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Date : 20191129


Dossier : A-66-19

Référence : 2019 CAF 294

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

LORRAINE LORTIE

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Audience tenue à Halifax (Nouvelle-Écosse), le 28 octobre 2019.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 29 novembre 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NEAR

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE LASKIN

 


Date :20191120

Dossier : A-66-19

Référence : 2019 CAF 294

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

 

 

LORRAINE LORTIE

 

 

demanderesse

 

 

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NEAR

I.  Aperçu

[1]  La demanderesse, Mme Lorraine Lortie, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 30 janvier 2019 par la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la Commission), rejetant son grief au motif que l’administrateur général était d’avis que son rendement était insatisfaisant et que son congédiement était motivé.

II.  Résumé des faits

[2]  La présente affaire découle du congédiement de la demanderesse par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). L’ASFC a embauché la demanderesse en 2008 à titre de coordonnatrice des cas d’invalidité et des mesures d’adaptation pour la région de l’Atlantique. Le poste exigeait d’excellentes aptitudes en relations interpersonnelles et en communication ainsi que la capacité d’influencer les autres, comme l’indiquait la description de tâches du poste en question. Il est rapidement devenu évident que le comportement, l’attitude et le style de communication de la demanderesse en milieu de travail avaient une incidence négative sur ses relations et ses interactions. Les superviseurs de la demanderesse ont reçu des plaintes au sujet de son comportement, lesquelles lui ont été communiquées verbalement et ont été indiquées dans ses évaluations de rendement. Comme le décrit la décision de la Commission, elle s’est souvent montrée sur la défensive, brusque et agressive lorsque son rendement était remis en question.

[3]  À compter de 2009-2010, les ententes de rendement annuelles de la demanderesse comportaient des objectifs en matière de professionnalisme, d’intégrité et de respect dans ses actions et ses communications. Pendant toute la durée de son emploi, la demanderesse s’est vu offrir l’aide de plusieurs superviseurs, a reçu des services de consultation et a eu l’occasion de suivre des formations pour perfectionner ses compétences. À la suite de son évaluation du rendement de fin d’exercice pour 2013-2014, l’employeur a créé un plan d’action, avec l’apport de la demanderesse, qui établissait des échéanciers à l’intérieur desquels la demanderesse devait démontrer une amélioration.

[4]  Malgré ces efforts, le comportement et les communications de la demanderesse sont demeurés insatisfaisants. En décembre 2015, lors de l’examen du plan d’action après douze mois, le superviseur de la demanderesse l’a informée que, selon l’évaluation, elle n’avait pas satisfait aux exigences du plan et qu’on lui accorderait trois mois de plus pour faire preuve d’une amélioration importante, faute de quoi elle serait congédiée. La demanderesse a continué d’opposer une résistance au plan d’action, et son superviseur a conclu qu’elle ne répondait pas aux attentes lors de son examen annuel de rendement en février 2016, alors qu’il restait un mois au plan d’action. Le 6 avril 2016, à la suite de l’examen final du plan d’action, la demanderesse a été informée que son rendement était toujours insatisfaisant. La demanderesse a été avisée de son congédiement pour cause de rendement insatisfaisant. La demanderesse a déposé un grief auprès de la Commission alléguant qu’elle avait été congédiée pour des motifs disciplinaires et que son congédiement constituait un acte discriminatoire à son endroit.

III.  Décision de la Commission

[5]  La Commission a affirmé qu’elle avait pour rôle, en application de l’article 230 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, L.C. 2003, ch. 22, art. 2 (la Loi), d’évaluer le caractère raisonnable de l’avis de l’employeur selon lequel le rendement de l’employé était insatisfaisant. Si l’avis de l’employeur est jugé raisonnable, l’article 230 dispose alors que la Commission doit conclure que le congédiement était motivé. La Commission a également déclaré que, si les superviseurs de la demanderesse avaient été de mauvaise foi dans l’évaluation de son rendement, alors la décision de l’employeur selon laquelle son rendement était insatisfaisant ne pouvait pas être raisonnable.

[6]  La Commission a conclu, d’après la preuve dont elle disposait, qu’il était raisonnable que l’employeur juge insatisfaisant le rendement de la demanderesse. La Commission a conclu que la preuve n’appuyait pas la conclusion selon laquelle le congédiement de la demanderesse constituait un acte de représailles de la part de l’employeur; outre le fait qu’elle avait déposé une plainte en matière de droits de la personne contre un superviseur en 2011, la demanderesse n’a présenté aucun élément de preuve pour permettant d’étayer cette allégation. La Commission a conclu que le congédiement de la demanderesse n’était pas lié aux plaintes de harcèlement qu’elle avait déposées contre deux de ses superviseurs. La Commission a également conclu que ni les dispositions de télétravail prises pour accommoder la demanderesse ni ses tentatives de réinstallation à Ottawa n’étaient liées au congédiement. Elle a conclu que rien n’indiquait que le plan d’action de l’employeur constituait des représailles pour l’arrangement de télétravail de la demanderesse. Enfin, elle a conclu que le congédiement n’était pas attribuable aux efforts de la demanderesse visant à faire reclassifier son poste ou à ses tentatives de préserver l’utilisation par l’ASFC d’un système régional de placement permettant d’associer des employés souhaitant se prévaloir de mesures d’adaptation à des postes vacants.

