Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20200116


Dossier : A-70-19

Référence : 2020 CAF 9

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE GLEASON

LA JUGE RIVOALEN

 

ENTRE :

 

 

PATRICK CHIPESIA, CLARENCE APSASSIN, GABRIEL HARVEY, SYLVESTER APSASSIN, ANGELA APSASSIN, SUSAN DUMAS, AMANDA APSASSIN, TRACY PAQUETTE, VANESSA APSASSIN, ANTHONY POUCE-COUPE, HENRY APSASSIN, JOSEPH APSASSIN, MALCOLM APSASSIN, RUSSELL APSASSIN et WALTER APSASSIN

 

 

appelants

 

 

et

 

 

PREMIÈRES NATIONS DE LA RIVIÈRE BLUEBERRY et CHEF MARVIN YAHEY PÈRE, SHAWN DAVIS, SHERRY DOMINIC, DEREK GREYEYES, WAYNE YAHEY en leur qualité de chef et de représentants du conseil des PREMIÈRES NATIONS DE LA RIVIÈRE BLUEBERRY

 

 

intimés

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 13 janvier 2020.

Jugement rendu à Vancouver (Colombie-Britannique), le 16 janvier 2020.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE BOIVIN

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GLEASON

LA JUGE RIVOALEN


Date : 20200116

Dossier : A-70-19

Référence : 2020 CAF 9

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE GLEASON

LA JUGE RIVOALEN

 

ENTRE :

 

 

PATRICK CHIPESIA, CLARENCE APSASSIN, GABRIEL HARVEY, SYLVESTER APSASSIN, ANGELA APSASSIN, SUSAN DUMAS, AMANDA APSASSIN, TRACY PAQUETTE, VANESSA APSASSIN, ANTHONY POUCE-COUPE, HENRY APSASSIN, JOSEPH APSASSIN, MALCOLM APSASSIN, RUSSELL APSASSIN et WALTER APSASSIN

 

 

appelants

 

 

et

 

 

PREMIÈRES NATIONS DE LA RIVIÈRE BLUEBERRY et CHEF MARVIN YAHEY PÈRE, SHAWN DAVIS, SHERRY DOMINIC, DEREK GREYEYES, WAYNE YAHEY en leur qualité de chef et de représentants du conseil des PREMIÈRES NATIONS DE LA RIVIÈRE BLUEBERRY

 

 

intimés

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE BOIVIN

[1]  La Cour est saisie d’un appel d’une décision de la Cour fédérale (sous la plume du juge Lafrenière) le 11 janvier 2019 (2019 CF 41), qui a rejeté la demande de contrôle judiciaire des appelants concernant l’adoption du code électoral coutumier (le Code) des Premières Nations de la rivière Blueberry (les PNRB).

[2]  Le Code a instauré un nouveau système électoral fondé sur le regroupement familial au sein des PNRB. Avant l’adoption du Code, la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5 (Loi sur les Indiens), ainsi que le Règlement sur les élections au sein des bandes d’Indiens, C.R.C., ch. 952, ont gouverné les élections des PNRB depuis leur formation en 1978. Le nouveau Code prévoit que le conseil de bande sera composé d’un chef et de cinq conseillers familiaux. Il y a cinq groupes familiaux, dont chacun doit choisir un conseiller familial, tandis que les conseillers familiaux doivent élire le chef par scrutin secret.

[3]  Le Code est entré en vigueur de la façon suivante. Après une série de séances de médiation et de consultations communautaires, le conseil de bande des PNRB a adopté une résolution de conseil de bande (une RCB) le 18 août 2017, qui a approuvé le Code, et a demandé au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (le ministre) de retirer les PNRB de l’application des dispositions électorales de la Loi sur les Indiens. Le 13 septembre 2017, le ministre a pris l’arrêté demandé aux termes du paragraphe 74(1) de la Loi sur les Indiens. Il a été enregistré le 15 septembre 2017 et été publié dans la Gazette du Canada le 4 octobre 2017 (D.O.R.S./2017-193).

[4]  Les appelants contestent le Code parce qu’ils ont été placés dans un groupe familial qui, à lui seul, compte presque la moitié des électeurs des PNRB. Ils notent que, en dépit de la taille de leur groupe familial, par rapport aux autres groupes, ils demeurent uniquement autorisés à élire un conseiller familial. Selon leurs allégations, cela a pour effet que les voix des membres du groupe familial sont diluées par rapport à celles des membres d’autres groupes familiaux. Les appelants soutiennent que le Code ne représente pas un consensus au sein des membres des PNRB, que l’adoption du Code est entachée de vices de procédure et que cela est discriminatoire.

