Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20191202


Dossier : A-365-18

Référence : 2019 CAF 295

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

FIDUCIE SANDHU SINGH HAMDARD

appelante

et

NAVSUN HOLDINGS LTD. et 6178235 CANADA INC.

intimées

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 18 septembre 2019.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 2 décembre 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LASKIN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE WOODS

 


Date : 20191202


Dossier : A-365-18

Référence : 2019 CAF 295

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

FIDUCIE SANDHU SINGH HAMDARD

appelante

et

NAVSUN HOLDINGS LTD. et 6178235 CANADA INC.

intimées

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LASKIN

I.  Introduction

[1]  Dans l'arrêt Fiducie Sadhu Singh Hamdard c. Navsun Holdings Ltd., 2016 CAF 69, notre Cour a accueilli l'appel interjeté par la fiducie Hamdard d'un jugement rendu par la Cour fédérale (2014 CF 1139), à la suite d'un procès sommaire, rejetant ses revendications en matière de marque de commerce et de droit d'auteur contre Navsun et une société liée (Navsun), et rejetant la demande reconventionnelle de Navsun. La Cour a renvoyé les demandes de la fiducie Hamdard à la Cour fédérale pour nouvel examen. Lors du nouvel examen (2018 CF 1039), qui a également pris la forme d'un procès sommaire, le juge Fothergill de la Cour fédérale a conclu que la fiducie Hamdard avait établi le bien‑fondé de certaines de ses allégations, mais n'avait pu le faire pour d'autres. Il a adjugé des dommages‑intérêts de 10 000 $. Il a également refusé de traiter la demande reconventionnelle de Navsun.

[2]  La fiducie Hamdard interjette appel du jugement de la Cour fédérale lors du nouvel examen. Navsun interjette un appel incident; elle demande le rejet de l'une des revendications en matière de marque de commerce de la fiducie Hamdard et de la demande en dommages‑intérêts connexe, et elle conteste le fait que la Cour fédérale n'a pas donné suite à sa demande reconventionnelle.

[3]  Pour les motifs qui suivent, j'accueillerais en partie l'appel et l'appel incident. Bien que les parties aient demandé à la Cour de trancher les revendications restantes sur le fond, je renverrais ces questions à la Cour fédérale pour nouvel examen.

II.  Le contexte

[4]  Notre Cour a exposé le contexte du différend entre la fiducie Hamdard et Navsun dans les motifs du premier appel (aux paragraphes 4 à 7). Par souci d'efficacité, je reproduis ces paragraphes ici, avec quelques ajouts et omissions mineurs.

[5]  La fiducie Hamdard possède et publie en Inde un journal quotidien en pendjabi appelé Ajit Daily. En pendjabi, le mot « ajit » signifie « indomptable » ou « invincible ». Ce journal est publié en Inde depuis 1955 et est bien connu parmi la population pendjabie du pays. Une version en ligne est disponible depuis 2002. Seuls quelques abonnements ont été vendus au Canada, mais plusieurs des auteurs d'affidavits déposés à la Cour fédérale habitaient au Canada et avaient affirmé, dans leur affidavit ou lors de leur contre‑interrogatoire, qu'ils connaissaient le Ajit Daily et sa réputation en Inde à titre de journal important en pendjabi.

[6]  Navsun possède et publie au Canada un journal en pendjabi appelé Ajit Weekly, journal gratuit publié depuis 1993 et distribué à l'entrée de supermarchés et d'autres magasins. Une version en ligne est disponible depuis 1998. Le journal Ajit Weekly comprend des publicités que la fiducie Hamdard juge offensantes pour certains lecteurs du journal Ajit Daily.

[7]  Il y a eu plusieurs poursuites entre la fiducie Hamdard et Navsun concernant l'utilisation du nom « Ajit » et le logo stylisé du nom figurant comme titre du journal Ajit Weekly qui, selon la fiducie Hamdard, est un emploi non autorisé de la marque de commerce du journal Ajit Daily. L'une des actions entre les parties a fait l'objet d'un accord de règlement partiel, qui a été intégré à une ordonnance rendue le 1er octobre 2009 par la Cour de district des États‑Unis pour le district Est de New York.

[8]  Selon l'accord de règlement partiel, Navsun a obtenu une licence restreinte lui permettant d'utiliser le logo du journal Ajit Daily pour le reste de l'année 2009, après quoi elle obtenait une licence lui permettant d'utiliser une variante approuvée du logo conformément aux modalités énoncées dans l'accord. Navsun a modifié le logo du journal Ajit Weekly conformément à cette licence ultérieure en septembre 2009.

[9]  La disposition de l'accord de règlement partiel accordant la licence stipule que celle‑ci [TRADUCTION] « ne doit en aucun cas avoir d'incidence sur la marque de commerce revendiquée par chaque partie et sur tout autre droit dans tout ressort » (paragraphe C(5)). L'accord de règlement partiel n'exonère pas Navsun quant aux violations du droit d'auteur ayant pu être commises avant la conclusion de l'accord, mais il stipule qu'il constitue un moyen de défense absolu contre toute demande fondée sur la violation du droit d'auteur en lien avec les licences restreintes accordées par l'accord.

[10]  Lors du nouvel examen, la Cour fédérale a accueilli les allégations de commercialisation trompeuse et de violation de droit d'auteur à l'égard du logo initial de Navsun. (La Cour fédérale a déclaré, au paragraphe 6, que la fiducie Hamdard avait également prouvé ses allégations de dépréciation de l'achalandage relativement au logo initial, mais cela n'est pas confirmé par ses motifs, au paragraphe 75, ou par le jugement.) La Cour fédérale a rejeté les allégations de commercialisation trompeuse, de contrefaçon de marque de commerce et de dépréciation de l'achalandage à l'égard du logo modifié de Navsun et de son nom de domaine Internet, www.ajitweekly.com.

[11]  Je note que le jugement de la Cour fédérale prétend également rejeter la réclamation de la fiducie Hamdard pour violation de droit d'auteur à l'égard du logo modifié. En fait, la fiducie Hamdard n'a pas demandé à la Cour fédérale de trancher cette question (voir le paragraphe 76 des motifs de la Cour fédérale), de sorte que la mention de la violation de droit d'auteur au paragraphe 3 du jugement de la Cour fédérale est simplement une erreur de sa part.

