Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20190819


Dossier : A-153-18

Référence : 2019 CAF 223

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

 

 

REEM YOUSEF SAEED KREISHAN

GIOVANI ACEVEDO ARANGO (aussi appelé GIOVANNI ACEVEDO ARANGO)

CRISTIAN CAMILO ACEVEDO GOMEZ

MOHAMMED ZAKIR HOSSAIN

SUAD SULIEMAN ODEH ABU SHABAB

ABDALLA MAHMOUD ABOUSHABAB

MAHA MAHMOUD MOHAMED OUDAH

ALY MAHMOUD MOHAMED OUDAH

MOHAMED MAHMOUD OUDAH

TAGI MAHMOUD MOHAMED ABOSHABAB

HUDA MARWAN KASHTEM

MHD NAZIR DEIRANI

BARA’A DERANI

 

 

appelants

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

intimé

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 2 octobre 2018.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 19 août 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE LASKIN


Date : 20190819

Dossier : A-153-18

Référence : 2019 CAF 223

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

 

 

REEM YOUSEF SAEED KREISHAN

GIOVANI ACEVEDO ARANGO (aussi appelé GIOVANNI ACEVEDO ARANGO)

CRISTIAN CAMILO ACEVEDO GOMEZ

MOHAMMED ZAKIR HOSSAIN

SUAD SULIEMAN ODEH ABU SHABAB

ABDALLA MAHMOUD ABOUSHABAB

MAHA MAHMOUD MOHAMED OUDAH

ALY MAHMOUD MOHAMED OUDAH

MOHAMED MAHMOUD OUDAH

TAGI MAHMOUD MOHAMED ABOSHABAB

HUDA MARWAN KASHTEM

MHD NAZIR DEIRANI

BARA’A DERANI

 

 

appelants

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT


Table des matières

  No de paragraphe

I. Aperçu

1

II. Le processus de détermination du statut de réfugié

18

A. Historique législatif des restrictions au droit d’interjeter appel à la Section d’appel des réfugiés

28

B. Mission et pouvoirs de la Section d’appel des réfugiés

41

III. Avis de question constitutionnelle

48

IV. Norme de contrôle

56

V. La décision de la Cour fédérale et les moyens avancés par les appelants en appel

57

VI. Discussion

64

  1. Observations préliminaires

64

B. Article 7 – Principes généraux

78

C. Mise en jeu

88

a) Préjudice psychologique

93

b) Nature du processus

101

(i) Le refoulement et les risques qui y sont associés

104

(ii) La jurisprudence de la Cour suprême et ses répercussions

110

c) Risque accru de refoulement

128

d) Les droits positifs et l’article 7

135

VII. Conclusion

142

 


LE JUGE RENNIE

I.  Aperçu

[1]  Selon la notion de tiers pays sûr prévue par le droit des réfugiés, les demandes d’asile peuvent être rejetées si le demandeur aurait dû demander l’asile dans un pays autre que celui dans lequel il a présenté sa demande. Cette notion vise notamment à prévenir la course au droit d’asile (voir Stephen H. Legomsky, « Secondary Refugee Movements and the Return of Asylum Seekers to Third Countries: The Meaning of Effective Protection » (2003) 15:4 I.J.R.L. 567, pages 568 à 571). S’il s’agit de demandes d’asile individuelles, la non-sollicitation de la protection du premier pays sûr d’arrivée peut également avoir un impact sur la crédibilité du demandeur (Nadesan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 104, au paragraphe 11; Ayala Sosa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 428, au paragraphe 34).

[2]  Le législateur a retenu la notion de tiers pays sûr en droit canadien. Le paragraphe 102(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), autorise ainsi le gouverneur en conseil à désigner à titre de tiers pays sûrs des pays qui se conforment aux normes internationales en matière de traitement des réfugiés. Les demandes d’asile présentées au Canada par des demandeurs en provenance d’un tiers pays sûr désigné sont jugées irrecevables (LIPR, alinéa 101(1)e)).

[3]  À ce jour, les États-Unis sont le seul pays désigné à titre de tiers pays sûr (Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227), article 159.3 (le Règlement)). À la suite de cette désignation, les États-Unis et le Canada ont signé l’Accord entre le Gouvernement du Canada et le Gouvernement des États-Unis d’Amérique pour la coopération en matière d’examen des demandes de statut de réfugiés présentées par des ressortissants de pays tiers (également connu sous le nom d’Entente sur les tiers pays sûrs, ou ETPS). L’ETPS est entrée en vigueur le 29 décembre 2004.

[4]  Le préambule de l’ETPS déclare que cette entente a notamment pour objectifs de favoriser un traitement ordonné des demandes d’asile, d’améliorer le partage des responsabilités et la coopération entre le Canada et les États-Unis et d’éviter les atteintes directes et indirectes au principe du non-refoulement. On y précise également les obligations légales du Canada et des États-Unis aux termes du principe du non-refoulement, défini dans la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, 189 U.N.T.S. 150 (la Convention) et le Protocole de 1967 relatif au statut des réfugiés, 606 U.N.T.S. 267. Le principe du non-refoulement, qui interdit le renvoi de réfugiés vers un territoire où ils risquent d’être victimes de violations des droits de la personne, a été qualifié de pierre angulaire du régime international de protection des réfugiés (Németh c. Canada (Justice), 2010 CSC 56, aux paragraphes 18 et 19, [2010] 3 R.C.S. 281 [Németh]).

[5]  Selon l’ETPS, les demandeurs d’asile qui arrivent à un point d’entrée terrestre du Canada depuis les États-Unis ne peuvent présenter une demande d’asile au Canada. La responsabilité de leur demande incombe plutôt aux États-Unis, ce pays étant leur premier « pays sûr » d’arrivée. Les demandeurs d’asile qui arrivent à la frontière canadienne en provenance des États-Unis sont donc renvoyés vers ce pays avec la directive de présenter leur demande d’asile aux États-Unis. J’aimerais préciser incidemment que l’ETPS ne vise pas les demandeurs d’asile qui arrivent au Canada ailleurs qu’à un point d’entrée par route (p. ex. à un passage irrégulier de la frontière ou par avion). Ces demandes d’asile sont évaluées de la même manière que celles des demandeurs en provenance d’autres pays.

[6]  Le Canada conserve toutefois la responsabilité de la détermination du statut de réfugié des demandeurs en provenance des États-Unis qui ont des membres de la famille au Canada ou qui sont des mineurs non accompagnés. Ces demandeurs entrent au Canada et leur demande d’asile est examinée par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) (Règlement, article 159.5). Le présent appel concerne ce type de demandeurs d’asile – que je désignerai par l’expression « demandeurs visés par une dispense de l’ETPS » – ainsi que le processus de détermination du statut de réfugié auquel ils peuvent avoir recours au Canada.

[7]  Le recours qui s’offre aux demandeurs visés par une dispense de l’ETPS, qui ont été déboutés par la SPR, consiste en la présentation d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la SPR à la Cour fédérale (LIPR, article 72). Les autres demandeurs d’asile déboutés ont, quant à eux, le droit d’interjeter appel auprès de la Section d’appel des réfugiés (SAR), droit qui s’accompagne du sursis prévu par la loi à l’exécution de la mesure de renvoi. L’impossibilité pour les demandeurs visés par une dispense de l’ETPS d’interjeter appel et de bénéficier d’un sursis dans l’attente de la décision constitue le principal élément en litige dans le présent appel.

[8]  Les appelants en l’espèce sont des demandeurs d’asile visés par une dispense de l’ETPS, dont les demandes ont été rejetées par la SPR. Il s’agit de citoyens du Bangladesh, de la Colombie, de la Jordanie et de la Syrie ou de Palestiniens apatrides qui, après avoir transité par les États-Unis, ont présenté des demandes d’asile à un point d’entrée terrestre du Canada. Ayant fait valoir que des membres de leur famille vivaient au Canada, ils ont été autorisés à entrer au Canada pour présenter leurs demandes à la SPR.

[9]  La SPR a instruit les demandes des appelants, mais elle les a rejetées. Les appelants ont interjeté appel des décisions défavorables de la SPR devant la SAR. La SAR a toutefois rejeté les appels pour défaut de compétence, jugeant que les appelants n’avaient pas de droit d’appel selon l’alinéa 110(2)d) de la LIPR.

[10]  Tous les appelants – à l’exception de Mme Kreishan – ont obtenu l’autorisation de demander le contrôle judiciaire des décisions de la SPR ayant rejeté leur demande d’asile. Ces contestations se sont réglées en faveur des appelants, sauf dans le cas de M. Hossain qui a été expulsé vers le Bangladesh après le rejet de sa requête visant à surseoir à son renvoi.

[11]  Parallèlement, les appelants ont aussi présenté des demandes d’autorisation à la Cour fédérale afin que leurs appels rejetés par la SAR fassent l’objet d’un contrôle judiciaire.

[12]  L’autorisation a été accordée et les demandes des appelants attaquant les décisions de la SAR ont été réunies. Les appelants ont soutenu devant la Cour fédérale que le déni du droit d’interjeter appel à la SAR, prévu à l’alinéa 110(2)d) de la LIPR – « les restrictions au droit d’interjeter appel à la SAR » – contrevenait à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 (la Charte). Ils ont aussi allégué que le risque de refoulement au terme du processus de détermination du statut de réfugié, ainsi que la probabilité plus élevée de refoulement pour les demandeurs visés par une dispense de l’ETPS et la tension psychologique associée à l’absence de droit d’appel, font jouer les droits qu’ils tirent de par l’article 7. Enfin, ils ont affirmé que les restrictions au droit d’interjeter appel à la SAR étaient contraires aux protections fondamentales conférées par l’article 7, parce que ces restrictions étaient arbitraires, que leur portée était excessive par rapport à leurs objectifs, que leurs effets étaient totalement disproportionnés et que cette violation n’était pas justifiée par l’article 1 de la Charte.

[13]  Ces arguments ont été rejetés par la Cour fédérale dans Kreishan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 481, sous la plume de la juge Heneghan [Kreishan], et ils ont de nouveau été présentés en appel.

[14]  J’examinerai les arguments des appelants au regard du principe fondamental portant que rechercher si une disposition législative est conforme à l’article 7 de la Charte doit se faire au regard du contexte (voir Office des services à l’enfant et à la famille de Winnipeg c. K.L.W., 2000 CSC 48, au paragraphe 71, [2000] 2 R.C.S. 519 (et la jurisprudence qui y est citée); Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, au paragraphe 20, [2007] 1 R.C.S. 350 [Charkaoui]; Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711, à la page 732 [Chiarelli]; British Columbia Securities Commission c. Branch, [1995] 2 R.C.S. 3, aux pages 7 et 8). Cette mise en garde vaut tout particulièrement en ce qui concerne l’examen des dispositions de la LIPR, car cette loi établit différentes catégories de demandeurs d’asile et différents niveaux et types d’examen qui, ensemble, forment un système intégré de détermination du statut de réfugié. Ce système accorde des pouvoirs discrétionnaires de nature administrative, quasi-judiciaire et judiciaire, en plus de ceux qui sont conférés au ministre, et ces pouvoirs définissent les recours qui sont ouverts aux demandeurs d’asile, parfois simultanément, parfois dans un ordre séquentiel. Comme la détermination du statut de réfugié s’inscrit dans un processus, il est impératif de situer les restrictions au droit d’interjeter appel à la SAR prévues à l’alinéa 110(2)d) dans le cadre de ce processus. Cela est d’autant plus important lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, il est soutenu que le déni du droit d’appel viole les principes de justice fondamentale, procéduraux et au fond.

[15]  En définitive, l’argumentation des appelants repose sur les différences de traitement entre différentes catégories de demandeurs d’asile. Pour cette raison, toute analyse appelle une compréhension du processus qui encadre l’instruction des demandes d’asile présentées par ceux que j’appellerai les « demandeurs ordinaires » – c’est-à-dire les demandeurs qui arrivent au Canada ailleurs que par un port frontalier terrestre des Etats-Unis. J’examinerai ensuite comment, dans le cadre de ce processus, le traitement des demandeurs visés par une dispense de l’ETPS diffère de celui des demandeurs ordinaires, puis j’examinerai la mission et les pouvoirs de la SAR – la juridiction d’appel à laquelle les appelants sont privés d’accès.

[16]  J’examinerai ensuite, à la lumière de ce contexte, les moyens que les appelants puisent de l’article 7. Mon analyse tiendra compte de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada sur les aspects de fond et les aspects procéduraux de l’article 7, et de ses liens avec le préjudice psychologique et le risque de refoulement, afin de déterminer si les restrictions au droit d’interjeter appel à la SAR font entrer en jeu les intèrêts prévus à l’article 7.

