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Date : 20200123


Dossier : A-317-18

Référence : 2020 CAF 18

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE GLEASON

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

 

 

COLIN McCARTIE

 

 

appelant

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

intimée

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 14 janvier 2020.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le 23 janvier 2020.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE RIVOALEN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE GLEASON

 


Date : 20200123


Dossier : A-317-18

Référence : 2020 CAF 18

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE GLEASON

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

 

 

COLIN McCARTIE

 

 

appelant

 

 

Et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE RIVOALEN

[1]  M. McCartie interjette appel d’une ordonnance rendue le 19 septembre 2018 par la Cour canadienne de l’impôt (nos des dossiers de la Cour : 2016-2716(IT)G et 2016-2717(GST)G) (les motifs), dans laquelle le juge Bocock (le juge de la Cour de l’impôt) a refusé d’approuver des questions préliminaires selon une requête présentée au titre de la Règle 58 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), D.O.R.S./90-688a.

I.  Contexte

[2]  La principale question en litige devant la Cour de l’impôt portait sur la nouvelle cotisation d’impôt sur le revenu et de TPS établie à l’égard de l’appelant relativement au revenu non déclaré, pour la période allant de 2005 à 2009. L’appelant a été accusé d’évasion fiscale pendant la même période. Au cours de la procédure criminelle, la Cour provinciale de la Colombie-Britannique a conclu que les éléments de preuve documentaire étaient irrecevables. La Cour provinciale de la Colombie-Britannique a exclu tous les relevés bancaires obtenus grâce aux demandes péremptoires de renseignements formulées par la Division de la vérification de l’Agence du revenu du Canada, et tous les livres comptables obtenus au moyen d’un mandat de perquisition exécuté au domicile et au bureau de l’appelant. L’exclusion de ces documents a entraîné l’acquittement de l’appelant. En conséquence, l’appel des nouvelles cotisations de 2005 à 2009 de l’appelant a été relancé auprès de la Cour de l’impôt.

[3]  Avant la tenue du procès, l’appelant a demandé que les quatre questions (les questions) soient tranchées au titre de la Règle 58 concernant la recevabilité de la preuve : [TRADUCTION]

  1. Sur quels éléments de preuve la cotisation portée en appel est-elle fondée?

  2. Les éléments de preuve invoqués pour établir les cotisations ont-ils été obtenus en violation des droits de l’appelant qui lui sont garantis par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 (la Charte)?

  3. Si c’est le cas, ces éléments de preuve devraient-ils être exclus de la présente instance, aux termes du paragraphe 24(2) de la Charte?

  4. Si les éléments de preuve sont exclus, est-il convenable et juste, eu égard aux circonstances, d’annuler les cotisations d’impôt visées par ce renvoi, en application du paragraphe 24(1) de la Charte? (Mémoire de l’appelant, au paragraphe 131; mémoire de l’intimée, au paragraphe 10).

[4]  Le juge de la Cour de l’impôt a exercé son pouvoir discrétionnaire et a conclu qu’aucune des questions ne se prêtait à une décision au titre de la Règle 58. Il a rejeté la requête de l’appelant, en concluant qu’il était préférable que la recevabilité des éléments de preuve en l’espèce soit laissée à l’interprétation du juge de procès (motifs, aux paragraphes 45 à 48).

[5]  Le juge de la Cour de l’impôt a tiré trois conclusions principales. Premièrement, il n’y aurait aucune économie de temps ou d’argent puisque le juge de procès aurait besoin d’entendre des éléments de preuve pour déterminer s’il y a eu violation de la Charte (motifs, aux paragraphes 34 à 43). Deuxièmement, le juge de requêtes et le juge de procès pourraient tirer des conclusions contradictoires en examinant les mêmes éléments de preuve ou des éléments de preuve semblables (motifs, au paragraphe 45). Enfin, il a noté que la question n° 4 n’est pas une question appropriée au titre de la Règle 58, car elle « vise tout simplement l’issue de la totalité de l’appel ». Par conséquent, cette question proposée devrait être tranchée lors d’une audience avec l’ensemble des éléments de preuve au procès (motifs, aux paragraphes 28 à 29).

[6]  La Couronne s’est opposée à la requête et s’oppose au présent appel. Elle soutient que le juge de la Cour canadienne de l’impôt n’a commis aucune erreur susceptible de révision.

[7]  Pour les motifs qui suivent, je suis d’accord avec la Couronne. Je propose donc que l’appel soit rejeté.

