Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20190918


Dossier : A-283-19

Référence : 2019 CAF 233

CORAM :  LE JUGE BOIVIN

LA JUGE RIVOALEN

LE JUGE LOCKE

ENTRE :

DAVID LESSARD-GAUVIN

appelant

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

Requête écrite décidée sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 18 septembre 2019.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE LOCKE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE RIVOALEN

 


Date : 20190918


Dossier : A-283-19

Référence : 2019 CAF 233

CORAM :  LE JUGE BOIVIN

LA JUGE RIVOALEN

LE JUGE LOCKE

ENTRE :

DAVID LESSARD-GAUVIN

appelant

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE LOCKE

I.  Contexte

[1]  Cette décision concerne une requête par l’intimé pour rejeter l’avis d’appel dans ce dossier.

[2]  Le présent appel fait suite à une décision de la Cour fédérale (le juge Mosley) en date du 24 juillet 2019 rejetant une requête de l’appelant visant (i) à faire réviser une taxation des frais (en vertu de l’article 414 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles]); et (ii) une ordonnance en vue de faire comparaître une personne pour outrage au tribunal pour déclaration fausse ou parjure.

[3]  En ce qui concerne la taxation des frais, la Cour fédérale a noté qu’elle devait seulement intervenir si l’officier taxateur (l’Officier) avait commis une erreur de principe ou accordé un montant si inapproprié ou déraisonnable que le montant suggère une erreur de principe (McMeekin c. Canada (Ressources Humaines et Développement des compétences), 2012 CF 58 aux para. 4–5; Butterfield c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 385 au para 8). La Cour fédérale a également noté qu’elle ne devait intervenir que dans les cas les plus manifestes (Apotex Inc. c. Merck & Co. Inc., 2008 CAF 371 aux para. 16–17).

[4]  L’appelant avait soumis que l’Officier avait erré en appliquant une valeur unitaire de 150 $ pour les buts de la taxation (valeur qui s’appliquait le jour de la taxation) au lieu de 140 $ (valeur qui s’appliquait le jour du jugement accordant les frais). La Cour fédérale a rejeté cet argument invoquant la jurisprudence constante des cours fédérales à ce sujet (Rogers Communications Incorporated c. Buschau, 2012 CAF 100 aux para. 9, 14, 22 [Rogers]; Horn c. Canada, 2010 CF 501 au para. 26; Ferme avicole Kiamika Inc. c. Canada (Ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire), 2006 CF 1392 au para. 3; Doucet c. Canada (Procureur Général), 2005 CAF 268 au para. 5; Kumar c. Canada, 2006 CAF 256 au para. 7; Tucker c. Canada, 2007 CAF 133 aux para. 1 et 4). La Cour fédérale a conclu qu’elle était liée par cette jurisprudence. De plus, la Cour fédérale a rejeté l’argument de l’appelant voulant que l’Officier aurait dû tenir compte du droit québécois à l’effet que « la loi qui règle les formes et les effets du jugement est la loi du jour du jugement.»

[5]  La Cour fédérale a aussi rejeté l’argument de l’appelant à l’effet que les principes fondamentaux de justice n’ont pas été respectés par l’Officier en raison de son défaut de prendre des mesures afin d’apprendre davantage sur les détails du mémoire des frais après que l’intimé ait reconnu que son mémoire des frais avait été préparé par une parajuriste et non pas par un avocat, tel que suggéré dans le mémoire des frais.

[6]  En ce qui concerne l’aspect de la requête visant une ordonnance en vue de faire comparaître une personne pour outrage au tribunal, la Cour fédérale a conclu qu’il manquait un élément nécessaire aux prétentions de l’appelant, plus spécifiquement, l’intention de la parajuriste de tromper. La Cour fédérale a ajouté que l’appelant n’a jamais demandé à contre-interroger la parajuriste en question.

