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Date : 20191209


Dossier : A-356-18

Référence : 2019 CAF 307

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE GLEASON

 

ENTRE :

 

VIDÉOTRON LTÉE

 

demanderesse

 

et

 

SERVICES PARTAGÉS CANADA

et

BELL CANADA

 

défendeurs

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 4 novembre 2019.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 9 décembre 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE BOIVIN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE GLEASON


Date : 20191209


Dossier : A-356-18

Référence : 2019 CAF 307

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE GLEASON

 

ENTRE :

 

VIDÉOTRON LTÉE

 

demanderesse

 

et

 

SERVICES PARTAGÉS CANADA

et

BELL CANADA

 

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE BOIVIN

[1]  La demanderesse, Vidéotron Ltée (Vidéotron), demande le contrôle judiciaire d’une ordonnance rendue le 5 octobre 2018 par le Tribunal canadien du commerce extérieur (le TCCE) (PR-2018-006). Dans le cadre de son ordonnance, le TCCE a accueilli la requête déposée par Services partagés Canada (SPC) lui demandant de rejeter la plainte de Vidéotron concernant la procédure des marchés publics et de mettre fin à son enquête pour défaut de compétence.

I.  Résumé des faits

[2]  Le 25 mai 2018, Vidéotron a déposé une plainte auprès du TCCE concernant une procédure des marchés publics, en application du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985, ch. 47 (4suppl.) (la Loi sur le TCCE). Dans sa plainte, Vidéotron alléguait que SPC avait attribué, sans processus d’appel d’offres, un ou plusieurs nouveaux contrats à Bell Canada ou à l’une de ses entreprises affiliées (Bell) pour des infrastructures de télécommunications lors du Sommet du G7 qui s’est tenu à La Malbaie, au Québec, les 8 et 9 juin 2018. Vidéotron soutenait que l’attribution de ces marchés contrevenait au chapitre 5 de l’Accord de libre-échange canadien (l’ALÉC) et au chapitre 10 de l’Accord de libre-échange nord-américain. Vidéotron soutenait également qu’elle était un fournisseur potentiel pour les travaux requis, mais qu’elle n’a pu participer puisqu’il n’y a eu aucun appel d’offres.

[3]  Le 29 mai 2018, le TCCE a décidé d’enquêter sur la plainte déposée par Vidéotron, en conformité avec les exigences du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE et du paragraphe 7(1) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics, DORS/93-602.

[4]  Le 15 juin 2018, SPC a déposé une requête en application de l’article 24 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur, DORS/91-499 (les Règles du TCCE), demandant au TCCE de décliner sa compétence relativement à la plainte de Vidéotron et de rendre une ordonnance mettant fin à son enquête. Dans sa requête, SPC alléguait que la plainte de Vidéotron ne concernait pas un processus d’approvisionnement assujetti aux accords commerciaux en vigueur, et que la question en litige concernait plutôt l’administration des contrats, ce qui ne relevait pas de la compétence du TCCE. Plus précisément, SPC faisait valoir que les travaux en litige avaient été octroyés à Bell dans le cadre de précédents processus d’approvisionnement, l’un portant sur la fourniture de services d’accès téléphonique local en 2010 (SAL 2010) et l’autre, sur des services cellulaires gouvernementaux en 2017 (SCG 2017). SPC a précisé que chaque contrat original qu’il avait attribué dans le cadre de ces processus comportait une clause particulière aux termes de laquelle SPC pouvait demander à Bell d’effectuer des travaux supplémentaires, moyennant des coûts supplémentaires, en cas d’urgences ou d’événements spéciaux à court terme comme le Sommet du G7. SPC a également fait valoir que Vidéotron n’était pas un fournisseur potentiel lors de ces précédents processus d’approvisionnement, qu’un des marchés en litige était assujetti à une exception au titre de la sécurité nationale et n’était donc pas visé par les dispositions des accords commerciaux pertinents et, qui plus est, que la plainte de Vidéotron avait en partie été déposée en dehors des délais prescrits.

[5]  Le 19 juin 2018, Bell a obtenu le statut d’intervenant devant le TCCE, auprès duquel elle a essentiellement corroboré les arguments de SPC.

