Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20200110


Dossier : A-309-18

Référence : 2020 CAF 5

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

ANTON OLEYNIK

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 4 septembre 2019.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 10 janvier 2020.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LASKIN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE WOODS

 


Date : 20200110


Dossier : A-309-18

Référence : 2020 CAF 5

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

ANTON OLEYNIK

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LASKIN

I.  Introduction

[1]  M. Anton Oleynik interjette appel d'un jugement de la Cour fédérale (2018 CF 737, la juge Heneghan). Dans son jugement, la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire de M. Oleynik relativement à une décision d'un comité d'appel du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH). Le comité d'appel a confirmé la décision d'un comité de sélection du CRSH de ne pas offrir à M. Oleynik le financement pour lequel il avait présenté une demande.

[2]  Dans le présent appel, M. Oleynik soutient que la Cour fédérale a commis deux erreurs : d'abord, en ne concluant pas qu'il y avait des conflits d'intérêts non résolus tant à l'égard du comité de sélection que du comité d'appel, et ensuite, en ne concluant pas que le CRSH a violé le droit de l'appelant à l'équité procédurale en suivant un processus qui n'était pas conforme à ses propres politiques, contrairement à ses attentes raisonnables.

[3]  Pour les motifs qui suivent, qui diffèrent à plusieurs égards de ceux de la Cour fédérale, je rejetterais l'appel.

II.  Le CRSH et ses politiques

[4]  Le CRSH est un mandataire de la Couronne fédérale établi par la Loi sur le Conseil de recherches en sciences humaines, L.R.C. 1985, ch. S‑12, pour promouvoir et soutenir la recherche et l'érudition dans le domaine des sciences humaines. Pour remplir son mandat, le CRSH offre du financement pour la recherche menée dans des établissements d'enseignement postsecondaire et pour la formation en recherche.

[5]  Il est indiqué dans la Loi qu'avec l'approbation du gouverneur en conseil, le CRSH peut, par règlement administratif, régir la conduite de ses travaux et celle de ses activités en général. Cependant, le CRSH n'a pas établi de règlement administratif régissant son processus de décision relatif aux demandes de financement, bien qu'il ait publié des politiques exposant son processus. Le Conseil est également assujetti à la Politique sur les conflits d'intérêts et la confidentialité des organismes fédéraux de financement de la recherche.

A.  Le processus d'évaluation du mérite

[6]  Conformément aux politiques énoncées dans le Guide des membres de comité de sélection du CRSH pendant la période pertinente, le CRSH évalue les demandes de financement en appliquant un processus d'évaluation du mérite. Des experts externes évaluent les demandes et les comités de sélection prennent ensuite des décisions de financement en attribuant une note à chaque demande selon une échelle.

[7]  Un président dirige chaque comité de sélection et veille à ce que le comité effectue son travail avec équité, minutie et intégrité. Il devrait « posséder une connaissance générale » des demandes évaluées. Il joue un « rôle essentiel » pour ce qui est de veiller au respect des politiques et des procédures du CRSH.

[8]  Les politiques prévoient que les membres du comité participent « aux discussions du comité sur l'ensemble des demandes présentées au comité pour examen ». (Dans la version 2019‑2020 du Guide, on ajoute ceci : « Certaines occasions de financement prévoient un seuil, c'est‑à‑dire que les candidats doivent obtenir une note ou un classement minimal pour être admissibles au financement. ») Après les discussions liées aux demandes, le comité examine et achève le classement final des demandes. La liste définitive des demandes évaluées distingue celles qui sont recommandées pour un financement de celles qui ne le sont pas. Le président du comité approuve le chiffrier qui en découle et les notes finales.

B.  Les conflits d'intérêts

[9]  Le CRSH reconnaît dans le Guide que des conflits d'intérêts peuvent survenir au cours de l'évaluation des demandes. En plus d'indiquer leurs intérêts lorsqu'ils mènent des activités d'évaluation, les participants au processus d'évaluation du mérite doivent déceler tout conflit « réel, présumé ou possible ».

[10]  Dans la Politique sur les conflits d'intérêts et la confidentialité des organismes fédéraux de financement de la recherche, le terme « conflit d'intérêts » est défini comme suit : « un conflit entre les obligations et les responsabilités d'un participant à un processus d'évaluation et ses intérêts privés, professionnels, commerciaux ou publics ». La définition se poursuit ainsi :

Il peut y avoir un conflit d'intérêts réel, apparent ou potentiel lorsqu'un membre de comité d'évaluation, un examinateur de l'extérieur ou un observateur se retrouve dans l'une des situations suivantes :

i. pourrait recevoir un avantage professionnel ou personnel résultant de la possibilité ou du programme de financement ou d'une demande qui fait l'objet d'une évaluation;

ii. entretient une relation professionnelle ou personnelle avec un candidat ou l'établissement du candidat;

iii. a un intérêt financier direct ou indirect dans une possibilité ou un programme de financement ou une demande qui fait l'objet d'une évaluation.

[11]  Aux termes de la politique, il est interdit aux évaluateurs externes et aux membres du comité d'évaluation, notamment le président, de participer à l'évaluation d'une demande s'ils sont en situation de conflit d'intérêts.

C.  Le processus d'appel du CRSH

[12]  Aux termes de la politique du CRSH intitulée « Appel de décisions découlant de l'évaluation du mérite », les candidats ne peuvent solliciter un nouvel examen d'une décision de financement que s'il s'avère qu'une « erreur » a été commise lors du processus d'évaluation du mérite et que cette « erreur » a entraîné le refus de leur demande de financement. Selon la politique, les erreurs « consistent en des dérogations à des politiques et à des procédures du CRSH », notamment un conflit d'intérêts non déclaré ou résolu. Il est en outre précisé dans la politique que le CRSH n'accepte pas les appels fondés notamment sur une divergence d'opinion scientifique entre membres de comité de sélection et (ou) examinateurs externes. Les décisions rendues au sujet des appels sont définitives.

