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Date : 20200110


Dossier : A-241-18

Référence : 2020 CAF 6

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

MILOMIR STOJANOVIC

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Audience tenue à Toronto (Ontario) le 17 septembre 2019.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le 10 janvier 2020.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

 


Date : 20200110


Dossier : A-241-18

Référence : 2020 CAF 6

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

MILOMIR STOJANOVIC

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

I.  Introduction

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale, publiée sous l’intitulé M. S. c. Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2018 TSS 695 (décision d’appel).

[2]  Après avoir établi une période de prestation et payé des prestations à M. Stojanovic, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (la Commission) a révisé sa demande en application du paragraphe 52(1) de la Loi sur l’assurance-emploi, LC 1996, ch. 23 (la Loi) environ quatre ans et demi après la fin du versement des prestations. Cette révision a eu deux conséquences. Premièrement, la Commission a conclu que M. Stojanovic était inadmissible aux prestations d’assurance-emploi parce qu’il aurait travaillé des semaines de travail entières pendant certaines semaines de sa période de prestation alors qu’il était travailleur indépendant : voir le Règlement sur l’assurance-emploi (D.O.R.S./96-332, paragraphe 30) (le Règlement). Deuxièmement, la Commission a conclu que M. Stojanovic a sciemment fait des déclarations fausses ou trompeuses et lui a donné un avertissement aux termes du paragraphe 41.1(1) de la Loi. M. Stojanovic a demandé un réexamen de ces deux décisions, en application du paragraphe 112(1) de la Loi. La Commission a réexaminé sa décision et l’a confirmée.

[3]  M. Stojanovic a interjeté appel de cette décision au Tribunal de la sécurité sociale. La division générale lui a donné gain de cause sur les deux questions en litige, mais la division d’appel a accueilli l’appel de la Commission aux motifs que la division générale avait commis une erreur de droit et un manquement au droit à la justice naturelle des parties : Commission de l’assurance-emploi du Canada c. M. S, 2017 TSSDAAE 270, 2017 CanLII 55644, au para. 15. Les parties ont été renvoyées à la division générale, qui a maintenu la décision de la Commission, dans une décision non publiée : M. S. v. Canada Employment Insurance Commission (7 février 2018), GE-17-2485 (la décision).

[4]  La division générale a confirmé la décision de la Commission sur les deux questions en litige. Sur la première question en litige, la division générale a conclu que M. Stojanovic était travailleur indépendant et que, par conséquent, la Commission avait conclu à juste titre qu’il était inadmissible à recevoir des prestations d’assurance-emploi. Sur la deuxième question en litige, la division générale a conclu que l’avertissement avait été donné à bon droit parce que M. Stojanovic avait sciemment fourni des renseignements faux ou trompeurs. Lors de l’appel, la division d’appel a conclu qu’elle n’avait pas de raison de modifier la décision. M. Stojanovic présente maintenant une demande de contrôle judiciaire à notre Cour.

[5]  Pour les motifs qui suivent, je rejetterais la présente demande de contrôle judiciaire.

II.  Résumé des faits

A.  Exposé des faits

[6]  M. Stojanovic a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi au mois de novembre 2009. Une période de prestation a été établie, et il a reçu des prestations jusqu’au mois de mars 2011. En avril 2010, il a constitué une société. Du mois d’avril au mois de septembre, il a effectué des travaux préliminaires pour démarrer son entreprise. En septembre 2010, l’entreprise était suffisamment établie pour qu’il puisse envoyer sa première facture. La portion de la période de prestation en cause commence donc à la date de constitution de la société, en avril 2010, et se termine à la fin des prestations en mars 2011 (la période pertinente).

[7]  La connaissance de l’anglais de M. Stojanovic est rudimentaire. Un interprète était présent à l’audience devant la division générale.

[8]  Pendant la période pertinente, M. Stojanovic a déposé 25 rapports électroniques à la Commission. Dans chacun de ces rapports, il a répondu « Non » à la question [traduction] « Êtes-vous un travailleur indépendant? » et [traduction] « Avez-vous travaillé ou touché une rémunération pendant la période visée par ce rapport, y compris un travail à votre compte, même si vous n'avez pas encore été ou ne serez pas rémunéré pour ce travail? ». La Commission se fonde sur ces réponses pour conclure que M. Stojanovic a sciemment fait une fausse déclaration.

