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Date : 20191017


Dossier : A-410-18

Référence : 2019 CAF 255

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NADON

LA JUGE DAWSON

LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

 

 

VICTORIA Y. LOUIE

 

 

appelante

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

intimée

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 17 septembre 2019.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 17 octobre 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LA JUGE MACTAVISH

 


Date : 20191017


Dossier : A-410-18

Référence : 2019 CAF 255

CORAM :

LE JUGE NADON

LA JUGE DAWSON

LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

 

 

VICTORIA Y. LOUIE

 

 

appelante

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DAWSON

[1]  Les comptes d’épargne libres d’impôt (CELI) ont été conçus pour permettre aux Canadiens d’accroître leur épargne en touchant un revenu de placement libre d’impôt. Bien que les cotisations à un CELI ne soient pas déductibles aux fins de l’impôt, les gains réalisés dans ce type de compte ne sont généralement pas imposables. Ce principe général comporte des exceptions.

[2]  L’une de ces exceptions figure au paragraphe 207.05(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) qui prévoit, entre autres, qu’un impôt est à payer pour une année civile relativement à un CELI si, au cours de l’année, « un avantage relatif à [ce CELI] est accordé » au titulaire du CELI.

[3]  Le terme « avantage » lorsqu’il s’agit d’un CELI était, à la période pertinente en l’espèce, défini en grande partie ainsi à l’alinéa 207.01(1)b) de la Loi :

207.01(1) …

207.01(1) …

b) tout bénéfice qui représente une hausse de la juste valeur marchande totale des biens détenus dans le cadre du régime qu’il est raisonnable de considérer, compte tenu des circonstances, comme étant attribuable, directement ou indirectement : …

(b) a benefit that is an increase in the total fair market value of the property held in connection with the TFSA if it is reasonable to consider, having regard to all the circumstances, that the increase is attributable, directly or indirectly, to …

(i) soit à une opération ou à un événement, ou à une série d’opérations ou d’événements, qui, à la fois :

(i) a transaction or event or a series of transactions or events that

(A) ne se serait pas produit dans un contexte commercial ou financier normal où des parties sans lien de dépendance traitent librement, prudemment et en toute connaissance de cause,

(A) would not have occurred in an open market in which parties deal with each other at arm’s length and act prudently, knowledgeably and willingly, and

(B) a pour objet principal notamment de permettre à une personne ou à une société de personnes de profiter de l’exemption d’impôt prévue à la partie I à l’égard d’une somme relative au compte,

(B) had as one of its main purposes to enable a person or a partnership to benefit from the exemption from tax under Part I of any amount in respect of the TFSA, or

[…]

[4]  L’impôt à payer relativement à un « avantage » correspond, dans le cas d’un bénéfice, à « sa juste valeur marchande » (paragraphe 207.05(2)).

[5]  Ces dispositions sont au cœur de l’appel et de l’appel incident dont la Cour a été saisie.

I.  Le contexte factuel

[6]  L’appelante est une investisseuse avertie qui connaît très bien le marché boursier. Avant la création des CELI, l’appelante détenait deux comptes auprès de Courtage à escompte TD Waterhouse : un compte Transactions directes au Canada et un régime enregistré d’épargne-retraite autogéré. En janvier 2009, lorsque les règles sur les CELI ont été mises en œuvre, l’appelante a ouvert un CELI à TD Waterhouse.

[7]  En mai 2009, l’appelante désirait réaliser les gains obtenus sur les actions de son CELI et de son REER et mettre à l’abri de l’impôt les futurs gains des actions détenues dans son compte de titres. TD Waterhouse, à titre de fiduciaire du CELI de l’appelante, a confirmé à l’appelante que les titulaires de CELI sont autorisés à effectuer des opérations de swap sur actif entre leurs comptes. Par conséquent, l’appelante a décidé de transférer des actions de son compte de titres canadien à son CELI et son REER pour éliminer ou reporter l’impôt à payer sur des gains futurs.

[8]  L’appelante a effectué des recherches pour déterminer quelles actions présentaient la meilleure tendance à la hausse future, car ces actions offriraient la plus grande probabilité de gains à l’avenir. Dans le cas d’une action ayant une tendance à la hausse, l’appelante profiterait du transfert de l’action à son CELI, où elle serait à l’abri. De même, l’appelante a mené des recherches pour déterminer s’il existait un risque de dépréciation des actions détenues dans son CELI. S’il existait un risque qu’une action perde de la valeur, la pratique de l’appelante, en 2009, consistait à réaliser les gains obtenus dans son CELI en vendant ou en échangeant l’action contre une autre détenue dans son REER ou son compte de titres.

[9]  L’appelante a déterminé les actions et le nombre de celles-ci à transférer à son CELI ou de ce dernier à un autre compte. Elle a également choisi les valeurs qui seraient utilisées et consignées pour chaque action transférée, en fonction de leur fourchette de valeurs quotidienne sur le marché. Dans le cas des actions transférées à son CELI, l’appelante a choisi et demandé à TD Waterhouse d’utiliser le prix le plus bas auquel les actions avaient été négociées au cours de cette journée jusqu’au moment où elle a transmis ses instructions à TD Waterhouse. Dans le cas des actions transférées à partir de son CELI, l’appelante a choisi et demandé à TD Waterhouse d’utiliser le cours le plus élevé auquel les actions avaient été négociées à cette date jusqu’au moment où elle a transmis ses instructions à TD Waterhouse.

[10]  En 2009, l’appelante a effectué 71 opérations de swap ayant une incidence sur son CELI.

[11]  En octobre 2009, TD Waterhouse a avisé l’appelante qu’elle ne permettrait plus les opérations de swap en raison des modifications proposées au paragraphe 207.01(1) de la Loi. Par la suite, à partir du 17 octobre 2009, la définition du terme « avantage » a été modifiée pour inclure l’« opération de swap ». Cette modification ne s’applique pas aux présents appels puisque toutes les opérations de swap effectuées par l’appelante précèdent le 17 octobre 2009.