[5]  La Cour fédérale a rejeté la demande des appelants, car ils ne contestent pas l’arrêté du ministre pris aux termes du paragraphe 74(1) de la Loi sur les Indiens. Selon elle, la décision de retirer les PNRB du régime des élections de la Loi sur les Indiens, qui était déterminante dans les circonstances, a été prise par le ministre, et non par le Conseil de bande en vertu de la RCB d’août 2017 ou toute autre RCB connexe qui a donné effet au Code.

[6]  À l’audience devant notre Cour, les appelants ont abandonné leur argumentation selon laquelle le Code contrevient à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, article 7, partie I, de la Loi constitutionnelle de 1982, qui constitue l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (Royaume-Uni), 1982, ch. 11 (la Charte), ainsi que leur argumentation d’après laquelle le Code est arbitraire selon les principes du droit administratif. À ce titre, certaines questions ont été soulevées devant cette Cour, notamment : est-ce que le Code représente un consensus parmi les membres des PNRB, y a-t-il eu des vices de procédure dans l’adoption du Code, la contestation de l’adoption du Code par les appelants était-elle prescrite, le Code est-il discriminatoire selon les principes du droit administratif, la RCB pour adopter le Code est-elle un arrêté susceptible de contrôle?

[7]  Je conviens avec la Cour fédérale que l’omission des appelants de contester l’arrêté du ministre pris aux termes du paragraphe 74(1) est déterminante en raison de la décision de notre Cour dans l’arrêt Taypotat c. Taypotat, 2013 CAF 192, 447 N.R. 352 [Taypotat].

[8]  Dans l’arrêt Taypotat, l’appelant avait également contesté la validité du processus menant à l’adoption du code électoral coutumier, que sa bande avait adopté lors de son retrait du régime électoral de la Loi sur les Indiens, en vertu d’un arrêté du ministre pris aux termes du paragraphe 74(1). Se prononçant au nom de la Cour, le juge Mainville a conclu que l’appelant ne pouvait pas contester la validité du vote menant à l’arrêté du ministre et à l’adoption du code électoral coutumier, parce qu’il n’avait pas contesté l’arrêté du ministre pris aux termes du paragraphe 74(1) [Taypotat, aux paragraphes 21 et 22]. Il a néanmoins examiné la validité du code électoral en réponse à l’allégation de l’appelant selon laquelle il violait l’article 15 de la Charte. Bien que la Cour suprême du Canada ait annulé la décision de la Cour d’appel fédérale, au motif que les parties n’avaient pas fourni suffisamment de preuves et d’arguments pour conclure à une violation de l’article 15 dans les circonstances, elle n’a examiné aucune des autres conclusions de la Cour (Première Nation de Kahkewistahaw c. Taypotat, 2015 CSC 30, [2015] 2 R.C.S. 548, aux paragraphes 29, 31 et 34 [Taypotat CSC]). En fait, la Cour suprême a souligné d’emblée que la seule question dont elle était saisie était la contestation constitutionnelle (Taypotat CSC, au paragraphe 2). Je ne peux donc pas convenir avec les appelants que l’arrêt Taypotat ne lie pas notre Cour ou qu’elle devrait être annulée, en l’absence de tout motif de s’en écarter. Je refuse de le faire dans les circonstances.

[9]  En fin de compte, l’arrêté du ministre pris aux termes du paragraphe 74(1) représente l’aboutissement du processus par lequel les PNRB ont adopté leur premier code électoral après avoir tenu des élections en application du régime de la Loi sur les Indiens et était donc la décision déterminante que les appelants devaient contester. Cela est particulièrement vrai étant donné que le Conseil de bande, dans la RCB d’août 2017, demandait à ce que le ministre retire les PNRB du régime électoral de la Loi sur les Indiens et que le Code en soi précise qu’il n’entre en vigueur que lorsque le ministre prend un arrêté aux termes du paragraphe 74(1). C’est en vertu de l’arrêté du ministre que le Code est entré en vigueur, et le fait que les appelants ne l’ont pas contesté est fatal à leurs allégations concernant le processus par lequel le Code a été adopté et appuyé par un consensus communautaire. Comme les allégations des appelants remettent en question la validité du Code dans son ensemble, j’ai la même préoccupation que le juge Mainville, selon laquelle le traitement de ces allégations, sans aborder également l’arrêté du ministre pris aux termes du paragraphe 74(1), pourrait créer une situation de vide juridique dans les circonstances. En effet, étant donné que l’arrêté pris aux termes du paragraphe 74(1) demeure en vigueur et que le régime électoral prévu par la Loi sur les Indiens ne s’applique plus aux PNRB, une conclusion contestant la validité du Code serait source de confusion quant à la façon dont les PNRB devraient désormais choisir leur conseil de bande.

