Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20191218


Dossier : A-7-18

Référence : 2019 CAF 319

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

TASEKO MINES LIMITED

appelante

et

LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, GOUVERNEMENT DE LA NATION TSILHQOT’IN ET JOEY ALPHONSE, en son propre nom et au nom des autres membres de la Nation Tsilhqot’in

intimés

et

MINE ALERTE CANADA

intervenante

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 14 janvier 2019.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 18 décembre 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

 


Date : 20191218


Dossier : A-7-18

Référence : 2019 CAF 319

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

TASEKO MINES LIMITED

appelante

et

LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, GOUVERNEMENT DE LA NATION TSILHQOT’IN ET JOEY ALPHONSE, en son propre nom et au nom des autres membres de la Nation Tsilhqot’in

intimés

et

MINE ALERTE CANADA

intervenante

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DE MONTIGNY

[1]  L’appelante, Taseko Mines Limited (Taseko), interjette appel d’une décision de la Cour fédérale datée du 5 décembre 2017 rejetant sa demande de contrôle judiciaire du rapport final publié par la Commission fédérale (la Commission) le 31 octobre 2013 (le rapport final), dans lequel la Commission a conclu que le projet de mine d’or et de cuivre New Prosperity (le projet) est susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants (Taseko Mines Limited c. Canada (Environnement), 2017 CF 1099 [motifs]). L’appel connexe (A-6-18) porte sur la demande de contrôle judiciaire des décisions subséquentes par le ministre de l’Environnement (le ministre) et le gouverneur en conseil.

[2]  L’appelante soutient que les conclusions de la Commission sont déraisonnables et qu’en s’appuyant sur un document fourni par Ressources naturelles Canada sans lui donner la possibilité de répondre, la Commission a manqué à son obligation d’équité procédurale. Pour les motifs qui suivent, je conclus que le rapport final n’est pas susceptible de contrôle judiciaire et que le présent appel devrait donc être rejeté. Même si le rapport final avait été susceptible de contrôle, j’aurais quand même rejeté l’appel.

I.  Contexte factuel

[3]  Le projet est une mine d’or et de cuivre à ciel ouvert de 1,5 milliard de dollars proposée par Taseko, située à environ 125 km au sud-ouest de Williams Lake (Colombie-Britannique). Le projet est le successeur d’une autre mine proposée, Prosperity, qui avait été rejetée par le gouverneur en conseil en 2010 en application de l’ancienne Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37 [LCEE 1992] suite à une évaluation environnementale fédérale.

[4]  Dans la première version du projet, les déchets générés par le processus minier devaient être stockés dans un parc à résidus miniers directement adjacent à la mine. Cet emplacement suscitait des inquiétudes. Premièrement, il aurait fallu drainer le lac Fish (Teztan Biny), un site d’importance culturelle pour le gouvernement de la Nation Tsilhqot’in, qui abrite également des milliers de truites arc-en-ciel. Deuxièmement, la composition de la subsurface et l’écoulement de l’eau souterraine sur le site présentaient un risque que l’eau contaminée par les dommages aux formations rocheuses acides et la lixiviation des métaux s’infiltre hors du parc à résidus miniers.

[5]  La Commission fédérale chargée d’évaluer le projet Prosperity a finalement conclu qu’il entraînerait des effets environnementaux négatifs importants, effets qui, selon le gouverneur en conseil, ne pouvaient être atténués, en partie parce que ce projet détruirait complètement les lacs Fish et Little Fish (Y’anah Biny). Ce premier rapport de la Commission a été remis au ministre le 2 juillet 2010 et, en novembre 2010, le gouvernement du Canada a rejeté l’ancien projet, considérant qu’il ne pouvait être justifié dans les circonstances. Le gouverneur en conseil a néanmoins précisé que cela n’empêchait pas Taseko de soumettre un nouveau projet.

[6]  Taseko a révisé son projet et a soumis le projet de mine d’or et de cuivre New Prosperity pour examen en août 2011. En déplaçant le parc à résidus miniers 2,5 km en amont du lac, Taseko a cherché à préserver le lac Fish et certaines parties de ses affluents. De plus, le lac Fish serait endigué pour empêcher l’écoulement en aval dans la mine à ciel ouvert. Pour maintenir le niveau du lac Fish en l’absence de débits entrants naturels suffisants, Taseko a proposé un plan de gestion de l’eau de recirculation qui pomperait l’eau s’écoulant du lac dans ses canaux d’amenée.

[7]  Le 7 novembre 2011, le ministre a déterminé que le projet ferait l’objet d’une évaluation en application de l’ancienne Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 1992.

[8]  Le 16 mars 2012, l’Agence canadienne d’évaluation environnementale (l’Agence) a publié des lignes directrices sur le contenu de l’étude d’impact environnemental de Taseko concernant les conséquences potentielles du projet. Entre autres, ces lignes directrices indiquaient clairement que Taseko devait fournir un modèle approprié d’écoulement de l’eau souterraine pour le parc à résidus miniers et des descriptions de toute mesure de contrôle des fuites proposée.

[9]  Le 9 mai 2012, le ministre a formé une commission composée de trois membres en application de l’ancienne Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 1992, soit les Drs Bill Ross, George Kupfer et Ron Smyth. La Commission a été maintenue en application de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), L.C. 2012, ch. 19, art. 52 [LCEE 2012].

[10]  Le 3 août 2012, la Commission a reçu un mandat modifié conforme à la nouvelle LCEE 2012. Le mandat modifié précisait que la Commission devait tenir compte de certains facteurs dans son évaluation, notamment les effets environnementaux susceptibles de découler du projet, l’importance de ces effets environnementaux et les mesures d’atténuation que la Commission jugeait réalisables. Le 27 septembre 2012, Taseko a soumis son étude d’impact environnemental finale à la Commission.

[11]  Le 20 février 2013, la Commission a publié ses règles de procédures concernant les audiences publiques, qui énonçaient les exigences pour la tenue des audiences publiques relatives au projet. Les audiences portant sur un sujet particulier permettraient aux experts de présenter à la Commission les résultats de leur examen technique des effets potentiels du projet.

[12]  De septembre 2012 à juin 2013, la Commission a engagé des discussions avec les ministères, les groupes autochtones (y compris le gouvernement de la Nation Tsilhqot’in) et Taseko sur les mérites techniques et la pertinence de l’étude d’impact environnemental. Au cours de cet examen, Ressources naturelles Canada a indiqué ce qu’elle considérait comme étant des lacunes dans les modèles en 2D et en 3D utilisés par Taseko pour prédire les fuites du parc à résidus miniers et a soulevé des préoccupations concernant les mesures d’atténuation proposées par Taseko.

[13]  Les experts représentant d’autres participants ont soulevé des préoccupations similaires et supplémentaires, citant un manque de détails et une incertitude dans les documents de Taseko concernant les données hydrogéologiques et les mesures d’atténuation proposées, ainsi qu’une sous-estimation des fuites dans les estimations de Taseko. En raison de toutes ces préoccupations, la Commission a émis deux demandes d’information sur la question des fuites du parc à résidus miniers, enjoignant à Taseko d’élaborer un modèle en 3D plus complet.

[14]  Taseko a refusé de se conformer à ces demandes d’information, estimant que ces questions pouvaient être traitées après l’approbation du projet.

[15]  Le 14 juin 2013, Ressources naturelles Canada a signalé qu’elle était en train d’élaborer un modèle afin d’évaluer les fuites à partir du parc à résidus miniers, semblable à celui demandé par la Commission, et a proposé de mettre les conclusions de cette étude à la disposition de la Commission. La Commission a accepté cette offre le 21 juin 2013 et, le 4 juillet 2013, Ressources naturelles Canada a présenté son modèle en 3D.

[16]  Le 20 juin 2013, la Commission a décidé que l’étude d’impact environnemental, ainsi que les renseignements supplémentaires fournis par Taseko, étaient suffisants pour que l’évaluation environnementale puisse être soumise à des audiences publiques. Ces audiences ont commencé le 22 juillet 2013 et se sont terminées le 23 août 2013, lorsque les derniers arguments oraux ont eu lieu. Les audiences techniques portant sur un thème particulier se sont déroulées du 25 juillet au 1er août 2013.

[17]  Au cours des audiences, la Commission a entendu les témoignages de profanes et d’experts des parties intéressées, par le biais d’observations écrites et orales et de réponses aux questions de la Commission ou de Taseko. La fiabilité des recherches, des hypothèses et de la modélisation de Taseko concernant la perméabilité des résidus et des matériaux géologiques en question, et l’impact qui en résulte sur les estimations de Taseko en matière de fuites, a été une préoccupation majeure tout au long des discussions. Certains experts ont également soulevé des préoccupations concernant certaines analyses de la qualité de l’eau par Taseko.

