Dossier : A-105-18
Référence : 2019 CAF 245
[TRADUCTION FRANÇAISE]
CORAM :
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LE JUGE WEBB
LE JUGE NEAR
LE JUGE BOIVIN
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ENTRE :
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RODNEY BRASS, SIDNEY KESHANE, ANGELA DESJARLAIS ET GLEN O’SOUP
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appelants
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et
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CLARENCE PAPEQUASH, CLINTON KEY ET GLENN PAPEQUASH
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intimés
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Audience tenue à Regina (Saskatchewan), le 25 septembre 2019.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 2 octobre 2019.
MOTIFS DU JUGEMENT :
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LE JUGE BOIVIN
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Y ONT SOUSCRIT :
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LE JUGE WEBB
LE JUGE NEAR
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Date : 20191002
Dossier : A-105-18
Référence : 2019 CAF 245
CORAM :
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LE JUGE WEBB
LE JUGE NEAR
LE JUGE BOIVIN
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ENTRE :
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RODNEY BRASS, SIDNEY KESHANE, ANGELA DESJARLAIS ET GLEN O’SOUP
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appelants
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et
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CLARENCE PAPEQUASH, CLINTON KEY ET GLENN PAPEQUASH
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intimés
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MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE BOIVIN
[1]
Rodney Brass et al. (les appelants) interjettent appel du jugement rendu le 21 mars 2018 par le juge Barnes (le juge) de la Cour fédérale (2018 CF 325).
I.
Contexte
[2]
Le juge a accueilli la demande de contrôle judiciaire déposée par Clarence Papequash et al. (les intimés) en vertu des articles 31 et 35 de la Loi sur les élections au sein de premières nations, L.C. 2014, ch. 5 (LEPN), et a annulé les résultats de l’élection qui s’était tenue le 1er octobre 2016 au sein de la Première Nation de Key.
[3]
Le juge a également rejeté l’appel interjeté par les appelants à l’encontre d’une ordonnance de la protonotaire Milczynski portant radiation de leurs affidavits. Les appelants ne contestent pas cette partie du jugement devant notre Cour.
[4]
Dans une ordonnance subséquente du 2 octobre 2018, le juge a condamné solidairement les appelants aux dépens. Les dépens ont été établis selon l’échelon supérieur de la colonne V et s’établissent à la somme globale de 86 170 $. Les appelants ne contestent pas l’adjudication des dépens.
II.
Objections préliminaires soulevées par les parties
[5]
Les intimés ont soulevé deux objections préliminaires quant à l’appel. Ils soutiennent que i) l’appel n’est pas dûment formé, car les motifs énumérés dans l’avis d’appel ne sont pas suffisamment précis, et (ii) l’avis d’appel ne leur a pas été dûment signifié.
[6]
La Cour rappelle aux parties qu’aux termes de l’article 56 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (Règles des Cours fédérales), l’inobservation d’une règle n’invalide pas, en soi, une instance, une mesure prise ou une ordonnance. Il s’agit plutôt d’une irrégularité pouvant être rectifiée. Conformément à ce principe sous-jacent, la Cour peut permettre aux parties de remédier aux irrégularités et les exempter de l’application d’une règle dans des circonstances particulières, à condition que l’appel soit instruit de manière juste et ordonnée (articles 55 et 58 à 60 des Règles des Cours fédérales).
[7]
Ainsi, à la lumière de ce principe ‑ et bien que l’avis d’appel des appelants puisse effectivement être qualifié de [traduction] « vague »
et donc non conforme aux exigences établies à l’alinéa 337d) des Règles des Cours fédérales, lequel exige, entre autres, « un énoncé complet et concis des motifs qui seront invoqués, avec mention de toute disposition législative ou règle applicable »
, je suis d’avis que les intimés auraient dû faire valoir leur opposition sous forme de requête plus tôt dans l’instruction de la présente instance. De plus, l’irrégularité en cause n’est pas déterminante pour l’issue du dossier. Dans le même ordre d’idées, l’objection soulevée par les intimés voulant que les appelants aient omis de signifier l’avis d’appel à tous les intimés nécessaires ne suffit pas, dans les circonstances, pour invalider le présent appel. L’avis d’appel aurait dû être signifié à la Première Nation de Key, à titre de partie devant la Cour fédérale, aux termes de l’alinéa 339(1)c); toutefois, cette irrégularité n’a aucune incidence sur l’issue du présent appel et aurait dû, de toute façon, être soulevée plus tôt dans la présente instance.
