Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20200131


Dossier : A-156-19

Référence : 2020 CAF 32

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LOCKE

 

 

ENTRE :

SAM PRINCE

appelant

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL ET L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

intimés

Audience tenue à Montréal (Québec), le 22 janvier 2020.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 31 janvier 2020.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE LOCKE

 


Date : 20200131


Dossier : A-156-19

Référence : 2020 CAF 32

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LOCKE

 

 

ENTRE :

SAM PRINCE

appelant

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL ET L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE RENNIE

[1]  L’appelant, Sam Prince, interjette appel de la décision de la Cour fédérale (2019 CF 348) rendue par le juge Annis, qui a rejeté la demande de contrôle judiciaire d’une décision d’une agente de l’un des défendeurs dans ce litige, l’Agence du revenu du Canada (l'Agence), et refusé de prononcer une injonction interlocutoire empêchant le ministre d’établir de nouvelles cotisations à l’égard des déclarations de revenus de l’appelant.

[2]  Les événements et les débats qui sous-tendent la demande de contrôle judiciaire sont décrits dans la décision de la Cour fédérale. Il n’est pas nécessaire, aux fins du règlement du présent appel, de les réexaminer en détail.

[3]  Il suffit de dire que, le 22 juin 2017, lors d’une vérification, l’Agence a informé M. Prince des nouvelles cotisations proposées pour les années d’imposition 2005 à 2014. Elle l’a invité à fournir des renseignements et des observations supplémentaires. Deux semaines plus tard, le 6 juillet 2017, après avoir été informé de l’intention de l’Agence d’établir de nouvelles cotisations, mais avant la délivrance des avis de nouvelle cotisation, M. Prince a déposé une demande au titre du Programme des divulgations volontaires (PDV).

[4]  L’objectif du PDV, comme il est décrit dans la circulaire d’information (IC00-1R5), est de faire la promotion de l’observation des lois fiscales en encourageant les contribuables à procéder à une divulgation volontaire afin d’assurer leur conformité fiscale. Les contribuables qui font une divulgation volontaire valide devront payer les impôts ou les frais, plus les intérêts, sans pénalités ou poursuites auxquelles ils se verraient autrement assujettis. Le ministre peut également accorder un allègement partiel des intérêts relativement à des cotisations établies pour les années précédant les trois années les plus récentes pour lesquelles une déclaration doit être produite (PDV, sections 8, 11 et 12).

[5]  Le ministre a conclu que la divulgation de M. Prince n’était pas volontaire et a rejeté sa demande au titre du PDV. Comme le permet le PDV, M. Prince a par la suite demandé un examen interne de la décision du ministre (examen de deuxième niveau au titre du PDV).

[6]  Le 20 août 2018, avant qu’une décision ne soit rendue relativement à l’examen de deuxième niveau au titre du PDV, l’Agence a informé M. Prince de son intention d’entreprendre une deuxième vérification, cette fois pour les années d’imposition 2007 à 2016. Elle a de nouveau demandé à l’appelant de fournir des renseignements supplémentaires. M. Prince s’est opposé à cette demande au motif que la deuxième vérification et la demande de renseignements supplémentaires étaient prématurées, compte tenu de la décision en suspens relativement à l’examen de deuxième niveau au titre du PDV.

[7]  Le 17 décembre 2018, l’Agence a envoyé à M. Prince une lettre décrivant en détail les nouvelles cotisations proposées à la suite des vérifications (la lettre de proposition). La lettre de proposition énonçait les pénalités et les intérêts que le ministre proposait d’inclure dans les nouvelles cotisations. Elle l’invitait à fournir des renseignements et des observations supplémentaires. En conclusion, la lettre précisait qu’en l’absence de renseignements supplémentaires, les nouvelles cotisations proposées pourraient être établies sans autre avis.

