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Date : 20200131


Dossier : A-418-18

Référence : 2020 CAF 33

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LOCKE

 

 

ENTRE :

WAYNE SZABO

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Audience tenue à Montréal (Québec), le 23 janvier 2020.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 31 janvier 2020.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GAUTHIER

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LOCKE

 


Date : 20200131


Dossier : A-418-18

Référence : 2020 CAF 33

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LOCKE

 

 

ENTRE :

WAYNE SZABO

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GAUTHIER

[1]  Dans cette demande de contrôle judiciaire, Wayne Szabo demande à la Cour d’annuler la décision de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale, qui a confirmé que M. Szabo n’avait pas de « motif valable » pour la présentation tardive de sa demande de prestations au sens du paragraphe 10(5) de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la Loi).

[2]  Le paragraphe 10(5) de la Loi prévoit que lorsque le prestataire présente une demande de prestations après le délai prévu par règlement pour la présenter, la demande doit être considérée comme ayant été présentée à une date antérieure si celui-ci démontre qu’il avait, durant toute la période écoulée entre cette date antérieure et la date à laquelle il présente sa demande, un motif valable justifiant son retard.

[3]  Le 30 mars 2017, M. Szabo a renouvelé une demande initiale de prestations d’assurance-emploi déposée le 17 avril 2016. Plus tard, il a présenté une demande d’antidatation au 20 novembre 2016. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a refusé d’antidater la demande de prestations parce que M. Szabo n’avait pas démontré un motif valable pour justifier son retard. Elle a maintenu cette position lorsque M. Szabo a demandé une révision.

[4]  M. Szabo a ensuite interjeté appel devant la Division générale du Tribunal. La Division générale a noté que celui qui demande d’antidater sa demande de prestations doit démontrer qu’il a agi comme l’aurait fait une personne raisonnable dans la même situation pour s’assurer des droits et obligations que lui impose la loi. Elle a aussi souligné qu’il n’y a pas de critère objectif facilement applicable et que chaque affaire doit être analysée en partie, subjectivement en se fondant sur une évaluation des faits de l’espèce (Canada (Procureur Général) c. Albrecht, [1985] 1 C.F. 710, [1985] A.C.F. No.82 (C.A.F.) (Albrecht)). La Division générale a jugé qu’une personne raisonnable et prudente, dans la même situation que M. Szabo, aurait communiqué avec la Commission pour connaître ses droits. Elle souligne qu’ici M. Szabo aurait dû valider auprès de la Commission l’information reçue de son employeur selon laquelle il ne serait pas admissible à l’assurance-emploi à cause de son inconduite. Selon la Division générale, il n’y avait pas non plus de circonstances exceptionnelles expliquant le dépôt tardif de la demande de prestations.

[5]  La Division d’appel a d’abord décrit son rôle par rapport aux décisions de la Division générale. Bien qu’elle résume brièvement dans l’aperçu, les arguments clés de M. Szabo, il est évident qu’elle a aussi tenu compte d’éléments plus précis qu’ils avaient soulevés tels que le silence du représentant syndical et sa situation difficile. La Division d’appel indique ensuite que la principale question est celle de savoir si la Division générale a ignoré la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale et a ainsi erré dans son interprétation du paragraphe 10(5) de la Loi. Sous ce titre, elle décrit le test applicable et l’obligation qui incombe aux prestataires aux termes du paragraphe 10(5).

[6]  Après avoir examiné la preuve présentée à la Division générale, elle conclut que celle-ci n’avait pas erré dans son interprétation ni dans l’application du test en l’espèce. La Division d’appel souligne aussi que selon elle, la Division générale avait tenu compte de l’ensemble des circonstances qui justifierait le dépôt tardif. Elle conclut que la Division générale n’avait pas erré en décidant qu’il n’existait aucune circonstance exceptionnelle.

[7]  En s’appuyant sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov), le demandeur prétend que les motifs de la Division d’appel ne sont pas suffisamment étoffés pour rencontrer la norme de la raisonnabilité entre autres parce que la Division d’appel n’a pas traité de toutes les questions qu’il avait soulevées devant elle. Particulièrement, il réfère à son argument que la Division générale avait érigé en principe général le fait qu’un demandeur de prestations ne peut se fier à l’opinion d’un tiers, particulièrement celle d’un employeur, et qu’il doit nécessairement communiquer avec la Commission à cet égard (motifs de la Division générale aux para. 48-51).

