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Date : 20190627


Dossiers : A-325-18

A-369-18

Référence : 2019 CAF 193

[TRADUCTION FRANÇAISE]

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

MILLER THOMSON S.E.N.C.R.L., s.r.l.

appelante

et

HILTON WORLDWIDE HOLDING LLP

intimée

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 27 juin 2019.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :

LE JUGE LOCKE

 


Date : 20190627


Dossiers : A-325-18

A-369-18

Référence : 2019 CAF 193

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

MILLER THOMSON S.E.N.C.R.L., s.r.l.

appelante

et

HILTON WORLDWIDE HOLDING LLP

intimée

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LOCKE

[1]  Il s'agit d'un appel interjeté par Miller Thomson S.E.N.C.R.L., s.r.l. à l'encontre d'une décision de la Cour fédérale qui a annulé la décision du registraire des marques de commerce de radier l'inscription de la marque de commerce WALDORF‑ASTORIA qui appartient à l'intimée, Hilton Worldwide Holding LLP (Hilton). Comme Hilton a eu gain de cause et que l'enregistrement de la marque de commerce a été maintenu, la Cour fédérale a jugé inutile de trancher une autre question en litige, à savoir la demande subsidiaire présentée par Hilton en application du paragraphe 57(1) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T‑13, afin que les services mentionnés dans l'enregistrement soient modifiés pour mieux refléter les services réellement offerts au Canada (la demande subsidiaire).

[2]  Dans son appel, Miller Thomson conteste la décision de la Cour fédérale, mais, sans surprise, n'aborde pas la demande subsidiaire de Hilton. Cette question a été soulevée pour la première fois dans le présent appel dans le mémoire des faits et du droit de Hilton du 29 mars 2019. En réponse, Miller Thomson a présenté une requête en radiation des paragraphes qui renvoyaient à la demande subsidiaire. Miller Thomson a allégué que la mesure de redressement demandée dans la demande subsidiaire ne pouvait être accordée que si Hilton interjetait un appel incident.

[3]  Le 23 mai 2019, le juge Laskin de notre Cour a souscrit à la thèse de Miller Thomson et a accueilli la requête en radiation. Il a conclu que, conformément à l'alinéa 341(1)b) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, Hilton ne pouvait demander la réformation de l'ordonnance portée en appel sans interjeter d'appel incident. Au paragraphe 5 de son ordonnance, le juge Laskin a ajouté ce qui suit :

[TRADUCTION]

La présente ordonnance n'empêche pas l'intimée de demander une ordonnance l'autorisant à demander le redressement subsidiaire susmentionné conformément aux Règles.

[4]  Hilton présente maintenant une requête à l'égard de ce paragraphe 5 en vue d'obtenir :

[TRADUCTION]

1.  une ordonnance accordant à Hilton une prorogation de délai de dix jours à compter du règlement de la présente requête pour signifier et déposer un avis d'appel incident correspondant essentiellement à celui joint à l'annexe A en application de l'alinéa 341(1)b) des Règles des Cours fédérales (l'appel incident);

2.  une ordonnance que le dossier d'appel de l'appelante Miller Thomson S.E.N.C.R.L., s.r.l. (Miller Thomson) dans les appels interjetés par Miller Thomson (dossiers réunis nos A‑325‑18 et A‑369‑18) serve à l'appel incident;

3.  une ordonnance accordant à Hilton un délai de 30 jours suivant le règlement de la présente requête pour signifier et déposer son mémoire des faits et du droit pour l'appel incident;

4.  une ordonnance accordant à Miller Thomson un délai de 30 jours suivant la signification du mémoire des faits et du droit de Hilton pour signifier et déposer son mémoire des faits et du droit pour l'appel incident;

5.  une ordonnance que les audiences des appels réunis et de l'appel incident aient lieu au même moment;

6.  une ordonnance disposant que la formation qui tranchera les appels réunis et l'appel incident adjugera les dépens de la présente requête;

7.  toute autre mesure de redressement que la Cour juge convenable.

[5]  Les observations des parties lors de la présente requête portent essentiellement sur les facteurs qui doivent être pris en compte pour décider s'il convient d'accorder une prorogation de délai. Les parties semblent s'entendre sur les facteurs à prendre en compte, mais ne s'entendent pas sur la manière de les appliquer.

[6]  L'article 8 des Règles des Cours fédérales autorise les prorogations de délai. Le critère pour accorder une prorogation de délai a été examiné dans de nombreuses décisions, et notamment aux paragraphes 61 et 62 de l'arrêt Procureur général du Canada c. Larkman, 2012 CAF 204 :

[61]  Les parties s'entendent pour dire que les questions suivantes sont pertinentes lorsqu'il s'agit pour notre Cour d'exercer son pouvoir discrétionnaire pour se prononcer sur une demande de prorogation de délai :

(1)  Le requérant a‑t‑il manifesté une intention constante de poursuivre sa demande?

(2)  La demande a‑t‑elle un certain fondement?

(3)  La [partie adverse] a‑t‑elle subi un préjudice en raison du retard?