[6]  Le 5 octobre 2018, le TCCE a rendu son ordonnance et accueilli la requête de SPC. La plainte de Vidéotron a donc été rejetée et le TCCE a mis fin à son enquête. En concluant ainsi, le TCCE a indiqué qu’il n’avait pas compétence pour statuer sur la plainte de Vidéotron car, comme l’avaient fait valoir SPC et Bell, les travaux visés par la plainte avaient été menés dans le cadre de deux précédents marchés publics (SAL 2010 et SCG 2017). À ce sujet, le TCCE a conclu que « [l]es questions subséquentes à l’adjudication d’un contrat, c’est-à-dire les questions d’administration de contrats, ne relèvent pas de la compétence du Tribunal » (décision du TCCE, aux paragraphes 13, 14, 16 et 21).

[7]  Le TCCE a également conclu que les deux clauses particulières qui avaient été incluses dans les marchés originaux LAS 2010 et SCG 2017 étaient des ajouts raisonnables et que, contrairement aux prétentions de Vidéotron, ces deux clauses ne faisaient pas en sorte que des conditions essentielles de chaque marché n’avaient pas été fixées (décision du TCCE, aux paragraphes 29, 30, 38 et 39). Le TCCE a aussi conclu que Vidéotron n’était pas un fournisseur potentiel lors des deux appels d’offres initiaux. Enfin, le TCCE a écarté les motifs supplémentaires invoqués par Bell pour rejeter la plainte et conclu qu’il n’avait pas à se prononcer sur la question concernant l’exception au titre de la sécurité nationale.

[8]  Le 5 novembre 2018, Vidéotron a saisi notre Cour d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par le TCCE.

[9]  Pour les motifs qui suivent, je rejetterais la présente demande de contrôle judiciaire avec dépens.

II.  Dispositions législatives pertinentes

[10]  Les dispositions pertinentes aux fins du présent contrôle judiciaire sont énoncées en annexe.

III.  Questions en litige

[11]  Le présent appel soulève deux questions principales :

  • Le TCCE a-t-il enfreint des principes de justice naturelle ou d’équité procédurale en rejetant la plainte de Vidéotron et en mettant fin à son enquête?

·  Était-il raisonnable pour le TCCE de conclure qu’il n’avait pas compétence pour enquêter sur la plainte de Vidéotron?

IV.  Discussion

A.  Norme de contrôle

[12]  Les questions relatives à l’équité procédurale doivent être examinées selon la norme de la décision correcte. Même s’il est vrai qu’« aucune norme de contrôle n’est appliquée » lorsqu’un tribunal examine des questions liées à l’équité procédurale, car la question est alors de savoir « si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances », l’examen fait par notre Cour de ces questions est [traduction] « particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2018] A.C.F. no 382, au paragraphe 54).

[13]  En ce qui a trait à la compétence du TCCE pour enquêter sur la plainte de Vidéotron, cette question concerne l’interprétation de la loi habilitante du TCCE en regard des faits dont le Tribunal a été saisi. À ce titre, la norme de la décision raisonnable s’applique (Canada (Procureur général) c. Access Information Agency Inc., 2018 CAF 18, 287 A.C.W.S. (3d) 750, aux paragraphes 16 à 20; Québec (Procureure générale) c. Guérin, 2017 CSC 42, 412 D.L.R. (4th) 103, au paragraphe 35; Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, [2016] 2 R.C.S. 293, au paragraphe 26).

[14]  Il a à maintes reprises été établi que le TCCE est un tribunal hautement spécialisé qui commande la déférence. Le rôle de notre Cour n’est donc pas de soupeser à nouveau les éléments de preuve dont a été saisi le TCCE, mais plutôt de déterminer si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2018] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47; Essar Steel Algoma Inc. c. Jindal Steel and Power Limited, 2017 CAF 166, 281 A.C.W.S. (3d) 762, au paragraphe 15; Canada (Procureur général) c. Valcom Consulting Group Inc., 2019 CAF 1, 302 A.C.W.S. (3d) 385, au paragraphe 18; Nova Tube Inc./Nova Steel Inc. c. Conares Metal Supply Ltd., 2019 CAF 52, 303 A.C.W.S. (3d) 541, au paragraphe 22).

B.  Le TCCE a-t-il enfreint quelque principe de justice naturelle ou d’équité procédurale en rejetant la plainte de Vidéotron?

