Dossier : A-298-18
Référence : 2019 CAF 310
[TRADUCTION FRANÇAISE]
CORAM :
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LE JUGE NADON
LA JUGE RIVOALEN
LE JUGE LOCKE
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ENTRE :
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LANDBOUWBEDRIJF BACKX B.V.
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appelante
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et
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SA MAJESTÉ LA REINE
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intimée
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Audience tenue à Toronto (Ontario), le 30 octobre 2019.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 12 décembre 2019.
MOTIFS DU JUGEMENT :
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LA JUGE RIVOALEN
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Y ONT SOUSCRIT :
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LE JUGE NADON
LE JUGE LOCKE
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Date : 20191212
Dossier : A-298-18
Référence : 2019 CAF 310
CORAM :
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LE JUGE NADON
LA JUGE RIVOALEN
LE JUGE LOCKE
|
ENTRE :
|
LANDBOUWBEDRIJF BACKX B.V.
|
appelante
|
et
|
SA MAJESTÉ LA REINE
|
intimée
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MOTIFS DU JUGEMENT
LA JUGE RIVOALEN
I.
Introduction
[1]
L’appelante est une société à responsabilité limitée constituée en personne morale en application des lois du Royaume des Pays-Bas. En 2009, elle a réalisé un gain en capital par suite de la disposition d’une participation dans l’exploitation d’une ferme laitière située en Ontario. Le ministre du Revenu national a établi une cotisation à l’égard de l’appelante à titre de résidente du Canada sous le régime de la partie I de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C (1985), ch. 1 (5e suppl.) (la Loi) pour l’année d’imposition 2009, ainsi qu’à titre de non-résidente du Canada sous le régime de la partie XIV de la Loi. L’appelante a interjeté appel de cette cotisation à la Cour canadienne de l’impôt. Le juge Guy Smith de la Cour canadienne de l’impôt a rendu un jugement le 17 juillet 2018 (2018 CCI 142) accueillant l’appel concernant la partie XIV de la Loi et renvoyant l’affaire au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation, pour le motif que l’appelante était assujettie à l’impôt de la partie I en 2009 à titre de résidente du Canada.
[2]
Le présent appel vise uniquement la cotisation de 2009. L’appelante invoque trois arguments devant la Cour.
Elle prétend ne pas être résidente du Canada. Par conséquent, la Cour canadienne de l’impôt a mal appliqué le critère de common law permettant de déterminer la résidence et elle a commis une erreur de droit en omettant d’examiner le principe de préclusion et les attentes raisonnables liées à la résidence de l’appelante aux Pays-Bas.
À titre subsidiaire, si la Cour juge que la Cour canadienne de l’impôt n’a commis aucune erreur en déterminant que l’appelante était une résidente du Canada en 2009, la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur en déterminant que le paragraphe 128.1(1) de la Loi ne s’appliquait pas.
La Cour canadienne de l’impôt a-t-elle commis une erreur dans son application de la disposition 4(3) de la Convention entre le Canada et le Royaume des Pays-Bas en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu (la Convention)?
[3]
La norme de contrôle applicable n’est pas en litige. La norme de contrôle applicable aux appels des décisions de la Cour canadienne de l’impôt est énoncée dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, à savoir celle de l’« erreur manifeste et dominante »
, pour les questions de fait ou les questions de fait et de droit, et celle de la « décision correcte »
, pour les questions de droit (voir également l’arrêt Lubega-Matovu c. Canada, 2016 CAF 315, au par. 12).
[4]
Examinons les trois arguments de l’appelante.
II.
La Cour canadienne de l’impôt a-t-elle mal appliqué le critère de common law permettant de déterminer la résidence et a-t-elle commis une erreur de droit en omettant d’examiner le principe de préclusion et les attentes raisonnables liées à la résidence de l’appelante?
[5]
Le système fiscal du Canada est un système d’autodéclaration. Il est établi que le principal fondement du régime d’imposition au Canada est la résidence (Fundy Settlement c. Canada, 2010 CAF 309, par. 52 (Fundy CAF), conf. par l’arrêt Fundy Settlement c. Canada, 2012 CSC 14, [2012] 1 R.C.S. 520, par. 7 [Fundy Settlement]).
