Date : 20190920
Dossiers : A-208-18, A-209-18, A-210-18,
A-211-18, A-212-18, A-213-18, A-214-18,
A-215-18, A-216-18, A-218-18, A-219-18,
A-220-18, A-221-18, A-222-18
Référence : 2019 CAF 235
[TRADUCTION FRANÇAISE]
CORAM :
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LE JUGE NADON
LE JUGE WEBB
LA JUGE WOODS
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ENTRE :
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ANTHONY TEDESCO, AHMAD YAQEEN, MAURIZIO MARCHIONI, ROSA MILITANO, PAUL WATT, GERALD JAMES, LYNN JAMES, SARAH BORG OLIVIER, MURRAY J. McPHAIL, ROBERT BORG OLIVIER, JAMES SHAW, JEFF GILLAN, STANLEY HARVEY et SANDRA INGLIS
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appelants
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et
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SA MAJESTÉ LA REINE
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intimée
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Audience tenue à Toronto (Ontario), le 1er mai 2019.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 20 septembre 2019.
MOTIFS DU JUGEMENT :
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LE JUGE WEBB
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Y ONT SOUSCRIT :
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LE JUGE NADON
LA JUGE WOODS
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Date : 20190920
Dossiers : A-208-18, A-209-18, A-210-18,
A-211-18, A-212-18, A-213-18, A-214-18,
A-215-18, A-216-18, A-218-18, A-219-18,
A-220-18, A-221-18, A-222-18
Référence : 2019 CAF 235
CORAM :
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LE JUGE NADON
LE JUGE WEBB
LA JUGE WOODS
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ENTRE :
|
ANTHONY TEDESCO, AHMAD YAQEEN, MAURIZIO MARCHIONI, ROSA MILITANO, PAUL WATT, GERALD JAMES, LYNN JAMES, SARAH BORG OLIVIER, MURRAY J. McPHAIL, ROBERT BORG OLIVIER, JAMES SHAW, JEFF GILLAN, STANLEY HARVEY et SANDRA INGLIS
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appelants
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et
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SA MAJESTÉ LA REINE
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intimée
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MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE WEBB
[1]
La question en litige dans les présents appels est de savoir s’il y a abus de procédure pour remise en cause lorsque les associés d’une société de personnes demandent de faire trancher une question liée à la validité d’une détermination du montant des pertes d’une société de personnes après que celle-ci s’est désistée de son appel ayant soulevé la même question. En raison des ordonnances de la Cour canadienne de l’impôt datées du 23 avril 2018 (2018 CCI 75), la requête de la Couronne en radiation des avis d’appel des appelants a été accueillie, et ces avis d’appel ont été radiés.
[2]
Pour les motifs suivants, j’accueillerais les présents appels.
[3]
Les appels ont été réunis aux termes d’une ordonnance de la Cour prononcée le 21 septembre 2018, et le dossier A-208-18 a été désigné comme l’appel principal. Les présents motifs valent pour les présents appels. La version originale des motifs sera versée au dossier A-208-18, et la copie sera versée dans chacun des autres dossiers.
I.
Faits et procédures
[4]
Les appelants sont associés de la société de personnes en commandite TSI I (TSI). TSI a réparti les pertes entre ses associés, d’un montant total de 941 840 $ pour l’année d’imposition 2000, et de 2 193 463 $ pour l’année d’imposition 2001. Le dossier n’indique pas clairement quels sont les appelants qui ont déclaré leur part proportionnelle de ces pertes en 2000 ou en 2001 (ou pour ces deux années). Toutefois, il semblerait que chaque appelant ait effectivement déclaré une partie de ces pertes pour 2000 ou 2001 (ou ces deux années) lors du calcul de son revenu pour ces années, en application de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi).
[5]
Le ministre du Revenu national (le ministre) a conclu que les pertes d’entreprise de TSI pour les années 2000 et 2001 étaient nulles. Les avis de détermination étaient datés du 29 mars 2006. Le ministre est d’avis que cette détermination a été effectuée en application du paragraphe 152(1.4) de la Loi.
[6]
À la suite de l’octroi de la prorogation du délai de dépôt des avis d’opposition, TSI a déposé des avis d’opposition à ces déterminations le 23 mars 2007. Le ministre a confirmé la réception de ces avis de détermination par avis de confirmation daté du 18 avril 2012.