[8]
Les appelants, pour leur part, ont soulevé une objection préliminaire quant aux éléments de preuve devant notre Cour. Plus précisément, aux paragraphes 20 et 50 de leur mémoire des faits et du droit, ils soutiennent que plusieurs affidavits ne sont pas conformes, car les constats d’assermentation ne mentionnent pas l’année. Toutefois, les appelants ont ensuite indiqué à l’audience qu’ils n’opposaient plus cette objection.
III.
Question en litige
[9]
La seule question en litige : le juge a-t-il commis une erreur justifiant l’intervention de notre Cour?
IV.
Dispositions législatives pertinentes
[10]
Les dispositions pertinentes de la LEPN se trouvent en annexe.
V.
Norme de contrôle
[11]
En l’espèce, notre Cour doit appliquer la norme de contrôle en appel énoncée dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 [Housen]. Les questions de droit sont assujetties à la norme de la décision correcte. Les conclusions de fait et les conclusions mixtes de fait et de droit appellent la norme de l’erreur manifeste et dominante. Il s’agit d’une norme élevée à laquelle il est difficile de satisfaire, comme l’a indiqué notre Cour dans l’arrêt Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165, au paragraphe 46 [Yukon Forest]:
Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente, et par erreur « dominante », une erreur qui touche directement à l’issue de l’affaire. Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier.
VI.
Discussion
[12]
Les appelants attirent l’attention sur plusieurs affidavits des intimés afin de démontrer que la décision du juge déborde d’incohérences factuelles. Ils prétendent que les conclusions que le juge a tirées des affidavits démontrent qu’il avait un [traduction] « esprit fermé »
. Plus précisément, les appelants contestent la conclusion du juge quant à l’existence d’une « preuve évidente »
de l’achat de votes, et ce, nonobstant les présumées [traduction] « erreurs et incohérences »
dans la preuve, selon les appelants. Je ne suis pas d’accord. Les prétentions des appelants à cet égard ne sont rien de plus qu’un désaccord sur l’appréciation qu’a faite le juge des éléments de preuve. Ce faisant, ils demandent à notre Cour de soupeser à nouveau les éléments de preuve. Or, ce n’est pas notre rôle.
[13]
Il convient de souligner que le juge a rigoureusement examiné les affidavits produits, lesquels n’ont, pour la plupart, pas été contestés. Le juge a également tenu compte des dispositions pertinentes de la LEPN et a dûment appliqué la jurisprudence au contexte de l’espèce (Gadwa c. Kehewin Première Nation, 2016 CF 597, [2016] A.C.F no 569 (QL), conf. par 2017 CAF 203; Opitz c. Wrzesnewskyj, 2012 CSC 55, [2012] 3 R.C.S. 76). Au vu du dossier dont il disposait, le juge pouvait conclure à l’existence d’une « vaste activité d’achat de votes entreprise ouvertement »
et décider que « l’inconduite de Rodney Brass, Glen O’Soup, Sidney Keshane et Angela Desjarlais a porté atteinte à l’intégrité des élections au sein de la bande de la Première Nation de Key tenues le 1er octobre 2016 »
afin d’ordonner l’annulation de l’élection (motifs du juge, par. 39 et 40).
[14]
Les appelants soutiennent également dans leur appel que le juge n’a pas expressément mentionné certains éléments du dossier de preuve. Cette prétention n’est pas plus fondée. Comme l’ont fait remarquer les intimés, une présomption bien établie veut que le juge ait tenu compte de tous les éléments de preuve, et le fait que certains éléments de preuve ne soient pas mentionnés dans les motifs ne signifie pas que le dossier de preuve n’a pas été entièrement examiné (Housen, par. 46; Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, [2018] 2 R.C.F. 344, par. 66 à 68).
[15]
De plus, les appelants prétendent que le juge a commis une erreur dans son appréciation du contre-interrogatoire de certains auteurs d’affidavits, car il a énoncé au paragraphe 39 de ses motifs « [qu’a]ucun des nombreux auteurs d’affidavit ayant été témoins »
de l’achat de votes « n’a été contre-interrogé et leurs éléments de preuve demeurent incontestés à ce jour »
. Les appelants signalent à juste titre qu’au contraire, certains auteurs d’affidavits ont bel et bien été contre-interrogés. Il s’agit, il est vrai, d’une erreur; toutefois, elle n’est nullement déterminante pour l’issue de l’affaire. L’examen des transcriptions des contre-interrogatoires ne jette aucun doute sur la conclusion du juge selon laquelle il y avait eu achat de votes en l’espèce.