[13]  L'appel « doit être fondé sur une démonstration convaincante qu'une erreur a été commise dans le cadre du processus d'évaluation ». L'appel doit être présenté par écrit et la lettre d'appel ne doit pas dépasser deux pages. Si des renseignements additionnels sont nécessaires, le personnel du CRSH en avisera l'appelant. Le comité d'appel ne tiendra pas compte de documents à l'appui qui n'étaient pas compris dans la demande initiale.

[14]  Selon la politique, à la réception d'une demande d'appel, le personnel du CRSH relevant du vice‑président directeur de la Direction des affaires générales du CRSH détermine « si l'appel est fondé ». Si un appel est « accepté », il est transmis à un comité d'appel. Le comité d'appel peut confirmer la recommandation initiale du comité de sélection ou recommander de donner raison à l'appelant. Une décision favorisant l'appelant ne signifie pas nécessairement qu'il reçoit un financement. Ce financement « dépend notamment du classement final de sa demande ».

III.  La demande de M. Oleynik

[15]  En octobre 2015, M. Oleynik, qui est professeur de sociologie ayant sa permanence à l'université Memorial de Terre‑Neuve, a présenté une demande de financement au CRSH. En mai 2016, il a reçu une lettre du CRSH dans laquelle on l'informait qu'aucun financement ne lui serait accordé.

[16]  Il était mentionné dans la lettre que le comité de sélection avait examiné toutes les demandes avant de les classer selon leur mérite relatif. Le formulaire d'évaluation du comité, toutes les évaluations reçues et les statistiques du concours, qui comprenaient les résultats globaux ainsi que la note et le classement de la demande de M. Oleynik, étaient joints à la lettre. Il était indiqué sur le formulaire d'évaluation du comité que, bien que la demande de M. Oleynik [TRADUCTION] « ait reçu une note de passage pour chacun des trois critères d'évaluation, son classement final n'était pas assez élevé pour permettre l'attribution d'une bourse à partir des fonds disponibles ». Il y était aussi précisé que [TRADUCTION] « le comité n'a pas examiné, lors de l'étape finale de l'évaluation, les demandes initialement classées par consensus parmi les 35 % les moins élevées ». Comme la demande de M. Oleynik entrait dans cette catégorie, elle n'a pas été examinée.

IV.  L'appel interne de M. Oleynik

A.  L'appel et la décision

[17]  M. Oleynik a eu recours à la procédure d'appel du CRSH pour interjeter appel du refus de sa demande de financement. Pour appuyer son appel, il a présenté des documents dépassant largement la limite de deux pages. Il a également soumis une version abrégée de ses observations conforme à la limite. Dans cette version, il a avancé trois motifs d'appel : 1) le CRSH n'a pas organisé l'évaluation du mérite de manière à ce que sa demande soit évaluée par des experts dans son domaine; 2) le président du comité de sélection, qui est une [TRADUCTION] « figure centrale » du processus d'évaluation du mérite, était en situation de conflit d'intérêts, une situation qui n'a été [TRADUCTION] « ni déclarée ni traitée correctement »; 3) un évaluateur externe [TRADUCTION] « a également agi en situation de conflit d'intérêts ». Il n'a pas invoqué, comme fondement de son appel, le fait qu'il s'attendait à ce que le comité de sélection examine sa demande. Il ne s'est pas non plus plaint du fait que d'autres motifs auraient pu être invoqués s'il n'avait pas été limité à deux pages, même s'il s'est néanmoins plaint que la limite l'empêchait d'étayer le premier motif invoqué.

[18]  Le comité de sélection était présidé par M. Kevin McQuillan, vice‑recteur adjoint de l'université de Calgary et haut gestionnaire de l'université. Dans ses observations, M. Oleynik a fait valoir qu'avant de devenir vice‑recteur adjoint, M. McQuillan était doyen de la faculté des arts de l'université, poste dont le titulaire est également haut gestionnaire de l'université. De 2008 à 2014, M. Oleynik a été partie à un litige touchant un professeur de l'université. Ce professeur avait participé à l'évaluation par le CRSH d'une version antérieure de la demande de financement de M. Oleynik, qui avait également été rejetée. (Voir Oleynik v. University of Calgary, 2011 ABCA 281, autorisation d'interjeter appel à la Cour suprême du Canada refusée, 2012 CanLII 22122; Oleynik v. University of Calgary, 2012 ABQB 189; Oleynik v. University of Calgary, 2012 ABQB 286; Oleynik v. University of Calgary, 2013 ABCA 105, autorisation d'interjeter appel à la Cour suprême du Canada refusée, [2013] 3 R.C.S. ix; Oleynik v. University of Calgary, 2013 ABCA 278; Oleynik v. University of Calgary, 2013 ABCA 395, autorisation d'interjeter appel refusée, 2014 ABCA 19; Oleynik v. University of Calgary, 2013 ABCA 429.) Selon les observations de M. Oleynik lors de l'appel, le litige a entraîné des honoraires d'avocat de plus de 100 000 $ pour l'université.

[19]  M. Oleynik a fait valoir qu'en tant que haut gestionnaire de l'université, M. McQuillan [TRADUCTION] « a dû être informé » du litige et [TRADUCTION] « était, hors de tout doute raisonnable, au courant du litige ». Il y avait donc, selon lui, un conflit entre les intérêts institutionnels et commerciaux de M. McQuillan à titre de haut gestionnaire de l'université et ses responsabilités dans le processus d'évaluation du mérite.