[7]
Par avis de nouvelles cotisations publiés à diverses dates, le ministre a procédé à une nouvelle cotisation des années d’imposition pertinentes pour lesquelles chaque appelant avait déclaré sa part des pertes afin de refuser cette demande d’indemnisation pour les pertes subies par TSI. Les appelants ont déposé des avis d’opposition, et ces nouvelles cotisations ont été confirmées par le ministre.
[8]
Après que les avis de confirmation eurent été envoyés à TSI et aux appelants, TSI et chaque appelant ont déposé des avis d’appel à la Cour canadienne de l’impôt. Dans le cadre de la gestion des instances de ces appels, il a été décidé que l’appel de TSI devait procéder en premier. L’audition de l’appel a été fixée au lundi 2 mai 2016. Le vendredi précédant l’audience, Me Marchioni (qui est l’un des appelants dans le présent appel et qui était également l’avocat représentant tous les associés, à l’exception de James Stewart, de Gerald James et de Lynn James), a avisé la Cour canadienne de l’impôt que TSI se désistait de son appel et qu’elle déposerait un avis de désistement. L’avis de désistement a été déposé le 2 mai 2016, et l’appel a été réputé avoir été refusé le 24 juin 2016, conformément au paragraphe 16.2(2) de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. 1985, ch. T-2 (Loi sur la CCI).
[9]
Dans son appel interjeté devant la Cour canadienne de l’impôt, TSI a soulevé les deux questions suivantes :
à savoir si la détermination du montant des pertes de TSI par le ministre a été effectuée après la période de trois ans prévue à cet effet, aux termes du paragraphe 152(1.4) de la Loi (et était ainsi frappée de prescription); et
à savoir si le ministre a correctement conclu que les pertes pour les années 2000 et 2001 étaient nulles.
Chacun des appelants a également soulevé ces deux questions dans son avis d’appel interjeté devant la Cour canadienne de l’impôt. Lors de l’audition de la requête présentée devant la Cour canadienne de l’impôt (qui fait l’objet du présent appel) ainsi que dans le présent appel, les appelants ont demandé que soit tranchée uniquement la question de savoir si les appels dont la Cour canadienne de l’impôt était saisie pouvaient être maintenus relativement à la question de savoir si la détermination du montant des pertes de TSI par le ministre était frappée de prescription.
[10]
Après le désistement par TSI de son appel interjeté devant la Cour canadienne de l’impôt, le ministre a présenté une requête en radiation des avis d’appel des appelants, sans autorisation de la modifier, en vertu de l’alinéa 53(1)c) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS/90-688a.
II.
Décision de la Cour canadienne de l’impôt
[11]
La juge de la Cour canadienne de l’impôt a soulevé une question préliminaire concernant l’appel interjeté par TSI relativement à la détermination du montant des pertes de TSI effectuée par le ministre. Selon le paragraphe 165(1.15) de la Loi, seul est autorisé à faire opposition concernant une détermination l’associé de la société de personnes qui est, selon le cas, désigné à cette fin dans la déclaration de renseignements devant être présentée aux termes du Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945, ou autrement expressément autorisé par la société de personnes à agir ainsi. TSI est la société de personnes. Elle n’est donc pas une associée de cette société.
[12]
Après avoir pris connaissance des observations des parties concernant cette question préliminaire, la juge de la Cour canadienne de l’impôt a conclu qu’elle devait traiter l’appel comme ayant été déposé au nom de tous les associés de TSI, étant donné que personne n’a remis en question la validité de la procédure pendant que l’appel était en cours.
[13]
En ce qui concerne le bien-fondé de la requête du ministre en radiation des avis d’appel des appelants, la juge de la Cour canadienne de l’impôt a cité les observations formulées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 R.C.S. 77 (S.C.F.P) (portant sur la question à savoir s’il y a abus de procédure pour remise en cause), l’article 16.2 de la Loi sur la CCI, et un arrêt rendu par notre Cour, Canada (Procureur général) c. Scarola, 2003 CAF 157, [2003] 4 C.F. 645 (relativement aux conséquences d’un rejet aux termes de l’article 16.2 de la Loi sur la CCI). La juge a conclu qu’il y aurait abus de procédure si les appelants étaient autorisés à soutenir que la détermination du montant des pertes de TSI effectuée par le ministre était frappée de prescription.