III.  Les erreurs alléguées

[12]  Dans leurs observations écrites et orales, la fiducie Hamdard et Navsun affirment que la Cour fédérale a commis des erreurs de droit, des erreurs de fait ainsi que des erreurs mixtes de fait et de droit lors du nouvel examen. La fiducie Hamdard soutient qu'après avoir corrigé les erreurs qu'elle a relevées, notre Cour devrait se prononcer sur le fond et rendre une injonction permanente interdisant à Navsun de se livrer à de la commercialisation trompeuse, à de la contrefaçon de marque de commerce ou à de la dépréciation de l'achalandage ou, à titre subsidiaire (et elle a clairement indiqué dans ses plaidoiries qu'elle croyait que c'était une solution beaucoup moins souhaitable), renvoyer ces questions à la Cour fédérale pour nouvel examen. Navsun soutient qu'après avoir corrigé les erreurs qu'elle a relevées, notre Cour devrait se prononcer sur le fond, rejeter l'appel de la fiducie Hamdard, rejeter la revendication à l'égard de la marque de commerce que la Cour fédérale a accueillie lors du nouvel examen et accueillir la demande reconventionnelle de Navsun visant à faire déclarer que la marque enregistrée de la fiducie Hamdard est nulle ab initio. Navsun n'interjette pas appel de la conclusion de violation de droit d'auteur.

[13]  Dans ce qui suit, j'exposerai et j'examinerai les erreurs invoquées par les parties, en commençant par celles avancées par la fiducie Hamdard, puis celles avancées par Navsun. Dans certains cas, les parties sont d'accord que la Cour fédérale a commis une erreur de droit. La norme de la décision correcte s'applique aux erreurs de droit alléguées. Les erreurs de fait ou les erreurs mixtes de fait et de droit ne sont susceptibles de révision que selon la norme de l'erreur manifeste et dominante. Une fois que j'aurai déterminé si les erreurs alléguées ont été établies, je déterminerai la disposition appropriée.

A.  La Cour fédérale a‑t‑elle commis une erreur en adoptant les conclusions de la première décision de la Cour fédérale?

[14]  Au paragraphe 25 de ses motifs lors du nouvel examen, la Cour fédérale a déclaré ce qui suit :

[25]  Un aperçu des éléments de preuve pertinents présentés par les parties dans les requêtes initiales en jugement sommaire ou en procès sommaire se trouve dans [les motifs du premier procès sommaire], aux paragraphes 32 à 57. Ni la Cour d'appel fédérale ni les parties n'ont exprimé de réserves quant aux conclusions antérieures de la Cour fondées sur la preuve, et ces conclusions ont été intégrées aux présents motifs de jugement.

[15]  La fiducie Hamdard affirme que la Cour fédérale a commis une erreur en adoptant ces « conclusions ». Elle soutient que, ce faisant, la Cour n'a pas suivi le jugement de notre Cour ordonnant un nouvel examen. La conclusion de la Cour fédérale quant à la portée du nouvel examen ordonné par notre Cour soulève une question de droit : Corlac Inc. c. Weatherford Canada Ltd., 2012 CAF 261, au paragraphe 22.

[16]  Je suis d'avis de rejeter ce moyen d'appel. Premièrement, je suis d'accord avec Navsun que, bien que la Cour fédérale ait utilisé l'expression « conclusions », les paragraphes qu'elle a adoptés ne faisaient que résumer la preuve par affidavit et les contre‑interrogatoires déposés par les parties lors du premier procès sommaire. Ils ne contiennent pas l'analyse ou les conclusions de fait contestées par la fiducie Hamdard ou annulées par notre Cour lors du premier appel; la Cour fédérale a fait sa propre analyse de la preuve lors du nouvel examen. Deuxièmement, notre Cour a expressément refusé, dans le premier appel, de déterminer la façon dont la Cour fédérale devrait faire le nouvel examen (au paragraphe 33). Rien dans notre jugement n'empêchait la Cour fédérale d'adopter certaines parties des motifs du premier procès sommaire.

B.  La Cour fédérale a‑t‑elle commis une erreur en omettant de déterminer si la marque de commerce modifiée de Navsun était la même que celle de la fiducie Hamdard pour les besoins de l'article 19?

[17]  Les revendications de la fiducie Hamdard prises en considération lors du nouvel examen comprenaient les allégations selon lesquelles le logo modifié de Navsun contrefaisait la marque de commerce de la fiducie Hamdard en application de l'article 19 ou, subsidiairement, de l'article 20 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13. Ces deux articles (ou les passages pertinents du second) disposent :

19 Sous réserve des articles 21, 32 et 67, l'enregistrement d'une marque de commerce à l'égard de produits ou services, sauf si son invalidité est démontrée, donne au propriétaire le droit exclusif à l'emploi de celle‑ci, dans tout le Canada, en ce qui concerne ces produits ou services.

19 Subject to sections 21, 32 and 67, the registration of a trademark in respect of any goods or services, unless shown to be invalid, gives to the owner of the trademark the exclusive right to the use throughout Canada of the trademark in respect of those goods or services.

20(1) Le droit du propriétaire d'une marque de commerce déposée à l'emploi exclusif de cette dernière est réputé être violé par une personne qui est non admise à l'employer selon la présente loi et qui :

20(1) The right of the owner of a registered trademark to its exclusive use is deemed to be infringed by any person who is not entitled to its use under this Act and who

a) soit vend, distribue ou annonce des produits ou services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion;

(a) sells, distributes or advertises any goods or services in association with a confusing trademark or trade name;

[...]

. . .

