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Date : 20190809


Dossier : A-187-17

Référence : 2019 CAF 218

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

 

ENTRE :

 

 

GORDON RONALD GREGG, DONALD RICHARD MACDONALD,

GLENN SORKO, FRANK COATES, NANETTE JOZWIAK,

WILLIAM HANNA (EN QUALITÉ D’ADMINISTRATEUR DE LA SUCCESSION DE DONALD LLOYD GERKE), FREDERICK MARK HANLEY,

DAVID BAXTER, CHRISTOPHER CHARLES JOHNSTON,

JAMES ARTHUR BRADLEY, BRIAN LEONARD SOWTEN,

WILLIAM CHARLES SCHULTZ, RUSSELL IRVING COOPER,

WILLIAM ALEXANDER HACKWELL, NOEL MARTIN LOURENS,

ALEXANDER GEORGE WILLIAM HEMINGWAY,

FRANÇOIS RAUSCHER et LARRY CROWLEY

 

 

appelants

 

 

et

 

 

ASSOCIATION DES PILOTES D’AIR CANADA et AIR CANADA

 

 

intimées

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 14 mars 2019.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 9 août 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

MOTIFS DISSIDENTS :

LE JUGE RENNIE


Date : 20190809


Dossier : A-187-17

Référence : 2019 CAF 218

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

 

ENTRE :

 

 

GORDON RONALD GREGG, DONALD RICHARD MACDONALD,

GLENN SORKO, FRANK COATES, NANETTE JOZWIAK,

WILLIAM HANNA (EN QUALITÉ D’ADMINISTRATEUR DE LA SUCCESSION DE DONALD LLOYD GERKE), FREDERICK MARK HANLEY,

DAVID BAXTER, CHRISTOPHER CHARLES JOHNSTON,

JAMES ARTHUR BRADLEY, BRIAN LEONARD SOWTEN,

WILLIAM CHARLES SCHULTZ, RUSSELL IRVING COOPER,

WILLIAM ALEXANDER HACKWELL, NOEL MARTIN LOURENS,

ALEXANDER GEORGE WILLIAM HEMINGWAY,

FRANÇOIS RAUSCHER et LARRY CROWLEY

 

 

appelants

 

 

et

 

 

ASSOCIATION DES PILOTES D’AIR CANADA et AIR CANADA

 

 

intimées

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE RENNIE (Motifs dissidents)

[1]  Les appelants sont d’anciens pilotes d’Air Canada. Ils étaient assujettis à la politique d’Air Canada relative à la retraite obligatoire à l’âge de 60 ans, en vigueur entre mars 2011 et octobre 2012. À l’époque, l’alinéa 15(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la Loi), était toujours en vigueur (abrogation ayant pris effet le 15 décembre 2012). Il prévoyait que le fait pour un employeur de mettre fin à l’emploi d’une personne à l’« âge de la retraite en vigueur » pour ce poste ne constituait pas un acte discriminatoire. Les appelants ont chacun déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne selon laquelle l’intimée, Air Canada, avait fait preuve de discrimination fondée sur l’âge à leur endroit en concluant la convention collective qui imposait la retraite obligatoire.

[2]  Après avoir pris connaissance des rapports de l’enquêteur préparés sous le régime des articles 40 et 41 de la Loi, la Commission a décidé de ne pas statuer sur les plaintes conformément à l’alinéa 41(1)d) de la Loi parce qu’il était « clair et évident » qu’elles étaient vouées à l’échec. Cette conclusion était fondée sur l’arrêt de notre Cour dans l’affaire Association des pilotes d’Air Canada c. Kelly, 2012 CAF 209, [2013] 1 R.C.F. 308 (Kelly), et sur la décision Vilven c. Air Canada, 2009 CF 367, [2010] 2 R.C.F. 189 (Vilven), de la Cour fédérale. Dans l’arrêt Kelly, notre Cour a confirmé la constitutionnalité de l’alinéa 15(1)c). Dans l’affaire Vilven, la Cour fédérale (sous la plume de la juge Mactavish) était d’avis que la conclusion du Tribunal canadien des droits de la personne –selon laquelle l’âge de 60 ans était l’« âge de la retraite en vigueur » des pilotes canadiens de 2003 à 2005 – était raisonnable. En termes généraux, la Cour fédérale a jugé que, puisqu’Air Canada contrôlait plus de 50 % du marché intérieur des passagers aériens, en fixant l’âge de la retraite obligatoire à 60 ans, elle établissait la norme de l’industrie en la matière.

