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Date : 20191205


Dossiers : A-135-18

A-132-18

A-133-18

A-134-18

Référence : 2019 CAF 299

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LA JUGE RIVOALEN

LE JUGE LOCKE

 

 

ENTRE :

 

 

GEORGE MARKOU

 

 

SIMONETTA OLIVANTI

 

 

WILLIAM H. HENDERSON

 

 

GERRY PETRIELLO

 

 

appelants

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

intimée

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 17 octobre 2019.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 5 décembre 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE EN CHEF NOËL

Y ONT SOUSCRIT :

RIVOALEN j.c.a.

LOCKE j.c.a.


Date : 20191205


Dossiers : A-135-18

A-132-18

A-133-18

A-134-18

Référence : 2019 CAF 299

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LA JUGE RIVOALEN

LE JUGE LOCKE

 

 

ENTRE :

 

 

GEORGE MARKOU

 

 

SIMONETTA OLIVANTI

 

 

WILLIAM H. HENDERSON

 

 

GERRY PETRIELLO

 

 

appelants

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EN CHEF NOËL

[1]  La Cour est saisie des appels réunis de George Markou, William H. Henderson, Simonetta Olivanti et Gerry Petriello (collectivement, les appelants) du jugement de la Cour canadienne de l’impôt (2018 CCI 66) dans lequel le juge Paris (le juge de la Cour de l’impôt) a rejeté les appels formés contre les nouvelles cotisations de M. Henderson et de Mme Olivanti pour l’année d’imposition 2001 ainsi que les nouvelles cotisations de M. Markou et M. Petriello pour l’année d’imposition 2002. En tout, 193 autres donateurs dont les appels interjetés devant la Cour canadienne de l’impôt (CCI) sont en instance ont accepté d’être liés par le résultat des quatre appels principaux.

[2]  Le juge de la Cour de l’impôt a conclu que le ministre du Revenu national (le ministre) avait à bon droit refusé les crédits d’impôt demandés par les appelants en application de l’article 118.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi). Le ministre a refusé les crédits d’impôt au motif que les sommes transférées à l’organisme de bienfaisance ne constituaient pas des dons au sens de l’article 118.1 de la Loi.

[3]  Selon les appelants, le juge de la Cour de l’impôt aurait commis une erreur en concluant à l’absence de « l’intention libérale » requise, suivant la décision Maréchaux c. La Reine, 2009 CCI 587 [Maréchaux CCI], qui concernait le même programme de don. Puisque notre Cour a confirmé la décision Maréchaux CCI dans l’appel interjeté (Maréchaux c. Canada, 2010 CAF 287, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [2011] 2 R.C.S. viii [Maréchaux CAF]), les appelants demandent à la Cour de désavouer cette décision antérieure et d’accueillir les appels.

[4]  La Couronne affirme que le juge de la Cour de l’impôt a eu raison de conclure qu’il devait appliquer la décision Maréchaux CCI confirmée par l’arrêt Maréchaux CAF; elle soutient que rien ne justifie que notre Cour désavoue son arrêt antérieur puisqu’aucun précédent ni aucune disposition législative pertinente n’ont été négligés.

[5]  Pour les motifs suivants, je rejetterais les appels.

[6]  Conformément à l’ordonnance de réunion des instances du 12 juin 2018, les présents motifs seront déposés dans le dossier A-135-18 et une copie en sera versée dans les dossiers A-132-18, A-133-18 et A-134-18.

[7]  Les dispositions de la Loi qui interviennent dans l’analyse figurent à l’annexe des présents motifs.

CONTEXTE FACTUEL

[8]  Les appelants ont participé à un stratagème de don « avec effet de levier » dont les détails sont décrits aux paragraphes 9 à 24 des motifs du juge de la Cour de l’impôt (les motifs). Pour les besoins de la présente instance, le résumé qui suit suffit.

[9]  Trinity Capital Corporation (Trinity) faisait la promotion du stratagème, appelé « Donation Program for Medical Science and Technology » (Programme de dons pour la science et la technologie médicales) qu’elle exploitait (le programme). Les participants promettaient de verser une contribution à la John McKellar Charitable Foundation (la fondation), un organisme de bienfaisance enregistré canadien. Une partie de la somme promise était versée en espèces – 30 % en 2001 et 32 % en 2002 (la contribution en espèces) – et le reste était financé par des prêts sans intérêts offerts dans le cadre du programme par une ou plusieurs filiales de Trinity. La somme des contributions en espèces et des prêts excédait la somme promise de 10 % en 2001 et de 17 % en 2002. Cet excédent était versé aux prêteurs en tant que « dépôt de garantie », « frais du prêt » et prime d’une « police d’assurance d’accroissement du dépôt ». Les contributions en espèces étaient subordonnées à l’approbation du prêt, à défaut de quoi elles étaient remises aux participants. Le montant de la promesse était indiqué sur le reçu pour don de bienfaisance.

[10]  Grâce à une série d’opérations prévues au préalable, les prêteurs ont obtenu les fonds nécessaires pour accorder les prêts aux participants au moyen de prêts au jour le jour. Les fonds passaient, suivant un flux circulaire, des prêteurs à la fondation, puis à plusieurs entités avant d’être retournés aux prêteurs qui remboursaient leurs prêts le jour même. Aux termes des conventions de prêt, les participants pouvaient céder la police d’assurance et le dépôt de garantie aux prêteurs peu de temps après l’octroi du prêt, en remboursement intégral de ce dernier. C’est ce qu’ont fait les quatre appelants en l’espèce (motifs, par. 29, 35, 41 et 47).