[17]  Pour les motifs énoncés ci-après, je conclus que l’alinéa 110(2)d) de la LIPR ne déclenche pas l’application de l’article 7 de la Charte.

II.  Le processus de détermination du statut de réfugié

[18]  Lorsque les demandeurs d’asile ordinaires sont déboutés devant la SPR, ils peuvent interjeter appel à la SAR. Si leur appel est rejeté, ils peuvent ensuite présenter une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à la Cour fédérale. L’autorisation est accordée s’il existe une [traduction] « cause raisonnablement défendable » (Bains v. Canada (Minister of Employment and Immigration) (1990), 47 Admin. L.R. 317; 109 N.R. 239 (F.C.A.)).

[19]  Si la demande présentée par le demandeur débouté en vue d’obtenir l’autorisation de soumettre la décision de la SAR à un contrôle judiciaire est rejetée, ou si l’autorisation est accordée mais que la Cour fédérale maintient la décision de la SAR, le demandeur peut alors, sous réserve de certaines exceptions, présenter une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). Si le demandeur n’a pas gain de cause devant l’agent chargé de l’ERAR, c’est-à-dire si l’agent chargé de l’ERAR conclut qu’il n’existe aucun nouvel élément de preuve indiquant des risques ou un changement de la situation dans le pays en cause depuis que la SPR a rendu sa décision, le demandeur peut présenter une demande en vue d’obtenir l’autorisation d’engager une procédure de contrôle judiciaire visant la décision de l’agent chargé de l’ERAR.

[20]  Les demandeurs ordinaires dont les demandes d’asile sont rejetées par la SPR bénéficient automatiquement du sursis à leur renvoi jusqu’au règlement de leur appel et de leur demande d’autorisation (Règlement, paragraphe 231(1)).

[21]  Le demandeur débouté qui n’a pas gain de cause devant l’agent chargé de l’ERAR reçoit un avis de convocation l’informant qu’il doit se présenter à un agent de renvoi pour établir les modalités de son renvoi du Canada. Le demandeur débouté qui reçoit un avis de convocation peut ensuite demander le report de son renvoi. Le refus de l’agent de renvoi de reporter le renvoi est une décision ou une ordonnance qui relève de l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, et qui peut justifier la présentation d’une nouvelle demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à la Cour fédérale. Cette demande est habituellement accompagnée d’une requête en sursis de la mesure de renvoi jusqu’à ce que soit rendue une décision au sujet de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

[22]  Parallèlement à ces procédures ou, comme cela se fait dans la pratique, parallèlement à une requête en sursis de la mesure de renvoi, le demandeur peut aussi présenter une demande au titre de l’article 25.1 de la LIPR afin que le ministre le dispense des dispositions de la Loi ou du Règlement pour des motifs d’ordre humanitaire. Le demandeur peut présenter une autre demande d’autorisation visant le contrôle judiciaire du rejet d’une demande présentée en application de l’article 25.1 et présenter simultanément une requête en sursis à la Cour fédérale jusqu’au règlement de sa demande d’autorisation (voir Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 R.C.S. 909 pour une discussion de la portée du pouvoir discrétionnaire conféré par cet article).

[23]  Le processus qui s’applique aux demandeurs ordinaires et celui prévu pour les demandeurs visés par une exception à l’ETPS comportent des éléments à la fois de convergence et de divergence. La détermination de ces éléments permet de mieux mettre en contexte les arguments des appelants portant sur l’application de l’article 7.

[24]  Premièrement, la méthode utilisée pour apprécier si est fondée la demande d’asile est essentiellement la même pour tous, quelle que soit la manière dont le demandeur est entré au Canada. Lorsque la détermination du statut de réfugié soulève une question de crédibilité, comme c’est le cas en l’espèce, le demandeur a droit à une audience devant un décideur impartial et indépendant – en l’occurrence la SPR. Tel est l’enseignement de l’arrêt Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177 [Singh]. Je fais bien sûr abstraction des cas particuliers qui ne sont pas pertinents ici, par exemple les demandeurs qui sont carrément exclus du processus de détermination du statut de réfugié aux termes de l’article 1F de la Convention de 1951 et de l’article 98 de la LIPR (voir Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68, [2014] 3 R.C.S. 431 [Febles]).

[25]  Deuxièmement, les demandeurs visés par une dispense de l’ETPS, comme les appelants en l’espèce, n’ont pas droit au sursis à la mesure de renvoi prévu par la loi, alors qu’est pendante la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire d’une décision défavorable de la SPR (Règlement, paragraphe 231(1)). Ces demandeurs doivent présenter une requête en sursis à la Cour fédérale alors qu’est pendante leur demande d’autorisation et, si cette demande est accueillie, alors qu’est pendante la demande de contrôle judiciaire sur le fond. Les arguments invoqués en l’espèce au sujet de la tension psychologique et de l’anxiété éprouvées par les appelants sont fondés sur cette exigence. En effet, contrairement aux demandeurs ordinaires qui, selon la loi, sont assurés d’un sursis alors que sont pendants leur appel devant la SAR, puis de leur demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la SAR, les appelants ne bénéficient d’aucune garantie de la sorte et sont obligés de s’adresser à la Cour fédérale pour obtenir un sursis.

[26]  Troisièmement, après une décision défavorable de la SPR (à l’égard d’un demandeur visé par une dispense de l’ETPS ), ou le rejet d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant une décision défavorable de la SAR (dans le cas d’un demandeur ordinaire), tous les demandeurs déboutés, quelle que soit la catégorie à laquelle ils appartiennent, sont assujettis au même processus. À partir de cette étape, il n’y a plus aucune distinction. Les demandeurs déboutés, quel que soit leur pays d’origine, peuvent suivre le même processus – demande d’ERAR, demande de report du renvoi ou demande au titre de l’article 25.1 –, chacune accompagnée de leurs demandes d’autorisation et de sursis connexes. Il y a toutefois des cas où des demandeurs d’asile déboutés, autant des demandeurs ordinaires que des demandeurs visés par une dispense de l’ETPS, n’ont pas droit à une demande d’ERAR. L’alinéa 112(2)b.1), par exemple, interdit à tous les demandeurs d’asile déboutés, quelle que soit la catégorie à laquelle ils appartiennent, de présenter une demande d’ERAR moins de douze mois après le rejet de leur demande d’asile.

[27]  Quatrièmement, les appelants ne sont pas la seule catégorie de demandeurs d’asile qui sont privés du droit d’appel. Les décisions accordant ou rejetant la demande d’asile d’un étranger désigné (LIPR, alinéa 110(2)a)), et les décisions rejetant la demande d’asile parce qu’elle n’a pas un minimum de fondement ou qu’elle est manifestement infondée (LIPR, alinéa 110(2)c)), ne peuvent être portées en appel. Comme nous l’avons signalé précédemment, certains demandeurs d’asile ne peuvent aucunement avoir accès au processus de détermination du statut de réfugié (article 98 de la LIPR et article 1F de la Convention).

A.  Historique législatif des restrictions au droit d’interjeter appel à la SAR

[28]  La thèse des appelants porte que l’existence du droit d’appel pour certains demandeurs d’asile, mais non pour tous, rend inconstitutionnelle la voie à suivre dans le cadre du processus de détermination du statut de réfugié. Comme dans toutes les affaires où la constitutionnalité d’une disposition législative est contestée, le contexte est d’une importance capitale; pour cette raison, j’examinerai maintenant l’historique législatif, la mission et les pouvoirs de la SAR.

[29]  Je commencerai par l’historique législatif.

[30]  Selon la Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, qui a précédé la LIPR, prévoyait que les demandes d’asile étaient examinées par deux commissaires de la Section du statut de réfugié de la CISR. Il suffisait toutefois qu’un seul des deux commissaires se prononce en faveur du demandeur pour que la protection soit accordée. Les demandeurs déboutés pouvaient présenter une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à la Cour fédérale. Cette loi ne prévoyait nul voie d’appel, devant quelque juridiction que ce soit.

[31]  La Loi concernant l’immigration au Canada et l’asile conféré aux personnes déplacées, persécutées ou en danger (aujourd’hui la LIPR) a été déposée au Parlement en 2001 (projet de loi C-11). Selon le régime qu’il consacrait l’examen des demandes d’asile était effectué par un commissaire unique de la SPR, avec droit d’appel devant un tribunal d’appel nouvellement constitué – la SAR.

[32]  Le projet de loi C-11 a reçu la sanction royale en novembre 2001, ses dispositions devant entrer en vigueur à une date fixée par décret du gouverneur en conseil. Cependant, en avril 2002, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration de l’époque a annoncé que la mise sur pied de la SAR serait retardée en raison de la « surcharge du système » (Communiqué de presse du ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration « La mise sur pied de la Section d’appel des réfugiés est retardée », 29 avril 2002). À la suite de l’entrée en vigueur de bon nombre des dispositions de la LIPR en juin 2002 (Décret fixant au 28 juin 2002 la date d’entrée en vigueur de certaines dispositions de la Loi, TR/2002-97), les demandes d’asile étaient désormais instruites par un membre unique de la SPR. En l’absence de la SAR, l’article 231 du Règlement – qui est aussi entré en vigueur en juin 2002 – prévoyait un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi lors de la présentation d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire d’une décision défavorable de la SPR.

[33]  En 2010, le législateur a adopté la Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés, L.C. 2010, ch. 8 (la LMRER). La LMRER prévoyait que les dispositions de la LIPR concernant la SAR entreraient en vigueur dans un délai d’au plus deux ans à compter de la sanction royale. La LMRER a reçu la sanction royale en juin de cette année-là.

[34]  Deux ans plus tard, soit en juin 2012, le projet de loi C-31, Loi visant à protéger le système d’immigration du Canada, L.C. 2012, ch. 17 (LPSIC), a également reçu la sanction royale. La LPSIC ajoutait de nouvelles restrictions au droit d’interjeter appel à la SAR. Le sommaire du projet de loi précise que la LIPR devait être modifiée pour « prévoir un traitement accéléré des demandes d’asile ».

[35]  Aux fins du présent appel, il est important de préciser que l’article 110 de la LIPR, créant la SAR, a été modifié par la LPSIC afin que soit ajouté l’alinéa 110(2)d). Cet alinéa, qui est visé par le recours en déclaration d’inconstitutionnalité, prive les demandeurs bénéficiant de la dispense de l’ETPS du droit d’interjeter appel à la SAR.

Restriction

Restriction on appeals

110(2) Ne sont pas susceptibles d’appel :

110(2) No appeal may be made in respect of any of the following:

[…]

d) sous réserve des règlements, la décision de la Section de la protection des réfugiés ayant trait à la demande d’asile qui, à la fois :

(d) subject to the regulations, a decision of the Refugee Protection Division in respect of a claim for refugee protection if

(i) est faite par un étranger arrivé, directement ou indirectement, d’un pays qui est — au moment de la demande — désigné par règlement pris en vertu du paragraphe 102(1) et partie à un accord visé à l’alinéa 102(2)d),

(i) the foreign national who makes the claim came directly or indirectly to Canada from a country that is, on the day on which their claim is made, designated by regulations made under subsection 102(1) and that is a party to an agreement referred to in paragraph 102(2)(d), and

(ii) n’est pas irrecevable au titre de l’alinéa 101(1)e) par application des règlements pris au titre de l’alinéa 102(1)c);

(ii) the claim — by virtue of regulations made under paragraph 102(1)(c) — is not ineligible under paragraph 101(1)(e) to be referred to the Refugee Protection Division;

[36]  Le Règlement a de nouveau été modifié en 2012 (DORS/2012-272) afin qu’il soit tenu compte de la mise sur pied de la SAR. Le paragraphe 231(1) du Règlement, aux termes duquel un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi était accordé au demandeur d’asile débouté par la SPR présentant une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la SPR, a été amendé afin que le sursis soit limité aux demandes de contrôle judiciaire dirigées contre les décisions de la SAR. Concrètement, cette modification a eu pour effet de priver du sursis automatique à l’exécution de la mesure de renvoi les demandeurs visés par une dispense de l’ETPS qui, comme les appelants en l’espèce, avaient été déboutés et ne pouvaient interjeter appel à la SAR.