[15]  Vidéotron soutient que le TCCE a porté atteinte à son droit à une instruction équitable et a ainsi enfreint des principes de justice fondamentale et d’équité procédurale, en mettant fin prématurément à son enquête sans avoir dûment tenu compte des accords commerciaux qui s’appliquent.

[16]  Plus précisément, Vidéotron fait valoir que, bien que le TCCE puisse rejeter des plaintes sans mener une enquête complète, selon la procédure, il ne peut le faire [traduction] « qu’après avoir tenu compte des accords commerciaux qui s’appliquent ». Or, Vidéotron soutient que le TCCE n’a pas cherché à déterminer si les clauses particulières des contrats SAL 2010 et SCG 2017 répondaient aux exigences de l’ALÉC et de l’Accord sur le commerce intérieur (l’ACI) et que cette omission viole son droit à une instruction équitable (mémoire des faits et du droit de Vidéotron, aux paragraphes 88, 91, 98 et 113 à 116).

[17]  Les prétentions de Vidéotron confondent une question portant à première vue sur le fond à une question portant sur l’équité procédurale. La seule question portant sur l’équité procédurale qui pouvait avoir été soulevée dans les prétentions de Vidéotron et dans la décision finale du TCCE est celle de savoir si Vidéotron connaissait les arguments qu’elle devait réfuter devant le TCCE et si elle a eu une occasion équitable de le faire. L’examen du dossier ne met en lumière aucun élément de preuve indiquant que le TCCE a entravé la capacité de Vidéotron de comprendre les arguments à réfuter et de défendre pleinement sa position. Vidéotron a notamment eu maintes occasions de présenter des observations complètes : dès le début, dans la formulation de sa plainte initiale, puis lorsque le TCCE a invité les parties à soumettre leurs observations après que Bell eut demandé le statut d’intervenant ainsi qu’en réponse à la requête déposée par SPC. Le TCCE a également prolongé le délai accordé à Vidéotron pour soumettre ses observations en réponse aux observations détaillées et exhaustives présentées par SPC, ce qui a permis de renseigner encore davantage Vidéotron sur les arguments qu’elle devait réfuter. De plus, je ne vois aucune raison pour laquelle Vidéotron n’aurait pas pu écrire au TCCE, lors de la présentation de la requête, pour l’informer qu’à son avis le dossier était incomplet et que la requête de SPC ne respectait pas l’article 24 des Règles du TCCE. Enfin, Vidéotron aurait pu demander la tenue d’une audience aux termes de l’article 105 des Règles du TCCE, mais a choisi de ne pas le faire. Il s’ensuit que les allégations de violation des principes de justice fondamentale ou d’équité procédurale de Vidéotron doivent être rejetées.

C.  Était-il raisonnable pour le TCCE de conclure qu’il n’avait pas compétence pour enquêter sur la plainte de Vidéotron?

[18]  À la lumière des éléments de preuve dont il a été saisi, le TCCE a conclu que la plainte de Vidéotron ne concernait pas un processus d’approvisionnement en soi, mais concernait plutôt l’administration des contrats, une question qui ne relevait pas de sa compétence selon le paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le TCCE. Ainsi qu’il a été mentionné précédemment, le TCCE a interprété les clauses particulières incluses dans les contrats SAL 2010 et SCG 2017 attribués à Bell à l’appui de sa conclusion. Ces deux clauses sont très similaires et, vu leur grande importance dans la conclusion du TCCE, elles sont reproduites ci-après en intégralité.

[19]  La clause particulière du contrat SAL 2010 est rédigée comme suit :

[TRADUCTION]

1.8 b) Infrastructure liée aux événements spéciaux, aux urgences et aux besoins particuliers

(i) De temps à autre, le Canada peut exiger la fourniture de services d’accès local (SAL) dans le cadre d’un événement spécial à court terme. Par exemple, au cours des dernières années, des SAL ont été requis pour des événements tels que les Jeux olympiques, le Sommet des leaders nord-américains ou la Conférence du G8. De temps à autre, il pourrait arriver également que surviennent des situations d’urgence nécessitant une concentration soudaine et de courte durée de SAL dans un ou plusieurs endroits précis. Dans le cas d’événements spéciaux à court terme ou d’urgences qui augmentent sensiblement les besoins du Canada en SAL dans un ou plusieurs endroits précis, si l’entrepreneur peut démontrer que ces besoins dépassent la capacité de son infrastructure existante (par exemple, la capacité dans ses bureaux centraux), le Canada et l’entrepreneur peuvent négocier des modalités et conditions, et la tarification y afférente, pour la mise en place de l’infrastructure nécessaire au soutien des SAL. Toutes modalités et conditions négociées, et toute tarification connexe, n’entreront en vigueur qu’une fois consignées dans une modification de contrat délivrée par l’autorité contractante.