[18]  En rejetant les réclamations en contrefaçon de la fiducie Hamdard, la Cour fédérale s'est concentrée (aux paragraphes 73 et 74) sur la question de savoir si le logo modifié de Navsun créait de la confusion avec la marque déposée de la fiducie Hamdard. La Cour a affirmé : « Pour établir une violation en vertu des articles 19 et 20 de la Loi sur les marques de commerce, la Cour doit tenir compte des facteurs non exhaustifs énumérés au paragraphe 6(5). » Il s'agit des facteurs dont il faut tenir compte pour décider si les marques de commerce créent de la confusion. Le juge a déclaré qu'il n'était « pas convaincu » que la fiducie Hamdard s'était « acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer » une ressemblance créant de la confusion.

[19]  La fiducie Hamdard soutient que la Cour fédérale n'a pas appliqué le critère juridique approprié pour évaluer la réclamation fondée sur l'article 19, puisqu'elle a commis une erreur en ne se demandant pas si les deux marques étaient les mêmes. La fiducie Hamdard soutient également que la question de savoir si deux marques sont identiques n'est pas tranchée en déterminant s'il y a confusion, mais bien en évaluant s'il existe des différences importantes entre les marques, de telle sorte qu'un consommateur moyen ayant une certaine connaissance de la marque enregistrée et quelque peu pressé croirait que les marques étaient les mêmes.

[20]  Je suis d'accord avec la fiducie Hamdard pour dire que la Cour fédérale n'a pas appliqué le critère juridique approprié pour trancher la réclamation fondée sur l'article 19. La contrefaçon visée à l'article 19 de la Loi est différente de la violation visée à l'article 20. L'article 19 porte sur l'usage par le défendeur d'une marque de commerce identique à la marque de commerce enregistrée du demandeur; le droit exclusif qu'il protège est le droit à l'emploi de la marque telle qu'elle a été enregistrée. L'article 20 a une portée plus large; il vise l'usage par le défendeur d'une marque de commerce qui crée de la confusion avec la marque enregistrée du demandeur, mais qui n'est pas nécessairement identique à celle‑ci : Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd., [1988] 3 C.F. 91, aux pages 97 et 98 (C.A.F.); Tradition Fine Foods Ltd. c. The Oshawa Group Ltd., 2005 CAF 342, aux paragraphes 8 et 9, autorisation d'interjeter appel rejetée, [2006] 1 R.C.S. xv; Venngo Inc. c. Concierge Connection Inc. (Perkopolis), 2017 CAF 96, aux paragraphes 11 et 12, autorisation d'interjeter appel rejetée, [2017] 2 R.C.S. x. La question pertinente dans l'évaluation de la réclamation fondée sur l'article 19 n'était donc pas de savoir si la marque de Navsun ressemblait à la marque enregistrée de la fiducie Hamdard au point de créer de la confusion, mais si les deux marques étaient identiques. La Cour fédérale a commis une erreur en omettant de se poser cette question.

[21]  Toutefois, je n'accepte pas l'argument de la fiducie Hamdard selon lequel la question de savoir si deux marques sont identiques pour les besoins de l'article 19 doit être tranchée en appliquant un critère d'« association mentale » fondé sur la perception du consommateur moyen. Pour cette observation, la fiducie Hamdard s'appuie principalement sur les déclarations de la Cour suprême dans l'arrêt Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, [2006] 1 R.C.S. 824, aux paragraphes 20, 21, 33, 35 et 38. Toutefois, ces déclarations ont été faites lors de la détermination de réclamations fondées sur la confusion et la dépréciation de l'achalandage, et non d'une réclamation en application de l'article 19. La jurisprudence, autre que l'arrêt Veuve Clicquot, sur laquelle la fiducie Hamdard s'appuie, notamment Promafil Canada Ltée c. Munsingwear Inc., [1992] A.C.F. no 611 (QL) (C.A.F.), autorisation d'interjeter appel rejetée, [1993] 2 R.C.S. x, et Ottawa Athletic Club Inc. c. The Athletic Club Group Inc., 2014 CF 672, ne porte pas non plus sur l'article 19.

[22]  Dans le cas de l'article 19, « identique » signifie « la même chose », et non simplement « semblable » : Tradition Fine Foods, au paragraphe 9. Pour déterminer si les marques de commerce en cause sont identiques, il faut tenir compte de ce que notre Cour a déclaré dans le premier appel (au paragraphe 28) : « Les marques de commerce en l'espèce ne se résument donc pas simplement au mot « Ajit », mais plutôt au mot et à l'écriture stylisée de celui‑ci, que les deux journaux utilisent comme logo. »

[23]  Pour ces motifs, le rejet de la réclamation de la fiducie Hamdard fondée sur l'article 19 relativement à la marque de commerce modifiée de Navsun doit être annulé.

C.  La Cour fédérale a‑t‑elle commis une erreur en omettant de tenir compte de facteurs pertinents pour évaluer la confusion pour les besoins de l'article 20?

[24]  Comme je l'ai mentionné précédemment, l'article 20 de la Loi sur les marques de commerce vise l'utilisation par le défendeur d'une marque de commerce qui crée de la confusion avec la marque enregistrée du demandeur. La Cour fédérale a effectué la plus grande partie de son analyse de la ressemblance créant de la confusion lors de son examen, aux paragraphes 37 à 50 de ses motifs, des réclamations de la fiducie Hamdard fondées sur la commercialisation trompeuse. C'est alors que le juge a déclaré qu'il n'était « pas convaincu » que le logo modifié de Navsun était semblable à la marque de la fiducie Hamdard au point de créer de la confusion. Le juge a également déclaré, au paragraphe 48, que le fait que la fiducie Hamdard ait accepté l'accord de règlement partiel constitue un aveu que le logo modifié était suffisamment distinct pour les besoins du droit d'auteur et a déclaré, au paragraphe 49, que « [s]i le nouveau logo est suffisamment différent pour éviter de violer le droit d'auteur de Hamdard sur l'image, il est donc contre‑intuitif de laisser entendre qu'il n'est pas suffisamment différent pour éviter la confusion sur le marché ». Il a adopté cette analyse, aux paragraphes 73 et 74, lors de l'examen des revendications en matière de contrefaçon de marque.