[3]  Les appelants saisissent notre Cour de l’appel de la décision rendue par le juge Annis de la Cour fédérale (2017 CF 506) ayant rejeté leur demande de contrôle judiciaire des décisions de la Commission. Le juge de la Cour fédérale estimait que les appelants n’avaient fourni aucune preuve démontrant que la situation des compagnies aériennes canadiennes avait changé depuis les affaires Kelly et Vilven; partant, leur prétention selon laquelle l’âge de la retraite en vigueur avait augmenté dans l’intervalle n’était pas fondée (par. 44 à 46).

[4]  Selon les appelants, ni l’arrêt Kelly ni le jugement Vilven ne sont déterminants lorsqu’il s’agit de statuer sur les plaintes subséquentes déposées par d’anciens pilotes d’Air Canada. En outre, d’autres plaintes subséquentes, notamment celles déposées dans l’affaire Bailie et al. c. Air Canada et al., 2017 TCDP 22, sont devant le Tribunal pour décision au fond. Ils soutiennent en outre que la Commission a mal interprété son rôle, qui est celui d’un crible pour le Tribunal et non d’un organe juridictionnel. Ce faisant, la Commission a imposé à tort aux appelants le fardeau d’établir le fondement juridique et probant de leurs plaintes, qu’ils disent impossible à acquitter dans les circonstances puisqu’ils sont incapables d’obtenir l’information statistique qui leur permettrait d’établir l’âge de la retraite en vigueur en 2011 et 2012.

[5]  Par ailleurs, les intimées reprennent les conclusions de la Cour fédérale sur la preuve lacunaire devant la Commission et font valoir que, faute d’un dossier de preuve permettant de distinguer la présente affaire du contexte factuel qui existait dans l’affaire Vilven, la Commission a conclu raisonnablement qu’il était clair et évident que les plaintes des appelants étaient vouées à l’échec.

[6]  Comme l’énonce l’arrêt Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, aux paragraphes 45 à 47, [2013] 2 R.C.S. 559, la tâche de notre Cour est de décider si la Cour fédérale, en contrôlant la décision de la Commission, a employé la norme de contrôle appropriée et si elle l’a appliquée correctement. À cet égard, je conviens avec les parties que la norme de contrôle applicable à une décision prise par la Commission au titre de l’alinéa 41(1)d) est celle de la décision raisonnable : Wong c. Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux), 2018 CAF 101, par. 19; voir aussi Khaper c. Air Canada, 2015 CAF 99, au par. 16, [2015] A.C.F. no 491, et les arrêts qui y sont mentionnés.

[7]  La Commission sert de crible au Tribunal afin, entre autres, d’écarter toute plainte qu’elle juge « frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi » (alinéa 41(1)d) de la Loi). Ce faisant, la Commission doit décider, sur le fondement des éléments de preuve qui lui sont présentés, s’il est « clair et évident » que la plainte en cause est vouée à l’échec : Love c. Canada (Commissaire à la protection de la vie privée), 2015 CAF 198, par. 24. Ce critère n’est pas strict, mais il n’est pas illusoire. Il incombe au plaignant de fournir une preuve crédible pour convaincre la Commission que sa plainte est fondée.

[8]  En l’espèce, les appelants ont eu l’occasion de présenter leurs arguments au soutien de leurs plaintes à la Commission, tant dans leur plainte initiale qu’en réponse aux rapports préliminaires préparés sous le régime des articles 40 et 41. À cette étape, et suivant l’arrêt Vilven, ce que la Commission exigeait dans les faits des appelants, c’était une preuve crédible que l’« âge de la retraite en vigueur » en 2011 et 2012 n’était plus 60 ans, tel qu’il l’était de 2003 à 2005. Cette preuve n’a pas été faite, à part l’affirmation selon laquelle [traduction« l’emploi des pilotes dans l’industrie canadienne du transport aérien est assez instable depuis 2005 ».