[Non souligné dans l’original.]

[20]  La clause particulière du contrat SCG 2017 est rédigée comme suit :

[TRADUCTION]

1.27 Infrastructure liée aux événements spéciaux, aux urgences et aux besoins particuliers

1.27.1 De temps à autre, le Canada peut exiger la prestation de services cellulaires dans le cadre d’un événement spécial à court terme. Par exemple, au cours des dernières années, de tels services ont été requis pour des événements tels que le Sommet des leaders nord-américains ou la Conférence du G8. De temps à autre, il pourrait arriver également que surviennent des situations d’urgence nécessitant une concentration soudaine et de courte durée de SCG dans un ou plusieurs endroits précis (par exemple, lors des Jeux olympiques). Dans le cas d’événements spéciaux à court terme ou d’urgences qui augmentent sensiblement les besoins du Canada en SCG dans un ou plusieurs endroits précis, si l’entrepreneur peut démontrer que ces besoins dépassent la capacité de son infrastructure existante (par exemple, le nombre de pylônes en place), le Canada et l’entrepreneur peuvent négocier des modalités et conditions, et la tarification y afférente, pour la mise en place de l’infrastructure nécessaire, ou le retrait ou le redéploiement de l’infrastructure nécessaire pour soutenir les SCG requis pour l’événement spécial de courte durée ou l’urgence. Toutes modalités et conditions négociées, et toute tarification connexe, n’entreront en vigueur qu’une fois consignées dans une autorisation de travaux ou une modification de contrat délivrée par l’autorité contractante.

[Non souligné dans l’original.]

[21]  En contestant la conclusion du TCCE fondée sur les clauses particulières, Vidéotron soutient que ces clauses sont mal rédigées et qu’elles [traduction] « manquent de substance ». Plus précisément, Vidéotron soutient que ces clauses auraient dû aborder [traduction] « certains droits ou obligations contractuels ou obligations d’administrer », mais qu’elles sont au contraire trop imprécises et vagues au sujet des éléments essentiels du marché, comme les prix, pour être des dispositions contractuelles valides (mémoire des faits et du droit de Vidéotron, aux paragraphes 68, 71 et 72). En s’appuyant sur cette thèse, Vidéotron ajoute que les travaux réalisés au titre des clauses particulières découlaient nécessairement de la négociation de nouveaux contrats et d’un nouveau processus d’approvisionnement qui relèvent de la compétence du TCCE.

[22]  Vidéotron soutient en outre que la conclusion du TCCE, selon laquelle ces clauses particulières constituaient une inclusion raisonnable dans les contrats SAL 2010 et SCG 2017, [traduction« mine le but et l’objet de tous les accords commerciaux » (mémoire des faits et du droit de Vidéotron, au paragraphe 79). Vidéotron affirme que les clauses particulières, comme celles en litige, minent grandement l’objectif d’assurer un accès équitable et ouvert aux marchés publics, grâce à un cadre transparent et efficace (mémoire des faits et du droit de Vidéotron, aux paragraphes 82 à 86). Vidéotron fait donc valoir que le TCCE a commis une erreur en concluant que la plainte portait sur des questions liées à l’administration des marchés qui ne relevaient pas de sa compétence.

[23]  Pour les motifs énoncés ci-après, la contestation par Vidéotron de la conclusion du TCCE, selon laquelle le Tribunal n’avait pas compétence, car la plainte portait sur des questions liées à l’administration des marchés, est peu convaincante.

[24]  Premièrement, et comme l’a mentionné le TCCE, « les appels d’offres prévoyaient que les besoins du gouvernement du Canada fluctueraient » (décision du TCCE, au paragraphe 22). Il avait donc été prévu dès le départ que SPC pourrait avoir besoin, pendant la durée des marchés, d’une amélioration des infrastructures existantes.