[11]  Les prétendus dons s’élevaient à environ 18 millions de dollars en 2001 et à 106 millions de dollars en 2002, dont seulement 1 % et 1,5 % respectivement sont restés à la disposition de la fondation et auraient été utilisés à des fins de bienfaisance (autre exposé conjoint des faits, pièce A-3, dossier d’appel, vol. 4, p. 632, alinéa 222a) et p. 633, alinéa 223b)). Le reste a été transféré au Mackenzie Institute for the Study of Terrorism (« Mackenzie »), un organisme de bienfaisance et à l’Université Cornell (« Cornell »), une université visée à l’annexe VIII (article 3503) du Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945. Trinity a conclu une entente avec Mackenzie et Cornell selon laquelle ils utiliseraient les fonds pour acheter des droits de propriété intellectuelle en médecine et du matériel médical auprès d’une société des îles Vierges britanniques, Charterbridge Holdings International Ltd. (Charterbridge), à des prix qui « dépassaient considérablement leur juste valeur marchande » (motifs, par. 22). Charterbridge a ensuite transféré la majeure partie du produit ainsi obtenu aux filiales de Trinity agissant à titre de prêteurs pour le programme, qui ont ensuite remboursé leurs prêts au jour le jour.

[12]  Le programme était présenté comme une occasion, pour les participants, d’obtenir une économie d’impôt nettement supérieure à leur contribution en espèces associée au don, selon leur province de résidence. Par exemple, un participant résidant en Ontario ayant promis de verser un don de 100 000 $, pouvait s’attendre à un avantage de trésorerie (désigné comme « Cash flow advantage » dans les documents d’origine) de 16 410 $, à savoir la différence entre l’avantage fiscal prévu de 46 410 $ et une contribution en espèces de 30 000 $. Dans le matériel publicitaire, cette somme nette était présentée comme un [traduction] « avantage de trésorerie » (recueil conjoint de documents, pièce A-2, dossier d’appel, vol. 2, p. 405) :

[traduction]

Crédit d’impôt et avantage de trésorerie

découlant de dons de bienfaisance – Ontario

Montant du don

100 000 $

250 000 $

500 000 $

Contribution personnelle

30 000 $

75 000 $

150 000

Crédit d’impôt

46 410 $

116 025 $

232 050

Avantage de trésorerie

16 410 $

41 025 $

82 050

[en blanc]

54,70 %

54,70 %

54,70 %

OPÉRATIONS EFFECTUÉES PAR LES APPELANTS

[13]  William H. Henderson, un résident de l’Ontario, a participé au programme en 2001 en faisant un prétendu don de 100 000 $ pour lequel il a demandé des crédits d’impôt provincial et fédéral totalisant 40 160 $. Sa contribution en espèces s’élevait à 30 000 $ (exposé conjoint partiel des faits, pièce A-1, dossier d’appel, vol. 2, p. 280 et 281, par. 55 à 65).

[14]  Simonetta Olivanti, une résidente du Québec, a participé au programme en 2001 en faisant un prétendu don de 50 000 $. Pour sa partie du prétendu don (c’est-à-dire 41 397,34 $, le reste ayant été transféré à son conjoint), Mme Olivanti a demandé des crédits d’impôt provincial et fédéral totalisant 24 157,23 $. La contribution en espèces s’élevait à 15 000 $ (exposé conjoint partiel des faits, pièce A-1, dossier d’appel, vol. 2, p. 282, par. 70 à 85, et autre exposé conjoint des faits, pièce A-3, dossier d’appel, vol. 4, p. 610, par. 131).

[15]  George Markou, un résident de l’Ontario, a participé au programme en 2002 en faisant un prétendu don de 11 000 000 $ pour lequel il a demandé des crédits d’impôt provincial et fédéral totalisant 4 420 500 $. Sa contribution en espèces s’élevait à 3 520 000 $ (exposé conjoint partiel des faits, pièce A-1, dossier d’appel, vol. 2, p. 287 et 288, par. 85 à 96).

[16]  Gerry Petriello, un résident du Québec, a participé au programme en 2002 en versant à la fondation un prétendu don de 50 000 $ pour lequel il a demandé un crédit d’impôt fédéral de 14 499 $ et le crédit d’impôt provincial maximal, dont le montant exact ne figure pas au dossier. Sa contribution en espèces s’élevait à 16 000 $ (exposé conjoint partiel des faits, pièce A-1, dossier d’appel, vol. 2, p. 288 et 289, par. 101 à 116, et autre exposé conjoint des faits, pièce A-3, dossier d’appel, vol. 4, p. 611, par. 136).

[17]  Le juge de la Cour de l’impôt a signalé que dans leur témoignage, deux des appelants ont déclaré qu’à leur connaissance, la totalité de leurs dons (soit les dons en espèces et les prêts) allait être utilisée aux fins de recherche médicale, et que la fondation était un véritable organisme de bienfaisance. Ils ont également confirmé leur ignorance du flux circulaire des fonds ayant servi aux prêts (motifs, par. 49).

DÉCISION DE LA COUR DE L’IMPÔT

[18]  Tout d’abord, le juge de la Cour de l’impôt a rejeté la prétention des appelants selon laquelle les prêts sans intérêts obtenus pour financer la majorité de leurs prétendus dons ne constituaient pas un avantage (motifs, par. 68 à 78). Il a notamment étayé son raisonnement à l’aide des motifs prononcés par notre Cour dans l’arrêt Maréchaux CAF, au paragraphe 9, où elle affirme qu’il est « évident qu’une personne qui dispose d’argent emprunté, remboursable en vingt ans, sans avoir à payer d’intérêt, a reçu un avantage important » et, au paragraphe 11, que « “l’option de vente” constituait un avantage important accordé au donateur par le prêteur en contrepartie du paiement » (motifs, par. 77).

[19]  Ayant conclu que chacun des appelants avait reçu un avantage en échange de son don, le juge de la Cour de l’impôt s’est attaché à déterminer si la contribution en espèces pouvait être qualifiée de don fractionné en application de la common law ou du droit civil (motifs, par. 79). Examinant d’abord la common law, il a analysé la jurisprudence ayant établi que l’obtention d’un avantage matériel viciait un don (Peter c. Beblow, [1993] 1 R.C.S. 980, 1993 CanLII 126, et McNamee v. McNamee, 2011 ONCA 533, 106 O.R. (3d) 401) ainsi que la jurisprudence invoquée par les appelants (Watson v. Bradshaw, (1881) 6 O.A.R. 666 (C.A. Ont.); City of Dartmouth v. Hoque, (1981) 46 N.S.R. (2d) 162, 126 D.L.R. (3d) 127 (C.S. N.-É., Div. d’appel); McNamee (précité); V.J.F. v. S.K.W., 2016 BCCA 186, 85 B.C.L.R. (5th) 68; Neville v. National Foundation for Christian Leadership, 2013 BCSC 183, [2013] B.C.J. No. 211 (QL) (conf. par 2014 BCCA 38, 350 B.C.A.C. 7); Coleman c. La Reine, 2010 CCI 109 et Ballard c. La Reine, 2011 CAF 82). À l’issue de son examen, il a conclu que « la question de savoir si la réception d’une quelconque contrepartie par un donateur vicie un don en common law » n’avait pas été tranchée de façon définitive (motifs, par. 95).

