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Date : 20191129


Dossier : A-85-19

Référence : 2019 CAF 296

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE RENNIE

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

CHURCH OF ATHEISM OF CENTRAL CANADA

appelante

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 12 novembre 2019.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 29 novembre 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE RIVOALEN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LE JUGE RENNIE

 


Date : 20191129


Dossier : A-85-19

Référence : 2019 CAF 296

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE RENNIE

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

CHURCH OF ATHEISM OF CENTRAL CANADA

appelante

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE RIVOALEN

I.  Introduction

[1]  L’appelante, la Church of Atheism of Central Canada, est une société constituée aux termes de la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif, L.C. 2009, ch. 23, aux fins suivantes :

[traduction] 

La raison d’être de la société est de prêcher l’athéisme au moyen d’activités de bienfaisance, dans la ville d’Ottawa, dans les provinces d’Ontario et de Québec, et dans toute province désignée comme une province appartenant au centre du Canada dans les règlements administratifs.

(Certificat de constitution en société, onglet 13[d] du dossier d’appel, p. 115.)

[2]  L’appelante a présenté une demande d’enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi). Le ministre du Revenu national a rejeté sa demande. L’appelante interjette appel de cette décision devant notre Cour en application du paragraphe 172(3) et de l’article 180 de la Loi.

[3]  L’appel repose en grande partie sur un argument fondé sur la Charte. L’appelante soutient que le critère de common law qui sert à déterminer ce qui appartient à la catégorie de bienfaisance applicable à la promotion de la religion est invalide, car il contrevient aux articles 2, 15 et 27 de la Charte canadienne des droits et libertés, Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 (la Charte).

[4]  La décision du ministre selon laquelle l’appelante ne satisfait pas aux critères de la Loi pour être enregistrée à titre d’organisme de bienfaisance est une question mixte de fait et de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Prescient Foundation c. Canada (Revenu National), 2013 CAF 120, par. 12).

II.  Les questions en litige

[5]  La Cour doit décider si le refus par le ministre d’enregistrer l’appelante à titre d’organisme de bienfaisance sous le régime de la Loi :

  1. portait atteinte aux droits et libertés garantis par l’alinéa 2a) et les articles 15 et 27 de la Charte;

  2. était raisonnable.

A.  En refusant d’enregistrer l’appelante à titre d’organisme de bienfaisance, le ministre a-t-il porté atteinte aux droits garantis par la Charte à cette dernière?

[6]  Avant d’examiner les arguments fondés sur la Charte, il importe d’examiner la définition légale de ce qui constitue un organisme de bienfaisance.

[7]  La définition d’organisme de bienfaisance enregistré prévue au paragraphe 248(1) de la Loi inclut les œuvres de bienfaisance. L’œuvre de bienfaisance est définie au paragraphe 149.1(1) en ces termes :

a) qui est constituée et administrée exclusivement à des fins de bienfaisance;

a.1) dont la totalité des ressources est consacrée à des activités de bienfaisance qu’elle mène elle-même;

[Non souligné dans l’original.]

[8]  Comme la Loi ne définit pas ce qui constitue des « activités de bienfaisance », nous devons puiser dans la common law pour répondre à cette question. En common law, il existe quatre fins de bienfaisance reconnues; deux d’entre elles sont pertinentes dans le présent appel, soit« la promotion de la religion » et « les autres fins utiles à la société » (A.Y.S.A. Amateur Youth Soccer Association c. Canada (Agence du revenu), 2007 CSC 42, [2007] 3 R.C.S. 217, par. 26) [A.Y.S.A.].

[9]  La common law a établi des critères particuliers quant aux éléments de la « promotion » et de la « religion » de cette catégorie de fins de bienfaisance. La « promotion » exige une promotion active; il ne suffit pas qu’une organisation crée un espace pour un culte indépendant (Fuaran Foundation c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2004 CAF 181, par. 14). Le présent appel porte davantage sur la définition du mot « religion ».

[10]   Pour qu’il y ait « religion » au sens de bienfaisance où l’entend la Loi, ou bien les cours l’ont reconnue comme telle par le passé, ou bien elle a les mêmes caractéristiques fondamentales que les religions reconnues. Ces caractéristiques fondamentales ne sont pas définies dans un « critère » clair. Les caractéristiques fondamentales d’une religion comprennent, selon la jurisprudence, la croyance en une puissance divine tels Dieu, une entité ou un Être suprême par ses adeptes; l’adoration par les adeptes de cette puissance divine; l’existence d’un système particulier et exhaustif de dogmes et de pratiques (Syndicat Northcrest c. Amselem, 2004 CSC 47, [2004] 2 R.C.S. 551, par. 39).