[12]  Les opérations de swap ont permis à l’appelante d’augmenter considérablement la proportion du capital-actions détenu dans son CELI. Les opérations ont également augmenté considérablement la juste valeur marchande totale du CELI de l’appelante au cours de l’année d’imposition 2009. En 2009, l’appelante a versé une cotisation initiale de 5 000 $ à ce compte (la cotisation maximale permise au cours de cette année). La valeur marchande de son CELI en date du 31 décembre 2009 était de 206 615,09 $. L’appelante a versé des cotisations de 5 000 $ à son CELI en 2010, 2011 et 2012. En date du 31 décembre 2010, la valeur marchande de son CELI était de 281 826,11 $. Au 31 décembre 2011 et au 31 décembre 2012, la valeur marchande du CELI était de 186 267,56 $ et 220 485 $, respectivement.

[13]  Lorsque l’appelante a cessé de se livrer à des opérations de swap en octobre 2009, elle a laissé les actions détenues dans son CELI, où elles étaient exposées aux forces du marché pour les autres années en cause.

[14]  Le ministre a établi de nouvelles cotisations pour les années d’imposition 2009, 2010 et 2012 pour déterminer l’impôt à payer relativement au CELI de l’appelante. Le ministre a établi les cotisations en tenant pour acquis qu’elle avait reçu un avantage au sens du paragraphe 207.01(1) de la Loi pour chaque année d’imposition en cause. L’avantage qui aurait été reçu chaque année équivalait à l’augmentation annuelle de la juste valeur marchande du CELI de l’appelante, moins sa cotisation de 5 000 $.

[15]  L’appelante a interjeté appel de cette cotisation à la Cour canadienne de l’impôt.

II.  La décision de la Cour de l’impôt

[16]  Pour les motifs dont la référence est 2018 CCI 225, la Cour de l’impôt a rejeté l’appel pour l’année d’imposition 2009, mais elle a accueilli les appels pour les années d’imposition 2010 et 2012.

[17]  En rejetant l’appel pour l’année d’imposition 2009, la Cour de l’impôt a conclu que l’appelante avait reçu un « avantage » relatif à son CELI en 2009. Cette décision découle des conclusions suivantes de la Cour de l’impôt :

  • a) Les opérations de swap faisaient partie d’une série d’opérations parce que les opérations de swap ont été effectuées en vue de réaliser la série. Il n’était donc pas nécessaire que l’appelante sache à l’avance quelles actions seraient échangées. Il suffisait à l’appelante de « planifie[r] d’effectuer des opérations de swap dans le but d’atteindre les objectifs de la série » (motifs, par. 39 et 40).

  • b) L’augmentation de la juste valeur marchande du CELI en 2009 était attribuable à la série d’opérations de swap (motifs, par. 38).

  • c) La série d’opérations de swap ne se serait pas produite dans un marché libre, où des parties sans lien de dépendance traitent librement, prudemment ou en toute connaissance de cause. Il en est ainsi en raison de la possibilité pour l’appelante de choisir le cours des actions au moment du transfert et le fait que toutes les opérations de swap ont été effectuées de façon à favoriser le CELI au détriment du REER et du compte de titres (motifs, par. 43 à 58).

  • d) L’un des principaux objets des opérations de swap effectuées par l’appelante était de bénéficier de l’exemption d’impôt prévue à la partie I sur la vente des actions détenues subséquemment dans le CELI. Il n’y aurait autrement aucun avantage à transférer les actions entre ces comptes (motifs, par. 41).

[18]  En accueillant l’appel pour les années d’imposition 2010 et 2012, la Cour de l’impôt a conclu que l’appelante n’avait pas reçu d’« avantage » relativement à son CELI au cours de ces années. Cette décision découle des conclusions suivantes de la Cour de l’impôt :

  • a) Lorsque l’on cherche à décider si une augmentation de la juste valeur marchande est attribuable aux opérations contestées, l’expression « directement ou indirectement » qui figure à l’alinéa 207.01(1)b) doit être interprétée de façon restrictive (motifs, par. 78, 81 et 82).

  • b) L’augmentation de la juste valeur marchande du CELI en 2010 et en 2012 n’est pas attribuable aux opérations de swap. Elle est plutôt attribuable à la reprise financière et aux conditions du marché après 2008 (motifs, par. 80 et 83).

[19]  L’appelante interjette appel de la décision de la Cour de l’impôt rejetant l’appel relativement à l’année d’imposition 2009. La Couronne interjette un appel incident du jugement ayant accueilli les appels pour les années 2010 et 2012.

III.  Questions en litige

[20]  Dans l’appel, notre Cour est appelée à décider si la Cour de l’impôt a commis une erreur en concluant ce qui suit :

  • a) Les opérations de swap faisaient partie d’une série d’opérations.

  • b) Les parties ayant pris part à la série d’opérations avaient un lien de dépendance.

  • c) L’un des principaux objets de la série d’opérations était de permettre à l’appelante de bénéficier de l’exonération d’impôt associée au CELI.

[21]  Il n’y a qu’une seule question en litige dans l’appel incident : la Cour de l’impôt a-t-elle commis une erreur en interprétant l’expression « directement ou indirectement » dans la définition du terme « avantage » à l’alinéa 207.01(1)b) de la Loi?

IV.  Examen des questions soulevées dans l’appel

La Cour de l’impôt a-t-elle commis une erreur en concluant que les opérations de swap faisaient partie d’une série d’opérations?

[22]  Lors de l’audience, l’appelante, se fondant sur le sens de l’expression « série d’opérations » selon la common law, énoncé par le juge Rothstein à l’occasion de la décision OSFC Holdings Ltd. c. Canada, 2001 CAF 260, [2002] 2 C.F. 288, au paragraphe 24, a affirmé que toutes les opérations pertinentes devaient être déterminées d’avance pour appartenir à une série d’opérations. Puisque la décision de l’appelante d’effectuer des opérations de swap futures dépendait des cours futurs du marché, les opérations en question ne pouvaient être planifiées. Il s’ensuit, selon l’appelante, que les opérations n’ont pas été déterminées d’avance et qu’elles ne constituaient pas une série d’opérations.