[6]
La Loi ne définit pas le terme « résidence »
. Par conséquent, pour déterminer la résidence d’une société, nous pouvons consulter le paragraphe 250(4) de la Loi, qui établit qu’une société est réputée avoir résidé au Canada tout au long d’une année d’imposition dans certaines conditions. Cette disposition a été soulevée à l’audience, mais la Cour canadienne de l’impôt ne l’a pas examinée. Je serais d’accord pour dire qu’elle ne s’applique pas au présent appel.
[7]
Si la société n’est pas réputée avoir résidé au Canada aux termes du paragraphe 250(4) de la Loi, elle peut encore être une résidente du Canada en application de la common law. Or, c’est exactement la conclusion à laquelle la Cour canadienne de l’impôt est arrivée.
[8]
Pour déterminer la résidence de l’appelante, la Cour canadienne de l’impôt a appliqué le critère du centre de gestion et de contrôle que l’on trouve dans la common law (motifs du jugement, par. 29 à 42). Il n’est pas controversé entre les parties qu’il s’agit du critère à appliquer dans ce cas (The King c. British Columbia Electric Railway Co., [1945] C.T.C. 162; Crossley Carpets (Canada) Ltd. c. M.N.R. (1967), 67 D.T.C. 522; Fundy Settlement CAF et Fundy Settlement). En général, la résidence est une question de fait.
[9]
Les faits de l’espèce sont tirés du témoignage de la directrice, de l’un des actionnaires et d’un comptable agréé. Les éléments de preuve comprennent également un exposé conjoint partiel des faits et plusieurs pièces. La Cour canadienne de l’impôt a tiré plusieurs conclusions de fait et a conclu que l’appelante résidait au Canada pendant l’année 2009 au vu des éléments de preuve (motifs du jugement, par. 43 à 47).
[10]
Le dossier appuie la conclusion de fait de la Cour canadienne de l’impôt selon laquelle les actionnaires au Canada prenaient les décisions, et non la directrice qui résidait aux Pays-Bas. Suivent des exemples d’éléments de preuve concernant la prise de décision qui ont été examinés par la Cour canadienne de l’impôt : (i) la directrice était la sœur de l’un des actionnaires; (ii) elle n’avait aucune expérience agricole ni aucune expérience antérieure des affaires; (iii) elle payait les factures pour l’appelante conformément aux instructions des actionnaires; (iv) elle signait des documents pour donner effet à des décisions prises par les actionnaires; (v) elle n’a pas participé à la décision de disposer de la participation dans la société de personnes agricole; (vi) elle n’a pas participé à des échanges importants par courriel en 2009 entre les actionnaires au Canada et leurs conseillers établis au Canada ou aux Pays-Bas ou leur comptable canadien, visant à terminer la restructuration du portefeuille familial des actionnaires à des fins de planification fiscale (motifs du jugement, par. 7 et 43; mémoire des faits et du droit de l’intimée, par. 6, 10, 31, 33 et 36).
[11]
Dans sa plaidoirie concernant la résidence, l’appelante ajoute que, le ministre ayant accepté que l’appelante résidait aux Pays-Bas à l’égard des années d’imposition précédentes, il est lié par cette décision. Elle invoque la position du ministre de 1998 à 2008, qui a établi des cotisations à son égard à titre de non-résidente du Canada. L’appelante oppose la préclusion pour empêcher le ministre d’établir des cotisations à son égard à titre de résidente du Canada en 2009.
[12]
Je ne souscris pas à cette thèse.
[13]
Il est bien établi en droit que le principe de la préclusion ne peut être invoqué pour empêcher l’exercice d’une obligation légale (Ludmer c. Canada, [1995] 2 C.F. 3, p. 7, 8 et 10, 1994 CanLII 3547 [Ludmer]). Comme il a été énoncé à nouveau dans l’arrêt Ludmer, « le fait d’avoir accordé une déduction au cours d’une année en l’absence de toute disposition législative contraire n’empêche pas le ministre d’adopter une opinion différente au cours d’une année ultérieure. Une cotisation est définitive entre les parties seulement en ce qui concerne la cotisation établie pour l’année en cause »
(Ludmer, at par. 12).
[14]
En outre, le traitement par le ministre de faits semblables au cours des années précédentes ne lie pas la Cour. Comme il est indiqué au paragraphe 13 de l’arrêt Ludmer, « l’intimé n’est pas l’arbitre de ce qui est fondé ou non en matière de droit fiscal »
. Par conséquent, même si la Cour canadienne de l’impôt n’a pas examiné l’argument de la préclusion dans ses motifs, elle est néanmoins parvenue à la bonne conclusion (motifs du jugement, par. 47).
