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Date : 20191004


Dossier : A-24-19

Référence : 2019 CAF 249

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

PFIZER CANADA INC.

Appelante

Et

AMGEN INC. ET AMGEN CANADA INC.

Intimées

Audience tenue à Montréal (Québec), le 1er avril 2019.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 4 octobre 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE DE MONTIGNY

 


Date : 20191004


Dossier : A-24-19

Référence : 2019 CAF 249

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

PFIZER CANADA INC.

appelante

Et

AMGEN INC. ET AMGEN CANADA INC.

intimées

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’un appel interjeté par Pfizer Canada Inc. (Pfizer) à l’encontre d’une décision rendue par la protonotaire Milczynski (la protonotaire) le 25 octobre 2018 (T-741-18). Dans cette décision, la protonotaire a rejeté la requête Pfizer demandant le rejet de l’action intentée devant la Cour fédérale par les intimées Amgen Inc. et Amgen Canada Inc. (Amgen). À l’appui de sa requête, Pfizer affirmait plus particulièrement que l’action intentée par Amgen était inutile, scandaleuse, frivole ou vexatoire ou qu’elle constituait par ailleurs un abus de procédure aux termes de l’article 6.08 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement modifié).

[2]  Selon la protonotaire, l’action d’Amgen n’était pas scandaleuse, frivole ou vexatoire et ne constituait pas un abus de procédure à l’égard de la Cour.

[3]  Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel de Pfizer.

II.  Les faits

[4]  Amgen vend deux médicaments biologiques, à savoir le Neupogen (filgrastim) et le Neulasta (pegfilgrastim). Elle a lié à ces produits le brevet canadien no 1 341 537 (le brevet 537) inscrit au Registre des brevets. Amgen a déposé sa demande de brevet à l’égard du brevet 537 en 1986 et celui-ci a été délivré en 2007.

[5]  Pfizer prévoit commercialiser une version biosimilaire du Neupogen appelée Nivestym. Elle a donc déposé une présentation de drogue nouvelle auprès du ministre de la Santé (le ministre) en vue d’obtenir un avis de conformité (AC) pour ce produit. Le brevet 537 étant inscrit au Registre des brevets, le Règlement modifié obligeait également Pfizer à signifier un avis d’allégation à Amgen.

[6]  L’avis d’allégation de Pfizer a été signifié à Amgen le 7 mars 2018. Le 20 avril 2018, Amgen a intenté une action contre de Pfizer en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement modifié. Cela a amené Pfizer à déposer sa requête en vue d’obtenir le rejet de l’action d’Amgen au motif notamment qu’il y a eu abus de procédure. À la suite du rejet de sa requête par la protonotaire, Pfizer a interjeté appel devant notre Cour le 9 janvier 2019.

III.  Le régime réglementaire

[7]  Le Règlement, entré en vigueur en 1993, a été récemment modifié, en septembre 2017, et les procédures en l’espèce ont été intentées en vertu du Règlement modifié. Selon la version du Règlement antérieure au Règlement modifié (l’ancien Règlement), une fois qu’une première personne (en l’espèce Amgen) était déboutée dans une procédure intentée en vertu de l’article 6 contre une deuxième personne (en l’espèce Apotex), la première personne perdait dans les faits le droit de recourir à l’article 6 pour toute entrée sur le marché ultérieure. C’est ce qu’a conclu notre Cour dans l’arrêt Sanofi-Aventis Canada c. Novopharm Limited, 2007 CAF 163, [2008] 1 R.C.F. 174 [Sanofi].

[8]  Dans le Règlement modifié, le recours prévu à l’article 6 a été modifié : la demande visant à interdire au ministre de délivrer un AC a été remplacée par l’action en contrefaçon de brevet, assortie des garanties procédurales que sont l’interrogatoire préalable et les témoignages de vive voix, ainsi que les conclusions de fond concernant la validité et la contrefaçon. Selon l’ancien Règlement, les demandes déposées en vertu de l’article 6 servaient uniquement à décider si les allégations de non-contrefaçon de la deuxième personne étaient fondées, de manière à permettre au ministre de délivrer un AC à la deuxième personne.

[9]  Dans le présent appel, la question à trancher est celle de savoir si cette modification (c’est-à-dire l’action qui remplace la demande) permet à la première personne d’engager une procédure en vertu de l’article 6 sous le régime du Règlement modifié même si elle a été déboutée dans une procédure antérieure engagée en vertu de l’article 6 sous le régime de l’ancien Règlement.

IV.  Les instances antérieures introduites en vertu de l’ancien Règlement concernant les médicaments d’Amgen Neupogen et Neulasta

[10]  Dans l’affaire portant le numéro de dossier T-2072-12, Amgen a fait des revendications se rapportant à son brevet 537 contre Apotex Inc. (Apotex) lorsque celle-ci a demandé au ministre de la Santé un AC à l’égard de son médicament Grastofil, une version biosimilaire du Neupogen. Après avoir reçu l’avis d’allégation d’Apotex, Amgen a déposé une demande en vertu de l’article 6 de l’ancien Règlement afin que la Cour rende une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un AC à Apotex avant l’expiration de son brevet.

[11]  Dans une décision rendue le 10 novembre 2015 (la décision du juge Hughes), le juge Hughes de la Cour fédérale a conclu que les allégations d’invalidité du brevet 537 avancées par Apotex étaient fondées pour cause d’évidence et il a par conséquent rejeté la demande d’Amgen. Apotex a donc reçu un AC du ministère de la Santé à l’égard du Grastofil.

[12]  Dans l’affaire portant le numéro de dossier T-1710-15, avant la décision du juge Hughes, Amgen a également fait valoir son brevet 537 contre Apotex à l’égard d’un dosage différent du Grastofil. Le 9 octobre 2015, Amgen a déposé une demande en vertu de l’article 6 de l’ancien Règlement en vue d’obtenir une ordonnance interdisant au ministre de délivrer à Apotex un AC à l’égard de sa deuxième version du Grastofil avant l’expiration du brevet 537.

[13]  Sans égard à la décision du juge Hughes, Amgen a donné suite à sa deuxième demande, ce qui a amené Apotex à présenter une requête en rejet de la demande conformément à l’alinéa 6(5)b) de l’ancien Règlement, au motif qu’elle était inutile, scandaleuse, frivole ou vexatoire ou qu’elle constituait par ailleurs un abus de procédure.

[14]  Le 4 octobre 2016, la protonotaire Milczynski de la Cour fédérale a rejeté la demande d’Amgen au motif qu’elle constituait un abus de procédure. Par conséquent, le ministre a délivré l’AC demandé par Apotex, qui a ensuite commercialisé cette version du Grastofil au Canada.

[15]  Après l’entrée sur le marché d’Apotex avec son médicament Grastofil, Amgen a intenté une action contre Apotex devant la Cour fédérale en vertu de l’article 55 de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, c. P-4, pour contrefaçon de son brevet 537. L’action d’Amgen et la demande reconventionnelle d’invalidité d’Apotex ont fini par être abandonnées.

[16]  Enfin, le 30 janvier 2017, dans l’affaire portant le numéro de dossier T-145-17, Amgen a déposé une demande d’ordonnance interdisant au ministre de délivrer un AC à BGP Pharma ULC, exerçant ses activités sous le nom de Mylan EPD (Mylan), à l’égard du médicament Fulphila, une version biosimilaire du Neulasta, avant l’expiration du brevet 537.