[18]  Les préoccupations soulevées par Ressources naturelles Canada au sujet des fuites du parc à résidus miniers sont particulièrement pertinentes pour le présent appel. Dans les observations écrites soumises à la Commission le 19 juillet 2013 et au cours des présentations d’experts qui ont suivi, Ressources naturelles Canada a réitéré ses préoccupations antérieures concernant les lacunes de l’étude d’impact environnemental produite par Taseko. Le 26 juillet 2013, un des experts de Ressources naturelles Canada a déconseillé d’accepter la proposition de Taseko d’ajouter les résultats de ses modèles en 2D et en 3D pour en arriver à une estimation globale des fuites. L’expert a affirmé que l’estimation de Ressources naturelles Canada des fuites du parc à résidus miniers révélait une différence de plus d’un ordre de grandeur (facteur de 10) par rapport à l’estimation de Taseko. Toutefois, les parties ne s’entendent pas si l’expert de Ressources naturelles Canada a changé d’avis après avoir été interrogé par Taseko et la Commission.

[19]  Le 20 août 2013, Taseko a demandé qu’on lui accorde [traduction] « au moins quelques jours » pour évaluer toute soumission technique supplémentaire des parties intéressées qui pourrait être acceptée par la Commission à cette étape et y répondre. La Commission a accédé à cette demande le même jour.

[20]  Le 21 août 2013, dernier jour des audiences publiques avant les plaidoiries finales, plusieurs participants ont fourni des présentations techniques supplémentaires à la Commission, qui les a ensuite mises à la disposition de Taseko. L’une d’entre elles était un Mémorandum technique de Ressources naturelles Canada fournissant des éclaircissements sur les lacunes présumées des deux modèles de Taseko. Entre autres choses, ce document cherchait à répondre à l’affirmation finale de Taseko selon laquelle les résultats du modèle de Ressources naturelles Canada n’étaient [traduction] « pas considérablement différents » des siens.

[21]  Le 23 août 2013, Taseko a eu l’occasion d’être la dernière partie à présenter des observations finales, ce qu’elle a fait par le biais d’observations orales et écrites. Bien qu’elle se soit dite surprise qu’Environnement Canada et Ressources naturelles Canada ne fussent pas d’accord avec sa position sur les fuites, elle n’a pas contesté le contenu du Mémorandum technique et ne s’est pas opposée à sa soumission à la Commission. Il convient également de noter qu’entre les 28 et 29 août 2013, Taseko a déposé quatre documents distincts auprès de la Commission, en réponse à diverses observations présentées par d’autres participants.

II.  Décision de la Commission fédérale

[22]  Le 31 octobre 2013, la Commission a publié son rapport final. Elle a conclu que le projet entraînerait plusieurs effets environnementaux négatifs importants sur la qualité de l’eau, les poissons et l’habitat des poissons dans le lac Fish. De plus, elle a conclu que le projet aurait des répercussions sur l’utilisation actuelle des terres et des ressources à des fins traditionnelles par certains groupes autochtones. Ces conclusions étaient notamment fondées sur trois des constatations de la Commission : premièrement, Taseko avait sous-estimé le volume de fuites des rejets d’eau interstitielle quittant le parc à résidus miniers, [traduction] « entraînant un emmagasinage potentiellement plus élevé de contaminants dans l’environnement récepteur »; deuxièmement, l’impact sur la qualité de l’eau causé par la recirculation de l’eau; et troisièmement, l’incertitude quant au plan d’urgence prévu par Taseko pour le traitement de l’eau.

[23]  La Commission a résumé sa conclusion concernant la qualité de l’eau dans les deux paragraphes suivants de son résumé :

[traduction]

La Commission a déterminé, à partir des nombreux éléments de preuve présentés par les organismes gouvernementaux (à la fois du Canada et de la Colombie-Britannique) et par d’autres participants, que Taseko a sous-estimé le volume des fuites d’eau interstitielle provenant de l’installation de stockage des résidus ainsi que les impacts sur la qualité de l’eau entraînés par la recirculation des eaux dans le réseau du lac Fish (Teztan Biny) et du ruisseau Upper Fish (Teztan Yeqox). La Commission a également établi qu’une grande incertitude subsiste à l’égard du plan de mesures d’urgence de Taseko en ce qui concerne le traitement de l’eau. Encore une fois, cette conclusion a été tirée à partir des nombreux éléments de preuve fournis par les gouvernements et d’autres participants. La Commission a déterminé que les objectifs visés par Taseko pour la qualité de l’eau du lac Fish avaient peu de chances d’être réalisés et qu’il était peu probable, malgré les coûteuses mesures de traitement de l’eau, que la protection de la qualité de l’eau du lac Fish soit efficace à long terme.

Bien que les mesures proposées par Taseko pour limiter les fuites d’eau soient susceptibles de réduire considérablement le volume de fuites d’eau, la Commission conclut qu’elles ne permettraient pas d’empêcher une partie de cette eau de rejoindre le lac Fish (Teztan Biny). La Commission conclut que la concentration de contaminants préoccupants dans le lac Fish dépasserait largement les prédictions émises par Taseko et que l’eutrophisation du lac Fish serait un problème important qui risque de ne pas pouvoir être atténué à long terme.

Rapport final, pages ix et x (dossier d’appel, vol. 3, pages 1476 et 1477)

[24]  Taseko a demandé à la Cour fédérale un contrôle judiciaire du rapport final. Elle a fait valoir que la Commission n’avait pas respecté les principes d’équité procédurale en acceptant le Mémorandum technique de Ressources naturelles Canada et en s’y fiant sans donner à Taseko la possibilité d’y apporter réponse. Taseko a également fait valoir que la Commission avait pris des décisions déraisonnables concernant les fuites prévues du parc à résidus miniers et la qualité de l’eau.

[25]  Le 25 février 2014, une déclaration a été publiée pour communiquer les décisions du ministre et du gouverneur en conseil en application de l’article 52 de la LCEE 2012. Le ministre a déterminé que le projet était susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants, et le gouverneur en conseil a conclu que ces effets n’étaient pas justifiés. Le dossier connexe (A-6-18) traite de ces décisions.

III.  Décision de la Cour fédérale

[26]  Le 5 décembre 2017, la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire.

[27]  Sur la question de l’équité procédurale, le juge a conclu qu’on devait à Taseko « et [qu’]on lui a effectivement accordé, un degré élevé d’équité procédurale lors du processus du contrôle » (motifs, au paragraphe 46). À son avis, la Commission n’a pas manqué à cette obligation en acceptant le Mémorandum technique et en se fondant sur celui-ci, car, premièrement, ce document ne contenait pas de nouveaux renseignements (ibid., aux paragraphes 55 à 58) et, deuxièmement, Taseko a eu la possibilité de répondre après avoir reçu une copie du Mémorandum technique (ibid., aux paragraphes 58 à 64).

[28]  Le juge a également rejeté les arguments de Taseko selon lesquels la Commission avait enfreint les règles de procédure régissant les audiences publiques (ibid., au paragraphe 69). La décision de Taseko de « ne pas répondre concrètement » au Mémorandum technique « ne constitue pas une infraction à des attentes légitimes alléguées » (ibid., au paragraphe 73). Le juge a également exprimé des doutes quant à savoir si « Taseko a subi un préjudice en raison des prétendues irrégularités procédurales qu’elle a identifiées » (ibid., au paragraphe 74).

[29]  Le juge a ajouté qu’elle avait l’obligation d’aborder ces préoccupations avec la Commission. Il ne lui appartenait pas de « garder cette plainte en réserve pour alimenter le contrôle judiciaire » (ibid., au paragraphe 75). Non seulement Taseko n’a jamais prétendu, à aucun moment au cours du processus d’examen, que le Mémorandum technique constituait une nouvelle preuve, mais elle n’a jamais non plus soutenu que le défaut de Ressources naturelles Canada d’identifier l’auteur individuel constituait un manquement à l’équité procédurale (ibid., au paragraphe 78).

[30]  Passant aux questions de fond, le juge a conclu qu’il était raisonnable pour la Commission de conclure que Taseko avait sous-estimé le volume de fuites des résidus d’eau interstitielle quittant le parc à résidus miniers (ibid., au paragraphe 84). Contrairement à l’argument de Taseko selon lequel le tableau 5 du rapport final (« Comparaison des estimations des fuites prises du Mémorandum technique de Ressources naturelles Canada à la Commission en date du 21 août 2013 » [tableau 5]) est une mauvaise interprétation de l’estimation de Taseko des fuites provenant du parc à résidus miniers, le juge a conclu qu’il ne fournissait qu’un résumé de la position de Ressources naturelles Canada, plutôt que les conclusions de la Commission (ibid., au paragraphe 86). Il a en outre conclu que les différences relevées dans ce tableau « représent[aient] en réalité des désaccords scientifiques » entre Ressources naturelles Canada et Taseko au sujet des modèles de l’étude d’impact environnemental, plutôt que des « erreurs » (ibid., au paragraphe 87). Il a noté, en outre, que la Commission ne semblait pas s’être appuyée sur les comparaisons de ce tableau pour parvenir à sa conclusion (ibid., au paragraphe 91). Le juge a donc rejeté l’allégation de Taseko selon laquelle cette conclusion de sous-estimation était fondée sur une mauvaise compréhension de son estimation des fuites du parc à résidus miniers et a rejeté ce qu’il considérait comme des « tentatives de Taseko d’introduire l’ambiguïté dans les conclusions [de la Commission] » (ibid., au paragraphe 97).

