droit.

[31]  Les efforts de consultation par la Couronne doivent être évalués suivant la norme de la décision raisonnable. Il n’est pas nécessaire de satisfaire parfaitement à l’obligation. La Couronne est tenue de déployer des efforts raisonnables d’information et de consultation (Nation haïda, par. 62).

B.  Les principes de droit applicables

[32]  Avant d’entreprendre l’analyse, il serait utile de discuter brièvement des principes établis émanant de la jurisprudence quant à la portée et à la teneur de l’obligation de consulter. Les principes applicables ne sont pas contestés; le litige soulève la question de savoir, vu les faits de l’espèce (lesquels sont généralement admis par les parties), si l’obligation constitutionnelle de consulter jouait et, auquel cas, si le Ministère s’est acquitté de celle-ci.

[33]  L’obligation de consulter repose sur l’honneur de la Couronne et la protection accordée aux « droits existants — ancestraux ou issus de traités » prévus au paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Les obligations de consulter et, au besoin, d’accommoder font partie intégrante du processus de négociation honorable et de conciliation (Nation haïda, par. 32).

[34]  Cette obligation prend naissance au moment où la Couronne a connaissance, concrètement ou par imputation, de l’existence éventuelle de droits ou de titres autochtones et entrevoit une conduite susceptible d’avoir une incidence négative sur ces droits ou titres (Nation haïda, par. 35). Elle traduit la nécessité d’éviter que la Couronne nuise, par ses actions, y compris en matière de gestion stratégique des ressources naturelles, aux droits revendiqués ou reconnus.

[35]  La portée ou la teneur de l’obligation de consulter repose sur les faits. L’envergure de la consultation requise dépend de la solidité, à première vue, de la revendication et de la gravité de l’effet négatif éventuel sur le droit ou le titre revendiqué (Nation haïda, par. 39; Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, [2010] 2 R.C.S. 650, par. 36).

[36]  L’obligation de consulter se situe à l’extrémité inférieure du continuum applicable en la matière lorsque la revendication est faible, que l’intérêt autochtone est limité ou que le risque d’atteinte est mineur. Dans ce cas, la Couronne peut être seulement tenue d’informer les Premières Nations de la conduite envisagée, de communiquer des renseignements pertinents et de discuter de toute question soulevée en réponse à l’avis (Nation haïda, par. 43). Or, lorsque la revendication repose sur une preuve à première vue solide, que le droit et l’atteinte éventuelle sont d’une grande importance pour les peuples autochtones et que le risque de dommage non indemnisable est élevé, l’obligation de consulter se situe à l’extrémité supérieure du continuum. Les critères varient selon les circonstances; toutefois, un processus de consultation approfondi pourrait comprendre : l’occasion de présenter des observations; la participation en bonne et due forme au processus décisionnel; des motifs écrits démontrant que les préoccupations autochtones ont été prises en compte et leur incidence sur la décision (Nation haïda, par. 44).

[37]  Le processus de consultation ne dicte aucun résultat concret particulier. En conséquence, il ne donne aucun droit de veto aux groupes autochtones. Le paragraphe 35(1) garantit un processus, et non un résultat particulier. Il exige un exercice de mise en balance des intérêts, soit la recherche de compromis. L’obligation de consulter n’équivaut à une obligation de s’entendre, mais exige un engagement à mener un processus de consultation véritable (Nation haïda, par. 42, 48 et 62).

[38]  Il se peut qu’une consultation menée de bonne foi révèle une obligation d’accommoder. Lorsque la revendication est étayée par une preuve à première vue solide et que la conséquence de la conduite proposée pourrait nuire gravement au droit revendiqué, l’honneur de la Couronne pourrait exiger la prise de mesures visant à éviter un tort irréparable ou à réduire au minimum les effets de l’atteinte (Nation haïda, par. 47).

[39]  Les deux parties doivent faire preuve de bonne foi dans la consultation : « [l]e fil conducteur du côté de la Couronne doit être “l’intention de tenir compte réellement des préoccupations [des Autochtones]” à mesure qu’elles sont exprimées [...] dans le cadre d’un véritable processus de consultation » (Nation haïda, par. 42). « La question décisive dans toutes les situations consiste à déterminer ce qui est nécessaire pour préserver l’honneur de la Couronne et pour concilier les intérêts de la Couronne et ceux des Autochtones. » (Nation haïda, par. 45)

[40]  En contrepartie, les demandeurs autochtones ne doivent pas contrecarrer les tentatives raisonnables de bonne foi de la Couronne ni adopter des positions déraisonnables pour empêcher le gouvernement de prendre des décisions ou d’agir dans des cas où, malgré la tenue de véritables consultations, aucun consensus n’a pu être trouvé (Nation haïda, par. 42).