[8]  Il soumet aussi que la décision devant nous manque de logique interne, que le décideur a mal interprété et appliqué la jurisprudence de notre Cour (entre autres, Albrecht; Hamilton v. Canada (Attorney General), [1988] F.C.J. No. 269 (C.A.)) et qu’il n’a pas fait une interprétation suffisamment étoffée du paragraphe 10(5) de la Loi. À cet égard, il note que la Division d’appel aurait dû référer à l’objet de la Loi et tenir compte que pour rencontrer cet objet, il fallait donner à cette disposition une interprétation large et libérale.

[9]  Le demandeur soutient aussi que les conclusions dans les paragraphes 18 et 23 de la décision de la Division d’appel sont déraisonnables, et que tant la Division générale que la Division d’appel n’ont pas donné suffisamment de poids au fait que lorsque l’employeur a émis son opinion, un représentant du syndicat était dans la salle et qu’il n’a rien dit pour la corriger. Il était donc déraisonnable, selon le demandeur, pour la Division d’appel d’insister sur le fait que le demandeur ne pouvait pas raisonnablement se fier à l’opinion de l’employeur tel qu’exprimée parce que cette opinion était basée sur le fait de son inconduite et que, selon le syndicat et le demandeur, ce congédiement était injustifié; il n’y avait pas eu d’inconduite.

[10]  Malgré la grande qualité du mémoire et des représentations faites à l’audience, je ne peux souscrire à la thèse du demandeur à l’égard de ces questions.

[11]  Dans Vavilov, la Cour suprême rappelle que la cour de révision ne doit pas faire « une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Vavilov au para 102). Selon moi, c’est ce que le demandeur nous demande de faire. De plus, la cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve (Vavilov au para. 125).

[12]  Les motifs du décideur administratif doivent être lus en tenant compte du contexte y inclus le dossier, les pratiques et la jurisprudence. Les motifs du décideur administratif ne doivent pas être jugés au regard de la norme de la perfection. On ne peut s’attendre à ce qu’il fasse référence à tous les arguments et détails qu’un juge siégeant en révision aurait voulu y lire. La « justice administrative » ne ressemblera pas toujours à la « justice judiciaire » (Vavilov aux para 91-98). Le décideur administratif n’a pas non plus à procéder à une interprétation formaliste de la disposition législative pertinente dans tous les cas (Vavilov au para. 119). Une telle analyse n’est pas nécessaire lorsque, comme ici, la disposition législative a déjà fait l’objet d’interprétation dans la jurisprudence devant lui et qu’il adopte un test bien établi.

[13]  Ma lecture des paragraphes 48 à 51 de la décision de la Division générale dans leur contexte et à la lumière de la jurisprudence à laquelle la Division générale réfère ne permet pas d’inférer que celle-ci ou la Division d’appel, a commis une erreur de droit en érigeant en principes rigides ou règles générales qu’une personne raisonnable doit nécessairement communiquer avec la Commission ou prouver qu’il lui était impossible de le faire. Au paragraphe 49 de ses motifs, la Division générale traitait d’un argument spécifique soulevé devant elle, soit que l’employeur était une personne en autorité. Je conviens que ces paragraphes auraient pu être mieux rédigés, mais je ne suis pas prête à inférer que la Division d’appel a commis une erreur révisable à cet égard, surtout lorsque l’on considère qu’elle a examiné la jurisprudence et bien décrit le test applicable dans sa décision (voir paragraphes 14 et 15). L’expression « devoir de prudence sévère et strict » est utilisée par notre Cour dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Kaler, 2011 CAF 266 au para. 4, qui réfère spécifiquement au langage similaire utilisé par notre Cour dans Albrecht au paragraphe 13 (ou la page 718).

[14]  Après une lecture « attentive » des motifs dans leur contexte à la lumière des enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov, le raisonnement de la Division d’appel est intelligible et rationnel, et est suffisant pour justifier sa conclusion. Je n’aurais peut-être pas conclu de la même façon que la Division générale ou la Division d’appel, mais ce fait ne justifie pas une intervention de notre Cour.

[15]  Par conséquent, je propose de rejeter la demande de contrôle judiciaire.

« Johanne Gauthier »

j.c.a.

« Je suis d’accord

Donald J. Rennie j.c.a. »

« Je suis d’accord

George R. Locke j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UNE DÉCISION DE M. PIERRE LAFONTAINE, DIVISION D'APPEL DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE, DU 29 NOVEMBRE 2018, NO. DU DOSSIER AD-18-491

DOSSIER :

A-418-18

 

INTITULÉ :

WAYNE SZABO c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 janvier 2020

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GAUTHIER

 

 

Y ONTSOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LOCKE

 

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 janvier 2020

 

 

COMPARUTIONS :

Me Richard-Alexandre Laniel

Me Gilbert Nadon

 

Pour le demandeur

 

Me Christian Malciw

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ouellet, Nadon et associés

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour le défendeur

 

 

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