[25]  Comme je l'ai également mentionné ci‑dessus, la Cour fédérale a reconnu que, pour trancher les réclamations en contrefaçon de marque de commerce en application de l'article 20 de la Loi sur les marques de commerce, elle devait tenir compte de tous les facteurs non exhaustifs énumérés au paragraphe 6(5). Notre Cour a confirmé cette exigence (ainsi que l'obligation de tenir compte de toutes les autres circonstances) dans l'arrêt Group III International Ltd. c. Travelway Group International Ltd., 2017 CAF 215, aux paragraphes 34 et 35.

[26]  Le paragraphe 6(5) est rédigé comme suit :

6(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris :

6(5) In determining whether trademarks or trade names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

(a) the inherent distinctiveness of the trademarks or trade names and the extent to which they have become known;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

(b) the length of time the trademarks or trade names have been in use;

c) le genre de produits, services ou entreprises;

(c) the nature of the goods, services or business;

d) la nature du commerce;

(d) the nature of the trade; and

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux, notamment dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

(e) the degree of resemblance between the trademarks or trade names, including in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

[27]  Les deux parties soutiennent que la Cour fédérale a commis une erreur de droit en omettant de tenir compte de tous les facteurs prévus au paragraphe 6(5) pour évaluer les risques de confusion. La fiducie Hamdard conteste sur ce fondement la décision de la Cour fédérale selon laquelle le logo modifié de Navsun n'était pas semblable au logo de la fiducie Hamdard au point de créer de la confusion. Elle soutient également que la Cour fédérale a commis une erreur en appliquant, au lieu du critère de la ressemblance créant de la confusion, le critère de la violation de droit d'auteur. Navsun soutient qu'en établissant la responsabilité pour commercialisation trompeuse à l'égard de son logo initial, la Cour fédérale a limité son analyse à un seul facteur : le degré de ressemblance entre les marques.

[28]  Je partage l'avis des parties selon lequel la Cour fédérale a commis une erreur en ne respectant pas les exigences prévues au paragraphe 6(5). Bien que la Cour fédérale ait résumé les observations des deux parties sur la question de la confusion (aux paragraphes 39 à 45) et que ces observations aient porté sur plusieurs facteurs pertinents, les seuls facteurs que la Cour fédérale elle‑même a analysés (aux paragraphes 45 à 50) étaient le facteur du caractère distinctif prévu à l'alinéa 6(5)a) et le facteur du degré de ressemblance entre les marques ou noms commerciaux prévu à l'alinéa 6(5)e). En outre, l'examen de la ressemblance par la Cour portait uniquement sur l'apparence des marques; il ne mentionnait aucun des autres éléments de l'alinéa 6(5)e). Je conviens que, comme la Cour fédérale l'a fait remarquer au paragraphe 38, la Cour suprême a déclaré que le degré de ressemblance est souvent le facteur « susceptible d'avoir le plus d'importance dans l'analyse relative à la confusion » : Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27, [2011] 2 R.C.S. 387, au paragraphe 49. Dans certaines décisions où l'on insiste sur ce facteur, il est possible de conclure qu'on a également pris en compte tous les autres facteurs pertinents. Je ne peux toutefois pas tirer cette conclusion en l'espèce, étant donné les limites de l'analyse effectuée.

[29]  La Cour fédérale a également commis une erreur, à mon avis, en se fondant notamment sur la question de savoir si la marque modifiée de Navsun était suffisamment différente pour éviter la responsabilité pour violation de droit d'auteur. Les critères pour la violation de droit d'auteur et pour la contrefaçon de marque de commerce ne sont pas les mêmes. Comme l'écrit le professeur David Vaver dans l'ouvrage intitulé Intellectual Property Law: Copyright, Patents, Trade-marks, 2e éd. (Toronto, Irwin Law Inc., 2011), à la page 59 :

[TRADUCTION]

La loi sur le droit d'auteur ne vise que la copie. Personne ne viole le droit d'auteur à moins qu'il n'ait copié, d'une façon ou d'une autre, une œuvre protégée sans autorisation. C'est cette exigence qui est censée rendre la longue durée du droit d'auteur acceptable et qui distingue le droit d'auteur des brevets, des dessins industriels ou des marques de commerce, où le droit peut être violé malgré la création indépendante du défendeur.

[30]  Pour ces motifs, j'estime que le rejet de la réclamation de la fiducie Hamdard en application de l'article 20 relativement à la marque de commerce modifiée de Navsun doit être annulé.

D.  La Cour fédérale a‑t‑elle commis une erreur en appliquant le mauvais critère pour trancher la question de la dépréciation de l'achalandage?

[31]  L'article 22 de la Loi sur les marques de commerce prévoit un droit d'action pour dépréciation de l'achalandage :

22(1) Nul ne peut employer une marque de commerce déposée par une autre personne d'une manière susceptible d'entraîner la diminution de la valeur de l'achalandage attaché à cette marque de commerce.

22(1) No person shall use a trademark registered by another person in a manner that is likely to have the effect of depreciating the value of the goodwill attaching thereto.

[32]  La Cour fédérale a rejeté en une phrase la réclamation de la fiducie Hamdard en dépréciation de l'achalandage relativement au logo modifié de Navsun (au paragraphe 75) : « Étant donné que je conclus que ni le nouveau logo de Navsun ni son nom de domaine Internet ne ressemblent à la marque déposée de Hamdard au point de créer de la confusion, il ne peut y avoir de dépréciation de l'achalandage conformément à l'article 22. » (La conclusion de la Cour fédérale à l'égard du nom de domaine Internet n'est pas en litige dans le présent appel.)

[33]  Les deux parties soutiennent que la Cour fédérale a commis une erreur en rejetant la réclamation pour ce motif. La fiducie Hamdard soutient que, selon le critère approprié, elle a le droit d'obtenir gain de cause à l'égard de sa réclamation. Navsun répond que, si le critère approprié est appliqué, la réclamation devrait échouer.