[20]  Comme je l'ai déjà mentionné, la politique d'appel du CRSH dispose que le vice‑président directeur de la Direction des affaires générales peut écarter tout motif d'appel qui n'est pas visé par la politique. Il a écrit à M. Oleynik pour l'informer du fait que son appel serait [TRADUCTION] « soumis à un comité d'appel en raison d'un conflit d'intérêts possible avec le président du comité » [non souligné dans l'original] et que le comité d'appel [TRADUCTION] « déterminerait l'incidence que ce conflit d'intérêts a pu avoir sur [son] dossier ». Il était indiqué dans la lettre : [TRADUCTION] « Veuillez également noter qu'à la suite de l'évaluation de votre dossier, aucun autre conflit d'intérêts n'a été cerné. En outre, une divergence d'opinion scientifique ne constitue pas un motif d'appel. » La lettre informait M. Oleynik que le comité d'appel ne prendrait pas en considération les documents qu'il avait soumis, à l'exception de la lettre d'appel abrégée de deux pages.

[21]  Dans une lettre d'octobre 2016, le vice‑président directeur de la Direction des affaires générales a informé M. Oleynik que le comité d'appel avait décidé de recommander le maintien des notes initialement accordées à sa demande. Il lui rappelait également que le rôle du comité d'appel se limitait à déterminer [TRADUCTION] « l'incidence, le cas échéant, de l'« erreur » cernée (en l'espèce, le conflit d'intérêts réel, présumé ou possible du président du comité de sélection) sur l'évaluation du dossier et les notes accordées par le comité initial ».

B.  Le processus du comité d'appel

[22]  Les documents obtenus par M. Oleynik à la suite d'une demande présentée au titre de la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. 1985, ch. A‑1, comprenaient des documents internes du CRSH qui viennent éclaircir le processus suivi dans son appel.

[23]  L'un de ces documents était une note de service présentant l'information à fournir aux membres du comité d'appel. On devait les assurer que le personnel du vice‑président directeur de la Direction des affaires générales avait [TRADUCTION] « effectué le travail de fond et les recherches nécessaires pour déterminer les motifs de l'appel ». On expliquait également ainsi le rôle du comité d'appel :

[TRADUCTION]

Le rôle du comité d'appel n'est pas de procéder à une évaluation complètement nouvelle des dossiers : votre rôle consiste à juger, de votre mieux, l'incidence que l'« erreur » (en d'autres termes, les dérogations aux politiques et aux procédures du CRSH) a pu avoir (le cas échéant) sur l'évaluation initiale du dossier selon la demande et les documents de sélection [...] fournis.

[24]  Selon la note de service, les décisions que peut rendre le comité sont les suivantes :

[TRADUCTION]

L'une des deux issues suivantes est possible : la note ou les notes initiales sont maintenues (c'est‑à‑dire que vous êtes d'accord avec l'évaluation du comité initial) OU vous pensez, compte tenu des renseignements dont vous disposez, que la note ou les notes devraient être modifiées. Cette décision peut se solder ou non par un financement [...].

[25]  Après un bref exposé du contexte de l'appel de M. Oleynik, le document précise que [TRADUCTION] « l'erreur réputée avoir été commise est que le président du comité se trouvait dans une situation de conflit d'intérêts réel, présumé ou possible et que le président n'a ni déclaré ni résolu ce conflit ».

[26]  D'après une autre note de service interne, [TRADUCTION] « le président n'a joué aucun rôle dans l'évaluation du dossier et le dossier n'avait pas obtenu une note suffisante pour justifier une discussion lors de la réunion de sélection [...] ».

[27]  Sur la feuille de travail préparée pour consigner le résultat des délibérations du comité d'appel, il était précisé, après la présentation des motifs de l'appel, que [TRADUCTION] « puisque le président du comité est un haut gestionnaire de l'université, il devait être au courant du litige ». Sur cette feuille de travail figurent les trois questions suivantes auxquelles le comité devait répondre : [TRADUCTION] 1) « Dans quelle mesure pensez‑vous que l'erreur a eu une incidence sur l'évaluation de ce dossier? »; 2) « L'erreur justifie‑t‑elle une modification des notes? »; 3) « Si un changement de note est justifié, quelle est la nouvelle note? »

[28]  Dans l'encadré à côté de la première question, la réponse suivante a été inscrite à la main : [TRADUCTION] « – Divergence relativement normale. – Aucune preuve que le président savait nécessairement ce qui se passait. » Dans l'encadré à côté de la deuxième question, la réponse suivante a été inscrite à la main : [TRADUCTION] « – Il n'y a aucune preuve qu'un conflit d'intérêts du président aurait influencé les notes + le revenu [sic] final. » L'encadré à côté de la troisième question ne contenait pas de nouvelle note.

[29]  D'après la note d'information sur les recommandations du comité d'appel, le comité [TRADUCTION] « n'a trouvé aucune preuve démontrant qu'un conflit d'intérêts réel, présumé ou possible touchant le président a influencé les notes ou le résultat final » de la demande de M. Oleynik. C'est sur ce fondement que le comité d'appel a recommandé que les notes initiales attribuées à la demande soient maintenues.

