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Date : 20191022


Dossier : A-244-19

Référence : 2019 CAF 257

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Présent :  LE JUGE RENNIE

ENTRE :

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

appelante

et

OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA,

CHEMIN DE FER CANADIEN PACIFIQUE LIMITÉE,

BNSF RAILWAY COMPANY,

L’ASSOCIATION DES PRODUITS FORESTIERS DU CANADA,

LA CANADIAN OILSEED PROCESSORS ASSOCIATION,

L’ASSOCIATION CANADIENNE DE GESTION DU FRET,

LA WESTERN CANADIAN SHIPPERS’ COALITION ET

LA WESTERN GRAIN ELEVATOR ASSOCIATION

intimés

Requête écrite décidée sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 22 octobre 2019.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE RENNIE

 


Date : 20191022


Dossier : A-244-19

Référence : 2019 CAF 257

Présent :  LE JUGE RENNIE

ENTRE :

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

appelante

et

OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA,

CHEMIN DE FER CANADIEN PACIFIQUE LIMITÉE,

BNSF RAILWAY COMPANY,

L’ASSOCIATION DES PRODUITS FORESTIERS DU CANADA,

LA CANADIAN OILSEED PROCESSORS ASSOCIATION,

L’ASSOCIATION CANADIENNE DE GESTION DU FRET,

LA WESTERN CANADIAN SHIPPERS’ COALITION ET

LA WESTERN GRAIN ELEVATOR ASSOCIATION

intimés

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE RENNIE

[1]  Notre Cour est saisie de trois requêtes présentées par écrit et en application de l’article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles) :

  • 1) Une requête présentée le 6 août 2019 par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le CN) aux termes du paragraphe 343(3) des Règles en établissement du contenu du dossier d’appel;

  • 2) Une requête présentée le 3 septembre 2019 par l’Association canadienne de gestion du fret (ACGF) aux termes des articles 317 et 318 des Règles, en production du dossier de l’Office des transports du Canada (OTC) relativement à la décision no CONF-9-2019, et en décision relativement aux oppositions soulevées par l’OTC, le CN et le Chemin de fer Canadien Pacifique (CP) relativement à la divulgation d’une partie du dossier;

  • 3) Une requête présentée le 21 août 2019 par l’ACGF aux termes de l’article 383 des Règles en désignation du présent appel à titre d’instance à gestion spéciale, et en nomination d’un juge chargé de la gestion de l’instance.

[2]  Ces requêtes découlent de la décision du 14 janvier 2019 de l’OTC d’enquêter sur le transport ferroviaire de marchandises à Vancouver (l’enquête). Cette enquête visait à déterminer si les chemins de fer respectaient leurs obligations de service relativement à certaines catégories de transporteurs en raison de l’imposition d’un embargo relativement au départ de wagons vers le port de Vancouver. L’OTC a demandé aux différentes parties, y compris le CN, de lui communiquer des renseignements. Le CN a communiqué environ 5,8 millions de documents sur ses données opérationnelles en réponse à la demande de l’OTC.

[3]  Le CN a demandé et obtenu une ordonnance de confidentialité à l’égard de ces données à l’issue du dépôt d’une demande ex parte à l’OTC. L’OTC a ordonné le maintien de la confidentialité de ces données tant en ce qui concerne le grand public que les autres participants à l’enquête. Ni l’ACGF ni les autres participants à l’enquête n’ont obtenu ces données, qui sont demeurées confidentielles, mais celles-ci font partie du dossier dont était saisi l’OTC.

[4]  Le 15 avril 2019, l’OTC a publié sa décision no CONF-9-2019 (la décision). L’OTC a conclu que le CN n’avait pas respecté ses obligations en matière de niveau de service, notamment en ce qui concerne le service de transport ferroviaire de marchandises à Vancouver. Plus précisément, l’OTC a conclu que le CN avait manqué à ses obligations en matière de niveau de service en annonçant, en septembre 2018, et en mettant en œuvre, en décembre 2018, un embargo sur les expéditions de pâte de bois destinées à la région de Vancouver. Cet embargo a forcé les producteurs de pâte de bois à obtenir un permis du CN avant de pouvoir expédier leurs produits vers les gares ferroviaires de la région de Vancouver. Les producteurs devaient obtenir un permis avant le départ de tout wagon chargé à leur usine de pâte de bois.