[25]  Deuxièmement, les clauses particulières sont suffisamment claires quant aux circonstances dans lesquelles elles pourraient s’appliquer. Ces clauses mentionnent clairement que SPC pourrait de temps à autre avoir besoin de services supplémentaires pour répondre à des besoins particuliers d’une nature exceptionnelle et de courte durée, à des urgences ou à des événements spéciaux. Un tel « événement spécial » s’est produit lorsque le Canada a été l’hôte du Sommet du G7 à La Malbaie, en 2018. De fait, la « Conférence du G8 » (aujourd’hui le G7) est expressément mentionnée dans ces clauses à titre d’exemple d’« événement spécial ». Il convient de souligner que l’on attendait la venue d’environ 9 000 membres de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), 2 000 militaires, 1 000 fonctionnaires et 1 000 dignitaires de l’étranger dans le contexte du Sommet du G7 qui s’est tenu à La Malbaie. Cet afflux soudain de visiteurs a eu pour effet de doubler la population dans la région et ainsi de dépasser la capacité de l’infrastructure existante de Bell dans la région (décision du TCCE, à la page 5, note en bas de page 19; mémoire des faits et du droit de SPC, aux paragraphes 9 et 10).

[26]  Troisièmement, les clauses particulières sont suffisamment claires quant aux obligations de chaque partie lors d’événements spéciaux et d’urgences. Comme l’a souligné le TCCE, les clauses particulières expriment le fait que SPC ne pouvait obliger Bell à construire des infrastructures supplémentaires à ses propres frais et que SPC devrait compenser Bell pour la mise à niveau des infrastructures requises pour répondre à des besoins ponctuels (décision du TCCE, au paragraphe 30).

[27]  Quatrièmement, il était raisonnable pour le TCCE de conclure que ces clauses n’ont pas permis à SPC d’obtenir de nouveaux biens ou services. Bell a continué de fournir les mêmes services que ceux prévus dans le cadre des contrats SAL 2010 et SCG 2017 déjà examinés et les infrastructures supplémentaires sont demeurées la propriété de Bell.

[28]  De plus, comme le soulignent SPC et Bell, la valeur des travaux exécutés dans le cadre des clauses particulières contestées représente moins de 4 % de la valeur globale de chaque marché. De fait, les travaux réalisés pour le Sommet du G7 ont totalisé environ 9,5 millions de dollars dans le cadre du contrat SAL 2010, dont la valeur initiale était d’environ 570 millions de dollars, et environ 14,6 millions dans le cadre du contrat SCG 2017 d’une valeur d’environ 370 millions de dollars.

[29]  Dans ces circonstances, il était raisonnable pour le TCCE de conclure que SPC n’a pas engagé un nouveau processus d’approvisionnement lorsqu’il a demandé à Bell de mettre ses services à niveau en prévision du Sommet du G7, un « événement spécial » prévu à la fois dans les marchés SAL 2010 et SCG 2017. Après examen des faits qui ont été présentés au TCCE, il appert que les prétentions de Vidéotron, selon lesquelles les clauses particulières se voulaient un moyen pour SPC de se soustraire à ses obligations aux termes de l’article 503 de l’ALÉC, sont elles aussi non fondées.

[30]  Nonobstant ce qui précède, il ne s’ensuit pas que tous les travaux réalisés au titre des clauses particulières sont automatiquement qualifiés de questions liées à l’administration des marchés. À titre d’exemple, si la valeur des travaux réalisés au titre d’une clause particulière dépasse considérablement la valeur du contrat attribué ou en représente une part substantielle, cela pourrait potentiellement être considéré comme une tentative de la part de l’entité contractante de modifier le marché initial et ses modalités obligatoires. Le cas échéant, la plainte pourrait alors relever de la compétence du TCCE (Eclipsys Solutions Inc. c. Agence des services frontaliers du Canada, [2016] TCCE n30, 2016 CarswellNat 971 (TCCE), aux paragraphes 37 à 41). Cependant, il ne s’agit pas en l’espèce des faits qui ont été présentés au TCCE.