[9]  Au début de l’année 2015, l’Agence du revenu du Canada a avisé la Commission que M. Stojanovic avait présenté une demande de numéro d’enregistrement pour les entreprises pendant qu’il recevait des prestations de l’assurance-emploi. La Commission a avisé M. Stojanovic qu’elle savait qu’il avait démarré une entreprise et lui a demandé de remplir un questionnaire détaillant son travail indépendant. Les réponses de M. Stojanovic démontrent ce qui suit :

  • Il a signé un bail de location d’un local commercial d’une durée de deux ans le 30 mars 2010.
  • L’entreprise a été constituée en société le 16 avril 2010.
  • Il détenait 50 % des parts de la société et a fourni un financement de 50 000 $ provenant de sa marge de crédit hypothécaire et de ses cartes de crédit. Il a également contracté un prêt personnel de 60 000 $. La seule contribution de l’autre actionnaire était pour le financement de l’équipement nécessaire.
  • En 2010, il a consacré 1 568 heures au démarrage de son entreprise. Son horaire de travail habituel était du lundi au vendredi, de 9 h à 17 h, et ce, 22 jours par mois.
  • Entre le mois de septembre 2010 et la fin de l’année, l’entreprise a réalisé un produit de 6 748,91 $.

[10]  En octobre 2015, la Commission a avisé M. Stojanovic qu’il n’avait pas droit aux prestations qu’il a reçues à partir du mois d’avril 2010 et qu’il devait donc rembourser un paiement en trop de 21 635 $. La lettre de la Commission contenait également un avertissement en application du paragraphe 41.1(1) de la Loi.

B.  La division générale

[11]  La division générale a formulé ainsi les questions en litige qui lui ont été présentées, à savoir i) si M. Stojanovic, pendant la période pertinente, a omis de démontrer qu’il était en chômage aux termes des articles 9 et 11 de la Loi et de l’article 30 du Règlement, et ii) si l’avertissement donné par la Commission en application du paragraphe 41.1(1) de la Loi était justifié.

[12]  Sur la première question, la division générale a conclu que M. Stojanovic participait à l’exploitation d’une entreprise, en se fondant sur le fait qu’il possédait une entreprise et sur les activités qu’il a menées pour la démarrer. Par conséquent, il est considéré comme ayant effectué une semaine de travail entière aux termes du paragraphe 30(1) du Règlement pendant chaque semaine de la période pertinente où il participait à l’exploitation de cette entreprise. La question suivante était de savoir si M. Stojanovic pouvait invoquer l’exception du paragraphe 30(2) du Règlement :

Lorsque le prestataire exerce un emploi ou exploite une entreprise selon le paragraphe (1) dans une mesure si limitée que cet emploi ou cette activité ne constituerait pas normalement le principal moyen de subsistance d’une personne, il n’est pas considéré, à l’égard de cet emploi ou de cette activité, comme ayant effectué une semaine entière de travail.

Where a claimant is employed or engaged in the operation of a business as described in subsection (1) to such a minor extent that a person would not normally rely on that employment or engagement as a principal means of livelihood, the claimant is, in respect of that employment or engagement, not regarded as working a full working week.

[13]  Afin d’établir si l’engagement de M. Stojanovic dans son entreprise s’inscrivait dans l’exception prévue, la division générale a analysé les facteurs énumérés au paragraphe 30(3) du Règlement :

Les circonstances qui permettent de déterminer si le prestataire exerce un emploi ou exploite une entreprise dans la mesure décrite au paragraphe (2) sont les suivantes :

The circumstances to be considered in determining whether the claimant's employment or engagement in the operation of a business is of the minor extent described in subsection (2) are

a) le temps qu’il y consacre;

(a) the time spent;

b) la nature et le montant du capital et des autres ressources investis;

(b) the nature and amount of the capital and resources invested;

c) la réussite ou l’échec financiers de l’emploi ou de l’entreprise;

(c) the financial success or failure of the employment or business;

d) le maintien de l’emploi ou de l’entreprise;

(d) the continuity of the employment or business;

e) la nature de l’emploi ou de l’entreprise;

(e) the nature of the employment or business; and

f) l’intention et la volonté du prestataire de chercher et d’accepter sans tarder un autre emploi.