[14]
Par conséquent, les avis d’appel des appelants ont été radiés. Toutes les personnes dont les appels ont été radiés (à l’exception de James Stewart) ont interjeté appel devant notre Cour et sont appelants dans le présent appel.
III.
Question en litige et norme de contrôle
[15]
La question en litige dans le présent appel est de savoir si le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en radiant les avis d’appel des appelants. La norme de contrôle applicable à l’égard des questions de fait (y compris des questions mélangées de fait et de droit, sauf si elles comportent une question de droit isolable) est celle de l’erreur manifeste et dominante et, pour les questions de droit, celle de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33 [2002] 2 R.C.S. 235).
IV.
Discussion
[16]
Dans le présent appel, la Cour est seulement appelée à décider si les avis d’appel auraient dû être radiés au motif que les appelants tentent de remettre en cause la question consistant à savoir si la détermination effectuée par le ministre était frappée de prescription, c’est-à-dire si elle a été effectuée après la période de trois ans prévue par le paragraphe 152(1.4) de la Loi à cet effet.
[17]
Une société de personnes ne paie pas d’impôts aux termes de la Loi. En effet, elle calcule plutôt son revenu (ou ses pertes) comme si elle était une personne, puis elle distribue à chaque associé sa part proportionnelle de ce revenu (ou de ces pertes). Par conséquent, il n’y a pas de cotisation ni de nouvelle cotisation concernant l’impôt payable par une société de personnes. Ainsi, si le ministre n’est pas d’accord avec le revenu ou les pertes déclarés par une société de personnes et distribués à ses associés, alors il doit procéder à une nouvelle cotisation pour chaque associé. Afin d’éviter que surgissent de nombreux différends avec les associés en ce qui a trait au revenu ou aux pertes d’une société de personnes particulière, le paragraphe 152(1.4) de la Loi a été ajouté pour permettre au ministre de déterminer le revenu ou les pertes d’une société de personnes. Le texte intégral des paragraphes 152(1.4) et (1.7) de la Loi figure à l’annexe à la fin des présents motifs.
[18]
Selon le paragraphe 165(1.15) de la Loi, seul est autorisé à présenter un avis d’opposition à une détermination d’un montant effectuée aux termes du paragraphe 152(1.4) l’associé de la société de personnes qui est désigné à cette fin ou autorisé à intervenir ainsi. Comme il a été signalé ci-dessus, la juge de la Cour canadienne de l’impôt a soulevé la question de savoir pourquoi l’appel de la détermination effectuée par le ministre avait été déposé par la société de personnes, et non par un associé, conformément au paragraphe 165(1.15) de la Loi. Aux fins de l’audition devant la Cour canadienne de l’impôt, il a été tenu pour acquis que l’appel déposé par la société de personne était valide. Dans le présent appel, nous ne sommes pas saisis de la question de la validité de l’appel déposé par TSI relativement à la détermination du montant des pertes de TSI, et je m’abstiendrai donc de discuter la validité de cet appel. Aux fins du présent appel, l’appel déposé par TSI relativement à la détermination du montant des pertes de TSI sera traité comme s’il était un appel valide de la détermination du montant des pertes effectuée par le ministre.
[19]
Selon le paragraphe 152(1.7) de la Loi, sous réserve des droits d’opposition et d’appel, la détermination effectuée par le ministre en vertu du paragraphe 152(1.4) de la Loi relativement au revenu ou aux pertes de la société de personnes lie le ministre et chacun de ses associés. Le paragraphe 152(1.7) de la Loi prévoit également que le ministre peut, malgré le paragraphe 152(4) de la Loi, procéder à une nouvelle cotisation pour chaque associé « avant la fin du jour qui tombe un an après l’extinction ou la détermination des droits d’opposition et d’appel relativement au montant déterminé ou déterminé de nouveau »
.
[20]
En l’espèce, les appels déposés par les appelants portent sur les nouvelles cotisations établies pour les années 2000 et 2001. Y aurait-il abus de procédure pour remise en cause si les appelants étaient autorisés à procéder avec les appels de leurs nouvelles cotisations respectives afin de faire trancher la question de savoir si la détermination a été effectuée par le ministre après la période prévue à cet effet?
