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Date : 20190918


Dossier : A-258-18

Référence : 2019 CAF 232

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

 

 

ALLAN J. HARRIS

 

 

appelant

 

 

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

intimé

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 27 juin 2019.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 18 septembre 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LE JUGE DE MONTIGNY

 


Date : 20190918


Dossier : A-258-18

Référence : 2019 CAF 232

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

 

 

ALLAN J. HARRIS

 

 

appelant

 

 

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1] Dans le présent appel, la Cour doit décider si la déclaration modifiée, que M. Harris a déposée auprès de la Cour fédérale, devrait être radiée. M. Harris réclame certains jugements déclaratoires et dommages-intérêts non précisés en application du Règlement sur l’accès au cannabis à des fins médicales, DORS/2016-230 (le RACFM) (lequel a été abrogé le 17 octobre 2018 conformément au paragraphe 33 du DORS/2018-147). La Couronne avait présenté une requête en vue d’obtenir la radiation de la déclaration de M. Harris. La Cour fédérale (décision 2018 CF 765) a accueilli la requête en partie, en radiant les parties de la déclaration de M. Harris relatives à l’allégation selon laquelle le RACFM aurait eu pour effet de lui subtiliser du temps de son droit de disposer d’un permis de cultiver du cannabis, mais la Cour a rejeté la requête de la Couronne à tous autres égards.

[2] M. Harris a interjeté appel à l’égard des parties radiées de sa déclaration. La Couronne a quant à elle déposé un avis d’appel incident à l’égard des parties non radiées de la déclaration de M. Harris.

[3] Pour les motifs qui suivent, j’accueillerais l’appel incident de la Couronne et je rejetterais l’appel de M. Harris. Par conséquent, je radierais la déclaration modifiée.

I. Contexte

[4] M. Harris a déposé auprès de la Cour fédérale une brève déclaration modifiée. Elle semble provenir d’un formulaire copié en ligne et elle comprend des paragraphes facultatifs qui ne s’appliquent pas à M. Harris. Par exemple, le paragraphe numéro 5 comprend la mention [traduction] « en option en cas de renouvellement ». M. Harris n’a rempli aucun des espaces vides de ce paragraphe.

[5] Au paragraphe 1, M. Harris a indiqué solliciter :

[traduction]

A) une déclaration selon laquelle la longue période de traitement des inscriptions et renouvellements aux termes du Règlement sur l’accès au cannabis à des fins médicales (le RACFM) contrevient au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité conféré par l’article 7 de la Charte en l’absence d’un principe de justice fondamentale, tel qu’une guerre ou une urgence, exigeant ou permettant d’absoudre cette contravention; il sollicite en outre une mesure de réparation sous forme de dommages-intérêts non précisés aux termes de l’article 24 de la Charte, selon la valeur de l’ordonnance du demandeur pendant tout retard que la Cour établira comme inapproprié à l’égard d’une période de traitement raisonnable d’une inscription à des fins médicales;

B) une déclaration selon laquelle le fait d’antidater la période d’inscription et de renouvellement de la date d’entrée en vigueur de l’inscription ou de la date d’expiration des renouvellements comme le prévoit le Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales (le RAMFM) jusqu’à la date à laquelle le médecin a signé l’ordonnance aux termes du RACFM, contrevient aux droits des patients conférés par l’article 7 de la Charte; il demande également réparation pour la durée totale de l’ordonnance afin qu’elle prenne effet à la date d’entrée en vigueur de l’inscription et à la date d’expiration de l’inscription renouvelée, à l’image des cartes d’assurance maladie, des permis de conduire et du RAMFM.

[Souligné dans l’original.]

[6] M. Harris a présenté très peu de faits à l’appui de sa demande. Voici les seuls faits indiqués dans sa déclaration modifiée et applicables à sa situation :

  • il possédait un document médical lui permettant de faire usage de cannabis à des fins médicales en application du RACFM;

  • il a présenté une demande aux termes du RACFM aux fins d’inscription à titre de cultivateur de cannabis à des fins médicales le 11 juin 2017;

  • sa demande a été acceptée et il a reçu un permis dont la date d’entrée en vigueur est le 11 octobre 2017 et dont la date d’expiration est le 23 mars 2018;

  • dix champs de données (probablement issus du formulaire de demande qu’il a présenté aux termes du RACFM) sont indiqués;

  • aux termes du RAMFM (DORS/2001-227 – abrogé; DORS/2013-119, paragraphe 267), la durée de traitement d’une demande était plus courte et l’inscription prenait effet à la date d’effet de la délivrance du permis, alors qu’aux termes du RACFM, la durée de traitement d’une demande est plus longue et l’inscription est antidatée jusqu’à la date à laquelle le médecin a signé le document médical.

[7] M. Harris mentionne d’autres faits qui ne s’appliquent pas à lui. Par exemple, il mentionne un délai de 30 semaines (et plus de six mois) pour traiter une demande, mais sa demande a été traitée en quatre mois.