[20]  Le juge de la Cour de l’impôt a ensuite examiné la jurisprudence en matière fiscale. Après avoir remarqué que notre Cour, dans l’arrêt French c. La Reine, 2016 CAF 64 [French], semblait accepter que la question de savoir s’il était possible de faire des dons fractionnés n’avait pas été tranchée (motifs, par. 96), il a noté, d’autre part, que l’arrêt Friedberg c. La Reine, [1991] A.C.F. no 1255 (C.A.F.) (QL) [Friedberg], tel qu’il est appliqué dans la décision Webb c. La Reine, 2004 CCI 619, porte que la moindre contrepartie reçue pour un don vicie ce dernier (motifs, par. 97 et 98).

[21]  Cependant, le juge de la Cour de l’impôt a ajouté que point n’était besoin, en l’espèce, de décider si la Loi, à l’époque des faits, permettait le don fractionné, puisque même si c’était le cas, les prétendus dons ne pouvaient pas être fractionnés (motifs, par. 99). Plus précisément, il a conclu que, pour qu’il y ait un don fractionné, « la partie de l’opération qui est un don doit être distincte de la partie qui n’est pas un don, et le don doit être étayé par une intention libérale » (motifs, par. 100). Renvoyant à la décision Maréchaux CCI, il a fait sienne la conclusion de la juge Woods suivant laquelle la contribution en espèces faisait partie intégrante du don et aucune partie du transfert n’avait été faite avec une intention libérale.

[22]  Le juge de la Cour de l’impôt a ensuite examiné la question des dons fractionnés en droit civil. Il a d’abord souligné que, même si le droit civil reconnaît diverses catégories de dons fractionnés (p. ex., les donations rémunératoires), la partie d’un transfert qui est un don doit être assortie d’une intention libérale (motifs, par. 101). En ce qui a trait à l’exigence de l’intention libérale, le droit civil et la common law ne diffèrent pas (motifs, par. 102).

[23]  Le juge de la Cour de l’impôt a ensuite examiné les articles pertinents du Code civil du Québec (le CcQ) Il a premièrement mentionné qu’une donation est un transfert de propriété à titre gratuit (article 1806). Un acte est dit à titre gratuit lorsqu’une partie s’oblige envers l’autre « sans retirer d’avantage en retour » (article 1381). Il s’ensuit que la notion comprend deux éléments, c’est-à-dire l’intention d’accorder quelque chose à une autre personne et l’absence d’avantage en retour (motifs, par. 105). Sur ce dernier point, le juge de la Cour de l’impôt a renvoyé à l’arrêt de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Martin c. Dupont, 2016 QCCA 475, J.E. 2016-566 [Martin], où l’on peut lire, au paragraphe 30, que la donation « implique donc l’intention de s’appauvrir sans rien obtenir en retour, si ce n’est de s’attendre à la gratitude du donataire » (motifs, par. 106).

[24]  Le juge de la Cour de l’impôt a ensuite examiné la donation rémunératoire ou la donation avec charge dont il est question à l’article 1810 CcQ, qui dispose que ces donations ne sont reconnues « que pour ce qui excède la valeur de la rémunération ou de la charge ». Il a conclu que le droit civil exigeait une intention libérale, et ce même pour une donation partielle (motifs, par. 108).

[25]  Étant donné que les appelants n’avaient pas l’intention libérale requise lors du versement de la contribution en espèces, le juge de la Cour de l’impôt a conclu qu’aucun don ne pouvait être reconnu, que le terme « don » qui figure à l’article 118.1 de la Loi soit interprété selon les principes de la common law ou du droit civil. Comme il a été décidé dans la décision Maréchaux CCI et confirmé dans l’arrêt Maréchaux CAF, chaque prétendu don « ne comprenait qu’une seule transaction interdépendante et aucune partie de cette transaction ne peut être considérée comme un don effectué sans s’attendre à une contrepartie quelconque en retour » (motifs, par. 109).

[26]  Enfin, le juge de la Cour de l’impôt a rejeté la prétention selon laquelle le ministre, en affirmant que les appelants n’avaient pas l’intention libérale requise, a commis un abus de procédure, car cette cour avait accordé des jugements par consentement reconnaissant à titre de dons les contributions en espèces d’autres participants au même programme. Le juge a d’abord constaté que ces jugements par consentement visaient les dons faits après l’entrée en vigueur des dispositions de la Loi relatives aux dons fractionnés, le 21 décembre 2002. En outre, renvoyant à la disposition prévoyant le seuil de 80 % (paragraphe 248(30)), il a conclu que l’absence d’intention libérale ne fait plus obstacle au crédit d’impôt, tant que ce seuil n’est pas dépassé. On ne peut donc pas affirmer que le ministre, en accordant les jugements par consentement, a reconnu que les participants avaient l’intention libérale requise (motifs, par. 112 et 113).

[27]  Le juge de la Cour de l’impôt a rejeté les appels, concluant qu’aucune partie de la somme totale n’avait été transférée dans une intention libérale.

THÈSE DES APPELANTS

[28]  Les appelants avancent divers arguments quant aux conditions de validité d’un don, en common law et en droit civil. Ils soulignent également plusieurs erreurs qui, à leur avis, justifient l’intervention de la Cour.

