Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20191213


Dossier : A-142-18

Référence : 2019 CAF 312

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE RENNIE

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

QIANHUI DENG, ADMINISTRATEUR AU NOM DE SHIMING DENG (LE DÉFUNT)

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 13 décembre 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE RIVOALEN

 


Date : 20191213


Dossier : A-142-18

Référence : 2019 CAF 312

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE RENNIE

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

QIANHUI DENG, ADMINISTRATEUR AU NOM DE SHIMING DENG (LE DÉFUNT)

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

[1]  La Cour est saisie d’un appel d’une décision du juge Boswell de la Cour fédérale (le juge), en date du 9 mai 2018 (2018 CF 495), dans laquelle il a accueilli une requête présentée par l’intimée, conformément à l’article 221 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), visant à radier la déclaration de l’appelant.

[2]  À la suite d’une demande de l’appelant que son appel soit jugé sur dossier sans la comparution des parties, le juge en chef a rendu l’ordonnance suivante le 19 août 2019 :

L’appelant ayant demandé que cette affaire soit jugée sur dossier sans la comparution des parties, et l’intimée ayant fait savoir qu’elle n’insistait pas pour avoir une audience orale, le présent appel sera confié à une formation de trois juges qui en disposera sur la base des documents écrits.

[3]  Le contexte de l’action de l’appelant contre l’intimée est le décès par suicide de son fils, Shiming Deng (fils de l’appelant), le 22 novembre 2005, à la suite de la prise d’une mesure d’expulsion contre lui par la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission).

[4]  Le fils de l’appelant, un citoyen de la Chine, est venu au Canada à titre d’étudiant étranger en 1999. Après son arrivée au pays, il a présenté une demande d’asile qui a été accueillie. En temps utile, il est devenu résident permanent du Canada.

[5]  Le 4 août 2004, le fils de l’appelant a été déclaré coupable de voies de fait graves au Canada, en violation du paragraphe 268(2) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46. Le 26 octobre 2005, à son retour au Canada après un voyage en Chine, l’Agence des services frontaliers du Canada a saisi son passeport et a rédigé un rapport d’interdiction de territoire pour grande criminalité découlant de sa condamnation. Par conséquent, le fils de l’appelant a été convoqué à une enquête par la Commission.

[6]  Lors de la première audience, le 14 novembre 2005, la Commission a expliqué au fils de l’appelant la nature de la procédure et le processus, y compris son droit d’interjeter appel de toute mesure d’expulsion prise contre lui. À ce moment-là, le fils de l’appelant a indiqué que son intention était de quitter volontairement le Canada si son passeport lui était retourné. Bien qu’on lui ait offert un ajournement d’un mois, afin de lui permettre de parler à un avocat, il a décidé de se présenter sans avocat à une audience fixée pour la semaine suivante, soit le 22 novembre 2005. À la suite de la deuxième audience, la Commission a conclu qu’il était interdit de territoire au Canada pour grande criminalité. Par conséquent, la Commission a pris une mesure d’expulsion contre le fils de l’appelant. Plus tard dans la journée, le fils de l’appelant s’est suicidé à sa résidence.

[7]  Lors de la deuxième audience, la Commission avait en sa possession le certificat de déclaration de culpabilité du fils de l’appelant, qui comportait les conditions de sa probation, à savoir qu’il devait gérer sa schizophrénie de manière à ne pas causer de danger pour lui-même ou pour autrui et à ne pas commettre d’autres infractions.

[8]  L’appelant, qui poursuit en sa qualité d’administrateur de la succession de son fils, demande le redressement qu’il a exposé au paragraphe 30 de sa déclaration (reproduit tel qu’il a été rédigé) :

[TRADUCTION]

a)  Délivrer un visa de visite permanent ou un autre visa pour que le parent de Shiming Deng (le défunt) puisse entrer au Canada pour se rendre sur la tombe de son fils chaque année;

b)  Honorer la citoyenneté canadienne de Shiming Deng (le défunt);

c)  Présenter des excuses nationales officielles au demandeur pour avoir causé la mort de Shiming Deng en raison de la politique inconstitutionnelle de la Couronne, qui a violé le droit de Shiming Deng (le défunt) en application de la Charte, des manquements au devoir de la Couronne et des délits intentionnels des fonctionnaires de la Couronne;