[17]  Après avoir été avisée par Mylan que celle-ci solliciterait le rejet de sa demande au motif qu’il y avait abus de procédure au titre de l’alinéa 6(5)b) de l’ancien Règlement, Amgen a abandonné sa demande le 13 mars 2017.

V.  Les procédures dont notre Cour est saisie

[18]  En l’espèce, l’avis d’allégation de Pfizer présente les mêmes allégations d’évidence que celles que jugées fondées dans la décision du juge Hughes.

[19]  En réponse à l’avis d’allégation de Pfizer, Amgen a intenté, en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement modifié, une action contre Pfizer pour obtenir une déclaration portant que la fabrication, la construction, l’exploitation ou la vente du médicament Nivestym contreferait des revendications du brevet 537. Dans sa défense et sa demande reconventionnelle contre l’action d’Amgen, Pfizer a notamment soutenu que le brevet 537 était invalide et nul.

VI.  Les dispositions légales pertinentes

[20]  Les dispositions pertinentes du Règlement modifié sont les suivantes :

Règlement modifié

Amended Regulations

6(1) La première personne ou le propriétaire d’un brevet qui reçoit un avis d’allégation en application de l’alinéa 5(3)a) peut, au plus tard quarante-cinq jours après la date à laquelle la première personne a reçu signification de l’avis, intenter une action contre la seconde personne devant la Cour fédérale afin d’obtenir une déclaration portant que la fabrication, la construction, l’exploitation ou la vente d’une drogue, conformément à la présentation ou au supplément visé aux paragraphes 5(1) ou (2), contreferait tout brevet ou tout certificat de protection supplémentaire visé par une allégation faite dans cet avis.

6(1) The first person or an owner of a patent who receives a notice of allegation referred to in paragraph 5(3)(a) may, within 45 days after the day on which the first person is served with the notice, bring an action against the second person in the Federal Court for a declaration that the making, constructing, using or selling of a drug in accordance with the submission or supplement referred to in subsection 5(1) or (2) would infringe any patent or certificate of supplementary protection that is the subject of an allegation set out in that notice.

[…]

6(3) La seconde personne peut faire une demande reconventionnelle afin d’obtenir une déclaration :

6(3) The second person may bring a counterclaim for a declaration

a) soit au titre des paragraphes 60(1) ou (2) de la Loi sur les brevets à l’égard de toute revendication se rapportant à un brevet faite dans le cadre de l’action intentée en vertu du paragraphe (1);

(a) under subsection 60(1) or (2) of the Patent Act in respect of any patent claim asserted in the action brought under subsection (1); or

b) soit au titre des paragraphes 125(1) ou (2) de la même loi, à l’égard de toute revendication, faite dans le cadre de l’action intentée en vertu du paragraphe (1), se rapportant au brevet mentionné dans le certificat de protection supplémentaire en cause dans cette action.

(b) under 125(1) or (2) of that Act in respect of any claim, asserted in the action brought under subsection (1), in the patent set out in the certificate of supplementary protection in question in that action.

6(4) Si la Cour fédérale fait la déclaration visée au paragraphe (1), elle peut ordonner toute autre réparation sous le régime de la Loi sur les brevets, ou en vertu de toute autre règle de droit, relativement à la contrefaçon d’un brevet ou d’un certificat de protection supplémentaire.

6(4) If the Federal Court makes a declaration referred to in subsection (1), it may order any other remedy that is available under the Patent Act, or at law or in equity, in respect of infringement of a patent or a certificate of supplementary protection.

6.01 Aucune autre action qu’une action intentée en vertu du paragraphe 6(1) ne peut être intentée contre la seconde personne pour la contrefaçon d’un brevet ou d’un certificat de protection supplémentaire visé par un avis d’allégation signifié en application de l’alinéa 5(3)a) relativement à la fabrication, à la construction, à l’exploitation ou à la vente d’une drogue conformément à la présentation ou au supplément visé aux paragraphes 5(1) ou (2), sauf si la première personne ou le propriétaire du brevet n’avait pas, dans la période de quarante-cinq jours prévue au paragraphe 6(1), de motifs raisonnables pour intenter une action en vertu de ce paragraphe.

6.01 No action, other than one brought under subsection 6(1), may be brought against the second person for infringement of a patent or a certificate of supplementary protection that is the subject of a notice of allegation served under paragraph 5(3)(a) in relation to the making, constructing, using or selling of a drug in accordance with the submission or supplement referred to in subsection 5(1) or (2) unless the first person or the owner of the patent did not, within the 45-day period referred to in subsection 6(1), have a reasonable basis for bringing an action under that subsection.

[…]

6.08 Toute action intentée en vertu du paragraphe 6(1) peut, sur requête de la seconde personne, être rejetée en tout ou en partie au motif qu’elle est inutile, scandaleuse, frivole ou vexatoire ou qu’elle constitue par ailleurs un abus de procédure à l’égard d’un ou de plusieurs brevets ou certificats de protection supplémentaire.

6.08 An action brought under subsection 6(1) may, on the motion of a second person, be dismissed, in whole or in part, on the ground that it is redundant, scandalous, frivolous or vexatious or is otherwise an abuse of process in respect of one or more patents or certificates of supplementary protection.

7(1) Le ministre ne peut délivrer d’avis de conformité à la seconde personne avant le dernier en date des jours suivants :

7.1 The Minister shall not issue a notice of compliance to a second person before the latest of

[…]

d) le lendemain du dernier jour de la période de vingt-quatre mois qui commence à la date à laquelle une action a été intentée en vertu du paragraphe 6(1);

(d) the day after the expiry of the 24-month period that begins on the day on which an action is brought under subsection 6(1);

[21]  Les dispositions pertinentes de l’ancien Règlement sont les suivantes :

Ancien règlement

Former Regulations

6(1) La première personne peut, au plus tard quarante-cinq jours après avoir reçu signification d’un avis d’allégation aux termes de l’alinéa 5(3)a), demander au tribunal de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer l’avis de conformité avant l’expiration du brevet en cause.

6(1) A first person may, within 45 days after being served with a notice of allegation under paragraph 5(3)(a), apply to a court for an order prohibiting the Minister from issuing a notice of compliance until after the expiration of a patent that is the subject of the notice of allegation.

6(2) Le tribunal rend une ordonnance en vertu du paragraphe (1) à l’égard du brevet visé par une ou plusieurs allégations si elle conclut qu’aucune des allégations n’est fondée.

6(2) The court shall make an order pursuant to subsection (1) in respect of a patent that is the subject of one or more allegations if it finds that none of those allegations is justified.

6(3) La première personne signifie au ministre, dans la période de 45 jours visée au paragraphe (1), la preuve que la demande visée à ce paragraphe a été faite.

6(3) The first person shall, within the 45 days referred to in subsection (1), serve the Minister with proof that an application referred to in that subsection has been made.

[…]

6(5) Sous réserve du paragraphe (5.1), lors de l’instance relative à la demande visée au paragraphe (1), le tribunal peut, sur requête de la seconde personne, rejeter tout ou partie de la demande si, selon le cas :

6(5) Subject to subsection (5.1), in a proceeding in respect of an application under subsection (1), the court may, on the motion of a second person, dismiss the application in whole or in part

a) les brevets en cause ne sont pas admissibles à l’inscription au registre;

(a) in respect of those patents that are not eligible for inclusion on the register; or

b) il conclut qu’elle est inutile, scandaleuse, frivole ou vexatoire ou constitue autrement, à l’égard d’un ou plusieurs brevets, un abus de procédure.