[29]  Selon les appelants, bien que, sur le plan conceptuel, le « don » en common law et la « donation » en droit civil diffèrent, dans les faits, les deux systèmes juridiques reconnaissent les mêmes opérations comme telles. Les éléments essentiels d’un don sont l’intention libérale (animus donandi), la remise suffisante et l’acceptation par le donataire. Les appelants invoquent diverses décisions à l’appui de leur thèse selon laquelle la common law accepte depuis longtemps qu’il puisse y avoir un don valide même lorsque le donateur reçoit une certaine forme d’avantage ou de contrepartie de la part du donataire. Selon eux, la théorie voulant que l’existence d’une contrepartie vicie un don en common law est une [traduction] « innovation récente des fonctionnaires du fisc » (mémoire des faits et du droit des appelants, par. 30).

[30]  Les appelants prétendent que la Cour de l’impôt et notre Cour reconnaissent depuis longtemps la validité des dons fractionnés. Ils étayent leur prétention à l’aide de deux décisions, à savoir La Reine c. Zandstra, [1974] 2 C. F. 254, et Canada (ministre du Revenu national) c. McBurney (C.A.F.), [1985] A.C.F. no 821 (QL), autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [1986] 1 R.C.S. vi, approuvant la première.

[31]  Les appelants affirment également que notre Cour a examiné les dons dans le contexte d’opérations commerciales complexes, y compris des opérations conçues pour emporter des avantages fiscaux. Entre autres, selon eux, les arrêts Canada c. Langlois, 2000 CanLII 16504 (CAF), [2000] A.C.F. no 1806 (QL) (CAF), Klotz c. Canada, 2005 CAF 158, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [2006] 1 R.C.S. x, et Canada (Procureur général) c. Nash, 2005 CAF 386, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [2006] 1 R.C.S. xii, établissent que, même si les dons dans ces affaires s’inscrivaient dans une série d’opérations prédéterminées, on n’a jamais [traduction] « sérieusement mis en doute le fait qu’il s’agissait de dons, et rien d’autre » (mémoire des faits et du droit des appelants, par. 45).

[32]  En ce qui concerne la décision Maréchaux CCI, les appelants soulignent que les parties n’ont pas fait valoir la possibilité pour le donateur de demander un crédit d’impôt pour le don fractionné que constitue la contribution en espèces. La Cour se trouvait donc face à [traduction] « un choix dichotomique » : accorder le crédit d’impôt pour l’intégralité du don ou ne pas l’accorder du tout (mémoire des faits et du droit des appelants, par. 49). Pourtant, a déclaré la Cour, « [d]ans certaines conditions, il peut être approprié de partager une opération en deux parties, […] [mais] [e]u égard aux faits particuliers de la présente affaire […] [i]l n’y a qu’un seul arrangement interdépendant » (mémoire des faits et du droit des appelants, par. 50, citant la décision Maréchaux CCI, par. 48 et 49). D’après les appelants, la décision Maréchaux CCI (confirmée par l’arrêt Maréchaux CAF) s’écarte sensiblement de la jurisprudence et ne devrait pas être suivie.

[33]  Ensuite, les appelants mentionnent brièvement deux décisions illustrant, selon eux, la façon dont les tribunaux tiennent compte de l’existence d’une contrepartie pour décider arbitrairement si une opération a donné lieu à un don valide. Ils renvoient à l’arrêt Kossow c. Canada, 2013 CAF 283, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [2014] 2 R.C.S. vii, dans lequel notre Cour a rejeté l’appel du contribuable principalement pour le motif que, comme les faits étaient à peu près semblables à ceux de l’affaire Maréchaux CAF, il fallait donc trancher à l’avenant (mémoire des faits et du droit des appelants, par. 59). Ils invoquent également l’arrêt Canada c. Berg, 2014 CAF 25 [Berg] dans lequel notre Cour a infirmé la décision de première instance, estimant que « la valeur faussement gonflée dont faisaient état les reçus de don de bienfaisance » et les « simulacres de reçus » constituaient une contrepartie viciant le don (mémoire des faits et du droit des appelants, par. 61, citant l’arrêt Berg, par. 28 et 29).

[34]  S’appuyant sur les Notes explicatives publiées par le ministère des Finances, les appelants affirment que les modifications législatives concernant les dons fractionnés avaient pour but de clarifier le droit et d’assurer la cohérence entre la common law et le droit civil. Selon eux, rien n’indique qu’une forme de contrepartie, quelle qu’elle soit, vicie forcément un don. Ils affirment également qu’à la suite de ces modifications, notre Cour, dans l’arrêt French, a mis en doute la notion voulant que toute contrepartie vicie un don en concluant, dans le contexte d’une requête en radiation, qu’il n’était pas évident que dans les provinces de common law les dons fractionnés n’étaient pas visés par la définition de don avant les modifications (mémoire des faits et du droit des appelants, par. 64, 65 et 68, invoquant l’arrêt French, par. 42).

[35]  Enfin, les appelants relèvent ce qui constitue, à leurs yeux, des erreurs commises par le juge de la Cour de l’impôt. Ils affirment tout d’abord que sa conclusion quant à l’absence d’intention libérale est incompatible avec les faits non contestés et qu’il s’agit d’une erreur de droit isolable. Bien que le juge de la Cour de l’impôt soit arrivé à cette conclusion sur le fondement de la décision Maréchaux CCI, la juge Woods, dans cette décision, n’a pas parlé d’« intention » et ne s’est pas demandé si une partie ou la totalité du don était étayé par une intention libérale. Les appelants affirment que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur de droit isolable en donnant aux décisions Maréchaux [traduction] « une portée qu’elles n’avaient pas » (mémoire des faits et du droit des appelants, par. 81).

[36]  Les appelants soutiennent également que le juge de la Cour de l’impôt n’aurait pas dû faire sien l’obiter dictum formulé dans la décision Maréchaux CCI selon lequel l’arrangement était interdépendant. À leur avis, cette conclusion reposait sur une interprétation erronée de la jurisprudence, qui a reconnu à de nombreuses reprises les dons de bienfaisance faits dans le contexte d’un arrangement interdépendant.