II.  L’avis d’appel

[7]  Suivant la décision de la Cour fédérale, l’appelant a déposé un avis d’appel alléguant les erreurs suivantes :

  • La Cour fédérale n’aurait pas dû se considérer tenue par la jurisprudence des cours fédérales sur la question de la norme de contrôle de la décision de l’Officier, et la Cour fédérale aurait dû appliquer la même norme de contrôle qui s’applique aux décisions des protonotaires;

  • La Cour fédérale a fait défaut d’appliquer tous les principes légaux applicables à la détermination de la date pertinente à la valeur unitaire à appliquer à la taxation des frais, et plus particulièrement la Cour fédérale n’a pas considéré l’effet des décisions de la Cour suprême du Canada dans Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101 [Bedford], et Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 R.C.S. 331 [Carter], sur le principe de stare decisis;

  • La Cour fédérale a erré en ne reconnaissant pas un manque d’équité procédurale par l’Officier.

III.  La requête par l’intimé pour rejeter l’avis d’appel

[8]  Dans ses prétentions écrites à l’appui de sa requête, l’intimé soutient que la Cour possède le pouvoir inhérent de radier un avis d’appel lorsqu’il est évident et manifeste que l’appel est voué à l’échec (Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Arif, 2010 CAF 157 au para. 9). L’appelant ne s’objecte pas à cet argument.

[9]  L’intimé soumet que le critère pour radier l’avis d’appel est satisfait dans la présente instance. Il prétend que, pour chacune des erreurs alléguées dans l’avis d’appel, la position de l’appelant est sans fondement et/ou vague, et qu’il est évident et manifeste que l’appel est voué à l’échec.

IV.  La réponse de l’appelant sur la requête

[10]  En réponse, l’appelant insiste que le seuil pour radier l’avis d’appel est très élevé. Il note aussi l’extrait suivant de la décision dans R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, [2011] 3 R.C.S. 45, au para. 21:

L’histoire de notre droit nous apprend que souvent, des requêtes en radiation ou des requêtes préliminaires semblables, à l’instar de celle présentée dans Donoghue c. Stevenson, amorcent une évolution du droit. Par conséquent, le fait qu’une action en particulier n’a pas encore été reconnue en droit n’est pas déterminant pour la requête en radiation. Le tribunal doit plutôt se demander si, dans l’hypothèse où les faits allégués seraient avérés, il est raisonnablement possible que l’action soit accueillie. L’approche doit être généreuse et permettre, dans la mesure du possible, l’instruction de toute demande inédite, mais soutenable.

[11]  L’appelant fait aussi référence aux décisions Bedford et Carter, incluant l’extrait suivant du paragraphe 44 de Carter:

La doctrine selon laquelle les tribunaux d’instance inférieure doivent suivre les décisions des juridictions supérieures est un principe fondamental de notre système juridique. Elle confère une certitude tout en permettant l’évolution ordonnée et progressive du droit. Cependant, le principe du stare decisis ne constitue pas un carcan qui condamne le droit à l’inertie. Les juridictions inférieures peuvent réexaminer les précédents de tribunaux supérieurs dans deux situations : (1) lorsqu’une nouvelle question juridique se pose; et (2) lorsqu’une modification de la situation ou de la preuve « change radicalement la donne » (Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101, par. 42).

[12]  L’appelant soumet donc que la présence dans un avis d’appel d’une «nouvelle question juridique» ou d’une «modification de la situation ou de la preuve changeant radicalement la donne» devrait automatiquement faire échec à une requête en radiation.

[13]  En ce qui concerne la norme de contrôle applicable à la décision de l’Officier, l’appelant soumet que la décision de la Cour d’appel fédérale dans Corporation de soins de la santé Hospira v. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 [Hospira], qui discutait de la norme de contrôle pour les décisions des protonotaires, a modifié la situation et a changé radicalement la donne, tel que prévu dans les arrêts Bedford et Carter. Selon l’appelant, la Cour fédérale a erré en refusant de reconnaître ce changement et de reconsidérer la jurisprudence applicable. L’appelant prétend que la norme de contrôle applicable aux décisions des protonotaires devrait s’appliquer pareillement aux décisions des officiers taxateurs.

