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Date : 20191023


Dossier : A-240-18

Référence : 2019 CAF 267

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE RIVOALEN

LE JUGE LOCKE

 

 

ENTRE :

JASON JANE LIPSKAIA

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

Audience tenue à Montréal (Québec), le 15 octobre 2019.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 23 octobre 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE RIVOALEN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LOCKE

 


Date : 20191023


Dossier : A-240-18

Référence : 2019 CAF 267

CORAM :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE RIVOALEN

LE JUGE LOCKE

 

 

ENTRE :

JASON JANE LIPSKAIA

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE RIVOALEN

I.  Introduction

[1]  Le présent appel porte sur le caractère raisonnable d’une décision de révoquer un passeport. L’appelant interjette appel d’une décision rendue par le juge Diner de la Cour fédérale (2018 CF 789) le 26 juillet 2018, dans laquelle il a rejeté une demande de contrôle judiciaire déposée par l’appelant contestant une décision rendue le 2 janvier 2018 par la Division de l’admissibilité et des enquêtes-Passeport (la Division des passeports) d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. La Division des passeports a révoqué le passeport GC165363 délivré au nom de Jason Lane Lipskaia et a imposé une période de refus de prestation de services de passeport d’une durée de sept ans, à compter de la date du dépôt de la demande de passeport (soit le 10 octobre 2013) jusqu’au 10 octobre 2020.

[2]  Pour les motifs suivants, je rejetterais l’appel.

[3]  L’historique des procédures judiciaires dans le présent dossier est bien établi aux paragraphes 2 à 8 des motifs de la Cour fédérale. Il n’est pas nécessaire de le répéter dans les présents motifs.

[4]  L’appelant agit pour son propre compte. Il fait valoir trois arguments pour appuyer son appel.

  1. Il conteste la compétence de la Cour fédérale et son autorité à écarter une ordonnance d’une cour supérieure provinciale.

  2. Il affirme que son droit à une instruction équitable n’a pas été respecté.

  3. Il soutient que la Cour fédérale a commis une erreur en le liant à Randall Robert Wiese.

II.  Compétence de la Cour fédérale

[5]  La compétence de la Cour fédérale est une question de droit à laquelle il faut appliquer la norme de la décision correcte.

[6]  La question de la compétence de la Cour fédérale a occupé la plus grande part des observations verbales formulées par l’appelant devant notre Cour. L’appelant souligne, avec raison, dans son mémoire des faits et du droit que les questions portant sur l’enregistrement des naissances relèvent de la compétence provinciale, et que la Cour fédérale n’a pas compétence pour examiner ou par ailleurs modifier les décisions d’instances albertaines relativement à des questions tombant sous le coup de sa Vital Statistics Act, S.A. 2007, ch. V-4.1.

[7]  L’appelant s’appuie sur une ordonnance rendue par un juge du Banc de la Reine de l’Alberta enjoignant au registraire provincial d’enregistrer un certificat de naissance au nom de Jason Jane Lipskaia, conformément à la Vital Statistics Act. L’appelant renvoie au paragraphe 55 des motifs de la Cour fédérale et affirme que celle-ci n’a pas compétence pour écarter cette ordonnance d’une cour provinciale.

[8]  Au paragraphe 55 de ses motifs, la Cour fédérale a réitéré les faits du dossier et a conclu qu’il était raisonnable de la part de la Division des passeports de privilégier les renseignements les plus récents des organismes du gouvernement de l’Alberta selon lesquels l’enregistrement de la naissance de Jason Jane Lipskaia n’était plus valide, car il était fondé sur des renseignements frauduleux. La Cour fédérale n’a pas écarté l’ordonnance de la cour provinciale.

[9]  Durant ses observations verbales devant notre Cour, l’appelant a fourni d’autres renseignements relativement à la validité de l’enregistrement de la naissance de Jason Jane Lipskaia. Il affirme que les autorités provinciales albertaines ont consenti à annuler la révocation du certificat de naissance et de tenir une nouvelle audience en Alberta à la fin du mois d’octobre 2019. L’intimé a confirmé cette information et a ajouté que le procureur de la Couronne de l’Alberta l’avait informé que la délivrance du certificat de naissance demeurait une question qui reste à trancher. Le procureur de la Couronne de l’Alberta estime que le certificat de naissance devrait être révoqué, car il était fondé sur des renseignements frauduleux.