C.  Le président du comité d'appel

[30]  Les autres documents obtenus par M. Oleynik ont également permis de savoir que le comité d'appel était présidé par M. Alain Verbeke, professeur à l'université de Calgary. Avant d'assumer la présidence, M. Verbeke a été tenu de confirmer qu'il n'avait aucun conflit d'intérêts à l'égard des candidats, des cocandidats ou des collaborateurs prenant part aux appels examinés par le comité. Il n'a apparemment pas été interrogé sur un conflit possible découlant de son rôle à l'université de Calgary par rapport à celui de M. McQuillan, le président du comité dont la décision faisait l'objet de l'appel de M. Oleynik. Il n'y a rien non plus dans le dossier quant à la nature de la relation entre M. McQuillan et M. Verbeke, sauf leurs postes officiels. Selon la note d'information faisant état des recommandations du comité d'appel, [TRADUCTION] « le président du comité [d'appel] [...] a orienté la discussion tenue avec tous les membres du comité afin de parvenir à une recommandation unanime pour chacun des [...] dossiers ». Ces dossiers comprenaient notamment le dossier relatif à l'appel de M. Oleynik.

V.  La demande de contrôle judiciaire

[31]  M. Oleynik, qui comparaissait alors en personne, a saisi la Cour fédérale d'une demande de contrôle judiciaire de la décision du comité d'appel. Son avis de demande renvoyait également à la décision initiale de refus de financement prise par le comité de sélection et à l'évaluation par le CRSH des projets de recherche de M. Oleynik pendant une période de neuf ans. Le redressement demandé comprenait une ordonnance annulant les décisions du comité d'appel et du comité de sélection et renvoyant sa demande au CRSH pour nouvel examen, ainsi qu'une ordonnance confirmant que le traitement par le CRSH de l'évaluation de ses demandes de 2008 à 2016 contenait des [TRADUCTION] « lacunes systémiques » et ne respectait pas les normes de l'équité procédurale.

[32]  M. Oleynik a présenté une série de motifs pour ce redressement. Il a notamment invoqué la partialité et la partialité institutionnelle, un mauvais traitement des conflits d'intérêts réels, présumés ou possibles du président du comité de sélection, M. McQuillan, et du président du comité d'appel, M. Verbeke, en tant que subordonné de M. McQuillan, ainsi que le conflit d'intérêts d'un évaluateur externe, et l'examen de la demande de M. Oleynik par un évaluateur externe qui n'avait pas les connaissances nécessaires. M. Oleynik a également allégué que le CRSH avait violé son droit à l'équité procédurale et à la justice naturelle, notamment en ne respectant pas les politiques et procédures publiées. Bien que, selon les documents relatifs à sa demande, le comité de sélection n'ait pas discuté de sa demande, les politiques et procédures qui, selon lui, n'ont pas été suivies se limitaient à celles relatives aux conflits d'intérêts ainsi qu'à la sélection et au recrutement des évaluateurs externes.

[33]  Comme le reconnaît l'avocat de M. Oleynik, le règlement de la demande était complexe, compte tenu, notamment, du nombre et de la nature des motifs invoqués. En rejetant la demande, la Cour fédérale a conclu qu'il n'y avait pas eu de violation du droit à l'équité procédurale ou à la justice naturelle, et que M. Oleynik avait eu la possibilité de se faire « entendre ». Bien que la Cour ait reconnu (aux paragraphes 101 et 120) que les allégations de conflit d'intérêts soulevaient des questions d'équité procédurale, elle a conclu qu'on n'avait pas établi qu'il y avait de conflit d'intérêts au sens de la politique d'appel du CRSH. Elle a mentionné (aux paragraphes 112 et 113) que, selon la politique sur les appels, on ne peut interjeter appel que lorsqu'une erreur a été commise au cours du processus d'évaluation. Elle a ensuite déclaré :

[...] le « conflit d'intérêts » défini dans la politique du CRSH sur les appels a un objet précis. La procédure d'appel du CRSH est orientée vers la question de savoir si une erreur a été commise au cours du processus d'évaluation et si cette erreur a entraîné le refus de la demande de financement. À mon avis, une allégation portant sur une « question de conflit d'intérêts » doit être évaluée dans le contexte du comportement à l'origine de l'erreur et qu'une telle erreur a entraîné le refus de financement.

[34]  En ce qui concerne l'allégation de conflit touchant M. McQuillan, la Cour a déclaré conclure (au paragraphe 115) que, d'après la preuve au dossier, il n'avait pas participé à l'évaluation de la demande de M. Oleynik, puisque la demande avait été éliminée en raison de sa note faible et n'avait pas été examinée par le comité de sélection. Quant à l'allégation à l'endroit de M. Verbeke, la Cour a conclu (au paragraphe 121) que rien n'indique que les membres du comité d'appel aient été influencés de manière inappropriée par leurs relations professionnelles ou personnelles.

[35]  La Cour fédérale a également rejeté les autres arguments de M. Oleynik, notamment celui de la partialité institutionnelle. Elle ne s'est pas prononcée sur les attentes légitimes de M. Oleynik quant à la question de savoir si le comité de sélection discuterait de sa demande. Comme je l'ai déjà mentionné, M. Oleynik n'a pas invoqué le non-respect par le CRSH de ses politiques et procédures à cet égard comme motif de sa demande.

VI.  Les questions en appel

[36]  Dans son appel devant notre Cour, M. Oleynik se concentre sur deux questions : les conflits d'intérêts liés aux rôles de M. McQuillan et de M. Verbeke, et le fait que le CRSH n'ait pas, dans le traitement de sa demande, agi conformément à ses attentes raisonnables quant à la procédure à suivre.

