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Date : 20191107


Dossier : A-43-19

A-131-19

Référence : 2019 CAF 279

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

RICHARD TIMM

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Montréal (Québec), le 5 novembre 2019.

Jugement rendu à Montréal (Québec), le 7 novembre 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE GLEASON

 


Date : 20191107


Dossier : A-43-19

A-131-19

 

Référence : 2019 CAF 279

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

RICHARD TIMM

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DE MONTIGNY

[1]  L’appelant purge une peine d’emprisonnement à perpétuité (sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans) dans une institution fédérale depuis 1995. Après avoir déposé un grief conformément à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 pour des gestes posés à son égard en 2012 par des agents de l’Établissement de la Macaza, il a également intenté une action en dommages-intérêts contre Sa Majesté la Reine le 26 août 2013 pour les mêmes motifs. Il reproche essentiellement à son agent correctionnel et à l’agent de liaison autochtone d’un autre détenu de lui avoir causé préjudice par leurs propos à son égard. Ces propos constitueraient à son avis du harcèlement et de la discrimination.

[2]  Dans le cadre de son action, l’appelant a fait signifier trois subpoenas à des employés du Service correctionnel du Canada qui ont été impliqués dans le traitement de son grief, au motif que leur témoignage était nécessaire pour bien comprendre la procédure de grief et la décision qui a été rendue au troisième palier quant à son grief. La Cour fédérale a accueilli la requête en cassation de subpoena de l’intimée (2019 CF 36), et l’appel de cette décision fait l’objet du dossier A-43-19.

[3]  La Cour fédérale a également rejeté l’action de l’appelant moins de deux mois plus tard (2019 CF 238), et le dossier A-131-19 constitue l’appel de cette décision.

[4]  Après avoir soigneusement pris connaissance des deux dossiers et avoir entendu les arguments des deux parties, j’en suis venu à la conclusion qu’il n’y a pas lieu d’intervenir et que les deux appels devraient être rejetés.

[5]  S’agissant du premier dossier, j’estime que la Cour fédérale a eu raison d’accueillir la requête en cassation de l’intimée dans la mesure où les témoignages des trois personnes visées n’auraient pu que constituer du ouï-dire; en effet, ces personnes ont témoigné n’avoir aucune connaissance personnelle des événements qui sous-tendent le recours en dommages de l’appelant, n’avoir jamais rencontré les détenus concernés, et n’avoir jamais mis les pieds dans l’établissement où ils sont incarcérés. Qui plus est, les témoignages proposés ne pouvaient être d’aucune pertinence pour établir si les actes et paroles reprochés à certains membres du service correctionnel constituent une faute civile entraînant la responsabilité de l’intimée. L’appelant ne m’a pas convaincu que le juge de première instance a commis une erreur manifeste et dominante dans l’administration de la preuve, une question mixte de droit et de fait à propos de laquelle cette Cour doit faire preuve de déférence.

[6]  Il est vrai que dans le cadre de ses motifs, la Cour fédérale s’est penchée sur le secret du délibéré des tribunaux administratifs. Ces propos, comme l’ont souligné à bon droit les parties, étaient mal avisés, du fait que cette question n’avait pas fait l’objet de débat ni de représentations de la part des parties. Par voie de conséquence, la Cour fédérale n’aurait pas dû statuer sur cette question. Qui plus est, les paragraphes consacrés à cette question relèvent clairement de l’obiter et n’étaient pas nécessaires pour trancher la question dont la Cour fédérale était saisie. Pour ces raisons, il ne me paraît pas opportun d’exprimer quelque opinion que ce soit sur leur bien-fondé.