[9]  Pour leur part, les appelants soutiennent que, si de tels éléments de preuve existent, ils sont entre les mains de l’intimée, Air Canada, qui pourrait être contrainte par le Tribunal, en vertu de son pouvoir d’assignation, de les fournir. Certes, il se peut qu’Air Canada ait en sa possession des renseignements qui permettraient de faire la lumière sur l’« âge de la retraite en vigueur » dans ce secteur, mais les appelants ne m’ont pas convaincu qu’Air Canada soit la seule dépositaire de ces renseignements ou que ces derniers ne puissent être obtenus autrement. Je note également que rien n’indique que les efforts déployés par les appelants pour obtenir les renseignements nécessaires aient été contrecarrés par Air Canada.

[10]  Passons au deuxième argument des appelants. Il découle de l’absence d’explication dans les motifs de la Commission quant à savoir pourquoi il était « clair et évident » que l’affaire des appelants était vouée à l’échec tandis que les plaintes de 300 autres pilotes dans une situation semblable (c’est-à-dire ceux qui avaient été contraints de prendre leur retraite entre juin 2004 et février 2012) allaient être tranchées par le Tribunal. À cet égard, les appelants rappellent la décision du Tribunal dans l’affaire Bailie c. Air Canada, 2012 TCDP 6 de suspendre les plaintes avant l’arrêt de notre Cour dans l’affaire Adamson c. Canada (Commission des droits de la personne), 2015 CAF 153, [2016] 2 R.C.F. 75 (Adamson).

[11]  L’arrêt Adamson porte sur les plaintes ayant pris naissance entre 2005 et 2009. Il ne porte pas sur celles portant sur une période postérieure. Signalons toutefois que, le 4 juillet 2017, le Tribunal a décidé de permettre que les plaintes des personnes qui ont pris leur retraite après la période visée dans l’arrêt Adamson puissent être instruites.

[12]  La Commission a décidé de rejeter les plaintes des appelants en mai 2013. Bien que ces décisions soient antérieures à l’arrêt Adamson de la CAF – suivant lequel l’âge de la retraite en vigueur entre 2005 et 2009 était de 60 ans –, la Commission savait, au moment où elle a rejeté les plaintes des appelants, que le Tribunal avait suspendu celles des autres pilotes tenus de prendre leur retraite pendant certaines des mêmes années.

[13]  La décision de la Commission doit être évaluée pour déterminer si elle est raisonnable à l’époque où elle a été rendue, soit mai 2013. La Commission est muette sur les raisons pour lesquelles certaines plaintes concernant la même période seront entendues par le Tribunal, qui les avait mises en suspens en attendant le prononcé de l’arrêt Adamson, alors que d’autres ne le seront pas. Les motifs ne sont pas conformes aux critères de transparence et de justification énoncés dans l’arrêt Dunsmuir à cet égard et rendent la décision déraisonnable : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), par. 47.

[14]  Le rejet d’une plainte au motif qu’il est clair et évident qu’elle est vouée à l’échec nécessite une évaluation de celle-ci à l’aune de balises ou critères objectifs, notamment les faits, les conditions énoncées dans la loi ou la jurisprudence et les précédents. En l’espèce, la Commission savait que les plaintes appartenant au groupe Bailie – concernant le même employeur, la même politique et la même question de droit – attendaient d’être tranchées par le Tribunal. Comment peut-on affirmer que les plaintes appartenant au groupe Gregg étaient vouées à l’échec alors que le Tribunal ne s’était pas prononcé sur la question. Une explication s’impose.

[15]  J’ai pris connaissance des motifs de mon collègue, le juge Webb. Je souscris à une grande partie de ces derniers, ainsi qu’à son analyse et son explication de ce qui paraît sous-tendre la décision de la Commission. Cependant, je ne suis pas d’accord pour dire qu’il incombe à une cour de révision de faire le travail du décideur de première instance et de discerner a posteriori un fondement décisionnel conforme aux critères de l’arrêt Dunsmuir.

[16]  Le manque d’uniformité est pertinent lorsqu’il s’agit de décider si une décision est raisonnable ou non. Comme le signale le professeur Paul Daly dans son article « The Principle of Stare Decisis in Canadian Administrative Law » (2016) 49:1 R.J.T. 757, à la p. 769, il existe de [traduction] « bonnes raisons de considérer comme susceptibles de contrôle judiciaire les instances où les organes créés par la loi se sont écartés de leurs propres précédents sans donner d’explication ». Il s’ensuit que, lorsqu’un décideur s’écarte d’une décision antérieure, la dérogation doit généralement être motivée; la décision antérieure fournit un critère de « comparaison contextuelle directe » à la lumière duquel la nouvelle décision peut être évaluée.