[31]  À la lumière du dossier de la preuve, il était donc raisonnable pour le TCCE de conclure (i) que les travaux réalisés par Bell pour le Sommet du G7 – un « événement spécial » extraordinaire – avaient expressément été prévus dans les marchés SAL 2010 et SCG 2017 et qu’ils respectaient les exigences du marché d’approvisionnement initial; (ii) que la situation n’en était pas une où des conditions essentielles des marchés n’avaient pas été fixées; (iii) que la mise en œuvre des clauses particulières n’a pas donné lieu à l’acquisition de nouveaux biens ou services par SPC; (iv) que SPC n’a pas tenté de se soustraire à ses obligations aux termes de l’article 503 de l’ALÉC et, donc, (v) que la plainte de Vidéotron ne concernait pas un processus d’approvisionnement. Ultimement, et comme l’a souligné le TCCE, « puisqu’il ne s’agissait pas d’acquisition de biens ou services nouveaux, il n’y a pas eu de marché public et, par conséquent, [le TCCE ne pouvait] enquêter puisqu’aucun « contrat spécifique » [n’était] en cause » (décision du TCCE, au paragraphe 39).

[32]  Ainsi qu’il a été mentionné précédemment, Vidéotron prétend également que le TCCE a commis une erreur en omettant de tenir compte d’un certain nombre d’accords commerciaux pertinents, dont l’ACI et l’ALÉC. Pourtant, Vidéotron a omis d’invoquer l’ACI – le prédécesseur de l’ALÉC – dans ses observations devant le TCCE. Dans ces circonstances, Vidéotron ne peut invoquer cet argument pour la première fois dans son mémoire des faits et du droit présenté à notre Cour. De plus, un examen des dispositions pertinentes des accords commerciaux cités par Vidéotron devant notre Cour révèle que la grande majorité d’entre elles s’appliquent dans le contexte d’un processus d’approvisionnement. Or, comme le TCCE a raisonnablement conclu que le litige ne portait sur aucun processus d’approvisionnement, la plupart de ces dispositions ne s’appliquent pas; il n’y avait donc pas lieu pour le TCCE de les examiner en détail. La disposition de l’ALÉC la plus pertinente en l’espèce est l’article 503 qui interdit à une entité contractante d’élaborer un marché ou de modifier des marchés adjugés de manière à se soustraire à ses obligations prévues à l’accord. Ainsi qu’il a été mentionné précédemment, le TCCE a fait un examen raisonnable de l’argument invoqué par Vidéotron relativement à l’article 503 et l’a rejeté (décision du TCCE, aux paragraphes 38 et 39).

[33]  Enfin, bien que Vidéotron critique le TCCE pour avoir formulé une conclusion quant à son statut de fournisseur potentiel, cette conclusion portait sur les marchés initiaux SAL 2010 et SCG 2017 et non sur les clauses particulières concernant le Sommet du G7. Comme la question pertinente aurait été de savoir si Vidéotron était un fournisseur potentiel pour les nouveaux projets allégués – si, bien sûr, le TCCE n’avait pas conclu qu’il n’existait pas de nouveau processus d’approvisionnement – l’analyse du TCCE concernant le fournisseur potentiel n’a pas l’importance alléguée par Vidéotron. Il en est ainsi, notamment, parce que Vidéotron aurait été hors délai pour contester l’adjudication des marchés SAL 2010 et SCG 2017 originaux s’il avait effectivement été un fournisseur potentiel.

V.  Conclusion

[34]  Pour les motifs précités, je rejetterais la présente demande de contrôle judiciaire avec dépens. Comme Bell n’a pas sollicité de dépens, j’adjugerais des dépens à SPC payables par Vidéotron.

« Richard Boivin »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Mary J.L. Gleason, j.c.a. »


ANNEXE

Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985, ch. 47 (4e suppl.)

Canadian International Trade Tribunal Act, R.S.C. 1985, c. 47 (4th Supp.)

Mission et pouvoirs

Powers, Duties and Functions

Mission

Duties and functions

16 Le Tribunal a pour mission :

16 The duties and functions of the Tribunal are to

a) d’enquêter et de faire rapport sur les questions dont le saisit, en application de la présente loi, le gouverneur en conseil ou le ministre;

(a) conduct inquiries and report on matters referred to the Tribunal for inquiry by the Governor in Council or the Minister under this Act;

a.1) de procéder aux examens visés à l’article 19.02 et faire rapport sur ceux-ci;

(a.1) conduct mid-term reviews under section 19.02 and report on the reviews;

[…]

b.1) de recevoir des plaintes, procéder à des enquêtes et prendre des décisions dans le cadre des articles 30.1 à 30.19;

(b.1) receive complaints, conduct inquiries and make determinations under sections 30.1 to 30.19;

[…]

Plaintes des fournisseurs potentiels

Complaints by Potential Suppliers

Définitions

Definitions

30.1 Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article et aux articles 30.11 à 30.19.