(b) on the ground that it is redundant, scandalous, frivolous or vexatious or is otherwise an abuse of process in respect of one or more patents.

VII.  La décision de la protonotaire

[22]  La protonotaire a rejeté la requête de Pfizer, estimant que l’action d’Amgen ne constituait pas un abus de procédure. Son raisonnement est exposé ci-dessous.

[23]  Après un bref examen des faits et des observations de Pfizer à l’appui de sa requête, la protonotaire s’est penchée sur le Règlement modifié. Au paragraphe 13 de ses motifs, elle discute de quelques-unes des circonstances qui ont rendu nécessaires les modifications à l’ancien Règlement.

Le Règlement actuel (le Règlement modifié) est entré en vigueur le 21 septembre 2017, et remplace les demandes sommaires d’interdiction par des actions à part entière visant à trancher de manière définitive les questions de fond liées à la contrefaçon et à l’invalidité des brevets. Le résumé de l’étude d’impact de la réglementation (REIR) publiée dans la Gazette du Canada, Partie I, volume 151, no 28, le 15 juillet 2017 confirme que les modifications visaient à corriger les lacunes de l’ancien Règlement, dont l’effet était notamment :

  d’entraver les procédures liées à l’obtention et à la production de la preuve – les parties ne devaient s’appuyer que sur un « dossier papier » sans pouvoir recourir aux interrogatoires préalables ni aux témoignages de vive voix;

  de priver les parties de véritables droits d’appel en raison du problème du « caractère théorique » qui se posait après la délivrance de l’AC;

  d’obliger les titulaires/cessionnaires de brevet à intenter des actions subséquentes pour faire valoir leurs droits relativement au brevet – les demandes fondées sur l’ancien Règlement ne permettaient pas de trancher les questions concernant la contrefaçon ou l’invalidité des brevets, mais seulement d’établir si les allégations de ce type formulées dans l’AA étaient « fondées ».

[24]  Elle a ensuite affirmé que l’article 6.08 du Règlement modifié, qui porte sur les actions constituant un abus de procédure, est essentiellement identique à l’alinéa 6(5)b) de l’ancien Règlement, qui concernait les demandes abusives sous l’ancien régime.

[25]  La protonotaire a ensuite examiné l’observation de Pfizer selon laquelle, compte tenu de l’arrêt de notre Cour Sanofi, l’action en l’espèce constituait un abus de procédure. Pfizer faisait valoir que l’action d’Amgen était la quatrième procédure que celle-ci engageait en vertu de l’ancien Règlement et du Règlement modifié à propos des mêmes questions. Selon Pfizer, il était donc abusif de la part d’Amgen d’engager une autre procédure et d’obtenir ainsi l’injonction d’une durée pouvant atteindre 24 mois prévue à l’alinéa 7(1)d) du Règlement modifié.

[26]  La protonotaire n’a pas souscrit aux arguments de Pfizer. Elle a estimé que les conclusions dans la décision du juge Hughes ne pouvaient pas « être transposées à la présente requête », étant donné que le régime du Règlement modifié se distingue bien de celui de l’ancien Règlement (motifs de la protonotaire, au paragraphe 17). Il existait selon elle un facteur distinctif essentiel : après la décision du juge Hughes, Amgen était libre d’intenter une action en contrefaçon à l’égard du brevet 537 en vertu de l’ancien Règlement. Citant l’arrêt Apotex Inc. c. Pfizer Ireland Pharmaceuticals, 2011 CAF 77, [2017] A.C.F. no 295 (QL) [Pfizer Ireland], prononcé par notre Cour, la protonotaire a souligné que le juge Hughes, dans sa décision, n’avait pas tranché de façon définitive les questions de contrefaçon et de validité relatives au brevet.

[27]  La protonotaire a aussi tenu compte du fait qu’en vertu de l’ancien Règlement, les appels interjetés à l’encontre de décisions de la Cour fédérale sur des demandes étaient souvent jugés théoriques par notre Cour parce que le ministre avait délivré l’AC au fabricant de médicaments génériques (la deuxième personne) avant que l’appel ne soit entendu. Elle a expliqué que, conformément à l’ancien Règlement, le recours dont disposaient les brevetés était de déposer une action en contrefaçon en vertu de la Loi sur les brevets, tandis que les fabricants de médicaments génériques avaient le droit de déposer des demandes reconventionnelles concernant la validité du brevet en cause.

[28]  La protonotaire a ensuite affirmé qu’en ce qui concerne le brevet 537, il n’y avait pas encore eu de décision définitive sur une quelconque action ou demande reconventionnelle. Elle a estimé que la décision du juge Hughes n’avait pas tranché et ne pouvait pas trancher la question en litige dans l’action intentée par Amgen sous le régime du Règlement modifié, à savoir si le brevet 537 était valide et, le cas échéant, si le médicament Nivestym de Pfizer contrefaisait les revendications du brevet 537.

[29]  La protonotaire a ensuite formulé les observations suivantes, au paragraphe 23 de ses motifs, concernant les changements apportés par le paragraphe 6(1) du Règlement modifié :

Ainsi, non seulement le Règlement modifié institue‑t‑il un processus d’instruction plus complet des actions, processus prévoyant les garanties procédurales de l’interrogatoire et des témoignages de vive voix, mais les questions à trancher diffèrent selon qu’il s’agit de la version ancienne ou modifiée du Règlement – les questions de fond concernant la validité et la contrefaçon, et pas simplement le bien‑fondé des allégations, seront désormais tranchées. Amgen ne cherche pas à obtenir une « deuxième chance ». La présente action est effectivement sa première et unique chance.

[30]  Au paragraphe 24 de ses motifs, la protonotaire a fait observer qu’au titre du Règlement modifié, Amgen ne pouvait pas intenter d’action en contrefaçon en vertu de la Loi sur les brevets à l’égard de son brevet 537, qui était encore inscrit au Registre des brevets.

[31]  Elle s’est ensuite penchée sur les arguments de Pfizer, qui affirmait qu’Amgen aurait dû, à la suite de la décision du juge Hughes, retirer le brevet 537 du Registre des brevets, puis intenter une action au titre de la Loi sur les brevets. Pfizer a soutenu que, Amgen n’ayant pas retiré son brevet du Registre des brevets avant que Pfizer lui signifie un avis d’allégation, elle ne pouvait s’en prendre qu’à elle-même d’être privée du droit d’intenter une action en vertu de la Loi sur les brevets.

[32]  La protonotaire n’a pas été convaincue par les arguments de Pfizer. À son avis, le Règlement modifié visait à accorder aux brevetés (les premières personnes) le droit de voir les questions relatives à leurs brevets examinées et tranchées sur le fondement d’un dossier complet dans une seule instance, assortie d’un véritable droit d’appel. Elle a ajouté que le texte législatif laissait au breveté la possibilité d’exercer ses droits en vertu du Règlement modifié ou de retirer son brevet du registre conformément à la Loi sur les brevets. En retirant son brevet du registre, le breveté permettrait ainsi à des concurrents potentiels d’obtenir un AC sans devoir signifier d’avis d’allégation. Autrement dit, la protonotaire a estimé qu’Amgen n’était pas tenue de retirer son brevet du registre et de procéder par voie d’action en vertu la Loi sur les brevets.