[11]  Faute d’une réforme législative, les tribunaux canadiens doivent composer avec la difficulté d’énoncer la façon dont le droit relatif aux organismes de bienfaisance doit demeurer en « évolution », comme le veut la nature même de la common law (Vancouver Society of Immigrant and Visible Minority Women c. Ministre du revenu national, [1999] 1 R.C.S. 10, par. 150). Sans le bénéfice d’une jurisprudence antérieure tranchant cette question, notre Cour doit décider au vu du dossier si l’appelante est une œuvre de bienfaisance vouée exclusivement à des fins de bienfaisance et dont les ressources sont entièrement consacrées aux activités de bienfaisance.

[12]  C’est dans ce contexte juridique que j’en viens aux arguments de l’appelante fondés sur la Charte.

[13]  D’entrée de jeu, mentionnons, en ce qui concerne l’article 15 de la Charte, que les cours ont reconnu que les sociétés sans but lucratif ne sont pas des personnes pour l’application de la Charte (Humanics Institute c. Canada (Revenu national), 2014 CAF 265, autorisation de pourvoi refusée, 36253 (23 avril 2015), par. 12; Organisation nationale anti-pauvreté c. Canada (Procureur général), [1989] 3 C.F. 684 (CAF), p. 703, autorisation de pourvoi refusée (23 novembre 1989), 1989 CarswellNat 1290, par. 22). Les droits à l’égalité prévus à l’article 15 ne s’appliquent donc pas à l’appelante.

[14]  Ensuite, l’appelante affirme que le critère de common law relatif à la promotion de la religion est contraire à l’article 27 de la Charte, qui exige que la Cour interprète l’obligation de neutralité du gouvernement dans une perspective de promotion et de valorisation de la diversité. L’appelante soutient qu’un critère qui exige la croyance en une divinité nuit à la valorisation de la diversité, voire décourage activement cette diversité.

[15]  L’article 27 de la Charte n’est pas une disposition de droit substantiel pouvant être enfreinte; il n’est « pertinent que pour faciliter l’interprétation » (Roach c. Canada (Ministre d’État au Multiculturalisme et à la Citoyenneté), [1994] 2 C.F. 406 (CAF), p. 443 et 444, 1994 CanLII 3453). L’intimé admet toutefois que l’obligation de neutralité religieuse qui incombe à l’État aux termes l’alinéa 2a) de la Charte se rapporte à l’article 27, en partie, « dans un but de promotion et d’amélioration de la diversité » (Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, [2015] 2 R.C.S. 3, par. 74 [Saguenay]).

[16]  Quant à l’alinéa 2a) de la Charte, l’appelante a raison de souligner que les tribunaux ont conclu que cet article protégeait les droits des athées. En effet, l’article 2 de la Charte protège le droit des membres de l’appelante de pratiquer leurs croyances athées, et le ministre ne peut s’ingérer dans la pratique de ces croyances (Saguenay, par. 70). Toutefois, je conclus en l’espèce que le refus du ministre d’enregistrer l’appelante à titre d’organisme de bienfaisance ne nuit pas à la capacité des membres de l’appelante de pratiquer leurs convictions athées d’une manière plus que négligeable ou insignifiante. L’appelante peut continuer d’exercer ses fins et ses activités sans être enregistrée comme œuvre de bienfaisance (Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, [2009] 2 R.C.S. 567, par. 32 [Hutterian]).

[17]  Finalement, je conclus que le refus du ministre d’enregistrer l’appelante à titre d’organisme de bienfaisance ne porte pas atteinte aux droits garantis par la Charte.

B.  La décision du ministre de refuser l’enregistrement de l’appelante à titre d’organisme de bienfaisance était-elle raisonnable?

[18]  Comme nous le mentionnons plus haut, l’appelante affirme que l’avancement de l’athéisme devrait s’inscrire dans la catégorie de bienfaisance de « la promotion de la religion ».

[19]  Comme les tribunaux n’ont pas encore reconnu une telle croyance religieuse, le ministre doit déterminer si les trois caractéristiques fondamentales communes aux religions reconnues antérieurement qui satisfont aux fins de bienfaisance sont présentes.

[20]  Le ministre a conclu que l’athéisme ne répondait à aucun des trois éléments fondamentaux d’une religion établis par les tribunaux. Il a conclu que le culte de l’énergie ne répondait pas au premier élément selon lequel les adhérents à un système de croyances religieuses aient foi en une puissance divine invisible telle qu’un Dieu, un Être suprême, ou une entité. Selon le ministre, il ne saurait être satisfait au deuxième élément ‑ l’adoration de cet Être suprême ‑ sans la croyance en un Être suprême.