30.1 In this section and in sections 30.11 to 30.19,

[…]

contrat spécifiqueContrat relatif à un marché de fournitures ou services qui a été accordé par une institution fédérale — ou pourrait l’être — , et qui soit est précisé par règlement, soit fait partie d’une catégorie réglementaire.

designated contractmeans a contract for the supply of goods or services that has been or is proposed to be awarded by a government institution and that is designated or of a class of contracts designated by the regulations;

[…]

fournisseur potentiel Sous réserve des règlements pris en vertu de l’alinéa 40f.1), tout soumissionnaire — même potentiel — d’un contrat spécifique. 

potential suppliermeans, subject to any regulations made under paragraph 40(f.1), a bidder or prospective bidder on a designated contract.

[…]

Plaintes des fournisseurs potentiels

Complaints by Potential Suppliers

Dépôt des plaintes

Filing of complaint

30.11 (1) Tout fournisseur potentiel peut, sous réserve des règlements, déposer une plainte auprès du Tribunal concernant la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique et lui demander d’enquêter sur cette plainte.

30.11 (1) Subject to the regulations, a potential supplier may file a complaint with the Tribunal concerning any aspect of the procurement process that relates to a designated contract and request the Tribunal to conduct an inquiry into the complaint.

Objet de la plainte

Matters inquired into

30.14 (1) Dans son enquête, le Tribunal doit limiter son étude à l’objet de la plainte.

30.14 (1) In conducting an inquiry, the Tribunal shall limit its considerations to the subject-matter of the complaint.

Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics, D.O.R.S./93-602

Canadian International Trade Tribunal Procurement Inquiry Regulations, S.O.R./93-602

Désignations

Designations

3 (1) Pour l’application de la définition de contrat spécifique à l’article 30.1 de la Loi, est un contrat spécifique tout contrat relatif à un marché de fournitures ou de services ou de toute combinaison de ceux-ci, accordé par une institution fédérale — ou qui pourrait l’être — et visé, individuellement ou au titre de son appartenance à une catégorie, à l’article 1001 de l’ALÉNA, à l’article II de l’Accord sur les marchés publics, à l’article Kbis-01 du chapitre Kbis de l’ALÉCC, à l’article 1401 du chapitre quatorze de l’ALÉCP, à l’article 1401 du chapitre quatorze de l’ALÉCCO, à l’article 16.02 du chapitre seize de l’ALÉCPA, à l’article 17.2 du chapitre dix-sept de l’ALÉCH, à l’article 14.3 du chapitre quatorze de l’ALÉCRC, à l’article 19.2 du chapitre dix-neuf de l’AÉCG, à l’article 504 du chapitre cinq de l’ALÉC, à l’article 10.2 du chapitre dix de l’ALÉCU ou à l’article 15.2 du chapitre quinze du PTP.

3 (1) For the purposes of the definition designated contract in section 30.1 of the Act, any contract or class of contract concerning a procurement of goods or services or any combination of goods or services, as described in Article 1001 of NAFTA, in Article II of the Agreement on Government Procurement, in Article Kbis-01 of Chapter Kbis of the CCFTA, in Article 1401 of Chapter Fourteen of the CPFTA, in Article 1401 of Chapter Fourteen of the CCOFTA, in Article 16.02 of Chapter Sixteen of the CPAFTA, in Article 17.2 of Chapter Seventeen of the CHFTA, in Article 14.3 of Chapter Fourteen of the CKFTA, in Article 19.2 of Chapter Nineteen of CETA, in Article 504 of Chapter Five of the CFTA, in Article 10.2 of Chapter Ten of CUFTA or in Article 15.2 of Chapter Fifteen of the TPP, that has been or is proposed to be awarded by a government institution, is a designated contract.