[14]  En ce qui concerne la date pertinente pour déterminer la valeur unitaire pour une taxation des frais, l’argument de l’appelant est que la Cour fédérale aurait dû appliquer une règle d’interprétation pancanadienne de droit transitoire, incluant la jurisprudence québécoise à l’effet que « la loi qui règle les formes et les effets du jugement est la loi du jour du jugement. » Il soumet que la Cour fédérale aurait dû conclure que l’Officier avait erré en utilisant la date de la taxation pour déterminer la valeur unitaire. L’appelant note que la Cour fédérale a reconnu que la jurisprudence des cours fédérales sur ce sujet ne discute pas des principes juridiques applicables. L’appelant soumet aussi que la date applicable à la valeur unitaire pour une taxation des frais est une question de droit (ou de principe), et donc la Cour fédérale aurait dû intervenir.

[15]  En ce qui concerne la question de l’équité procédurale, l’appelant allègue deux erreurs par la Cour fédérale : (i) qu’elle a enfermé la question dans une norme de contrôle, et (ii) qu’elle n’a pas appliqué le cadre d’analyse requis concernant l’équité procédurale, tel que défini dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 [Baker]. L’appelant avait demandé à l’Officier de prendre des mesures pour obtenir plus de détails concernant le mémoire des frais, ce que l’Officier n’a pas fait. L’appelant note aussi que l’Officier n’a pas fait mention de la possibilité de contre-interroger l’affiant qui appuyait le mémoire des frais.

V.  Analyse

A.  Seuil pour rejeter un appel

[16]  Les parties ne divergent pas considérablement sur le critère pour radier un avis d’appel. Je réfère le lecteur aux paragraphes [8] et [10] à [12] ci-dessus.

B.  Norme de contrôle de la décision de l’Officier

[17]  Les parties ne divergent pas considérablement aussi sur la jurisprudence actuelle applicable à la norme de contrôle d’une décision d’un officier taxateur. Je réfère le lecteur au paragraphe [3] ci-dessus.

[18]  L’argument de l’appelant sur cette question est que l’arrêt Hospira a changé radicalement la donne, et que suivant les arrêts dans Bedford et Carter, il s’ensuit que l’appel n’est pas voué à l’échec.

[19]  Je ne suis pas convaincu que l’arrêt Hospira a changé radicalement la donne en ce qui concerne les officiers taxateurs de la façon dont la Cour suprême du Canada en faisait référence dans Bedford et Carter. Tel que mentionné, l’arrêt Hospira concernait la norme de contrôle applicable aux décisions des protonotaires. La Cour d’appel fédérale, dans cette décision, était satisfaite qu’il y ait un changement radical à la donne à cause de l’évolution du rôle des protonotaires de la Cour fédérale au point que, avec certaines exceptions, « ils remplissent en fait les mêmes fonctions que les juges de la Cour fédérale. » La même chose ne peut pas être dite pour les officiers taxateurs qui ont un rôle beaucoup plus restreint à la Cour fédérale. Il n’y a aucune suggestion devant la Cour que leur rôle a évolué d’une façon à changer radicalement la donne.

[20]  Le raisonnement dans Hospira ne s’applique pas aux officiers taxateurs. Donc, il n’y aucune raison de revisiter la question de la norme de contrôle en révision de la décision de l’Officier. Je conclus qu’il est évident et manifeste que l’argument de l’appelant sur la norme de contrôle est voué à l’échec.

[21]  De plus, les erreurs alléguées par l’appelant sont toutes des questions de droit ou d’équité procédurale. Il semble donc que la norme de contrôle resterait sensiblement inchangée même si on appliquait la norme de contrôle de l’arrêt Hospira. C’est précisément ce que l’appelant reconnait au paragraphe 20 de ses prétentions écrites, ce qui est en fait une autre raison de conclure que l’argument de l’appelant sur la norme de contrôle est voué à l’échec.

VI.  Date pour la détermination de la valeur unitaire

[22]  La jurisprudence sur la question de la date à laquelle on doit déterminer la valeur unitaire pour la taxation des frais est bien établie. La Cour fédérale a cité plusieurs décisions à l’effet que c’est la date de la taxation qui s’applique (voir le paragraphe [4] ci-dessus). Une de ces décisions revêt une plus grande importance puisque la question de la date de la taxation a été débattue et la Cour a rendu sa décision précisément sur ce point : (Rogers aux para. 9, 14, 22).