[34]  Je conviens que la Cour fédérale a appliqué le mauvais critère. La Cour suprême a conclu que la cause d'action en application de l'article 22 et celle en application de l'article 20 « sont très différentes sur le plan conceptuel » : Veuve Clicquot, au paragraphe 46. La question n'est pas de savoir si les marques se ressemblent au point de créer de la confusion; rien dans l'article 22 n'oblige à démontrer que l'emploi des deux marques dans la même région est susceptible de créer de la confusion : Veuve Clicquot, au paragraphe 38. La dépréciation de l'achalandage doit plutôt être déterminée par le critère en quatre volets énoncé dans l'arrêt Veuve Clicquot, au paragraphe 46 :

[...] Premièrement, la marque de commerce déposée de la demanderesse a été employée par la défenderesse en liaison avec des marchandises ou services — peu importe que ces marchandises ou services entrent en concurrence avec ceux de la demanderesse. Deuxièmement, la marque de commerce déposée de la demanderesse est suffisamment connue pour que l'achalandage qui y est attaché soit appréciable. L'article 22 n'exige pas que la marque soit connue ou célèbre (contrairement aux lois européennes et américaines analogues), mais une défenderesse ne peut faire diminuer la valeur d'un achalandage qui n'existe pas. Troisièmement, la marque de la demanderesse a été employée d'une manière susceptible d'avoir une incidence sur cet achalandage (c.‑à‑d. de faire surgir un lien) et, quatrièmement, cette incidence sera probablement la diminution de la valeur de l'achalandage (c.‑à‑d. un préjudice). [...]

[35]  La Cour fédérale a commis une erreur de droit en omettant d'appliquer ce critère. Le rejet de la réclamation de la fiducie Hamdard en application de l'article 22 relativement à la marque de commerce modifiée de Navsun doit donc être annulé.

E.  La Cour fédérale a‑t‑elle commis une erreur lorsqu'elle a tranché les réclamations en commercialisation trompeuse en application de l'alinéa 7b)?

[36]  La fiducie Hamdard prétendait qu'il y avait commercialisation trompeuse visée à l'alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce relativement au logo initial de Navsun et à son logo modifié. L'alinéa 7b) est rédigé comme suit :

7 Nul ne peut :

7 No person shall

[...]

. . .

b) appeler l'attention du public sur ses produits, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu'il a commencé à y appeler ainsi l'attention, entre ses produits, ses services ou son entreprise et ceux d'un autre;

(b) direct public attention to his goods, services or business in such a way as to cause or be likely to cause confusion in Canada, at the time he commenced so to direct attention to them, between his goods, services or business and the goods, services or business of another;

[37]  La Cour fédérale a conclu (aux paragraphes 6 et 47 à 49) que la fiducie Hamdard avait établi qu'il y avait eu commercialisation trompeuse, mais seulement en ce qui concerne le logo initial de Navsun. Elle a rejeté l'action en commercialisation trompeuse visant le logo modifié. Navsun soutient que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant qu'il y avait eu commercialisation trompeuse quant au logo initial. La fiducie Hamdard soutient, en réponse, que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant qu'il n'y avait pas eu de commercialisation trompeuse relativement au logo modifié.

[38]  Navsun reconnaît d'abord que la Cour fédérale a énoncé correctement (au paragraphe 29) le critère général en trois volets concernant la commercialisation trompeuse : le demandeur doit établir (1) l'existence d'un achalandage, (2) le fait que le public a été induit en erreur par une fausse déclaration, (3) le préjudice réel ou possible pour le demandeur : Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc., 2005 CSC 65, [2005] 3 R.C.S. 302, aux paragraphes 66 à 69. Toutefois, elle soutient que la Cour fédérale a commis trois erreurs dans son interprétation et son application de ce critère. Les deux premières concernent l'achalandage : Navsun soutient que la Cour fédérale a commis une erreur de droit en appliquant le mauvais critère pour déterminer l'existence d'un achalandage et qu'elle a commis une erreur manifeste et dominante en omettant d'examiner la preuve expliquant la décision de Navsun d'utiliser le nom « Ajit » au Canada. La troisième est l'omission d'appliquer les facteurs requis pour ce qui est d'induire le public en erreur.

[39]  Navsun reconnaît également, en s'appuyant sur la décision de notre Cour dans l'arrêt Nissan Canada Inc. c. BMW Canada Inc., 2007 CAF 255, [2007] 4 R.C.F. F‑18, aux paragraphes 14 et 15, qu'en plus de satisfaire au critère en trois volets, le demandeur doit satisfaire à une exigence pour invoquer la commercialisation trompeuse prévue à l'alinéa 7b) : le demandeur doit d'abord prouver qu'il possède une marque de commerce valide opposable, déposée ou non, au moment où le défendeur a commencé à attirer l'attention du public sur ses propres produits et services : voir également les arrêts Cheung c. Target Event Production Ltd., 2010 CAF 255, au paragraphe 20; Badawy c. Igras, 2019 CAF 153, aux paragraphes 2, 3, 8 et 9. Pour y arriver, compte tenu des définitions des termes « marque de commerce » et « emploi » aux articles 2 et 4 de la Loi sur les marques de commerce, il faut que le demandeur ait employé la marque pour distinguer ses marchandises ou services de ceux d'autres personnes : Nissan Canada, paragraphes 15 à 18. La Cour fédérale n'a pas mentionné cette exigence, qui semble découler des contraintes constitutionnelles imposées à la compétence fédérale en matière de marques de commerce : voir l'arrêt Kirkbi, aux paragraphes 3 et 26. À mon avis, il s'agissait d'une erreur de droit en soi, même si on aurait pu facilement satisfaire à l'exigence.

[40]  Je vais maintenant examiner les erreurs que, selon Navsun, la Cour fédérale a commises lors de l'application du critère en trois volets. En bref, je conclus que la Cour fédérale n'a pas commis d'erreur dans l'établissement et l'application du critère juridique permettant de déterminer l'existence de l'achalandage, ni dans l'examen de la preuve expliquant l'utilisation du nom « Ajit ». Toutefois, je conclus que la Cour fédérale a commis une erreur en ne tenant pas compte des facteurs nécessaires lorsqu'elle a examiné la question du fait d'induire en erreur. Par conséquent, la conclusion qu'il y a eu commercialisation trompeuse ne peut être maintenue.

1)  La Cour fédérale a‑t‑elle commis une erreur en appliquant le mauvais critère pour déterminer l'existence de l'achalandage?