[33]  La protonotaire a conclu ses observations, au paragraphe 28 de ses motifs, par ce qui suit :

Par conséquent, je ne suis pas convaincue hors de tout doute qu’il est manifeste et évident que la présente action est scandaleuse, frivole, vexatoire ou qu’elle constitue par ailleurs un abus de procédure de la Cour. Il ne s’agit ni d’une remise en litige ni d’un recours superflu. Les actions intentées aux termes du Règlement modifié ne servent pas à trancher les mêmes questions que celles mises en litige par les demandes fondées sur l’ancien Règlement.

[Non souligné dans l’original.]

[34]  Par conséquent, la protonotaire a rejeté la requête de Pfizer avec dépens en faveur d’Amgen, quelle que soit l’issue de la cause.

VIII.  La question en litige

[35]  L’unique question à trancher en l’espèce est celle de savoir si la protonotaire a commis une erreur en rejetant la requête de Pfizer à l’égard de l’abus de procédure.

IX.  La norme de contrôle

[36]  Dans l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, [2017] 1 R.C.F. 331, notre Cour a conclu que les décisions discrétionnaires des protonotaires étaient assujetties aux normes qu’a énoncées la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 23. Par conséquent, les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit sont susceptibles de contrôle selon la norme de l’erreur manifeste et dominante; les questions de droit et les questions mixtes de fait et de droit dont une question de droit peut être isolée seront quant à elles contrôlées selon la norme de la décision correcte.

[37]  Bien que les parties ne soient pas en désaccord relativement aux normes applicables, elles ne s’entendent pas sur la question de savoir si l’appel soulève une question de droit ou une question mixte de fait et de droit. Pfizer affirme que deux pures questions de droit doivent être tranchées en appel : premièrement, la décision de la protonotaire selon laquelle l’arrêt Sanofi ne faisait plus jurisprudence sous le régime du Règlement modifié; deuxièmement, la question de savoir si elle a commis une erreur en n’appliquant pas le critère juridique approprié dans les requêtes pour abus de procédure.

[38]  Je conviens avec Pfizer que la première question est une question de droit. Cependant, je conclus en définitive que la protonotaire a bien interprété l’arrêt Sanofi et que, par conséquent, sa conclusion issue de l’application du droit aux faits doit être examinée selon la norme de l’erreur manifeste et dominante. En outre, même si je conviens, comme je dois le faire, que la sélection du critère juridique approprié est une question de droit, je ne constate aucune erreur de la part de la protonotaire en ce qui concerne le critère à appliquer et son application, bien que la formulation du critère ait manqué de clarté.

X.  Analyse

A.  La première erreur de la protonotaire

[39]  Je commence par l’observation de Pfizer selon laquelle la protonotaire a commis une erreur en concluant que l’arrêt Sanofi rendu par notre Cour ne faisait plus jurisprudence sous le régime du Règlement modifié. Les arguments précis soulevés par Pfizer sont examinés ci-dessous.

[40]  Premièrement, Pfizer fait valoir que, sur le fondement de l’arrêt Sanofi, il n’y avait pas de seconde chance sous le régime de l’ancien Règlement. Autrement dit, une fois qu’un breveté a été débouté dans une procédure intentée au titre de l’article 6, il était privé du droit de présenter, quant à des questions similaires, une autre demande afin d’empêcher un autre fabricant de médicaments génériques d’obtenir un AC et d’entrer sur le marché avec ce produit. Ainsi, du fait de l’arrêt Sanofi, toute deuxième demande était vouée à être rejetée par la Cour au motif que l’instance constituait un abus de procédure visé à l’alinéa 6(5)b) de l’ancien Règlement. Par conséquent, selon Pfizer, le seul recours possible pour un breveté dans ces circonstances était d’intenter une action en contrefaçon de brevet au titre de l’article 55 de la Loi sur les brevets.

[41]  Ce raisonnement amène Pfizer à affirmer qu’Amgen, compte tenu de la décision du juge Hughes, ne pouvait faire les valoir droits que lui confère le brevet 537 que par voie d’action intentée en vertu de la Loi sur les brevets.

[42]  Pfizer soutient ensuite que, parce que l’article 6.08 du Règlement modifié et l’alinéa 6(5)b) de l’ancien Règlement sont des dispositions identiques, la Cour n’avait aucun motif de les interpréter différemment. Elle ajoute que les interpréter différemment mènerait à des incohérences du type contre lequel notre Cour a mis en garde dans l’arrêt Sanofi.

[43]  Ces principes étant posés, Pfizer soutient que la protonotaire a commis une erreur en établissant une distinction entre l’article 6.08 du Règlement modifié et l’alinéa 6(5)b) de l’ancien Règlement, ce qu’elle a fait au motif que les questions à trancher sous le régime du Règlement modifié n’étaient pas les mêmes que celles qui faisaient l’objet des demandes visées à l’alinéa 6(5)b) de l’ancien Règlement. Selon Pfizer, les principes énoncés dans l’arrêt Sanofi et la compétence inhérente de la Cour pour prévenir l’abus de procédure demeurent applicables sous le régime du Règlement modifié.

[44]  En réponse à l’observation d’Amgen selon laquelle elle a le droit de se prévaloir du recours prévu au paragraphe 6(1) du Règlement modifié, qui est d’intenter une action, Pfizer soutient par ailleurs que, les modifications n’ayant pas créé de nouveaux droits, Amgen ne pouvait faire valoir ses droits que par voie d’action sous le régime de la Loi sur les brevets. Autrement dit, Pfizer affirme qu’Amgen ne peut pas prétexter les modifications pour faire renaître les droits prévus à l’article 6 que la décision du juge Hughes avait éteints.

[45]  Cette affirmation de Pfizer repose sur le fait que l’article 6 confère aux brevetés des avantages importants et particuliers qui ne sont pas prévus par la Loi sur les brevets. En particulier, l’article 6, exige que la deuxième personne signifie un avis d’allégation à la première personne, confère aux brevetés le droit d’intenter des actions à titre préventif avant que la deuxième personne puisse entrer sur le marché et confère à la première personne intentant une action en vertu de l’article 6 un sursis automatique de 24 mois avant que la deuxième personne puisse obtenir un AC.

[46]  Après avoir fait observer que le Règlement modifié ne changeait rien aux avantages susmentionnés que conférait l’ancien Règlement, Pfizer a affirmé que ces avantages sont [traduction] « formidables » et qu’il ne faut pas que les brevetés puissent, après une tentative infructueuse de se prévaloir de l’article 6, profiter une nouvelle fois des avantages mentionnés ci-dessus.

[47]  Pfizer soutient qu’au lieu d’insister sur le fait que les modifications ont changé le recours prévu à l’article 6 en remplaçant la demande par une action, la protonotaire aurait dû examiner si permettre à Amgen de se prévaloir une nouvelle fois des avantages prévus par le Règlement favoriserait l’intégrité des procédures de la Cour. Selon Pfizer, la réponse à cette question est négative.

[48]  De l’avis de Pfizer, le seul recours dont disposait Amgen était d’intenter une action en vertu de la Loi sur les brevets, et non en vertu du Règlement modifié. Autrement dit, Amgen pouvait intenter une action qui ne différait pas de celle prévue au paragraphe 6(1), si ce n’est qu’au titre de la Loi sur les brevets, Amgen ne pouvait pas se prévaloir des avantages que le Règlement confère aux brevetés.