[21]
Comme il a été noté ci-dessus, la juge de la Cour canadienne de l’impôt a cité deux jugements ainsi que l’article 16.2 de la Loi sur la CCI à l’appui de sa thèse selon laquelle les avis d’appel devaient être radiés. La question relative à l’interprétation du droit telle qu’elle est consacrée par cette jurisprudence ainsi qu’à l’interprétation de l’article 16.2 de la Loi sur la CCI est une question de droit et, par conséquent, la norme de contrôle est celle de la décision correcte. À mon avis, la juge de la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur dans son interprétation de cette jurisprudence et du paragraphe 16.2(2) de la Loi sur la CCI, lorsqu’elle a conclu que l’abus de procédure pour remise en cause pourrait, en droit, jouer dans une situation où un juge aurait pu tirer une conclusion particulière, mais ne l’a pas fait parce que l’appel qui avait soulevé une question litigieuse a fait l’objet d’un désistement.
[22]
L’arrêt S.C.F.P. de la Cour suprême du Canada est l’arrêt de principe en matière d’abus de procédure pour remise en cause. Dans cette affaire, Glenn Oliver était au service pour la Ville de Toronto comme instructeur en loisirs, et il a été accusé d’agression sexuelle contre un jeune garçon confié à sa surveillance. La Ville de Toronto l’a congédié après sa condamnation. Il a déposé un grief contestant son congédiement, et la question en litige était de savoir si M. Oliver pouvait, dans sa procédure de grief, remettre en cause l’allégation selon laquelle il avait agressé sexuellement le jeune garçon.
[23]
Après avoir conclu que M. Oliver ne pouvait pas remettre en cause cette question, la juge Arbour a observé, au nom de la majorité des juges de la Cour suprême du Canada :
37 Dans le contexte qui nous intéresse, la doctrine de l’abus de procédure fait intervenir [traduction] « le pouvoir inhérent du tribunal d’empêcher que ses procédures soient utilisées abusivement, d’une manière qui aurait [...] pour effet de discréditer l’administration de la justice » (Canam Enterprises Inc. c. Coles (2000), 51 O.R. (3d) 481 (C.A.), par. 55, le juge Goudge, dissident, approuvé par [2002] 3 R.C.S. 307, 2002 CSC 63). Le juge Goudge a développé la notion de la façon suivante aux par. 55 et 56 :
[traduction] La doctrine de l’abus de procédure engage le pouvoir inhérent du tribunal d’empêcher que ses procédures soient utilisées abusivement, d’une manière qui serait manifestement injuste envers une partie au litige, ou qui aurait autrement pour effet de discréditer l’administration de la justice. C’est une doctrine souple qui ne s’encombre pas d’exigences particulières telles que la notion d’irrecevabilité (voir House of Spring Gardens Ltd. c. Waite, [1990] 3 W.L.R. 347, p. 358, [1990] 2 All E.R. 990 (C.A.).
Un cas d’application de l’abus de procédure est lorsque le tribunal est convaincu que le litige a essentiellement pour but de rouvrir une question qu’il a déjà tranchée.
Ainsi qu’il ressort du commentaire du juge Goudge, les tribunaux canadiens ont appliqué la doctrine de l’abus de procédure pour empêcher la réouverture de litiges dans des circonstances où les exigences strictes de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée (généralement les exigences de lien de droit et de réciprocité) n’étaient pas remplies, mais où la réouverture aurait néanmoins porté atteinte aux principes d’économie, de cohérence, de caractère définitif des instances et d’intégrité de l’administration de la justice. (Voir par exemple Franco c. White (2001), 53 O.R. (3d) 391 (C.A.); Bomac Construction Ltd. c. Stevenson, [1986] 5 W.W.R. 21 (C.A. Sask.); et Bjarnarson c. Government of Manitoba (1987), 38 D.L.R. (4th) 32 (B.R. Man.), conf. par (1987), 21 C.P.C. (2d) 302 (C.A. Man.).) Cette application a suscité des critiques, certains disant que la doctrine de l’abus de procédure pour remise en cause n’est ni plus ni moins que la doctrine générale de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, sans exigence de réciprocité, à laquelle il manque les importantes conditions que les tribunaux américains ont reconnues comme parties intégrantes de la doctrine (Watson, loc. cit., p. 624‑625).