[23]  La Cour de l’impôt a rejeté cette prétention, constatant que le « juge Rothstein a toutefois reconnu, dans cette affaire, aux paragraphes 29, 34 et 35, et plus tard à l’occasion de l’affaire Copthorne Holdings Ltd. c. Canada, 2011 CSC 63, [2011] 3 R.C.S. 721, que le paragraphe 248(10) de la Loi a pour effet d’élargir [l]e sens » des mots « série d’opérations » selon la common law (motifs, par. 39).

[24]  Je suis du même avis. Le paragraphe 248(10) prévoit ce qui suit :

248(10) Pour l’application de la présente loi, la mention d’une série d’opérations ou d’événements vaut mention des opérations et événements liés terminés en vue de réaliser la série.

248(10) For the purposes of this Act, where there is a reference to a series of transactions or events, the series shall be deemed to include any related transactions or events completed in contemplation of the series.

[Non souligné dans l’original]

(underlining added)

[25]  Ainsi, dans l’arrêt Copthorne, le juge Rothstein, s’exprimant au nom de la Cour, conclut que « [l]e paragraphe 248(10) de la Loi élargit [le sens défini par la common law] en disposant que les “opérations [...] lié[e]s” terminées “en vue de réaliser” la série [...] sont réputées faire partie de la série » (par. 43). Il explique ce qui suit au paragraphe 54 :

Le texte et le contexte du par. 248(10) ne précisent pas le moment où la réalisation de la série doit être en vue (« contemplated »). Aucun élément du texte n’indique à quel moment l’opération liée doit être terminée par rapport à la série. Plus précisément, rien ne donne à penser que l’opération liée doit être terminée en vue (« in contemplation ») d’une série subséquente. Le contexte de la disposition élargit la définition de « série », ce qui milite contre une interprétation restrictive.

[Non souligné dans l’original.]

[26]  Comme l’a fait observer la Cour de l’impôt, la Cour suprême dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, explique que l’expression « en vue de réaliser » est employée, non pas « dans le sens d’une connaissance véritable, mais dans le sens plus général de “ en raison de ” ou “ relativement à ” la série ». La Cour suprême confirme ensuite, dans l’arrêt Copthorne, que « le libellé du par. 248(10) permet le rattachement prospectif ou rétrospectif d’une opération liée à une série au sens de la common law ».

[27]  Il s’ensuit que la Cour de l’impôt n’a pas commis d’erreur en concluant, au paragraphe 39, que « [t]out ce qu’il fallait, c’était que l’appelante planifie d’effectuer des opérations de swap dans le but d’atteindre les objectifs de la série ». Il s’ensuit également que la Cour de l’impôt n’a pas commis d’erreur en concluant, au paragraphe 40, que « [b]ien que la série d’opérations n’ait jamais eu de point final prédéterminé, toutes les opérations ont été effectuées en vue de réaliser la série ». L’appelante n’a pas démontré d’erreur de droit isolable ni d’erreur manifeste et dominante de fait qui justifierait une intervention de la Cour.

La Cour de l’impôt a-t-elle commis une erreur en concluant que les parties ayant pris part à la série d’opérations avaient un lien de dépendance?

[28]  À l’audience, l’appelante a soutenu que :

  • TD Waterhouse, à titre de fiduciaire du CELI, et TD Waterhouse, à titre de fiduciaire du REER, étaient des intervenants non liés aux 14 opérations effectuées entre le CELI et le REER de l’appelante.

  • TD Waterhouse, à titre de fiduciaire du CELI, et l’appelante, à titre de fiduciaire du compte de titres canadien, étaient des intervenants non liés aux 57 opérations effectuées entre le CELI et le compte de titre canadien de l’appelante.

[29]  Il s’ensuit, selon l’argumentation de l’appelante, que les parties ayant pris part aux opérations de swap n’avaient pas de lien de dépendance.

[30]  La Cour de l’impôt a rejeté cet argument, soutenant que les rapports  juridiques des intervenants en tant que personnes non liées pour l’application du paragraphe 251(2) de la Loi n’est pas déterminant lorsqu’il s’agit d’établir si ces intervenants ont agi sans lien de dépendance (motifs, par. 53).

[31]  La Cour a donc tenu compte des trois facteurs établis par les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada c. McLarty, 2008 CSC 26, [2008] 2 R.C.S. 79, au paragraphe 62, pour décider si les parties prenant part à une opération n’ont pas de lien de dépendance. La Cour de l’impôt a appliqué deux des trois facteurs (et souligné qu’il n’est pas nécessaire de satisfaire à tous ces critères dans chaque cas, renvoyant à l’arrêt Canada c. Remai, 2009 CAF 340). Cette analyse a mené la Cour de l’impôt à constater que l’appelante était le seul cerveau ayant dirigé l’ensemble des opérations de swap et que les parties qui contrôlent le REER et le compte de titres canadien ont agi de concert, sans intérêts distincts. La dernière conclusion reposait sur les éléments selon lesquels les opérations de swap vers le REER et le compte de titres canadien étaient toujours réalisées au cours le plus élevé, alors que celles à partir de ces comptes étaient toujours réalisées au cours le plus bas, si bien que le REER et le compte de titres canadien « ont toujours été mal servis par ces opérations » (motifs, par. 55 et 56).

[32]  L’appelante soutient à présent que la Cour de l’impôt a commis une erreur manifeste et dominante en concluant que les parties aux opérations de swap [traduction] « ont agi de concert, sans intérêts distincts, sous les seuls ordres de l’appelante » (mémoire des faits et du droit, par. 105). Encore une fois, l’appelante affirme que, s’il n’y avait qu’un seul cerveau dirigeant l’ensemble des opérations de swap, il s’agirait de TD Waterhouse qui, à titre de fiduciaire du CELI, imposait des exigences techniques aux opérations de swap qu’elle autorisait. L’appelante soutient également que les parties aux opérations de swap pouvaient maintenir des intérêts distincts puisque chaque partie recevait des actifs d’une juste valeur marchande équivalente à celle des actifs échangés (mémoire des faits et du droit, par. 120 et 121).