[5]  Le CN a obtenu l’autorisation d’interjeter appel de la décision aux termes de l’article 41 de la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10 et l’article 352 des Règles. Le CN a déposé son avis d’appel le 25 juin 2019. Par la suite, les avis de comparution furent déposés au nom des quatre autres intimés, soit l’ACGF, l’Association des produits forestiers canadiens (APFC), le CP et l’OTC.

[6]  Vu ces faits et procédures, je reviendrai maintenant sur les trois requêtes dont notre Cour est saisie.

[7]  Nous pouvons sans problème nous prononcer sur la requête en ordonnance en application de l’article 383 des Règles.

[8]  Cette requête était motivée par une préoccupation légitime de la part de l’avocat de l'ACGF selon laquelle la communication demandée aux termes de l’article 317 des Règles, l’opposition à trancher aux termes de l’article 318 et la requête déposée aux termes de l’article 343 en détermination du contenu du dossier d’appel ne seraient pas toutes tranchées par le même juge, ce qui pourrait donner lieu à des décisions contradictoires. Il y a également des économies de ressources évidentes à réaliser en s’assurant que le même juge entende ces trois requêtes.

[9]  Or, toutes les requêtes sont tranchées par un juge unique de notre Cour; ainsi, le risque de décisions contradictoires ne se pose pas, et les gains d’efficacité visés sont concrétisés. La requête est par conséquent rejetée.

[10]  Il reste deux requêtes à trancher. Les questions au cœur des requêtes déposées aux termes des articles 317 et 343 sont imbriquées; à savoir l'article 317 des Règles selon lequel le tribunal doit produire le dossier dont il était saisi, tandis que le paragraphe 343(2) des Règles exige que le dossier d’appel comprenne les documents, les pièces et les transcriptions nécessaires pour trancher les questions visées par l’appel. En outre, l'on ne peut pas atteindre l’objectif fixé par l’article 343 sans respecter entièrement l’obligation imposée par l’article 317.

[11]  Ces dispositions sont bel et bien imbriquées; toutefois, elles visent des objectifs différents et sont fondées sur des considérations stratégiques différentes. En conséquence, leur application est régie suivant des critères différents.

[12]  L’article 317 consacre le principe selon lequel le contrôle judiciaire est fondé sur l’examen du dossier dont disposait le tribunal; en outre, le certiorari sert à la production du dossier. Ce texte donne le droit à une partie de recevoir tous les éléments dont disposait le décideur lorsqu'il a rendu sa décision (Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright) c. Alberta, 2015 CAF 268, [2016] 3 RCF 19). L’exigence voulant qu’un tribunal produise, sans hésitation, le dossier complet a longtemps été au cœur du processus de contrôle judiciaire. Cette exigence est tempérée par le fait, tout pragmatique, qu’il arrive souvent que de grandes parties du dossier du tribunal, particulièrement dans le cas d’instances permanentes et hautement spécialisées, ne soient pas pertinentes pour le règlement des questions soulevées en appel.

[13]  À ce titre, le paragraphe 343(2) des Règles vise à éviter le gaspillage, à réduire les frais et à mieux circonscrire les questions soulevées en appel (Daoud c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 173). En conséquence, la réduction du contenu du dossier d’appel a été qualifiée d'obligatoire (Canada Bureau du surintendant des faillites c. MacLeod, 2010 CAF 97).

[14]  La tension entre les objectifs fixés par les articles 317 et 343 est atténuée par la référence aux moyens de contrôle ou d’appel exposés dans l’avis de demande ou dans l’avis d’appel (Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 128). La Cour, lorsqu’elle est chargée de déterminer les documents qui devront être produits dans le dossier d’appel et par le tribunal, doit tenir compte des moyens soulevés et de la question de savoir si les documents visés sont pertinents. En cas de doute ou d’incertitude quant à la nécessité des documents, la balance penche toujours en faveur de l’inclusion de ceux-ci.

[15]  Le CN a soulevé trois moyens d’appel.

[16]  Le premier est que l’OTC a manqué à son obligation d’équité procédurale envers le CN. Or, il n’a pas soutenu, dans le seul cadre des présentes requêtes, que ces documents étaient pertinents.