[17]  Les intimées n’ont pas de réponse à cet argument, si ce n’est pour dire que les décisions Bailie sont [traduction] « soulevées à mauvais droit » devant la Cour. Elles invoquent également l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, et soutiennent que la Cour doit présumer qu’il existait une bonne raison, bien que celle-ci n’ait pas été exprimée.

[18]  Certes, l’arrêt Delta Air Lines Inc. c. Lukács, 2018 CSC 2, [2018] 1 R.C.S. 6 (Delta Airlines) a succédé à l’arrêt Newfoundland Nurses, et ce que les intimées exhortent notre Cour à faire relève de la conjoncture. Comme le mentionne la Cour fédérale dans le jugement Komolafe c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431, [2013] A.C.F. no 449, au paragraphe 11 (Komolafe), approuvé par la Cour suprême dans l’arrêt Delta :

L’arrêt Newfoundland Nurses ne donne pas à la Cour toute la latitude voulue pour fournir des motifs qui n’ont pas été donnés, ni ne l’autorise à deviner quelles conclusions auraient pu être tirées ou à émettre des hypothèses sur ce que le tribunal a pu penser. C’est particulièrement le cas quand les motifs passent sous silence une question essentielle. Il est ironique que l’arrêt Newfoundland Nurses, une affaire qui concerne essentiellement la déférence et la norme de contrôle, soit invoqué comme le précédent qui commanderait au tribunal ayant le pouvoir de surveillance de faire le travail omis par le décideur, de fournir les motifs qui auraient pu être donnés et de formuler les conclusions de fait qui n’ont pas été tirées. C’est appliquer la jurisprudence à l’envers. L’arrêt Newfoundland Nurses permet aux cours de contrôle de relier les points sur la page quand les lignes, et la direction qu’elles prennent, peuvent être facilement discernées. Ici, il n’y a même pas de points sur la page.

[19]  Bien que l’arrêt Wilson c. Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29, [2016] 1 R.C.S. 770 (Wilson), n’ait pas été invoqué devant nous, il ne justifie pas en soi les deux résultats. Dans cette affaire, deux décideurs indépendants et distincts ont appliqué deux courants arbitraux différents mais reconnus pour arriver à des résultats différents. En l’espèce, en revanche, il n’y a qu’un seul décideur, qui applique un seul critère, en la même matière et aux mêmes faits produits en partie sur la même période. Les motifs nécessitent une explication, et l’absence de celle-ci rend la décision déraisonnable.

[20]  J’accueillerais donc l’appel, j’annulerais la décision de la Commission et je renverrais l’affaire à la Commission pour nouvel examen à la lumière des présents motifs.

« Donald J. Rennie »

j.c.a.

 


LE JUGE WEBB

[21]  J’ai pris connaissance des motifs de mon collègue, le juge Rennie. Je souscris à son énoncé de la norme de contrôle et à sa conclusion selon laquelle les appelants ne se sont pas acquittés de leur obligation de fournir une preuve crédible pour convaincre la Commission que leurs plaintes étaient fondées. Toutefois, je ne suis pas d’accord pour dire que l’absence de motifs étayant le rejet des demandes, alors que les plaintes du groupe Bailie allaient être instruites par le Tribunal, rend la décision de la Commission déraisonnable en l’espèce.

[22]  Certes, il faut évaluer la décision de la Commission en tenant compte de la date à laquelle elle a été rendue pour décider si elle était raisonnable. À cet égard, il importe d’examiner les circonstances qui l’entouraient à l’époque.

[23]  L’affaire fait intervenir de nombreux appelants et il semblerait que leurs plaintes n’aient pas toutes été déposées en même temps. Dix d’entre eux ont reçu un rapport d’évaluation préliminaire semblable recommandant qu’un tribunal soit nommé pour enquêter sur leurs plaintes. Ces rapports sont datés du 9 mars 2012 au 12 juillet 2012. Le dernier a été délivré relativement à la plainte déposée par David Baxter. Le paragraphe 5 de ce rapport indique qu’Air Canada invoquait comme moyen de défense l’alinéa 15(1)c) de la Loi (la « LCDP » dans ce rapport).