[37]  Quant à la première question, il soutient que la Cour fédérale a commis une erreur en ne traitant pas un conflit d'intérêts au sens des politiques appliquées par le comité d'appel du CRSH comme correspondant à une crainte raisonnable de partialité en common law, et en exigeant, en fait, que M. Oleynik établisse non seulement l'existence d'une crainte raisonnable de partialité, mais aussi une partialité réelle qui a eu une incidence sur la note accordée à sa demande. En ce qui concerne le deuxième point, il soutient que la Cour fédérale a commis une erreur en ne concluant pas que le CRSH avait manqué à l'équité procédurale lorsqu'il n'a pas suivi ses propres politiques publiées concernant l'évaluation des demandes. Il s'appuie plus précisément sur la déclaration figurant dans le Guide des membres de comité de sélection, selon laquelle la discussion relative aux demandes par le comité de sélection portera sur l'ensemble des demandes présentées au comité pour examen.

VII.  La norme de contrôle

[38]  Lorsque notre Cour est saisie de l'appel d'une décision de la Cour fédérale lors d'une demande de contrôle judiciaire, le rôle de notre Cour consiste à déterminer si la Cour fédérale a choisi la norme de contrôle appropriée et si elle l'a correctement appliquée (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, aux paragraphes 45 à 47).

[39]  En l'espèce, les parties conviennent que, puisque la demande présentée à la Cour fédérale soulevait des questions d'équité procédurale, la Cour fédérale a correctement déterminé la norme de contrôle applicable comme étant celle de la décision correcte. Cela correspond à la conclusion de notre Cour dans l'arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 R.C.F. 121, au paragraphe 54, selon laquelle le contrôle judiciaire applicable aux questions d'équité procédurale est « particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte ». Nous devons donc déterminer si la Cour fédérale a appliqué cette norme correctement.

VIII.  Question préliminaire : l'appel est‑il théorique?

[40]  Vu le temps qui s'est écoulé depuis la présentation et l'évaluation de la demande de financement de M. Oleynik, au cours de la période 2015‑2016, la Cour a demandé aux parties, après l'audience, de fournir des observations écrites portant sur la question de savoir si le présent appel est théorique et, dans la négative, de préciser quelles mesures de redressement concrètes ou efficaces sont à la disposition de la Cour au regard de facteurs comme le temps écoulé et l'état des fonds pour lesquels M. Oleynik a présenté une demande.

[41]  Après avoir examiné les observations, je propose que la Cour statue sur l'appel en se fondant sur le fait qu'il n'est pas théorique et qu'un redressement efficace (s'il existe un droit à un redressement) peut être accordé. L'avocate du procureur général a reconnu, dans ses observations, que M. Oleynik pourrait toujours bénéficier d'un financement, du moins [TRADUCTION] « théoriquement », s'il obtenait gain de cause en appel. Le procureur général n'a présenté ni éléments de preuve ni observations qui permettraient de tirer une conclusion semblable à celle examinée par la Cour fédérale dans la décision Teitelbaum c. Canada (Procureur général), 2004 CF 398, aux paragraphes 131 à 134. Dans des circonstances quelque peu semblables, la Cour avait indiqué dans cette affaire que la procédure de financement interdit la prise d'une nouvelle décision à la suite de directives données par la Cour.

[42]  Je passe donc à une analyse des questions en litige à examiner dans le présent appel.

IX.  Analyse

A.  La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur sur la question du conflit d'intérêts?

[43]  Pour examiner la question, je ne traiterai que des thèses que M. Oleynik continue d'invoquer devant notre Cour. Il reste deux allégations de conflit d'intérêts : la première concerne le rôle de M. McQuillan en tant que président du comité de sélection, et la seconde, le rôle de M. Verbeke à titre de président du comité d'appel.

(1)  Le conflit présumé de M. McQuillan

[44]  Le conflit présumé de M. McQuillan dans son rôle de président du comité de sélection relevait, à première vue, de la compétence du comité d'appel et était visé par la politique du CRSH sur les appels de décisions découlant de l'évaluation du mérite. Il est également visé par la Politique sur les conflits d'intérêts et la confidentialité des organismes fédéraux de financement de la recherche et par sa définition du terme conflit d'intérêts. Selon son libellé, cette politique s'applique aux participants au processus d'évaluation des demandes de financement et à la prise de décisions de financement. Comme je l'ai mentionné précédemment, les politiques du CRSH définissent le terme conflit d'intérêts comme un « conflit d'intérêts réel, présumé ou possible ».

[45]  Je suis d'accord avec M. Oleynik pour dire qu'en appliquant ces politiques au prétendu conflit de M. McQuillan, la Cour fédérale a agi comme si les politiques exigeaient que l'appelant établisse l'existence d'un conflit d'intérêts réel, c'est‑à‑dire un conflit qui a effectivement eu une incidence sur l'évaluation de la demande de l'appelant et a effectivement entraîné le refus du financement. Cette approche apparaît au paragraphe 113, précité, des motifs de la Cour fédérale :

[...] le « conflit d'intérêts » défini dans la politique du CRSH sur les appels a un objet précis. La procédure d'appel du CRSH est orientée vers la question de savoir si une erreur a été commise au cours du processus d'évaluation et si cette erreur a entraîné le refus de la demande de financement. À mon avis, une allégation portant sur une « question de conflit d'intérêts » doit être évaluée dans le contexte du comportement à l'origine de l'erreur et qu'une telle erreur a entraîné le refus de financement.