[23]  L’appelant ne fait référence à aucune décision qui contredit clairement cette jurisprudence établie. À mon avis, la référence faite par l’appelant à la jurisprudence québécoise (voir le paragraphe [14] ci-dessus) n’est pas suffisante. L’appelant n’identifie pas cette jurisprudence dans ses prétentions écrites, mais la décision de l’Officier indique que l’appelant faisait référence devant elle à l’arrêt Al Sammour c. Jmour, 2016 QCCS 46. À la note de bas de page numéro 22 à la fin de sa décision, la Cour supérieure indique que le Code de procédure civile qui était en vigueur pendant le procès ne s’appliquait pas à la détermination des frais parce que, pendant la délibération de la décision, il a été remplacé par le nouveau Code. Même en suivant cette référence, il n’est pas du tout clair que la date pertinente soit la date du jugement accordant les frais au lieu de la date de la taxation des frais. Cette décision isolée ne peut à elle seule infirmer la jurisprudence établie des cours fédérales.

[24]  Je conclus que l’argument de l’appelant voulant que la valeur unitaire applicable à la taxation des frais soit de 140 $ est voué à l’échec.

VII.  Équité procédurale

[25]  L’argument de l’appelant selon lequel la Cour fédérale a enfermé la question dans une norme de contrôle est sans fondement. La Cour fédérale a démontré clairement qu’elle comprenait que l’appelant avait droit à l’équité procédurale devant l’Officier, et que tout manque d’équité procédurale aurait donné droit à sa requête.

[26]  La Cour fédérale a conclu qu’il n’y avait aucune atteinte aux principes fondamentaux de justice (incluant l’équité procédurale) de la part de l’Officier. La Cour fédérale a indiqué que l’Officier avait un pouvoir discrétionnaire d’émettre ou non une directive ou une ordonnance visant les renseignements additionnels que l’appelant cherchait. La Cour fédérale a noté aussi que l’appelant n’avait jamais essayé d’obtenir lesdits renseignements additionnels par voie de contre-interrogatoire. L’appelant n’offre aucune autorité pertinente pour appuyer son argument voulant que la Cour fédérale a erré dans ses conclusions. De plus, l’appelant n’invoque aucune autorité indiquant que l’Officier était obligé de faire mention de la possibilité de contre-interroger.

[27]  De plus, le fait que la Cour fédérale n’a pas fait mention de l’arrêt Baker dans sa décision ne constitue pas une erreur. L’appelant n’invoque aucune autorité à l’appui de l’argument contraire. De plus, l’appelant n’avance aucun raisonnement qui pourrait mener à la conclusion qu’une analyse des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker aurait pu exposer un manque d’équité procédurale.

[28]   Je conclus donc que l’argument de l’appelant à l’effet qu’il y avait un manque d’équité procédurale devant l’Officier est voué à l’échec.

VIII.  Conclusion

[29]  L’appelant demande que cette Cour lui signale toute lacune de preuve ou de procédure quant à son dossier de réponse pour la présente requête, ainsi qu’à son avis d’appel. Il cite l’article 60 des Règles. Je ne suis pas certain du type de renseignements qu’il cherche, mais je n’ai rien à ajouter aux motifs ci-dessus.

[30]  J’accorderais la présente requête de l’intimé et je rejetterais l’avis d’appel, avec dépens, en faveur de l’intimé au montant de 1000 $, tout inclus.

« George R. Locke »

j.c.a.

«Je suis d’accord.

Richard Boivin j.c.a.»

«Je suis d’accord.

Marianne Rivoalen j.c.a.»


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-283-19

INTITULÉ :

DAVID LESSARD-GAUVIN c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

REQUÊTE ÉCRITE DÉCIDÉE SANS COMPARUTION DES PARTIES.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE LOCKE

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE RIVOALEN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 septembre 2019

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

David Lessard-Gauvin

 

SE REPRÉSENTANT SEUL

 

Marilou Bordeleau

 

Pour l'intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour l'intimé

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

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