[41]  La Cour suprême du Canada fait remarquer, au paragraphe 46 de l’arrêt Nation haïda, qu’une véritable consultation n’équivaut pas simplement à un échange de renseignements. L’obligation doit comporter une dimension qui intéresse la substance de la question. Par consultation, on entend l’action de se parler dans le but de se comprendre (Clyde River (Hameau) c. Petroleum Geo‑Services Inc., 2017 CSC 40, [2017] 1 R.C.S. 1069, par. 49). Lorsqu’une consultation approfondie est nécessaire, le dialogue qui s’ensuit forcément doit mener à une analyse sérieuse et manifeste de mesures d’accommodement. Le sérieux de cette analyse peut être démontré par les motifs écrits étayant la décision, motifs que la Couronne est tenue de fournir au titre de l’obligation de consulter.

[42]  Lorsque, comme en l’espèce, la Couronne doit concilier de multiples intérêts, l’exigence pour la Couronne d’expliquer, dans des motifs écrits, l’incidence des préoccupations autochtones sur le processus décisionnel prend toute son importance. Sans une telle exigence, d’autres questions pourraient supplanter ou écarter la question de l’incidence sur les droits autochtones (Nation Gitxaala c. Canada, 2016 CAF 187, [2016] 4 R.C.F. 418, par. 315).

[43]  La consultation doit être axée sur les droits. Dans l’affaire Clyde River, l’Office national de l’énergie estimait qu’il était peu probable que les mammifères marins souffrent d’effets environnementaux importants et que l’incidence sur l’utilisation traditionnelle des ressources pouvait être atténuée par la prise de mesures. La Cour suprême a conclu que l’analyse de l’Office était mal orientée pour une consultation. L’Office devait examiner les droits issus des traités des Inuits; « le processus consultatif ne vise pas vraiment les effets environnementaux en tant que tels, mais plutôt les effets sur le droit » (en italiques dans l’original) (Clyde River, par. 45).

C.  La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que l’obligation de consulter ne jouait pas?

[44]  La Cour fédérale a choisi le bon critère à appliquer pour déterminer si l’obligation de consulter jouait et a conclu qu’il avait été satisfait aux deux premiers volets du critère : le Ministère avait connaissance du droit revendiqué de la bande de Squamish à la pêche au saumon sockeye du fleuve Fraser; le Ministère était tenu de déterminer la quantité de saumon sockeye qui pouvait être pêchée à l’avenir au titre du permis de pêche communautaire de la bande de Squamish. Toutefois, la Cour fédérale a conclu qu’il n’était pas satisfait au troisième volet : la bande de Squamish n’avait pas démontré que la délivrance, par le Ministère, d’un permis de pêche communautaire nuirait au droit de pêche revendiqué (motifs, par. 66 à 70).

[45]  La Cour fédérale a fourni deux motifs pour sa décision. En premier lieu, la bande de Squamish « exerce son droit revendiqué à la pêche du saumon sockeye grâce à son allocation à des fins [alimentaires, sociales et rituelles]. Il lui est donc difficile de soutenir que la décision faisant l’objet du contrôle a eu un effet préjudiciable sur ce droit revendiqué » (motifs, par. 70). En deuxième lieu, la bande de Squamish n’a pas démontré sa prétention voulant que l’incapacité de pêcher 70 000 saumons sockeye (contre l’autorisation d’en pêcher 30 000), eût un effet préjudiciable sur son droit revendiqué sur la pêche au saumon sockeye à des fins alimentaires, sociales et rituelles (motifs, par. 72).

[46]  À mon humble avis, la Cour fédérale a commis une erreur de droit dans cette analyse.

[47]  Le premier motif avancé par la Cour fédérale est fondé sur une mauvaise interprétation de l’origine du droit de pêche au saumon sockeye du fleuve Fraser revendiqué par la bande de Squamish. Avant l’arrivée des Européens, le saumon était le principal aliment consommé par la bande de Squamish. Le saumon sockeye était la principale espèce pêchée; et la principale source de ce saumon était le fleuve Fraser. La Stratégie relative aux pêches autochtones du Ministère et les permis de pêche communautaire délivrés aux groupes autochtones étaient des outils de gestion visant à préserver la pêche dans l’attente d’un règlement final sur le droit de pêche revendiqué par la bande de Squamish. Ils ne fondent pas le droit de pêche revendiqué par la bande de Squamish et protégé par la Constitution.

[48]  Toute décision rendue par le Ministère quant à l’augmentation de l’allocation de pêche au saumon sockeye demandée par la bande de Squamish aurait ainsi une incidence, potentiellement néfaste, sur la capacité ultérieure de la bande à exercer ses droits de pêche revendiqués. La possibilité d’une allocation accrue n’empêche pas que la décision puisse avoir un effet général néfaste pour la bande de Squamish si, malgré une augmentation, elle demeure incapable d’exercer adéquatement son droit.

[49]  Le deuxième motif indiqué par la Cour fédérale est fondé sur une mauvaise interprétation du critère juridique à respecter pour démontrer l’existence d’un effet néfaste sur le droit revendiqué par la bande de Squamish. La Cour fédérale a rappelé que les droits autochtones ne reposaient pas sur des quantités particulières de saumon sockeye; or, elle a adopté une démarche quantitative en exigeant de la bande de Squamish qu’elle démontre en quoi le refus de leur demande de pêcher 70 000 saumons sockeye avait une incidence négative sur ses droits.