[16]
Enfin, dans leur avis d’appel, les appelants ont prétendu que le juge était partial, sans toutefois étayer leur position à cet égard. À l’audience, l’avocat des appelants a admis que cette allégation de partialité n’était pas fondée. Or, avant de formuler une telle allégation dans un avis d’appel, l’avocat devrait s’assurer qu’elle est fondée. Dans les circonstances, l’avis d’appel aurait dû être modifié sans délai par la suppression d’une allégation aussi sérieuse et non fondée, ce que les appelants n’ont pas fait. En l’occurrence, non seulement les appelants ont omis de retirer l’allégation de l’avis d’appel, mais ils ont plutôt choisi de la maquiller en affirmant que le juge avait un [traduction] « esprit fermé »
(mémoire des faits et du droit des appelants, par. 75 à 83). Or, une telle prétention non fondée est tout à fait inacceptable.
[17]
La Cour suprême du Canada a récemment rappelé l’existence d’une forte présomption d’impartialité judiciaire (Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c. Yukon (Procureure générale)), 2015 CSC 25, [2015] 2 R.C.S. 282). Les allégations de partialité judiciaire sont extrêmement sérieuses, car elles portent atteinte à l’intégrité de toute l’administration de la justice en général et à la réputation du juge en particulier. Pour ces motifs, les allégations de partialité non fondées peuvent parfois tomber sous le coup de la doctrine de l’abus de procédure (Abi-Mansour c. Canada (Affaires autochtones), 2014 CAF 272, [2014] A.C.F. no 1145 (QL); Joshi c. Banque Canadienne impériale de commerce, 2015 CAF 105).
[18]
En l’espèce, l’examen de la transcription de l’audience ne révèle absolument aucun indice, aussi minime soit-il, pouvant laisser craindre une partialité de la part du juge. Le juge a présidé une audience impartiale et équitable pour toutes les parties visées; notamment, il a accordé autant de temps aux appelants qu’aux intimés pour faire valoir leurs arguments et il a mené le tout avec politesse et respect (transcription de l’instance devant le juge : dossier d’appel, volume II, onglet 28, p. 23, 52, 57, 70, 77, 111, 114, 139, 162 et 163, 172, 200, 210 et 211). La prétention des appelants, qu’elle soit présentée comme un [traduction] « esprit fermé »
ou une partialité, est absolument dénuée de tout fondement.
VII.
Conclusion
[19]
En fin de compte, les appelants ne sont pas parvenus à établir l’existence de la moindre erreur, de la part du juge, qui justifierait l’intervention de notre Cour. Pour reprendre les motifs de l’arrêt Yukon Forest, les appelants ont tiré sur les feuilles et les branches, mais l’arbre est resté debout. En conséquence, je rejetterais l’appel et, compte tenu des circonstances, je fixerais les dépens à l’échelon supérieur de la colonne V du tarif B des Règles des Cours fédérales.
« Richard Boivin »
j.c.a.
« Je suis d’accord.
Wyman W. Webb, j.c.a. »
« Je suis d’accord.
D.G. Near, j.c.a. »
ANNEXE
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COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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DOSSIER :
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A-105-18
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INTITULÉ :
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RODNEY BRASS, SIDNEY KESHANE, ANGELA DESJARLAIS ET GLEN O’SOUP c. CLARENCE PAPEQUASH, CLINTON KEY ET GLENN PAPEQUASH
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LIEU DE L’AUDIENCE :
|
REGINA (SASKATCHEWAN)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 25 SEPTEMBRE 2019
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MOTIFS DU JUGEMENT :
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LE JUGE BOIVIN
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Y ONT SOUSCRIT :
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LE JUGE WEBB
LE JUGE NEAR
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DATE DES MOTIFS :
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LE 2 OCTOBRE 2019
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COMPARUTIONS :
Stephanie C. Lavallée
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POUR LES APPELANTS
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Nathan Phillips
Mervin C. Phillips
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POUR LES INTIMÉS
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Semaganis Worme Lombard
Saskatoon (Saskatchewan)
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POUR LES APPELANTS
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Phillips & Co.
Regina (Saskatchewan)
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POUR LES INTIMÉS
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