(f) the claimant's intention and willingness to seek and immediately accept alternate employment.

[14]  La division générale a examiné les faits pertinents à chacun de ces facteurs.

Alinéa 30(3)a) – Le temps qu’il y consacre

[15]  La division générale a déterminé que M. Stojanovic avait consacré passablement d’heures au démarrage de son entreprise, mais qu’il a passé autant de temps à la recherche d’un emploi. Elle a toutefois conclu que le temps qu’il a consacré à la recherche d’un emploi ne réduisait pas la portée du temps consacré au démarrage de son entreprise.

Alinéa 30(3)b) – La nature et le montant du capital et des autres ressources investis

[16]  La nature et le montant du capital investi ont été jugés importants en raison des obligations que M. Stojanovic a contractées pour le démarrage de son entreprise. Ce facteur fait également peser la balance contre la conclusion selon laquelle l’engagement de M. Stojanovic dans l’entreprise était minime.

Alinéa 30(3)c) – La réussite ou l’échec financiers de l’entreprise

[17]  Dans son examen de la réussite ou de l’échec financier de l’entreprise, la division générale a retenu les observations de M. Stojanovic, qui a déclaré que l’entreprise n’a généré que peu ou pas de revenus pendant la période pertinente. Elle a également noté que M. Stojanovic était d’avis que l’entreprise était une réussite, puisqu’elle était ouverte depuis cinq ans et qu’il considérait qu’il s’agit de son principal moyen de subsistance.

Alinéa 30(3)d) – Le maintien de l’entreprise

[18]  La division générale a conclu que l’entreprise a continué d’être en activité jusqu’à ce qu’elle devienne le principal moyen de subsistance de M. Stojanovic. Elle a également conclu que, depuis la signature du bail, le prestataire avait fourni des efforts continus pour faire progresser l’entreprise. Cette détermination a pesé dans la conclusion selon laquelle l’engagement M. Stojanovic dans l’entreprise n’était pas minime.

Alinéa 30(3)e) – La nature de l’entreprise

[19]  La division générale a déterminé que la nature de l’entreprise s’inscrivait dans le domaine d’expertise de M. Stojanovic et qu’il a manifesté un fort désir de demeurer dans cette industrie commerciale spécialisée.

Alinéa 30(3)f) – L’intention et la volonté du prestataire de chercher et d’accepter un autre emploi

[20]  La division générale a retenu les observations de M. Stojanovic selon lesquelles les machines de l’entreprise pouvaient exécuter des tâches de façon autonome pour une durée de 12 à 14 heures à la fois, et que son intention était de trouver un emploi à temps plein et d’exploiter pour un certain temps son entreprise à temps partiel.

[21]  La division générale a conclu que M. Stojanovic n’avait pas réfuté la présomption selon laquelle il travaillait pendant une semaine entière pendant chaque semaine de la période pertinente. Elle a conclu que son engagement n’était pas si minime qu’une personne ne pourrait pas normalement en faire son principal moyen de subsistance, aux termes du paragraphe 30(2) du Règlement. La division générale a plus précisément souligné le temps consacré à l’entreprise et l’investissement qui y a été fait. Par conséquent, la Commission a maintenu la conclusion relative à l’inadmissibilité de M. Stojanovic.

[22]  La division générale a ensuite examiné la seconde question en litige, à savoir si l’avertissement donné par la Commission était justifié. Le paragraphe 41.1(1) de la Loi confère à la Commission l’autorité de donner un avertissement pour les conduites décrites au paragraphe 38(1) et reproduites ci-dessous :

Lorsqu’elle prend connaissance de faits qui, à son avis, démontrent que le prestataire ou une personne agissant pour son compte a perpétré l’un des actes délictueux suivants, la Commission peut lui infliger une pénalité pour chacun de ces actes :

The Commission may impose on a claimant, or any other person acting for a claimant, a penalty for each of the following acts or omissions if the Commission becomes aware of facts that in its opinion establish that the claimant or other person has

[…]