[33]  En l’espèce, l’alinéa 251(1)c) de la Loi s’applique. Par conséquent, la question de savoir si des personnes non liées entre elles sont ou non affiliées à un moment donné est une question de fait. L’appelante a admis les faits suivants à l’audience (pièce R1) :

  • Pendant toute la période pertinente, l’appelante [traduction] « a dirigé l’ensemble de ses placements et de ses négociations ». Elle s’est fiée à ses propres recherches, sans les conseils ou les services d’un courtier (par. 29).

  • L’appelante a déterminé les actions et le nombre de celles-ci à transférer à son CELI ou de son CELI à ses autres comptes ( par. 49).

  • L’appelante a indiqué à TD Waterhouse les actions et le nombre de celles-ci qu’elle souhaitait transférer de son CELI à son REER ou à son compte de titres canadien ou vice versa (par. 56).

  • L’appelante a également indiqué à TD Waterhouse la valeur à accorder aux titres qui étaient transférés à son CELI ou de son CELI à ses autres comptes (par. 57).

[34]  La Cour de l’impôt n’a pas commis d’erreur en concluant que l’appelante était le seul cerveau dirigeant les opérations de swap.

[35]  Quant à l’exigence que les actifs visés par les opérations de swap aient une juste valeur marchande égale, lorsque l’appelante a choisi les actions à échanger, elle avait l’avantage de connaître leurs fluctuations de prix quotidiennes (motifs, par. 45). Les actions transférées à son CELI étaient toujours cotées à leur cours le plus bas, alors que les actions transférées de son CELI à un autre compte étaient toujours cotées à leur cours le plus élevé. Ainsi, sans égard à la juste valeur marchande équivalente apparente, « le REER et le [compte de titres canadien] ont toujours été mal servis par ces opérations » (motifs, par. 56).

[36]  L’appelante n’a pas démontré que la Cour de l’impôt avait commis une erreur manifeste et dominante en concluant que les parties ayant pris part à la série d’opérations étaient affiliées.

La Cour de l’impôt a-t-elle commis une erreur en concluant que la série d’opérations avait notamment pour objet principal de permettre à l’appelante de bénéficier de l’exonération d’impôt associée au CELI?

[37]  Les motifs de la Cour de l’impôt sur cette question figurent au paragraphe 41 :

L’appelante a effectué cette série d’opérations dans le but de transférer des actions négociées à la TSX qui étaient détenues dans son REER et son [compte de titres canadien] vers son CELI. L’appelante soutient que bénéficier de l’exonération de l’impôt n’était pas l’un des objets principaux des opérations parce que le revenu imposable n’a pas été transféré entre ses comptes (mémoire de l’appelante, paragraphe 275). En effet, il n’y a presque pas eu de ventes d’actions. Toutefois, l’approche proposée par l’appelante va à l’encontre de la définition même du mot « objet », qui est [traduction] « la raison pour laquelle quelque chose est fait ». L’objet d’une action précède donc nécessairement sa réalisation. Que le but ultime soit atteint ou non ne change rien à l’objet initial qui a abouti à l’action. Pour déterminer l’objet d’une transaction, il faut examiner objectivement les faits : (Trustco, paragraphe 29). Il est vrai que l’appelant a engagé des frais d’opération de 3 195 $ (71 transactions multipliées par 45 $ par transaction) pour effectuer les opérations de swap. Cela, ajouté à la stratégie retenue par l’appelante d’identifier les tendances à la baisse et à la hausse du prix des actions échangées (comme il est expliqué au paragraphe 18 des présents motifs), donne lieu à une forte inférence qu’elle a effectué ses opérations pour bénéficier de l’exonération d’impôt prévue à la partie I sur la vente des actions détenues subséquemment dans le CELI. Le contribuable doit avoir eu l’intention de bénéficier d’une distribution libre d’impôt de son CELI par opposition à un retrait imposable de son REER ou à un gain imposable dans son [compte de titres canadien]. Je ne vois autrement aucun avantage à transférer les actions entre ces comptes. Par conséquent, je conclus que bénéficier de l’exonération d’impôt en vertu de la partie I était l’un des objets principaux de l’appelante dans l’exécution de la série d’opérations. L’exigence énoncée au sous-alinéa b)(i)(B) de la définition du mot « avantage » au paragraphe 207.01(1) est donc remplie.

[Non souligné dans l’original.]

[38]  L’appelante affirme que le raisonnement de la Cour de l’impôt [traduction] « signifierait qu’il peut être satisfait au critère relatif à l’objet par le simple fait que la série d’opérations concernait un CELI, ce qui rendrait cette disposition sans effet, puisqu’il serait toujours satisfait à  ce critère » (mémoire des faits et du droit, par. 136).

[39]  Je ne suis pas d’accord. La Cour de l’impôt n’a pas commis d’erreur de fait (et encore moins d’erreur de fait manifeste et dominante) en concluant que l’un des principaux objets de la série d’opérations était de permettre à l’appelante de bénéficier de l’exonération d’impôt associée au CELI.

[40]  La détermination du principal objet d’une opération non commerciale nécessite un examen des faits. En l’espèce, les faits pertinents comprennent les suivants :

  • L’appelante était au courant de l’exonération d’impôt associée au CELI.

  • L’appelante a mis en place une stratégie fondée sur des opérations hors marché pour transférer des valeurs considérables dans son CELI.

  • Les prix des actions choisis par l’appelante ont permis d’augmenter artificiellement le nombre d’actions transférées dans son CELI à chaque opération de swap (en utilisant le cours le plus faible des actions transférées dans le CELI) et ont permis d’augmenter artificiellement les gains réalisés dans le CELI lorsque les actions ont été transférées hors du CELI (en utilisant le cours le plus élevé de l’action ce jour-là).