[10]  Cette nouvelle information au sujet du processus en cours en Alberta a été soulevée pour la première fois lors de la plaidoirie. Elle aide quelque peu à mettre davantage en contexte la question de la validité du certificat de naissance. Néanmoins, aux fins de la présente audience, notre Cour n’a pas besoin de savoir si le certificat de naissance sera ultimement révoqué ou non. Le dossier comprend d’autres éléments de preuve permettant de justifier la décision de la Division des passeports.

[11]  Quant à la question de compétence, la Cour fédérale a compétence pour procéder au contrôle judiciaire des décisions de la Division des passeports, comme le prévoit le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration est responsable de la délivrance, du refus de délivrer, de la révocation et de la récupération des passeports, et du refus de tout service de passeport. Le passeport en soi demeure en tout temps la propriété de Sa Majesté du chef du Canada (voir le Décret sur les passeports canadiens, TR/81-86, aux alinéas 3c) et 10(2)d) (le Décret sur les passeports canadiens).

[12]  La Cour fédérale n’a commis aucune erreur dans l’exercice de sa compétence.

III.  Équité procédurale

[13]  Comme devant la Cour fédérale, l’appelant a soulevé des questions relatives à l’équité procédurale devant notre Cour. Il a réitéré ses arguments voulant qu’aucun avis selon lequel son passeport avait été révoqué n’a jamais été officiellement signifié à Jason Jane Lipskaia. Il soutient que Jason Jane Lipskaia n’a jamais été reconnu coupable d’avoir commis un crime. Il s’est plaint du fait que toute la correspondance et les différents moyens de communication utilisés au cours de la présente instance visaient Randall Wiese, et non Jason Jane Lipskaia.

[14]  Lorsqu’il est question d’équité procédurale, il convient de consulter la décision rendue par notre Cour dans l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2018] A.C.J. no 382. Notre Cour a rappelé que « [l]a cour qui apprécie un argument relatif à l’équité procédurale doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances » et que le fait de « [t]enter de caser la question de l’équité procédurale dans une analyse relative à la norme de contrôle applicable est [...] un exercice non rentable » (aux paragraphes 54 et 55). Même si nous les qualifions habituellement de contrôles fondés sur la norme de la décision correcte, les questions d’équité procédurale ne sont soumises à aucune norme de contrôle particulière. Il s’agit plutôt d’une question juridique que la Cour doit trancher. En outre, lorsque la Cour évalue une question d’équité procédurale, elle doit être convaincue que celle-ci a été respectée.

[15]  Dans son analyse, la Cour fédérale s’est dûment concentrée sur la question de savoir si la Division des passeports avait enfreint les principes d’équité procédurale et si ces principes avaient été respectés, compte tenu de l’ensemble des circonstances (motifs, aux paragraphes 11 à 35).

[16]  Il ressort clairement du dossier que, devant la Division des passeports et devant la Cour fédérale, l’appelant connaissait la nature de la preuve à son encontre, qu’il avait reçu tous les documents pertinents, et qu’il avait eu une occasion raisonnable de répondre aux observations formulées à son encontre. Sa plainte concernant le nom figurant sur la correspondance qu’il a reçue est plutôt une question de forme que de fond; en outre, il a pleinement participé aux audiences devant la Division des passeports et la Cour fédérale. Il a également entièrement participé aux procédures devant notre Cour. Le processus était équitable.

[17]  La Cour fédérale a eu raison de conclure qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale.

IV.  Lien erroné entre Jason Jane Lipskaia et Randall Wiese

[18]  L’appelant a de nouveau soutenu qu’il n’avait jamais été reconnu coupable d’avoir obtenu un certificat de naissance frauduleux ou de toute autre infraction criminelle. Il ressort de ses observations écrites que la Cour fédérale a mal interprété la preuve ou accordé trop d’importance à certains renseignements au dossier.

