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Date : 20190924


Dossier : A-168-18

Référence : 2019 CAF 238

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

ROSA FANNY PEREZ FLORES

demanderesse

et

ZENAIDA HULL et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

Audience tenue par vidéoconférence à Ottawa (Ontario), à Gatineau (Québec) et à Dawson Creek (Colombie-Britannique), le 5 septembre 2019.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 24 septembre 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

 


Date : 20190924


Dossier : A-168-18

Référence : 2019 CAF 238

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

ROSA FANNY PEREZ FLORES

demanderesse

et

ZENAIDA HULL et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE RENNIE

[1]  La demanderesse, Rosa Fanny Perez Flores, cherche à obtenir le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 20 mars 2018 par le Tribunal de la sécurité sociale (Division d’appel) ayant rejeté son appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Division générale de ce même Tribunal. Dans cette dernière, la Division générale a conclu que Mme Perez n’était pas la conjointe de fait du cotisant décédé, et qu’en conséquence, elle n’avait pas droit à la pension de survivant payable selon les termes de l’article 58 du Régime de pension du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8 (RPC).

[2]  La question à trancher porte sur l’octroi, selon les termes de l’article 58 du RPC, d’une pension payable au survivant d’un cotisant décédé. Le RPC définit un « survivant » comme étant le conjoint de fait du cotisant au décès de celui-ci, ou à défaut d’un conjoint de fait, l’époux du cotisant à son décès (au paragraphe 42(1)). Toujours selon le RPC, le « conjoint de fait » est la personne qui, au moment du décès du cotisant, vit avec lui dans une relation conjugale depuis au moins un an (au paragraphe 2(1)).

[3]  Mme Perez a déposé, le 22 janvier 2013, une demande pension de survivant à titre de conjointe de fait de feu M. Duwayne Hull, le cotisant. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a accepté sa demande, et Mme Perez a commencé à recevoir une pension de survivant. Toutefois, le 7 février 2013, Zenaida Hull a également déposé une demande de pension de survivant à titre d’épouse de M. Hull. Le ministre a rejeté la demande de Mme Hull et a confirmé la décision après une demande de réexamen.

[4]  Mme Hull a interjeté appel de la décision du ministre à l’issue du réexamen de sa demande devant la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La Division générale entend des audiences de novo; Mmes Perez et Hull ont donc toutes deux présenté de nouveaux éléments de preuve. Le 20 janvier 2017, le Tribunal a avisé les parties par la poste qu’il avait l’intention de se prononcer sur le fondement des documents et des observations déposés étant donné que le dossier était complet et qu’aucune clarification n’était nécessaire. Le Tribunal mentionne dans cette lettre que cette méthode est conforme à l’exigence établie par le Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, DORS/2013-60, soit de procéder de la manière la plus informelle et expéditive que le permettent les circonstances, l’équité, et la justice naturelle.

[5]  Le dossier devant la Division générale comprenait des relevés bancaires, des déclarations de revenus, une entente de séparation conclue entre M. et Mme Hull, le certificat de mariage de M. et Mme Hull, un jugement de divorce prononcé après le décès de M. Hull, des renseignements concernant l’hospitalisation de M. Hull, des documents sur les frais funéraires et des lettres de membres de la famille, d’amis et de collègues (décision de la Division générale, aux paragraphes 8 à 25).

[6]  Les éléments de preuve confirment que Mme Perez vivait avec M. Hull; toutefois, la Division générale a déterminé que Mme Perez n’avait pas établi qu’elle vivait en union de fait avec le défunt depuis au moins un an avant son décès (aux paragraphes 35 et 38).

[7]  Dans sa décision, la Division générale a soupesé les facteurs indicateurs de l’existence d’une union de fait énoncés par la Cour fédérale dans la décision McLaughlin c. Canada (Procureur général), 2012 CF 556, au paragraphe 15, 408 F.T.R. 286. La Division générale a conclu que Mme Perez n’avait pas fourni d’éléments de preuve témoignant de l’existence de relations sexuelles, d’une fidélité, d’une entraide dans l’adversité ou la maladie, d’un échange de services relativement à l’entretien du foyer et aux questions ménagères, ou de l’apport d’un soutien (au paragraphe 36). La Division générale a également tenu compte d’autres facteurs, soit la vente, par M. Hull, de sa part de la résidence familiale à Mme Perez avant son décès, sa décision de changer sa police d’assurance en désignant sa fille au lieu de Mme Perez comme bénéficiaire, le voyage au Pérou de M. Hull avant son décès sans Mme Perez, le voyage effectué par Mme Hull au Pérou pour s’occuper de M. Hull durant sa maladie et les lettres affirmant que Mme Perez et M. Hull étaient seulement des colocataires (aux paragraphes 33, 34, 37 et 38).