[8] M. Harris mentionne qu’aux termes du RACFM, tout renouvellement est également antidaté jusqu’à la date à laquelle le médecin a signé le document médical. Il affirme que les consultations plus fréquentes auprès du médecin lui coûtent plus d’argent et que l’attente du courrier concernant le renouvellement ou non de l’inscription avant la date d’expiration du permis existant (à laquelle il faut détruire les plantes) est une source de stress. Toutefois, sa déclaration est fondée sur sa demande initiale d’inscription aux termes du RACFM, et non sur un renouvellement de son inscription. Il n’existe aucun fait allégué en lien avec un renouvellement d’inscription, de quelque nature que ce soit, par M. Harris.

[9] Selon la déclaration modifiée de M. Harris, le juge de la Cour fédérale, au paragraphe 33 de ses motifs, a commencé par la proposition selon laquelle M. Harris :

a le droit d’obtenir un permis de culture de la marihuana à des fins médicales s’il satisfait au critère d’un régime de permis conforme à la Charte et établi en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances [L.C. 1996, ch. 19] et du Règlement sur les stupéfiants [C.R.C., ch. 1041]. Ce droit a été confirmé par la Cour suprême du Canada ainsi que par la Cour fédérale et diverses cours supérieures.

[Renvois ajoutés.]

[10] En se fondant sur cette proposition et sur son acceptation des faits plaidés par M. Harris, le juge de la Cour fédérale a conclu que la requête en vue d’obtenir la radiation de la déclaration modifiée devait être rejetée, sauf en ce qui concerne l’allégation de M. Harris selon laquelle le régime a eu pour effet de subtiliser du temps de la durée de son droit de disposer d’un permis de cultiver du cannabis pendant l’intégralité de la période couverte par son ordonnance.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[11] La Cour est appelée à décider si le juge de la Cour fédérale a commis une erreur en omettant de radier les autres parties de la déclaration de M. Harris et s’il a commis une erreur en radiant les parties de la déclaration de M. Harris concernant le temps subtilisé de la durée pendant laquelle M. Harris était en droit de cultiver du cannabis. Les questions de droit doivent être examinées selon la norme de la décision correcte. Les questions de fait (y compris les questions de droit et de fait, sauf si elles comprennent une question de droit isolable) doivent quant à elles être examinées selon la norme de l’erreur manifeste et dominante (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235).

III. Analyse

[12] Bien que le juge de la Cour fédérale ait affirmé, au paragraphe 33 de ses motifs, que M. Harris avait le droit d’obtenir un permis de culture de la marihuana à des fins médicales dans certains cas, il n’a invoqué aucune jurisprudence à l’appui de cette proposition. Il semble que le juge de la Cour fédérale s’est appuyé sur la décision de la Cour fédérale Allard c. Canada, 2016 CF 236, [2016] 3 R.C.F 303, qu’il a mentionnée au paragraphe 11 de ses motifs. Dans la décision Allard, la Cour fédérale a invoqué le jugement de la Cour suprême du Canada R. c. Smith, 2015 CSC 34, [2015] 2 R.C.S. 602. Toutefois, après lecture, j’estime que ni la décision Allard ni l’arrêt Smith n’appuie la proposition du juge de la Cour fédérale.

[13] Dans l’arrêt Smith, la Cour suprême du Canada était appelée à décider si le règlement afférent à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19, contrevenait indûment aux droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne conférés par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11. La Cour suprême a noté que le règlement en cause permettait seulement l’utilisation de marihuana séchée aux fins de traitement médical. La possession de produits du cannabis extraits de composés médicinaux actifs présents dans la plante de cannabis était encore interdite.

[14] La Cour suprême du Canada a conclu qu’« un régime d’accès médical qui restreint l’accès à la marihuana uniquement à sa forme séchée porte atteinte de façon injustifiable au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne reconnu à l’art. 7 de la Charte ». Toutefois, en l’espèce, les questions en litige concernent le règlement aux termes duquel M. Harris serait en droit de cultiver sa propre marihuana. Rien dans la déclaration de ce dernier ne fait valoir la moindre différence entre la marihuana qu’il aurait cultivée et celle qu’il aurait pu acheter auprès d’une personne autorisée à en vendre aux termes du RACFM.

[15] Dans la décision Allard, le juge a abordé les préoccupations concernant le Règlement sur la marihuana à des fins médicales (DORS/2013-119 – abrogé par le DORS/2016-230, paragraphe 281) (le RMFM), qui diffère du règlement visé par la déclaration modifiée de M. Harris. Le RACFM a remplacé le RMFM après la décision Allard. Dans cette décision, le juge Phelan a noté ce qui suit, au paragraphe 14 de ses motifs : « la présente affaire ne porte pas sur le droit d’avoir accès à des « drogues peu coûteuses » ni sur le droit de cultiver sa propre marihuana, et les demandeurs ne cherchent pas [sic] établir un tel droit positif par rapport au gouvernement ».