[49]  En concluant ses observations au sujet de la première erreur alléguée de la protonotaire, Pfizer affirme que les principes qui ont donné lieu à la décision définitive de notre Cour dans l’arrêt Sanofi continuent de s’appliquer sous le régime du Règlement modifié, à savoir l’économie des ressources judiciaires, la cohérence et l’intégrité du processus décisionnel judiciaire. Pfizer expose clairement sa position aux paragraphes 91 et 92 de son mémoire des faits et du droit :

[traduction]

La présente affaire ne renforcera pas la crédibilité ni l’efficacité du processus judiciaire. Au contraire, l’issue est absurde. Le droit d’Amgen d’invoquer le Règlement est rétabli et elle est autorisée à empêcher les nouveaux concurrents d’entrer sur des marchés où les produits génériques sont présents depuis des années. Cela encourage les premières personnes qui ont été déboutées sous le régime du Règlement à invoquer une nouvelle fois leurs brevets inscrits au registre pour pouvoir profiter de mesures extraordinaires (comme la possibilité d’intenter des actions à titre préventif et le sursis automatique). Le traitement différent des concurrents est manifestement injuste pour Pfizer et de toute évidence menace l’« intégrité de l’administration de la justice ».

L’action en contrefaçon de brevet était la protection que l’ancien Règlement offrait aux brevetés. Cette protection existe encore sous le régime du Règlement modifié. La mesure de protection n’est pas une autre procédure prévue à l’article 6.

[50]  Enfin, Pfizer conteste l’opinion de la protonotaire selon laquelle, faute d’action au titre du paragraphe 6(1) du Règlement modifié, Amgen ne pourrait pas faire valoir les droits que lui confère le brevet 537.

[51]  Selon Pfizer, l’opinion de la protonotaire est erronée. Bien qu’il soit vrai que le Règlement modifié ne permette pas au breveté dont le brevet reste inscrit au Registre des brevets de prendre des mesures autres que celles énoncées au paragraphe 6(1), il était loisible à Amgen de retirer le brevet 537 du Registre des brevets, ce qui lui aurait permis d’intenter une action en vertu de la Loi sur les brevets.

[52]  Autrement dit, Pfizer soutient qu’après la décision du juge Hughes, Amgen aurait dû immédiatement retirer le brevet 537 du registre ou, à tout le moins, elle aurait dû le faire à l’entrée en vigueur des modifications, en septembre 2017.

[53]  Pfizer affirme qu’Amgen ne peut pas se plaindre d’un manquement à l’équité puisqu’elle a choisi de ne pas retirer le brevet 537 du registre et a donc décidé de continuer à utiliser le Registre des brevets pour empêcher les concurrents d’entrer sur le marché. Pfizer affirme qu’Amgen doit maintenant composer avec son choix stratégique et qu’elle ne peut s’en prendre qu’à elle-même.

[54]  Pfizer ne souscrit pas non plus à l’opinion de la protonotaire selon laquelle il était insensé de contraindre Amgen à retirer son brevet du registre et que ce n’était pas là l’effet visé par le Règlement modifié. Elle soutient que la protonotaire, en arrivant à cette conclusion, n’a pas tenu compte du résumé de l’étude d’impact de la réglementation qui, selon Pfizer, avertissait expressément les premières personnes que le fait de ne pas retirer leurs brevets du registre les empêcherait d’intenter des actions en contrefaçon en vertu de la Loi sur les brevets.

[55]  À mon avis, la protonotaire n’a pas mal compris l’arrêt Sanofi et n’a pas commis d’erreur susceptible de révision. À mon sens, la question qui se pose n’est pas de savoir si l’arrêt Sanofi demeure un précédent applicable, car il est manifeste qu’il demeure valable, mais plutôt de savoir si l’action intentée par Amgen, à la lumière du Règlement modifié, constitue un abus de procédure. À mon avis, ce n’est pas le cas.

[56]  Pour commencer, il serait utile d’examiner les motifs pour lesquels notre Cour, dans l’arrêt Sanofi, a conclu que Sanofi avait commis un abus de procédure en tentant de remettre en cause, en invoquant le paragraphe 6(1) de l’ancien Règlement, des questions qui avaient déjà été tranchées par la Cour fédérale et par notre Cour dans des instances antérieures, c’est-à-dire dans les arrêts Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 1283, [2005] A.C.F. no 1283 (QL), et Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2006 CAF 64, [2006] A.C.F. no 208 (QL) [Apotex].

[57]  Dans l’arrêt Sanofi, le juge Sexton, s’exprimant au nom de la Cour, a affirmé au paragraphe 35 de ses motifs de la Cour, qu’« il faut maintenant que l’analyse que fait la Cour de l’abus de procédure soit éclairé par les principes que la Cour suprême du Canada a énoncés dans l’arrêt Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77, 2003 CSC 63 (S.C.F.P.) ». Ces principes, sur lesquels la Cour s’est fondée dans l’arrêt Sanofi, peuvent être présentés de la manière suivante :

  1. La doctrine de l’abus de procédure fait intervenir le pouvoir inhérent du tribunal d’empêcher que ses procédures soient utilisées abusivement.

  2. La doctrine de l’abus de procédure est une doctrine souple qui ne s’encombre pas d’exigences particulières telles que la notion d’irrecevabilité.

  3. La doctrine de l’abus de procédure s’applique par exemple dans des circonstances où, bien qu’il ne soit pas satisfait aux exigences de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, l’instance en cause est, pour l’essentiel, une tentative de rouvrir une question déjà tranchée par la Cour, et où le fait d’autoriser la remise en cause aurait une incidence négative sur les principes d’économie, de cohérence, du caractère définitif des instances et d’intégrité de l’administration de la justice.

  4. La doctrine de l’abus de procédure s’articule autour de l’intégrité du processus décisionnel judiciaire.

  5. La futilité de la procédure en question (le critère du caractère évident et manifeste) n’est pas le critère qu’il convient d’appliquer aux requêtes pour abus de procédure, car une procédure peut être abusive sans toutefois être futile.

[58]  Au paragraphe 36 de ses motifs dans l’arrêt Sanofi, le juge Sexton a déclaré que rien ne permettait de croire qu’une deuxième tentative de se prévaloir de l’article 6 de l’ancien Règlement « mènera[it] à un résultat plus exact que la première [demande] ». Il a ensuite fait observer qu’un tel scénario différait d’une situation où la deuxième instance serait une action en contrefaçon intentée en vertu de la Loi sur les brevets, car, dans ce cas, les parties « ont l’avantage d’un examen au fond de la question et de l’ensemble des protections procédurales connexes [et par conséquent] il serait possible d’arriver à un résultat plus exact ». Cela a amené le juge Sexton à préciser que les décisions rendues sous le régime de l’ancien Règlement « n’ont pas force exécutoire pour les actions en contrefaçon de brevet ou pour déclarer qu’un brevet est invalide ».