[15]
Bref, quant à la question de la résidence, je suis d’avis que la Cour canadienne de l’impôt n’a commis aucune erreur manifeste et dominante en concluant que le centre de gestion et de contrôle de l’appelante en 2009 résidait au Canada. L’appelante résidait au Canada en 2009.
III.
À titre subsidiaire, si la Cour canadienne de l’impôt n’a commis aucune erreur en concluant que l’appelante résidait au Canada en 2009, a-t-elle fait fi à tort du paragraphe 128.1(1) de la Loi?
[16]
Étant d’accord avec la Cour canadienne de l’impôt pour dire que l’appelante résidait au Canada aux fins d’imposition en 2009, j’examine ensuite la question de savoir si elle a commis une erreur en concluant que « cette conclusion ne mène pas à une disposition réputée ou à une analyse du paragraphe 128.1(1), car il n’existe aucune preuve que l’appelante a effectivement cessé d’être une résidente des Pays‑Bas ou qu’elle a été prorogée en vertu du droit canadien »
(motifs du jugement, par. 55).
[17]
Les dispositions fiscales relatives à l’entrée au Canada figurant au paragraphe 128.1(1) de la Loi relèvent de la « Section F – Règles spéciale[s] applicables en certains cas »
. Dans le cas qui nous occupe, il s’agit d’un « Changement de résidence »
. Le paragraphe 128.1(1) est reproduit à l’annexe A des présents motifs.
[18]
Le paragraphe 128.1(1) s’applique lorsque le contribuable devient un résident du Canada. L’alinéa b) prévoit que, sauf certaines exceptions, le contribuable est réputé avoir disposé de chaque bien lui appartenant immédiatement avant d’entrer au Canada, pour un produit égal à sa juste valeur marchande. L’alinéa c) prévoit que le contribuable est réputé avoir acquis de nouveau les biens à la même juste valeur marchande. Ainsi, un nouveau coût de base est établi pour les biens du contribuable au moment de son entrée au Canada. L’objectif est d’éviter d’imposer au Canada des gains qui ont été accumulés avant l’immigration ou l’entrée au Canada du contribuable.
[19]
L’appelante a eu raison d’affirmer, au paragraphe 69 de son mémoire des faits et du droit, que le paragraphe 128.1(1) de la Loi prévoit seulement les conséquences de l’acquisition de la résidence au Canada par le contribuable. Il n’exige pas que le contribuable cesse d’être un résident de son État d’origine avant l’application des règles sur les dispositions réputées qui sont établies au paragraphe 128.1(1) de la Loi.
[20]
Par conséquent, j’estime que la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur en déterminant que le paragraphe 128.1(1) de la Loi ne s’appliquait pas pour le motif que rien ne démontre que l’appelante a effectivement cessé d’être une résidente des Pays-Bas ou qu’elle a été prorogée en application du droit canadien.
IV.
La Cour canadienne de l’impôt a-t-elle commis une erreur en omettant d’appliquer la disposition 4(3) de la Convention?
[21]
Le terme « traité fiscal »
est défini au paragraphe 248(1) de la Loi en ces termes « [un] accord ou [une] convention général visant l’élimination de la double imposition du revenu, conclu entre le gouvernement du Canada et le gouvernement d’un autre pays, qui a force de loi à ce moment ». La Convention invoquée dans le présent appel est un traité fiscal qui a été conclu entre le Canada et les Pays-Bas et incorporé dans notre droit interne. En cas d’incohérence entre les dispositions de la Convention et celles de tout autre droit interne, les dispositions de la convention ont préséance (Convention entre le Canada et le Royaume des Pays-Bas en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu, L.C. 1986, ch. 48, partie I, article 4).
[22]
Avant d’examiner l’argument fondé sur la disposition 4(3) de la Convention, il importe d’examiner l’objet général de ce traité et les autres articles qui s’appliquent au présent appel.
[23]
Le titre et le préambule de la Convention indiquent qu’elle a pour objet de constituer un accord entre le gouvernement du Royaume des Pays-Bas et le gouvernement du Canada, en vue d’éliminer la double imposition et de prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu. L’un des objets de la convention est de fournir un certain dégrèvement à l’égard de revenus autrement imposés par l’un ou l’autre des États en évitant la double imposition.