[Soulignement ajouté par la juge Arbour]
[24]
Comme l’a noté la Cour suprême du Canada, il y a abus de procédure lorsque le contentieux a essentiellement pour but de rouvrir une question déjà tranchée par une juridiction. Dans ce cas particulier, la Cour canadienne de l’impôt n’a pas pu établir si la détermination avait été effectuée par le ministre pendant ou après la période prévue à cet effet, en application du paragraphe 152(1.4) de la Loi.
[25]
En l’espèce, l’appel de TSI (qui avait soulevé l’allégation selon laquelle la détermination effectuée par le ministre était frappée de prescription) a été abandonné. La juge de la Cour canadienne de l’impôt a conclu que le désistement de l’appel, qui découle de l’application du paragraphe 16.2(2) de la Loi sur la CCI, signifiait que toute question soulevée dans cet appel était « réputée avoir été tranchée et rejetée par la Cour au niveau de la société de personnes »
(paragraphe 52 des motifs de la juge de la Cour canadienne de l’impôt).
[26]
Je ne peux retenir cette interprétation du paragraphe 16.2(2) de la Loi sur la CCI. L’article 16.2 dispose :
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[27]
Cet article dispose seulement que l’appel est réputé avoir été rejeté. Selon ce texte, les questions litigieuses qui ont été soulevées par la partie ayant engagé la procédure particulière ne sont pas réputées avoir été tranchées par la Cour canadienne de l’impôt. Bien que la juge de la Cour canadienne de l’impôt ait fait référence à notre arrêt Scarola, je suis d’avis que cette jurisprudence ne va pas dans le sens de sa thèse. Dans l’arrêt Scarola, notre Cour a noté ce qui suit :
21 Conformément au paragraphe 16.2(2), un désistement constitue un rejet. L’appel qui est rejeté est un appel sur lequel il a été statué, et l’appel sur lequel il a été statué n’existe plus: [sic] voir Lehner c. M.N.R., 97↓D.T.C. 5270, à la page 5271, le juge Pratte (C.A.F.). Le paragraphe 16.2(2) fait du dépôt d’un avis de désistement un rejet par interprétation analogue à un véritable rejet. En d’autres termes, le désistement, par suite de cette disposition, acquiert tous les attributs d’un rejet. Il a le même effet qu’un jugement par lequel la Cour rejette l’appel, quoique l’effet soit obtenu par la simple application de la fiction juridique. Dans un cas comme dans l’autre, les pouvoirs de la Cour sont épuisés: [sic] le décideur est dessaisi. Un rejet, réputé ou réel, est une décision définitive qui met fin à l’affaire, sauf dans certaines circonstances telles que la fraude ou un pouvoir prévu par la loi autorisant le décideur à conserver ou à acquérir de nouveau le pouvoir perdu.
[28]
Selon ma lecture, ces observations ne vont pas le sens d’une interprétation du paragraphe 16.2(2) de la Loi sur la CCI selon laquelle chaque question en litige soulevée par un appelant est jugée avoir été tranchée par un tribunal lorsque l’affaire est abandonnée, et donc rejetée. Cet extrait confirme simplement que le désistement de l’appel clôt l’affaire et qu’une même personne ne peut, sauf dans des circonstances exceptionnelles, tenter de relancer cet appel par la suite.
[29]
Dans ce cas particulier, TSI a soulevé la question de savoir si la détermination effectuée par le ministre était frappée de prescription. Cette question aurait pu être (et aurait probablement été) discutée et tranchée si l’appel de TSI dont la date d’audience était prévue le 2 mai 2016 avait été maintenu. Cependant, puisque cet appel a fait l’objet d’un désistement, il n’y a eu aucune décision judiciaire sur la question de savoir si la détermination a été effectuée pendant la période prévue par le paragraphe 152(1.4) de la Loi, ou après cette période.
[30]
En outre, dans l’arrêt S.C.F.P., la juge Arbour a fait les observations suivantes concernant la doctrine de l’abus de procédure et l’intégrité du processus juridictionnel :
51 La doctrine de l’abus de procédure s’articule autour de l’intégrité du processus juridictionnel et non autour des motivations ou de la qualité des parties. Il convient de faire trois observations préliminaires à cet égard. Premièrement, on ne peut présumer que la remise en cause produira un résultat plus exact que l’instance originale. Deuxièmement, si l’instance subséquente donne lieu à une conclusion similaire, la remise en cause aura été un gaspillage de ressources judiciaires et une source de dépenses inutiles pour les parties sans compter les difficultés supplémentaires qu’elle aura pu occasionner à certains témoins. Troisièmement, si le résultat de la seconde instance diffère de la conclusion formulée à l’égard de la même question dans la première, l’incohérence, en soi, ébranlera la crédibilité de tout le processus judiciaire et en affaiblira ainsi l’autorité, la crédibilité et la vocation à l’irrévocabilité.