[50]  En outre, l’obligation de consulter est de nature procédurale; elle a pris naissance avant la décision du Ministère d’allouer un nombre supérieur de saumons sockeye du fleuve Fraser à la bande de Squamish. En conséquence, il était à la fois illogique et irréaliste de demander à la bande de Squamish de démontrer, avant la décision, que l’allocation de 30 000 saumons avait une incidence négative sur son droit.

[51]  L’obligation de consulter est vite déclenchée (Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69, [2005] 3 R.C.S. 388, par. 55). La bande de Squamish devait démontrer l’existence d’un « effet préjudiciable important », et « appréhender [un] effet éventuel ou possible, étayé par des éléments de preuve » sur leurs droits (Première Nation des Hupacasath c. Canada (Affaires étrangères et Commerce international Canada), 2015 CAF 4, par. 86 et 105).

[52]  Dans sa lettre du 27 janvier 2012 adressée au Ministère, la bande de Squamish énonce les faits suivants : son allocation de saumon sockeye à des fins alimentaires, sociales et rituelles n’a pas augmenté depuis les années 1990; or, sa population a grandement augmenté. En outre, ses membres reçoivent chacun environ 5 poissons à des fins alimentaires, sociales et rituelles, ce qui [traduction] « ne répond pas aux besoins de notre communauté ». De plus, cette allocation ne permet pas de satisfaire aux besoins des membres et ne leur permet pas de s’alimenter toute l’année, surtout que nombre d’entre eux vivent sous le seuil de la pauvreté. L’allocation demandée permettrait de fournir 20 poissons à chacun par année. Ces renseignements ont été répétés dans les lettres envoyées le 13 juillet 2012 et le 21 décembre 2012. Cette dernière précisait également que l’allocation de cinq saumons sockeye par membre, ou moins, ne permettait pas d’en conserver suffisamment à des fins sociales et rituelles.

[53]  Les renseignements fournis par la bande de Squamish étaient suffisants pour aviser le Ministère du fait que le maintien de l’allocation actuelle pourrait nuire au droit constitutionnel revendiqué par la bande de Squamish en matière de pêche au saumon sockeye. Ces renseignements suffisaient pour faire jouer l’obligation de consulter.

[54]  Examinons de près la prétention du Ministère voulant que la bande de Squamish n’ait pas démontré que la décision risquait d’avoir de nouveaux effets défavorables sur le droit revendiqué par la bande à pêcher du poisson.

[55]  L’obligation de consulter est conçue pour prévenir les atteintes et préserver les droits et les revendications autochtones avant la fin des négociations (Carrier Sekani, par. 48). Dans l’attente d’un règlement, la Couronne, liée par son honneur, doit mettre en balance les intérêts de la société et ceux des Autochtones lorsqu’elle rend des décisions ayant une incidence sur les revendications autochtones (Première nation Tlingit de Taku River c. Colombie-Britannique (Directeur d’évaluation de projet), 2004 CSC 74, [2004] 3 R.C.S. 550, par. 42). En recevant la demande de modification d’allocation présentée par la bande de Squamish, le Ministère devait réexaminer son système de délivrance de permis et de restriction de la pêche pour déterminer s’il porterait atteinte au droit de la bande dans les années à venir ou nuirait à la capacité de celle-ci à le revendiquer. La population de la bande de Squamish a considérablement augmenté, tandis que son allocation de saumon sockeye à des fins alimentaires, sociales et rituelles est demeurée la même, ce qui a diminué et mis en péril la capacité de ses membres à pratiquer et à transmettre véritablement son patrimoine au gré de l’évolution de sa population. La consultation était essentielle au mandat dont était saisie la Couronne et à la protection des intérêts de la bande de Squamish contre de nouvelles restrictions dans l’attente du règlement des revendications.

[56]  Enfin, le Ministère reconnaît, à bon droit selon moi, que l’augmentation de l’allocation de saumon sockeye demandée par la bande de Squamish a fait jouer la nécessité de consulter les Premières Nations dont les droits de pêche pourraient pâtir de l’augmentation accordée (affidavit de Jennifer Nener, directrice, gestion du saumon et des services aux clients, bureau régional du Pacifique, par. 82 à 93). Selon toute logique, si le Ministère était tenu de consulter les autres Premières Nations quant à la demande de la bande de Squamish, alors l’obligation de consulter cette dernière, dont les droits de pêche étaient en cause, allait de soi.

D.  La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que l’obligation de consulter se situait à l’extrémité inférieure du continuum applicable en la matière?

[57]  La Cour fédérale indique à bon droit que le degré de consultation exigé est proportionnel à la solidité de la revendication et à l’effet nuisible éventuel sur celle-ci. Or, elle s’appuie par la suite sur sa conclusion erronée – voulant que la bande de Squamish n’ait pas étayé suffisamment son argument quant aux effets néfastes sur son droit de pêche revendiqué ­ pour décider que l’obligation de consulter, si elle joue, se situe à l’extrémité inférieure du continuum applicable en la matière (motifs, par. 78).