[46]  M. Oleynik soutient que cette interprétation était erronée. Il ajoute que pour traiter l'erreur de manière appropriée, notre Cour doit interpréter le critère du conflit d'intérêts selon les politiques comme équivalant au critère de la crainte raisonnable de partialité en common law. Comme l'affirme M. Oleynik, l'énoncé le plus couramment appliqué de ce critère a été exposé par le juge de Grandpré, dissident, dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. L'Office national de l'énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394 :

[...] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. [...] ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait‑elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

[47]  En faisant cette observation, M. Oleynik s'appuie sur des décisions de notre Cour selon lesquelles des expressions semblables à l'expression « conflit d'intérêts présumé » — que l'on trouve dans les politiques applicables en l'espèce — qui sont utilisées dans d'autres codes et directives sur les conflits d'intérêts, soit les expressions « apparence de conflit d'intérêts » et « conflit d'intérêts apparent », sont comparables à la crainte raisonnable de partialité et dictent l'application du même critère : Threader c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 1 C.F. 41, aux pages 56 et 57 (C.A.F.); Gauthier c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 75, au paragraphe 45; voir également Sparkes v. Enterprise Newfoundland & Labrador Corp., 167 Nfld. & P.E.I.R. 218, 1998 CanLII 18005, au paragraphe 46 (C.A. T.‑N.‑L.).

[48]  Toutefois, je ne suis pas d'accord avec M. Oleynik pour dire que la Cour fédérale a elle‑même traité les politiques de façon erronée et que le redressement approprié est d'appliquer, au moyen des politiques, le critère de la crainte raisonnable de partialité en common law. Ma décision est fondée sur plusieurs motifs.

[49]  Premièrement, à mon avis, l'approche de la Cour fédérale à l'égard des politiques est fidèle à leur libellé. Au paragraphe 113 de ses motifs, la Cour fédérale a souligné avec justesse que les politiques sont axées sur une « erreur » qui entraîne le refus d'une demande de financement. Rien n'indique que cette orientation ne soit pas un choix délibéré du CRSH — un choix que la Cour devrait, en principe, respecter.

[50]  Deuxièmement, le dossier dont nous sommes saisis n'indique pas clairement laquelle des trois catégories de conflits mentionnées dans les politiques (conflit d'intérêts réel, présumé ou possible) aurait pu exister, selon le vice‑président directeur de la Direction des affaires générales du CRSH, ni laquelle le comité d'appel a ensuite examinée. Bien que le vice‑président directeur de la Direction des affaires générales ait affirmé à M. Oleynik que sa demande serait soumise à un comité d'appel sur le fondement d'un [TRADUCTION] « conflit d'intérêts possible », il a également informé M. Oleynik que l'« erreur » que le comité d'appel a prise en considération était le « conflit d'intérêts réel, présumé ou possible » du président [non souligné dans l'original]. Comme je l'ai indiqué précédemment, il était aussi expliqué, dans la note de service donnant l'information au comité d'appel, que [TRADUCTION] « l'erreur réputée avoir été commise est que le président du comité se trouvait dans une situation de conflit d'intérêts réel, présumé ou possible ». On ne précise pas laquelle des trois formes possibles de conflit était « réputée avoir été commise ». S'il était uniquement question d'un « conflit d'intérêts possible », rien ne prouve que ce conflit aurait été suffisamment grave pour satisfaire au critère de la crainte raisonnable de partialité en common law.

[51]  Troisièmement, en common law, la conséquence ordinaire d'une conclusion de crainte raisonnable de partialité est l'annulation de la décision. [TRADUCTION] « Si une crainte raisonnable de partialité est établie, une audience équitable ou l'équité procédurale sont impossibles » : Guy Régimbald, Canadian Administrative Law, 2e éd. (Markham (Ontario), LexisNexis, 2015), aux pages 425 et 426, qui renvoie à l'arrêt Cardinal c. Directeur de l'Établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, à la page 661.

[52]  En l'espèce toutefois, aux termes des politiques, il serait sans conséquence de conclure à l'existence d'une crainte raisonnable de partialité selon les politiques, à moins que le comité d'appel n'ajuste les notes en raison de cette conclusion de manière à produire un résultat différent. Pour que la Cour rende la position aux termes des politiques véritablement comparable à la position en common law, il faudrait donc réécrire les politiques. Même si la Cour pouvait le faire, point sur lequel nous n'avons pas à nous prononcer, tel n'était pas le redressement sollicité auprès de la Cour fédérale, pas plus que celui sollicité de notre Cour.

[53]  À mon avis, la façon la plus simple et la plus pertinente de procéder est que notre Cour reconnaisse les limites des politiques du CRSH et applique en plus la common law, de façon indépendante. J'estime que la demande de M. Oleynik et le dossier d'appel mettent en jeu, par rapport au rôle de M. McQuillan, la conformité non seulement aux politiques, mais aussi aux exigences de l'équité procédurale en common law. Même si l'appel de M. Oleynik était rejeté pour ce qui est des politiques, notre Cour peut et doit examiner son autre thèse, soit un manquement à l'équité en common law.

[54]  Il est fondamental en common law que toute personne dont les droits, privilèges ou biens sont touchés par une décision administrative a droit, en l'absence d'une disposition légale contraire, à l'équité procédurale : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 20; Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie‑Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), 2001 CSC 52, [2001] 2 R.C.S. 781, aux paragraphes 21 à 24. L'équité procédurale comprend le droit à ce que la décision soit prise par un décideur impartial, sans crainte raisonnable de partialité : Baker, au paragraphe 45. C'est au moyen du concept de la crainte raisonnable de partialité que la règle de la common law sur l'équité procédurale traite les conflits d'intérêts présumés.