[37]  Enfin, les appelants prétendent qu’il découle forcément des jugements par consentement que les contributions en espèces étaient empreintes d’une intention libérale puisqu’on y reconnaît que les donateurs, qui avaient fait les dons après le 20 décembre 2002, pouvaient demander des crédits d’impôt pour cette partie du don. Les appelants affirment que [traduction] « le fait que la CCI ait tiré une conclusion différente en l’espèce est paradoxal, voire emporte forcément que tous les jugements par consentement rendus par la CCI [...] étaient illégaux » (mémoire des faits et du droit des appelants, par. 90).

[38]  Enfin, les appelants demandent à la Cour de rompre avec Maréchaux CAF (mémoire des faits et du droit des appelants, par. 93) et de renvoyer l’affaire au ministre aux fins de réexamen et d’établissement d’une nouvelle cotisation au motif qu’ils ont droit à un crédit d’impôt calculé en fonction du montant du don promis ou, subsidiairement, de leur contribution en espèces.

THÈSE DE LA COURONNE

[39]  La Couronne indique d’abord que, bien que les appelants prétendent avoir droit à des crédits d’impôt calculés en fonction de la somme promise, les arguments qu’ils avancent visent uniquement la reconnaissance de leur contribution en espèces. Plus particulièrement, les appelants ne contestent pas la conclusion du juge de la Cour de l’impôt selon laquelle les prêts sans intérêt représentaient un important avantage pour eux et ne pouvaient donc pas valablement faire partie du don. Il s’ensuit que la seule question en litige dans le présent appel est celle de savoir si les contributions en espèces étaient des dons valables au regard de la Loi (mémoire des faits et du droit de la Couronne, par. 38 à 40).

[40]  Selon la Couronne, rien ne permet de conclure que le juge de la Cour de l’impôt a refusé à tort de reconnaître les contributions en espèces à titre de dons. En l’espèce, point n’est besoin de décider si des dons fractionnés peuvent valablement être faits en common law puisque les prétendus dons ne constituent qu’un seul arrangement interdépendant (mémoire des faits et du droit de la Couronne, par. 42). Pour conclure que les contributions en espèces sont des dons en common law, la Cour devrait rompre avec l’arrêt Maréchaux CAF, ce qui n’est pas justifié selon la Couronne. Faisant valoir l’arrêt Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370, la Couronne soutient que notre Cour, dans l’arrêt Maréchaux CAF, n’a fait fi ni de la jurisprudence applicable ni d’aucune disposition législative pertinente (mémoire des faits et du droit de la Couronne, par. 56).

[41]  Pour trancher l’affaire Maréchaux CAF, la Cour a examiné à bon droit l’arrêt de principe sur le sens du mot don selon la common law : Friedberg (mémoire des faits et du droit de la Couronne, par. 57). La jurisprudence sur laquelle s’appuient les appelants est constituée soit de causes de droit civil qui intéressent, non pas la définition du « don » en common law, mais l’impôt fédéral sur les dons, une politique administrative du ministère du Revenu national voulant que les dons à des écoles religieuses soient considérés en partie comme l’acquittement de frais de scolarité et en partie comme des dons ou une décision ministérielle ponctuelle autorisant les dons fractionnés faits dans le cadre de certaines opérations. Comme aucune des affaires invoquées par les appelants ne lie la Cour ni n’impose qu’un arrangement censé inclure un don doit donner lieu à un fractionnement, il s’ensuit que la Cour n’a pas fait fi des précédents applicables quand elle a tranché l’affaire Maréchaux CAF (mémoire des faits et du droit de la Couronne, par. 61 à 65).

[42]  Quant aux dispositions relatives aux dons fractionnés, la Couronne affirme que le juge ne les a pas négligées puisque les prétendus dons dans l’affaire Maréchaux CAF – comme ceux en cause en l’espèce – ont été faits avant la date d’entrée en vigueur de ces dispositions, soit le 21 décembre 2002 (mémoire des faits et du droit de la Couronne, par. 66).

[43]  En outre, selon la Couronne, le juge de la Cour de l’impôt n’a commis aucune erreur manifeste et dominante ni aucune erreur de droit isolable lorsqu’il a conclu que les appelants n’avaient pas démontré l’intention libérale requise, puisqu’ils n’ont accepté de faire les prétendus dons qu’à condition d’obtenir les prêts. Selon la Couronne, cet avantage a été obtenu en échange du don dans son intégralité. La situation est la même que dans les affaires Maréchaux CCI, Maréchaux CAF et Berg. Dans les deux premières, il n’y a eu qu’un seul arrangement interdépendant dont aucune partie ne peut être considérée comme un don effectué sans rien attendre en retour; dans la dernière, le contribuable n’avait pas eu l’intention de s’appauvrir en faisant un don; il voulait plutôt s’enrichir. En outre, sans égard à l’intention libérale, la Couronne affirme que les appelants n’ont pas fait de dons valides puisqu’en common law, toute contrepartie que le donateur s’attend à recevoir vicie un don (mémoire des faits et du droit de la Couronne, par. 68 à 71).

[44]  Quant à l’application du droit civil, la Couronne soutient que le juge de la Cour de l’impôt a conclu à bon droit qu’un donateur qui reçoit un avantage en échange d’une donation doit néanmoins avoir une intention libérale relativement à la partie de la donation pour laquelle aucun avantage n’est reçu. En l’espèce, il s’agit d’une question mixte de droit et de fait. Le juge de la Cour de l’impôt n’a commis aucune erreur manifeste et dominante ni aucune erreur de droit isolable lorsqu’il a conclu à l’absence d’intention libérale. Selon la Couronne également, le juge de la Cour de l’impôt a reconnu à juste titre que les dons fractionnés sont reconnus en droit civil, comme la donation avec charge ou la donation rémunératoire, mais que ce fait n’écarte pas la nécessité de démontrer une intention libérale pour la partie censée constituer une donation. Comme les contributions en espèces étaient subordonnées à l’approbation des demandes de prêts, le juge de la Cour de l’impôt n’a pas conclu à tort à l’absence d’intention libérale de la part des appelants (mémoire des faits et du droit de la Couronne, par. 76 à 81).