d)  Demander l’octroi de dommages-intérêts compensatoires, généraux et spéciaux (y compris, mais sans s’y limiter) pour le décès de Shiming Deng, des dommages-intérêts pour la famille de Shiming Deng (le défunt) pour la perte de leur fils, des dommages-intérêts pour la détresse émotionnelle de la famille de Shiming Deng (le défunt) (son parent et lui-même), l’humiliation, l’anxiété, l’angoisse, le SDPT, les douleurs et les souffrances physiques, la perte de revenus passée et future, et les dommages découlant du fait que la vie de la famille de Shiming Deng (le défunt) (son parent et lui-même) a été transformée en un enfer, une expérience tortueuse; des dommages-intérêts pour la famille de Shiming Deng (le défunt) (son parent et lui-même), qui a été soumise à un milieu de vie dévasté; et des dommages-intérêts permanents pour le mode de vie, la jouissance de la vie, la personnalité, le bien-être économique et le bien-être émotionnel général de la famille de Shiming Deng (le défunt) (son parent et lui-même), ainsi que les coûts de traitement du SDPT de sa famille et d’autres souffrances contre le défendeur, la Couronne, d’une somme de 200 millions (200 000 000,00 $);

e)  Demander l’octroi de dommages-intérêts punitifs à l’encontre du défendeur, la Couronne, d’une somme de 100 millions de dollars (100 000 000 $);

f)  Attribuer tous les frais et dépens, y compris, mais sans s’y limiter, les frais de déplacement, les honoraires d’avocat, les honoraires d’expert et de témoin, les frais de justice, les honoraires de comptable et les frais de forum, tels que prévus par la loi;

g)  Intérêt en application de la Court Order Interest Act;

h)  Accorder toute autre mesure de redressement que la Cour peut juger juste et appropriée.

(Dossier d’appel, pp. 44 et 45).

[9]  À l’appui du redressement qu’il demande, l’appelant allègue, dans sa déclaration, que l’intimée et ses représentants ont commis divers délits, à savoir :

  1. Une discrimination intentionnelle et une négligence intentionnelle en ce que l’intimée et ses représentants ont été incapables d’identifier la maladie mentale de son fils (schizophrénie), ont omis de suivre les procédures standard pour les personnes atteintes de maladies mentales, ont omis de prendre des mesures adéquates pour assurer la sécurité de son fils et ont omis de prendre des mesures pour soulager les parents du défunt, l’appelant et son épouse, de la détresse émotionnelle qui a suivi le suicide de leur fils;

  2. Une violation intentionnelle des droits de son fils en application des articles 7 et 12 et du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 [la Charte], en négligeant, intentionnellement ou par insouciance, de tenir compte de la maladie mentale de son fils et de prendre des mesures pour assurer sa sécurité après la conclusion d’interdiction de territoire au Canada par la Commission;

  3. Un manquement à plusieurs obligations prévues par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) en négligeant d’élaborer des politiques et des normes de conduite pour protéger les personnes atteintes de maladies mentales, en n’agissant pas avec diligence pour protéger ces personnes à la suite de conclusions d’interdiction de territoire au Canada et en n’atténuant pas les souffrances de ces personnes et de leurs proches à la suite de la prise de mesures d’expulsion.

[10]  Le juge a accueilli la requête en radiation de l’intimée, car, selon lui, l’action intentée par l’appelant le 27 septembre 2017 était prescrite puisqu’elle aurait dû être intentée au plus tard le 22 novembre 2007, soit dans les deux ans suivant le décès du fils de l’appelant. Pour conclure ainsi, le juge s’est appuyé sur l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C-50 et sur le paragraphe 6(1) de la Limitation Act, S.B.C. 2012, ch. 13.

[11]  Le juge a également conclu que, indépendamment de la question de la prescription, certains paragraphes de la déclaration devraient être radiés parce que le redressement demandé aux alinéas 30 a), b), c) et d) de la déclaration était clairement un redressement qui ne pouvait être accordé par la Cour fédérale.

[12]  De plus, le juge a conclu que la déclaration ne révélait pas de délits civils dont l’intimée pouvait être tenue responsable. Plus précisément, il a conclu que le demandeur « n’a pas établi les éléments nécessaires pour justifier une cause d’action pour négligence à l’encontre [de l’intimée], dont l’existence d’une obligation de diligence, les détails de la violation de cette obligation, un lien de causalité entre cette violation et un préjudice et la perte réelle en résultant ». (Motifs, au paragraphe 29).

[13]  Le juge a également estimé qu’il n’existait pas de délit de « discrimination intentionnelle », de « négligence intentionnelle » ni d’« abus de pouvoir intentionnel ». Il n’existe pas non plus de délit civil pour « manquement à l’obligation de soins de santé ».