[41]  Bien qu’il soit vrai que presque aucune des actions n’a été vendue, de sorte  que le revenu imposable n’a pas été déplacé entre les comptes de titres, la stratégie de l’appelante a eu pour résultat de gonfler la valeur du CELI et lui a permis de bénéficier d’une distribution libre d’impôt de son CELI (par opposition à un retrait imposable de son REER ou à un gain imposable dans son compte de titres canadien).

[42]  La Cour de l’impôt n’a pas commis d’erreur à l’égard de cette question.

Conclusion sur l’appel

[43]  Aucune erreur n’a été démontrée de la part de la Cour de l’impôt pour l’année d’imposition 2009. Par conséquent, je rejetterais l’appel.

V.  Examen de la question soulevée dans l’appel incident

La Cour de l’impôt a-t-elle commis une erreur en interprétant l’expression « directement ou indirectement » qui figure dans la définition du terme « avantage » à l’alinéa 207.01(1)b) de la Loi?

[44]  Dans l’appel incident, la Couronne soutient que la Cour de l’impôt a commis une erreur en interprétant la définition légale du terme « avantage » en se fondant sur une interprétation trop stricte de l’expression « qu’il est raisonnable de considérer, compte tenu de toutes les circonstances, comme étant attribuable, directement ou indirectement, à [...] ».

[45]  La Couronne fait valoir que l’interprétation de la Cour de l’impôt exclut à tort du champ de la définition du terme « avantage » toute augmentation de la valeur d’un CELI au cours des années subséquentes qui serait attribuable aux fonds transférés antérieurement indûment dans le CELI par suite d’opérations irrégulières. Ainsi, en l’espèce, la Couronne affirme que, sans les opérations de swap, après le 16 octobre 2009, l’appelante n’aurait pas disposé d’un capital suffisant pour s’adonner aux opérations boursières, à une telle hauteur, qui ont donné lieu aux augmentations de la juste valeur marchande observées dans le CELI en 2010 et en 2012.

[46]  L’interprétation de la définition légale du terme « avantage » est une question de droit, susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

[47]  Comme la Cour de l’impôt l’indique à juste titre au paragraphe 62 de ses motifs, l’interprétation d’une disposition contestée doit s’appuyer sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique de celle-ci.

[48]  Par souci de commodité, je répète la partie pertinente de la définition : le terme « avantage », relativement à un CELI, s’entend de « tout bénéfice qui représente une hausse de la juste valeur marchande totale des biens détenus dans le cadre du [CELI] qu’il est raisonnable de considérer, compte tenu de toutes les circonstances, comme étant attribuable, directement ou indirectement » « soit à une opération ou un événement ou à une série d’opérations ou d’événements qui » répond à des critères particuliers (non souligné dans l’original).

[49]  Examinons ensuite le texte à la lumière de la définition du terme « avantage », en gardant à l’esprit que « [l]orsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. » (Trustco Canada, par. 10.)

[50]  Comme l’indique à bon droit la Cour de l’impôt au paragraphe 68, l’utilisation de l’expression « directement ou indirectement » confirme l’intention du législateur de « saisir toutes les méthodes par lesquelles une transaction pourrait accroître » la juste valeur marchande d’un CELI.

[51]  Toutefois, la Cour de l’impôt conclut ensuite que la présence de l’expression « raisonnable de considérer, compte tenu de toutes les circonstances » « constitue une contrainte quant à la possibilité que les mots “ directement ou indirectement ” s’interprètent de façon trop inclusive et appellent une analyse des autres » circonstances pertinentes (motifs, par. 69). Ce raisonnement est appuyé par l’arrêt Trustco Canada, dans lequel la Cour suprême fait remarquer que la présence du mot « raisonnable » au paragraphe 245(4) de la Loi fait en sorte que l’interprétation de cette disposition est « atténuée », « indiquant “que le ministre ou le tribunal dispose d’une certaine latitude pour décider s’il y a abus” » (motifs, par. 69).

[52]  La Cour de l’impôt invoque des affaires comme Medland c. Canada, 1998 CanLII 7895 (C.A.F.), et Canada c. Kieboom, [1992] 3 CF 488, (C.A.F.), dans lesquelles l’expression « directement ou indirectement » est interprétée en lien avec le transfert de biens (motifs, par. 70 à 72). Ceci dit, elle souligne que sa décision dans l’affaire Garron (Fiducie familiale) c. La Reine, 2009 CCI 450, offre « un contraste intéressant à la jurisprudence citée précédemment ». Dans cette affaire, lorsqu’il s’agit de savoir si une fiducie « a acquis des biens, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit », le juge de première instance « s’est toutefois dit préoccupé par la portée de ces mots » (motifs, par. 73).

[53]  La Cour de l’impôt conclut ainsi son analyse textuelle au paragraphe 76 :

Même si, en tenant compte de l’ensemble de la jurisprudence citée précédemment, l’on pouvait conclure qu’elle va dans le sens d’une interprétation large des mots « directement ou indirectement » de l’alinéa b) de la définition du mot « avantage » au paragraphe 207.01(1), l’absence du facteur de raisonnabilité et l’inclusion des mots tels que « par tout autre moyen que ce soit » ou « de quelque manière que ce soit » dans les dispositions en cause dans toute la jurisprudence citée précédemment constituent deux distinctions importantes entre les faits de ces affaires et ceux de l’affaire de l’appelante. Comme on le verra plus loin dans mon analyse, les réserves du juge Woods au sujet de l’ambiguïté des mots « directement ou indirectement » sont plus pertinentes quant à une disposition comme l’alinéa b), en cause en l’espèce, qui, d’un point de vue analytique, n’a ni de point de départ ni de point final.

[Non souligné dans l’original.]