[31]  La Cour a ensuite examiné la question de savoir s’il était raisonnable pour le groupe d’experts d’accepter l’estimation supérieure de Ressources naturelles Canada comme le taux de fuites anticipé du parc à résidus miniers. La Cour a conclu que l’examen approfondi par la Commission des observations présentées par toutes les parties intéressées « est plus que suffisant pour appuyer » ses conclusions finales (ibid., au paragraphe 101). Quant à la décision de la Commission de rejeter les mesures d’atténuation de Taseko, le juge a conclu que, même si le raisonnement aurait pu être plus clair, le dossier soutient la conclusion de la Commission. Il était raisonnable pour la Commission, a écrit le juge, d’exiger plus que des mesures d’atténuation « conceptuelle[s] et non prouvée[s] » avant l’approbation du projet (ibid., au paragraphe 102). En fin de compte, le juge a conclu que rien n’indiquait que la Commission avait mal évalué le modèle de Ressources naturelles Canada plutôt que le modèle proposé; comme il l’a déclaré, « la simple préférence d’un modèle sur un autre ne suffit pas pour établir que [la Commission] a évalué la « mauvaise conception » » (ibid., au paragraphe 106).

[32]  La dernière question traitée par la Cour a été la contestation par Taseko de la conclusion de la Commission selon laquelle la concentration des variantes de la qualité de l’eau dans le lac Fish (Teztan Biny) et le lac Wasp aurait probablement un effet environnemental négatif important. La Cour a conclu que le fait que la Commission se soit fondée sur les conclusions contestées concernant les fuites pour tirer une conclusion sur la qualité de l’eau était raisonnable, car les conclusions contestées elles-mêmes ont été jugées raisonnables (ibid., au paragraphe 116). De plus, le juge a affirmé que les conclusions de la Commission sur la qualité de l’eau étaient appuyées non seulement par les estimations de Ressources naturelles Canada sur les fuites, mais aussi par d’autres témoignages d’experts ainsi que par l’admission de Taseko elle-même que la qualité de l’eau ne serait pas conforme aux recommandations (ibid., au paragraphe 117).

[33]  Pour tous les motifs susmentionnés, la Cour a conclu que la Commission n’avait enfreint aucun principe d’équité procédurale et que les conclusions factuelles de la Commission étaient raisonnables.

IV.  Questions

[34]  Le présent appel soulève deux questions de fond : 1) Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que les conclusions contestées de la Commission étaient raisonnables? 2) Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que la Commission n’a pas manqué à son obligation en matière d’équité procédurale?

[35]  À titre préliminaire, nous devons déterminer si le rapport final peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire à la lumière des décisions de la Cour dans l’arrêt Nation Gitxaala c. Canada, 2016 CAF 187, [2016] 4 R.C.F. 418, aux paragraphes 119 à 127 [arrêt Nation Gitxaala], demande d’autorisation de l’appel devant la CSC rejetée, 37201 (9 février 2017), et l’arrêt Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 153, [2018] 3 CNLR 205, aux paragraphes 170 à 203 [arrêt Trans Mountain].

V.  Analyse

A.  Question préliminaire : Le rapport final de la Commission est-il susceptible de contrôle judiciaire?

[36]  Il est généralement admis que les demandes de contrôle judiciaire ne concernent pas seulement les décisions et les ordonnances, mais qu’elles peuvent également être présentées lorsque l’acte contesté a pour effet « de porter atteinte à des droits, d’imposer des obligations juridiques [et] d’entraîner des effets préjudiciables » (Sganos c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 84, au paragraphe 6; Air Canada c. Administration portuaire de Toronto et autres, 2011 CAF 347, [2013] 3 R.C.F. 605, au paragraphe 29; Démocratie en surveillance c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 194, aux paragraphes 28 et 29). En se fondant sur ce principe, la Cour a conclu que les rapports de l’Office national de l’énergie ne sont que des recommandations au gouverneur en conseil et, comme ils n’ont aucun effet juridique ou pratique indépendant, ils ne sont donc pas susceptibles de contrôle (arrêts Nation Gitxaala et Trans Mountain). Pour les motifs suivants, je crois que le même raisonnement s’applique ici.

[37]  À première vue, les décisions dans les arrêts Nation Gitxaala et Trans Mountain semblent tenir ici, puisque les recommandations faites par la Commission ne sont pas contraignantes pour le ministre. Néanmoins, à l’audience, les avocats des deux parties ont fait valoir que le régime législatif en jeu ici est sensiblement différent de celui qui régit les deux affaires susmentionnées et que ces différences justifient un résultat différent. Dans l’affaire Nation Gitxaala, le rapport contesté était celui d’une commission d’examen conjoint agissant en application de la Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. 1985, ch. 19 et de la LCEE 2012; dans l’affaire Trans Mountain, l’Office national de l’énergie a été chargé d’évaluer le projet en application des deux lois. Par conséquent, la commission d’examen conjoint, dans l’affaire Nation Gitxaala, et l’Office, dans l’affaire Trans Mountain, avaient un double mandat. Le premier mandat, aux termes du paragraphe 52(1) de la Loi sur l’Office national de l’énergie, consistait à présenter un rapport à un ministre coordonnateur, aux fins de transmission au gouverneur en conseil, où figure une recommandation à savoir si un certificat d’approbation d’un projet de pipeline devait être accordé ou non et, le cas échéant, à quelles conditions. Deuxièmement, comme le projet à l’étude (la construction d’un pipeline) était considéré comme un « projet désigné » au sens de la LCEE 2012, le rapport devait également comprendre des recommandations découlant de l’évaluation environnementale effectuée en application des lois (aux paragraphes 53(3) de la Loi sur l’Office national de l’énergie et 29(1) de la LCEE 2012).

[38]  En application de ce régime législatif, le gouverneur en conseil seul peut déterminer « si le processus de regroupement, d’analyse, d’évaluation et d’étude est lacunaire au point que le rapport ne se qualifie pas comme un « rapport » au sens de la législation » (arrêt Nation Gitxaala, au paragraphe 124). En fait, bien que le paragraphe 29(3) de la LCEE 2012 dispose que le rapport relatif à l’évaluation environnementale est « définitif et sans appel », il précise toujours qu’il est assujetti à l’article 30, qui prévoit que le gouverneur en conseil peut renvoyer ce rapport (ou une partie de celui-ci) à l’Office national de l’énergie (ou à la commission d’examen conjoint, en cette espèce) pour réexamen.

[39]  De même, le paragraphe 52(11) de la Loi sur l’Office national de l’énergie prévoit que le certificat est également « définitif et sans appel », sous réserve du pouvoir de réexamen du gouverneur en conseil prévu à l’article 53 de la Loi sur l’Office national de l’énergie.

[40]  Dans l’arrêt Nation Gitxaala, la Cour a conclu que le régime législatif « révèle que, en matière d’examen, c’est le gouverneur en conseil qui est le seul véritable décideur » (au paragraphe 120). Plus précisément, elle a écrit ceci :

[121] Avant que le gouverneur en conseil décide, d’autres personnes regroupent les renseignements, les analysent, les évaluent, les étudient et préparent un rapport qui énonce des recommandations que le gouverneur en conseil examine, puis décide ou non de les appliquer. Dans ce régime, seul le gouverneur en conseil décide.

[122] Précisons que l’évaluation environnementale visée par la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) ne joue aucun rôle si ce n’est que faciliter l’élaboration des recommandations soumises au gouverneur en conseil afin qu’il prenne en considération le contenu de toute déclaration et s’il doit donner instruction qu’un certificat approuvant le projet soit délivré.

[123] Il s’agit d’un rôle très mince, différent du rôle joué par les évaluations environnementales prévues dans d’autres régimes décisionnels fédéraux. [...]

[124] En vertu de ce régime législatif, le gouverneur en conseil seul peut déterminer si le processus de regroupement, d’analyse, d’évaluation et d’étude est lacunaire au point que le rapport ne se qualifie pas comme un « rapport » au sens de la législation :

  Dans le cas d’un rapport ou de parties de rapport concernant l’évaluation environnementale, le paragraphe 29(3) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) prévoit que celui-ci est « définitif et sans appel », mais ceci sous réserve des articles 30 et 31. Les articles 30 et 31 prévoient que le gouverneur en conseil examine le rapport et, s’il l’ordonne, un réexamen sera fait et un rapport de réexamen lui sera soumis.

