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Date : 20180119


Dossier : A-394-15

Référence : 2018 CAF 19

[TRADUCTION FRANÇAISE]

En présence de monsieur le juge Webb

ENTRE :

ALEXANDER VAVILOV

appelant

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

intimé

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 19 janvier 2018.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE WEBB

 


Date : 20180119


Dossier : A-394-15

Référence : 2018 CAF 19

En présence de monsieur le juge Webb

ENTRE :

ALEXANDER VAVILOV

appelant

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

intimé

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE WEBB

[1]  Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) présente une requête afin que soit rendue une ordonnance visant à surseoir à l’exécution du jugement de notre Cour daté du 21 juin 2017 (2017 CAF 132), en attendant la décision concernant la demande d’autorisation d’interjeter appel auprès de la Cour suprême du Canada présentée par le ministre et, si cette demande est accueillie, en attendant l’issue de l’appel.

[2]  Alexander Vavilov est né au Canada le 3 juin 1994. À sa naissance, il portait le nom de Foley. Ses parents étaient des citoyens russes qui, à l’époque, vivaient au Canada sous de fausses identités. À l’âge d’un an, M. Vavilov est déménagé en France avec ses parents. Ils se sont ensuite établis aux États-Unis. M. Vavilov ignorait que ses parents vivaient sous de fausses identités lorsqu’ils ont été arrêtés aux États-Unis, en 2010. M. Vavilov s’est ensuite rendu en Russie en utilisant son passeport canadien, et son nom de famille a été changé pour Vavilov qui était le véritable nom de ses parents. Ses parents ont été renvoyés en Russie, en échange de personnes qui ont été renvoyées aux États-Unis.

[3]  Après son retour en Russie en 2010, M. Vavilov a présenté une demande au ministre en vue d’obtenir un certificat de citoyenneté. Un certificat de citoyenneté lui a d’abord été délivré, mais ce certificat a par la suite été révoqué par le registraire de la citoyenneté pour le motif que M. Vavilov n’était pas un citoyen canadien. M. Vavilov a demandé un contrôle judiciaire de cette décision selon laquelle il n’était pas un citoyen canadien. Sa demande de contrôle judiciaire a été rejetée par la Cour fédérale. M. Vavilov a interjeté appel auprès de notre Cour et deux juges de notre Cour ont reconnu que l’appel devrait être accueilli et que M. Vavilov est citoyen canadien. Le ministre a présenté une demande d’autorisation d’interjeter appel de cette décision auprès de la Cour suprême du Canada. Aucune décision n’a encore été rendue au sujet de la demande d’autorisation.

[4]  Dans l’arrêt RJR-MacDonald c. Canada, [1994] 1 R.C.S. 311, la Cour suprême du Canada énonce, à la page 334, un critère en trois volets pour déterminer si une demande visant à surseoir à statuer doit être accordée :

L’arrêt Metropolitan Stores [[1987] 1 R.C.S. 110] établit une analyse en trois étapes que les tribunaux doivent appliquer quand ils examinent une demande de suspension d’instance ou d’injonction interlocutoire. Premièrement, une étude préliminaire du fond du litige doit établir qu’il y a une question sérieuse à juger. Deuxièmement, il faut déterminer si le requérant subirait un préjudice irréparable si sa demande était rejetée. Enfin, il faut déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse le redressement en attendant une décision sur le fond. […]

I.  Question sérieuse à trancher

[5]  Au paragraphe 44 de l’arrêt RJR MacDonald, la Cour suprême ajoute ce qui suit à la page 335 :

Avant la décision de la Chambre des lords American Cyanamid Co. c. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396, la personne qui demandait une injonction interlocutoire devait établir une [traduction] « forte apparence de droit » quant au fond de l’affaire pour satisfaire au premier critère. Toutefois, dans American Cyanamid, lord Diplock avait précisé que le requérant n’avait plus à établir une forte apparence de droit et qu’il lui suffisait de convaincre le tribunal que [traduction] « la demande n’est ni futile ni vexatoire, ou, en d’autres termes, que la question à trancher est sérieuse ». Le critère formulé dans American Cyanamid est maintenant généralement accepté par les tribunaux canadiens qui, toutefois, reviennent à l’occasion à un critère plus strict : voir Robert J. Sharpe, Injunctions and Specific Performance (2nd ed. 1992), aux pp. 2-13 à 2-20.