[59]  Le juge Sexton a également écrit qu’il était important, pour décider si la procédure était abusive, de s’assurer que l’application de la doctrine n’entraînait aucune iniquité. Selon lui, une conclusion d’abus de procédure dans l’affaire dont la Cour était saisie n’entraînerait aucun manquement à l’équité, car « [l]es demandes d’interdiction déposées en vertu du Règlement n’empêchent pas les brevetés de faire respecter leurs droits de brevet en engageant une action en contrefaçon de brevet conformément à la Loi sur les brevets. En outre, les conclusions que l’on tire de toute demande d’interdiction de ce genre n’ont aucune incidence sur les actions en violation de brevet » (Sanofi, au paragraphe 40).

[60]  En gardant les principes ci-dessus à l’esprit, je me pencherai maintenant sur les observations de Pfizer.

[61]  Bien qu’il soit exact de dire que, sous le régime de l’ancien Règlement, du fait de l’arrêt Sanofi, les brevetés n’avaient pas droit à une deuxième tentative de se prévaloir du paragraphe 6(1) contre un autre fabricant de médicaments génériques à l’égard des mêmes questions, la question est de savoir si cela reste vrai après l’entrée en vigueur du Règlement modifié. À mon avis, compte tenu de la nature de l’action prévue à l’article 6 sous le régime du Règlement modifié et à la lumière des principes énoncés dans l’arrêt Sanofi, on ne peut pas conclure que l’action d’Amgen constitue un abus de procédure.

[62]  Premièrement, l’arrêt Sanofi, dans la foulée de l’arrêt S.C.F.P., établissait clairement que ce qui était considéré comme un abus de procédure était le fait que la deuxième demande dans l’affaire Sanofi était susceptible de donner ouverture à des décisions judiciaires contradictoires sur les mêmes questions dans des instances équivalentes, ce qui pouvait compromettre la crédibilité du processus décisionnel judiciaire.

[63]  Deuxièmement, l’objet de la demande déposée au titre de l’article 6 sous le régime de l’ancien Règlement n’était pas de faire trancher les questions de contrefaçon ou de validité du brevet, comme dans une action intentée au titre de l’article 55 de la Loi sur les brevets, mais plutôt de savoir s’il y avait lieu d’interdire au ministre de délivrer un AC à un fabricant de médicaments génériques à l’égard d’un produit biosimilaire à celui du breveté (voir, notamment, Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien-être social), [1994] A.C.F. no 662 (QL) (C.A.), au paragraphe 25 [Merck Frosst]; David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc. (1994), [1995] 1 C.F. 588 (C.A.), au paragraphe 14 [David Bull]; Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., [2001] 11 C.P.R. (4th) 245, 2001 CanLII 22156 (C.A.), au paragraphe 25 [Apotex 2001]; Novartis AG c. Apotex Inc., 2002 CAF 440, au paragraphe 9 [Novartis]; Sanofi, au paragraphe 36; Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Limited, 2007 CAF 359, au paragraphe 40; Pfizer Ireland, au paragraphe 19). Les procédures intentées en vertu de l’article 6 de l’ancien Règlement et celles intentées en vertu de l’article 55 de la Loi sur les brevets ne sont donc pas des procédures équivalentes puisqu’elles visent à trancher des questions totalement différentes.

[64]  Troisièmement, compte tenu de ce qui précède, sous le régime de l’ancien Règlement, le breveté pouvait intenter une procédure en vertu de l’article 55 de la Loi sur les brevets après le rejet de sa demande déposée au titre de l’article 6.

[65]  Enfin, et surtout, l’action intentée en vertu de l’article 6 du Règlement modifié vise à trancher essentiellement les mêmes questions qu’une action intentée en vertu de l’article 55 de la Loi sur les brevets. Par conséquent, selon ce que je comprends de l’arrêt Sanofi, Pfizer se trompe en affirmant que, sous le régime du Règlement modifié, il est interdit au breveté débouté dans une demande intentée en vertu de l’ancien Règlement d’intenter une action en vertu de l’article 6 du Règlement modifié parce que cette action constituerait un abus de procédure. À mon avis, ce n’est pas le cas. Les faits en l’espèce sont assez différents de ceux sur lesquels devait se pencher notre Cour dans l’arrêt Sanofi. Les questions à trancher dans l’action intentée par Amgen en vertu de l’article 6, à savoir, si le produit de Pfizer contrefera le brevet 537 ou si le brevet 537 est valide, n’ont pas été tranchées par la décision du juge Hughes et demeurent donc à trancher. Par conséquent, à mon avis, rien dans l’action présentée par Amgen en vertu de l’article 6 ne constitue un abus.

[66]  Si je comprends bien l’arrêt Sanofi et le Règlement modifié, on ne peut affirmer que l’action d’Amgen compromet la crédibilité du processus décisionnel judiciaire ni qu’elle aura une incidence négative sur l’utilisation efficace des ressources judiciaires limitées.

[67]  Avant d’examiner l’argument de Pfizer selon lequel aucun manquement à l’équité ne découlerait du rejet de l’action d’Amgen, je souhaite examiner l’arrêt Pfizer Ireland rendu par notre Cour, qui aide à clarifier l’arrêt Sanofi et qui, à mon avis, montre très clairement que l’action intentée par Amgen au titre de l’article 6 du Règlement modifié ne constitue pas un abus de procédure.

[68]  L’arrêt Pfizer Ireland a été rendu par notre Cour à la suite d’un appel visant une action présentée au titre de l’article 55 de la Loi sur les brevets, dans laquelle le fabricant de médicaments génériques avait demandé une déclaration d’invalidité du brevet en cause.

[69]  Avant l’examen sur le fond de la procédure intentée en vertu de l’article 55, la Cour fédérale avait rendu, en application de l’ancien Règlement, une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un AC au fabricant de médicaments génériques jusqu’à l’expiration du brevet. Plus particulièrement, la Cour fédérale avait conclu que l’allégation d’invalidité du fabricant de médicaments génériques n’était pas justifiée. L’appel de cette décision interjeté par le fabricant de médicaments génériques a été rejeté par notre Cour.

[70]  Dans sa défense contre l’action du fabricant de médicaments génériques, le breveté a fait valoir, notamment, qu’en raison du principe de la chose jugée, de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, de la préclusion accessoire, de la courtoisie et de l’abus de procédure, le fabricant de médicaments génériques ne pouvait pas remettre en cause certaines questions qui avaient déjà été tranchées dans la demande déposée au titre de l’article 6.

[71]  Cela a amené le fabricant de médicaments génériques à présenter une requête conformément à l’alinéa 221(1)a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, afin d’obtenir une ordonnance radiant de la défense du breveté les paragraphes qui faisaient référence aux instances relatives à un AC engagées en vertu de l’ancien Règlement.

[72]  Cette requête ayant été rejetée par un protonotaire, le fabricant de médicaments génériques a demandé un examen de novo par un juge de la Cour fédérale, qui a radié, sur consentement, la défense du breveté fondée sur la chose jugée, mais qui n’a modifié aucun autre aspect de la décision du protonotaire. En conséquence, le fabricant de médicaments génériques a interjeté appel de la décision de la Cour fédérale devant notre Cour.

[73]  Après avoir souligné que la requête du fabricant de médicaments génériques devait être tranchée selon le critère du caractère « évident et manifeste », le juge Sexton, au nom de la Cour, s’est penché sur les observations des parties et sur le bien-fondé de la requête.