[17]  Le troisième moyen d’appel soulève une question de pur droit, soit la question de savoir si l’OTC a commis une erreur en concluant qu’un chemin de fer peut avoir manqué à son obligation légale de service, malgré l’absence d’éléments de preuve attestant de demandes insatisfaites. Encore une fois, il s’agit à première vue d’une question de droit, dont la réponse ne repose pas sur la production de données opérationnelles.

[18]  Quant au deuxième moyen d’appel, le CN soutient que l’OTC a commis une erreur en rendant des conclusions de fait en l’absence d’éléments de preuve. C’est sur ce terrain que s’affrontent les parties quant à la pertinence de ces documents. L’ACGF soutient qu’elle ne peut pas consentir au contenu du document d’appel, ou présenter le moindre argument valable sur la pertinence des documents quant aux motifs d’appel, car elle n’a jamais vu lesdits documents. Elle rappelle qu’ils ont été frappés d’une ordonnance de confidentialité rendue à la suite d’une demande ex parte. Elle craint fondamentalement que l’exclusion des documents aille tout simplement dans le sens de la thèse du CN portant qu'ils ne contiennent [traduction] « aucun élément de preuve ».

[19]  En principe, lorsqu'est avancée la thèse voulant qu’aucun élément de preuve n'aille dans le sens d'une décision, elle implique, par définition, que tout le dossier est en jeu. Or, en l’espèce, le CN a circonscrit son attaque à deux paragraphes de la décision de l’OTC (soit les paragraphes 115 et 120), soit plus particulièrement les suivants :

« [o]n peut s’attendre à ce qu’un expéditeur qui reçoit un préavis d’un éventuel refus d’une compagnie de chemin de fer de transporter ses marchandises prenne des mesures pour atténuer les répercussions connexes [...] » et « [...] cette annonce anticipée de son intention de refuser le service aura probablement eu des conséquences négatives pour les expéditeurs concernés, dans la mesure où ceux-ci ont été contraints de modifier leurs plans d’affaires optimaux après avoir été informés de ce qui s’en venait ».

[20]  S’il s’agissait là de la seule observation faite par le CN relativement à la portée des questions soulevées dans le présent appel, je serais alors enclin à conclure que les données opérationnelles ne sont pas pertinentes. Cependant, comme le note l’ACGF, le CN [traduction] « s’appuie grandement » dans son mémoire en vue d’obtenir l’autorisation d’interjeter appel de la décision sur des éléments de preuve qui proviennent des données opérationnelles. Au paragraphe 72 de son mémoire, le CN observe :

[traduction]

[...] l’OTC a finalement conclu que le CN avait manqué à ses obligations en matière de niveau de service en annonçant et en imposant un embargo sur l’expédition de pâte de bois. Toutefois, durant le déroulement de l’instance, le CN a soutenu que l’imposition de l’embargo n’avait résulté en aucun manquement dans le transport de la pâte de bois, et qu’en conséquence, le CN ne pouvait pas être en défaut. Le dossier va amplement dans le sens de cet argument. Le CN a présenté des éléments de preuve précis démontrant que les expéditeurs de pâte de bois ont omis d’utiliser 30 % des permis délivrés par le CN pour l’expédition de leurs produits durant la durée de l’embargo. En d’autres termes, le CN a assuré le transport de toute la pâte de bois à transporter.

[21]  Comme le fait remarquer l’AGCF, le paragraphe 73 du mémoire de demande d’autorisation du CN commence par l'observation selon laquelle [traduction] « rien ne contredisait la preuve du CN sur ce point ». De plus, le CN a observé au paragraphe 58 de ses écritures à l’appui de sa demande d’autorisation d’interjeter appel :

[traduction]

[...] l’Office a conclu, aux paragraphes 101 et 102, de sa décision qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour étayer l’allégation selon laquelle le CN avait manqué à son obligation de service relativement aux « wagons chargés demandés et expédiés ».

[22]  Je reconnais qu’il existe une différence entre cet argument et le moyen d’appel plus restreint avancé par le CN dans la requête dont est actuellement saisie notre Cour et qui est reproduite plus haut. Toutefois, la ligne de démarcation est mince et on pourrait facilement la franchir.