[37]  Selon le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (DORS/2012-272), le paragraphe 231(1) du Règlement avait été modifié afin que les demandeurs visés par une dispense de l’ETPS ne soient pas admissibles au sursis automatique à la mesure de renvoi lors de la présentation d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire d’une décision défavorable de la SPR. Cette modification appuierait « les objectifs du gouvernement qui consistent à assurer le traitement et le renvoi accélérés de certaines catégories de demandeurs déboutés ».

[38]  En résumé, durant la période de dix ans comprise entre l’entrée en vigueur de la LIPR en 2002 et la mise sur pied de la SAR en juin 2012 aux termes de la Loi sur les mesures de réforme équitables concernant les réfugiés, toutes les demandes d’asile, que le demandeur ait transité ou non par un pays sûr, ont été étudiées par un commissaire unique de la SPR. Tous les demandeurs pouvaient présenter une demande à la Cour fédérale en autorisation d’engager un recours en contrôle judicaire dirigé contre la décision de la SPR, ainsi que présenter une demande de sursis à la mesure de renvoi dans l’attente d’une décision concernant leur demande d’autorisation. Les restrictions au droit d’interjeter appel, prévues par le paragraphe 110(2), ne sont appliquées que depuis la mise sur pied de la SAR; autrement dit, nulle personne se trouvant dans la position des appelants, c’est-à-dire celle de demandeurs déboutés visés par une dispense de l’ETPS, n’a jamais eu accès à la SAR.

[39]  Depuis la création de la SAR, en 2012, la plupart, mais non la totalité, des demandeurs d’asile peuvent interjeter appel d’une décision défavorable de la SPR devant la SAR. Pour ces demandeurs déboutés, le renvoi est reporté alors que sont pendants l’appel et la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire (Règlement, article 231).

[40]  Les demandeurs visés par une dispense de l’ETPS, qui sont déboutés devant la SPR, peuvent quant à eux présenter une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la SPR. Ils peuvent aussi, dans certains cas, présenter une demande d’ERAR, ainsi qu’une requête en sursis à la Cour fédérale alors qu’est pendante leur demande. Si la décision rendue au terme de l’ERAR est défavorable, le demandeur peut à nouveau présenter une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Les demandeurs visés par une dispense de l’ETPS peuvent eux aussi demander le report de leur renvoi à l’agent chargé d’appliquer la mesure de renvoi, et présenter une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision rendue par cet agent, ainsi qu’une demande de sursis à la Cour fédérale alors qu’est pendante leur demande d’autorisation.

B.  Mandat et pouvoirs de la SAR

[41]  L’intention du législateur en créant la SAR a été examinée à l’occasion de l’affaire Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, [2016] 4 R.C.F. 157 [Huruglica]. Notre Cour a alors référé à des commentaires formulés en 2001 par le ministre alors responsable du projet de loi C-11, selon lesquels « [le] but [de la SAR] est d’assurer que la bonne décision est prise » (au paragraphe 87), ainsi qu’à ceux de Peter Showler, alors président de la CISR, qui a déclaré que la SAR pourrait, « de manière efficace, corriger les erreurs faites par la SPR » et servir ainsi de « filet de sécurité » (au paragraphe 88). Après avoir passé en revue l’historique de la loi, notre Cour a conclu que, « [e]ssentiellement, la SAR devait servir de filet de sécurité puisqu’elle devait rattraper les erreurs de droit ou de fait de la SPR » (au paragraphe 98).

[42]  La SAR dispose de vastes pouvoirs pour corriger les erreurs, en conformité avec la mission qui lui est conférée par la loi. À moins que la LIPR ne l’interdise, le demandeur peut, de droit, interjeter appel d’une décision de la SPR à la SAR, ou le ministre peut interjeter appel sur une question de droit, une question de fait ou une question mixte de fait et de droit.

[43]  Les appels devant la SAR « procède[nt] » sans audition, selon le dossier qui a été présenté à la SPR (LIPR, paragraphe 110(3)). De nouveaux éléments de preuve ne peuvent être présentés que s’ils se sont manifestés après le rejet de la demande ou qu’ils n’étaient pas raisonnablement accessibles au moment de l’audience devant la SPR. Lorsque de nouveaux éléments de preuve sont admis, la SAR a le pouvoir discrétionnaire de tenir une audience (LIPR, paragraphes 110(4) et 110(6)), à condition que certains critères soient respectés. Le paragraphe 110(6) dispose :

Appel devant la Section d’appel des réfugiés

Appeal to Refugee Appeal Division

Audience

Hearing

110(6) La section peut tenir une audience si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe (3) qui, à la fois :

110(6) The Refugee Appeal Division may hold a hearing if, in its opinion, there is documentary evidence referred to in subsection (3)

a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause;

(a) that raises a serious issue with respect to the credibility of the person who is the subject of the appeal;

b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile;

(b) that is central to the decision with respect to the refugee protection claim; and

c) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas.

(c) that, if accepted, would justify allowing or rejecting the refugee protection claim.

[44]  La SAR doit examiner les décisions de la SPR selon la norme de la décision correcte (Huruglica, au paragraphe 103). La SAR peut confirmer la décision de la SPR, casser la décision et y substituer sa propre décision, y compris accorder l’asile, ou renvoyer l’affaire à la SPR en y joignant des instructions (LIPR, au paragraphe 111(1)). La SAR n’est pas habilitée à ordonner le renvoi ni à rendre une ordonnance en ce sens. Le renvoi est une mesure administrative qui est prise par les fonctionnaires du ministère après le rejet de la demande. En revanche, la Cour fédérale peut annuler une mesure de renvoi ou surseoir à son exécution.

[45]  Les appelants opposent les pouvoirs de la SAR aux limites du contrôle judiciaire d’une décision de la SPR. La principale distinction entre l’appel devant la SAR et le recours devant la Cour fédérale se situe sur le plan de la norme de contrôle. La norme de la décision correcte, dans le cas des appels devant la SAR, permet aux appelants d’espérer qu’une deuxième audience aboutira à une issue différente, même avec le même dossier et sans témoignage verbal. De plus, l’accès à la SAR est de droit, alors que l’accès à la Cour fédérale est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation (LIPR, au paragraphe 72(1)). De nouveaux éléments de preuve peuvent être présentés à la SAR, à condition que les critères définis dans la loi soient respectés. En revanche, le contrôle judiciaire par la Cour fédérale se borne au dossier.

[46]  Avant de clore ce point, une mise en garde s’impose. Il est important de noter que la norme de contrôle au regard de laquelle la Cour fédérale examine les décisions de la SPR et de la SAR ne l’empêche pas de faire un examen sur le fond ou de prendre en compte les conclusions de fait de l’un ou l’autre tribunal. La norme de la décision raisonnable, et les critères de justification, d’intelligibilité et de transparence qui s’y rattachent, s’appliquent à la manière dont les tribunaux apprécient la preuve dont ils ont été saisis et aux conclusions qui peuvent en être tirées, alors que la norme de la décision correcte concerne l’équité procédurale de l’audience devant la SPR (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69). Les conclusions de fait défavorables et les conclusions ou hypothèses défavorables en matière de crédibilité doivent être justifiées par les éléments de preuve qui ont été présentés à la SPR et doivent être énoncées dans les motifs de la SPR.

[47]  Bien qu’il existe certainement une différence entre la mission de la SAR et celle de la Cour fédérale qui examine une décision de la SPR, l’écart n’est pas aussi grand qu’on le prétend. La différence se situe sur le plan de la norme de contrôle, selon que l’examen se fait au regard de la norme de la décision correcte ou de la norme de la décision raisonnable. La norme de la décision raisonnable exige que tous les aspects de la décision de la SPR satisfassent aux critères consacrés par l’arrêt dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 [Dunsmuir].

III.  Avis de question constitutionnelle

[48]  Lorsque la validité constitutionnelle d’une loi est en cause, les paragraphes 57(1) et (2) de la Loi sur les Cours fédérales exigent qu’un avis de question constitutionnelle soit signifié au procureur général du Canada ainsi qu’aux procureurs généraux des provinces ou territoires, au moins dix jours avant l’audition de l’appel :

Questions constitutionnelles

Constitutional questions

57 (1) Les lois fédérales ou provinciales ou leurs textes d’application, dont la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel, est en cause devant la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale ou un office fédéral, sauf s’il s’agit d’un tribunal militaire au sens de la Loi sur la défense nationale, ne peuvent être déclarés invalides, inapplicables ou sans effet, à moins que le procureur général du Canada et ceux des provinces n’aient été avisés conformément au paragraphe (2).

57 (1) If the constitutional validity, applicability or operability of an Act of Parliament or of the legislature of a province, or of regulations made under such an Act, is in question before the Federal Court of Appeal or the Federal Court or a federal board, commission or other tribunal, other than a service tribunal within the meaning of the National Defence Act, the Act or regulation shall not be judged to be invalid, inapplicable or inoperable unless notice has been served on the Attorney General of Canada and the attorney general of each province in accordance with subsection (2).

Formule et délai de l’avis

Time of notice

(2) L’avis est, sauf ordonnance contraire de la Cour d’appel fédérale ou de la Cour fédérale ou de l’office fédéral en cause, signifié au moins dix jours avant la date à laquelle la question constitutionnelle qui en fait l’objet doit être débattue.

(2) The notice must be served at least 10 days before the day on which the constitutional question is to be argued, unless the Federal Court of Appeal or the Federal Court or the federal board, commission or other tribunal, as the case may be, orders otherwise.

[49]  En l’espèce, les appelants ont déposé un avis de question constitutionnelle le 25 septembre 2018, accompagné d’une attestation d’un avocat indiquant que l’avis avait été signifié aux procureurs généraux le 24 septembre 2018, soit moins de dix jours avant l’audition de l’appel. Les parties ont été invitées à examiner les conséquences de cette signification tardive dans leurs observations verbales.

[50]  D’entrée de jeu, lors de l’audition du présent appel, les avocats des appelants ont déclaré que six procureurs généraux des provinces et territoires avaient indiqué qu’ils n’avaient pas l’intention d’intervenir dans l’appel et qu’ils s’attendaient à ce que les autres procureurs en fassent autant. Les avocats ont soutenu que notre Cour avait le pouvoir discrétionnaire, aux termes du paragraphe 57(2) de la Loi sur les Cours fédérales, d’abréger le délai de signification et d’instruire l’appel comme prévu, comme l’a fait la Cour fédérale à l’occasion des affaires Tapambwa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 522, [2017] 4 R.C.F. 458 et Ishaq c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 156, [2015] 4 R.C.F. 297, en appliquant les facteurs consacrés par l’arrêt Canada (Procureur général) c. Larkman, 2012 CAF 204, 433 N.R. 184 [Larkman] relativement aux demandes de prorogation de délai.

[51]  L’avocat du procureur général du Canada a reconnu que les facteurs consacrés par l’arrêt Larkman étaient réunis en l’espèce et a consenti à l’audition de l’appel selon le calendrier arrêté. Les avocats des deux parties ont fait valoir que l’importance de la question de droit en litige, ainsi que le grand nombre d’affaires en suspens devant la Cour fédérale dans l’attente du présent appel, jouaient en faveur de l’abrègement du délai de signification.

[52]  Après avoir examiné les arguments des parties, notre Cour a décidé d’instruire l’appel à certaines conditions. Les parties ont ainsi été informées de la possibilité que l’appel doive être instruit de nouveau, si l’un des procureurs généraux provinciaux ou territoriaux restants demandait l’autorisation d’intervenir; cela dépendrait de la nature de l’intervention souhaitée. L’appel a été instruit à cette condition. Après l’instruction de l’appel, les appelants ont informé la Cour qu’ils avaient reçu des réponses des treize procureurs généraux provinciaux et territoriaux et qu’aucun n’avait exprimé l’intention d’intervenir dans l’appel; ils acceptaient la demande d’abrègement du délai de signification de l’avis ou n’y étaient pas opposés, ou ils ont expressément refusé de prendre position sur la question.

[53]  Vu les réponses reçues des procureurs généraux, j’accueillerais la demande d’abrègement du délai de signification présentée par les appelants. Je tiens toutefois à insister sur ce que l’exigence prévue par l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales, relativement au délai de signification, n’est pas une simple formalité. En l’espèce, la Cour a exercé son pouvoir discrétionnaire d’instruire l’appel à certaines conditions, en tenant compte des observations des parties et du consentement du procureur général du Canada. Cette décision n’a pas été prise à la légère et il ne faudrait pas s’attendre à des issues semblables dans de futures affaires.