[58]  Je conclus que la bande de Squamish a fourni suffisamment de renseignements pour que l’obligation de consulter joue. Il s’ensuit que la conclusion de la Cour fédérale voulant que l’obligation se situe à l’extrémité inférieure du continuum doit être réexaminée.

[59]  Comme je l’explique plus haut, la portée de l’obligation légale de consulter, lorsqu’elle joue, peut varier d’une consultation plutôt minime à une consultation approfondie. Cette échelle permet à la Couronne d’adapter sa réponse au contexte pour satisfaire à l’obligation de consulter. La Cour suprême a décrit cette échelle comme un continuum. Or, le principe essentiel à respecter est le suivant : peu importe où la situation factuelle se situe sur cette échelle, ou ce continuum, la Couronne est tenue de déployer de véritables efforts pour agir conformément à cet honneur.

[60]  Sans circonscrire l’espèce à un point précis sur ce continuum, j’examine, au vu du dossier dont dispose la Cour, les mesures que la Couronne était tenue de prendre, pour déployer de véritables efforts pour agir d’une manière conforme à son honneur et à l’avancement de l’objectif de réconciliation.

[61]  En l’espèce, la bande de Squamish a revendiqué le droit de pêcher, de consommer et d’utiliser les ressources halieutiques à des fins sociales et rituelles comme un élément central de sa culture et de son économie depuis la nuit des temps. La bande de Squamish affirme que [traduction] « la pratique de pêcher et d’utiliser les ressources halieutiques, incluant le saumon sockeye du fleuve Fraser, au minimum à des fins [alimentaires, sociales et rituelles], constitue le fondement d’un droit autochtone moderne sous le régime de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 » (affidavit de Syetáxtn, par. 20). Le Ministère n’a pas contesté ce droit revendiqué.

[62]  Au paragraphe 52, je résume les renseignements fournis par la bande de Squamish quant aux répercussions de l’allocation de saumon sockeye du fleuve Fraser sur ses membres. Il s’agit notamment d’un avis indiquant que l’allocation de cinq saumons par personne à des fins alimentaires, sociales et rituelles ne permet pas de satisfaire aux besoins de la collectivité, et ne permet pas aux membres de la bande, dont bon nombre vivent sous le seuil de la pauvreté, de satisfaire à leurs besoins et de s’alimenter toute l’année. Le Ministère n’a pas réfuté ces renseignements. Le Ministère n’a pas non plus répondu à la bande de Squamish, qui demandait qu’il confirme que ces renseignements étaient suffisants pour lui permettre de trancher sa demande (lettre du 1er avril 2014 adressée par la bande de Squamish au Ministère et versée au dossier certifié du tribunal). Le Ministère a simplement répondu, dans sa lettre datée du 7 avril 2014, que les renseignements fournis dans la lettre datée du 18 décembre 2013 [traduction] « étaient utiles ».

[63]  Vu l’importance et la nature fondamentales du droit revendiqué, le fait que le Ministère ne conteste pas le droit revendiqué et les renseignements fournis sur l’incidence de l’allocation de saumon sockeye sur le peuple Squamish, l’obligation de consulter exigeait au minimum, à mon sens, un processus interactif incluant un véritable dialogue où le Ministère faisait bien plus que solliciter et recevoir passivement des renseignements de la bande de Squamish. Un véritable dialogue nécessite de la part du Ministère des réponses adaptées, réfléchies et significatives en réaction aux préoccupations et aux renseignements de la bande de Squamish.

[64]  L’obligation de consulter exigeait également du Ministère qu’il fournisse des motifs écrits démontrant qu’il avait tenu compte des préoccupations de la bande de Squamish et leur poids dans la décision. Comme je l’explique plus haut, la gestion des stocks de saumon sockeye du fleuve Fraser présente des défis importants, dont les questions de conservation et les droits des autres Premières Nations. Vu la complexité et les intérêts concurrents à concilier, le Ministère devait communiquer ses motifs à la bande de Squamish afin de lui démontrer que ses droits avaient été examinés et pris en compte. Faute de motifs, le fondement de la décision du Ministère demeurerait inconnu, ce qui est susceptible de donner l’impression que cette dernière était arbitraire.

[65]  En conséquence, il fallait plus que des consultations se situant à l’extrémité inférieure du continuum applicable en la matière, comme l’avait conclu la Cour fédérale.

E.  Le Ministère ne s’est pas adéquatement acquitté de son obligation de consulter

[66]  Examinons ensuite le processus suivi par le Ministère pour voir en quoi il ne lui permettait pas de s’acquitter de son obligation de consulter.

[67]  En premier lieu, comme le démontre l’affidavit de Jennifer Nener, le processus suivi par le Ministère ne comportait pas de véritable dialogue où il aurait fait davantage que simplement solliciter et recevoir des renseignements et décrire généralement le processus à suivre. Le Ministère et la bande de Squamish n’ont à aucun moment discuté véritablement de la demande de la bande, de sa valeur ou de ses faiblesses, ou des solutions de rechange permettant de satisfaire aux besoins du peuple Squamish.