[24]
L’article 3 de la convention définit certains termes. Par exemple, le terme « personne »
s’entend des personnes morales. Le terme « autorité compétente »
désigne, en ce qui concerne le Canada, le ministre du Revenu national ou son représentant autorisé. Aux Pays-Bas, il désigne le ministre des Finances ou son représentant autorisé. Le terme « État »
désigne le Canada ou les Pays-Bas. Le terme « États »
désigne le Canada et les Pays-Bas.
[25]
Le terme « résident »
est défini à la disposition 4(3) de la Convention en ces termes :
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[26]
L’exception de non-résidence présumée qui précède s’applique à l’article 13 de la Convention, qui traite en particulier des gains en capital.
[27]
À titre subsidiaire, l’appelante affirme devant la Cour, comme elle l’a affirmé devant la Cour canadienne de l’impôt, avoir été une résidente du Canada et des Pays-Bas en 2009. Elle soutient, sur le fondement du libellé de la disposition 4(3), qu’à défaut d’accord entre les autorités compétentes des deux États à l’égard de son imposition en 2009, elle est réputée n’être résidente d’aucun des États pour l’application de l’article 13.
[28]
En outre, au paragraphe 67 de son mémoire des faits et du droit, l’appelante prétend qu’une cotisation à l’égard de la disposition de la participation de l’appelante dans la société de personnes est subordonnée à un accord entre les autorités compétentes, puisqu’aux termes de la Convention, l’appelante est réputée n’être une résidente ni du Canada ni des Pays-Bas. Elle fait valoir que, jusqu’à ce que les autorités compétentes aient réglé la question, cette condition n’a pas encore été remplie. Partant, le ministre n’a pas démontré qu’il était habilité à établir une cotisation pour l’appelante à l’égard des gains qu’elle a accumulés à titre de résidente du Canada.
[29]
Selon la Cour canadienne de l’impôt, comme l’appelante était une résidente du Canada aux fins d’imposition, la Convention ne s’appliquait pas directement au présent appel (motifs du jugement, par. 52). Il s’agit d’une erreur, car si la Convention offrait une exception ou un dégrèvement à l’appelante, elle aurait préséance sur la Loi. La Cour canadienne de l’impôt n’a pas examiné les dispositions de la Convention et ne les a pas appliquées aux faits de l’espèce.
V.
Conclusion
[30]
Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel.
[31]
La Cour canadienne de l’impôt n’a commis aucune erreur de fait manifeste et dominante en concluant que l’appelante était une résidente du Canada aux fins d’imposition en 2009. Elle a commis une erreur en concluant que le paragraphe 128.1(1) de la Loi ne s’appliquait pas et en n’analysant pas cette disposition. Elle a également commis une erreur en concluant que, puisque l’appelante était une résidente du Canada aux fins d’imposition, la Convention n’avait aucune incidence directe sur l’appel en matière fiscale.
[32]
J’infirmerais la décision de la Cour canadienne de l’impôt et lui renverrais l’affaire pour nouvel examen à la lumière des présents motifs. J’accorderais les dépens à l’appelante.
« Marianne Rivoalen »
j.c.a.
« Je suis d’accord.
M. Nadon, j.c.a. »
« Je suis d’accord.
George R. Locke, j.c.a. »
Traduction certifiée conforme
Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste
ANNEXE « A »
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COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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Dossier :
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A-298-18
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INTITULÉ :
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LANDBOUWBEDRIJF BACKX B.V. c. SA MAJESTÉ LA REINE
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 30 octobre 2019
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MOTIFS DU JUGEMENT :
|
LA JUGE RIVOALEN
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Y ONT SOUSCRIT :
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LE JUGE NADON
LE JUGE LOCKE
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DATE DES MOTIFS :
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Le 12 décembre 2019
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COMPARUTIONS :
Sean C. Flaherty
Graham Morton
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Pour l’appelante
|
Joanna Hill
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Pour l’intimée
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
McKenzie Lake Lawyers LLP
London (Ontario)
|
Pour l’appelante
|
Nathalie G. Drouin
Sous-procureure générale du Canada
Ottawa (Ontario)
|
Pour l’intimée
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