(4)  Le requérant a‑t‑il une explication raisonnable pour justifier le retard?

(Grewal c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1985] 2 C.F. 263 (C.A.); Muckenheim c. Canada (Commission de l'assurance‑emploi), 2008 CAF 249, au paragraphe 8).

[62]  Ces principes orientent la Cour et l'aident à déterminer si l'octroi d'une prorogation de délai est dans l'intérêt de la justice (Grewal, ci‑dessus, aux pages 277 et 278). L'importance de chacun de ces facteurs dépend des circonstances de l'espèce. De plus, il n'est pas nécessaire de répondre aux quatre questions en faveur du requérant. Ainsi, « une explication parfaitement convaincante justifiant le retard peut entraîner une réponse positive même si les arguments appuyant la contestation du jugement paraissent faibles et, de la même façon, une très bonne cause peut contrebalancer une justification du retard moins convaincante » (Grewal, à la page 282). Dans certains cas, surtout dans ceux qui sortent de l'ordinaire, d'autres questions peuvent s'avérer pertinentes. La considération primordiale est celle de savoir si l'octroi d'une prorogation de délai serait dans l'intérêt de la justice (voir, de façon générale, l'arrêt Grewal, aux pages 278 et 279; Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 41, au paragraphe 33; Huard c. Canada (Procureur général), 2007 CF 195, 89 Admin LR (4th) 1).

[7]  Hilton affirme que chacun de ces quatre facteurs favorise l'octroi de la prorogation de délai demandée pour lui permettre de signifier et de déposer son avis d'appel incident et qu'il est dans l'intérêt de la justice d'accorder la prorogation.

[8]  Miller Thomson ne conteste ni le premier facteur ni le troisième (intention constante de poursuivre l'appel et absence de préjudice pour Miller Thomson), mais prétend que Hilton n'a pu établir (i) que l'appel incident a un certain fondement, (ii) qu'il existe une explication raisonnable pour justifier son retard.

[9]  Je conviens avec Hilton que chacun des quatre facteurs favorise l'octroi de la prorogation de délai demandée et que cela est dans l'intérêt de la justice. J'examine les questions soulevées par Miller Thomson dans les paragraphes qui suivent.

I.  Le bien‑fondé de l'appel incident

[10]  Miller Thomson affirme que Hilton n'a pas qualité pour présenter une demande aux termes du paragraphe 57(1) de la Loi sur les marques de commerce, car elle n'est pas une « personne intéressée » au sens de cette disposition. Miller Thomson fait valoir que Hilton ne peut avoir gain de cause dans l'appel incident, puisqu'elle n'a pas qualité pour agir.

[11]  L'expression « personne intéressée » est définie comme suit à l'article 2 de la Loi sur les marques de commerce :

« personne intéressée » Sont assimilés à une personne intéressée le procureur général du Canada et quiconque est atteint ou a des motifs valables d'appréhender qu'il sera atteint par une inscription dans le registre, ou par tout acte ou omission, ou tout acte ou omission projeté, sous le régime ou à l'encontre de la présente loi. (person interested)

« person interested » includes any person who is affected or reasonably apprehends that he may be affected by any entry in the register, or by any act or omission or contemplated act or omission under or contrary to this Act, and includes the Attorney General of Canada; (personne intéressée)

[12]  Miller Thomson se fonde sur l'extrait suivant de l'arrêt Mihaljevic c. Colombie‑Britannique, no A-936‑88, 18 octobre 1990, 34 C.P.R. (3d) 54 à la page 56 (C.A.F.) (Mihaljevic), pour étayer ses prétentions que Hilton n'est pas une personne intéressée :

Une personne est intéressée au sens de l'article 2 s'il y a raisonnablement lieu de craindre qu'elle subira un préjudice quelconque si une marque de commerce n'est pas supprimée du registre. En l'espèce, que les marques de commerce de l'intimée demeurent ou non dans le registre, la situation de l'appelant demeure la même : il sera incapable d'employer sa marque parce que la radiation des marques de commerce de l'intimée n'aura pas d'incidence sur l'existence de la marque officielle « Expo ». La présence des marques de commerce de l'intimée dans le registre ne diminue et ne limite en rien les droits de l'appelant, qui ne seraient pas plus étendus si ces marques de commerce étaient radiées. [...] [Souligné par Miller Thomson.]

[13]  Miller Thomson fait valoir que Hilton, en tant que propriétaire de la marque de commerce en cause, ne pourrait jamais établir qu'elle subirait un préjudice quelconque si la marque de commerce n'était pas supprimée du registre.

[14]  Miller Thomson omet toutefois de tenir compte du fait que dans l'arrêt Mihaljevic, la demande a été présentée par une personne autre que le propriétaire de la marque de commerce. Il s'agit d'une distinction importante par rapport à l'espèce qui pourrait constituer un motif pour conclure que l'arrêt Mihaljevic n'a pas pour effet de refuser à Hilton la qualité pour agir dans l'appel incident.