[54]  De plus, je rejette l’idée que les facteurs consacrés par l’arrêt Larkman dictent la solution. Ces facteurs visent à ce qu’il soit tenu compte des droits des parties à une instance et du préjudice qui pourrait leur être causé. L’avis de question constitutionnelle, à l’opposé, comporte une dimension publique. Cet avis vise à s’assurer qu’une loi ne puisse être déclarée inconstitutionnelle que si le gouvernement a eu vraiment toute latitude pour en soutenir la validité (Guindon c. Canada, 2015 CSC 41, au paragraphe 19, [2015] 3 R.C.S. 3, citant Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, [1997] 1 R.C.S. 241, au paragraphe 48). C’est donc le risque de préjudice à l’intérêt public qui revêt une importance capitale.

[55]  Le fait que l’immigration soit un champ de compétence législative fédérale exclusive ne signifie pas qu’il est peu probable que les provinces et territoires y portent intérêt. Savoir si l’alinéa 110(2)d) de la LIPR peut résister à un examen fondé sur la Charte n’est peut-être pas un enjeu important pour les procureurs généraux des provinces; cette question n’est toutefois pas pertinente pour déterminer si le délai de signification de l’avis doit être abrégé. Ce qui intéresse les procureurs généraux, c’est de connaître l’évolution de la jurisprudence concernant l’article 7, ainsi que les répercussions d’une décision rendue dans une affaire particulière sur des affaires analogues qui relèvent de la compétence législative des provinces.

IV.  Norme de contrôle

[56]  La constitutionnalité de l’alinéa 110(2)d) de la LIPR est une question de droit. La décision de la Cour fédérale sur cette question doit être examinée en appel au regard de la norme de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, au paragraphe 8, [2002] 2 R.C.S. 235). Les conclusions de la Cour fédérale commandent néanmoins la déférence, notamment son appréciation de la preuve sur le préjudice psychologique.

V.  La décision de la Cour fédérale et les arguments formulés par les appelants en appel

[57]  Ainsi qu’il a été indiqué précédemment, la Cour fédérale a rejeté la demande. La juge a observé que « [l]e point central des arguments des demandeurs n’est pas l’absence du droit d’interjeter appel, mais les conséquences d’une telle absence ». Selon les appelants, ces conséquences étaient le risque accru de refoulement et l’imposition d’une grave tension psychologique causée par l’État. La juge a supposé, sans toutefois trancher la question, que ces conséquences mettaient en jeu les droits tirés par les appelants de l’article 7 (Kreishan, au paragraphe 144).

[58]  La juge a rejeté la thèse portant que les restrictions au droit d’interjeter appel à la SAR augmentaient le risque de refoulement. À la suite de la décision rendue par la SPR, les appelants étaient des demandeurs déboutés. Ils n’étaient pas, aux fins de la décision de la SPR, des demandeurs qui seraient renvoyés dans un pays où ils feraient l’objet de persécution pour des motifs cités dans la Convention. La juge a également cité une jurisprudence de la Cour suprême du Canada, Kazemi (Succession) c. République islamique d’Iran, 2014 CSC 62, [2014] 3 R.C.S. 176 [Kazemi], qui enseignerait que l’article 7 « ne protège pas contre une tension et une angoisse ordinaires » (Kreishan, au paragraphe 131) – au sens où la tension censée découler du déni du droit d’accès à la SAR ne diffère pas de celle inhérente au processus de détermination du statut de réfugié et ne satisfait donc pas au critère concernant les droits garantis par l’article 7.

[59]  En ce qui a trait à la deuxième phase de l’analyse relative à l’article 7, à savoir si le déni était conforme aux principes de justice fondamentale, la juge a conclu que l’objectif législatif de l’ETPS était de réglementer l’entrée des demandeurs d’asile au Canada et de simplifier le processus de détermination du statut de réfugié. Vu ce contexte, les restrictions au droit d’interjeter appel à la SAR et l’absence de sursis automatique à la mesure de renvoi avaient pour but de réduire les facteurs susceptibles d’inciter des demandeurs à présenter des demandes d’asile au Canada alors qu’ils avaient accès à une protection aux États-Unis. La juge a conclu que ces restrictions n’étaient pas arbitraires, mais qu’elles avaient un lien rationnel avec les objectifs de partager les responsabilités avec les États-Unis et de limiter le volume de demandes présentées à la SAR. Elle a également conclu que les restrictions n’avaient pas une portée excessive, car elles contribuent à promouvoir l’objectif de l’ETPS, qui est d’encourager les demandeurs d’asile à présenter leur demande dans leur premier pays d’arrivée, et qu’elles s’harmonisaient avec la notion de tiers pays sûr.

[60]  De façon générale, les appelants attaquent trois aspects de la décision. N’est pas controversée l’interprétation par la juge des questions en litige, mais ils soutiennent plutôt que la juge a commis une erreur de droit dans son analyse visant à déterminer si les droits garantis par l’article 7 étaient en jeu. Ils soutiennent qu’aucune analyse cohérente ne peut être faite quant à la question de savoir si le déni de ces droits est fait conforme aux principes de justice fondamentale, sans déterminer dans quelle mesure et de quelle manière ces droits ont été mis en jeu.

[61]  Ils affirment donc que la juge a commis une erreur dans son analyse visant à déterminer si les appelants avaient été privés de leurs droits dans le respect des principes de justice fondamentale. Ils soulignent à cet égard les conclusions de la juge concernant l’objectif législatif de l’ETPS, alléguant qu’une qualification aussi large et vague de l’objectif législatif dans le cadre de l’analyse relative à l’article 7 met la loi à l’abri d’un examen visant à en déterminer la constitutionnalité. En ce qui a trait aux critères de la portée excessive et d’effets disproportionnés, les appelants soutiennent que la juge a omis d’examiner le rapport entre les objectifs des dispositions contestées et leurs effets sur les droits des appelants au titre de l’article 7. Ils allèguent en outre que la juge a commis une erreur de fait manifeste et dominante en concluant que les restrictions au droit d’interjeter appel à la SAR réduisaient le délai requis pour le renvoi des demandeurs déboutés, et que cela sapait le lien rationnel entre la mesure et son objet.

[62]  Ils soutiennent que la juge a aussi commis une erreur en ne concluant pas que le traitement préférentiel dont bénéficient les demandeurs ordinaires faisait jouer les droits que les appelants tirent de l’article 7, en augmentant le risque de refoulement et en amplifiant l’angoisse et la tension psychologique découlant de la présentation d’une demande d’asile.

[63]  Citant les observations faites par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) à la commission parlementaire lors de l’analyse du projet de loi qui allait devenir la Loi visant à protéger le système d’immigration du Canada, les appelants soutiennent qu’il est nécessaire d’offrir un appel en deuxième instance aux demandeurs déboutés, pour s’assurer que soit corrigée toute erreur de fait ou de droit et ainsi réduire au maximum le risque de refoulement. Les appelants appuient leur argumentation en comparant le volume élevé d’appels accueillis visant les décisions défavorables de la SPR au faible pourcentage de demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire qui sont accueillies.

VI. Discussion

A.  Observations préliminaires

[64]  Avant d’examiner les principes qui encadrent l’opération de l’article 7 en l’espèce, je formulerai quatre observations préliminaires.

[65]  Je dois admettre que les arguments des appelants m’ont posé des difficultés. Les appelants reconnaissent que, selon la jurisprudence actuelle, les principes de justice fondamentale n’exigent pas, dans le cadre des procédures, l’existence d’un droit d’appel (Syndicat canadien de la fonction publique (Transport aérien, composante d’Air Canada, comité de santé et de sécurité au travail de la section locale 4004) c. Air Canada, 2007 CAF 279, au paragraphe 11, 367 N.R. 384 [Sachs], citant Kourtessis c. M.N.R., [1993] 2 R.C.S. 53 [Kourtessis]; voir aussi Charkaoui, au paragraphe 136; Beer v. Saskatchewan (Highways and Infrastructure), 2016 SKCA 24, au paragraphe 3; Alberta (Attorney General) v. Malin, 2016 ABCA 396, au paragraphe 25, 406 D.L.R. (4th) 368; Ruffolo v. Jackson, 2010 ONCA 472, au paragraphe 13; Cambie Surgeries Corporation v. British Columbia (Attorney General), 2017 BCCA 287, au paragraphe 27). Ils affirment toutefois que cette règle ne vise que les garanties procédurales prévues par l’article 7 et qu’elle n’interdit pas une attaque fondée sur le fait que le déni du droit d’appel porte atteinte aux valeurs de fond sur lesquelles reposent les principes de justice fondamentale. Ils renvoient à une observation de la Cour fédérale dans la décision Mahjoub (Re), 2017 CF 334 [Mahjoub] portant que, « bien qu’il n’y ait aucun droit constitutionnel permettant d’interjeter appel, si untel appel doit être interjeté, il doit être constitutionnel » (au paragraphe 58). Les appelants soutiennent donc valoir que, même si la Constitution ne leur reconnaît pas nécessairement le droit procédural d’interjeter appel à la SAR, ils disposent néanmoins du droit fondamental de ne pas être privés d’interjeter appel à la SAR d’une manière qui soit arbitraire, de portée excessive ou totalement disproportionnée.

[66]  Il est toutefois difficile de ne pas voir les arguments des appelants comme une contestation occulte du principe selon lequel ils sont privés du droit – constitutionnel ou autre – d’interjeter appel. Les arguments qu’ils avancent à l’appui du droit d’appel ne diffèrent pas, qu’ils concernent les aspects procéduraux ou les aspects de fond de l’article 7, et ils pourraient valoir tout autant en matière d’appel visant à faire valoir directement un droit procédural garanti par l’article 7 d’interjeter appel à la SAR.

[67]  En formulant ces arguments, les appelants ont opéré une distinction entre les avantages d’un appel et le droit d’appel, caractérisant les premiers d’éléments fondamentaux et le second d’élément procédural, reproduisant ainsi les doubles éléments de l’article 7. Ce faisant, les appelants évitent habilement la doctrine de la Cour suprême du Canada en matière de droits d’appel au titre de l’article 7, et ils ne citent aucune jurisprudence limitant uniquement aux droits procéduraux la doctrine de l’arrêt Kourtessis.

[68]  Les avantages sont inhérents au droit d’appel. Il ne fait aucun doute qu’un appel améliore les chances du demandeur de demeurer au Canada. Un appel lui permet d’espérer une issue différente sur le fond, ou encore d’espérer que les risques jurisprudentiels découlant d’une défaite en appel puissent convaincre le ministre de revoir sa position. Ce n’est toutefois pas l’espoir, ni l’absence d’espoir, qui met en jeu l’article 7. Ce texte joue lorsque le demandeur est menacé de renvoi et qu’il risque la mort, la torture ou un traitement cruel et inusité (Charkaoui; Tapambwa c. Canada (Citoyenneté et Immigration)), 2019 FCA 34, droit d’interjeter appel à la Cour suprême du Canada refusé, 38589 (11 juillet 2019) [Tapambwa]). Cela est conforme aux observations de notre Cour dans l’arrêt Sachs, où elle décide que l’article 7 ne garantit pas un droit d’appel, « même dans les affaires ayant des conséquences importantes sur la vie, la liberté et la sécurité de la personne » (au paragraphe 11). Pas plus que l’article 7 ne dicte la forme que doit prendre le processus de détermination du statut de réfugié, et encore moins qu’il soit exempt d’erreurs.

[69]  Je passe à ma deuxième observation préliminaire; les arguments des appelants rappellent une argumentation fondée sur l’article 15 de la Charte. Les appelants reconnaissent qu’ils n’ont pas droit d’appel, mais ils s’estiment défavorisés d’une manière qui met en jeu l’article 7 parce que ce droit est ouvert à d’autres. Bien que les appelants cherchent à éviter les comparaisons, leur argumentation repose sur la différence de traitements entre deux catégories de demandeurs d’asile. Je reconnais qu’une loi qui crée un droit d’appel ne peut opérer de distinction fondée sur un motif interdit ou analogue (voir Mahjoub). Cependant, les appelants ne fondent pas leur argumentation sur l’article 15, bien que certains thèmes et critères consacrés à l’article 15 se retrouvent dans leurs observations sur la portée des protections de fond consacrées par l’article 7.

[70]  Aussi séduisant que soit cet argument, la transposition du texte de l’article 15 et du concept d’individus « défavorisés », et le recours aux « comparaisons » dans l’analyse relative à l’article 7, pose problème. L’article 7 a pour centre de gravité les droits particuliers du demandeur. Souligner le fait que d’autres bénéficient d’un meilleur traitement, ou que le traitement réservé à d’autres est pire, est sans conséquence. Le juge qui étudie la pertinence de l’article 7 porte une intense attention aux droits de la partie qui s’adresse à lui et cherche à déterminer si cette partie est exposée à un risque inacceptable sur le plan constitutionnel.