II.  Norme de contrôle

[8]  Les parties sont d’accord sur la norme de contrôle telle qu’elle a été énoncée dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235. Par conséquent, la norme de contrôle applicable dans un appel à l’égard des questions de fait ainsi que des questions mixtes de fait et de droit est celle de l’erreur manifeste et dominante. Au titre de la Règle 58, un juge de requêtes a le pouvoir discrétionnaire de décider s’il convient ou non de rendre une ordonnance afin qu’une question soit tranchée avant l’audience. En l’absence d’une erreur de droit, l’ordonnance ne peut être annulée qu’au titre de l’erreur manifeste et dominante (arrêt Paletta c. Canada, 2017 CAF 33, [2017] D.T.C. 5039, au paragraphe 4; arrêt 3488063 Canada Inc. c. Canada, 2016 CAF 233, 270 A.C.W.S. (3d) 665, aux paragraphes 32 à 34; arrêt Viterra Inc. c. Canada, 2019 CAF 55, [2019] G.S.T.C. 23, au paragraphe 6).

III.  Questions en litige

[9]  L’appelant formule la question en litige comme une erreur du juge de la Cour canadienne de l’impôt ayant fait une [TRADUCTION] « mauvaise appréciation des faits équivalant à une erreur manifeste et dominante » (mémoire de l’appelant, au paragraphe 39). Il ne conteste pas le bien-fondé de la question n° 4 et n’invoque aucune erreur de droit.

[10]  L’appelant est d’avis que le juge de la Cour canadienne de l’impôt a mal interprété les quatre faits clés et s’est fondé sur ces faits pour arriver à sa conclusion.

[11]  Premièrement, le juge de la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur en présumant qu’il existait un véritable différend entre les parties concernant les documents sur lesquels le ministre s’était appuyé pour établir de nouvelles cotisations en 2011 (mémoire de l’appelant, au paragraphe 53). Deuxièmement, le juge de la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur en concluant que les éléments de preuve obtenus grâce aux demandes péremptoires de renseignements ne pouvaient pas faire l’objet d’une contestation fondée sur la Charte (mémoire de l’appelant, au paragraphe 60). Troisièmement, le juge de la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur en concluant qu’il y avait d’autres éléments de preuve recevables dans l’instance criminelle et que ces éléments de preuve recevables y ont été présentés (mémoire de l’appelant, au paragraphe 88). Enfin, le juge de la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur en concluant que les éléments de preuve contestés ont été obtenus au moyen de deux vérifications distinctes (mémoire de l’appelant, au paragraphe 103).

[12]  Avant de commencer mon analyse, il est utile de rappeler que le seuil pour conclure à une erreur manifeste et dominante est très élevé. La décision de la Cour dans l’arrêt Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165, 431 N.R. 286, au paragraphe 46, cité dans l’arrêt Benhaim c. St. Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 R.C.S. 352, au paragraphe 38, a décrit une erreur manifeste et dominante de la façon suivante :

L’erreur manifeste et dominante constitue une norme de contrôle appelant un degré élevé de retenue [...]  Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente, et par erreur « dominante », une erreur qui touche directement à l’issue de l’affaire. Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier.

IV.  Analyse

[13]  Pour ce qui est du premier argument de l’appelant, je suis d’avis que le juge de la Cour canadienne de l’impôt n’a commis aucune erreur manifeste en concluant qu’il existait un véritable problème entre les parties concernant les documents sur lesquels le ministre s’était fondé pour établir les cotisations.

[14]  Dans les actes de procédure devant la Cour canadienne de l’impôt et durant ses observations verbales, la question de savoir sur quoi le ministre s’est fondé était une question en litige qui est restée sans réponse.

[15]  En ce qui concerne le deuxième argument de l’appelant, selon lui, cette erreur est pertinente, car le juge de la Cour de l’impôt a conclu que [TRADUCTION] « l’analyse du paragraphe 24(2) de la Charte devra être entreprise en ce qui concerne la deuxième et la troisième question » (mémoire de l’appelant, au paragraphe 69). Si le juge avait correctement interprété les faits, selon l’appelant, [TRADUCTION] « il aurait pu examiner les conclusions de la Cour provinciale de la Colombie-Britannique sur les violations de la Charte, compte tenu des principes de courtoisie judiciaire, de l’irrecevabilité, du recours abusif et de la règle qui prohibe les contestations indirectes », puisque les documents obtenus grâce aux demandes péremptoires de renseignements ont été exclus dans leur intégralité (mémoire de l’appelant, au paragraphe 75).

[16]  La Couronne reconnaît que le juge de la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur en concluant que certains documents n’étaient pas exclus par la Cour provinciale de la Colombie-Britannique. Cependant, la Couronne soutient que c’est une erreur manifeste, mais que ce n’est pas une erreur dominante (mémoire de l’intimé, au paragraphe 46). En effet, les documents bancaires obtenus grâce aux demandes péremptoires de renseignements ont été exclus dans leur intégralité par la Cour provinciale de la Colombie-Britannique. Elle a conclu qu’elle n’était pas en mesure de statuer équitablement sur les droits de l’appelant garantis par l’article 7 et l’alinéa 11d), parce que les éléments de preuve relatifs aux notes du vérificateur perdues ou manquantes ne lui permettaient pas de se prononcer sur la question de savoir si les documents bancaires avaient été obtenus dans des conditions qui violent ou nient un droit garanti par la Charte.