  Dans le cas d’un rapport établi au titre de l’article 52 de la Loi sur l’Office national de l’énergie, le paragraphe 52(11) de la Loi sur l’Office national de l’énergie prévoit que celui-ci est également « définitif et sans appel », « [s]ous réserve des articles 53 et 54 » cependant. Ces articles habilitent le gouverneur en conseil à examiner le rapport et à décider ce qu’il faut en faire.

[125] Dans le cas qui nous occupe, plusieurs parties ont présenté des demandes de contrôle judiciaire à l’égard du rapport de la Commission d’examen conjoint. Dans le cadre du régime législatif applicable en l’espèce, ces demandes de contrôle judiciaire n’étaient pas recevables. Aucune décision sur des intérêts juridiques ou pratiques n’avait été rendue. Selon le régime législatif applicable en l’espèce, comme il a déjà été mentionné, toute lacune dans le rapport de la Commission d’examen conjoint devait être examinée uniquement par le gouverneur en conseil et non par la Cour. Par conséquent, ces demandes de contrôle judiciaire doivent être rejetées.

[41]  Cette question s’est posée à nouveau dans l’arrêt Trans Mountain, où la Cour a réitéré ces principes :

[179] Dans l’arrêt Gitxaala, la Cour conclut que le seul acte qui entraîne des conséquences juridiques est la décision du gouverneur en conseil. L’évaluation environnementale effectuée par la commission d’examen conjoint sous le régime de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) n’avait pas d’incidence sur des intérêts juridiques et n’entraînait pas de conséquences juridiques. Au contraire, l’évaluation ne jouait « aucun rôle si ce n’est que faciliter l’élaboration des recommandations soumises au gouverneur en conseil » (motifs, paragraphe 122). On pourrait en dire autant du reste du rapport préparé sous le régime de la Loi sur l’Office national de l’énergie.

[180] Autrement dit, compte tenu du régime législatif mis en place par le législateur, le rapport de la commission d’examen conjoint constituait un ensemble de recommandations faites au gouverneur en conseil dénuées d’effet juridique indépendant ou pratique. Il s’ensuivait que ce document n’était pas susceptible de contrôle judiciaire.

[42]  En l’espèce, tant l’appelante que les intimés gouvernementaux (le ministre et le procureur général du Canada) soutiennent que le régime législatif en cause dans les affaires Nation Gitxaala et Trans Mountain diffère sur un aspect essentiel de celui qui s’applique en l’espèce. Dans ces affaires, la Cour abordait un code complet comportant un recours interne efficace prévu par le régime. Dans la mesure où le gouverneur en conseil pouvait renvoyer à ces autorités toute recommandation de la commission d’examen conjoint ou de l’Office national de l’énergie aux fins de réexamen, un mécanisme était prévu pour remédier à toute lacune perçue. Dans ce contexte, une demande de contrôle judiciaire visant le rapport aurait été incompatible avec le régime législatif et aurait entravé la fonction de révision du gouverneur en conseil. À leur avis, cette situation diffère du cadre législatif régissant l’évaluation environnementale du projet, qui ne permet pas un réexamen par la commission d’examen conjoint, mais qui prévoit simplement que le ministre peut demander à la commission d’examen de « clarifier » les conclusions et les recommandations énoncées dans son rapport (à l’alinéa 43(1)f) de la LCEE 2012). Chaque étape est donc segmentée et autonome, et les répercussions juridiques du rapport final sont plus importantes que si elles pouvaient être examinées à la demande du ministre.

[43]  Après avoir dûment examiné cet argument, je me sens tenu de le rejeter essentiellement pour les motifs énoncés dans l’arrêt Trans Mountain. La distinction entre les deux régimes, soulignée par les parties, ne change rien au fait que le rapport final, en soi, ne touche aucun droit et n’entraîne aucune conséquence juridique (arrêt Trans Mountain, aux paragraphes 179 et 180; arrêt Nation Gitxaala, aux paragraphes 121 à 123 et 125). Que l’on puisse ou non demander à la Commission d’examiner ses conclusions et ses recommandations, le rapport final ne sert qu’à aider le ministre (ou le gouverneur en conseil) à prendre ses décisions. Compte tenu des précédents susmentionnés et de la décision de la Cour dans l’arrêt Jada Fishing Co. Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2002 CAF 103, 41 Admin L.R. (3d) 281, au paragraphe 12, je conclus que le rapport final n’est pas susceptible de contrôle judiciaire.

[44]  Un pouvoir de réexamen du type de celui prévu au paragraphe 29(3) de la LCEE 2012 et à l’article 53 de la Loi sur l’Office national de l’énergie n’est pas important pour déterminer si un rapport d’un organisme consultatif peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire. L’explication donnée par cette Cour dans l’arrêt Trans Mountain, quant à la raison pour laquelle le renvoi aux articles 29 à 31 de la LCEE 2012 dans l’arrêt Nation Gitxaala était erroné, le confirme. La ville de Vancouver avait soutenu qu’une distinction pouvait être faite entre l’affaire Nation Gitxaala et l’affaire Trans Mountain parce que l’évaluation environnementale dans l’affaire Nation Gitxaala avait été établie en application de l’article 40 de la LCEE 2012 (conformément au paragraphe 126(1) de la même loi), et que la Cour avait donc commis une erreur en faisant référence aux articles 30 et 31 de cette loi. La Cour a reconnu que les articles 29 à 31 de la LCEE 2012 ne s’appliquaient pas au projet Northern Gateway et qu’elle n’aurait pas dû renvoyer à ces articles au paragraphe 124 de l’arrêt Nation Gitxaala. Cela étant dit, la Cour a également conclu que l’erreur n’était pas importante pour l’analyse des rôles respectifs de la commission d’examen conjoint et du gouverneur en conseil, puisque les dispositions législatives pertinentes applicables à ce projet ont le même effet que les articles 29 et 31 de la LCEE 2012. Quant à l’article 30 (portant sur le réexamen), qui n’a pas d’équivalent dans le régime législatif applicable au projet Northern Gateway, la Cour a conclu qu’il n’était pas pertinent parce qu’il ne s’appliquait pas à l’évaluation environnementale examinée dans l’arrêt Nation Gitxaala. En outre, « et fait plus important, l’article 30 n’a joué aucun rôle important dans l’analyse de la Cour » (arrêt Trans Mountain, au paragraphe 195). À mon avis, cela confirme une fois de plus que le pouvoir de demander un réexamen à l’autorité responsable (en l’espèce, la Commission) n’est pas d’une importance capitale pour décider si un rapport peut être contesté par voie de contrôle judiciaire.

[45]  Cela ne signifie pas qu’un tel rapport est à l’abri d’un contrôle judiciaire. En fait, il peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire, mais seulement dans le cadre d’une procédure de contrôle judiciaire intentée contre la décision du ministre ou du gouverneur en conseil, pour s’assurer qu’il s’agit d’un « rapport » sur lequel ils peuvent s’appuyer. Comme la Cour l’a déclaré dans l’arrêt Trans Mountain, au paragraphe 201 :

La Cour doit être convaincue que la décision du gouverneur en conseil est conforme à la loi, raisonnable et constitutionnelle. Si la décision du gouverneur en conseil repose sur un rapport qui comporte d’importantes lacunes, elle peut être annulée pour ce motif. Autrement dit, aux termes de la loi, le gouverneur en conseil ne peut agir que s’il dispose d’un « rapport ». Or, un rapport qui comporte des lacunes importantes, par exemple s’il ne répond pas aux normes législatives, ne constitue pas un tel rapport. Dans ce contexte, on peut contrôler le rapport de l’Office pour vérifier qu’il s’agit d’un « rapport » sur lequel le gouverneur en conseil peut à bon droit fonder sa décision.

[46]  En effet, je constate que c’est précisément ce que le juge semble avoir fait au paragraphe 121 de ses motifs dans l’appel connexe. Je pourrais donc m’arrêter ici, et rejeter cette demande de contrôle judiciaire au motif que le rapport final n’est pas justiciable. Je vais néanmoins traiter des observations de l’appelante, car elles auraient pu (et auraient dû) être soumises dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire des décisions subséquentes du ministre et du gouverneur en conseil.

B.  Questions de fond

1)  Le juge a-t-il commis une erreur en décidant que les conclusions contestées de la Commission étaient raisonnables?