[45]  La Couronne affirme enfin que la Cour ne peut tirer aucune inférence des jugements par consentement invoqués par les appelants puisqu’ils concernent des dons faits après l’entrée en vigueur des dispositions relatives aux dons fractionnés (paragraphes 248(30) à (32) de la Loi). Selon le juge de la Cour de l’impôt, les consentements ne contenaient pas d’aveu de la part de la Couronne concernant l’intention libérale des appelants, et il n’est pas possible de l’inférer. Il s’agit d’une question mixte de droit et de fait. Le juge de la Cour de l’impôt n’a commis aucune erreur manifeste et dominante ni aucune erreur de droit isolable (mémoire des faits et du droit de la Couronne, par. 82).

[46]  La Couronne demande que l’appel soit rejeté avec dépens. À titre subsidiaire, si la Cour concluait que les contributions en espèces étaient des dons valables, la Couronne demande que l’affaire soit renvoyée à la Cour de l’impôt pour qu’elle décide si la règle générale anti-évitement s’applique au programme (mémoire des faits et du droit de la Couronne, par. 89 et 90).

ANALYSE ET DISPOSITIF

[47]  La question dont la Cour est saisie est de savoir si le juge de la Cour de l’impôt a conclu à mauvais droit à l’absence d’intention libérale, à la lumière de la décision Maréchaux CCI, confirmée par la Cour dans l’arrêt Maréchaux CAF. La question fait intervenir le principe du stare decisis et consiste plus précisément à savoir si le juge de la Cour de l’impôt a conclu à bon droit qu’il était lié par l’arrêt Maréchaux CAF. Il n’a pas commis d’erreur puisqu’il était en effet tenu d’appliquer la règle énoncée à l’arrêt Maréchaux CAF et a tiré la seule conclusion possible au regard des faits de l’espèce.

[48]  Je suis d’accord avec la Couronne pour dire que les questions de savoir si la common law reconnaissait comme valables les dons fractionnés avant 2002, année où les dispositions relatives aux dons fractionnés sont entrées en vigueur, ou si les prétendus dons peuvent être considérés comme des dons fractionnés sous le régime du CcQ, ne se posent pas au regard des faits de l’espèce. Comme il est dit au paragraphe précédent, le juge de la Cour de l’impôt était tenu de se conformer à la décision Maréchaux CCI, confirmée par l’arrêt Maréchaux CAF, qui portent que les ententes contractuelles prévoyant les prétendus dons ne permettaient pas le fractionnement du don, car les deux portions étaient inextricablement liées.

[49]  Il s’agit non seulement de la conclusion à laquelle le juge de la Cour d’impôt était tenu d’arriver compte tenu de l’arrêt Maréchaux CAF, mais aussi d’une conclusion qui découle nécessairement de l’article 2.2 des contrats de prêts qui assujettissait l’intégralité de chacun des dons des appelants à l’approbation du prêt par le prêteur (motifs, par. 110). Par conséquent, les participants n’envisageaient qu’un seul don, et c’est à cette aune que leur intention libérale doit être évaluée.

[50]  À cet égard, le juge de la Cour de l’impôt était aussi tenu de conclure qu’« aucune partie de [l’arrangement interdépendant] ne peut être considérée comme un don que l[es] appelant[s] [ont] effectué sans s’attendre à quoi que ce soit en échange » (motifs, par. 100), à l’instar de la conclusion tirée dans la décision Maréchaux CCI (par. 49) et confirmée par l’arrêt Maréchaux CAF (par. 12) (voir aussi French, par. 38).

[51]  Il s’ensuit qu’il n’y a pas eu de don, que la question soit examinée sous l’angle de la common law ou du droit civil. Partant, la Cour se contente de faire siens les motifs du juge de la Cour de l’impôt énoncés aux paragraphes 80 à 111 de la décision.

[52]  Conscients que l’arrêt Maréchaux CAF fait obstacle à leur appel, les appelants demandent que cet arrêt soit écarté. Il est bien établi que la Cour ne peut pas renverser désavouer une décision antérieure, sauf s’il peut être démontré qu’en la rendant, la Cour n’a pas tenu compte de précédents ou fait fi de la législation applicable (voir Miller, aux paragraphes 8 à 10). Une telle démonstration n’a pas été faite.

[53]  Quant aux « précédents » qui, selon les appelants, n’ont pas été respectés, je suis d’accord avec la Couronne pour dire qu’aucun d’eux ne lie la Cour ni n’ébranle Maréchaux CAF de quelque manière que ce soit (mémoire des faits et du droit de la Couronne, par. 60 à 65). De même, aucune disposition législative pertinente n’a été négligée. Bien que les appelants soulignent les dispositions relatives aux dons fractionnés (aux paragraphes 248(30) à (32) de la Loi), ces dernières ne s’appliquaient pas à la question à trancher. Par conséquent, rien ne justifie d’écarter l’arrêt Maréchaux CAF. Il s’ensuit que le juge de la Cour de l’impôt a conclu à bon droit qu’il fallait respecter cet arrêt. C’est suffisant pour trancher l’appel.

[54]  J’estime qu’il est utile, bien que non nécessaire, d’ajouter que l’autre prétention des appelants ‑ selon laquelle [traduction] « il est possible de faire un “don rentable” en raison des conséquences fiscales favorables de certains dons » (mémoire des faits et du droit des appelants, al. 73f), citant Friedberg, p. 3) – n’est pas fondée. Il ne s’agit pas à mon avis d’une interprétation juste de l’arrêt Friedberg. Tel qu’il est expliqué dans les motifs, c’est le fait que M. Friedberg a acheté les biens culturels (des textiles anciens) à un prix dérisoire qui a rendu le don « rentable » (Friedberg, p. 3) :

Lorsque le coût d’acquisition réel des biens est bas et que la juste valeur marchande de ceux-ci est élevée, il est possible que les avantages fiscaux conférés par le don excèdent le coût d’acquisition des biens.