[14]  Le juge a également exprimé l’avis que, en ce qui concerne les violations alléguées des droits de l’appelant en application de la Charte, le droit était clair que les violations des droits au terme des articles 7, 12 et 15 de la Charte mourraient avec le titulaire de ces droits. Cela l’a amené à dire ce qui suit, au paragraphe 31 de ses motifs :

[…] Quoi qu’il en soit, comme [l’appelant] n’a livré aucune plaidoirie s’apparentant à une analyse pour établir la violation de ces droits, les allégations concernant la Charte n’ont aucune chance raisonnable de succès. Même si [l’appelant] pouvait alléguer que les droits de M. Deng en application de la Charte ont été enfreints, je suis d’accord avec [l’intimée] que le critère visant à établir la violation de l’article 7, 12 ou 15 n’a pas été satisfait ou plaidé adéquatement dans la déclaration.

[15]  Comme je conclus que le juge n’a commis aucune erreur susceptible de révision en ce qui concerne la question de la prescription, je n’ai pas besoin d’aborder les motifs supplémentaires qu’il a invoqués pour radier la déclaration de l’appelant.

[16]  Pour déterminer le bien-fondé de la requête en radiation de l’intimée, le juge a, sans aucun doute, compris et appliqué le bon critère. Aux paragraphes 12 à 14 de ses motifs, il a fait référence aux décisions les plus récentes de la Cour suprême du Canada sur le critère applicable aux requêtes en radiation, à savoir les arrêts Succession Odhavji c. Woodhouse, 2003 CSC 69, [2003] 3 R.C.S. 263 et R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, [2011] 3 R.C.S. 45, où, dans les deux cas, la Cour a adopté les motifs donnés par la juge Wilson pour la Cour dans l’arrêt Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, à la page 980 [Hunt] :

... dans l’hypothèse où les faits mentionnés dans la déclaration peuvent être prouvés, est‑il « évident et manifeste » que la déclaration du demandeur ne révèle aucune cause d’action raisonnable? Comme en Angleterre, s’il y a une chance que le demandeur ait gain de cause, alors il ne devrait pas être « privé d’un jugement ». La longueur et la complexité des questions, la nouveauté de la cause d’action ou la possibilité que les défendeurs présentent une défense solide ne devraient pas empêcher le demandeur d’intenter son action. Ce n’est que si l’action est vouée à l’échec parce qu’elle contient un vice fondamental [...] que les parties pertinentes de la déclaration du demandeur devraient être radiées ...

Il s’agit là d’un critère rigoureux. Les faits allégués doivent être tenus pour avérés. Ensuite, il faut se demander s’il est « évident et manifeste » que l’action doit être rejetée. Ce n’est que si la déclaration est vouée à l’échec parce qu’elle contient un « vice fondamental » que le demandeur devrait être privé d’un jugement. Voir également Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada, [1980] 2 R.C.S. 735.

[17]  Comme l’écrit la juge Wilson dans l’arrêt Hunt, le critère applicable est difficile à respecter en ce sens qu’une action ne sera radiée que lorsqu’il est certain, c’est-à-dire qu’il est « évident et manifeste », que l’action n’a aucune chance de succès.

[18]  Au paragraphe 15 de ses motifs, le juge a expliqué pourquoi, à son avis, le critère de radiation de la déclaration de l’appelant était respecté en l’espèce :

Si l’on suppose que les faits allégués dans la présente déclaration sont véridiques, à mon avis, il est évident et manifeste que la déclaration doit être radiée sans autorisation d’être modifiée, pour un certain nombre de raisons, l’une des principales étant qu’il est évident et manifeste que la déclaration est hors délai et constitue un abus de procédure compte tenu des éléments essentiels allégués dans la première action et ceux allégués en l’espèce. Selon mon interprétation de la Limitation Act, la période de prescription ultime de 15 ans prévue à l’article 21 ne s’applique pas en l’espèce. En application de l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif et du paragraphe 6(1) de la Limitation Act, la période de prescription à l’intérieur de laquelle une procédure peut être introduite n’était pas plus de deux ans à partir de la date de l’audience sur l’interdiction de territoire de M. Deng, c’est-à-dire le 22 novembre 2007 ou avant cette date. Il est vrai que la procédure a été introduite à l’intérieur de la période de prescription applicable de deux ans. Toutefois, la présente action ne peut être une prorogation de la première action, puisque cette action a été abandonnée et que le demandeur a déposé une nouvelle déclaration, intentant ainsi la procédure en instance.

[19]  Ainsi, la question à laquelle le juge devait répondre était de savoir s’il était « évident et manifeste » que la déclaration de l’appelant ne révélait aucune cause d’action raisonnable et donc qu’il ne pouvait pas avoir gain de cause. Comme il estimait que l’action de l’appelant était prescrite, le juge n’a eu aucune difficulté à répondre à la question par l’affirmative.