[23]  Il est important que la capacité des parties à défendre leurs positions en appel ne soit pas restreinte ou mise en péril par un dossier inadéquat. Il est également important de s’assurer que la Cour dispose de tous les éléments de preuve nécessaires, ou constate l’absence de ceux-ci, pour rendre une décision dans l’espèce. Il ne serait pas juste ni pour les parties ni pour la Cour que l’appel procède à l’audience et soit ajourné pour cause de dossier inadéquat. Considérant ces facteurs, la balance penche en faveur de la production du dossier.

[24]  Je passe maintenant au troisième moyen, soit l’opposition soulevée à l’encontre de la communication des documents aux termes du paragraphe 318(2) au motif qu'ils ont été produits sous réserve d’une ordonnance de confidentialité prononcée par l’OTC.

[25]  Cet argument ne peut être retenu. Ces ordonnances sont régulièrement rendues pour préserver la confidentialité des renseignements à la Cour d'appel. Les ordonnances de confidentialité rendues par les tribunaux et la Cour fédérale sont souvent maintenues ou reprises en appel (articles 151 et 152 des Règles). En somme, si les documents sont tous pertinents quant aux motifs d’appel, qu’ils eurent été produits sous réserve d’une ordonnance de confidentialité n’a aucune importance. Il est possible de demander les ordonnances de confidentialité nécessaires à notre Cour.

[26]  En conséquence, je rendrais l’ordonnance suivante :

  • 1) La requête de l’Association des produits forestiers canadiens et de l’Association canadienne de gestion du fret en production des données opérationnelles détenues par l’Office des transports du Canada aux termes de l’article 317 est accueillie en partie : les données opérationnelles relatives à l’embargo imposé sur le transport de la pâte de bois durant la période visée par l’enquête seront produites;

  • 2) La requête de l’Association canadienne de la gestion du fret en désignation de leur appel comme instance à gestion spéciale est rejetée, sans dépens;

  • 3) La requête de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada en vue de fixer le contenu du dossier d’appel est réglée comme suit :

  • a) Le dossier d’appel comprendra les éléments suivants :

    • (i) les documents figurant à l’annexe A des observations écrites de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada produites en réponse à la requête en détermination du contenu du dossier d’appel;

    • (ii) les données opérationnelles relatives à l’embargo imposé sur le transport de la pâte de bois durant la période visée par l’enquête;

    • (iii) tout autre document sur lequel les parties pourront s’entendre ou qui est demandé par la Cour;

  • 4) Si les parties devaient conclure que les données opérationnelles doivent être incluses dans le recueil d’appel, celles-ci devront être produites en format électronique;

  • 5) L’opposition soulevée aux termes de l’article 318 est rejetée, sous réserve du droit de toutes parties de présenter une nouvelle requête en ordonnance de confidentialité. Les parties sont invitées à déterminer si elles peuvent s’entendre sur une telle ordonnance relativement aux renseignements confidentiels figurant dans les données opérationnelles;

  • 6) La présente ordonnance est rendue sous la réserve suivante : la formation qui entendra l’appel pourra rendre toute décision qu’elle estime appropriée relativement à la pertinence des données opérationnelles;

  • 7) L’intitulé de la cause sera modifié afin que soient retirés les noms des parties qui ont déposé des avis d’intention de ne pas participer à la présente instance;

  • 8) Aucuns dépens ne seront adjugés vu que les parties ont chacune obtenu partiellement gain de cause.

« Donald J. Rennie »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-244-19

 

INTITULÉ :

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA c. OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA ET AL.

 

REQUÊTE ÉCRITE DÉCIDÉE SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 22 octobre 2019

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Douglas C. Hodson

 

Pour l’appelante

 

Forrest C. Hume

Monique Evans

 

Pour l’intimée

l’Association canadienne de gestion du fret

 

Lucia M. Stuhldreier

POUR L’INTIMÉE

l’Association des produits forestiers du Canada

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MLT Aikins LLP

Saskatoon (Saskatchewan)

 

Pour l’appelante

Office des transports du Canada

Gatineau (Québec)

 

Pour l’intimée

Office des transports du Canada

 

Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée

Calgary (Alberta)

Pour l’intimée

Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée

 

McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour l’intimée

l’Association des produits forestiers du Canada

 

DLA Piper (Canada) LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour l’intimée

l’Association canadienne de gestion du fret

 

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