[8]  Mme Perez a obtenu l’autorisation d’interjeter appel de la décision de la Division générale. La Division d’appel lui a accordé cette autorisation au motif que la Division générale avait peut-être enfreint un principe de justice naturelle en ne tenant pas une audience en présence d’un interprète.

[9]  Le 20 mars 2018, la Division d’appel a rejeté l’appel de Mme Perez au motif que la Division générale avait observé tous les principes de justice naturelle et tenu compte de tous les éléments de preuve dont elle disposait.

[10]  En ce qui concerne la première question, la Division d’appel a tenu compte du fait que Mme Perez avait correspondu avec les parties et produit tous ses documents en anglais. De plus, elle n’avait pas indiqué être incapable de comprendre des documents ou la correspondance au dossier, et ni elle ni son représentant n’ont demandé la présence d’un interprète. La Division d’appel a ainsi conclu que les difficultés que Mme Perez était susceptible d’éprouver en anglais n’avaient pas nui à sa capacité de faire valoir des arguments et de savoir ce qu’on lui reproche et d’y répondre (au paragraphe 8). La Division d’appel a également conclu qu’aucune audience n’était requise pour évaluer la crédibilité des parties, car la Division générale n’avait rendu aucune conclusion sur ce point (au paragraphe 15).

[11]  Quant à la deuxième question, à savoir le défaut d’examiner tous les éléments de preuve, la Division d’appel a conclu que la Division générale avait résumé les éléments de preuve et fait référence expressément à plusieurs documents présentés par Mme Perez. De plus, elle n’avait ni omis ni mal interprété des éléments de preuves importants (au paragraphe 13). En réponse à l’argument de Mme Perez selon lequel elle aurait fourni d’autres éléments de preuve si elle avait connu les facteurs établissant l’existence d’une union de fait, la Division d’appel a conclu que ce manque de connaissance du critère juridique de sa part ne constituait pas une erreur de la Division générale (au paragraphe 9). La Division d’appel a refusé d’examiner les nouveaux éléments de preuve présentés par Mme Perez au motif que ceux-ci n’étaient pas admissibles en appel (au paragraphe 10).

[12]  Mme Perez a également sollicité l’autorisation de présenter de nouveaux éléments de preuve devant notre Cour. Elle a déposé une requête en ce sens, laquelle a été rejetée avant l’audience. Néanmoins, les documents de Mme Perez comprenaient un affidavit accompagné de pièces qui n’avaient pas été présentées au Tribunal, dont des déclarations de revenus, des relevés bancaires, des factures de services publics, des documents d’assurance, des certificats de mariage et de décès, des dossiers d’hospitalisation et des lettres.

I.  Thèses des parties

[13]  Mme Perez demande essentiellement à la Cour de revoir l’analyse de la Division générale et le contrôle réalisé par la Division d’appel en tenant compte des nouveaux éléments de preuve, puis de conclure qu’elle était la conjointe de fait de M. Hull et a donc droit à la pension de survivant.

[14]  Le défendeur, le procureur général, soutient que la Division générale n’a violé aucun principe de justice naturelle en ne tenant pas d’audience, étant donné que la crédibilité des parties n’était pas en cause, que Mme Perez maîtrisait bien l’anglais et qu’il était loisible au Tribunal de ne pas tenir d’audience. Le défendeur ajoute que la Division d’appel a raisonnablement conclu que la Division générale avait tenu compte de tous les éléments de preuve dont elle disposait et qu’elle n’avait donc aucune raison d’intervenir pour l’un des moyens d’appel énoncés au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, L.C. 2005, ch. 34 (LMEDS). Enfin, le défendeur affirme que les nouveaux éléments de preuve que Mme Perez a cherché à présenter à la Cour sont inadmissibles parce qu’ils ne relèvent pas des exceptions au principe interdisant l’admission de nouveaux éléments de preuve.

II.  Analyse

[15]  Je me pencherai d’abord sur la question des nouveaux éléments de preuve. Notre Cour a déjà tranché cette question dans une ordonnance rendue par le juge Nadon le 27 novembre 2018. Toutefois, comme le mémoire de Mme Perez contient de nouveaux éléments de preuve et que le défendeur a présenté des observations à ce sujet dans son mémoire, je les aborderai brièvement.

[16]  Comme l’a conclu notre Cour dans l’arrêt Sharma c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 48, 288 A.C.W.S. (3d) 790, les nouveaux éléments de preuve ne sont généralement pas admissibles dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Il y a trois exceptions reconnues à cette règle. De nouveaux éléments de preuve peuvent être admis lorsqu’ils révèlent des informations générales qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire, mais ne concernent pas le fond de la question; lorsqu’ils font ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a tiré une conclusion déterminée ou lorsqu’ils portent à l’attention de la juridiction de révision des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du tribunal administratif (Sharma, par. 8). La liste d’exceptions n’est sans doute pas exhaustive, mais ces exceptions ne jouent que lorsque l’admission des éléments de preuve respecte le rôle différent joué par la cour de révision et par le tribunal administratif (Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, par. 20, 428 N.R. 297).