[…]

b) étant requis en vertu de la présente loi ou des règlements de fournir des renseignements, faire une déclaration ou fournir un renseignement qu’on sait être faux ou trompeurs;

(b) being required under this Act or the regulations to provide information, provided information or made a representation that the claimant or other person knew was false or misleading;

[23]  La division générale a noté la jurisprudence de notre Cour, qui établit que la question de savoir si un demandeur savait subjectivement qu’une déclaration était fausse ou trompeuse doit être tranchée en fonction de la prépondérance des probabilités. La division générale a ensuite examiné les rapports électroniques, dans lesquels M. Stojanovic a répondu « Non » aux questions relatives à l’emploi et au travail indépendant. Malgré les éléments de preuve selon lesquels le demandeur ne croyait pas être un travailleur indépendant, la division générale a conclu que la reconnaissance par le prestataire plus tôt dans les instances antérieures qu’il avait décidé de lancer une entreprise et d’investir son temps et son argent au démarrage de son entreprise démontrait qu’il savait subjectivement qu’il était un travailleur indépendant. Par conséquent, il devait également savoir que les renseignements qu’il a donnés étaient faux et trompeurs.

[24]  Enfin, la division générale s’est penchée sur le pouvoir discrétionnaire de la Commission de donner un avertissement. Elle a noté que la Commission a tenu compte de la piètre compréhension de l’anglais de M. Stojanovic, tout en soulignant qu’il a déclaré, comme il a été mentionné précédemment, qu’il ne travaillait pas pendant la période pertinente alors qu’il savait subjectivement que c’était faux. Toutefois, puisqu’il s’agissait d’une première déclaration trompeuse, et en tenant compte de la maîtrise limitée de l’anglais de M. Stojanovic à titre de facteur atténuant, la Commission a décidé de lui donner un avertissement. La division générale a conclu que la Commission avait examiné tous les facteurs pertinents et qu’il n’y avait pas lieu d’intervenir.

C.  La division d’appel

[25]  Les motifs pour lesquels la division d’appel peut réviser une décision de la division générale sont établis par le paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, ch. 34 (la LMEDS) :

Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

The only grounds of appeal are that

a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;

(a) the General Division failed to observe a principle of natural justice or otherwise acted beyond or refused to exercise its jurisdiction;

b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;

(b) the General Division erred in law in making its decision, whether or not the error appears on the face of the record; or

c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

(c) the General Division based its decision on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it.

[26]  La division d’appel a conclu qu’à l’égard des deux questions en litige, la décision n’était entachée d’aucune des erreurs visées au paragraphe 58(1) de la LMEDS.

[27]  Aux paragraphes 13 à 28 de sa décision, la division d’appel examine l’analyse par la division générale des facteurs du paragraphe 30(3) à considérer pour établir que l’emploi d’un prestataire ou son engagement dans son entreprise est si minime qu’une personne ne pourrait pas normalement en faire son principal moyen de subsistance. En se fondant sur la jurisprudence de notre Cour, la division d’appel y souligne qu’aucun facteur n’est décisif en soi et que chaque cas doit être examiné en fonction des circonstances qui lui sont propres. Elle mentionne que, même si le temps passé à la recherche d’un emploi est un élément important à considérer pour déterminer l’étendue mineure de l’engagement d’un prestataire dans son entreprise, il ne s’agit pas d’un élément plus déterminant que le temps consacré à l’entreprise ou le manque à gagner de l'entreprise pour générer un revenu suffisant.

[28]   Après avoir résumé l’analyse de chacun des facteurs effectuée par la division générale, la division d’appel cite la conclusion de la division générale relativement à l’engagement de M. Stojanovic dans son entreprise, que je reproduis ci-dessous :

[TRADUCTION]