[74]  Premièrement, il a affirmé qu’il souscrivait aux affirmations du fabricant de médicaments génériques selon lesquelles « notre Cour a vu d’un mauvais œil les tentatives visant à empêcher la remise en cause, dans des actions subséquentes, de questions qui avaient été tranchées dans une instance relative à un avis de conformité » (Pfizer Ireland, au paragraphe 12). Il a estimé, à la lumière de cette observation, qu’il serait utile d’examiner la jurisprudence de la Cour sur la question.

[75]  Le juge Sexton a examiné les décisions rendues par notre Cour dans les arrêts Merck Frosst, David Bull, Apotex 2001, Novartis et Sanofi. Il a estimé que « [c]hacune de ces affaires portait sur la question de savoir si les décisions concernant la validité ou la contrefaçon rendues dans une instance relative à un avis de conformité avaient force exécutoire dans une action subséquente » (Pfizer Ireland, au paragraphe 18) et que la Cour avait clairement fait savoir que la chose jugée ne pouvait être invoquée comme moyen de défense.

[76]  Le juge Sexton a ensuite expliqué que, lorsque la Cour avait parlé du principe de la chose jugée dans ces affaires, elle faisait référence à un principe selon lequel une partie ne pouvait faire examiner à nouveau une cause d’action déjà tranchée, ajoutant ce qui suit, au paragraphe 19 de ses motifs :

Le principe de la chose jugée au sens de la préclusion pour même cause d’action ne s’applique pas parce que l’objet d’une action en contrefaçon ou en invalidité est très différent de celui d’une instance relative à un avis de conformité. Dans une instance relative à un avis de conformité, le juge doit simplement déterminer si les allégations d’invalidité ou d’absence de contrefaçon contenues dans un avis d’allégation sont justifiées. […] En clair, le tribunal n’est tout simplement pas saisi des questions de validité et de contrefaçon dans une instance relative à un avis de conformité.

[77]  Ainsi, le juge Sexton a clairement indiqué que les décisions rendues dans des instances relatives à un AC quant au caractère justifié d’allégations d’invalidité ou de contrefaçon ne pouvaient pas, au motif du principe de la chose jugée, empêcher que le fond des questions de validité ou de contrefaçon soit tranché dans des actions subséquentes. Cependant, il a ensuite fait observer qu’il était loisible à un juge de première instance d’appliquer les principes de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ou de l’abus de procédure dans une action intentée au titre de l’article 55 lorsqu’une partie tente de remettre en cause certaines questions de fait ou de droit déjà tranchées dans une instance antérieure, comme une demande d’AC, en soulignant qu’il appartient au juge de première instance, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, de décider si la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et l’abus de procédure s’appliquent de manière à empêcher la remise en cause. Le juge Sexton fait remarquer, au paragraphe 22 de ses motifs, que les principes sur lesquels reposait l’arrêt Sanofi peuvent, par conséquent, s’appliquer pour empêcher la remise en cause dans une action intentée au titre de l’article 55 de certaines questions déjà tranchées dans une instance relative à un AC.

[78]  Le juge Sexton a déclaré que les décisions rendues par les juges de première instance concernant l’application des principes de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ou de l’abus de procédure dépendent « d’une grande variété de circonstances » (Pfizer Ireland, au paragraphe 19). Il a estimé que, dans la plupart des cas, de telles décisions ne pouvaient pas être rendues dans le contexte de la requête concernant un acte de procédure comme celle dont est saisie la Cour en appel.

[79]  Le juge Sexton s’est ensuite penché sur l’arrêt de notre Cour Pfizer Limited c. Ratiopharm Inc., 2010 CAF 204, [2010] A.C.F. no 968 (QL), qui, à son avis, était le seul arrêt ayant porté sur la question de savoir « si les conclusions incidentes d’une instance relative à un avis de conformité peuvent avoir force obligatoire dans une action subséquente » (Pfizer Ireland, au paragraphe 23). Dans cet arrêt, la Cour devait établir si une conclusion de fait tirée dans une instance relative à un AC pouvait lier la Cour dans une action subséquente intentée au titre de l’article 55. Le juge Sexton a renvoyé aux paragraphes 25 et 26 de cet arrêt, où la juge Layden-Stevenson avait écrit ce qui suit :

Or notre Cour a déclaré à plusieurs reprises que les décisions prononcées à l’issue de ce que j’appellerai les « procédures AC » n’ont pas l’autorité de la chose jugée. Si Pfizer peut avoir raison de soutenir que le fondement factuel de Pfizer AC est le même que celui de l’action qui nous occupe, il ne s’ensuit pas que le fondement probatoire soit le même. Le tribunal tire ses conclusions de fait de la preuve produite devant lui dans l’affaire particulière dont il est saisi.

Le juge de première instance connaissait les procédures AC antérieures relatives au brevet 393 et estimait qu’elles pouvaient présenter un intérêt (paragraphe 18 de ses motifs). Cependant, il n’était ni ne pouvait être lié par les conclusions de fait d’une procédure AC antérieure. Il lui incombait plutôt de fonder ses conclusions sur la preuve produite devant lui. [paragraphes 25 et 26] [Soulignement ajouté par le juge Sexton.]

[80]  Le juge Sexton a ensuite fait observer que la juge Layden-Stevenson n’avait « pas écarté la possibilité d’appliquer le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ou de l’abus de procédure pour empêcher la remise en cause de la question factuelle si le dossier de la preuve à l’instruction était identique à celui de l’instance relative à l’avis de conformité. Il convient également de signaler qu’elle a examiné l’applicabilité de ces moyens de défense après l’instruction et sur le fondement d’un dossier factuel complet, plutôt qu’à un stade préliminaire. » (Pfizer Ireland, au paragraphe 23.)

[81]  Tout ce qui précède a amené le juge Sexton à répéter que les instances introduites en application de l’ancien Règlement étaient d’une nature différente de celles introduites en vertu de l’article 55 de la Loi sur les brevets, mais que les principes de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ou de l’abus de procédure demeuraient en vigueur dans une action intentée au titre de l’article 55, pour « empêcher la remise en cause de questions factuelles et juridiques incidentes afin d’économiser les ressources judiciaires, de maintenir l’intégrité du système de justice et d’éviter des conclusions incohérentes et les abus » (Pfizer Ireland, au paragraphe 24). En outre, le juge Sexton a affirmé qu’il était important que le juge de première instance tienne compte de la différence entre les deux types de procédures lorsqu’il fallait établir si l’abus de procédure et les principes connexes s’appliquent dans une action intentée au titre de l’article 55 : « les tribunaux devraient être conscients de la nature sommaire des instances relatives à un avis de conformité et du fait qu’aucun interrogatoire préalable ni témoignage de vive voix n’y est autorisé » (Pfizer Ireland, au paragraphe 25).

[82]  Pour trancher le présent appel, il est important de prendre en compte les observations du juge Sexton au paragraphe 25 de ses motifs de l’arrêt Pfizer Ireland selon lesquelles, parce que le principe de l’autorité de la chose jugée ne s’appliquait pas aux conclusions concernant la validité et la contrefaçon tirées dans le contexte d’une instance relative à un AC, il demeurait loisible aux parties de lancer d’autres procédures en vue d’obtenir une décision sur ces questions « dans d’autres forums ».

[83]  À mon avis, l’arrêt Pfizer Ireland de notre Cour ne laisse aucun doute sur le fait qu’on ne peut interdire que soit introduite une action au titre de l’article 55 parce qu’une décision a été rendue en application de l’article 6 de l’ancien Règlement. J’estime donc que la même conclusion doit être tirée en ce qui concerne l’action intentée au titre de l’article 6 du Règlement modifié, laquelle est, pour ainsi dire, une instance identique à une action intentée au titre de l’article 55.