[6]  En ce qui concerne la demande visant à surseoir à l’exécution du jugement en attendant l’issue de la demande d’autorisation d’interjeter appel auprès de la Cour suprême du Canada, le juge Evans a déclaré ce qui suit dans l’arrêt Via Rail Canada Inc. c. Cairns, 2004 CAF 297, 327 N.R. 221 :

19  Ainsi donc, VIA doit démontrer qu’il est possible de soutenir que la Cour suprême peut conclure, « compte tenu de l’importance de l’affaire [c’est-à-dire de l’affaire visée par l’appel] pour le public, ou de l’importance des questions mixtes de droit et de fait qu’elle comporte, ou de sa nature ou importance à tout égard, qu’elle devrait en être saisie ».

[7]  Comme le critère à remplir pour satisfaire au premier volet est faible, je suis convaincu que le ministre l’a satisfait et a établi l’existence d’une question sérieuse à trancher.

II.  Préjudice irréparable au ministre

[8]  Le deuxième volet du critère porte uniquement sur le préjudice irréparable que subirait le ministre (qui présente la demande d’autorisation d’interjeter appel de la décision de notre Cour) si le sursis n’est pas accordé et que le ministre a finalement gain de cause en appel. Tout préjudice qui pourrait être causé à M. Vavilov n’est pas pris en compte à cette étape de l’analyse, mais plutôt à la troisième étape.

[9]  Comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans l’arrêt RJR-MacDonald, à la page 341, « [l]e préjudice allégué à l’intérêt public devrait également être examiné à [la troisième] étape ». Par conséquent, les observations du ministre concernant le [traduction] « préjudice grave et irréparable à l’intérêt public », au paragraphe 34 de la présente requête, seront examinées ultérieurement, dans le cadre de la troisième étape.

[10]  Le ministre fait valoir que la [TRADUCTION] « réputation de la citoyenneté canadienne » et l’« intégrité de la citoyenneté canadienne » sont menacées si le sursis n’est pas accordé (aux paragraphes 37 et 38 des observations du ministre). Je suis toutefois d’avis que tout préjudice à la réputation ou à l’intégrité de la « citoyenneté canadienne », qui résulterait de la délivrance d’un passeport et d’un certificat de citoyenneté à M. Vavilov qui est né au Canada et qui, sans faute de sa part, pourrait perdre sa citoyenneté si la Cour suprême du Canada infirme la décision de notre Cour, serait minime.

[11]  Je reconnais que le ministre pourrait subir un certain préjudice s’il devait révoquer un certificat de citoyenneté et un passeport et si le ministre a gain de cause et que la décision de notre Cour est infirmée. L’importance de ce préjudice en regard de celui que subirait M. Vavilov sera examinée à la troisième étape de l’analyse.

[12]  Le ministre soutient également qu’il subira un préjudice irréparable si le sursis n’est pas accordé, car l’affaire concernant Timothy Vavilov est toujours pendante devant la Cour fédérale. Alexander Vavilov et son frère, Timothy Vavilov, se sont tous deux vu refuser des passeports canadiens après que leurs parents ont été arrêtés aux États-Unis. La Cour fédérale n’a pas encore entendu la demande de contrôle judiciaire présentée par Timothy Vavilov à l’encontre de la décision déclarant qu’il n’est pas un citoyen canadien.

[13]  Le ministre mentionne qu’il a déposé une requête à la Cour fédérale demandant l’ajournement de l’affaire concernant Timothy Vavilov, en attendant le règlement de la demande d’autorisation d’interjeter appel à la Cour suprême du Canada en l’espèce, et, si l’appel est accueilli, le règlement définitif de cet appel. Si cette demande d’ajournement est accueillie, il n’y aurait alors aucun préjudice découlant de l’affaire concernant Timothy Vavilov. Cependant, comme la demande d’ajournement est toujours pendante, le préjudice potentiel qui pourrait en résulter advenant son rejet n’est pour l’instant que conjectural.