[68]  Le processus de consultation de la bande de Squamish est décrit de façon détaillée par Mme Nener aux paragraphes 30 à 81 de son affidavit. Il en ressort les éléments suivants :

  • La correspondance et les réunions qui ont eu lieu en 2011 sont décrites à juste titre comme des étapes du processus : le Ministère a informé la bande de Squamish que le processus d’examen d’une demande d’augmentation d’allocation prenait du temps et lui a demandé des renseignements; la bande de Squamish a accepté de fournir des renseignements plus détaillés.

  • En 2012, le Ministère a reçu d’autres [traduction] « renseignements et éclaircissements de la part de la bande de Squamish, mais, comme c’est habituellement le cas, d’autres discussions et renseignements sont nécessaires avant une décision ». La bande de Squamish a reformulé sa demande pour obtenir une allocation accrue de saumon sockeye établie au prorata des membres, ce à quoi le Ministère a répondu que toute demande de modification de l’allocation devait tenir compte d’une panoplie de facteurs. Le Ministère a également indiqué que la demande de la bande de Squamish était plus complexe, car d’autres Premières Nations partageaient avec elle cette ressource. De brèves discussions ont soulevé la question de savoir si la bande de Squamish allait communiquer directement avec les autres Premières Nations et la nécessité, selon le Ministère, d’envisager la pêche d’autres espèces à des fins alimentaires, sociales et rituelles.

  • En 2013, le Ministère a continué à demander des éclaircissements, et la bande de Squamish a exprimé son intention de consulter directement les autres Premières Nations touchées. La bande de Squamish a fourni des renseignements supplémentaires dans sa lettre du 18 décembre 2013.

  • En 2014, la bande de Squamish a demandé au Ministère de lui confirmer que, compte tenu des renseignements compris dans la lettre du 18 décembre 2013, il était en position de traiter la demande d’augmentation de l’allocation. Le Ministère a confirmé que la lettre était utile et a indiqué que la demande était en traitement. En réponse à la lettre du 1er avril 2014 dans laquelle la bande de Squamish disait présumer qu’aucune demande de renseignements n’était en suspens, le Ministère n’a fait état d’aucun renseignement manquant, mais a dit avoir entrepris sa consultation des autres Premières Nations touchées.

L’affidavit énumère les réunions des représentants du Ministère et de la bande de Squamish; or, ces réunions semblent avoir plutôt servi à rappeler la complexité des demandes d’allocation et à préciser le processus de consultation et d’échange de renseignements. Aucune interaction survenue entre les parties n’est décrite, démontrant un échange de bonne foi sur les préoccupations et les préférences de la bande de Squamish et sur les préoccupations légitimes du Ministère à titre de responsable d’une pêcherie complexe.

[69]  Ce processus non interactif correspond à celui prévu dans le cadre de 2006, lequel décrit le traitement d’une demande d’augmentation d’allocation permanente ou temporaire présentée par une Première Nation. La Cour fédérale présente ces étapes au paragraphe 15 de ses motifs, que je reproduis ici :

Le cadre d’accès décrit les grandes lignes du processus décisionnel [du Ministère] quant à l’augmentation, ou non, d’une allocation par rapport aux limites du mandat comme suit :

[traduction]

a.  Le représentant de la région qui reçoit une demande d’une Première Nation sollicitera les autres membres du personnel de la région, au besoin, et obtiendra autant de renseignements que possible de la Première nation, notamment les motifs sous-tendant la demande ainsi que les documents faisant état des niveaux de récolte actuels. Le représentant de la région remettra une copie de la demande et des justificatifs au gestionnaire du [quartier général du bureau régional de la Stratégie relative aux pêches autochtones].

b.  Le gestionnaire du [quartier général du bureau régional de la Stratégie relative aux pêches autochtones] communiquera avec le négociateur principal, Traités et politiques autochtones, qui communiquera avec le négociateur régional approprié.

c.  Le gestionnaire du [quartier général du bureau régional de la Stratégie relative aux pêches autochtones] remettra au représentant de la région un résumé des données sur les allocations actuelles aux fins d’ASC de la Première nation requérante ainsi que de la Première nation voisine, à des fins de comparaison.

d.  Le représentant de la région dirige[r]a l’évaluation avec la contribution d’autres membres du personnel [du Ministère].

e.  Lorsqu’une ébauche d’évaluation sera préparée, le représentant de la région la soumettr[a] aux commentaires d’autres membres du personnel [du Ministère]; ceux-ci utiliseront les critères du cadre d’accès pour rendre une évaluation définitive ainsi qu’une recommandation. Une note de décision sera préparée pour la [directrice générale régionale].

f.  Un permis communautaire sera délivré une fois la demande approuvée par la [directrice générale régionale].

g.  Si la demande d’augmentation de l’allocation est refusée, le personnel rédigera une lettre décrivant les motifs, puis l’acheminera à la Première nation.