[8]  Le 16 janvier 2019, M. Prince a déposé une demande de contrôle judiciaire pour annuler la lettre de proposition datée du 17 décembre 2018, ainsi qu’une requête en injonction interlocutoire pour empêcher le ministre d’établir les nouvelles cotisations proposées.

[9]  Le 18 février 2019, le ministre a établi de nouvelles cotisations pour M. Prince pour les années d’imposition 2013 à 2016. Le 18 avril 2019, le ministre a établi de nouvelles cotisations pour M. Prince pour les années d’imposition 2007 à 2016. Des avis d’opposition ont été déposés pour chacune des nouvelles cotisations.

[10]  Le 18 mars 2019, la demande d’examen de deuxième niveau au titre du PDV soumise par M. Prince a été rejetée. Le 17 avril 2019, M. Prince a déposé une demande de contrôle judiciaire de cette décision. Cette demande est toujours en suspens.

[11]  La Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire au motif que la lettre de proposition du 17 décembre 2018 n’était pas une décision susceptible de contrôle visée à l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7. La Cour fédérale a rejeté la demande d’injonction, ne voyant aucun préjudice ou tort pour le contribuable si les nouvelles cotisations étaient établies.

[12]  La décision discrétionnaire de refuser de prononcer l’injonction est évaluée selon la norme de l’erreur manifeste et dominante (Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215). La norme de contrôle applicable à la question de savoir si la lettre de proposition constitue une décision susceptible de contrôle n’a pas été soulevée devant nous. Cela ne porte pas à conséquence. Quel que soit le volet du critère appliqué dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, le résultat est le même.

[13]  Les avis de nouvelle cotisation ayant été délivrés, la question de savoir si une injonction aurait pu restreindre leur délivrance en attendant qu’une décision soit rendue relativement à la demande d’examen de deuxième niveau au titre du PDV est sans objet. En droit, les nouvelles cotisations sont valables et exécutoires jusqu’à ce qu’elles soient annulées par la Cour de l’impôt, qui a compétence exclusive sur cette question (Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1, arts. 152(8), 169; Canada c. Roitman, 2006 CAF 266 au para. 19; Canada (Revenu national) c. JP Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250 aux para. 24 et 27).

[14]  Devant la Cour, l’appelant réitère son argument selon lequel les nouvelles cotisations doivent être suspendues ou interdites jusqu’à ce que les mécanismes de recours envisagés par le PDV, y compris la demande d’annulation de la décision à l’égard du PDV et de tout appel à la Cour fédérale aux termes de l’article 18.1, aient été épuisés. L’appelant soutient qu’il subira un préjudice, car les pouvoirs d’application que la Loi confère au ministre peuvent désormais être déployés à son encontre relativement aux pénalités et aux intérêts dans des circonstances où, si sa divulgation au titre du PDV était valable, aucune pénalité ni aucun intérêt ne seraient exigibles. L’appelant souligne que sa divulgation au titre du PDV peut également l’exposer à des poursuites et qu’il a donc droit, par souci d’équité, à une décision finale sur la validité de la divulgation.

[15]  Je ne peux souscrire à ces arguments, et ce, pour trois raisons.

[16]  Le ministre a déclaré que, si la demande au titre du PDV était acceptée ou annulée à la suite de la demande de contrôle judiciaire, l’Agence délivrerait une nouvelle cotisation en tenant compte des éléments pertinents. La section 8 de la circulaire d’information va dans le même sens. De plus, le paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu donne au ministre le pouvoir de renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts ou de l’annuler. Il est également bien établi que l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre à cet égard serait soumis à un examen de droit public et à des recours devant la Cour fédérale (Canada c. Addison & Leyen Ltd., 2007 CSC 33 au para. 10; Canada (Revenu national) c. Sifto Canada Corp, 2014 CAF 140 au para. 25; Karia c. Canada (Ministre du Revenu national), 2005 CF 639 aux para. 8 et 9).