[41]  La Cour fédérale a commencé son examen de l'existence de l'achalandage pour la réclamation en commercialisation trompeuse (au paragraphe 30) en notant, en résumant l'arrêt Kirkbi au paragraphe 67, que : « L'existence de l'achalandage est vérifiée en déterminant si la partie a établi que ses marchandises étaient connues sur le marché en raison d'un élément distinctif. » Elle a ensuite résumé les observations des parties sur cette question, notamment leurs observations sur la question de savoir si, conformément au jugement de notre Cour lors du premier appel (au paragraphe 27), le Ajit Daily « s'était bâti une réputation au sein d'un groupe plus important au Canada que les quelques abonnés ayant acheté le journal ».

[42]  La Cour fédérale a ensuite cité (au paragraphe 34) les facteurs qui, selon l'arrêt Veuve Clicquot, doivent être pris en compte dans l'évaluation de l'achalandage lors d'une action pour dépréciation de l'achalandage aux termes de l'article 22 :

Bien que l'art. 22 n'exige pas la preuve de la « célébrité », le tribunal appelé à déterminer s'il existe un achalandage susceptible d'être déprécié par un emploi qui ne crée pas de confusion (comme en l'espèce) tiendra compte de cet élément, comme de facteurs plus généraux tels le degré de reconnaissance de la marque par les consommateurs de la population de référence, le volume des ventes et le degré de pénétration du marché des produits associés à la marque de la demanderesse, l'étendue et la durée de la publicité accordée à la marque de la demanderesse, sa portée géographique, l'importance de son caractère distinctif inhérent ou acquis, le fait que les produits associés à la marque de la demanderesse soient confinés à une voie de commercialisation restreinte ou spécialisée ou qu'ils empruntent des voies multiples, ainsi que la mesure dans laquelle les marques sont perçues comme un gage de qualité. [...]

[43]  La Cour a ajouté (au paragraphe 35) : « En supposant que des facteurs semblables puissent être utilisés pour déterminer l'existence de l'achalandage dans une action pour commercialisation trompeuse, leur application en l'espèce peut être résumée comme suit. » La Cour a ensuite discuté de cinq facteurs établis dans l'arrêt Veuve Clicquot : 1) le degré de reconnaissance de la marque par les consommateurs de la population de référence; 2) le volume des ventes et le degré de pénétration du marché des produits associés à la marque de la demanderesse; 3) l'étendue et la durée de la publicité accordée à la marque de la demanderesse, de sa portée géographique; 4) l'importance de son caractère distinctif inhérent ou acquis; 5) si les produits associés à la marque de la demanderesse sont confinés à une voie de commercialisation restreinte ou spécialisée ou s'ils empruntent des voies multiples. Elle a conclu (au paragraphe 36) : « Tout bien pensé, [...] Hamdard jouissait [...] d'un achalandage suffisant au Canada pour étayer une demande fondée sur la commercialisation trompeuse ».

[44]  Navsun soutient que la Cour fédérale a commis une erreur de droit en appliquant les facteurs de l'arrêt Veuve Clicquot en l'espèce. Elle soutient que l'analyse en application de l'article 22 est fondée sur l'hypothèse que le demandeur possède une marque de commerce enregistrée valide et « présuppose l'existence d'un achalandage appréciable dont la valeur est susceptible de diminuer par suite d'un emploi qui ne crée pas de confusion » : Veuve Clicquot, au paragraphe 53. En revanche, pour obtenir gain de cause dans une action en commercialisation trompeuse en application de l'alinéa 7b), le demandeur doit démontrer l'existence d'un achalandage dans le marché du défendeur, et non que sa valeur a diminué ou est susceptible de diminuer. Selon Navsun, on n'a jamais utilisé le critère de l'article 22 lors d'une demande pour commercialisation trompeuse fondée sur l'alinéa 7b).

[45]  Sur ce point, la fiducie Hamdard fait notamment valoir que malgré le renvoi à l'arrêt Veuve Clicquot, les facteurs que la Cour fédérale a réellement pris en compte étaient les facteurs prévus au paragraphe 6(5), qui se rapportent à l'achalandage. Je n'accepte pas cet argument; les facteurs dont la Cour fédérale a tenu compte sont ceux énoncés dans l'arrêt Veuve Clicquot, et non ceux du paragraphe 6(5).

[46]  La fiducie Hamdard soutient également que, quoi qu'il en soit, la Cour fédérale pouvait examiner les facteurs dont elle avait tenu compte pour déterminer s'il y avait un achalandage, peu importe ce qu'on dit de ces facteurs dans le critère de l'arrêt Veuve Clicquot, et que l'achalandage lors de l'examen de la dépréciation de l'achalandage correspond à l'achalandage lors de l'examen de la commercialisation trompeuse.

[47]  À mon avis, la fiducie Hamdard a raison de dire que la Cour fédérale pouvait tenir compte de ces facteurs, même si ces facteurs sont également pris en compte dans l'évaluation de la dépréciation de l'achalandage au sens de l'article 22.

[48]  Pour déterminer l'existence d'une réputation ou d'un achalandage pour les besoins de la commercialisation trompeuse, les tribunaux ont tenu compte de facteurs comme le caractère distinctif inhérent, le caractère distinctif acquis, la durée de l'utilisation, les sondages, les ventes, l'étendue et la durée de la publicité et de la commercialisation et la copie intentionnelle : voir l'ouvrage de Kelly Gill, Fox on Canadian Law of Trade‑Marks and Unfair Competition, 4e éd. (Toronto, Thomson Reuters, 2019) (feuilles volantes, mise à jour 2019, version 5), chapitre 4, pages 4‑77 à 4‑81. Plusieurs de ces facteurs recoupent ceux mentionnés dans l'arrêt Veuve Clicquot ou correspondent à ceux‑ci. Il est vrai qu'on tient compte de ces facteurs à des fins différentes dans les deux cas : en cas de commercialisation trompeuse, on doit démontrer qu'une marque est distinctive et qu'elle possède une réputation, alors que dans le cas de l'article 22, on prend en compte le caractère distinctif et la réputation pour évaluer si l'achalandage peut se déprécier. Toutefois, le recours à un facteur pertinent n'est pas interdit simplement parce qu'il est également pertinent à d'autres fins.