[16] Aucune des parties n’a présenté d’élément faisant autorité à l’appui de la proposition selon laquelle M. Harris jouit d’un droit constitutionnel de cultiver son propre cannabis.

[17] Dans sa déclaration modifiée, M. Harris cherche à obtenir des mesures de réparation liées à deux situations : la demande initiale d’inscription aux termes du RACFM (lui permettant de cultiver sa propre marihuana), d’une part, et le renouvellement de cette inscription, d’autre part.

A. La demande initiale

[18] Selon les faits, tels qu’ils sont allégués par M. Harris en ce qui concerne sa demande d’inscription aux termes du RACFM, M. Harris possédait simplement un document médical l’autorisant à utiliser du cannabis à des fins médicales; il a dû attendre environ quatre mois avant d’obtenir son inscription; en application du règlement précédent, le délai de traitement était plus court; et la date d’entrée en vigueur de son inscription est différente de ce qui était prévu aux termes du règlement précédent.

[19] Toutefois, ces faits ne fournissent aucune indication sur la manière dont son « droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne et [son droit à ce qu’il ne soit] porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale », comme le prévoit l’article 7 de la Charte, ont été bafoués. Lorsqu’une personne cultive sa propre marihuana, elle doit nécessairement attendre un certain temps avant que le plant de marihuana parvienne à maturité et fournisse un produit utilisable. M. Harris n’a présenté aucun fait à l’appui de son allégation selon laquelle l’attente supplémentaire de quatre mois pour son inscription (afin d’être autorisé à cultiver ses propres plants) l’a dépossédé de son droit « à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne ». Rien n’indique que M. Harris ne pouvait pas obtenir autrement de la marihuana pendant la période d’attente auprès d’une personne autorisée à en vendre aux termes du RACFM.

[20] Les faits, tels qu’ils sont allégués par M. Harris, sont insuffisants pour appuyer une demande fondée sur l’article 7 de la Charte à l’égard de sa demande initiale d’inscription aux termes du RACFM.

[21] En l’espèce, il existe un autre motif de radier cette partie de la déclaration modifiée de M. Harris concernant ses déclarations visées par la revendication à l’égard du RACFM. Étant donné que le règlement en question a été abrogé, toute déclaration à son égard est vide de sens. La Couronne n’a toutefois pas soulevé cette question.

B. Le renouvellement de l’inscription

[22] M. Harris n’avait terminé aucun processus de renouvellement de son inscription avant de présenter sa déclaration modifiée. Par conséquent, tout fait allégué dans sa déclaration modifiée à l’égard d’un renouvellement d’inscription (comme il a été résumé au paragraphe 8 qui précède) ne saurait s’appliquer à M. Harris. Ces faits allégués à l’égard du processus de renouvellement constituent une hypothèse seulement de ce que M. Harris pourrait subir s’il déposait une demande de renouvellement d’inscription. Les faits applicables à autrui (que M. Harris utilise afin d’émettre une hypothèse sur le déroulement de sa demande éventuelle de renouvellement d’inscription) ne peuvent être utilisés pour appuyer son affirmation énoncée dans la déclaration modifiée, selon laquelle les droits qui lui sont conférés par l’article 7 de la Charte ont été bafoués.

IV. Conclusion

[23] Par conséquent, M. Harris n’a pas présenté suffisamment de faits à l’appui de ses déclarations (lesquelles, comme il a été mentionné précédemment, visent un règlement qui a été abrogé) et des dommages-intérêts qu’il réclame.

[24] Par conséquent, j’accueillerais l’appel incident de la Couronne et je rejetterais l’appel de M. Harris. Annulant l’ordonnance délivrée par la Cour fédérale en l’espèce et rendant la décision qui aurait dû être celle de la Cour fédérale, j’accueillerais la requête de la Couronne en vue d’obtenir la radiation de la déclaration modifiée de M. Harris et je radierais la déclaration sans autorisation de la modifier. Je n’allouerais aucuns frais ou dépens à l’égard de la requête déposée auprès de la Cour fédérale, mais j’allouerais des frais et dépens à la Couronne pour l’appel incident.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

D. G. Near j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny j.c.a. »

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL INTERJETÉ D’UNE ORDONNANCE DE LA COUR FÉDÉRALE DATÉE DU 20 JUILLET 2018, NUMÉRO DE RÉFÉRENCE 2018 CF 765 (NUMÉRO DE DOSSIER T-1379-17)

DOSSIER :

A-258-18

 

INTITULÉ :

ALLAN J. HARRIS c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver

(Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 27 juin 2019

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LE JUGE DE MONTIGNY

DATE DES MOTIFS :

Le 18 septembre 2019

COMPARUTIONS :

Allan J. Harris

POUR SON PROPRE COMPTE

Jon Bricker

Pour l’intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimé

 

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