[17]  Deuxièmement, accepter l’argument de l’appelant aurait pour effet d’annuler effectivement le pouvoir accordé au ministre en application du paragraphe 152(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu d’établir une nouvelle cotisation « en tout temps ». Quel que soit l’intérêt de l’appelant à l’égard du PDV, il s’agit d’une politique discrétionnaire émise en application de l’article 220, qui accorde au ministre le pouvoir discrétionnaire d’accorder un allègement des intérêts et des pénalités. Elle demeure une directive qui oriente les contribuables quant à la manière dont le pouvoir discrétionnaire peut être exercé, mais elle ne peut donner lieu à une préclusion (Canada (Revenu national) c. JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. aux para. 75 et 82), bloquer l’application de la Loi ou subordonner les pouvoirs conférés au ministre par la Loi. Selon l’argument de l’appelant, le dépôt d’une demande au titre du PDV équivaudrait à une suspension automatique des pouvoirs du ministre conférés par la Loi. Cependant, rien dans la circulaire sur le PDV, ni dans le contexte législatif dans lequel il est appliqué, ne permet de soutenir l’argument selon lequel l’appelant avait le droit de s’attendre légitimement à ce que le processus d’établissement de nouvelles cotisations soit suspendu en attendant l’examen final de la demande au titre du PDV.

[18]  Enfin, en ce qui concerne l’affirmation de l’appelant quant au préjudice découlant du recours du ministre aux pouvoirs d’application, à l’exception des ordonnances conservatoires, le paragraphe 225.1(1) interdit toute mesure d’exécution une fois qu’un contribuable a déposé un avis d’opposition, alors que le paragraphe (3) empêche le ministre de prendre des mesures de recouvrement une fois qu’un appel a été déposé auprès de la Cour de l’impôt. Toute défense contre une éventuelle procédure criminelle découlant de sa divulgation est à la seule discrétion des cours criminelles.

[19]  Avant de conclure, je dois émettre des commentaires sur un élément de la décision de la Cour fédérale. Le juge de la Cour fédérale a estimé que la question de savoir si la lettre de proposition du 17 décembre 2018 était une décision susceptible de révision est une question de fait attributive de compétence qui devrait être examinée selon la norme du caractère raisonnable.

[20]  La norme de contrôle n’a aucune pertinence en ce qui concerne la question de savoir si une affaire est une décision ou une ordonnance susceptible de contrôle visée à l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales, et nous souhaitons préciser que notre rejet de ce recours ne constitue pas une approbation des motifs de la Cour fédérale à cet égard.

[21]  Dans ce contexte, la lettre de proposition n’est pas une décision ou une ordonnance susceptible de révision. Bien qu’elle puisse évoquer l’intention du ministre d’établir une nouvelle cotisation, elle ne détermine aucun des droits du contribuable, qu’ils soient procéduraux ou de fond (Air Canada c. Administration Portuaire De Toronto et al, 2011 CAF 347 aux para. 26 et 27; Chekosky c. Canada (Agence du revenu), 2019 CF 841 au para. 26; Landriault c. Canada (Procureur général), 2016 CF 664 au para. 21).

[22]  L’appel devrait être rejeté avec dépens.

« Donald J. Rennie »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Johanne Gauthier j.c.a. »

« Je suis d’accord.

George R. Locke j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


(APPEL D’UN JUGEMENT RENDU PAR LE JUGE ANNIS DE LA COUR FÉDÉRALE LE 29 MARS 2019, DOSSIER NO T-130-19)

DOSSIER :

A-156-19

 

INTITULÉ :

SAM PRINCE c. LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL ET L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 janvier 2020

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 31 janvier 2020

 

COMPARUTIONS :

Barry Landy

Martin Bédard

Pour l’appelant

 

Sonia Bédard

Ian Demers

Annie Laflamme

POUR LES INTIMÉS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Spiegel Sohmer Inc.

Montréal (Québec)

 

Pour l’appelant

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LES INTIMÉS

 

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