[55]  Contrairement à ce que les appelants prétendent, le don dans l’affaire Friedberg ne constituait pas un « don rentable » si l’on tient compte de la valeur du bien donné. À cet égard, la Cour a expliqué qu’elle était tenue d’admettre que le bien avait la juste valeur marchande extraordinairement élevée indiquée par les experts de M. Friedberg, vu les conclusions du tribunal de première instance à ce sujet et le fait que la Couronne n’avait pas jugé pertinent de contester ces témoignages en faisant appel à ses propres experts (Friedberg, p. 4 et 5).

[56]  Sans ce prix dérisoire (12 000 $ pour un bien dont la juste valeur marchande était estimée à 229 437 $), le don n’aurait pas été « rentable » puisque les avantages fiscaux attribuables aux dons de biens culturels, bien que très favorables, n’auraient pu être supérieurs à la valeur du bien.

[57]  Si l’on tient compte de la valeur du bien donné, M. Friedberg aurait été appauvri de 60 359,25 $ – soit la différence entre la valeur du bien donné (229 437 $) et l’avantage fiscal (169 077,75 $). Plus précisément, M. Friedberg n’aurait pas payé d’impôt sur un gain en capital par ailleurs imposable de 108 718,50 $ (229 437 $ - 12 000 $ = 217 437 $ ÷ 2) et aurait obtenu une déduction – plutôt qu’un crédit d’impôt à l’époque – de 229 437 $ dans le calcul de son revenu, ce qui lui offre un avantage fiscal total de 169 077 $, en supposant un taux d’imposition marginal de 50 % (54 359,25 $ d’exemption pour gain en capital et 114 718,50 $ de déduction).

[58]  L’autre décision invoquée par les appelants à l’appui de leur thèse selon laquelle un don peut être rentable lorsque les avantages fiscaux sont pris en compte (Staltari c. La Reine, 2015 CCI 123 [Staltari]) est également une affaire dans laquelle le donateur a en fait été appauvri en raison du don.

[59]  Dans ce cas, le bien faisant l’objet du don était détenu depuis longtemps, ce qui explique l’augmentation de valeur. Il s’agissait d’un terrain dont la juste valeur marchande incontestée était de 1 935 000 $ au moment du don et dont le prix de base rajusté était de 293 820,98 $. Selon ces chiffres, M. Staltari aurait été en mesure de demander une exemption pour un gain en capital par ailleurs imposable (1 641 179,02 $ ÷ 2 = 820 589,51 $), ce qui emporte un avantage fiscal de 410 294,76 $, en supposant un taux d’imposition marginal de 50 %. Vu le crédit d’impôt provincial et fédéral combiné de 777 057,78 $, M. Staltari aurait été appauvri de 747 647,46 $ (1 935 000 $ – [777 057,78 $ + 410 294,76 $]).

[60]  Comme il ressort clairement de l’arrêt Friedberg, le fait qu’un avantage fiscal est obtenu par suite d’un don ne peut pas en soi invalider le don. Le législateur aurait parlé pour ne rien dire en prévoyant des avantages fiscaux découlant de certains dons s’il en était autrement. Toutefois, la personne qui prévoit recevoir des avantages fiscaux supérieurs au montant ou à la valeur d’un prétendu don n’a forcément pas d’intention libérale. L’appauvrissement étant un élément essentiel du don en droit civil et en common law, le prétendu don constitué par la contribution en espèces ne saurait être reconnu en tant que don à cet égard également (Martin, par. 28 à 31; Canada c. Burns, [1988] A.C.F. no 31, p 6, conf. par Burns v. R, 90 D.T.C. 6335; Berg, par. 29; Canada c. Castro, 2015 CAF 225, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [2016] 1 R.C.S. viii, par. 42 et Canada, ministère des Finances, « Notes explicatives relatives à la Loi de l’impôt sur le revenu, à la Loi sur la taxe d’accise et à des lois et règlements connexes » (octobre 2012)), recueil de jurisprudence conjoint, onglet 11, p. 476 et 477).

[61]  Enfin, les quatre jugements par consentement accordés par le ministre visant d’autres participants du programme pour les années d’imposition qui ont suivi l’entrée en vigueur des paragraphes 248(30) à (32) de la Loi ne sont d’aucune aide aux appelants. Les jugements par consentement n’ont aucune valeur jurisprudentielle, et il est risqué d’en tirer des inférences. Je décline par conséquent l’invitation des appelants en ce sens. Je m’abstiens aussi de commenter l’assertion du juge de la Cour de l’impôt selon laquelle l’intention libérale pourrait ne plus être requise pour l’application des dispositions relatives aux dons fractionnés lorsque le seuil de 80 % prévu à l’alinéa 248(30)a) n’est pas dépassé (motifs, par. 113). Il est préférable que cette question soit tranchée dans un contexte factuel pouvant donner lieu à l’application de ces dispositions.

[62]  Je rejetterais les appels avec un seul jeu de dépens dans l’appel principal.

« Marc Noël »

Juge en chef

« Je suis d’accord.

Marianne Rivoalen j.c.a. »

« Je suis d’accord.

George R. Locke j.c.a. »


ANNEXE

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e supp.)

Income Tax Act, R.S.C. 1985, c. 1 (5th Supp.)

PARTIE I

PART I

Impôt sur le revenu

Income Tax

SECTION E

DIVISION E

Calcul de l’impôt

Computation of Tax

SOUS-SECTION A

SUBDIVISION A

Règles applicables aux particuliers

Rules Applicable to Individuals

Définitions

Definitions

118.1 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

118.1 (1) In this section,

[…]

« total des dons de bienfaisance » Quant à un particulier pour une année d’imposition, le total des montants représentant chacun la juste valeur marchande d’un don (à l’exclusion de celui dont la juste valeur marchande est incluse dans le total des dons à l’État, le total des dons de biens culturels ou le total des dons de biens écosensibles du particulier pour l’année) qu’il a fait au cours de l’année ou d’une des cinq années d’imposition précédentes (mais non au cours d’une année pour laquelle il a demandé une déduction en application du paragraphe 110(2) dans le calcul de son revenu imposable) aux entités suivantes, dans la mesure où ces montants n’ont été ni déduits dans le calcul de son revenu imposable pour une année d’imposition se terminant avant 1988, ni inclus dans le calcul d’un montant déduit en application du présent article dans le calcul de son impôt payable en vertu de la présente partie pour une année d’imposition antérieure :