[71]  Ainsi qu’il a été signalé précédemment, si les droits que tirent les appelants de l’article 7 jouent, il importe peu de savoir, à cette étape, quel traitement est réservé à d’autres. Dans la mesure où des comparaisons sont faites, j’ajouterais que le bon élément de comparaison pourrait être les personnes qui arrivent à un point d’entrée terrestre du Canada en provenance des États-Unis, mais qui sont retournées. Il ne faut pas perdre de vue que les appelants ont été admis au Canada aux termes d’une exception à l’ETPS, et qu’ils ont eu la possibilité de présenter une demande d’asile au Canada. Lorsqu’on les compare aux demandeurs qui sont renvoyés, lesquels sont sans doute ceux qui pourraient le mieux se comparer à eux, il est permis de penser que les appelants bénéficient d’un traitement plus favorable. Cependant, ainsi qu’il a été mentionné, de tels arguments comparatifs n’ont pas leur place dans une analyse visant à déterminer si joue l’article 7. Dans la mesure où ils peuvent être pertinents, ces arguments sont surtout utiles pour déterminer si la privation est conforme aux principes de justice fondamentale et, dans la négative, si elle est conforme à l’article 1.

[72]  Je passe maintenant à ma troisième observation préliminaire. Il est important que les arguments qui sont présentés à notre Cour soient précis.

[73]  Les appelants reconnaissent que, si la SAR n’avait jamais été créée, on ne pourrait prétendre que l’article 7 en imposait la création. Conséquence logique, ils reconnaissent que, si les dispositions établissant la SAR avaient été abrogées, il n’y aurait aucun moyen à défendre. Il en est ainsi parce que les appelants n’allèguent pas, dans le cadre de la présente affaire, qu’il doit y avoir droit appel pour satisfaire ou compléter les exigences consacrées par l’arrêt Singh. Ils ne soutiennent pas non plus qu’un système de contrôle judiciaire est contraire à l’article 7 s’il ne prévoit pas un sursis automatique à la mesure de renvoi lorsqu’est pendante la demande. Comme l’ont noté les avocats, il s’agit d’une question ouverte. Ces arguments n’ont pas été défendus devant nous, et rien dans les présents motifs ne doit être interprété comme étant un commentaire quant au bien-fondé de tels arguments. Leur argumentation et, partant, le thème unique des présents motifs, porte que les restrictions au droit d’interjeter appel à la SAR privent les demandeurs d’une protection et les exposent à une tension psychologique accrue (du fait de la privation) d’une manière arbitraire qui a une portée excessive et qui est totalement disproportionnée. L’invalidité découle du caractère irrégulier du traitement – c’est-à-dire du risque de refoulement accru pour certains, mais pas pour tous.

[74]  Ma quatrième remarque concerne le développement du droit portant sur l’article 7 en matière de droit de l’immigration.

[75]  L’approche de la Cour suprême à l’égard de l’article 7 dans le cadre de la détermination du statut de réfugié a été critiquée par la doctrine (voir Gerald Heckman, « Revisiting the Application of section 7 of the Charter in Immigration and Refugee Protection » (2017) 68 U.N.B.L.J. 312). Selon le professeur Heckman, l’approche de la Cour à l’égard de l’article 7 dans ce contexte n’est pas cohérente avec son approche dans d’autres domaines du droit, notamment le droit pénal et les lois sur l’extradition. De même, le professeur Hamish Stewart note que, bien que les procédures pénales doivent être conformes à l’article 7 [traduction« dès le début » en raison du [traduction] « risque d’incarcération qui s’y rattache », la même logique [traduction] « ne semble pas s’appliquer aux mesures d’expulsion » (Hamish Stewart, Fundamental Justice: Section 7 of the Canadian Charter of Rights and Freedoms (Toronto: Irwin Law, 2007), à la page 81).

[76]  On peut soutenir que les appelants en l’espèce sont à une « étape » du processus de détermination du statut de réfugié qui met en jeu l’article 7, car tous les ressortissants étrangers sont visés par une mesure de renvoi conditionnelle dès qu’ils présentent une demande d’asile. Selon les paragraphes 48(1) et (2) de la LIPR, la mesure de renvoi est « exécutoire » depuis sa prise d’effet dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’un sursis, et le demandeur qui est visé par une mesure de renvoi exécutoire doit quitter le Canada immédiatement. Par conséquent, l’ordonnance conditionnelle concernant le demandeur visé par une dispense de l’ETPS entre en vigueur quinze jours après la notification d’une décision défavorable de la SPR (LIPR, alinéa 49(2)c); Règlement, paragraphe 159.91(1)), et aucune autre disposition ne prévoit de sursis. Il est donc possible de soutenir que les restrictions au droit d’interjeter appel à la SAR ne constituent pas une étape préliminaire du type en cause dans l’arrêt Febles ou dans l’arrêt B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 58, [2015] 3 R.C.S. 704 [B010], mais qu’il s’agit plutôt de l’étape [traduction] « précédant immédiatement le renvoi » (voir Heckman, à la page 347), de sorte qu’elles peuvent se prêter à un examen pour des motifs fondés sur l’article 7.

[77]  Cet argument, aussi intéressant soit-il, est contraire à la doctrine claire et cohérente de la Cour suprême, à savoir que la portée des garanties prévues à l’article 7 varie selon le contexte en jeu (Chiarelli, à la page 732). Et il en va de même en matière d’immigration. Dans l’arrêt Chiarelli, la Cour suprême reconnaît que la portée des droits conférés par l’article 7 diffère selon qu’il s’agit de citoyens ou de non-citoyens, eu égard au principe fondamental selon lequel les non-citoyens n’ont pas le droit absolu d’entrer au Canada ou d’y demeurer (page 733). Par conséquent, le renvoi d’un non-citoyen, en soi, ne fait pas jouer les droits à la liberté et à la sécurité garantis par l’article 7 (voir aussi Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); Esteban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, au paragraphe 46, [2005] 2 R.C.S. 539).

B.  Article 7 – Principes généraux

[78]  Selon l’article 7 de la Charte, chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. Dans l’arrêt Singh, la Cour suprême a précisé que le mot « chacun » employé à l’article 7 englobe toute personne qui se trouve au Canada et qui, de ce fait, est assujettie à la loi canadienne. Par conséquent, les ressortissants étrangers qui entrent au Canada sans la bonne documentation, comme c’est le cas des appelants en l’espèce, peuvent contester les restrictions au droit d’interjeter appel à la SAR au motif qu’elles violent l’article 7 de la Charte (voir aussi R. c. Appulonappa, 2015 CSC 59, au paragraphe 23, [2015] 3 R.C.S. 754).

[79]  Pour établir la violation de l’article 7, le fardeau de la preuve des appelants est double.

[80]  Ils doivent d’abord démontrer que les restrictions au droit d’interjeter appel à la SAR font jouer les droits qu’ils tiennent de l’article 7, puis que cette privation est contraire aux principes de justice fondamentale. Cette analyse en deux étapes a systématiquement été suivie par notre Cour et elle a très récemment été réitérée par la Cour suprême dans les arrêts Ewert c. Canada, 2018 CSC 30, au paragraphe 68, [2018] 2 R.C.S. 165 et Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, au paragraphe 58, [2013] 3 R.C.S. 1101 [Bedford].

[81]  Lors de la première étape de cette analyse, communément appelée « mise en jeu », les appelants doivent démontrer que l’un des droits énoncés dans la Charte est mis en jeu. Il faut également tenir compte de la nature des droits en cause (Charkaoui, au paragraphe18); en l’espèce, l’argumentation des appelants relativement à l’article 7 se limite à la sécurité de la personne. Les appelants soutiennent qu’un risque accru de refoulement met en jeu l’article 7, car le droit à la sécurité de la personne garanti par l’article 7 est coextensif au risque de persécution.

[82]  Pour s’acquitter du premier volet de leur fardeau, les appelants doivent démontrer que les dispositions controversées ont, ou pourraient avoir, « un effet préjudiciable » sur leur droit à la sécurité de la personne ou qu’elles « limitent » ou pourraient limiter ce droit, et qu’il existe un « lien de causalité suffisant » entre les restrictions au droit d’interjeter appel à la SAR et le préjudice subi (Bedford, aux paragraphes 58 et 75; R. v. Michaud, 2015 ONCA 585, au paragraphe 64, 127 O.R. (3d) 81). La norme fondée sur l’existence d’un lien de causalité suffisant n’exige pas que les restrictions au droit d’interjeter appel à la SAR soient la seule, ni même la principale, cause du préjudice. La privation et ses causes peuvent être établies par déduction raisonnable, suivant la prépondérance des probabilités (Bedford, au paragraphe 76).

[83]  La norme relative au lien de causalité pertinente lors d’une contestation au titre de l’article 7 — à savoir le « lien de causalité suffisant » — exige l’existence d’un lien réel et non hypothétique entre le préjudice subi et la disposition législative (Bedford, au paragraphe 76). La Cour suprême enseigne qu’il s’agit d’une norme souple qui « permet l’adaptation aux circonstances propres à chaque espèce » (au paragraphe 75). Dans l’arrêt Bedford, la Cour suprême a également rejeté le critère plus strict invoqué par le procureur général du Canada, concluant qu’« un critère juste et fonctionnel » suffisait pour mettre en jeu l’article 7, ce critère étant [traduction] « le point d’entrée » des demandes relevant de l’article 7 (au paragraphe 78).

[84]  Lors de la deuxième étape de l’analyse fondée sur l’article 7, les appelants doivent démontrer que l’interférence est contraire aux principes de justice fondamentale, pour établir que les restrictions au droit d’interjeter appel à la SAR portent atteinte à leur droit à la sécurité de la personne. Comme l’a observé la Cour suprême, « [l]’article 7 garantit non pas que l’État ne portera jamais atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne — les lois le font constamment —, mais que l’État ne le fera pas en violation des principes de justice fondamentale » (Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, au paragraphe 71 [2015] 1 R.C.S. 331).

[85]  Les principes de justice fondamentale comportent deux éléments : le fond et la procédure (A.C. c. Manitoba (Directeur des services à l’enfant et à la famille), 2009 CSC 30, au paragraphe 138, [2009] 2 R.C.S. 181, sous la plume de la juge en chef McLachlin, motifs concordants; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2002 CSC 1, au paragraphe 113, [2002] 1 R.C.S. 3 [Suresh]).

[86]  Les éléments de l’article 7 qui touchent la procédure dépendent du contexte propre à la loi en cause et des droits touchés (Suresh, au paragraphe 115). Autrement dit, la garantie à un processus équitable prévue par l’article 7 est fonction de la nature de l’instance et des droits en cause (Charkaoui, au paragraphe 20). Les éléments de fond de l’article 7 s’entendent des valeurs fondamentales qui sous-tendent notre ordre constitutionnel (Bedford, aux paragraphes 96 et 105).

[87]  En l’espèce, les appelants soutiennent que les restrictions au droit d’interjeter appel à la SAR sont contraires aux valeurs qui s’opposent à l’arbitraire, à la portée excessive et à la disproportion totale. Ils n’allèguent pas que, pour assurer un processus équitable, le législateur doit offrir aux demandeurs d’asile un appel et un sursis automatiques lorsqu’est pendante leur demande. Ils soutiennent plutôt, comme l’a déclaré leur avocat durant les plaidoiries, que le législateur ne peut limiter l’accès des demandeurs d’asile à la SAR, sauf si cela est fait en conformité avec les principes de fond de la justice fondamentale.

C.  Mise en jeu

[88]  En ce qui concerne la décision portée en appel, la Cour fédérale a présumé, sans toutefois trancher la question, que l’article 7 avait été mis en jeu. Je conviens avec les appelants que c’était une erreur. Le juge qui doit déterminer si une loi est contraire à l’article 7 ne doit pas, dans la conduite normale de ses activités, simplement présumer que la loi en question porte atteinte aux droits à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne ou qu’elle restreint ces droits. Il y a trois raisons à cela.