[70]  Ce processus est peut-être indiqué pour l’administration des pêcheries. Par contre, il ne favorise pas un échange interactif et la recherche d’un compromis de bonne foi qui sont nécessaires à la tenue de véritables consultations.

[71]  Par exemple, rien n’indique qu’il y ait eu la moindre discussion quant à la possibilité qu’une allocation accrue, et non sollicitée, de saumon kéta et rose satisfasse aux besoins de la bande de Squamish. Devant nous, cette dernière indique que, si certains membres de la communauté, tout particulièrement ceux qui résident dans la vallée de la Squamish, pêchent ces espèces à des fins alimentaires, sociales et rituelles, les stocks sont généralement faibles. Selon la bande de Squamish, le saumon rose connaît parfois de bonnes années, mais ce n’est pas la norme, et la conservation du saumon rose et du saumon kéta soulève des préoccupations. Elle ajoute que, comparativement aux autres espèces de saumon, le saumon kéta et particulièrement le saumon rose ont peu de valeur sur les plans alimentaire, social et rituel (affidavit de Syetáxtn, par. 39 et 40).

[72]  Je remarque de plus que la bande de Squamish était tenue de déclarer le nombre de poissons pêchés tous les ans dans le cadre de son permis. Le Ministère possédait donc des données visant les années antérieures à la décision qui établissaient le nombre total de prises déclarées par la bande. La pièce LL jointe à l’affidavit de Mme Nener démontre que la bande de Squamish a déclaré avoir pêché de 435 à 741 saumons kéta, par année, de 2011 à 2013. Exception faite de l’année 2013, elle a déclaré avoir pêché peu de saumons roses.

[73]  Cet exemple démontre à quel point le processus était dénué de véritable dialogue. La bande de Squamish n’a pas demandé d’augmentation de son allocation de saumon kéta. On lui a néanmoins accordé une allocation supplémentaire de 4 500 prises par année, même si elle ne pêchait déjà même pas le quart de son allocation existante de cette espèce. Le nombre de prises de saumons kéta a diminué après la décision pour atteindre 35 prises en 2014 et 202 prises en 2015. Les motifs de cette augmentation non sollicitée ne ressortent pas du dossier.

[74]  Il ne s’agit ni d’un véritable dialogue ni d’une véritable consultation.

[75]  Un deuxième élément permet de conclure que l’obligation de consulter n’a pas été acquittée adéquatement : les motifs de la directrice régionale ne démontrent pas que les préoccupations de la bande de Squamish ont été examinées et prises en compte.

[76]  Au contraire, comme je le démontre au paragraphe 28, les motifs étaient plutôt génériques, indiquant que « [l’]analyse a porté sur des facteurs tels que les besoins [alimentaires, sociaux et rituels] de la communauté, les niveaux récents de capture, les préférences de votre communauté, la population des espèces dans votre zone de pêche [...] ainsi que les répercussions sur les autres Premières Nations » (non souligné dans l’original). La « très grande demande en saumon sockeye du fleuve Fraser de la part de toutes les Premières Nations » a été un facteur prépondérant selon le Ministère. En conséquence, le Ministère a indiqué avoir tenté de « parvenir à une décision qui concilie les intérêts de la bande de Squamish quant au saumon sockeye du fleuve Fraser et les allocations des autres groupes, dont bon nombre ont seulement accès au saumon du fleuve Fraser; et ce, tout en tenant compte des contraintes générales relatives aux prises ».

[77]  Le Ministère n’a pas expliqué comment il est arrivé à une allocation de 30 000 prises de saumon sockeye, et pas à un autre nombre. Aucune explication n’a été donnée pour justifier l’augmentation de l’allocation de saumon kéta et rose. De même, rien n’indique que le Ministère a véritablement pris en compte l’importance du saumon sockeye pour la bande de Squamish, ainsi que la préférence de ses membres pour cette espèce.

[78]  La décision mentionnait généralement [traduction] « la population des espèces dans votre zone de pêche, y compris les rivières Squamish et Capilano et l’environnement marin ». Or, le Ministère n’a pas répondu à la bande de Squamish, qui avait expliqué pourquoi la pêche au saumon coho dans la réserve et les permis de pêche du saumon en surplus des besoins en géniteurs sur la rivière Capilano ne pouvaient se substituer à une allocation adéquate de saumon sockeye. Il n’a pas non plus abordé l’affirmation de la bande selon laquelle la conservation du saumon rose et du saumon kéta dans son territoire soulevait des préoccupations, tandis que les populations d’autres espèces de saumon, comme le chinook et le coho, sont encore plus limitées.

[79]  En conclusion, le Ministère n’a pas engagé de véritable dialogue avec la bande de Squamish durant les consultations et n’a pas fourni de réponse adaptée, réfléchie et significative à ses préoccupations. Il n’a pas non plus démontré dans ses motifs qu’il avait tenu compte des préoccupations de la bande. Par conséquent, le Ministère ne s’est pas raisonnablement et adéquatement acquitté de son obligation de consulter.