“total charitable gifts” of an individual for a taxation year means the total of all amounts each of which is the fair market value of a gift (other than a gift the fair market value of which is included in the total Crown gifts, the total cultural gifts or the total ecological gifts of the individual for the year) made by the individual in the year or in any of the 5 immediately preceding taxation years (other than in a year for which a deduction under subsection 110(2) was claimed in computing the individual’s taxable income) to

a) organismes de bienfaisance enregistrés;

(a) a registered charity,

b) associations canadiennes enregistrées de sport amateur;

(b) a registered Canadian amateur athletic association,

c) sociétés d’habitation résidant au Canada et exonérées, en application de l’alinéa 149(1)i), de l’impôt payable en vertu de la présente partie;

(c) a housing corporation resident in Canada and exempt from tax under this Part because of paragraph 149(1)(i),

d) municipalités du Canada;

(d) a Canadian municipality,

e) Organisation des Nations Unies ou institutions qui lui sont reliées;

(e) the United Nations or an agency thereof,

f) universités situées à l’étranger, visées par règlement et qui comptent d’ordinaire, parmi leurs étudiants, des étudiants venant du Canada;

(f) a university outside Canada that is prescribed to be a university the student body of which ordinarily includes students from Canada,

g) œuvres de bienfaisance situées à l’étranger et auxquelles Sa Majesté du chef du Canada a fait un don au cours de l’année d’imposition du particulier ou au cours des douze mois précédant cette année;

(g) a charitable organization outside Canada to which Her Majesty in right of Canada has made a gift during the individual’s taxation year or the 12 months immediately preceding that taxation year, or

g.1) Sa Majesté du chef du Canada ou d’une province.

(g.1) Her Majesty in right of Canada or a province,

[en blanc]

to the extent that those amounts were

[en blanc]

(h) not deducted in computing the individual’s taxable income for a taxation year ending before 1988, and

[en blanc]

(i) not included in determining an amount that was deducted under this section in computing the individual’s tax payable under this Part for a preceding taxation year;

PARTIE XVII

PART XVII

Interprétation

Interpretation

Définitions

Definitions

Intention de faire un don

Intention to give

248 (30) Le fait qu’un transfert de bien donne lieu à un montant d’un avantage ne suffit en soi à rendre le transfert inadmissible à titre de don à un donataire reconnu si, selon le cas:

248 (30) The existence of an amount of an advantage in respect of a transfer of property does not in and by itself disqualify the transfer from being a gift to a qualified donee if

a) le montant de l’avantage n’excède pas 80 % de la juste valeur marchande du bien transféré;

(a) the amount of the advantage does not exceed 80% of the fair market value of the transferred property; or

b) le cédant établit à la satisfaction du ministre que le transfert a été effectué dans l’intention de faire un don

b) the transferor of the property establishes to the satisfaction of the Minister that the transfer was made with the intention to make a gift.

Montant admissible d’un don ou d’une contribution monétaire

Eligible amount of gift or monetary contribution

(31) Le montant admissible d’un don ou d’une contribution monétaire correspond à l’excédent de la juste valeur marchande du bien qui fait l’objet du don ou de la contribution sur le montant de l’avantage, le cas échéant, au titre du don ou de la contribution.

(31) The eligible amount of a gift or monetary contribution is the amount by which the fair market value of the property that is the subject of the gift or monetary contribution exceeds the amount of the advantage, if any, in respect of the gift or monetary contribution.

Montant de l’avantage

Amount of advantage

(32) Le montant de l’avantage au titre d’un don ou d’une contribution monétaire fait par un contribuable correspond au total des sommes suivantes :

(32) The amount of the advantage in respect of a gift or monetary contribution by a taxpayer is the total of

a) le total des sommes, sauf celle visée à l’alinéa b), représentant chacune la valeur, au moment du don ou de la contribution, de tout bien ou service, de toute compensation ou utilisation ou de tout autre bénéfice que le contribuable, ou une personne ou une société de personnes qui a un lien de dépendance avec lui, a reçu ou obtenu, ou a le droit, immédiat ou futur et absolu ou conditionnel, de recevoir ou d’obtenir, ou dont le contribuable ou une telle personne ou société de personnes a joui ou a le droit, immédiat ou futur et absolu ou conditionnel, de jouir, et qui, selon le cas :

(a) the total of all amounts, other than an amount referred to in paragraph (b), each of which is the value, at the time the gift or monetary contribution is made, of any property, service, compensation, use or other benefit that the taxpayer, or a person or partnership who does not deal at arm’s length with the taxpayer, has received, obtained or enjoyed, or is entitled, either immediately or in the future and either absolutely or contingently, to receive, obtain, or enjoy

(i) est accordé en contrepartie du don ou de la contribution,

(i) that is consideration for the gift or monetary contribution,

(ii) est accordé en reconnaissance du don ou de la contribution,

(ii) that is in gratitude for the gift or monetary contribution, or

(iii) se rapporte de toute autre façon au don ou à la contribution;

(iii) that is in any other way related to the gift or monetary contribution, and

b) la dette à recours limité, déterminée selon le paragraphe 143.2(6.1), relative au don ou à la contribution au moment où il est fait.

(b) the limited-recourse debt, determined under subsection 143.2(6.1), in respect of the gift or monetary contribution at the time the gift or monetary contribution is made.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossiers :

A-135-18, A-132-18, A-133-18 ET A-134-18

 

INTITULÉ :

GEORGE MARKOU, SIMONETTA OLIVANTI, WILLIAM H. HENDERSON, GERRY PETRIELLO c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 octobre 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE EN CHEF NOËL

 

Y ONT SOUSCRIT :

RIVOALEN j.c.a.

LOCKE j.c.a.

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 décembre 2019

 

COMPARUTIONS :

Guy Du Pont, Ad. E.

Michael H. Lubetsky

Anne-Sophie Villeneuve

 

Pour les appelants

 

Arnold H. Bornstein

Hasan Junaid

Jasmeen Maan

 

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Davies Ward Phillips & Vineberg S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour les appelants

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimée

 

 

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