[31]
Ce ne serait pas un gaspillage de ressources judiciaires que de vouloir trancher cette question frappée de prescription relativement aux appels déposés par les appelants, et cela ne résulterait en pas incohérences, car la Cour canadienne de l’impôt n’a pas rendu de décision sur cette question.
[32]
En l’espèce, il existe deux possibilités : soit la détermination a été effectuée par le ministre pendant la période prévue par le paragraphe 152(1.4) de la Loi, soit elle a été effectuée après cette période. Si une juridiction devait conclure que la détermination a été effectuée après la période prévue par le paragraphe 152(1.4) de la Loi, alors les conséquences qui découleraient des nouvelles cotisations à l’égard des années d’imposition 2000 et 2001 des appelants devront être déterminées par cette même juridiction.
[33]
Il convient de noter que, dans ses réponses portant sur les appels déposés par les appelants, le ministre a précisé que les nouvelles cotisations ont été émises en application du paragraphe 152(1.7) de la Loi. Étant donné que le paragraphe 152(1.7) de la Loi joue « dans le cas où le ministre détermine un montant en application du paragraphe 152(1.4) »
, notre Cour est appelée à décider si ce paragraphe jouerait si la détermination avait été effectuée après la période prévue à cet effet au paragraphe 152(1.4) de la Loi.
[34]
Je suis donc d’avis qu’il n’y aura pas abus de procédure si les appelants soulèvent la question de savoir si la détermination a été effectuée après la période prévue par le paragraphe 152(1.4) de la Loi et, si tel est le cas, la question de savoir quelles seront les répercussions sur les nouvelles cotisations à l’égard des appelants qui ont été délivrées en application du paragraphe 152(1.7) de la Loi.
[35]
Je rejette la conclusion de la juge de la Cour canadienne de l’impôt portant que les avis d’appel qui ont été déposés par les appelants à la Cour canadienne de l’impôt devaient être radiés relativement à la question de savoir si la détermination a été effectuée après la période prévue à cet effet en vertu de la Loi.
[36]
J’accueille donc ces appels avec un seul mémoire de dépens et j’annulerais les ordonnances rendues par la Cour canadienne de l’impôt. En rendant la décision qui aurait dû être celle de la juge de la Cour canadienne de l’impôt, je rejetterais la requête présentée par la Couronne visant à radier les avis d’appel qui ont été déposés par les appelants à la Cour canadienne de l’impôt, avec un seul mémoire de dépens à la Cour canadienne de l’impôt.
« Wyman W. Webb »
j.c.a.
« Je suis d’accord.
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M. Nadon, j.c.a. »
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« Je suis d’accord.
|
Judith Woods, j.c.a. »
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Traduction certifié conforme
François Brunet, réviseur
ANNEXE
Paragraphes 152(1.4) et (1.7) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.)
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COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
APPELS INTERJETÉS D’ORDONNANCES DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT,
DATÉES DU 23 AVRIL 2018, NUMÉRO DE RÉFÉRENCE 2018 CCI 75
DOSSIERS :
|
A-208-18, A-209-18, A-210-18,
A-211-18, A-212-18, A-213-18,
A-214-18, A-215-18, A-216-18,
A-218-18, A-219-18, A-220-18,
A-221-18, A-222-18
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INTITULÉ :
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ANTHONY TEDESCO et al. c. SA MAJESTÉ LA REINE
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 1er mai 2019
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MOTIFS DU JUGEMENT :
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LE JUGE WEBB
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Y ONT SOUSCRIT :
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LE JUGE NADON
LA JUGE WOODS
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DATE DES MOTIFS :
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Le 20 septembre 2019
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COMPARUTIONS :
Maurizio Marchioni
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Pour les appelants
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Christina Ham
Emmanuel Jilwan
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Pour l’intimée
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
March Law
Vaughan (Ontario)
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Pour les appelants
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Nathalie G. Drouin
Sous-procureure générale du Canada
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Pour l’intimée
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