[54]  Je ne peux convenir que l’obligation de fonder la détermination de la source d’une augmentation de la valeur d’un CELI sur ce « qu’il est raisonnable de considérer, compte tenu de toutes les circonstances » limite la signification textuelle large de l’expression « directement ou indirectement ». J’en arrive à cette conclusion pour les motifs suivants.

[55]  Premièrement, j’admets l’argument de la Couronne selon lequel l’expression « raisonnable de considérer » nécessite simplement un examen objectif de toutes les circonstances pertinentes lorsqu’il s’agit de décider si une augmentation de la juste valeur marchande d’un CELI est directement ou indirectement attribuable à une opération ou à une série d’opérations ou d’événements. La nécessité de tenir compte objectivement de toutes les circonstances pertinentes ne limite pas le sens large de l’expression « directement ou indirectement ».

[56]  L’extrait de l’arrêt Trustco Canada invoqué par la Cour de l’impôt, dans son ensemble, n’exige pas que la notion du caractère raisonnable limite le sens de l’expression « directement ou indirectement ». Le paragraphe 37 de l’arrêt Trustco Canada est rédigé ainsi :

C’est cette condition qui soulève le plus de difficultés en matière d’interprétation et d’application de la RGAÉ. Un certain nombre de caractéristiques ont suscité un débat judiciaire. Cette disposition rédigée sous forme de double négation prévoit que « l’opération dont il est raisonnable de considérer qu’elle n’entraîne pas, directement ou indirectement, d’abus [...] n’est pas visée » par la RGAÉ. Elle est atténuée par l’emploi du mot « raisonnable » qui indique que le ministre ou le tribunal dispose d’une certaine latitude pour décider s’il y a abus. Elle ne donne pas une définition précise de l’abus. Pour compliquer davantage les choses, les versions française et anglaise du par. 245(4) sont différentes. Au cœur de ces difficultés se trouve la question du lien entre la RGAÉ et certaines dispositions plus précises de la Loi.

[57]  À cette étape de ses motifs, la Cour suprême décrit les difficultés que pose l’interprétation de la règle générale anti-évitement. Elle ne se livre pas à une interprétation de la disposition. Finalement, elle conclut simplement que la règle générale anti-évitement ne permet pas « de supprimer un avantage fiscal s’il est raisonnable de considérer que les opérations étaient conformes à l’objet ou à l’esprit des dispositions de la Loi, selon une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique de ces dispositions » (Trustco, par. 62).

[58]  Par la suite, dans l’arrêt Lipson c. Canada, 2009 CSC 1, [2009] 1 R.C.S. 3, cette cour examine de plus près l’expression « directement ou indirectement », qui figure au paragraphe 254(4) de la Loi. Au paragraphe 37, les juges majoritaires écrivent ce qui suit :

[…] De plus, le par. 245(4) prévoit qu’un avantage fiscal peut être supprimé lorsqu’une opération entraîne « directement ou indirectement » un abus dans l’application des dispositions de la Loi lues ou non dans leur ensemble. L’emploi des adverbes « directement ou indirectement » traduit l’intention du législateur que la RGAÉ s’applique même lorsque l’abus résulte indirectement d’une opération. Il s’ensuit logiquement qu’il faut tenir compte de la série d’opérations pour déterminer si l’une d’elles est abusive, sinon seules les opérations entraînant directement un abus tomberaient sous le coup de la disposition. Enfin, dans l’arrêt Kaulius, notre Cour a convenu que pour l’application du par. 245(4), l’analyse peut être effectuée « à la lumière de la série d’opérations » (par. 46; voir aussi le par. 56).

[Non souligné dans l’original.]

[59]  L’utilisation de la phrase « s’il est raisonnable de considérer » ne limite pas la signification textuelle des mots « directement ou indirectement ».

[60]  Deuxièmement, à mon avis, l’interprétation stricte adoptée par la Cour de l’impôt dans la décision Garron (Fiducie familiale) n’est pas fondée. Comme cette cour le souligne à juste titre en l’espèce, l’interprétation des mots « directement ou indirectement » dans les cas de transfert de biens (comme l’affaire Garron (Fiducie familiale)) ne convient pas aussi bien à l’alinéa b) de la définition du terme « avantage ».

[61]  Quoi qu’il en soit, les réserves que la Cour de l’impôt exprime dans la décision Garron (Fiducie familiale) ont été rejetées par notre Cour dans l’arrêt Fundy Settlement c. Canada, 2010 CAF 309, [2012] 2 R.C.F. 374, aux paragraphes 78 à 80 (confirmé, mais pas sur ce point dans Fundy Settlement c. Canada, 2012 CSC 14, [2012] 1 R.C.S. 520). Bien que la Cour suprême n’ait pas tenu compte des arguments qui lui ont été présentés sur cette question et ait fait une mise en garde en précisant qu’on ne doit pas considérer qu’elle admette les conclusions de notre Cour sur une question qu’elle n’a pas elle-même examinée, le jugement de notre Cour demeure valide et exécutoire.

[62]  En outre, en l’espèce, l’exigence exprimée dans la définition du terme « avantage », soit qu’il faut tenir compte de manière raisonnable de toutes les circonstances pertinentes, a mené la Cour de l’impôt à faire une interprétation étroite des mots « directement et indirectement ». Toutefois, aucune telle exigence ne figurait dans la Loi à l’époque de l’affaire Garron (Fiducie familiale). Par conséquent, les réserves exprimées par cette cour dans cette affaire quant à la portée de l’expression « directement ou indirectement » n’était pas fondée sur la formulation ayant mené la Cour de l’impôt en l’espèce à adopter une interprétation stricte de la définition légale du terme « avantage ».

[63]  Finalement, comme il est indiqué au paragraphe 76 des motifs de la Cour de l’impôt, cette dernière s’est également fondée sur l’absence d’expressions comme « par tout autre moyen que ce soit » ou « de quelque manière que ce soit » dans la définition du mot « avantage » pour adopter une interprétation stricte de l’expression « directement ou indirectement ». Des expressions de ce genre figurent dans les dispositions portant sur les transferts de biens.