[17]  Les nouveaux éléments de preuve dans les documents de Mme Perez portent sur le fond du dossier et auraient pu être présentés à la Division générale. Ils ne correspondent à aucune des exceptions au principe interdisant l’admission de nouveaux éléments de preuve et sont donc inadmissibles.

[18]  Quant à la question de l’équité procédurale, la question qu’il faut poser est de savoir si la procédure était juste eu égard à toutes les circonstances, y compris les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, par. 54, [2019] 1 R.C.F. 121). Il faut ainsi appliquer la norme de la décision correcte (Chemin de fer Canadien Pacifique, par. 34).

[19]  Comme la Cour suprême l’affirme dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 33, 174 D.L.R. (4th) 193 (S.C.C.), une audience n’est pas nécessaire pour garantir une audience équitable dans tous les dossiers. Comme l’a conclu la Division d’appel, Mme Perez était en mesure de correspondre effectivement avec le Tribunal et les défendeurs et de présenter des observations écrites à l’appui de sa position. La Division générale a informé les parties de sa décision d’instruire l’instance sur dossier et les a invitées à soumettre d’autres observations. Elle a ainsi donné à la demanderesse l’occasion de fournir tous les éléments de preuve qu’elle souhaitait déposer devant le Tribunal et d’indiquer qu’elle souhaitait la tenue d’une audience ou obtenir les services d’un interprète. Mme Perez a donc bénéficié de l’équité procédurale que justifiaient les circonstances.

[20]  J’examinerai maintenant le deuxième motif de contestation, qui concerne le caractère raisonnable de la décision.

[21]  La décision rendue par la Division d’appel doit être examinée au regard de la norme de la décision raisonnable (Cameron c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 100, par. 3, 292 A.C.W.S. (3d) 564).

[22]  Mme Perez demande essentiellement à la Cour de revoir l’analyse de la Division générale et le contrôle de cette analyse réalisé par la Division d’appel à l’aide des nouveaux éléments de preuve, puis de conclure qu’elle était la conjointe de fait de M. Hull. Comme notre Cour l’a récemment affirmé de nouveau dans l’arrêt Sharma (au paragraphe 9) ainsi que dans l’arrêt Mackey c. Canada (Procureur général), 2019 FCA 168, au paragraphe 8, 306 A.C.W.S. (3d) 196, notre rôle dans le cadre d’un contrôle judiciaire est d’examiner la décision rendue par la Division d’appel en fonction des faits dont elle disposait et de déterminer si cette décision était raisonnable. Le rôle de notre Cour n’est pas d’apprécier à nouveau les éléments de preuve soumis au Tribunal (Sharma, par. 13), et le contrôle judiciaire ne devrait pas servir à corriger les faiblesses des observations que la demanderesse a présentées à la Division générale.

[23]  La décision rendue par la Division d’appel ne comporte aucune erreur susceptible de révision. La Division d’appel a confirmé la décision de la Division générale : les conclusions de cette dernière n’atteignaient pas le seuil exigé pour justifier son intervention, prévu au paragraphe 58(1) de la LMEDS (décision de la Division d’appel, par. 2). La Division d’appel a également refusé d’apprécier à nouveau les éléments de preuve soumis à la Division générale, au motif que ce n’était pas là le rôle de la Division d’appel (décision de la Division d’appel, par. 14). Compte tenu des éléments de preuve dont était saisie la Division d’appel et du rôle qu’elle joue dans le contrôle des décisions de la Division générale, les deux décisions satisfont aux critères de transparence, de justification et d’intelligibilité.

III.  Conclusion

[24]  Pour ces motifs, je rejetterais la demande, mais je n’adjugerais aucuns dépens.

« Donald J. Rennie »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Judith Woods, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

J.B. Laskin, j.c.a. »

 

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE DE LA DÉCISION RENDUE LE 20 MARS 2018 PAR LA DIVISION D’APPEL DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

DOSSIER :

A-168-18

 

 

INTITULÉ :

ROSA FANNY PEREZ FLORES c. ZENAIDA HULL et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEUX DE LA VIDÉOCONFÉRENCE :

Ottawa (Ontario), Gatineau (Québec) et Dawson Creek (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 septembre 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 24 septembre 2019

COMPARUTIONS :

Rosa Fanny Perez Flores

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Matthew Vens

Pour le défendeur

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

 

Pour le défendeur

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

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