[19]  La norme de contrôle devant s’appliquer à l’examen d’une décision de la Division des passeports est celle de la décision raisonnable. La Cour fédérale a bien choisi cette norme de contrôle et l’a appliquée comme il se doit (motifs, au paragraphe 37). La Cour fédérale a conclu que la décision de la Division des passeports de révoquer le passeport de Jason Jane Lipskaia et de lui imposer un refus de services pendant sept ans était raisonnable. Je partage cet avis.

[20]  Malgré l’incertitude entourant la validité du certificat de naissance délivré au nom de Jason Jane Lipskaia, que j’ai abordée aux paragraphes [9] et [10] des présents motifs, le dossier contient des éléments de preuve solides selon lesquels l’identité de l’appelant est Randall Robert Wiese. Voici quelques exemples d’éléments de preuve relevés par la Division des passeports durant sa détermination de l’identité de l’appelant :

  1. Randall Robert Wiese a plaidé coupable à des accusations d’utilisation d’une fausse identité au nom de Jason Jane Lipskaia (DA, vol. 2, pages 384-385);

  2. Service Alberta a informé le Programme des passeports du caractère frauduleux de l’identité de Jason Jane Lipskaia (DA, vol. 2, pages 554-556);

  3. Alberta Vital Statistics a ordonné la suppression de l’enregistrement différé d’une naissance créé pour Jason Jane Lipskaia par suite d’une ordonnance rendue le 7 août 2008 par le juge Lee du Banc de la Reine de l’Alberta pour le motif qu’il avait été obtenu à l’aide d’une fausse preuve d’identité (DA, vol. 2, pages 401-402).

  4. John Charles Wiese a été désigné comme étant le père de Randall Wiese dans ses demandes de passeport. Il figure également comme garant sur la demande de passeport de Jason Jane Lipskaia. Randall Wiese figure parmi les références sur la demande de passeport de Jason Jane Lipskaia (DA, vol. 2, pages 506, 508, 518, 520, 521);

  5. Un examen de la photo de l’appelant transmise par Service Alberta relativement à une personne connue sous les noms de Randal Wiese et de Jason Jane Lipskaia a permis de conclure que des passeports avaient été délivrés au nom de Jason Jane Lipskaia (DA, vol. 2, page 541);

  6. Un examen réalisé à l’aide d’un logiciel de reconnaissance faciale de la photo de Randall Wiese fournie par la GRC a permis de conclure que celle-ci correspond aux photos des deux passeports délivrés au nom de Jason Jane Lipskaia (DA, vol. 2, pages 6, 127-130, 205, 361-363);

  7. La GRC a indiqué que, même si l’appelant avait dit s’appeler Jason Jane Lipskaia, ses empreintes digitales étaient celles de Randall Wiese (DA, vol. 2, page 205);

  8. Il n’existe aucun certificat de décès délivré en Alberta au nom de Randall Robert Wiese (DA, vol. 2, page 482);

  9. Il n’y a aucun dossier de passeport au nom de Jason Jane Lipskaia entre 1968 et 2007 (DA, vol. 2, page 484).

[21]  La Division des passeports disposait d’une preuve accablante. Il lui était raisonnable de conclure que l’appelant avait obtenu le passeport GC165363 au nom de Jason Jane Lipskaia en fournissant de faux renseignements ou des renseignements trompeurs. La décision de la Division des passeports de révoquer le passeport en question en application de l’alinéa 10(2)d) du Décret sur les passeports canadiens était raisonnable.

[22]  Je conclus que la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur susceptible de révision et je rejetterais le présent appel, avec dépens fixés à 300 $.

« Marianne Rivoalen »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

George R. Locke, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-240-18

INTITULÉ :

JASON JANE LIPSKAIA c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 octobre 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE RIVOALEN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 23 octobre 2019

 

COMPARUTIONS :

Jason Jane Lipskaia

 

Pour l’appelant

(pour son propre compte)

 

Robert Drummond

 

Pour l’INTIMÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour l’INTIMÉ

 

 

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