[24]  Le paragraphe 6 du rapport est ainsi rédigé :

[traduction]

Des décisions récentes de la Cour fédérale et du Tribunal canadien des droits de la personne ont remis en question l’opposabilité de cette défense. Dans l’affaire Vilven c. Air Canada [2009], A.C.F. no 475 (« Vilven no 1 »), la Cour fédérale a décidé que l’alinéa 15(1)c) de la LCDP enfreint la Charte en ce qu’il porte atteinte au droit à l’égalité exempt de toute discrimination fondée sur l’âge. La Cour fédérale a renvoyé l’affaire au Tribunal canadien des droits de la personne pour qu’il détermine si l’alinéa 15(1)c) constitue une limite raisonnable au regard de l’article premier de la Charte. Le 28 août 2009, le Tribunal canadien des droits de la personne a rendu sa décision dans laquelle il a conclu que « l’alinéa 15(1)c) de la LCDP ne constitue pas une limite raisonnable aux droits à l’égalité des plaignants prévus au paragraphe 15(1) de la Charte ».

[25]  Au paragraphe 7, le rapport indique que cette décision du Tribunal a été confirmée par la Cour fédérale dans l’affaire Association des pilotes d’Air Canada c. Kelly, 2011 CF 120.

[26]  Le paragraphe 12 du rapport est ainsi rédigé :

[traduction]

12.  Compte tenu de toutes les circonstances de la plainte, il est recommandé, conformément à l’article 49 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, que la Commission demande la nomination d’un tribunal des droits de la personne pour enquêter sur la plainte parce que :

  le Tribunal est déjà saisi d’autres plaintes contre le même défendeur qui portent essentiellement sur la même question.

[27]  Manifestement, les plaintes déposées par le groupe Bailie étaient devant le Tribunal au moment de la rédaction des rapports d’évaluation préliminaire. La requête présentée par l’Association des pilotes d’Air Canada (2012 TCDP 6) relativement aux plaintes déposées par le groupe Bailie a été accueillie le 28 février 2012, soit avant la rédaction du premier rapport d’évaluation préliminaire. Toutefois, les rapports d’évaluation préliminaire ne permettent pas de déterminer si les « autres plaintes » qui y sont mentionnées sont celles déposées par le groupe Bailie ou par un autre groupe. Air Canada, dans sa réponse datée du 24 juillet 2012 au rapport d’évaluation préliminaire concernant David Baxter, a toutefois mentionné expressément le groupe Bailie :

[traduction]

Comme il est indiqué dans le rapport mentionné plus haut, les faits, tels qu’ils ressortent à première vue de la plainte dont il est question, indiquent que cette dernière soulève essentiellement les mêmes questions que nombre de plaintes qui ont déjà été renvoyées au Tribunal. Par conséquent, et conformément à l’approche adoptée dans l’affaire Bailie par le TCDP, Air Canada demande que le président du Tribunal canadien des droits de la personne ordonne la réunion de la plainte mentionnée avec toutes celles qui soulèvent des questions de fait et de droit semblables qui ont également été renvoyées au Tribunal.

[28]  Même si les plaintes déposées par le groupe Bailie n’étaient pas celles mentionnées dans les rapports d’évaluation préliminaire, Air Canada, par cette lettre, a souligné le fait que ces plaintes étaient déjà devant le Tribunal.

[29]  Le 17 juillet 2012, après la préparation des rapports d’évaluation préliminaires et peu de temps avant la réponse d’Air Canada au dernier rapport, la Cour a rendu sa décision dans l’affaire Kelly. Elle a infirmé la décision de la Cour fédérale dont il est question au paragraphe 7 du rapport d’évaluation préliminaire mentionné plus haut et a conclu que l’alinéa 15(1)c) de la Loi était valide sur le plan constitutionnel.

[30]  Par conséquent, les circonstances relatives aux plaintes déposées par les appelants avaient considérablement changé entre le moment où les rapports d’évaluation préliminaire ont été préparés au sujet de dix des appelants et celui où leur plainte a été rejetée. Les recommandations initiales, soit renvoyer les plaintes au Tribunal, étaient fondées sur une décision de la Cour fédérale qui avait été infirmée.