Selon les constatations concernant les six circonstances prévues au paragraphe 30(3) du Règlement, le Tribunal estime que le [prestataire] n’a pas réfuté la présomption selon laquelle il travaillait pendant une semaine entière, en application du paragraphe 30(1) du Règlement. Le Tribunal n’est pas d’avis que le [prestataire] a démontré, à la lumière de sa participation et de ses efforts dans le démarrage et l’exploitation de son entreprise, que son engagement était si minime qu’une personne ne pourrait pas normalement en faire son principal moyen de subsistance. En formulant ce constat, le Tribunal souligne le temps que le [prestataire] a consacré à l’entreprise et l’investissement qui y a été fait. Le Tribunal félicite le [prestataire] pour le risque qu’il a pris pour multiplier ses possibilités d’emploi grâce au travail indépendant, en partie dans le but de réduire au minimum ses prestations d’assurance-emploi. Toutefois, le Tribunal estime que dès lors que le [prestataire] a signé le bail de son entreprise le 30 mars 2010, il était engagé dans l’exploitation d’une entreprise et qu’il est donc considéré comme ayant travaillé des semaines de travail entières.

(Décision d’appel, au paragraphe 29)

[29]  La division d’appel tire les conclusions suivantes :

Selon la preuve, l’application du critère objectif prévu à l’article 30(2) à la situation du prestataire, conformément à l’article 30(3), révèle qu’au moins quatre des facteurs pertinents permettent de constater que l’engagement du prestataire dans l’entreprise n’était pas si limité après le 1er avril 2010.

(Décision d’appel, au paragraphe 32)

[30]  Par conséquent, la division d’appel a conclu qu’elle n’avait pas à intervenir, car la décision de la division générale est fondée sur les éléments de preuve qui lui ont été présentés et est conforme à la loi et à la jurisprudence.

[31]  Sur la question de l’avertissement donné à M. Stojanovic, la division d’appel a noté que, selon la division générale, M. Stojanovic n’a pas donné d’explication raisonnable ou crédible pour les fausses déclarations au sujet du travail indépendant et que la Commission avait prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que le prestataire avait le degré requis de connaissances subjectives au moment où les fausses déclarations ont été faites.

[32]  La division d’appel a également noté que la division générale s’est fondée sur les faits suivants pour conclure que M. Stojanovic avait sciemment donné des renseignements faux ou trompeurs : il a décidé de démarrer sa propre entreprise, il a investi passablement de temps et d’argent pour démarrer l’entreprise, laquelle était devenue opérationnelle durant sa période de prestations. La division d’appel a également souligné que la division générale n’a pas retenu l’explication de M. Stojanovic selon laquelle il ne croyait pas être un travailleur indépendant parce que son entreprise ne lui permettait pas de toucher un revenu d’appoint.

[33]  La division d’appel a donc conclu que la conclusion de la division générale sur la question de l’avertissement était fondée sur les éléments de preuve et était conforme à la loi. Puisqu’elle a conclu que la décision de la division générale sur les deux questions en litige n’est pas fondée sur une erreur de fait ou de droit, la division d’appel a rejeté l’appel de M. Stojanovic.

III.  Norme de contrôle

[34]  Dans le contexte du présent contrôle judiciaire, la question soulevée devant la Cour est de savoir si la division d’appel pouvait raisonnablement conclure que la division générale n’a pas commis d’erreur de droit en rendant sa décision ou qu’elle n’a pas fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée : Canada (Procureur général) c. Bellil, 2017 CAF 104, au para. 9. La division d’appel a la responsabilité d’évaluer si la division générale a commis une erreur de droit ou de fait. La Cour a la responsabilité d’examiner si cette conclusion est raisonnable en ce qui concerne le résultat obtenu et le raisonnement suivi : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, au para. 83 [arrêt Vavilov]. Cette approche exige que la Cour détermine si la décision de la division d’appel est justifiée, transparente et intelligible et si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : arrêt Vavilov, au para. 86 et arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au para. 47. Nous ne devons pas écarter la division d’appel en rendant notre propre décision sur le bien-fondé de la décision de la division générale, puis en évaluant la décision de la division d’appel selon notre propre opinion de l’affaire : arrêt Vavilov, au para. 83, arrêt Canada (Procureur général) c. Hong, 2017 CAF 46, 2017 C.L.L.C. 240-003, au para. 4.

[35]  En gardant à l’esprit les limites législatives du pouvoir de révision de la division d’appel, considérant qu’il n’y a pas de question relative à l’équité procédurale, la Cour est appelée à décider si la conclusion de la division d’appel, selon laquelle la division générale n’a pas commis d’erreur de droit ou de fait au sens des alinéas b) et c) du paragraphe 58(1) de la LMEDS, est raisonnable.