IV.  Norme de contrôle

[7]  La décision de la Commission est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Forner c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 136, par. 11. Une décision raisonnable est justifiable, transparente et intelligible, et elle doit appartenir aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, par. 47.

V.  Questions en litige

[8]  À mon avis, les questions en litige que soulève la demande de contrôle judiciaire sont les suivantes :

  1. Les documents déposés par la demanderesse devant notre Cour, mais dont la Commission n’était pas saisie, sont-ils admissibles?

  2. La décision de la Commission était-elle raisonnable?

  3. La commissaire était-elle partiale?

VI.  Analyse

A.  Les documents déposés par la demanderesse devant notre Cour, mais dont la Commission n’était pas saisie, sont-ils admissibles?

[9]  En règle générale, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, le dossier du demandeur se limite au dossier dont disposait la Commission ou le décideur. En l’espèce, la demanderesse n’a pas présenté de requête pour produire de nouveaux éléments de preuve. De plus, les nouveaux éléments de preuve que la demanderesse cherchait à présenter ne répondaient pas au critère applicable au dépôt de nouveaux éléments dans le cadre d’un contrôle judiciaire : Sharma c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 48, par. 7 à 9. Par conséquent, la Cour n’a pas accepté de nouveaux éléments de preuve à l’audience.

B.  La décision de la Commission était-elle raisonnable?

[10]  La demanderesse soutient que la commissaire a formulé des hypothèses injustifiées, qu’elle a déformé des éléments de preuve et des témoignages, et qu’elle a commis des erreurs en faisant référence à des pièces et en faisant fi de certains éléments de preuve présentés par la demanderesse.

[11]  À mon avis, la décision de la Commission était raisonnable. La décision était transparente, justifiée et intelligible : la Commission a examiné en profondeur la position des deux parties et a établi l’étendue de la tâche dont elle était saisie aux termes de l’article 230 de la Loi. La demanderesse veut essentiellement que notre Cour soupèse à nouveau les éléments de preuve. Ce n’est pas là le rôle de la Cour. Son rôle consiste plutôt à déterminer si la décision de la Commission était raisonnable compte tenu des éléments de preuve dont elle disposait.

[12]  La conclusion de la Commission selon laquelle il était raisonnable pour l’employeur de conclure que le rendement de la demanderesse était insatisfaisant est amplement étayée par le dossier de preuve. Pas moins de dix-huit plaintes distinctes ont été déposées sur une période de huit ans au sujet des aptitudes de communication de la demanderesse.

[13]  De plus, la conclusion de la Commission selon laquelle le congédiement de la demanderesse n’était pas le résultat de représailles de mauvaise foi de la part de l’employeur était raisonnable au vu de la preuve. La conclusion de la Commission selon laquelle le congédiement de la demanderesse ne constituait pas de la discrimination était également raisonnable d’après la preuve puisque la demanderesse n’avait pas établi qu’elle possédait une caractéristique protégée aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, soit la première étape nécessaire à une conclusion de discrimination : Canada (Procureur général) c. Bodnar, 2017 CAF 171, par. 21; Stewart c. Elk Valley Coal Corp., 2017 CSC 30, par. 24.

C.  La commissaire était-elle partiale?

[14]  La demanderesse soutient que la conduite de la commissaire équivalait à de la partialité. À mon avis, la demanderesse n’a pas satisfait au critère rigoureux permettant de conclure à une crainte raisonnable de partialité établi dans l’arrêt Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c. Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25, aux paragraphes 20 et 21, de même que dans l’arrêt Nadeau . Canada (Procureur général), 2018 FCA 203, au paragraphe 12.

[15]  La demanderesse n’a fourni aucun élément de preuve permettant d’établir que la commissaire était partiale ou qu’une crainte de partialité était raisonnable. La demanderesse a fait une série de simples affirmations, dont aucune n’est étayée par la preuve en l’espèce. De toute évidence, la demanderesse n’est pas satisfaite de la conclusion de la commissaire, mais cette insatisfaction ne suffit pas pour étayer une conclusion de partialité ou de crainte raisonnable de partialité.

VII.  Conclusion

[16]  Pour ces motifs, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire, avec dépens.

« D. G. Near »

j.c.a.

« Je suis d’accord

Wyman W. Webb, j.c.a. »

« Je suis d’accord

J.B. Laskin, j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UNE DÉCISION RENDUE PAR LA COMMISSION DES RELATIONS DE TRAVAIL ET DE L’EMPLOI DANS LA FONCTION PUBLIQUE EN DATE DU 30 JANVIER 2019, RÉFÉRENCE NO 2019 CRTESPF 10, DOSSIERS 566-02-12442 ET 12738

 

DOSSIER :

A-66-19

 

INTITULÉ :

LORRAINE LORTIE c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 octobre 2019

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NEAR

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE LASKIN

DATE DES MOTIFS :

Le 29 novembre 2019

COMPARUTIONS :

Lorraine Lortie

POUR SON PROPRE COMPTE

Caroline Engmann

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour le défendeur

 

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