[15]  Miller Thomson affirme également que l'article 41 de la Loi sur les marques de commerce prévoit la seule façon dont Hilton peut demander une modification des services énoncés dans l'inscription de sa marque. Même s'il est vrai que l'article 41 dispose que le propriétaire peut demander de modifier le registre, Miller Thomson ne renvoie à aucune jurisprudence pour étayer ses prétentions que cette disposition est la seule qui s'applique aux propriétaires d'une marque de commerce et que le paragraphe 57(1) ne s'applique pas. À mon avis, rien dans aucune de ces dispositions ne mène clairement à une telle interprétation.

[16]  Sans trancher la question de la qualité pour agir, je conclus que l'allégation de Hilton qu'elle a qualité pour agir en application du paragraphe 57(1) pourrait être bien fondée.

II.  L'explication raisonnable du retard

[17]  Miller Thomson soutient que les éléments de preuve de Hilton n'établissent pas d'explication raisonnable du retard à introduire l'appel incident. Miller Thomson note que le seul élément de preuve présenté par Hilton pour justifier son retard est l'affidavit de Christian Eriksen du 30 mai 2019 et que M. Eriksen ne fournit aucun fondement pour étayer son opinion selon laquelle on peut se fonder sur le paragraphe 57(1) de la Loi sur les marques de commerce pour obtenir un redressement sans interjeter d'appel incident. Miller Thomson se fonde sur le paragraphe 81(1) des Règles pour faire valoir qu'on ne devrait pas tenir compte des affirmations de M. Eriksen quant aux motifs du retard à interjeter l'appel incident.

[18]  Le paragraphe 81(1) des Règles des Cours fédérales est libellé comme suit :

81(1) Les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s'ils sont présentés à l'appui d'une requête — autre qu'une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire — auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l'appui.

81(1) Affidavits shall be confined to facts within the deponent's personal knowledge except on motions, other than motions for summary judgment or summary trial, in which statements as to the deponent's belief, with the grounds for it, may be included.

Il faut interpréter cette disposition en tenant compte des préoccupations au sujet du ouï‑dire. Elle vise les affirmations dans les affidavits qui ne reposent pas sur une connaissance personnelle.

[19]  En l'espèce, M. Eriksen affirme qu'il donne des directives à l'avocat de Hilton depuis le début de l'instance et qu'il a donc une connaissance personnelle des questions dont il traite dans son affidavit (au paragraphe 2). L'une de ces affirmations est qu'il croyait, jusqu'à ce que le juge Laskin rende une ordonnance indiquant le contraire, que Hilton avait le droit de présenter sa demande subsidiaire sans interjeter d'appel incident (au paragraphe 12). Même si M. Eriksen aurait pu être contre‑interrogé au sujet du caractère raisonnable de cette croyance, il ne s'agit pas de ouï‑dire. Il y a ouï‑dire lorsque les éléments de preuve pertinents sont des renseignements que l'auteur de l'affidavit a entendus ou dont on l'a informé. En l'espèce, le renseignement pertinent n'est pas ce que M. Eriksen croyait (à savoir qu'il n'était pas nécessaire d'interjeter d'appel incident), mais plutôt le fait qu'il le croyait. Compte tenu de la déclaration non contestée de M. Eriksen voulant qu'il a une connaissance personnelle des questions dont il traite dans son affidavit, je ne suis pas persuadé qu'il y ait quelque motif justifiant que l'on écarte quelque partie de l'affidavit de M. Eriksen en application du paragraphe 81(1).

[20]  Même si Hilton aurait pu fournir plus de renseignements pour étayer le caractère raisonnable de l'avis de M. Eriksen qu'il n'était pas nécessaire d'interjeter d'appel incident pour présenter la demande subsidiaire, je conclus que Hilton a fourni une explication raisonnable pour justifier le retard à interjeter l'appel incident.

III.  Conclusion

[21]  Je conclus que chacun des quatre facteurs dont il faut tenir compte pour décider d'accorder ou non une prorogation de délai favorise la prorogation demandée par Hilton. Je suis également convaincu qu'il est dans l'intérêt de la justice d'accueillir la requête.

[22]  En raison de cette conclusion et de l'absence d'opposition de la part de Miller Thomson à la plupart des autres mesures de redressement demandées dans la présente requête, ces autres mesures de redressement seront aussi accordées.

[23]  Enfin, j'accède à la demande de Hilton que les dépens afférents à la présente requête soient adjugés par la formation qui instruira les appels réunis et l'appel incident.

« George R. Locke »

j.c.a.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossiers :

A-325-18

A-369-18

 

INTITULÉ :

MILLER THOMSON S.E.N.C.R.L., s.r.l. c. HILTON WORLDWIDE HOLDING LLP

 

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 27 juin 2019

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

David M. Reive

Aiyaz A. Alibhai

 

Pour l'appelante

 

Jonathan G. Colombo

Amrita V. Singh

 

Pour l'intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Miller Thomson S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

Pour l'appelante

 

Bereskin & Parr S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

Pour l'intimée

 

 

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