[…]

Conditions de l’enquête

Conditions for Inquiry

7 (1) Dans les cinq jours ouvrables suivant la date du dépôt d’une plainte, le Tribunal détermine si les conditions suivantes sont remplies :

7 (1) The Tribunal shall, within five working days after the day on which a complaint is filed, determine whether the following conditions are met in respect of the complaint:

a) le plaignant est un fournisseur potentiel;

(a) the complainant is a potential supplier;

b) la plainte porte sur un contrat spécifique;

(b) the complaint is in respect of a designated contract; and

c) les renseignements fournis par le plaignant et les autres renseignements examinés par le Tribunal relativement à la plainte démontrent, dans une mesure raisonnable, que la procédure du marché public n’a pas été suivie conformément au chapitre 10 de l’ALÉNA, à l’Accord sur les marchés publics, au chapitre Kbis de l’ALÉCC, au chapitre quatorze de l’ALÉCP, au chapitre quatorze de l’ALÉCCO, au chapitre seize de l’ALÉCPA, au chapitre dix-sept de l’ALÉCH, au chapitre quatorze de l’ALÉCRC, au chapitre dix-neuf de l’AÉCG, au chapitre cinq de l’ALÉC, au chapitre dix de l’ALÉCU ou au chapitre quinze du PTP, selon le cas.

(c) the information provided by the complainant, and any other information examined by the Tribunal in respect of the complaint, discloses a reasonable indication that the procurement has not been conducted in accordance with whichever of Chapter Ten of NAFTA, the Agreement on Government Procurement, Chapter Kbis of the CCFTA, Chapter Fourteen of the CPFTA, Chapter Fourteen of the CCOFTA, Chapter Sixteen of the CPAFTA, Chapter Seventeen of the CHFTA, Chapter Fourteen of the CKFTA, Chapter Nineteen of CETA, Chapter Five of the CFTA, Chapter Ten of CUFTA or Chapter Fifteen of the TPP applies.

[…]

Rejet de la plainte

Dismissal of Complaints

10 (1) Le Tribunal peut ordonner le rejet d’une plainte pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

10 (1) The Tribunal may, at any time, order the dismissal of a complaint where

a) après avoir pris en considération la Loi et le présent règlement, ainsi que l’ALÉNA, l’Accord sur les marchés publics, l’ALÉCC, l’ALÉCP, l’ALÉCCO, l’ALÉCPA, l’ALÉCH, l’ALÉCRC, l’AÉCG, l’ALÉC, l’ALÉCU ou le PTP, selon le cas, il conclut que la plainte ne s’appuie sur aucun fondement valable;

(a) after taking into consideration the Act, these Regulations and, as applicable, NAFTA, the Agreement on Government Procurement, the CCFTA, the CPFTA, the CCOFTA, the CPAFTA, the CHFTA, the CKFTA, CETA, the CFTA, CUFTA or the TPP, the Tribunal determines that the complaint has no valid basis;

b) la plainte ne porte pas sur un marché public passé par une institution fédérale;

(b) the complaint is not in respect of a procurement by a government institution;

[…]

Décision

Determination

11 Lorsque le Tribunal enquête sur une plainte, il décide si la procédure du marché public a été suivie conformément aux exigences de l’ALÉNA, de l’Accord sur les marchés publics, de l’ALÉCC, de l’ALÉCP, de l’ALÉCCO, de l’ALÉCPA, de l’ALÉCH, de l’ALÉCRC, de l’AÉCG, de l’ALÉC, de l’ALÉCU ou du PTP, selon le cas.

11 If the Tribunal conducts an inquiry into a complaint, it shall determine whether the procurement was conducted in accordance with the requirements set out in whichever of NAFTA, the Agreement on Government Procurement, the CCFTA, the CPFTA, the CCOFTA, the CPAFTA, the CHFTA, the CKFTA, CETA, the CFTA, CUFTA or the TPP applies.


 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-356-18

 

INTITULÉ :

VIDÉOTRON LTÉE c. SERVICES PARTAGÉS CANADA et BELL CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 novembre 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE BOIVIN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE GLEASON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 9 décembre 2019

COMPARUTIONS :

Peter Kirby

Brandon Farber

 

Pour la demanderesse

 

Benoît de Champlain

Bernard Letarte

 

Pour le défendeur

SERVICES PARTAGÉS CANADA

 

Mark Phillips

 

Pour la défenderesse

BELL CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

SERVICES PARTAGÉS CANADA

Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., S.R.L.

Montréal (Québec)

Pour la défenderesse

BELL CANADA

 

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