VII.  La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que la décision de la directrice régionale était raisonnable?

[80]  La directrice régionale a rendu sa décision sans consulter adéquatement la bande de Squamish. Il s’agit d’une erreur de droit (Beckman c. Première nation de Little Salmon/Carmacks, 2010 CSC 53, [2010] 3 R.C.S. 103, par. 48). Il s’ensuit, pour cette seule raison, que la décision était déraisonnable et que la Cour fédérale a commis une erreur en parvenant à une autre conclusion.

[81]  Cette conclusion suffit pour statuer sur le présent appel. En conséquence, je n’entends pas examiner l’argument supplémentaire de la bande de Squamish, qui affirme que la Cour fédérale a conclu à tort que la bande avait eu droit à l’équité procédurale, outre que pour dire que les arguments de la bande sur ce point constituent effectivement une attaque au fond du caractère raisonnable de la décision de la directrice régionale.

VIII.  Réparation

[82]  Le Ministère n’ayant pas adéquatement consulté la bande de Squamish, j’accueillerais l’appel, j’infirmerais la décision de la Cour fédérale et je condamnerais l’intimé aux dépens engagés par les appelants devant notre Cour ainsi que devant la Cour fédérale.

[83]  La directrice régionale ayant augmenté l’allocation de saumon sockeye de la bande de Squamish dans sa décision du 8 mai 2014, je n’annulerais pas cette décision. Toutefois, je déclarerais qu’elle ne respectait pas l’obligation de la Couronne de consulter la bande indienne de Squamish à l’égard de son droit revendiqué de pêcher à des fins alimentaires, sociales et rituelles.

[84]  Si la bande de Squamish estime toujours que son allocation de saumon sockeye du fleuve Fraser est inadéquate, cette déclaration aura pour effet de déclencher une nouvelle ronde de consultations sur l’augmentation demandée. Les remarques incidentes suivantes ont pour but de faciliter cette consultation future.

[85]  La gestion des pêches autochtones par le Ministère est conforme à l’état actuel du droit sur les droits de pêche autochtones, comme l’indique la politique ministérielle sur la gestion des pêches autochtones (pièce SSS de l’affidavit de Mme Nener). En conséquence, les [traduction] « Autochtones pêchant à des fins alimentaires, sociales et rituelles auront priorité, une fois réglées les questions de conservation, sur tous les autres groupes ».

[86]  La politique reconnaît le droit protégé par la Constitution, et revendiqué par les Autochtones, de pêcher à des fins alimentaires, sociales et rituelles et repose sur ce fondement. Le Ministère gère la pêche en attendant la négociation d’ententes qui établiront un régime de gestion des pêches.

[87]  À mon avis, il en découle de nombreux éléments.

[88]  En premier lieu, lorsqu’il attribue des mandats, le personnel du Ministère doit impérativement garder à l’esprit son rôle de gardien chargé de gérer une ressource pour, entre autres, des groupes qui revendiquent un droit protégé par la Constitution de pêcher la ressource. Ce concept devrait guider les consultations.

[89]  Deuxièmement, la Stratégie relative aux pêches autochtones et la politique ministérielle reconnaissent toutes deux que les pêcheurs autochtones qui revendiquent des droits protégés par la Constitution ont priorité sur les autres groupes. Ainsi, il est peut-être inutile de solliciter ou d’exiger du Ministère qu’il réalise une analyse de la solidité de la revendication. Rappelons que, dans l’affaire Chippewas of the Thames First Nation c. Pipelines Enbridge inc., 2017 CSC 41, [2017] 1 R.C.S 1099, l’Office national de l’énergie n’avait ni déterminé la solidité du droit autochtone revendiqué ni l’ampleur des consultations nécessaires (par. 61). Néanmoins, la Cour suprême a déterminé que l’obligation de consulter avait été adéquatement acquittée. Ainsi, même sans établir la solidité des droits revendiqués ou l’ampleur des consultations nécessaires, l’Office n’a pas minimisé les droits revendiqués. Il a dûment tenu compte des risques du projet et a prévu de nombreuses mesures d’accommodement conçues pour atténuer les risques et répondre aux préoccupations (par. 53 à 57).

[90]  Troisièmement, l’augmentation de l’allocation de saumon sockeye du fleuve Fraser demandée par la bande de Squamish est compliquée par le fait que d’autres Premières Nations revendiquent également un droit ancestral de pêcher cette espèce à des fins alimentaires, sociales et rituelles. Le Ministère est ainsi contraint de concilier de nombreuses demandes faisant intervenir les droits revendiqués. Par souci d’équité, le Ministère exige des données numériques exactes, notamment :

  • Les allocations actuelles et demandées par le groupe autochtone relativement à toutes les espèces et tous les stocks de poisson, ainsi que des renseignements sur les intérêts et les besoins de la communauté;

  • Les allocations actuelles et demandées par rapport aux quantités de poisson pêchées et déclarées par le groupe autochtone, ou les « données sur les prises »;