[84]  Ainsi, bien que Pfizer ne puisse pas obtenir gain de cause dans la requête dont notre Cour est maintenant saisie, il lui est tout de même loisible de faire valoir les principes de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ou de l’abus de procédure lorsque l’action d’Amgen sera entendue. Quant à savoir si Pfizer peut obtenir gain de cause sur ce fondement à l’égard des conclusions de fait et des conclusions de droit tirées dans la décision du juge Hughes, comme le juge Sexton l’a clairement dit dans l’arrêt Pfizer Ireland, cela dépendra de l’examen de ces questions que fera le juge de première instance au vu des éléments de preuve.

[85]  Je vais maintenant examiner l’argument de Pfizer selon lequel le recours approprié pour Amgen en l’espèce n’était pas l’action prévue à l’article 6 du Règlement modifié, mais plutôt l’action prévue par la Loi sur les brevets. En termes simples, l’argument de Pfizer est qu’Amgen aurait dû retirer le brevet 537 du registre le plus tôt possible et intenter une action au titre de l’article 55. Pfizer vise par cette observation à convaincre la Cour qu’il ne découlerait aucun manquement à l’équité si l’action d’Amgen était rejetée au motif qu’il s’agit d’un abus de procédure.

[86]  Puisque j’ai conclu que l’action d’Amgen ne constitue pas un abus de procédure, il n’est pas nécessaire de déterminer si Amgen aurait dû retirer son brevet 537 du registre pour pouvoir intenter une action au titre de l’article 55 de la Loi sur les brevets, comme le soutient Pfizer. Je ferais toutefois les observations suivantes.

[87]  Le Règlement modifié établit clairement que, dans le cas d’un brevet inscrit, le breveté n’a d’autre choix que d’intenter une action conformément à l’article 6 du Règlement modifié. En outre, il ne fait pour moi aucun doute que le breveté n’a aucunement l’obligation de retirer son brevet du registre, sauf s’il a l’intention de ne plus être assujetti au Règlement modifié. De toute évidence, en l’espèce, Amgen ne souhaite pas se soustraire au Règlement modifié. Je suis convaincu que, si Pfizer a déposé une requête en rejet de l’action d’Amgen pour cause d’abus de procédure, c’est en vérité parce qu’elle s’oppose au droit d’Amgen d’obtenir le sursis automatique de 24 mois prévu par l’alinéa 7(1)d) du Règlement modifié. Autrement dit, Pfizer ne s’oppose pas au principe général selon lequel Amgen, comme tout autre breveté, a le droit d’intenter une action en contrefaçon concernant son produit, mais elle est d’avis qu’Amgen ne devrait pas et ne peut pas avoir le droit de bénéficier du sursis automatique.

[88]  Malheureusement pour Pfizer, le Règlement modifié n’étaye pas cette thèse. À mon sens, il s’agit d’une question sur laquelle le législateur aurait pu légiférer s’il l’avait jugé nécessaire. Le législateur ne s’étant pas prononcé sur la question, je ne peux que conclure, compte tenu du Règlement modifié, dans son libellé actuel, qu’Amgen peut bénéficier du sursis automatique de 24 mois. Absolument rien dans le Règlement modifié ne nous permet de tirer la conclusion que Pfizer voudrait nous voir tirer.

[89]  Pour ces motifs, je ne peux pas conclure que la protonotaire a commis une erreur dans son interprétation de l’arrêt Sanofi ou qu’elle a mal appliqué cet arrêt.

B.  La deuxième erreur de la protonotaire

[90]  J’examinerai maintenant la deuxième erreur qu’aurait commise la protonotaire, selon Pfizer. Pfizer soutient que la protonotaire n’a pas appliqué le critère juridique approprié pour trancher la requête. À mon avis, on ne peut souscrire à cette observation.

[91]  Pfizer cite le paragraphe 28 des motifs de la protonotaire et affirme que le critère du caractère évident et manifeste n’est clairement pas le bon. Dans ses observations, Pfizer renvoie aux paragraphes 31, 35 et 36 de l’arrêt Sanofi, où notre Cour explique que, puisque le principe de l’abus de procédure porte sur l’intégrité du processus judiciaire, le critère du caractère évident et manifeste n’est pas le critère approprié. Dans une requête comme celle dont nous sommes saisis en l’espèce, le rôle de notre Cour consisterait plutôt à tirer une conclusion de fond concernant l’incidence de l’instance en cause sur l’intégrité du processus judiciaire. Le fait qu’une instance ne soit pas futile n’empêche pas le dépôt d’une requête pour abus de procédure et n’est pas un moyen de défense contre une telle requête.

[92]  Pfizer soutient qu’en appliquant le mauvais critère, la protonotaire n’a pas tenu compte des principes qui sous-tendent l’abus de procédure. Plus particulièrement, Pfizer affirme que la protonotaire n’a pas tenu compte du fait qu’Amgen tentait d’obtenir le sursis automatique de 24 mois, ce qui, dans ces circonstances, est manifestement injuste pour Pfizer et pourrait jeter le discrédit sur l’administration de la justice.

[93]  À mon avis, la protonotaire n’a pas commis d’erreur en ce qui concerne le critère applicable puisque, malgré la phrase maladroite qui figure au paragraphe 28 de ses motifs, elle n’a clairement pas utilisé le critère du caractère évident et manifeste pour statuer sur la requête de Pfizer.

[94]  Le résumé de la décision de la protonotaire que j’ai fait aux paragraphes[22] à [34] ci-dessus montre clairement que la protonotaire a tiré une conclusion de fond sur la requête de Pfizer. Autrement dit, elle a examiné chacune des observations de Pfizer, en expliquant pourquoi elle considérait que ces observations ne pouvaient être retenues. Elle a examiné de manière rigoureuse toutes les questions de fond dont elle était saisie, y compris la question de savoir si, du fait des principes énoncés dans les arrêts Sanofi et Pfizer Ireland, l’action d’Amgen constituait un abus de procédure. À son avis, l’action d’Amgen ne constituait pas un abus de procédure, contrairement à la deuxième tentative de l’appelante dans l’arrêt Sanofi d’intenter une action en vertu du paragraphe 6(1) de l’ancien Règlement contre un autre fabricant de médicaments génériques sur des questions identiques. Il ressort clairement des motifs de la protonotaire que le critère du caractère évident et manifeste n’est pas celui qu’elle a appliqué pour parvenir à sa décision.

[95]  Je conclus donc que la protonotaire n’a pas commis d’erreur en ce qui concerne le critère applicable.

XI.  Conclusion

[96]  Pour les motifs qui précèdent, je rejetterais l’appel avec dépens.

« M. Nadon »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-24-19

 

INTITULÉ :

PFIZER CANADA INC. c. AMGEN INC. ET AMGEN CANADA INC.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er avril 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NADON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 4 octobre 2019

 

COMPARUTIONS :

Orestes Pasparakis

Mark Davis

Pour l’appelante

 

Dominique T. Hussey

Arthur B. Renaud

William A. Bortolin

Pour les intimées

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

NORTON ROSE FULBRIGHT CANADA S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

Pour l’appelante

 

BENNETT JONES LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour les intimées

 

 

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