[64]  Encore là, je ne puis être d’accord. Ces expressions supplémentaires, bien qu’elles soient utiles dans les affaires visant le transfert de biens et les mécanismes de transfert de ces biens, ne sont pas nécessaires dans la définition du terme « avantage ». Cette définition sert à décider si l’augmentation est directement ou indirectement attribuable à une opération ou à un événement ou à une série d’opérations ou d’événements.

[65]  En conclusion, l’exigence de tenir compte objectivement de toutes les circonstances pertinentes et l’absence de tout autre qualificatif ne justifient pas une interprétation stricte de l’expression « directement ou indirectement ».

[66]  Examinons ensuite le contexte légal.

[67]  La Cour de l’impôt examine l’économie de la Loi aux paragraphes 29 à 34 de ses motifs. Comme elle le fait observer, à juste titre, l’article 146.2 de la Loi permet la création de CELI. Le paragraphe 146.2(5) définit les règles relatives à la création des CELI, alors que le paragraphe 146.2(6) énonce la règle générale selon laquelle un CELI permet la capitalisation libre d’impôt du rendement des placements ainsi que des distributions libre d’impôt des gains accumulés. Ces dispositions sont énoncées dans la partie I de la Loi, qui établit le régime d’imposition général.

[68]  Les articles 207.01 et 207.05 figurent dans la partie XI.01 de la Loi. En 2009 et 2010, cette partie de la Loi était intitulée « Impôts relatifs aux comptes d’épargne libre d’impôt ». Plus tard, en mars 2011, cette partie a été renommée « Impôts relatifs aux CÉLI, aux FERR et aux REER ». La partie XI.01 peut être décrite comme un régime anti-évitement visant à prévenir l’abus dans l’application des dispositions de la partie I de la Loi qui donnent lieu à certains avantages fiscaux, dont l’avantage assuré par les CELI, précisé au paragraphe 146.2(6) de la Loi.

[69]  À mon avis,  rien dans ce qui précède ne nécessite ni ne favorise une définition stricte du terme « avantage ».

[70]  Examinons ensuite l’objet de l’expression « directement ou indirectement » qui figure à l’alinéa b) de la définition du terme « avantage ».

[71]  La Cour de l’impôt se penche sur l’objet de la disposition aux paragraphes 64 à 66 de ses motifs et indique, à bon droit, qu’elle constitue une règle anti-évitement. L’alinéa b), interprété à la lumière du paragraphe 207.05(1), impose la totalité de l’augmentation de la juste valeur marchande du CELI attribuable à une opération ou à un événement (ou à une série d’opérations ou d’événements) qui ne se serait pas produit dans un marché libre entre des parties sans lien de dépendance. Comme l’explique la Cour de l’impôt, l’objet de la disposition est ainsi présenté dans les notes explicatives du budget de 2009 : l’alinéa b) de la définition « sert à [protéger contre] les opérations conçues pour transférer artificiellement le revenu imposable du titulaire vers l’abri que constitue le CÉLI ou pour contourner les plafonds de cotisation au CÉLI » (motifs, par. 64).

[72]  La Cour fait une mise en garde : bien que « l’alinéa b) soit lui-même une disposition anti-évitement, il s’agit d’un régime législatif qui vise, précisément, à encourager une augmentation de l’épargne libre d’impôt. Il y a donc une tension inhérente entre l’objet de la disposition et le régime dans son ensemble. » (Motifs, par. 65).

[73]  Finalement, la Cour fait observer que, bien que les notes explicatives du budget « décrivent le type d’opérations considérées comme choquantes », elles « n’ajoutent aucun renseignement supplémentaire sur le moment où un avantage (c.-à-d. une augmentation de la valeur) ni jusqu’où dans l’avenir un avantage sera considéré comme étant attribuable à de telles opérations » (motifs, par. 66).

[74]  N’en déplaise à certains, je ne constate aucune tension dans le régime légal entre l’avantage procuré à la partie I de la Loi et le régime anti-évitement de la partie XI.01 qui justifie une interprétation stricte de la disposition anti-évitement. Les dispositions de la partie XI.01 visent plutôt à cibler et à prévenir certaines applications abusives des dispositions prévoyant l’avantage général accordé dans la partie I. Le fait que le législateur visait à conférer des avantages fiscaux n’est pas, en soi, pertinent lorsqu’il s’agit d’’interpréter les dispositions visant à contrer des applications abusives précises, comme des opérations ayant pour résultat de transférer artificiellement un revenu imposable dans un CELI afin de le mettre à l’abri.

[75]  De même, la réserve de la Cour de l’impôt sur « le moment où un avantage [. . .] ni jusqu’où dans l’avenir un avantage sera considéré comme étant attribuable à » des opérations abusives ne justifie pas l’interprétation restrictive de la définition du terme « avantage ». D’autres dispositions sont censées répondre à pareilles réserves, dont la faculté du ministre de renoncer à des avantages fiscaux ou de les annuler (par. 207.06(2) de la Loi) et de déterminer les droits inutilisés de cotisation à un CÉLI (par. 207.01(1) de la Loi et plus particulièrement la définition de « droits inutilisés de cotisation à un CÉLI » ajoutée par le truchement du chapitre 25 des L.C. 2010, par. 57(5) et 57(8). Voir également les notes techniques du ministère des Finances relativement aux « droits inutilisés de cotisation à un CÉLI » au paragraphe 207.01(1)). La faculté de renoncer à un avantage fiscal et de rétablir les droits inutilisés de cotisation à un CELI sont des mécanismes visant à remédier aux répercussions futures des opérations abusives.

[76]  De même, la question de savoir jusqu’où dans l’avenir les opérations contestées continuent à avoir des effets sur le CELI est, dans tous les cas, une question de fait. Pour chaque année d’imposition visée, la question à trancher est celle de savoir dans quelle mesure l’augmentation de la juste valeur marchande du CELI est attribuable directement ou indirectement aux opérations contestées.