  • Une évaluation de la disponibilité des espèces dans la zone visée par leur permis de pêche à des fins alimentaires, sociales et rituelles et des facteurs qui sont susceptibles d’empêcher la Première Nation de prélever du poisson à des fins alimentaires, sociales et rituelles dans sa zone actuelle malgré des efforts raisonnables;

  • Une évaluation des questions de conservation susceptibles de se poser tant pour le stock demandé que pour les espèces de prise accessoire possibles (p. ex. évaluation des stocks, enjeux scientifiques ou fermetures établies);

  • L’incidence sur les autres utilisateurs qui pêchent les mêmes espèces ou stocks de poissons, comme d’autres groupes autochtones, et la tenue de discussions avec ces derniers, s’il y a lieu.

[91]  La bande de Squamish devrait fournir les renseignements demandés au Ministère sans tarder. Une réponse rapide comportant les renseignements demandés dans le degré de détail nécessaire permet non seulement d’accélérer le processus décisionnel, mais permet également à la bande de Squamish de s’acquitter de son obligation de prendre part aux consultations de bonne foi et de ne pas adopter une position déraisonnable contrecarrant les efforts du Ministère. En d’autres mots, dans le contexte de la consultation à venir, la bande de Squamish aura « donc non seulement la possibilité, mais aussi l’obligation, de jouer le rôle qui [lui] incombe dans le cadre de l’exercice en fournissant des renseignements à l’appui » de sa revendication en vue d’obtenir l’augmentation de son allocation (Première Nation de Prophet River c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 15, par. 51).

[92]  Cette obligation contraindra probablement la bande de Squamish, par exemple, à fournir des renseignements notamment sur ses prises sur la réserve dans la rivière Capilano qui ne sont pas gérées par le Ministère, ainsi que des précisions sur la façon dont elle définit les besoins de ses membres en poisson à des fins alimentaires, sociales et rituelles.

[93]  Finalement, pour que l’obligation de consulter joue, l’action gouvernementale proposée doit avoir une incidence sur l’exercice futur du droit autochtone revendiqué (Carrier Sekani, par. 45 et 46). L’obligation de consulter est un exercice qui se veut tourné vers l’avenir. Il s’ensuit que, bien le contexte historique permette de déterminer l’étendue de l’obligation de consulter et de reconnaître la situation existante (Chippewas of the Thames First Nation, par. 42), l’allocation de saumon sockeye attribuée à l’origine à la bande de Squamish ne devrait pas être abordée dans le cadre de nouvelles consultations.

[94]  De plus, les observations de la bande de Squamish devant notre Cour reposaient en grande partie sur une analyse comparative de son allocation de saumon sockeye par personne avec celle d’autres Premières Nations. Toutefois, malgré ces prétentions, je n’aurais pas conclu que la décision de la directrice régionale était déraisonnable au motif qu’elle n’avait pas expressément abordé la question de la parité des allocations, et ce pour deux raisons. D’abord, le cadre de 2006 met l’accent sur la souplesse : [traduction] « aucun modèle de pondération n’a été élaboré étant donné la variation de l’importance relative des indicateurs dans chaque demande ». De plus, le critère d’évaluation « ne se veut pas purement mathématique ». Il s’ensuit que la présence ou l’absence d’un facteur, incluant celui de l’allocation par personne, ne devrait pas être déterminante. Deuxièmement, le cadre de 2006 prévoit l’examen de la parité; toutefois, il prévoit également expressément l’examen d’autres critères. Ces critères ont été mentionnés par le Ministère durant les consultations et ont joué dans la décision de la directrice régionale. Répétons-le, un seul critère, comme une analyse comparative, ne saurait dicter l’issue de la demande de la bande de Squamish.

[95]  Finalement, l’existence de droits autochtones est propre à chaque communauté autochtone (R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507, par. 69). Le processus de consultation sera ainsi éclairé par une explication détaillée par la bande de Squamish quant à la portée du droit qu’elle revendique, de l’utilisation particulière du saumon sockeye dans ses pratiques alimentaires, sociales et rituelles et de l’effet éventuel de l’allocation sur ses membres au gré de l’évolution de sa population.

[96]  Nous espérons que ces remarques incidentes seront utiles aux parties.

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Judith Woods, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Marianne Rivoalen, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-39-18

 

 

INTITULÉ :

LA BANDE INDIENNE DE SQUAMISH ET SYETÁXTN, CHRISTOPHER LEWIS EN SON NOM PERSONNEL ET AU NOM DE TOUS LES MEMBRES DE LA BANDE INDIENNE DE SQUAMISH c.

MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 avril 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE WOODS

LA JUGE RIVOALEN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 août 2019

 

COMPARUTIONS :

F. Matthew Kirchner

Lisa Glowacki

 

Pour les appelants

 

Mara Tessier

Monika Bittel

 

Pour l’intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ratcliff & Company LLP

Vancouver Nord (Colombie-Britannique)

 

Pour les appelants

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimé

 

 

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