[47]  Lorsqu’elle examine une décision rendue à la suite d’un contrôle judiciaire, une cour d’appel doit se mettre à la place du tribunal inférieur et se concentrer sur la décision administrative elle-même. La question pour notre Cour est donc de savoir si le juge saisi de la demande a choisi la norme de contrôle appropriée et l’a appliquée correctement (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, aux paragraphes 45 et 46; Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2015 CAF 273, [2016] 3 R.C.F. 33, au paragraphe 14; Prairie Acid Rain Coalition c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2006 CAF 31, [2006] 3 R.C.F. 610, au paragraphe 14; Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, [2012] 1 R.C.S. 23, au paragraphe 247; Ontario Power Generation Inc. c. Greenpeace Canada, 2015 CAF 186, 388 D.L.R. (4th) 685, au paragraphe 33). En l’espèce, je conviens avec les parties que le juge saisi de la demande a défini les normes d’examen appropriées : la norme de la décision raisonnable lors de l’examen des conclusions de la Commission concernant les fuites et la qualité de l’eau, et la norme de la décision correcte lorsqu’il s’agit de déterminer si la Commission n’a pas respecté les principes d’équité procédurale en acceptant le Mémorandum technique.

[48]  En ce qui concerne les décisions de fond de la Commission, il est bien établi que les interprétations que font les décideurs de leur propre loi constitutive, dont ils ont une connaissance approfondie, appellent à la déférence (Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, [2016] 2 R.C.S. 293, au paragraphe 22; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, au paragraphe 34). Le caractère raisonnable tient à la « justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité », ainsi qu’à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47 [arrêt Dunsmuir]).

[49]  Quant aux questions d’équité procédurale, la Cour a toujours conclu qu’elles pouvaient être examinées selon la norme de la décision correcte (Del Vecchio c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 168, aux paragraphes 3 et 4; Kwan v. Amex Bank of Canada, 2018 FCA 189, au paragraphe 11; Gupta c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 211, aux paragraphes 28 et 29; Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502, au paragraphe 79). Bien qu’il y ait des exceptions à cette règle, par exemple lorsque le juge tire des conclusions de fait initiales (Apotex Inc. c. Canada (Santé), 2018 CAF 147, 157 C.P.R. (4th) 289, aux paragraphes 57 et 58), elles ne s’appliquent pas en l’espèce.

a)  Tableau 5 et estimations des fuites

[50]  Une grande partie de l’argument de l’appelante concernant la prétendue mauvaise compréhension par la Commission du taux de fuites anticipé du parc à résidus miniers portait sur l’utilisation qu’elle avait faite du résumé comparatif des estimations des fuites préparé par Ressources naturelles Canada et reproduit au tableau 5 du rapport final, à la page 60 :

[traduction]

Tableau 5. Comparaison des estimations des fuites prises du Mémorandum technique de Ressources naturelles Canada à la Commission en date du 21 août 2013

[blank][[BLANK]

Estimations de Taseko (s’appuyant sur deux modèles différents)

Scénario de référence de Ressources naturelles Canada, s’appuyant sur son modèle en 3D

Fuites par le fond du parc à résidus miniers après la fermeture

9 L/s (760 m3/j)

D’après le modèle en 3D

100 L/s (8 650 m3/j)

Fuites de la digue principale (vers le lac Fish)

28 L/s (2 420 m3/j)

D’après le modèle en 2D

58 L/s (5 087 m3/j)

Fuites des digues sud et ouest

27 L/s (2 333 m3/j)

D’après le modèle en 2D

29 L/s (2 552 m3/j)

Fuites du bassin profond (supérieur à 200 mètres au-dessous du niveau du sol)

O L/s

(Ressources naturelles Canada prétend que le modèle en 2D de Taseko écarte la possibilité de cette composante du flux)

20 L/s (1 699 m3/j)

[51]  L’appelante prétend que le tableau 5 n’est pas une [traduction] « matrice cohérente » puisqu’il compare des pommes à des oranges, dans la mesure où la première ligne, plus précisément, est l’estimation de Taseko (9 L/s) des fuites par le fond du parc à résidus miniers après la fermeture, alors que l’estimation de Ressources naturelles Canada (100 L/s) représente les fuites totales à partir du parc à résidus miniers (les chiffres ne totalisent pas 100 parce qu’ils comprennent l’écoulement naturel des eaux souterraines). Taseko affirme également que le tableau 5 ne représente pas avec exactitude sa propre estimation des fuites du bassin profond de 15 L/s (par opposition à 0 L/s), à la dernière ligne. Cela porte l’estimation totale de Taseko à 70 L/s, comparativement aux 100 L/s de Ressources naturelles Canada. Contrairement à la conclusion du juge, Taseko soutient que la Commission a mal interprété la preuve et s’est appuyée sur la comparaison erronée fournie par Ressources naturelles Canada dans le tableau 5 pour conclure qu’il existe [traduction] « une preuve solide que les fuites du parc à résidus miniers seraient considérablement plus élevées que l’estimation de Taseko » (rapport final, page 64; dossier d’appel, vol. 3, page 1543).

[52]  L’appelante ne m’a pas convaincu que le rejet de son estimation par la Commission était déraisonnable. Tout d’abord, comme l’ont fait remarquer les intimés, le ministre et le procureur général, la Commission s’est fondée sur plusieurs facteurs pour rejeter les estimations de Taseko, et pas seulement sur le tableau 5. En effet, le dossier présenté à la Commission montre que Ressources naturelles Canada et divers experts ont fourni des éléments de preuve fiables expliquant les limites et le manque de fiabilité du modèle en 2D de Taseko pour calculer une estimation globale des fuites. Cependant, Taseko ne conteste pas l’importance de ces facteurs sur l’exactitude des estimations des fuites, ni la conclusion de la Commission selon laquelle le modèle de Taseko n’en a pas tenu compte.

[53]  En outre, Taseko a refusé à deux reprises de fournir à la Commission un modèle en 3D plus complet, préférant aller de l’avant en se fondant sur son propre modèle. Par conséquent, la Commission a dû accepter l’offre de Ressources naturelles Canada de créer le type de modèle en 3D qu’elle avait demandé à Taseko. Il était permis à la Commission d’en tenir compte dans son évaluation des estimations de Taseko et de Ressources naturelles Canada.

[54]  En ce qui concerne le tableau 5 lui-même, les points suivants peuvent être soulevés. Premièrement, comme le juge l’a mentionné à juste titre au paragraphe 82 de ses motifs, la Commission a correctement indiqué les estimations des fuites totales de l’appelante (70 L/s) au tableau 3 du rapport final (dossier d’appel, vol. 3, page 1535), reproduit sous la rubrique [traduction] « Évaluation du promoteur » (dossier d’appel, vol. 3, page 1531). Le tableau 3 présente un résumé des estimations de Taseko sur la récupération globale des fuites, ainsi que les mesures d’atténuation :

[traduction]

Tableau 3. Estimations de la récupération globale des fuites d’eau

[blank][BLANK]

Fuites totales

(L/s)

 

Récupération des fuites d’eau (L/s)

(mesures d’atténuation)

Fuites non captées

(L/s)

Digue principale

28,1

18,3 (puits de dépressurisation des digues)

4,9 (puits d’interception)

3,6 (puits de repompage)

26,8

2,40

Digue sud

23,9

19,8 (puits de dépressurisation des digues et puits d’interception)

4,5

Digue ouest

3,0

2,5 (puits de dépressurisation des digues)

0,68

Fuites dans le bassin — eau souterraine profonde

15,0

[[BLANK]

13,5

TOTAL

(% du total)

70,0 (100 %)

= 49,0

(70 %)

= 21,0

(30 %)

[55]  La deuxième colonne du tableau 3, qui se termine par une estimation totale de 70 L/s, montre que la Commission a compris que l’appelante avait estimé les fuites totales du parc à résidus miniers en additionnant les résultats de ses deux modèles. D’autres commentaires dans cette section montrent également que la Commission a compris que, selon l’appelante, son estimation de 9 L/s ne concernait que le taux de fuites « après la fermeture » et non le taux de fuites « total » (dossier d’appel, vol. 3, page 1533). De plus, le juge a conclu à juste titre que la Commission n’a indiqué à aucun moment dans le rapport final qu’elle croyait que l’estimation totale des fuites prévue par Taseko n’était que de 9 L/s (motifs, paragraphe 90).

[56]  Le juge saisi de la demande a également eu raison de conclure que le tableau 5 n’est en réalité rien d’autre qu’un résumé de la position de Ressources naturelles Canada (ibid., au paragraphe 86). Le fait que ce tableau se trouve dans une section du rapport final intitulée [traduction] « Points de vue des participants » le montre clairement (dossier d’appel, vol. 3, page 1535). Il est également intéressant de noter l’observation faite par la Commission sous le tableau 5, à savoir que [traduction] « …les fuites interstitielles provenant du bassin [du parc à résidus miniers] étaient estimées par [Ressources naturelles Canada] à 100 L/s (8 650 m3/j)… c’est-à-dire plus élevées de plus d’un ordre de grandeur que les 9 L/s que semblaient indiquer les prévisions comparatives de Taseko » [non souligné dans l’original] (dossier d’appel, vol. 3, page 1539). La partie soulignée de la citation précédente met en évidence le fait que la Commission ne fait que consigner la position de Ressources naturelles Canada. Il en va de même pour le titre de ce tableau, qui parle de comparaisons [traduction] « prises du » Mémorandum technique de Ressources naturelles Canada. À mon avis, il est très difficile d’accepter l’affirmation de l’appelante selon laquelle ce tableau représente les conclusions de la Commission. Comme le juge le note à juste titre au paragraphe 93 de ses motifs, la Commission n’a pas non plus indiqué qu’elle considérait que les comparaisons du tableau 5 représentaient la position de Taseko.