[89]  Premièrement, la portée et la substance des droits garantis par l’article 7 sont, en soi, des questions qui doivent faire l’objet d’une analyse jurisprudentielle distincte et indépendante. Leur portée doit être définie et interprétée en fonction de la loi ou de la mesure en question (voir Begum c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CAF 181, au paragraphe 99 [Begum]). Si les droits à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne ne sont pas en cause vu les faits dont est saisi le juge, l’analyse s’arrête (Begum, au paragraphe 110; Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, au paragraphe 47, [2000] 2 R.C.S. 307 [Blencoe]).

[90]  La présomption de mise en jeu s’étend également à l’analyse du lien de causalité. Le juge doit examiner le lien entre la mesure contestée et la privation. On ne doit pas tenir pour acquis le lien de causalité. En l’espèce, le lien entre la mesure et les droits garantis par l’article 7 est essentiel à l’analyse.

[91]  Enfin, le défaut de définir la nature précise de la privation réduit à néant la deuxième étape de l’analyse fondée sur l’article 7 – quant à savoir si la privation est conforme aux principes de justice fondamentale. Il est en effet impossible de déterminer si la privation est conforme aux principes de justice fondamentale, sans d’abord comprendre la nature des droits mis en cause (voir R. v. McDonald, 2018 ONCA 369, au paragraphe 37). En l’espèce, les appelants soutiennent que les restrictions au droit d’interjeter appel à la SAR sont contraires aux valeurs fondamentales qui s’opposent à l’arbitraire, à la portée excessive et à la disproportion totale de la loi (voir Bedford, au paragraphe 96). Une loi est arbitraire lorsqu’il n’existe aucun lien entre son effet et son objet; sa portée est excessive lorsque son application n’a aucun rapport avec son objectif et elle est totalement disproportionnée lorsque son effet, par rapport à son objet, déborde complètement le cadre des normes reconnues dans notre société libre et démocratique (Bedford, aux paragraphes 98, 117, 119 et 120). Ces trois notions « supposent la comparaison de l’atteinte aux droits causée par la loi avec l’objectif de la loi, et non avec son efficacité » (Bedford, au paragraphe 123).

[92]  J’examinerai maintenant les arguments soulevés par l’appelant concernant la mise en jeu.

a)  Préjudice psychologique

[93]  Le droit à la sécurité de la personne englobe la tension psychologique causée par l’État (Blencoe, aux paragraphes 56 et 57). Cependant, les répercussions sur l’intégrité psychologique d’une personne doivent être « graves et profondes » et « plus importantes qu’une tension ou une angoisse ordinaires » (Kazemi, au paragraphe 125, citant l’arrêt Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.), [1999] 3 R.C.S. 46, au paragraphe 60). Le niveau de preuve et le lien de causalité exigés pour établir que la mesure a causé une tension suffisante pour menacer la sécurité de la personne sont élevés (Canada (Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités) c. Jagjit Singh Farwaha, 2014 CAF 56, au paragraphe 122, [2015] 2 R.C.F. 1006; Begum, au paragraphe 103).

[94]  Ainsi qu’il a été signalé, pour établir la mise en jeu de l’article 7 dans une analyse fondée sur cet article, il faut démontrer qu’il existe un lien de causalité entre la mesure en cause et la privation. Dans le présent appel, le lien ou lien de causalité allégué tient au fait que le déni d’interjeter appel à la SAR augmente le risque de refoulement, ainsi que la tension et l’angoisse psychologiques.

[95]  Les appelants soutiennent que la tension causée par le déni du droit d’appel et par l’absence d’un sursis automatique prévu par la loi lorsqu’est pendante de l’appel cause une tension ou un préjudice psychologique qui met en jeu l’article 7. Autrement dit, ils soutiennent que leur angoisse est plus grande que celle qu’éprouvent les demandeurs ordinaires, parce qu’on les prive d’une deuxième possibilité de défendre leur cause. Ils s’appuient sur un affidavit exposant la tension psychologique qu’ils ont subie, ainsi qu’une preuve d’expert sur les effets psychologiques du rejet d’une demande sur le demandeur d’asile. Durant l’audition du présent appel, les avocats des appelants ont soutenu que le préjudice psychologique souffert par les appelants avait été rapidement causé par l’alinéa 110(2)d) de la LIPR, car, si les appelants avaient eu le droit d’interjeter appel à la SAR, les décisions erronées de la SPR auraient été corrigées sans qu’ils aient à présenter une demande à la Cour fédérale d’annulation des ordonnances.

[96]  En l’espèce, la juge a conclu que les éléments de preuve ne permettaient pas d’établir que la tension résultant du renvoi à la suite d’une décision défavorable de la SPR était manifestement différente de la tension résultant du renvoi faisant suite à une décision défavorable de la SAR (Kreishan, au paragraphe 124). Plus précisément, la preuve d’expert présentée par les appelants n’indiquait aucune différence quant à la nature de la tension ou à son degré. Aucun lien précis n’a donc pu être établi entre les restrictions au droit d’interjeter appel à la SAR et quelque préjudice psychologique subi par les appelants. Par conséquent, je ne vois aucune raison de revenir sur les conclusions de la juge à cet égard.

[97]  La Cour suprême s’est déjà penchée sur la question de savoir si les tensions psychologiques relatives au processus de détermination du statut de réfugié mettent ou non en jeu l’article 7. Comme nous l’avons signalé, la Cour suprême a déclaré que, « [à] elle seule, l’expulsion d’un non-citoyen ne peut mettre en cause les droits à la liberté et à la sécurité » garantis par l’article 7, car les non-citoyens n’ont pas le droit absolu d’entrer ou de demeurer au Canada – même lorsqu’on allègue un préjudice psychologique (Medovarski, aux paragraphes 45 et 46). Selon la jurisprudence Medovarski, la tension occasionnée du fait que certains demandeurs n’ont qu’une seule chance d’établir le bien-fondé de leur demande et qu’ils doivent s’adresser à la Cour fédérale ne met pas en jeu l’article 7.

[98]  Les appelants cherchent à opérer une distinction avec les faits de l’affaire Medovarski, soutenant que sa doctrine a subséquemment été circonscrite par la jurisprudence Charkaoui. Dans l’arrêt Charkaoui, la Cour suprême note (paragraphe 17) : « Si l’expulsion d’un non-citoyen dans le contexte de l’immigration n’enclenche peut-être pas en soi l’application de l’art. 7 de la Charte, certains éléments rattachés à l’expulsion, telles la détention au cours du processus de délivrance et d’examen d’un certificat ou l’éventualité d’un renvoi vers un pays où il existe un risque de torture, pourraient en entraîner l’application ». [Non souligné dans l’original.]

[99]  À l’occasion de l’affaire Charkaoui, la Cour a examiné l’article 7 au regard du paragraphe 115(2). Cette discussion ne peut être utilement invoquée par les appelants. Selon le paragraphe 115(2), la personne qui reçoit un certificat d’interdiction de territoire, et qui autrement pourrait être un réfugié au sens de la Convention ou une personne protégée, perd la protection prévue par le paragraphe 115(1) concernant le non-refoulement et peut donc, sous réserve d’un examen approprié du ministre et d’une pondération des facteurs en cause, être refoulée. Ce cas est très différent de celui du demandeur visé par une dispense de l’ETPS qui a accès à la SPR, et qui ne peut être renvoyé du Canada avant que l’on statue sur sa demande.

[100]  Je reconnais que la tension psychologique est inhérente au processus de détermination du statut de réfugié et qu’avoir une deuxième occasion d’établir le bien-fondé de sa demande offre une lueur d’espoir au demandeur débouté. Cependant, d’après les éléments de preuve présentés, la tension psychologique alléguée en l’espèce ne diffère pas de la tension ordinaire associée à l’expulsion et, conformément à la conclusion de la Cour suprême dans l’arrêt Medovarski, cela ne met pas en jeu l’article 7. En formulant cette conclusion, je n’écarte pas la possibilité que certaines circonstances uniques, selon le contexte juridique et factuel d’une affaire particulière, puissent mettre en jeu l’article 7. Quoi qu’il ne soit, comme nous l’avons signalé précédemment, le recours devant la Cour fédérale a permis à quatre des cinq appelants d’obtenir le sursis à leur renvoi et que la décision de la SPR soit infirmée. Le système a donc joué en faveur de ces appelants.

b)  Nature du processus

[101]  Les appelants soutiennent que tout régime juridique, dans le cadre duquel une personne peut, au terme d’un processus, être privée de son droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité, fait jouer l’article 7. Ils citent à nouveau l’arrêt Charkaoui, dans lequel la Cour suprême a observé que le processus de délivrance d’un certificat mettait en jeu la sécurité de l’appelant, car ce processus pouvait résulter en son renvoi du Canada vers une destination où sa vie ou sa liberté seraient menacées (au paragraphe 14). Les appelants mentionnent également le contexte de l’extradition, la Cour suprême ayant conclu que l’imposition potentielle de la peine de mort par l’État requérant suffit pour mettre en jeu l’article 7, citant à l’appui les arrêts États-Unis c. Burns, 2001 CSC 7, au paragraphe 60, [2001] 1 R.C.S. 283 et États-Unis d’Amérique c. Cobb, 2001 CSC 19, au paragraphe 34, [2001] 1 R.C.S. 587.

[102]  Ils invoquent aussi une jurisprudence la Cour suprême du Canada, R. c. Moriarity, 2015 CSC 55, [2015] 3 R.C.S. 485; la Cour a alors examiné des dispositions de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5 selon lesquelles des infractions fédérales peuvent être assujetties au système judiciaire militaire. À l’occasion de cette affaire, la Cour suprême a conclu que « le fait que [la disposition contestée] fait partie d’un régime dans lequel une personne assujettie au [Code de discipline militaire] peut être privée de sa liberté est suffisant pour qu’entre en jeu le droit à la liberté » (au paragraphe 17). Les appelants soutiennent que les restrictions au droit d’interjeter appel à la SAR font partie, de la même manière, d’un « processus » ou d’un « régime » dans le cadre duquel les demandeurs risquent d’être exposés à la persécution, à la torture et à la mort s’ils sont renvoyés dans leur pays d’origine.

[103]  L’examen de cet argument, appelle une parenthèse pour définir la notion de refoulement et préciser l’interprétation que la Cour suprême en a faite relativement à l’article 7.

(i)  Le refoulement et les risques qui y sont associés

[104]  Le point de départ est l’article 115 de la LIPR.

[105]  Le paragraphe 115(1) de la LIPR dispose :

Principe du non-refoulement

Principle of Non-refoulement

Principe

Protection

115(1) Ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée.

115(1) A protected person or a person who is recognized as a Convention refugee by another country to which the person may be returned shall not be removed from Canada to a country where they would be at risk of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion or at risk of torture or cruel and unusual treatment or punishment.

[106]  Cette disposition vise à permettre au Canada de s’acquitter de ses obligations en matière de non-refoulement aux termes de l’article 33 de la Convention. Les États signataires doivent normalement permettre aux demandeurs d’asile de rester dans le pays d’accueil jusqu’à ce qu’une décision soit rendue concernant leur demande et qu’ils aient épuisé leurs recours (Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 89, au paragraphe 41, [2002] 3 CF 537, autorisation d’interjeter appel à la Cour suprême du Canada refusée, 29183 (21 novembre 2002)).

[107]  La Cour fédérale a conclu que le non-refoulement ne concerne que les personnes reconnues comme personnes protégées, et non les demandeurs déboutés (au paragraphe 128). Cette doctrine est corroborée par l’arrêt Suresh, dans lequel la Cour suprême a observé que « [c]ette reconnaissance a un certain nombre de conséquences juridiques », notamment que « l’État ne peut généralement pas renvoyer un réfugié au sens de la Convention “dans un pays où sa vie ou sa liberté seraient menacées [...]” » (au paragraphe 7). Dans l’arrêt Febles, toutefois, la Cour suprême a noté que le paragraphe 33(1) de la Convention, qui affirme le principe de non-refoulement, vise les personnes dont le besoin de protection est reconnu ou « qui n’ont pas encore fait l’objet d’une décision » (au paragraphe 25).

[108]  Pour déterminer à qui et dans quelle mesure l’obligation de non-refoulement s’applique dans le cadre du système canadien de détermination du statut de réfugié, la Cour suprême du Canada note que, dans la mesure du possible, les lois doivent être interprétées de manière à ce que leurs dispositions soient compatibles avec les obligations du Canada issues de traités internationaux et avec les principes du droit international (Németh, au paragraphe 34), un principe codifié à l’alinéa 3(3)f) de la LIPR. D’ailleurs, le législateur est présumé « agir conformément aux obligations du Canada en tant que signataire de traités internationaux et membre de la communauté internationale et respecter les valeurs et les principes du droit international coutumier et conventionnel » (voir aussi R. c. Hape, 2007 CSC 26, au paragraphe 53, [2007] 2 R.C.S. 292; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 70 et Schreiber c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 62, au paragraphe 50, [2002] 3 R.C.S. 269 [Schreiber]).