IV.  Questions en litige

[36]  La division d’appel a examiné deux décisions : la décision selon laquelle M. Stojanovic était inadmissible à recevoir les prestations d’assurance-emploi et la décision de lui donner un avertissement. Par conséquent, la Cour doit déterminer si la décision de la division d’appel de rejeter l’appel interjeté à l’encontre de chacune de ces décisions était raisonnable.

V.  Analyse

A.  Décision sur l’inadmissibilité

[37]  L’admissibilité d’un travailleur indépendant aux prestations d’assurance-emploi est régie par l’article 30 du Règlement. Cet article commence par la présomption selon laquelle le prestataire travailleur indépendant est inadmissible aux prestations parce qu’il est présumé avoir effectué une semaine entière de travail pour chaque semaine où il est travailleur indépendant : paragraphe 30(1) du Règlement. Cette présomption peut être réfutée si l’engagement du prestataire dans l’entreprise est si limité que cette activité ne constituerait pas normalement le principal moyen de subsistance d’une personne : paragraphe 30(2) du Règlement. Le degré d’engagement est déterminé par l’évaluation des facteurs établis au paragraphe 30(3) du Règlement. Si la présomption n’est pas réfutée, le prestataire est inadmissible aux prestations.

[38]  La Cour a conclu que ces facteurs doivent être examinés objectivement dans leur ensemble afin d’établir si l’engagement est si minime qu’une personne ne pourrait pas normalement en faire son principal moyen de subsistance : Martens c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 240, au para. 50.

[39]  En l’espèce, la division d’appel a confirmé que la division générale avait examiné l’ensemble des facteurs. La division générale a d’ailleurs reconnu que M. Stojanovic avait passé autant de temps à chercher un emploi qu’à travailler pour son entreprise, et qu’il était en tout temps prêt à accepter un emploi à temps plein. Toutefois, en considérant l’ensemble des facteurs, la division générale a conclu que M. Stojanovic n’avait pas réfuté la présomption selon laquelle il travaillait pendant une semaine entière pendant la période pertinente. La division d’appel a pu conclure que l’analyse de la division générale avait été réalisée adéquatement et qu’elle n’était pas entachée d’erreurs de droit ou de fait. Les motifs de la division d’appel sont transparents et intelligibles. L’issue respecte les contraintes imposées par la Loi et la jurisprudence. Par conséquent, la décision de la division d'appel de ne pas intervenir était raisonnable.

B.  La décision de donner un avertissement

[40]  La division d’appel a conclu que l’explication qu’avait donnée M. Stojanovic pour ses réponses négatives données dans les rapports électroniques, c’est-à-dire qu’il ne croyait pas à ce moment-là qu’il était travailleur indépendant, n’a pas été retenue par la division générale : décision d’appel, au para. 40. La division d’appel a examiné la conclusion de la division générale selon laquelle l’explication de M. Stojanovic au sujet des réponses données dans les rapports électroniques n’était ni raisonnable ni crédible. Seule la division générale, à titre de juge des faits, peut rendre de telles conclusions. Par conséquent, la division d’appel n’avait aucune raison de modifier la conclusion selon laquelle M. Stojanovic savait subjectivement que ses réponses étaient fausses et qu’un avertissement a été donné à bon droit, conformément à l’alinéa 38(1)b) et au paragraphe 41.1(1) de la Loi.

[41]  La décision de la division d’appel était raisonnable. Ses motifs sont intelligibles et transparents et ils soutiennent suffisamment sa conclusion. L’issue peut se justifier au regard du droit et des faits qui ont été présentés à la division d’appel.

[42]  Par conséquent, je rejetterais la présente demande de contrôle judiciaire, sans dépens.

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

« Je souscris aux présents motifs.

Judith Woods j.c.a. »

« Je souscris aux présents motifs.

J.B. Laskin j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-241-18

 

 

INTITULÉ :

MILOMIR STOJANOVIC c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 septembre 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 10 janvier 2020

 

COMPARUTIONS :

Milomir Stojanovic

 

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Stéphanie Yung-Hing

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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