[31]  La personne qui avait rédigé les rapports d’évaluation préliminaire était alors contrainte de réviser les recommandations. Le rapport (supplémentaire) préparé sous le régime des articles 40 et 41 à l’égard de David Baxter et des autres parties (daté du 3 décembre 2012 et rédigé par la personne qui avait préparé le rapport d’évaluation préliminaire) recommandait que la Commission ne traite pas la plainte. Les dix personnes qui avaient reçu un rapport d’évaluation préliminaire ont obtenu un rapport (supplémentaire) préparé sous le régime des articles 40 et 41 et certaines ont peut-être aussi reçu un autre rapport de cette nature. Les autres appelants ont chacun reçu un rapport préparé sous le régime des articles 40 et 41. Tous les rapports délivrés après juillet 2012 étaient essentiellement identiques.

[32]  En réponse aux rapports initiaux et supplémentaires préparés sous le régime des articles 40 et 41, l’avocat des appelants (qui représentait tous les plaignants du groupe Bailie sauf trois dans la requête entendue par le Tribunal mentionnée plus haut), dans des lettres à la Commission écrites au début de 2013, a soulevé deux questions qui étaient à son avis des [traduction] « hypothèses erronées ». Chacune d’elles concernait l’interprétation de l’arrêt de la Cour dans l’affaire Kelly.

[33]  Le dernier élément de cette lettre avait pour titre [traduction] « Préjudice résultant du rejet des plaintes ». Cette partie portait sur le préjudice qui découlerait d’une situation où la Cour suprême du Canada décidait d’infirmer l’arrêt Kelly de notre Cour.

[34]  Par conséquent, la réponse de l’avocat des appelants aux rapports initiaux et supplémentaires préparés sous le régime des articles 40 et 41 était intégralement centrée sur l’arrêt de la Cour dans l’affaire Kelly. Elle ne mentionne aucunement les plaintes du groupe Bailie qui étaient devant le Tribunal, et rien n’indique que l’avocat estimait que les rapports auraient dû expliquer pourquoi les plaintes avaient été rejetées alors que les plaintes déposées par le groupe Bailie allaient être instruites par le Tribunal. Rien n’indique non plus que, dans toute autre communication faite par l’avocat des appelants avant le prononcé des décisions de la Commission le 20 mars 2013 (pour certains appelants) et le 1er mai 2013 (pour les autres appelants), la Commission devait expliquer pourquoi ces plaintes avaient été rejetées alors que celles déposées par le groupe Bailie allaient être instruites par le Tribunal.

[35]  Vu les circonstances, on ne devrait pas reprocher à la Commission de ne pas avoir répondu à un argument qui ne lui a pas été présenté. L’avocat des appelants savait – ou aurait dû savoir – que les plaintes déposées par le groupe Bailie allaient être instruites par le Tribunal et que dix des appelants avaient reçu un rapport d’évaluation préliminaire recommandant que leurs plaintes soient renvoyées au Tribunal parce que d’« autres plaintes » l’étaient. Si les appelants estimaient qu’après le prononcé de l’arrêt Kelly, il aurait fallu que leurs plaintes soient renvoyées au Tribunal parce que celles déposées par le groupe Bailie l’avaient été, ils auraient dû faire valoir cet argument devant la Commission, ce qu’ils n’ont pas fait. C’est à bon droit, à mon avis, que la Commission n’a pas abordé cet argument.

[36]  Par conséquent, je rejetterais l’appel.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UN JUGEMENT DE LA COUR FÉDÉRALE (2017 CF 506)
DATÉ DU 17 MAI 2017, NOS T-1114-13 ET T-859-13

DOSSIER :

A-187-17

 

INTITULÉ :

GORDON RONALD GREGG et al. c. L’ASSOCIATION DES PILOTES D’AIR CANADA ET AIR CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 mars 2019

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

MOTIFS DISSIDENTS :

LE JUGE RENNIE

DATE DES MOTIFS :

Le 9 août 2019

COMPARUTIONS :

Raymond D. Hall

Pour les appelants

Christopher Edward

Pour l’intimée

Association des pilotes d’Air Canada

Fred W. Headon

Pour l’intimée

Air Canada

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raymond D. Hall

Richmond (Colombie-Britannique)

Pour les appelants

Nelligan O’Brien Payne s.r.l.

Ottawa (Ontario)

Pour l’intimée

Association des pilotes d’Air Canada

Air Canada

Saint-Laurent (Québec)

Pour l’intimée

Air Canada

 

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