[10]  Pour ce qui est de l’allégation des appelants concernant la discrimination non autorisée pour des motifs de droit administratif, j’estime qu’elle est déplacée ou encore qu’il s'agit d’une attaque collatérale à l’égard de la décision du ministre. Selon les principes de la discrimination administrative, une réglementation ou un règlement municipal ne peut établir de distinction entre des entités ou des personnes que si la loi habilitante permet une telle distinction (Montréal c. Arcade Amusements Inc., [1985] 1 RCS 368, 58 N.R. 339, aux pages 404 et 413, R. c. Sharma, [1993] 1 RCS 650, 149 N.R. 161, aux pages 667 et 668). Ici, cependant, le Code n’est pas un texte décrété par délégation aux termes d’une loi habilitante. Plutôt, les intimés allèguent que le Code représente la coutume des PNRB de choisir ses dirigeants. Même si les principes de la discrimination administrative étaient appliqués par analogie, étant entendu que les PNRB pouvaient autoriser la discrimination à l’instar d’une loi habilitante, la Cour serait obligée de déterminer si le Code représente la véritable coutume des PNRB, c’est-à-dire s’il est soutenu par un consensus parmi les membres des PNRB. C’est précisément la question que notre Cour a refusé d’examiner dans l’arrêt Taypotat, parce que l’appelant n’a pas contesté l’arrêté du ministre pris aux termes du paragraphe 74(1). Je ne suis pas disposé à permettre aux appelants d’aborder indirectement ce qu’ils auraient dû aborder directement : l’arrêté du ministre rendu aux termes du paragraphe 74(1) faisant entrer le Code en vigueur.

[11]  Pour toutes ces raisons, il n’est pas nécessaire de traiter l’analyse de la Cour fédérale concernant les points suivants : a) le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7; b) la procédure menant à l’adoption du Code; c) tout consensus de la communauté soutenant le Code; d) l’article 15 de la Charte. Ces motifs ne doivent pas être interprétés comme appuyant l’analyse de la Cour fédérale sur ces questions.

[12]  À la lumière de ce qui précède, je rejetterais l’appel, avec dépens.

« Richard Boivin »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Mary J.L. Gleason. j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Marianne Rivoalen, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-70-19

 

INTITULÉ :

PATRICK CHIPESIA, CLARENCE APSASSIN, GABRIEL HARVEY, SYLVESTER APSASSIN, ANGELA APSASSIN, SUSAN DUMAS, AMANDA APSASSIN, TRACY PAQUETTE, VANESSA APSASSIN, ANTHONY POUCE-COUPE, HENRY APSASSIN, JOSEPH APSASSIN, MALCOLM APSASSIN, RUSSELL APSASSIN et WALTER APSASSIN c. PREMIÈRES NATIONS DE LA RIVIÈRE BLUEBERRY et CHEF MARVIN YAHEY PÈRE, SHAWN DAVIS, SHERRY DOMINIC, DEREK GREYEYES, WAYNE YAHEY en leur qualité de chef et de représentants du conseil des PREMIÈRES NATIONS DE LA RIVIÈRE BLUEBERRY

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver

(Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 janvier 2020

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE BOIVIN

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GLEASON

LA JUGE RIVOALEN

DATE DES MOTIFS :

Le 16 janvier 2020

COMPARUTIONS :

Sean Hern

Brent D. Ryan

Pour les appelants

F. Matthew Kirchner

Lisa C. Glowacki

Pour les intimés

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Farris, Vaughan, Wills & Murphy LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour les appelants

Ratcliff & Company LLP

North Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour les intimés

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.