[49]  Navsun n'a pas démontré que l'un ou l'autre des cinq facteurs dont la Cour fédérale a tenu compte n'était pas pertinent pour déterminer l'existence de l'achalandage. Les motifs de la Cour fédérale montrent qu'elle savait pourquoi elle devait examiner ces facteurs. Bien que Navsun soutienne que, parce que la Cour fédérale a examiné ces facteurs, elle n'a pas procédé [TRADUCTION] « à l'examen approprié de la preuve » (mémoire de Navsun, au paragraphe 43), elle n'explique pas pourquoi il en est ainsi ou comment cela découle de la nature des facteurs considérés.

[50]  Par conséquent, à mon avis, la Cour fédérale n'a pas commis d'erreur de droit en appliquant les facteurs énoncés dans l'arrêt Veuve Clicquot pour déterminer l'existence de l'achalandage.

2)  La Cour fédérale a‑t‑elle commis une erreur en omettant d'examiner la preuve expliquant l'utilisation du nom « Ajit »?

[51]  Navsun soutient que la Cour fédérale a également commis une erreur en omettant de tenir compte du témoignage de son âme dirigeante, M. Bains, maintenant décédé, qui a expliqué la décision de Navsun d'utiliser le nom « Ajit » au Canada. Je rejette l'idée que la Cour fédérale n'a pas tenu compte de cette preuve. À mon avis, les motifs de la Cour fédérale démontrent qu'elle a tenu compte de la preuve qui explique la décision de Navsun.

[52]  Dans ses motifs (au paragraphe 36), la Cour fédérale a déclaré que « Navsun n'a pas donné d'explications crédibles quant à sa décision d'utiliser le mot « Ajit » dans le nom de son journal Ajit Weekly qu'elle a lancé en 1993 » (non souligné dans l'original). On comprend clairement, à la lecture de ce seul passage, pourquoi la Cour fédérale n'a pas donné suite aux arguments de Navsun concernant sa décision d'utiliser le nom « Ajit » au Canada : la Cour fédérale n'a pas jugé crédibles les éléments de preuve à l'appui. La Cour fédérale n'a commis aucune erreur manifeste et dominante dans cette décision.

3)  La Cour fédérale a‑t‑elle commis une erreur en ne tenant pas compte des facteurs nécessaires lorsqu'elle a évalué la question de la fausse déclaration?

[53]  J'ai déjà conclu, lorsque j'ai examiné la question de la ressemblance créant de la confusion au sens de l'article 20, que la Cour fédérale avait commis une erreur de droit dans son examen des facteurs énoncés au paragraphe 6(5). Puisque, comme notre Cour l'a déclaré dans le premier appel (au paragraphe 21), ces facteurs s'appliquent également pour déterminer s'il y a confusion lors de l'examen de la question de la fausse déclaration en cas de commercialisation trompeuse, et puisqu'une fausse déclaration est un élément nécessaire lors d'une action en commercialisation trompeuse, la conclusion voulant qu'il y ait eu commercialisation trompeuse à l'égard du logo initial ne peut être maintenue, et la réclamation pour commercialisation trompeuse relativement au logo modifié doit être examinée à nouveau.

F.  La Cour fédérale a‑t‑elle commis une erreur en omettant de traiter la demande reconventionnelle de Navsun?

[54]  En réponse à l'action de la fiducie Hamdard, Navsun a déposé à la fois une défense et une demande reconventionnelle, dans laquelle elle demandait une déclaration selon laquelle la marque enregistrée de la fiducie Hamdard était nulle ab initio et devait être radiée du registre des marques de commerce. Lors du premier procès sommaire, la Cour a rejeté la demande reconventionnelle au motif que Navsun n'avait pas produit suffisamment d'éléments de preuve pour établir ses allégations (2014 CF 1139, paragraphes 113 et 114). Dans le premier appel, notre Cour n'a pas modifié la partie du jugement de la Cour fédérale rejetant la demande reconventionnelle et n'a renvoyé que les revendications de la fiducie Hamdard pour nouvel examen (2016 CAF 69, paragraphe 34). Après le premier appel et avant le deuxième procès sommaire, la fiducie Hamdard a demandé et obtenu l'autorisation de modifier sa déclaration. Dans la même ordonnance, Navsun a obtenu l'autorisation de modifier sa défense. Aucune autorisation n'a été demandée ou accordée relativement à sa demande reconventionnelle.

[55]  Lors du nouvel examen, la Cour fédérale a examiné brièvement la demande reconventionnelle comme suit (au paragraphe 85) : « La demande reconventionnelle de Navsun a déjà été rejetée par la Cour dans [le premier procès sommaire] et ne fait plus l'objet de la présente instance. » Navsun affirme maintenant dans son appel incident que la Cour fédérale a commis une erreur en omettant d'examiner le bien‑fondé de sa demande reconventionnelle.

[56]  À mon avis, la Cour fédérale n'a pas commis d'erreur à cet égard. Comme l'a fait observer notre Cour, une demande reconventionnelle est « essentiellement une action distincte, greffée, du point de vue procédural, à l'action existante »: Ruhrkohle Handel Inter GMBH c. Federal Calumet (Le), [1992] 3 C.F. 98, à la page 103 (C.A.F.). En l'espèce, cette « action distincte » a été rejetée lors du premier procès sommaire, et rien dans le premier appel ne l'a rétablie. Au contraire, l'arrêt de notre Cour n'a pas modifié son rejet. Même en supposant qu'il aurait pu y avoir une autorisation quelconque permettant de rétablir la demande reconventionnelle, Navsun n'a pris aucune mesure à cette fin. Dans ces circonstances, la Cour fédérale a eu raison de déclarer qu'elle n'était plus saisie de la demande reconventionnelle et de refuser de l'examiner.