[21]  Je partage l’avis de l’appelante selon lequel l’existence d’un système de croyance en un Être suprême ou en une entité supérieure et le culte de cet Être suprême n’est pas toujours nécessaire pour qu’il soit satisfait à la définition de « religion ». L’appelante a souligné à juste titre que le bouddhisme est une religion reconnue dont les adeptes ne croient ni en un Être suprême ni en aucune entité (South Place Ethical Society, Barralet and Others v. A.G., [1980] 1 W.L.R. 1565, à la page 1573).

[22]  C’est en ce qui concerne le troisième élément que les observations de l’appelante doivent être rejetées. Ces observations ne démontrent pas l’existence d’un système de croyances fondé sur un système particulier et exhaustif de doctrine et de pratiques.

[23]  Le ministre a rejeté la prétention de l’appelante selon laquelle sa doctrine fondée sur la science traditionnelle répond à cet élément. Ce descriptif – science traditionnelle ‑ n’est pas particulièrement précis. Le ministre a conclu que la déclaration de l’appelante selon laquelle [traduction] « nous croyons [...] que nos dix commandements d’énergie sont des textes sacrés parce qu’ils ont été créés par un être humain sage constitué d’une énergie pure et invisible et qui a reconnu l’existence de cette énergie » ne fournissait aucun renseignement détaillé révélant l’existence d’un système particulier et exhaustif de foi et de culte. Il estimait que la prétention de l’appelante selon laquelle il ne devrait pas être exigé qu’une religion ait un livre faisant autorité, semblable à la Bible, révélait également l’absence d’un système particulier et exhaustif de foi et de culte chez l’appelante (rapport de l’intimé sur l’opposition, 5 novembre 2018, dossier d’appel, onglet 7).

[24]  Je laisserai à d’autres le soin de trancher la question de savoir si l’existence d’un texte faisant autorité telle que la Bible est une exigence nécessaire. Toutefois, vu la portée et le manque de précision des affirmations formulées, la décision du ministre de refuser l’enregistrement de l’appelante sous la catégorie de « la promotion de la religion » était raisonnable.

[25]  Enfin, j’en viens à l’argument de l’appelante selon lequel elle s’inscrit dans la catégorie « autres fins utiles à la société » en tant que groupe de solidarité religieuse. Je conclus que le refus du ministre d’enregistrer l’appelante à ce titre est également raisonnable. Les activités offertes par l’appelante s’adressent uniquement à ses membres et ne visent un objectif ni thérapeutique ni de réadaptation.

[26]  Je me permets une remarque supplémentaire sur l’enregistrement d’un organisme de bienfaisance sous le régime de la Loi. Nul ne conteste qu’un tel enregistrement est un privilège et non un droit (Many Mansions Spiritual Center, Inc. c. Canada (Revenu national), 2019 CAF 189, par. 6). Le privilège de l’enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance équivaut à une subvention fiscale indirecte visant à encourager le travail de tels organismes. La Cour suprême du Canada a conclu que le ministre est tenu d’examiner, quand il traite de telles demandes, la substance des activités du demandeur et leur objet pour veiller à ce qu’elles soient conformes aux exigences de la Loi (Magen David Adom canadien pour Israël c. Canada (Ministre du revenu national), 2002 CAF 323, par. 2 et 3; A.Y.S.A., par. 42). C’est exactement ce qu’a fait le ministre en l’espèce.

[27]  En conclusion, à la lumière du dossier dont il disposait, il était raisonnable pour le ministre de décider que l’appelante ne pouvait être enregistrée à titre d’organisme de bienfaisance parce qu’elle n’avait pas de fin de bienfaisance, au sens de la common law, et qu’elle n’avait pas mené d’activités de bienfaisance en vue de la réalisation de cette fin, comme l’exige la common law.

III.  Conclusion

[28]  Je ne vois aucune erreur susceptible de révision dans la décision du ministre. La demande présentée par l’appelante à notre Cour ‑ reconnaître la Church of Atheism comme religion suivant le critère de la bienfaisance ‑ n’est pas étayée par le dossier. La décision du ministre de refuser d’enregistrer l’appelante est raisonnable et n’enfreint ni l’alinéa 2a) ni les articles 15 et 27 de la Charte.

[29]  Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

« Marianne Rivoalen »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

M. Nadon, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Donald J. Rennie, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-85-19

INTITULÉ :

CHURCH OF ATHEISM OF CENTRAL CANADA c. LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 novembre 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE RIVOALEN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 29 novembre 2019

 

COMPARUTIONS :

Christopher Bernier

 

Pour l’appelante

 

Linsey Rains

 

Pour l’intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Christopher Bernier

McDonalds Corners (Ontario)

Pour l’appelante

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour l’intimé

 

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