[7]  D’autre part, l’appelant n’a pas démontré que la Cour fédérale avait erré en rejetant son action en dommages. Après avoir rappelé que la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C-50 renvoie au droit privé de la province dans laquelle les gestes reprochés ont eu lieu, la Cour a identifié les normes de comportement pertinentes au regard des faits et des normes applicables en milieu carcéral. Elle a conclu que la preuve ne révélait aucun acte de discrimination de la part des deux agents de l’État à l’endroit de l’appelant; en revanche, la Cour s’est dite d’avis que les deux mêmes agents avaient commis une faute en décourageant un co-détenu de faire appel à l’aide de M. Timm dans l’exercice d’un recours et avaient de ce fait entravé le droit de tout individu de faire valoir ses droits sans représailles. La preuve ne démontrant pas que cette faute ait eu quelque conséquence que ce soit et que l’appelant en ait subi un préjudice, ni qu’il existe un lien de causalité entre le préjudice allégué et la faute, la Cour a néanmoins rejeté l’action.

[8]  L’appelant a soutenu devant nous que la Cour fédérale avait erré en ne tenant pas compte des répercussions réelles qu’engendre la faute commise dans un milieu carcéral, et en concluant à l’absence de harcèlement sur la base d’une interprétation erronée de la décision rendue au dernier palier de la procédure de grief. Malgré la conviction avec laquelle a plaidé l’avocat de l’appelant, je ne peux me ranger à ses arguments.

[9]  Tout d’abord, il m’apparaît clair à la lecture du jugement étoffé rendu par le juge de la Cour fédérale qu’il était bien conscient du contexte dans lequel s’inscrivent les gestes posés par l’agent correctionnel et l’agent de liaison autochtone. Le juge a d’ailleurs pris soin de se pencher sur la prétention de M. Timm à l’effet que les paroles prononcées par les deux agents pouvaient lui être extrêmement dommageables en contexte carcéral; il a néanmoins rejeté cette prétention faute de preuve. L’appelant ne m’a pas convaincu que le juge avait commis une erreur manifeste et dominante dans son évaluation des faits.

[10]  Le juge n’a pas davantage commis d’erreur manifeste et dominante dans son interprétation de la décision rendue au troisième palier de grief. Il lui était parfaitement loisible de considérer que le grief avait été accueilli non pas parce que le harcèlement avait été établi, mais plutôt parce que le processus suivi au premier palier n’avait pas permis à M. Timm de faire valoir ses arguments. Je note d’ailleurs que c’est précisément la conclusion à laquelle on en est venu dans une décision au troisième palier relative à un grief subséquent (voir para. 20 des prétentions écrites de la défenderesse en Cour fédérale, Dossier d’appel no A-43-19, pp. 94-95). Quoi qu’il en soit, la Cour fédérale n’était pas liée par cette décision; comme le juge l’a rappelé au paragraphe 69 de ses motifs, la décision relative à un grief ne peut avoir l’autorité de la chose jugée dans le contexte d’une action en dommage, dans la mesure où la notion de harcèlement retenue dans les directives de Service Correctionnel Canada n’est pas nécessairement la même que celle qui prévaut en droit civil, et que le processus de grief ne vise pas à indemniser le plaignant. Enfin, je tiens à souligner que la Cour fédérale a ultimement rejeté l’action de l’appelant au motif qu’il n’avait pas fait la preuve du préjudice qu’il allègue; ce faisant, toute erreur qu’aurait pu commettre le juge eu égard à la faute serait sans conséquence.

[11]  Pour tous les motifs qui précèdent, je suis donc d’avis que les deux appels devraient être rejetés, avec dépens.

«Yves de Montigny»

j.c.a.

« Je suis d’accord

Richard Boivin j.c.a. »

« Je suis d’accord

Mary J. L. Gleason j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

A-43-19

A-131-19

 

INTITULÉ :

RICHARD TIMM c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 novembre 2019

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE GLEASON

 

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 novembre 2019

 

 

COMPARUTIONS :

Pierre Tabah

Andrée-Anne Dion-Côté

 

Pour l'appelant

 

Véronique Forest

 

Pour l'intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Labelle, Côté, Tabah et Associés

Montréal (Québec)

 

Pour l'appelant

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureur générale du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour l'intimée

 

 

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