[77]  En conclusion, les réserves de la Cour de l’impôt sur la tension qui existe au sein de la loi et les effets futurs et continus des opérations contestées n’enlèvent rien à la clarté de l’objet de la disposition. L’objectif anti-évitement des articles 207.01 et 207.05 étaye une interprétation large de la définition du terme « avantage ».

[78]  Appliquons ensuite cette analyse textuelle, contextuelle et téléologique aux faits en l’espèce.

[79]  Voici ma conclusion :

  • À l’égard de l’analyse textuelle, j’estime que l’obligation de déterminer la source de l’augmentation de la valeur d’un CELI à la lumière de ce « qu’il est raisonnable de considérer, compte tenu de toutes les circonstances » ne restreint pas la signification textuelle large de l’expression « directement ou indirectement ».

  • Je ne vois rien dans le contexte légal qui nécessite ou privilégie une définition étroite et limitée du terme « avantage ».

  • L’objectif anti-évitement des articles 207.01 et 207.05 appuie une interprétation large du terme « avantage ».

[80]  À mon humble avis, il s’ensuit que la Cour de l’impôt a commis une erreur en appliquant une interprétation restrictive de l’alinéa b) de la définition du terme avantage (motifs, par. 82). La Cour de l’impôt s’est fondée sur cette interprétation pour conclure ainsi au paragraphe 83 :

[. . .] [L]’augmentation de la valeur des actions en 2010 et 2012 n’est pas attribuable aux opérations de swap. L’augmentation est plutôt attribuable à ce qui s’est produit sur le marché et, à mon avis, elle ne constitue une conséquence ni directe ni indirecte des opérations de swap.

[81]  Les opérations de swap de 2009 ont été effectuées hors marché. L’appelante, en sélectionnant les cours qui seraient consignés pour chaque action visée, a ainsi transféré des actions à son CELI et de son CELI à d’autres comptes à des cours hors marché de façon à cristalliser les gains hors marchés considérables dans le CELI. Cette méthode a également permis à l’appelante de transférer davantage d’actions dans son CELI.

[82]  Les opérations de swap ont eu pour effet d’accroître indûment le nombre d’actions détenues dans le CELI et la valeur du CELI en 2009. Sans cette méthode, l’augmentation de la valeur du CELI en 2010 et en 2012 n’aurait pas été aussi marquée. Autrement dit, bien que la valeur du CELI en 2010 et en 2012 soit directement attribuable au rendement des actions détenues dans le compte chaque année, elle était indirectement attribuable aux opérations de swap, qui ont eu pour effet d’augmenter le nombre d’actions détenues dans le CELI et leur valeur.

[83]  En ce qui concerne la conclusion de la Cour de l’impôt selon laquelle l’augmentation de la valeur des actions détenues dans le CELI était « attribuable à ce qui s’est produit sur le marché », à l’audience, l’appelante a admis les faits suivants (pièce R1) :

[traduction]

118.  Le ministre a établi les cotisations de l’appelante en tenant pour acquis qu’elle avait reçu des avantages au sens du paragraphe 207.01(1) de la Loi pour chacune de ces années, soit les augmentations annuelles de la juste valeur marchande totale des biens détenus dans le CELI, moins les cotisations annuelles de 5 000 $.

119.  La position du ministre relativement à la cotisation était fondée sur le fait que l’appelante a reçu des avantages sous la forme d’augmentations de la juste valeur marchande des biens détenus dans le CELI, moins les cotisations annuelles de 5 000 $ qui, eu égard à toutes les circonstances, étaient raisonnablement attribuables à des opérations :

a)  qui ne se seraient pas produites dans un marché libre, où les parties sans lien de dépendance traitent librement, prudemment et en toute connaissance de cause;

b)  avaient notamment pour objet principal de permettre à l’appelante de bénéficier d’une exemption d’impôt l’égard d’une somme relative au CELI, puisqu’ils donnent lieu à des gains libres d’impôt considérables dans le CELI, que l’appelante pouvait retirer.

[Non souligné dans l’original.]

[84]  L’appelante n’a pas produit de preuve à l’audience pour réfuter les hypothèses du ministre attribuant les augmentations de la valeur du CELI de l’appelante en 2010 et en 2012 aux opérations de swap contestées (moins la cotisation annuelle de l’appelante dans ce compte).

[85]  Dans ces circonstances, il n’était pas loisible à la Cour de l’impôt de conclure que les augmentations étaient attribuables « à ce qui s’est produit sur le marché ».

Conclusion sur l’appel incident

[86]  La Cour de l’impôt a commis une erreur dans son interprétation de la définition du terme « avantage » qui figure à l’alinéa 207.01(1)b) de la Loi et a commis une erreur en ne concluant pas que l’augmentation de la juste valeur marchande du CELI en 2010 et en 2012 était indirectement attribuable aux opérations de swap entreprises en 2009, ce qui correspond à la définition d’un « avantage » au paragraphe 207.01(1).

VI.  Conclusion

[87]  Pour les motifs qui précèdent, je rejetterais l’appel relativement à l’année d’imposition 2009 et j’accueillerais l’appel incident relativement aux années d’imposition 2010 et 2012. Je condamnerais l’appelante aux dépens devant notre Cour.

[88]  Prononçant le jugement qui aurait dû l’être, je modifierais le jugement de la Cour de l’impôt de façon à rejeter les appels portant sur les années d’imposition 2010 et 2012 et je condamnerais l’appelante aux dépens devant la Cour de l’impôt.

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

M. Nadon, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Anne L. Mactavish, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-410-18

 

 

INTITULÉ :

VICTORIA Y. LOUIE c.

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 septembre 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE :

Le 17 octobre 2019

 

COMPARUTIONS :

Alan D. Louie

Pour l’appelante

 

Ron D. F. Wilhelm

David Everett

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alan D. Louie

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour l’appelante

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimée

 

 

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