[109]  Cependant, la Cour suprême enseigne également que la présomption que la loi met en œuvre les obligations internationales du Canada est réfutable (Németh, au paragraphe 35; Hillier v. Canada (Attorney General), 2019 FCA 44, au paragraphe 38). Si une disposition est dénuée d’ambiguïté, elle doit être observée (Schreiber, au paragraphe 50). De même, le droit est bien fixé : lorsque l’intention du législateur est claire et dénuée d’ambiguïté, on ne peut invoquer la Charte comme instrument d’interprétation pour donner à la loi un sens non voulu par le législateur (Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, aux paragraphes 61 et 62, [2002] 2 R.C.S. 559 [Bell ExpressVu]).

(ii)  La jurisprudence de la Cour suprême et ses répercussions

[110]  Il n’y a aucune différence entre le concept de refoulement prévu par la Convention et son expression claire et non ambiguë dans la LIPR. L’obligation de ne pas refouler vise les personnes reconnues comme personnes à protéger. Cependant, comme je l’explique ci-après, il importe peu finalement de savoir ou d’indiquer que les demandeurs d’asile déboutés sont refoulés, ou qu’ils sont exposés à un risque accru de refoulement, car l’article 7 est remis en jeu à l’étape du renvoi pour protéger le demandeur contre ce risque.

[111]  Les appelants soutiennent que l’obligation de non-refoulement s’étend au-delà de la décision rendue par la SPR concernant leur demande. Cela n’est pas controversé. Le droit international et le droit interne reconnaissent que le statut de réfugié est constitutif, c’est-à-dire qu’il peut être retiré mais qu’il peut aussi être rétabli. Ces appelants soutiennent donc que, pour que cette obligation soit rejetée, le demandeur débouté doit avoir accès à une juridiction d’appel.

[112]  Essentiellement, les appelants soutiennent que l’obligation de non-refoulement continue de jouer entre ces deux étapes – c’est-à-dire entre le début du processus d’examen de la demande d’asile et l’étape du renvoi – ce qui signifie que l’article 7 est mis en jeu du fait que les appelants sont engagés dans un processus qui ne réduit pas au minimum le risque de refoulement.

[113]  Cependant, ni les principes du droit international, ni ceux du droit national, ne vont dans le sens d’un tel argument.

[114]  La Convention ne prescrit pas la manière dont les États signataires doivent s’acquitter de leur obligation en matière de non-refoulement. La conception de la loi, y compris la nature de l’organisme juridictionnel – qu’il s’agisse d’un organisme administratif ou judiciaire, ou une combinaison des deux – relève du droit interne. Le droit international n’exige pas que le processus de détermination du statut de réfugié prenne une forme particulière, ni qu’un mécanisme d’appel y soit rattaché (Németh, au paragraphe 51). De même, ni la Convention, ni la Charte, n’exigent la mise en place de mécanismes de réexamen, encore moins d’un examen obligatoire par voie d’appel ou de contrôle judiciaire.

[115]  Ce que le droit international de l’immigration exige, en revanche, c’est de reconnaître que l’obligation de non-refoulement est transitoire. Il peut à tout moment être conclu que cette obligation n’existe pas. Il est possible toutefois que de nouveaux risques se manifestent après le prononcé d’une décision défavorable. Se fondant sur le traité de James C. Hathaway, The Rights of Refugees Under International Law (Cambridge: Cambridge University Press, 2005), aux pages 158 et 278), la Cour suprême a conclu dans l’arrêt Németh (paragraphe 50) :

Il s’ensuit que les droits découlant de la situation de réfugié sont temporels au sens où leur existence est liée à celle du risque et prend fin lorsque le risque disparaît. Ainsi, comme d’autres obligations imposées par la Convention relative aux réfugiés, l’obligation de non‑refoulement est donc [traduction] « entièrement fonction de l’existence d’un risque de persécution [et] elle ne contraint pas un État à permettre à un réfugié de demeurer dans son territoire lorsque le risque a cessé » : Hathaway, p. 302; R. (Yogathas) v. Secretary of State for the Home Department, [2002] UKHL 36, [2003] 1 A.C. 920, Lord Scott of Foscote, par. 106. L’appréciation du risque s’effectue au moment du renvoi envisagé : Hathaway, p. 920; Wouters, p. 99. [...]

[Non souligné dans l’original.]

[116]  Conscient que les circonstances peuvent évoluer ou qu’un nouveau risque peut se manifester, le législateur a prévu d’autres mécanismes de protection au moment du renvoi. C’est le cas notamment de l’ERAR qui vise à déterminer si le degré de risque ou la nature du risque ont changé, à la suite de changements dans la situation du pays en cause ou de nouveaux éléments de preuve mis en lumière depuis la décision rendue par la SPR. L’ERAR reconnaît que le principe de non-refoulement est prospectif et qu’en raison du délai qui s’écoule entre la décision et le renvoi, un deuxième examen de la situation dans le pays en cause peut, dans certains cas, s’avérer nécessaire (Tapambwa, au paragraphe 53). Dans le même ordre d’idées, le législateur a donné à la Cour fédérale le pouvoir de surveiller tous les aspects du processus d’immigration, de sorte que la plupart des décisions, à toutes les étapes, peuvent faire l’objet d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire et du sursis qui s’y rattache.

[117]  En termes généraux, le processus de détermination du statut de réfugié est encadré par deux modes de protection constitutionnel. L’article 7 exige ainsi que les demandeurs aient le droit d’être entendus par un décideur indépendant lorsqu’ils présentent une demande d’asile pour la première fois [Singh]. L’article 7 est de nouveau mis en jeu à la conclusion du processus, pour s’assurer que les demandeurs déboutés ou exclus qui sont renvoyés ne sont pas exposés aux risques prévus à l’article 7 (B010, au paragraphe 75). C’est pour cette raison que, comme je l’ai signalé précédemment, la discussion visant à déterminer si des demandeurs déboutés sont « refoulés » est un leurre. La jurisprudence est claire : les droits garantis par l’article 7 sont mis en jeu au moment du renvoi.

[118]  La doctrine de la Cour suprême du Canada est cohérente : les éléments de fond de l’article 7 sont pris en compte à l’étape du renvoi.

[119]  Dans l’arrêt Febles, par exemple, la Cour suprême a conclu que l’article 98 de la LIPR — qui précise les conditions dans lesquelles une personne ne peut même pas présenter de demande de protection — est compatible avec l’article 7 de la Charte, parce que même une personne ainsi exclue peut, aux termes des dispositions de la LIPR concernant l’ERAR, présenter une demande tendant à surseoir à une mesure de renvoi si cette personne est exposée à un risque de mort, de torture ou de traitements ou peines cruels ou inusités (au paragraphe 67).

[120]  La faiblesse de l’argumentation des appelants ressort clairement de la comparaison de leur situation à celle de personnes qui sont privées du droit de présenter toute demande de protection. La Cour suprême a examiné la constitutionnalité de ces circonstances dans l’arrêt B010. Citant l’arrêt Febles, la Cour suprême a observé ce qui suit au paragraphe 75 :

[...] l’art. 7 de la Charte n’entre pas en jeu lorsque vient le temps de déterminer si un migrant est interdit de territoire au Canada selon le par. 37(1). La Cour a récemment conclu dans Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68, [2014] 3 R.C.S. 431, que l’exclusion de la protection qu’offre le statut de réfugié au titre de la LIPR ne déclenchait pas l’application de l’article 7, car, « même s’il est exclu du régime de protection des réfugiés, l’appelant peut demander au ministre de surseoir à une mesure de renvoi pour le lieu en cause si le renvoi à ce lieu l’expose à la mort, à la torture ou à des traitements ou peines cruels ou inusités » (par. 67). C’est à cette étape subséquente, l’examen des risques avant renvoi, du processus d’asile établi par la LIPR que l’art. 7 entre habituellement en jeu. Le raisonnement découlant de Febles, qui visait les décisions portant « exclusion » du statut de réfugié, vaut également pour les constats d’« inadmissibilité » au statut de réfugié tirés en vertu de la LIPR.

[Non souligné dans l’original.]

[121]  Une analogie peut être établie avec les autres demandeurs d’asile qui, pour des raisons de criminalité ou de participation à des crimes contre l’humanité, sont inadmissibles au titre de l’article 1F de la Convention. Commentant le rôle de l’article 7 en lien avec cette catégorie de demandeurs, le juge Evans (tel était alors son titre) a observé, dans la décision Jekula c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 1 CF 266, 154 F.T.R. 268 [Jekula], que « s’il est vrai qu’un verdict d’irrecevabilité dénie à la demanderesse l’exercice d’un droit important, ce droit n’est pas compris dans “le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne » [...] « [l]a conclusion que la revendication n’est pas recevable n’est qu’une étape dans le processus administratif qui pourrait aboutir au renvoi hors du Canada » (aux paragraphes 31 et 32).

[122]  Il en va de même du déni du droit d’interjeter appel à la SAR. Ce n’est qu’une mesure dans un processus qui pourrait aboutir au renvoi. Les droits que garantit l’article 7 à tous les demandeurs, quels que soit le motif administratif justifiant le rejet de leur demande – à l’exception des motifs prévus à l’article 1F, du rejet par la SAR ou par la SPR et de l’irrecevabilité de la demande en l’absence d’un minimum de fondement – sont protégés à l’étape du renvoi, que ce soit par la présentation d’une demande d’ERAR ou de report de la mesure de renvoi ou par le droit de demander à la Cour fédérale de surseoir au renvoi. Cet article n’exige pas qu’il soit donné la possibilité d’interjeter appel ou de demander un contrôle judiciaire à chaque étape du processus (Canada (Secretary of State) v. Luitjens (1991), 46 F.T.R. 267, 155 Imm. L.R. (2d) 40 (F.C.T.D.)).

[123]  Les appelants soulignent le fait que les demandeurs visés par une dispense de l’ETPS sont renvoyés, en moyenne, 198 jours après une décision défavorable de la SPR. Cela se compare à un délai de 197 jours pour les demandeurs ordinaires. En raison du délai de douze mois prévu à l’alinéa 112(2)b.1) de la LIPR pendant lequel les demandeurs visés par une dispense de l’ETPS ne peuvent présenter de demande de protection, ceux-ci ne peuvent habituellement pas bénéficier d’un ERAR avant leur renvoi.

[124]  Cependant, la manière dont sont appréciés les risques visés par l’article 7, auxquels sont exposés les demandeurs à qui l’ERAR est refusé, est un processus par lequel « un agent d’exécution évalue le caractère suffisant de la preuve du risque, et, s’il est convaincu que la preuve est suffisante, reporte le renvoi et transmet à un autre décideur l’examen du risque » (Atawnah c. Canada (Sécurité publique et Protection civile) 2016 CAF 144, au paragraphe 27, [2017] 1 R.C.F. 153, autorisation d’interjeter appel à la Cour suprême du Canada refusée, 37122 (1er décembre 2016) [Atawnah]). Comme l’a souligné la juge Dawson de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Atawnah, les droits des personnes qui sont renvoyées en l’absence d’un ERAR ne sont « pas illusoires »; ils sont bien réels.

[125]  Il est également possible de présenter une demande de report, si l’absence de report exposerait le demandeur à un risque de mort, de sanction excessive ou de traitement inhumain. Plus important encore, les agents de renvoi conservent le pouvoir discrétionnaire de reporter le renvoi dans les cas où ces conditions ne sont pas rigoureusement respectées, par exemple lorsque de nouveaux éléments de preuve confirment un risque allégué qui n’avait pas précédemment été envisagé. Ou encore, lorsque des raisons peuvent expliquer la non-présentation d’éléments de preuve antérieurs à la dernière appréciation du risque (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Shpati, 2011 CAF 286, [2012] 2 R.C.F. 133 [Shpati]).

[126]  Le refus d’un agent d’exécution de reporter le renvoi peut être contesté par la présentation d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à la Cour fédérale; le demandeur peut aussi présenter une requête tendant au sursis à son renvoi dans l’attente d’une décision concernant sa demande de contrôle judiciaire. Dans le cadre d’une demande de sursis, la Cour fédérale peut procéder, et de fait procède souvent, à l’examen plus approfondi que ne peut le faire un agent d’exécution dans le cadre d’une demande de report (Shpati, au paragraphe 51).