[55]  Le procureur général ne conteste pas que M. Oleynik avait droit à l'équité procédurale relativement à sa demande de financement. Aucune disposition légale n'écarte l'application de la common law selon le principe abordé dans l'arrêt Ocean Port, aux paragraphes 21 à 24. Comme il a été mentionné précédemment, les politiques relatives aux conflits d'intérêts ne sont pas définies dans des règlements autorisés par la loi; elles n'ont pas force de loi. Voir, d'autre part, l'arrêt Sturgeon Lake Cree Nation c. Hamelin, 2018 CAF 131, aux paragraphes 52 à 55.

[56]  Si on applique la common law, le critère, encore une fois, est :

à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait‑elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?

[57]  En énonçant ce critère dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty, à la page 395, le juge de Grandpré a pris soin de préciser que les motifs de la crainte doivent être « sérieux ». Il a également convenu que le critère — ce que penserait une personne raisonnable et bien renseignée — ne peut être celui « d'une personne de nature scrupuleuse ou tatillonne ». En d'autres termes, le seuil à franchir pour conclure à une crainte raisonnable de partialité est élevé, et le fardeau de la partie qui cherche à établir l'existence d'une crainte raisonnable est donc élevé : voir Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c. Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25, [2015] 2 R.C.S. 282, aux paragraphes 25 et 26.

[58]  Quels renseignements concernant M. McQuillan la personne raisonnable et bien renseignée aurait‑elle en l'espèce? D'après le dossier, ces renseignements incluraient l'existence d'un litige acharné entre M. Oleynik et un professeur de l'université de Calgary, où M. McQuillan est toujours haut gestionnaire, et le fait que ce litige a pris fin en 2014. Ils incluraient également des éléments fournis par M. Oleynik selon lesquels le litige avait coûté à l'université plus de 100 000 $ en honoraires d'avocat, et l'hypothèse de M. Oleynik selon laquelle M. McQuillan devait être au courant du litige. Ils ne comprendraient rien sur le rôle éventuel de M. McQuillan lors du litige, puisqu'il n'y a rien dans le dossier à cet égard.

[59]  Toutefois, les renseignements sur M. McQuillan comprendraient au moins quelques précisions concernant le fonctionnement du comité de sélection qu'il présidait et le rôle du président. Il s'agirait notamment de renseignements voulant que la demande de M. Oleynik n'ait pas été examinée par le comité parce qu'une note trop faible lui a été attribuée et que, par conséquent, M. McQuillan n'ait pas participé à ce volet de la sélection. Il y aurait également des renseignements sur l'importance accordée, dans les politiques du CRSH, au rôle du président du comité de sélection, qui est de « se charger de veiller à ce que le comité s'acquitte de son travail de manière juste, exhaustive et intègre tout en garantissant le respect des politiques et des procédures du CRSH ». Il y aurait aussi d'autres renseignements concernant les fonctions dont le président doit s'acquitter, notamment l'approbation du chiffrier et des notes finales. Mais là encore, rien dans le dossier ne permet de savoir en quoi consistait cette approbation — s'il s'agissait, par exemple, d'une simple formalité — ni même de savoir si M. McQuillan a effectivement donné son approbation.

[60]  Enfin, les renseignements dont la personne bien renseignée aurait connaissance comprendraient ceux selon lesquels le vice‑président directeur de la Direction des affaires générales du CRSH aurait conclu que l'existence d'un conflit d'intérêts, tel qu'il est défini dans les politiques applicables, était établie et qu'il aurait par conséquent renvoyé l'affaire à un comité d'appel. Toutefois, comme nous l'avons déjà indiqué, les éléments de la définition du conflit d'intérêts que le vice‑président directeur de la Direction des affaires générales a examinés ne ressortent pas du dossier, et il n'y a rien non plus dans le dossier concernant le fondement de sa conclusion. Il ne semble donc pas approprié de supposer que la personne bien renseignée ait des connaissances précises sur ce point.

[61]  Comme l'a fait observer la Cour d'appel de l'Ontario, la détermination de l'existence d'une crainte raisonnable de partialité [TRADUCTION] « dépend largement des faits. C'est particulièrement vrai en ce qui concerne les tribunaux administratifs qui sont fondés sur des régimes légaux et des contextes normatifs uniques » : Austin v. Ontario Racing Commission, 2007 ONCA 587, au paragraphe 37.

[62]  En l'espèce, en tenant compte de ce qu'une personne raisonnable et bien renseignée penserait objectivement, surtout compte tenu des limites du rôle de M. McQuillan dans le processus d'évaluation du mérite et des lacunes dans le dossier dont dispose la Cour, je conclus que M. Oleynik ne s'est pas acquitté de son fardeau d'établir une crainte raisonnable de partialité relativement au rôle de M. McQuillan.

(2)  Le conflit présumé de M. Verbeke

[63]  Je le répète, ce prétendu conflit concerne la composition du comité d'appel lui‑même et le fait que M. Verbeke en ait été président. Il ne s'agit donc pas d'un conflit soumis à la procédure d'appel du CRSH, car cette procédure ne s'applique qu'aux erreurs présumées qui se produisent au cours du processus d'évaluation du mérite. La définition du terme « conflit d'intérêts » énoncée dans la politique des organismes fédéraux de financement de la recherche ne semble pas non plus s'appliquer puisque cette politique, comme nous l'avons déjà mentionné, ne s'applique qu'aux participants au processus d'évaluation du financement. Par conséquent, à mon avis, le conflit allégué concernant M. Verbeke ne peut être examiné que selon le principe de l'équité procédurale en common law.

[64]  La Cour fédérale a rejeté cette demande (au paragraphe 121 de ses motifs) pour le motif que le rôle de M. Verbeke ne privait pas M. Oleynik de la possibilité de se faire « entendre » et que « [r]ien n'indique que les membres du comité d'appel auraient pu être influencés de manière inappropriée par leurs relations personnelles ou professionnelles ».