[57]  L’appelante n’a pas non plus réussi à me convaincre que le tableau 5 présente de façon inexacte ses propres estimations. Il résume plutôt avec exactitude ce qu’il prétend être, c’est-à-dire la position de Ressources naturelles Canada sur la question. Tout au long du processus, Ressources naturelles Canada a constamment rejeté la suggestion selon laquelle une estimation fiable des fuites pourrait être obtenue en additionnant les résultats des deux modèles de l’appelante. À son avis, ces modèles étaient incompatibles et la somme de leurs résultats entraînerait inévitablement un double comptage (dossier d’appel, vol. 15, pages 15517 à 15519, 15332 à 15335, 15348 à 15351, 15450 à 15454 et 15628). Par conséquent, Ressources naturelles Canada a toujours indiqué que chaque modèle de Taseko ne pouvait être comparé indépendamment que par rapport aux divers résultats du modèle en 3D de Ressources naturelles Canada. Conformément à cette approche, lorsqu’elle a inséré des chiffres dans la colonne 2 du tableau 5, la Commission a clairement indiqué de quel modèle de Taseko le chiffre était tiré, en se fondant sur le Mémorandum technique.

[58]  Par conséquent, je suis d’avis que la Cour ne devrait pas accepter l’invitation de l’appelante à réexaminer les conclusions de la Commission en ce qui concerne les fuites du parc à résidus miniers. Comme le juge l’a fait remarquer, la Commission était un groupe d’experts spécialisés qui procédait à une série d’évaluations techniques et était le mieux placé pour déterminer la validité des éléments de preuve concurrents afin de parvenir à ses conclusions (motifs, paragraphes 85 et 92). La Commission était préoccupée par la méthode utilisée par Taseko, qui consistait à combiner les estimations des modèles en 2D et en 3D, méthode qui ne tenait pas compte dans ses données sous-jacentes de plusieurs variables importantes et qui entraînerait une sous-estimation des taux de fuites :

[traduction]

En parvenant à ses conclusions sur les fuites du parc de résidus miniers, la Commission a considéré que les facteurs suivants étaient particulièrement pertinents :

[...]

Le manque d’études géotechniques détaillées nécessaires pour caractériser de manière plus fiable la base de l’installation de stockage des résidus, notamment l’épaisseur du till, la variabilité dans les unités de morts-terrains, l’existence probable de voies d’écoulement privilégiées dans les unités lithostratigraphiques supérieures fracturées, ainsi que la nature et l’étendue des fuites et des sources au pied de la crête ouest de l’installation de stockage des résidus.

[...]

Les morts-terrains et le substratum rocheux à faible profondeur de l’ensemble de l’installation de stockage des résidus et du site présentent une forte hétérogénéité, on y trouve notamment des basaltes et des dépôts fluvioglaciaires et glaciolacustres interstratifiés dans du till glaciaire. Or, malgré cette hétérogénéité, Taseko a représenté tous les dépôts de morts-terrains (till, sédiments non consolidés, basalte) comme une seule unité et elle a attribué à l’ensemble une valeur unique de conductivité hydraulique, soit 4 × 10-6 cm/s.

En attribuant une valeur unique de conductivité hydraulique de 10-8 m/s pour les résidus, Taseko n’a pas tenu compte des variations spatiales de la granulométrie, susceptibles d’apparaître lorsque les résidus miniers seront amoncelés dans l’installation de stockage.

(Dossier d’appel, vol. 3, pages 1542 et 1543)

[59]  Compte tenu de l’importance de ces lacunes, amplement étayées par les témoignages d’experts, et du fait que Taseko n’a pas contesté le caractère raisonnable de l’un ou l’autre de ces facteurs clés comme fondement du rejet de ses estimations, je ne peux qu’être d’accord avec le juge pour dire que les conclusions et les recommandations de la Commission sont à l’abri d’un contrôle judiciaire.

[60]  Enfin, je ne suis pas d’accord pour dire que le juge a substitué son raisonnement à celui de la Commission lorsqu’il a écrit que, même si la comparaison entre les 70 L/s de Taseko et les 100 L/s de Ressources naturelles Canada avait été acceptée, la conclusion de la Commission tiendrait toujours (motifs, au paragraphe 94). Le ministre soutient que le juge a répondu à l’affirmation de l’appelante selon laquelle la Commission n’aurait pu arriver à sa conclusion qu’en acceptant la comparaison erronée de Ressources naturelles Canada tirée du tableau 5. J’estime que cette explication est crédible. Le juge a simplement rejeté la conclusion générale de l’appelante, notant qu’une autre explication plausible aurait pu être que, même en acceptant la comparaison de Taseko, une différence de 30 L/s demeure considérable.

b)  Utilisation de l’estimation supérieure de Ressources naturelles Canada

[61]  L’appelante affirme que le juge a eu tort de juger raisonnable la décision de la Commission d’accepter l’estimation supérieure de Ressources naturelles Canada. Cette estimation était fondée sur le modèle de Ressources naturelles Canada, qui ne tenait pas compte des mesures d’atténuation, des fuites à travers les digues et de l’augmentation de la couche de till dans la conception proposée du parc à résidus miniers. Selon l’appelante, l’utilisation de ce modèle a amené la Commission à comparer à tort son estimation des fuites après l’application des mesures d’atténuation à celle de Ressources naturelles Canada avant l’application des mesures d’atténuation.

[62]  Je suis d’accord avec les avocats des intimés pour dire que la Cour ne devrait pas réévaluer la preuve et prendre de nouvelles décisions sur des questions techniques complexes dont la Commission a été saisie. La Cour fédérale a rejeté exactement le même argument ci-dessous, et je conviens qu’il n’y avait rien de déraisonnable dans la décision de la Commission de préférer le modèle en 3D de Ressources naturelles Canada aux deux modèles de l’appelante, compte tenu des lacunes qu’elle a constatées dans ces derniers et de la suggestion de l’expert indépendant d’accepter les résultats de Ressources naturelles Canada (dossier d’appel, vol. 3, page 1541). Comme l’a noté le juge, cette conclusion n’a pas été tirée « en allant à l’encontre d’éléments de « preuve non contredite »» (motifs, au paragraphe 112).

[63]  À mon avis, l’appelante a tort de soutenir que l’adoption par la Commission du modèle de Ressources naturelles Canada l’a amené à faire une comparaison inappropriée entre les estimations de l’appelante des fuites après l’application des mesures d’atténuation et les estimations de Ressources naturelles Canada des fuites avant l’application des mesures d’atténuation. Nulle part dans l’analyse de la Commission n’a-t-on fait de comparaisons entre ces chiffres.

[64]  L’argument sous-jacent de l’appelante à cet égard (à savoir que la Commission n’a pas tenu compte de ses mesures d’atténuation) ne résiste pas à l’examen. Comme l’a noté à juste titre le juge, « lorsque le Rapport est examiné dans son ensemble il est clair que [la Commission] a examiné les mesures d’atténuation des fuites avancées par Taseko » (ibid., au paragraphe 111). Cette lecture du rapport final (qui montre que la Commission a bien pris en compte les mesures d’atténuation de l’appelante dans son analyse et a fait sa comparaison en conséquence) est renforcée par le libellé même de sa conclusion sur la question : [traduction] « Taseko avait sous-estimé le volume d’eau interstitielle des résidus s’écoulant [du parc à résidus miniers]… en dépit des mesures d’atténuation proposées » [non souligné dans l’original] (dossier d’appel, vol. 3, page 1543).

[65]  Quoi qu’il en soit, lorsqu’il est lu dans son ensemble, le rapport final indique clairement que la Commission a bien compris ce que l’appelante considérait comme des éléments de comparaison appropriés en ce qui concerne les estimations des fuites après l’application des mesures d’atténuation. Dans une autre section du rapport final, la Commission a résumé le témoignage de l’expert du gouvernement de la Nation Tsilhqot’in, la Dre Freed. En supposant que les mesures d’atténuation proposées par Taseko fonctionnent, la Dre Freed a appliqué le ratio d’atténuation de Taseko à l’estimation des fuites de Ressources naturelles Canada avant l’application des mesures d’atténuation et a calculé que l’estimation de Taseko après l’application des mesures d’atténuation serait de 11,8 L/s. Bien qu’incertaine de l’efficacité des mesures d’atténuation proposées, la Commission a tout de même adopté cette estimation de 11,8 L/s et a constaté qu’elle était [traduction] « beaucoup plus important[e] » que les 2,4 L/s prévus par l’appelante.