[127]  Pour ces motifs, les arguments des appelants ne peuvent être retenus. L’article 7 est mis en jeu au moment du renvoi et il est donc possible aux demandeurs de demander le report de leur renvoi par voie administrative et, si cette démarche n’aboutit pas, de présenter une requête à la Cour fédérale tendant au sursis du renvoi. De plus, la Charte n’exige pas la mise sur pied d’une juridiction d’appel pour éviter le risque de refoulement. La LIPR, la jurisprudence de la Cour suprême du Canada et le droit international convergent tous vers ces conclusions.

c)  Risque accru de refoulement

[128]  Enfin, les appelants insistent beaucoup sur l’arrêt Bedford de la Cour suprême. La question en litige dans cette affaire concernait la constitutionnalité des dispositions du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, privant les travailleurs du sexe de l’accès à certaines mesures de sécurité, comme l’embauche d’un garde de sécurité, durant la pratique légale de la prostitution. La Cour suprême a conclu que ces dispositions mettaient en jeu l’article 7, car elles imposaient des « conditions dangereuses à la pratique de la prostitution » en empêchant des personnes qui se livrent à une activité légale de « prendre des mesures pour assurer leur propre protection contre les risques » inhérents à leur activité (au paragraphe 60; souligné dans l’original).

[129]  Les appelants voient une analogie entre les faits de cette affaire et les restrictions au droit d’interjeter appel à la SAR. Ils soutiennent que, vu les restrictions au droit d’interjeter appel à la SAR, il est plus dangereux d’être un demandeur d’asile au Canada, car ces restrictions les exposent à un risque de refoulement plus élevé que celui auxquels sont exposés les demandeurs qui ont accès à la SAR, et donc que cela met en jeu l’article 7. Ils citent à l’appui des statistiques dont il ressort que le pourcentage de demandeurs déboutés par la SPR qui ont ensuite gain de cause est plus élevé pour ceux qui portent leur cause en appel que pour ceux qui demandent un contrôle judiciaire, et ils affirment que cette différence résulte en une menace pour leur vie, leur sécurité et la sécurité de leur personne.

[130]  Les faits de l’arrêt Bedford diffèrent toutefois sur un élément fondamental. Comme je l’ai expliqué précédemment, la portée de l’article 7, à ces deux étapes, dépend du contexte. Ce contexte inclut notamment le fait que, conformément à la Constitution, les appelants ont eu droit à l’examen de leur demande d’asile (Singh) et à une appréciation des nouveaux risques avant leur renvoi (Febles, B010, Tapambwa, Atawnah). Contrairement à Mme Bedford qui avait le droit de travailler, la loi ne reconnaît aux appelants aucun droit de demeurer au Canada.

[131]  Il ressort des statistiques que 26,4 % des décisions défavorables de la SPR, qui ont été portées en appel devant la SAR entre 2013 et 2014, étaient « erronées ». De 2005 à 2010, soit avant la mise sur pied de la SAR, 7,8 % des demandes de contrôle judiciaire mises en état ont eu gain de cause. C’est cette différence de près de 19 % dans le taux de réussite qui, selon les appelants, augmente le risque de refoulement au point de mettre en jeu l’article 7.

[132]  D’entrée de jeu, même si ces statistiques peuvent nous éclairer sur le succès relatif des demandeurs d’une même catégorie générale, avant et après la mise sur pied de la SAR, j’hésite à en tirer des conclusions de fond. Ces statistiques se limitent nécessairement à une comparaison entre différents demandeurs individuels durant différentes périodes. Concrètement, nous n’avons absolument aucune information sur l’éventail potentiellement large de facteurs et de circonstances qui pourraient expliquer les différents taux de réussite (notamment l’évolution du climat socio-politique dans les pays d’origine, pour ne nommer que celui-ci). De plus, le taux moyen de demandeurs ayant eu gain de cause après avoir interjeté appel à la SAR est calculé sur une période relativement courte (deux ans par comparaison à six ans), ce qui soulève des doutes quant à la possibilité de résultats hors-normes, notamment compte tenu du caractère nouveau de la SAR durant cette période.

[133]  Mais, plus important encore, ces statistiques témoignent des problèmes latents dans l’argumentation des appelants. À quelle étape, le long du continuum des différents taux de réussite, le risque de refoulement devient-il suffisamment atténué pour ne pas mettre en jeu les droits garantis par l’article 7? Il est bien sûr impossible de répondre à cette question, et c’est pourquoi la Cour suprême, dans ses motifs, s’est concentrée sur les pôles du processus – soit la décision initiale [Singh] et, conformément au droit international, le renvoi [Suresh, Febles, B010].

[134]  Les appelants admettent que les restrictions au droit d’interjeter appel à la SAR seraient conformes à la constitution s’il n’y avait pas de différence entre le pourcentage de demandeurs ayant gain de cause, qu’il s’agisse d’une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale ou d’un appel devant la SAR. Les appelants n’auraient plus d’argument si les taux de succès étaient identiques. Bien que les appelants reconnaissent que la perfection n’est pas la norme, la subjectivité relative au choix de l’étape, le long d’un continuum, où disparaît le caractère inconstitutionnel vient renforcer la conclusion concernant la mise en jeu.

d)  Les droits positifs et l’article 7

[135]  Ce que soutiennent les appelants dans le présent appel, c’est l’existence d’un droit positif. Autrement dit, la position des appelants, selon laquelle les avantages conférés par le droit d’interjeter appel à la SAR doivent être étendus aux demandeurs visés par une dispense de l’ETPS, repose sur la prémisse portant que l’article 7 imposait au législateur l’obligation positive de créer la SAR.

[136]  La Cour suprême a toutefois rejeté l’idée voulant que l’article 7 impose des obligations positives à l’État (Gosselin c. Québec (Procureur général), 2002 CSC 84, au paragraphe 82, [2002] 4 R.C.S. 429 [Gosselin]; Charkaoui, au paragraphe 136; Febles, au paragraphe 68). Rien dans la Constitution n’oblige l’État à agir concrètement afin de garantir à chacun un droit minimum à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne. Selon la jurisprudence actuelle, il doit y avoir atteinte à ces droits pour que l’article 7 soit mis en jeu (voir Baier c. Alberta, [2007] 2 R.C.S. 673, aux paragraphes 35 et 36; Dunmore c. Ontario (Procureur général), [2001] 3 R.C.S. 1016; ETFO et al. v. Her Majesty the Queen, 2019 ONSC 1308). Par conséquent, l’absence de mesures visant à réduire un risque existant de préjudice, comme le risque de refoulement, ne constitue pas une privation au sens de l’article 7, pas plus que ne l’est le défaut d’étendre à d’autres le droit d’interjeter appel à la SAR.

[137]  Les circonstances en l’espèce sont analogues à celles qui furent examinées par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (BCCA) à l’occasion de l’affaire Scott c. Canada (Attorney General), 2017 BCCA 422. La Cour devait alors examiner ce qui avait été qualifié de régime d’indemnisation insuffisant pour les personnes blessées pendant leur service militaire. En rejetant le moyen puisé dans l’article 7, le juge Groberman a observé que cette affaire ne concernait pas [traduction] « [...] une privation imposée par le gouvernement, mais plutôt les lacunes d’un programme gouvernemental censé améliorer la situation des demandeurs » (au paragraphe 89).

[138]  À moins que le Constitution n’obligeait le législateur à établir la SAR, ni l’abrogation de la SAR ni sa limitation ne constitue une privation au sens de l’article 7 (voir Flora v. Ontario Health Insurance Plan, 2008 ONCA 538 (Ont. C.A.); Ferrell v. Ontario (Attorney General) (1998), 42 O.R. (3d) 97 (Ont. C.A.); Lalonde c. Ontario (Commission de restructuration des services de santé) (2001), 56 O.R. (3d) 505 (Ont. C.A.), au paragraphe 94). Or, si le législateur n’était pas, en premier lieu, tenu de créer la SAR, l’on ne saurait utilement soutenir qu’une restriction de la portée de son objectif d’amélioration puisse mettre en jeu l’article 7. (Je fais bien sûr abstraction des considérations au titre de l’article 15.) Par conséquent, le seul moyen qui pourrait être invoqué est que les appelants ont un droit d’appel garanti par la Constitution; cependant, selon la jurisprudence bien établie, ce moyen serait vouée à l’échec (Kourtessis; Sachs, au paragraphe 11).

[139]  Je suis conscient du fait que l’article 7 n’est pas immuable, que son contenu n’a pas été défini de façon exhaustive et, qu’un jour, des obligations positives pourraient y être ajoutées – peut-être en lien avec des droits sociaux ou économiques ou encore des droits liés à la santé ou au climat. J’ai donc examiné cette affaire avec soin pour rechercher si elle s’inscrit dans le contexte des « circonstances particulières » sur lesquelles ne s’est pas exprimée la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Gosselin, lesquelles imposeraient alors au gouvernement une obligation positive. En laissant entrevoir des possibilités d’évolution en ce sens, la juge en chef McLachlin n’a pas précisé quels critères ou facteurs pourraient constituer des circonstances particulières.

[140]  Bien qu’il soit toujours tentant de s’aventurer avec audace dans une direction inexplorée, je ne puis constater en l’espèce des circonstances particulières.

[141]  Les appelants bénéficiaient des protections sociales découlant des obligations des agents de renvoi et au pouvoir de la Cour fédérale de surseoir au renvoi et, pour quatre des cinq appelants, ce filet de sécurité leur a été favorable. En outre, sur le plan des politiques, je ne vois aucun critère objectif ni aucune mesure objective permettant d’offrir une garantie contre le risque de refoulement involontaire. Il n’existe pas de système totalement exempt d’erreur – même le système judiciaire pénal, avec ses exigences élevées en matière de preuve et de procédure, se trompe à l’occasion. Quoi qu’il ne soit, je souscrirais à l’observation du juge Groberman dans l’arrêt Scott selon laquelle rien n’indique dans l’arrêt Gosselin que l’article 7 est mis en jeu en l’absence de privation imposée par l’État. Comme le gouvernement n’a pas imposé de mesure privant les appelants d’un droit garanti par l’article 7, il n’existe en l’espèce aucune circonstance particulière.

VII.  Conclusion

[142]  La Cour fédérale a certifié la question suivante :

L’alinéa 110(2)d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, porte-t-il atteinte à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11, et, dans l’affirmative, cette infraction est-elle justifiée au regard de l’article premier?

[143]  Comme l’argumentation des appelants ne franchit pas l’étape de la mise en jeu de l’article 7, il est inutile de répondre aux questions corollaires – à savoir si les restrictions au droit d’interjeter appel à la SAR privent les appelants de leurs droits garantis par l’article 7 d’une manière conforme aux principes de justice fondamentale et, le cas échéant, si cette atteinte est justifiée par l’article 1.

[144]  Avec cette mise en garde, je répondrais à la question par la négative et je rejetterais l’appel.

« Donald J. Rennie »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Wyman W. Webb, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

J.B. Laskin, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UN JUGEMENT RENDU PAR LA COUR FÉDÉRALE LE 4 MAI 2018, DANS LES DOSSIERS RÉUNIS DE LA COUR FÉDÉRALE IMM-3193-15, IMM-248-16,

IMM-932-16, IMM-1354-16 et IMM-1604-16

DOSSIER :

A-153-18

 

INTITULÉ :

REEM YOUSEF SAEED KREISHAN et al. c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 octobre 2018

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE LASKIN

DATE DES MOTIFS :

Le 19 août 2019

COMPARUTIONS :

Jared Will

Joshua Blum

Pour l’appelante

Huda Marwan Kashtem

Wennie Lee

Pour l’appelante

Reem Yousef Saeed Kreishan

Ben Liston

Pour les appelants

Suad Sulieman Odeh Abu Shabab

Abdalla Mahmoud Aboushabab

Tagi Mahmoud Mohamed Aboshabab

David W. Tyndale

Amy King

Meva Motwani

Pour l’intimé


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jared Will & Associates

Toronto (Ontario)

Pour l’appelante

Huda Marwan Kashtem

Lee and Company

Toronto (Ontario)

Pour l’appelante

Reem Yousef Saeed Kreishan

Bureau du droit des réfugiés

Toronto (Ontario)

Pour les appelants

Suad Sulieman Odeh Abu Shabab

Abdalla Mahmoud Aboushabab

Tagi Mahmoud Mohamed Aboshabab

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimé

 

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