[65]  Je conviens avec M. Oleynik que cette conclusion semble également viser la question de savoir s'il y a eu une réelle partialité plutôt qu'une crainte raisonnable de partialité. Dans ce cas, comme dans le cas de M. McQuillan du point de vue de la common law, la question pertinente est plutôt la suivante :

à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait‑elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?

[66]  En appliquant ce critère, je ne ferais pas droit au motif d'appel mettant en cause le rôle de M. Verbeke en tant que président du comité d'appel.

[67]  Dans ses observations sur ce point, M. Oleynik s'appuie sur la jurisprudence selon laquelle une crainte raisonnable de partialité peut découler de la relation entre un subordonné et un supérieur : voir, par exemple, Lee c. Canada (Sous‑commissaire, Service correctionnel, Région du pacifique), [1994] 3 C.F. 629, à la page 643; Cheney c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1590, aux paragraphes 27, 29 et 35.

[68]  Cependant, tout ce que le dossier en l'espèce permet de savoir sur la relation entre M. Verbeke et M. McQuillan est que le premier est professeur à l'université de Calgary et que le second est vice‑recteur adjoint, qui est un poste de haut gestionnaire. Rien ne vient préciser la nature de leur relation ni établir qu'il s'agit véritablement d'une relation de subordonné à supérieur. À mon avis, une personne raisonnable aurait besoin de plus de renseignements avant de pouvoir conclure que la relation donne lieu à une crainte raisonnable de partialité.

B.  La Cour fédérale a‑t‑elle commis une erreur sur la question des attentes légitimes?

[69]  Comme nous l'avons déjà mentionné, l'argument invoqué par M. Oleynik devant notre Cour concernant les attentes légitimes est fondé sur son attente selon laquelle le comité de sélection qui a examiné sa demande examinerait « l'ensemble des demandes présentées au comité pour examen », y compris la sienne, conformément à ce qui figurait dans le Guide des membres de comité de sélection du CRSH pendant la période pertinente. Comme nous l'avons également mentionné ci-dessus, cela ne s'est pas produit : la note attribuée à sa demande était inférieure au seuil adopté par le comité pour déterminer les demandes justifiant une discussion.

[70]  À mon avis, il ne serait pas approprié que la Cour examine ce motif d'appel. Il n'a été soulevé ni devant le comité d'appel ni à la Cour fédérale. Il n'y a donc pas de décision sur la question que la Cour puisse examiner en appel.

[71]  En règle générale, lors d'un contrôle judiciaire, un tribunal ne se penchera pas sur une question qui aurait pu être soulevée devant le décideur administratif, mais ne l'a pas été : voir Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers' Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, aux paragraphes 21 à 26; Canada (Procureur général) c. Valcom Consulting Group Inc., 2019 CAF 1, au paragraphe 36. Les raisons d'une telle règle comprennent le risque de préjudice pour l'intimé et la possibilité de priver la cour de révision du dossier de preuve nécessaire : Alberta Teachers' Association, aux paragraphes 24 à 26.

[72]  De même, une cour d'appel n'examinera généralement pas une question qui n'a pas été soulevée en première instance. Parmi les considérations qui justifient cette règle figurent aussi les craintes que le dossier factuel relatif à la question ne sera pas complet et que la cour d'appel ne bénéficiera pas des avis de la cour de première instance sur la question : Eli Lilly Canada Inc. c. Teva Canada Limitée, 2018 CAF 53, aux paragraphes 44 et 45, autorisation d'interjeter appel à la Cour suprême du Canada refusée, [2018] 3 R.C.S. vi.

[73]  Je suis d'accord avec l'avocate du procureur général pour dire que la Cour ne devrait pas se pencher sur la question des attentes légitimes de M. Oleynik concernant l'examen de sa demande par le comité de sélection. Cette question aurait pu être soulevée lors de l'appel au CRSH, malgré la limite de deux pages. Comme M. Oleynik le savait, les dérogations aux politiques et aux procédures du CRSH sont des erreurs pouvant justifier un appel aux termes des politiques du CRSH sur les appels. Si cette question avait été soulevée, son règlement par le comité d'appel ferait alors partie du dossier de la preuve. La question aurait ainsi pu être soulevée et prise en compte dans le dossier dont était saisie la Cour fédérale, qui aurait donc pu l'examiner. Bien que les parties non représentées par un avocat puissent parfois bénéficier d'une certaine latitude quant au respect des exigences lors d'une demande de contrôle judiciaire, M. Oleynik, comme le montrent les documents qu'il a soumis, n'est pas un plaideur inexpérimenté.

[74]  Pour ces motifs, je n'examinerais pas davantage le motif d'appel relatif aux attentes légitimes.

X.  Dispositif proposé

[75]  Je rejetterais l'appel, avec dépens.

« J.B. Laskin »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

Donald J. Rennie, j.c.a. »

« Je suis d'accord.

Judith Woods, j.c.a. »


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-309-18

(APPEL D'UN JUGEMENT RENDU PAR LA JUGE HENEGHAN LE 13 JUILLET 2018, DOSSIER NO T‑1917‑16)

INTITULÉ :

ANTON OLEYNIK c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 4 septembre 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LASKIN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE WOODS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 10 janvier 2020

 

COMPARUTIONS :

Paul Champ

Bijon Roy

 

Pour l'appelant

 

Laura Rhodes

 

Pour l'intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Champ & Associates

Ottawa (Ontario)

 

Pour l'appelant

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l'intimé

 

 

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