[66]  En d’autres termes, même en supposant que les mesures d’atténuation de l’appelante seraient efficaces et qu’elles permettraient de récupérer 80 % des fuites prévues par Ressources naturelles Canada (hypothèse que Ressources naturelles Canada conteste fortement), l’estimation des fuites après l’atténuation serait encore cinq fois plus élevée que l’estimation de l’appelante (ibid., page 1564). C’est précisément ce que le juge a conclu, à juste titre, au paragraphe 103 de ses motifs.

[67]  Quoi qu’il en soit, la Commission aurait été justifiée de refuser de faire la comparaison en termes d’estimations des fuites après l’atténuation, compte tenu des graves préoccupations des divers participants concernant les mesures d’atténuation proposées par Taseko (ibid., pages 1536, 1539, 1541 et 1542). Le mandat modifié exigeait seulement que la Commission identifie dans son rapport les mesures d’atténuation qu’il recommande (ibid., page 1746). Comme l’a noté la Commission, il subsistait une [traduction] « grande incertitude » quant à [traduction] « la capacité [de l’appelante] de limiter les fuites de l’installation de stockage des résidus et de les recueillir et la capacité de traiter l’eau de façon efficace et économique pour en maintenir la qualité dans le lac Fish et ses affluents » (ibid., page 1564).

[68]  Quant aux autres incohérences alléguées entre le modèle de Ressources naturelles Canada et le parc à résidus miniers effectivement proposé par Taseko (épaisseur du till, fuites de la digue et calibration), j’adopte les observations du ministre et du procureur général dans leurs mémoires des faits et du droit. Les conclusions de la Commission à ces égards relevaient bien de son expertise, étaient appuyées par des témoignages d’experts et appartenaient aux issues possibles acceptables. La Commission n’était pas tenue d’accepter les propositions de mesures correctives de Taseko, qui étaient souvent fondées sur des hypothèses discutables. Encore une fois, ce n’est pas le rôle de la Cour (ni, d’ailleurs, de la Cour fédérale) d’agir comme une « académie des sciences ». La Commission était un groupe d’experts spécialisés qui procédait à une série d’évaluations techniques et était le mieux placé pour déterminer la validité des éléments de preuve concurrents afin de parvenir à ses conclusions.

c)  Concentration des variantes de la qualité de l’eau

[69]  L’appelante affirme que la conclusion de la Commission concernant l’impact du projet sur la qualité de l’eau est déraisonnable, car elle est fondée sur ses données erronées concernant les fuites du parc à résidus miniers. Quant à la décision du juge selon laquelle la Commission serait arrivée à cette conclusion même sans les données concernant les fuites du parc à résidus miniers fondées sur des éléments de preuve supplémentaires, l’appelante affirme qu’elle supplante de façon inadmissible les motifs de la Commission puisque la Commission elle-même a conclu que la question des fuites et celle de la qualité de l’eau sont inextricablement liées.

[70]  Ayant déterminé que les données de la Commission concernant les fuites du parc à résidus miniers étaient raisonnables pour les raisons énoncées ci-dessus, je rejetterais l’argument de l’appelante selon lequel la Commission a commis une erreur en s’appuyant sur ces mêmes données pour en venir à sa conclusion que le projet aurait des effets négatifs importants sur la qualité de l’eau.

[71]  Quoi qu’il en soit, je suis d’accord avec le juge saisi de la demande pour dire que la décision de la Commission à cet égard était appuyée par des éléments de preuve supplémentaires, comme l’admission de l’appelante elle-même que le projet ferait en sorte que la qualité de l’eau du lac Fish ne serait pas conforme aux recommandations pour la protection de la vie aquatique (ibid., pages 1552, 1564 et 1565). Comme l’a noté explicitement la Commission :

[traduction]

…Taseko a prévu que plusieurs variables dépasseraient les valeurs recommandées par les autorités provinciales et fédérales; que l’aluminium, le cadmium, le fer, le sélénium, l’argent, le mercure et le thallium dépasseraient les valeurs fédérales recommandées pour la protection de la vie aquatique et que l’aluminium, le bore et le cadmium dépasseraient les valeurs recommandées par la province au cours de l’exploitation de la mine et après.

[72]  Il ressort clairement de cet extrait que la Commission s’est appuyée sur la propre estimation de l’appelante selon laquelle les variables relatives à l’eau dépasseraient les valeurs recommandées. Comme le juge l’a souligné au paragraphe 116 de ses motifs, cela ne supplante aucunement l’analyse de la Commission.

[73]  La décision de la Commission était également fondée sur sa conclusion que le processus de recirculation de l’eau lui-même pouvait avoir une incidence sur la qualité de l’eau (ibid., page 1552), et sur les nombreuses préoccupations soulevées à l’égard des mesures d’atténuation du traitement de l’eau de l’appelante (ibid., pages 1563 et 1564). Il convient de reproduire, en l’espèce, les conclusions de la Commission à cet égard :

[traduction]

Une certaine incertitude entoure la durée nécessaire de la recirculation de l’eau dans le lac Fish, mais la recirculation devrait probablement s’effectuer à long terme, voire à perpétuité.

Les variables de qualité de l’eau, selon les prévisions, dépasseraient de nombreuses valeurs recommandées par les autorités provinciales et fédérales dans le lac Fish et dans les plans d’eau voisins.

Une certaine incertitude entoure la méthode employée pour modéliser la qualité de l’eau, et Taseko n’a pas produit de documentation fournissant une description détaillée du modèle du bilan massique pour la qualité de l’eau du lac Fish.

[...]

La Commission convient que les techniques de gestion active proposées par Taseko pour réguler les métaux dissous, l’oxygène dissous et les concentrations de nutriments dans le lac Fish n’ont pas été éprouvées à l’échelle proposée.

La Commission convient qu’il faudrait traiter l’eau du lac Fish indéfiniment pour en assurer la qualité.

[...]

[L]a Commission conclut que les techniques proposées de traitement de l’eau (traitement sur membrane, réduction des sulfures et échange d’ions) ne sont pas répandues dans le secteur minier et qu’aucune ne l’est actuellement dans les environs des mines en Colombie-Britannique.

[74]  Bien entendu, ces prévisions de la qualité de l’eau ont été modélisées en l’absence de mesures d’atténuation. Pourtant, la Commission n’a pas non plus pu accepter l’argument de Taseko selon lequel les options de traitement de l’eau proposées atténueraient efficacement les effets négatifs du projet sur la qualité de l’eau du lac Fish (Teztan Biny), car elles avaient [traduction] « peu de chances de fonctionner correctement à long terme » (ibid., page 1566).

[75]  Compte tenu de ce qui précède, j’estime que le raisonnement de la Commission concernant la qualité de l’eau est conforme « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité », ainsi qu’à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47).

2)  Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que la Commission n’avait pas manqué à son obligation d’équité procédurale?

[76]  L’appelante prétend que l’acceptation tardive par la Commission du Mémorandum technique de Ressources naturelles Canada à titre de nouvelle preuve d’expert lui a causé un préjudice. Elle fait valoir que le Mémorandum technique contenait de nouveaux renseignements concernant l’estimation des fuites de Ressources naturelles Canada et qu’elle n’a jamais eu la possibilité d’y répondre adéquatement. L’appelante prétend également que, comme elle ne savait pas que la Commission traiterait le Mémorandum technique comme une preuve d’expert avant la publication du rapport final, elle n’a pas pu soulever cette question plus tôt.

[77]  Pour les motifs qui suivent, il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale en l’espèce, puisque l’appelante a eu une possibilité réelle et équitable de connaître les éléments invoqués contre elle, et qu’elle a eu un avis suffisant et un délai raisonnable pour répondre au Mémorandum technique.

[78]  Comme le juge l’a fait remarquer à juste titre, les parties conviennent que Taseko avait droit à un degré élevé d’équité procédurale. Cela dit, les décideurs demeurent maîtres de leur propre procédure et les contraintes institutionnelles auxquelles fait face un tribunal administratif doivent être prises en compte (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, 174 D.L.R. (4th) 193, au paragraphe 27; Sitba c. Consolidated-Bathurst Packaging Ltd., [1990] 1 R.C.S. 282, aux pages 323 et 324, 68 D.L.R. (4th) 524, à la page 554). Je suis d’accord avec les intimés, le ministre et le procureur général, qu’une affaire comme celle-ci risque de susciter de l’acrimonie entre le promoteur et les membres de la collectivité locale, y compris les Autochtones susceptibles d’être touchés, et qu’il est donc de la plus haute importance de maintenir la souplesse du processus (mémoire des faits et du droit des intimés (ministre de l’Environnement et procureur général du Canada) au paragraphe 69).