[20]  Je passe maintenant à la norme de contrôle que notre Cour doit appliquer dans le cadre de la révision de la décision du juge. L’intimée affirme que la requête dont nous sommes saisis est une décision discrétionnaire qui devrait faire l’objet de retenue, à moins que le juge n’ait accordé un poids insuffisant aux facteurs pertinents, qu’il ait procédé selon un principe de droit erroné, qu’il a commis une erreur grave dans l’application des faits ou qu’il en résulte autrement une injustice manifeste. Pour soutenir cette proposition, l’intimée s’appuie sur les décisions de la Cour dans les arrêts Apotex Inc.c. Canada (Gouverneur en conseil), 2007 CAF 374, 370 N.R. 336, Collins c. Canada, 2011 CAF 140, 418 N.R. 23, aux paragraphes 12 et 13, et Singh c. Canada (Agence des services frontaliers), 2012 CAF 305, [2012] A.C.F. no 150, au paragraphe 6.

[21]  À mon avis, le critère proposé par l’intimée n’est plus le bon critère devant la Cour. Dans l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, [2017] 1 R.C.F. 331, nous avons conclu que les décisions discrétionnaires des protonotaires et des juges étaient assujetties aux normes qu’a énoncées la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235. Par conséquent, les questions de droit doivent être examinées selon la norme de la décision correcte, tandis que les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit doivent être examinées selon la norme de l’erreur manifeste et prépondérante. Quant aux questions mixtes, lorsqu’il est possible de dégager une pure question de droit, elles seront soumises à la norme de la décision correcte.

[22]  Pour les motifs qui suivent, je suis convaincu qu’en concluant que la requête de l’intimée devait être accueillie parce que l’action de l’appelant était prescrite, le juge n’a commis aucune erreur de droit ni aucune erreur manifeste et dominante en ce qui concerne les questions de fait dont il était saisi.

[23]  Le juge a été saisi d’éléments de preuve selon lesquels l’appelant avait intenté une action antérieure contre l’intimée le 22 novembre 2007, dans laquelle il alléguait, notamment, que le décès de son fils était attribuable à la conduite des agents d’immigration canadiens. Par conséquent, l’appelant réclamait des dommages-intérêts pour négligence, abus de pouvoir et manquement à une obligation légale (dossier de la Cour fédérale T-2041-07). Cette action a été abandonnée par l’appelant le 29 septembre 2010, après avoir déposé un avis de désistement.

[24]  Comme je l’expliquerai brièvement, parce que l’appelant invoque pour ses arguments l’article 165 et l’alinéa 222(1)e) des Règles, je vais maintenant les reproduire :

165 Une partie peut se désister, en tout ou en partie, de l’instance en signifiant et en déposant un avis de désistement.

165 A party may discontinue all or part of a proceeding by serving and filing a notice of discontinuance.

221(1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

221(1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

[…]

e) qu’il diverge d’un acte de procédure antérieur;

(e) constitutes a departure from a previous pleading, or

 

[25]  Conformément à son interprétation de l’article 165 et de l’alinéa 221(1)e) des Règles, l’appelant a fait valoir devant le juge, et fait maintenant valoir devant nous, que l’action dont la Cour est saisie consiste à faire revivre et à poursuivre son action antérieure. Selon les termes de l’appelant, [TRADUCTION] « cela signifie qu’une nouvelle instance se rapportant à l’acte de procédure visé par un désistement peut être engagée si elle est compatible avec un acte de procédure antérieur ». (Mémoire des faits et du droit de l’appelant, au paragraphe 18). En d’autres termes, la position de l’appelant est que sa deuxième action, parce qu’elle fait revivre et poursuit sa première action, n’est pas prescrite.

[26]  En présentant cet argument, le requérant établit une distinction entre une déclaration qui a été abandonnée avant le procès et une déclaration qui a été rejetée sur le fond après le procès. À mon avis, une telle distinction pourrait bien avoir des conséquences sur la question de savoir si la doctrine de la chose jugée s’applique ou non, mais elle ne peut, sauf dans des cas exceptionnels, avoir de conséquences sur la question de savoir si une action est prescrite ou non.