[17]  Je suis d’accord avec la Couronne. Les éléments de preuve exclus et jugés irrecevables dans une instance criminelle en raison de violations de la Charte peuvent très bien être recevables dans une instance devant la Cour canadienne de l’impôt (arrêt Warawa c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 34, [2005] 1 C.T.C. 402, au paragraphe 6). Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a également cité la décision de la Cour dans l’arrêt Canada c. Jurchison, 2001 CAF 126, 274 N.R. 346, en soulignant qu’il est concevable que des éléments de preuve soient irrecevables pour les fins d’une poursuite criminelle, mais qu’ils soient recevables pour les fins d’un procès devant la Cour canadienne de l’impôt (motifs, au paragraphe 20).

[18]  Le deuxième argument de l’appelant ne peut donc pas être retenu. Cette erreur n’a aucune incidence sur la conclusion du juge de la Cour canadienne de l’impôt selon laquelle répondre aux questions ne permettra pas de réaliser des économies et ne raccourcira pas la durée de l’instance.

[19]  De même, pour les mêmes raisons exposées au paragraphe 17, le troisième argument de l’appelant n’est pas convaincant. La Cour canadienne de l’impôt n’a commis aucune erreur susceptible de révision en concluant que certains documents n’étaient pas exclus par la Cour provinciale de la Colombie-Britannique.

[20]  En ce qui concerne le quatrième argument, le juge de la Cour canadienne de l’impôt a peut-être commis quelques erreurs de fait mineures, telles que la référence à deux vérifications distinctes, désignées comme la [TRADUCTION] « première vérification » et la [TRADUCTION] « deuxième vérification », plutôt que celle en cause, à savoir la [TRADUCTION] « deuxième vérification ». Aucune de ces erreurs n’équivaut à une erreur dominante.

[21]  Au terme de la Règle 58(2), la Cour canadienne de l’impôt est tenue d’examiner les questions proposées et de décider si, en y répondant avant l’audience, ces réponses pourraient régler l’instance en totalité ou en partie, abréger substantiellement celle-ci ou entraîner une économie substantielle de frais. C’est exactement ce que le juge de la Cour canadienne de l’impôt a fait et il n’a commis aucune erreur susceptible de révision dans son analyse. En l’espèce, le juge de procès sera chargé de répondre aux questions sur la recevabilité des éléments de preuve, compte tenu de violations alléguées de la Charte. La Couronne a l’intention de citer des témoins comme le vérificateur pour témoigner et établir une partie du dossier de preuve. Il était donc loisible au juge de la Cour canadienne de l’impôt de conclure qu’aucune économie de temps ou d’argent ne serait réalisée en faisant traiter l’une des questions par un juge de requêtes.

[22]  En outre, comme le juge de la Cour canadienne de l’impôt l’a souligné à juste titre, vu les circonstances de la présente instance, il a refusé d’ordonner la détermination des questions en application de la Règle 58, parce que « [l]a détermination des trois premières questions à trancher exigerait que le juge des requêtes entende des témoignages qui devraient fort probablement être répétés devant le juge du procès, quelles que soient les réponses aux questions. La possibilité que deux juges, après avoir entendu un témoignage considérable, se prononcent sur la crédibilité des mêmes témoins et sur le poids à accorder à leurs témoignages à l'occasion des mêmes appels, n'est ni équitable ni conforme aux intérêts des parties et de la justice » (Motifs, au paragraphe 45).

[23]  Aucune des erreurs de fait invoquées par l’appelant ne justifie les trois conclusions principales et l’issue de la décision de la Cour canadienne de l’impôt. En conclusion, l’appelant ne m’a pas convaincu que la Cour canadienne de l’impôt a commis une quelconque erreur qui justifierait l’annulation de son ordonnance.

[24]  Par conséquent, je rejetterais le présent appel avec dépens.

« Marianne Rivoalen »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Richard Boivin, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Mary J.L. Gleason, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-317-18

INTITULÉ :

COLIN McCARTIE c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 janvier 2020

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE RIVOALEN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE GLEASON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 23 janvier 2020

 

COMPARUTIONS :

Colin McCartie

 

Pour L’APPELANT

(pour son propre compte)

 

Max Matas

Jamie Hansen

 

Pour l’intimée

 

AVOCAT INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

 

Pour L’INTIMÉE

 

 

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