[79]  De plus, je suis d’accord avec le juge que le Mémorandum technique contesté, loin de divulguer de nouveaux renseignements, ne faisait que résumer « les renseignements qui avaient déjà été présentés [à la Commission] et à Taseko dans les observations orales et écrites de RNCan » (motifs, au paragraphe 55). Ce document visait seulement à préciser que, malgré les affirmations contraires de l’appelante, la position de Ressources naturelles Canada était demeurée la même tout au long du processus d’examen et n’avait pas changé à la suite des observations et du contre-interrogatoire de Taseko. Il ressort clairement de la comparaison entre le contenu du Mémorandum technique et la preuve antérieure de Ressources naturelles Canada (dossier d’appel, vol. 15, pages 15513 à 15516) que l’appelante a eu l’occasion de le mettre à l’épreuve (et l’a fait).

[80]  L’appelante soutient que, dans la mesure où le Mémorandum technique reprend la comparaison initiale d’un [traduction] « ordre de grandeur » de Ressources naturelles Canada (qui, selon elle, avait été explicitement abandonnée par le Dr Desbarats dans son témoignage devant la Commission), il contient de nouveaux renseignements. Cette affirmation est indéfendable, puisque le Dr Desbarats n’a jamais vraiment répudié sa comparaison dans son témoignage. À la lecture des extraits fournis par l’appelante, il est clair que, lorsqu’il a parlé d’un [traduction] « facteur de deux », l’expert de Ressources naturelles Canada ne faisait que considérer ce que serait le calcul si des comparaisons différentes étaient privilégiées au détriment de celles qu’il avait lui-même approuvées. Nulle part dans ces extraits, le Dr Desbarats ne dit qu’il appuie les comparaisons proposées par l’appelante, ni ne se rétracte sur ses préoccupations initiales au sujet de la différence d’un ordre de grandeur entre les estimations des fuites tirées des deux modèles en 3D concurrents. Il réitère plutôt ces préoccupations très clairement dans les extraits cités par l’appelante (dossier d’appel, vol. 4, pages 2974, 3053, 3054 et 3516 à 3518).

[81]  Après avoir lu attentivement ces extraits, je ne peux tout simplement pas accepter l’argument de l’appelante selon lequel le Dr Desbarats a approuvé de quelque façon que ce soit les comparaisons que l’appelante lui a présentées pendant son témoignage, ou qu’il a mis de côté ses préoccupations concernant la méthodologie de cette dernière pour comparer les estimations des fuites. En effet, la Commission a expressément mentionné avoir interprété le contenu du Mémorandum technique comme étant une clarification de la position de Ressources naturelles Canada. Je conclus donc que le Mémorandum technique était en phase avec la position de Ressources naturelles Canada tout au long du contrôle judiciaire et je suis d’accord avec le juge pour dire qu’il ne contenait donc aucun nouveau renseignement.

[82]  Quoi qu’il en soit, il est clair pour moi que la Commission a donné à l’appelante une occasion de répondre adéquatement au Mémorandum technique, mais que celle-ci a simplement décidé de ne pas profiter de cette occasion. Le 20 août 2013, la Commission a décidé que l’appelante seule aurait [traduction] « plusieurs jours à compter de la réception de tout nouveau document technique pour répondre » (dossier d’appel, vol. 8, page 6988). Le lendemain, le Mémorandum technique a été fourni à l’appelante avant les plaidoiries finales prévues pour le 23 août (dossier d’appel, vol. 3, page 1463). À cette date, l’appelante a explicitement reconnu le contenu du Mémorandum technique dans son plaidoyer final (dossier d’appel, vol. 9, page 7615). Bien qu’elle ait également consacré un paragraphe de ses observations écrites à cette question, elle n’a présenté une réponse qu’aux observations d’Environnement Canada sur la qualité de l’eau déposées le même jour que le Mémorandum technique (dossier d’appel, vol. 14, pages 14370 à 14372). De même, les 28 et 29 août, l’appelante a déposé quatre documents supplémentaires auprès de la Commission en réponse aux observations de divers participants (dossier d’appel, vol. 17, pages 18667 à 18678; dossier d’appel, vol. 18, pages 19000 à 19006; dossier d’appel, vol. 14, page 14694; dossier d’appel, vol. 20, pages 22029 et 22030).

[83]  Compte tenu de ce qui précède, l’argument de l’appelante, selon lequel elle n’a pas reçu d’avis à propos de la preuve à réfuter et n’a pas eu la possibilité de répondre au Mémorandum technique, ne peut pas prévaloir. J’adopte donc les commentaires du juge aux paragraphes 62 à 78 de ses motifs.

[84]  Enfin, Taseko ne peut pas se plaindre que la Commission s’est écartée de ses règles de procédure concernant les audiences publiques et n’a pas respecté ses expectatives légitimes. Tout d’abord, Taseko omet de mentionner que ces règles de procédure énoncent explicitement que la Commission ne sera pas liée par les règles strictes de la procédure judiciaire et de la preuve (article 1.10) et qu’elle traitera tout manquement à ses règles de procédure comme elle le jugera approprié (article 1.11) (dossier d’appel, vol. 3, page 1812). Bien que les véritables expectatives légitimes puissent influer sur la procédure à suivre, une expectative ne peut atteindre ce seuil que si elle est fondée sur les affirmations, la conduite ou la pratique établie d’un décideur, qui sont claires, nettes et explicites (arrêt Centre hospitalier Mont-Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41, [2001] 2 R.C.S. 281, au paragraphe 29).

[85]  De plus, rien dans les règles de procédure concernant les audiences publiques ne laisse entendre qu’elles doivent être interprétées de façon aussi étroite que Taseko le souhaite. Ces règles de procédure n’appuient pas les prétendues attentes de Taseko et n’ont pas entravé le pouvoir discrétionnaire de la Commission d’adapter le processus pour qu’il corresponde aux objectifs ultimes de la LCEE 2012 et de la justice naturelle. En fait, la Commission s’est écartée de ses règles de procédure concernant les audiences pour accorder à Taseko plusieurs jours pour répondre aux nouvelles soumissions techniques, même après la clôture des audiences. La Commission a rendu cette ordonnance en réponse directe aux préoccupations exprimées par Taseko au sujet de l’équité procédurale.

[86]  Taseko a effectivement présenté des observations supplémentaires à la Commission après la clôture des audiences en réponse à d’autres observations techniques (dossier d’appel, vol. 18, pages 19000 à 19006; dossier d’appel, vol. 14, page 14694). Toutefois, Taseko a choisi de ne soumettre aucune plainte concernant le Mémorandum technique de Ressources naturelles Canada et n’a pas allégué qu’il était inapproprié parce qu’il contenait de nouveaux éléments de preuve. Taseko ne s’est pas plainte qu’elle ne connaissait pas l’identité de l’auteur ni qu’elle n’avait pas eu l’occasion de répondre au Mémorandum technique, que ce soit en contre-interrogatoire ou en présentant une contre-preuve, et elle a eu amplement l’occasion de répondre par écrit.

[87]  Compte tenu de ce qui précède, la Cour fédérale a eu raison de rejeter les arguments de Taseko concernant l’équité procédurale, étant donné qu’ils n’ont pas été soulevés devant la Commission.

VI.  Conclusion

[88]  Pour tous les motifs précités, je suis d’avis de rejeter l’appel, avec dépens.

« Yves de Montigny »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

David Stratas, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

D.G. Near, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-7-18

 

INTITULÉ :

TASEKO MINES LIMITED c. LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, LE GOUVERNEMENT DE LA NATION TSILHQOT’IN ET JOEY ALPHONSE, en son propre nom et au nom des autres membres de la Nation Tsilhqot’in ET MINE ALERTE CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 janvier 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :

Le 18 décembre 2019

 

COMPARUTIONS :

K. Michael Stephens

Julia Roos

Shannon Ramsay

Aubin Calvert

 

Pour l’appelante

 

Lorne Lachance

Michele Charles

Deborah Bayley

 

Pour les intimés, le ministre de l’Environnement et le procureur général du Canada

 

Sonya Morgan

Savannah Carr-Wilson

pour les intimés, le GOUVERNEMENT DE LA NATION Tsilhqot’in et Joey Alphonse

 

Sean Nixon

Olivia French

 

Pour l’intervenante

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hunter Litigation Chambers

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour l’appelante

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour les intimés, le ministre de l’Environnement et le procureur général du Canada

 

Woodward & Company

Victoria (Colombie-Britannique)

pour les intimés, le GOUVERNEMENT DE LA NATION Tsilhqot’in et Joey Alphonse

 

Sean Nixon et Olivia French

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour l’intervenante

 

 

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