IV.  Notre Cour devrait‑elle trancher maintenant les réclamations qui restent?

[57]  En résumé, le résultat des conclusions énoncées ci‑dessus est que la conclusion de commercialisation trompeuse relativement au logo initial de Navsun doit être annulée, de même que le rejet des réclamations suivantes de la fiducie Hamdard relativement au logo modifié de Navsun en application de la Loi sur les marques de commerce : commercialisation trompeuse, violation de l'article 19, violation de l'article 20 et dépréciation de l'achalandage. L'adjudication de dommages‑intérêts de 5 000 $ pour la commercialisation trompeuse à l'égard du logo initial de Navsun doit également être annulée.

[58]  Les deux parties nous demandent, si nous concluons que la Cour fédérale a commis des erreurs, de nous prononcer nous‑mêmes sur le fond relativement aux questions qui subsisteraient, plutôt que de les renvoyer de nouveau à la Cour fédérale pour un nouvel examen. Le principal motif de cette demande est le temps qui s'est écoulé depuis le début de l'instance en 2010 et le temps supplémentaire qui serait nécessaire si l'affaire était renvoyée à la Cour fédérale.

[59]  Bien que le sous‑alinéa 52b)(i) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, nous donne le pouvoir de rendre le jugement que la Cour fédérale aurait dû rendre, ce n'est habituellement pas à la Cour d'agir comme tribunal de première instance. L'hésitation à le faire découle non seulement de l'expérience et de l'expertise accrues de la Cour fédérale en matière de recherche des faits, mais aussi des complications pratiques et autres liées à la recherche des faits par une formation de trois juges.

[60]  Les facteurs pertinents pour déterminer s'il y a lieu de rendre une décision plutôt que de renvoyer l'affaire sont notamment les suivants : si les faits de l'affaire sont nombreux et complexes, si l'affaire porte sur des éléments de preuve documentaires ou un témoignage de vive voix et une évaluation de la crédibilité, si le résultat est incertain et dépend des faits, si les parties ont présenté des observations précises sur les questions à régler et si le retard supplémentaire associé au renvoi de l'affaire est contraire aux intérêts de la justice : Pfizer Canada Inc. c. Teva Canada limitée, 2016 CAF 161, [2016] 4 R.C.F. F‑13, au paragraphe 157, autorisation d'interjeter appel rejetée, [2017] 1 R.C.S. xviii; R. c. Piot, 2019 CAF 53, aux paragraphes 113 à 115 et 124 à 128; Wells c. Terre‑Neuve, [1999] 3 R.C.S. 199, aux paragraphes 67 et 68.

[61]  Je reconnais la préoccupation des parties d'en finir avec ce litige. Toutefois, je ne pense pas que, dans les circonstances de l'espèce, un nouveau retard équivaudrait à un déni de justice. Les publications des parties coexistent au Canada depuis de nombreuses années, et ce, bien avant que le litige ne soit intenté. Il s'agit d'un cas complexe, qui nécessite encore la détermination de plusieurs questions. L'audience a porté en grande partie sur les erreurs de droit invoquées, et beaucoup moins sur les éléments de preuve qui appuieraient les thèses des parties si ces erreurs étaient corrigées. Bien que les mémoires des parties renvoient aux éléments de preuve, ils ne traitent pas de tous les facteurs qui devraient être pris en considération et tranchés : voir, par exemple, le paragraphe 31 du mémoire de la fiducie Hamdard en réponse à l'appel incident, selon lequel [TRADUCTION] « le présent mémoire n'examinera pas tous les facteurs [visés au paragraphe 6(5)], mais seulement les observations faites au sujet de certains de ceux‑ci dans [le mémoire de Navsun pour l'appel incident] ». Demander d'autres observations écrites sur les questions de preuve serait un mécanisme lourd pour obtenir des réponses aux questions de preuve qui se poseraient inévitablement.

[62]  Pour ces raisons, je ne proposerais pas que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire pour trancher les autres questions.

V.  Dispositif proposé

[63]  Je propose que la Cour rende l'arrêt suivant :

1.  L'appel incident des intimées Navsun Holdings Ltd. et 6178235 Canada Inc. (Navsun) est accueilli en partie, et le jugement de la Cour fédérale du 19 octobre 2018 est annulé pour ce qui est de la conclusion que Navsun est responsable de commercialisation trompeuse pour la période de juillet 2007 à septembre 2009 en ce qui a trait au logo du journal Ajit Daily publié par l'appelante, la fiducie Sandhu Singh Hamdard.

2.  L'adjudication des dommages‑intérêts de la Cour fédérale est modifiée de sorte que Navsun doive à la fiducie Sadhu Singh Hamdard 5 000 $ en dommages‑intérêts pour la violation de droit d'auteur de juillet 2007 à septembre 2009.

3.  L'appel de la fiducie Sadhu Singh Hamdard est accueilli et le rejet par la Cour fédérale de la réclamation de la fiducie Sadhu Singh Hamdard en application de l'alinéa 7b) et des articles 19, 20 et 22 de la Loi sur les marques de commerce pour la période de septembre 2009 à aujourd'hui est annulé.

4.  L'affaire est renvoyée à la Cour fédérale pour nouvel examen des questions de fait et de droit portant sur la responsabilité aux termes de l'alinéa 7b) et des articles 19, 20 et 22 de la Loi sur les marques de commerce.

[64]  En raison de l'issue, j'ordonnerais aussi que les parties supportent chacune leurs propres dépens.

« J.B. Laskin »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

« Je suis d'accord.

Judith Woods, j.c.a. »

 


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-365-18

APPEL DU JUGEMENT RENDU PAR LE JUGE FOTHERGILL DE LA COUR FÉDÉRALE LE 19 OCTOBRE 2018, DOSSIER NO T-1127-10

INTITULÉ :

FIDUCIE SANDHU SINGH HAMDARD c. NAVSUN HOLDINGS LTD. et 6178235 CANADA INC.

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 18 septembre 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LASKIN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE WOODS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 2 décembre 2019

 

COMPARUTIONS :

David Allsebrook

 

Pour l'appelante

 

Tamara Ramsey

 

Pour les intimées

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

LudlowLaw

Toronto (Ontario)

 

Pour l'appelante

 

Chitiz Pathak LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour les intimées

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.