[27]  Pour conclure que l’action de l’appelant était prescrite et qu’elle ne consistait pas à faire revivre et à poursuivre sa première action, le juge s’est appuyé sur la décision de la Cour dans l’arrêt Philipos c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 79, 493 N.R. 328 [Philipos]. Plus particulièrement, le juge s’est référé aux paragraphes 8 à 10 et 14 à 21 de cet arrêt. À mon avis, les paragraphes 15 et 20 de cet arrêt sont particulièrement pertinents pour le présent appel, et je les reproduis ici :

[15] Une des différences relevées ci‑dessus tient au fait qu’il est en théorie possible qu’après le désistement une nouvelle procédure portant sur le même objet soit engagée. Toutefois, ce scénario n’est guère réaliste. Une tentative en ce sens pourrait donner lieu, par exemple, à une requête en radiation, fondée sur l’expiration d’un délai de prescription prévue par la loi ou pour cause d’abus de procédure (voir p. ex., Lifeview Emergency Services Ltd. v. Alberta Ambulance Operators’ Association (1995), 101 F.T.R. 43, au par. 13), ou à un refus, lorsqu’une prolongation est nécessaire, de proroger un délai, notamment dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire.

[20] Seul un événement d’une importance fondamentale qui touche à l’essence de la décision de mettre fin à la procédure peut justifier qu’une procédure ayant fait l’objet d’un désistement revive et qu’elle suive son cours, notamment l’obtention d’un désistement par la fraude ou en raison de l’incapacité mentale de la partie concernée au moment du désistement, ou la répudiation d’un règlement amiable qui nécessitait qu’une procédure fasse l’objet d’un désistement.

[28]  Comme l’explique le juge Stratas, qui a rédigé les motifs de la Cour dans l’arrêt Philipos, au paragraphe 15 ci-dessus, une nouvelle action, à la suite du désistement d’une procédure antérieure, devra survivre à une défense fondée sur un délai de prescription. Comme il l’explique également au paragraphe 20 de ses motifs, seuls des cas exceptionnels permettront à une deuxième action de revivre et de suivre son cours, échappant ainsi à un moyen de défense fondé sur la prescription. À titre d’exemple de tels cas exceptionnels, le juge Stratas mentionne, notamment, la fraude et l’incapacité mentale de la partie au moment du désistement.

[29]  Devant le juge, l’appelant a fait valoir que son ancien avocat ne lui avait pas fait part du fait que son action antérieure avait été abandonnée et qu’il ne se sentait pas à l’aise pour s’informer au sujet du désistement. Sur cette base, il a fait valoir que ces circonstances justifiaient de faire revivre et de poursuivre la première action. Le juge a traité de cet argument comme suit, au paragraphe 18 de ses motifs :

Il est possible que le cas d’un avocat qui se désiste de l’action de son client de manière unilatérale et sans directive appropriée corresponde aux circonstances exceptionnelles susceptibles de toucher l’essence d’un avis de désistement. Toutefois, ce n’est pas la question à laquelle nous devons répondre (et nous ne pouvons le faire) dans le contexte de la présente requête compte tenu de l’absence de faits relatifs aux circonstances ayant mené au dépôt de l’avis de désistement. En outre, il n’est pas clair pour quelle raison le demandeur a attendu plus de sept ans avant de déposer l’avis de désistement dans le cadre de la première action avant d’intenter la présente procédure. L’inconfort allégué par le demandeur à l’idée de discuter avec son ancien avocat est insuffisant pour justifier ce long délai.

[30]  J’ajouterais aux commentaires du juge ci-dessus que l’appelant n’a pas tenté de faire annuler l’avis de désistement déposé le 29 septembre 2010. Ainsi, il n’y a pas de circonstances exceptionnelles qui pourraient justifier de faire revivre et de poursuivre la première action de l’appelant. Par conséquent, même si l’appelant avait le droit d’intenter un deuxième recours, ce recours était assujetti à la prescription applicable. À mon avis, le juge a conclu, à juste titre, que le délai pour intenter une action contre l’intimée relativement au décès du fils de l’appelant est expiré le 22 novembre 2007.

[31]  Je conclus donc qu’en raison de sa conclusion que l’action de l’appelant devait être intentée au plus tard le 22 novembre 2007, le juge a eu raison de radier la déclaration de l’appelant au motif qu’il ne pouvait avoir gain de cause.

[32]  Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens en faveur de l’intimée.

« M. Nadon »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Donald J. Rennie, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Marianne Rivoalen, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-142-18

INTITULÉ :

QIANHUI DENG, ADMINISTRATEUR AU NOM DE SHIMING DENG (LE DÉFUNT) c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

REQUÊTES JUGÉES SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE RIVOALEN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 13 décembre 2019

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Qianhui Deng

POUR L’APPELANT

(pour son propre compte)

 

Marina Stefanovic

Amina Riaz

 

POUR L’INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

OTTAWA (ONTARIO)

 

POUR L’INTIMÉE

 

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