III.  Prépondérance des inconvénients

[14]  La troisième étape de l’analyse consiste à examiner le préjudice relatif qui serait subi, selon que la demande de sursis est accueillie ou rejetée. Dans l’arrêt RJR-MacDonald, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit à la page 342 : « [I]l y a de nombreux facteurs à examiner dans l’appréciation de la “prépondérance des inconvénients” et ils varient d’un cas à l’autre ».

[15]  Le [TRADUCTION] « préjudice grave et irréparable à l’intérêt public », auquel le ministre fait référence au paragraphe 34 de ses observations à l’appui de la présente requête, résulte du fait que le ministre devra délivrer un certificat de citoyenneté et un passeport à M. Vavilov sans savoir si la Cour suprême du Canada infirmera ou non la décision de notre Cour. Cependant, il ne s’agit que d’un passeport et d’un certificat de citoyenneté pour une seule personne. Il est difficile de concevoir que la délivrance de ces documents à cette seule personne causera un préjudice grave et irréparable à l’intérêt public, car, comme il est démontré en l’espèce, un certificat de citoyenneté peut être révoqué. De plus, en vertu de l’alinéa 10(2)e) du Décret sur les passeports canadiens, TR/81-86, le passeport d’une personne qui n’est plus citoyen canadien peut être révoqué.

[16]  Si le sursis n’est pas accordé et que le ministre a finalement gain de cause et que la décision de notre Cour est infirmée, le préjudice potentiel est que le ministre devra révoquer le certificat de citoyenneté et le passeport qu’il a délivrés à M. Vavilov. Nous devons comparer ce préjudice au préjudice relatif que subira M. Vavilov qui sera privé de ses droits à titre de citoyen canadien, de la date à laquelle le sursis sera accordé jusqu’à la date de règlement de l’affaire par la Cour suprême du Canada, alors que cela n’aurait pas dû se produire si M. Vavilov a gain de cause.

[17]  Après avoir apprécié le préjudice relatif, je suis d’avis que M. Vavilov subira le préjudice le plus grave. Ainsi qu’il a été indiqué précédemment, le préjudice pour le ministre résulterait de la délivrance d’un certificat de citoyenneté et d’un passeport à une personne qui est née au Canada. Rien n’indique que M. Vavilov a commis des actes répréhensibles; par conséquent, tout préjudice à l’intégrité ou à la réputation de la citoyenneté canadienne, qui serait causé si la Cour suprême du Canada infirme la décision de notre Cour, serait minime. En revanche, si le sursis est accordé et que M. Vavilov a finalement gain de cause, il aura subi un préjudice du fait d’avoir été privé de ses droits à titre de citoyen canadien (notamment du droit d’entrer au Canada pour y étudier ou travailler) durant la période visée par le sursis.

[18]  Dans l’affidavit d’Elizabeth Lynch, déposé par M. Vavilov en lien avec la présente requête, Mme Lynch indique que M. Vavilov avait été admis à l’Université de Toronto en 2012 et qu’il prévoyait la fréquenter. Il n’a toutefois pas été autorisé à se rendre au Canada sans passeport et sa demande de visa de visiteur a été rejetée. Bien que le ministre fasse valoir que M. Vavilov peut toujours voyager à l’étranger en utilisant son passeport russe, le ministre ne prend pas en compte le préjudice qui résulterait du fait de ne pouvoir entrer au Canada pour y étudier ou y travailler sans passeport canadien.

[19]  Par conséquent, la requête visant à surseoir à l’exécution du jugement de notre Cour est rejetée. Comme M. Vavilov n’a demandé aucuns dépens, aucuns ne seront adjugés.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-394-15

INTITULÉ :

ALEXANDER VAVILOV c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE WEBB

DATE DES MOTIFS :

Le 19 janvier 2018

OBSERVATIONS ÉCRITES

Hadayt Nazami

Pour l’appelant

John Provart

Kevin Doyle

Pour l’intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Nazami & Associates

Toronto (Ontario)

Pour l’appelant

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimé

 

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