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Date : 20200205


Dossier : A-393-18

Référence : 2020 CAF 37

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

HÉLICOPTÈRES CANADIENS LIMITÉE faisant affaire sous le nom de HÉLICOPTÈRES CANADIENS OFFSHORE

demanderesse

et

SYNDICAT INTERNATIONAL DES EMPLOYÉES ET EMPLOYÉS PROFESSIONNELS(LES) ET DE BUREAU

défendeur

Audience tenue à Halifax (Nouvelle-Écosse), le 31 octobre 2019.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 5 février 2020.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LASKIN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR


Date : 20200205


Dossier : A-393-18

Référence : 2020 CAF 37

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

HÉLICOPTÈRES CANADIENS LIMITÉE faisant affaire sous le nom de HÉLICOPTÈRES CANADIENS OFFSHORE

demanderesse

et

SYNDICAT INTERNATIONAL DES EMPLOYÉES ET EMPLOYÉS PROFESSIONNELS(LES) ET DE BUREAU

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LASKIN

I.  Introduction

[1]  Hélicoptères Canadiens limitée (HCL) demande le contrôle judiciaire d’une décision rendue par le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) (2018 CCRI 891). Dans la portion de la décision que HCL conteste, le Conseil a rendu un jugement déclarant, comme l’avait demandé le syndicat défendeur, que HCL a contrevenu aux dispositions sur le gel énoncées au paragraphe 24(4) du Code canadien du travail, L.R.C (1985), ch. L‑2. Le Conseil a conclu qu’il y a eu contravention parce que HCL a mis en œuvre à l’égard des pilotes nouvellement embauchés un calendrier de travail et une structure de rémunération qui leur était moins favorable que ne l’étaient ceux des pilotes qui travaillaient déjà pour HCL au moment où le syndicat avait présenté sa demande d’accréditation.

[2]  Pour les motifs exposés ci-après, je rejetterais la demande. À la lumière des faits que le Conseil a pu découvrir dans le dossier dont il a été saisi, je ne peux conclure que cette décision était déraisonnable.

II.  Résumé des faits

[3]  HCL offre des services de transport par hélicoptère entre Halifax et des plates-formes de forage en mer. En 2017, HCL avait deux clients, Exxon et Encana, et embauchait 12 pilotes pour desservir ces deux sociétés. Ces pilotes travaillaient tous selon un calendrier de travail 1:1, appelé le « modèle Shell », selon lequel chaque journée de travail donnait droit à une journée de congé. Toute heure supplémentaire était rémunérée à un taux correspondant à une fois et demie le taux normal.

[4]  Au printemps 2017, HCL a été informée de la possibilité de soumissionner un contrat de prestation de services à un troisième client, BP, durant une période de six mois allant d’avril à septembre 2018. HCL a présenté sa soumission en juillet 2017 et a appris en octobre 2017 qu’elle était le soumissionnaire retenu.

[5]  Au début de décembre 2017, HCL a commencé à recruter six pilotes temporaires pour desservir BP. HCL a embauché les six pilotes temporaires en janvier et en février 2018. Cependant, contrairement aux 12 pilotes qui travaillaient déjà pour HCL, les six nouveaux pilotes ont été embauchés selon un calendrier de travail 2:1, c’est-à-dire qu’ils avaient droit à une journée de congé pour chaque période de deux jours de travail. De plus, ces pilotes n’avaient pas droit au paiement d’heures supplémentaires à un taux plus élevé lorsqu’ils travaillaient plus d’heures que ce que prévoyait leur calendrier normal de travail.

[6]  Dans l’intervalle, le 12 janvier 2018, le syndicat a présenté une demande d’accréditation au Conseil. Le Conseil a accordé l’accréditation en février 2018.

[7]  Peu avant que l’accréditation soit accordée, le syndicat a déposé une plainte auprès du Conseil, dans laquelle il alléguait que HCL avait contrevenu aux dispositions sur le gel énoncées au paragraphe 24(4) du Code canadien du travail, en embauchant six pilotes temporaires assujettis à un calendrier de travail et à une structure de rémunération qui différaient de ceux en vigueur le 12 janvier 2018, au moment où le syndicat avait présenté sa demande d’accréditation. Le paragraphe 24(4) est rédigé ainsi :

(4) Après notification de la demande d’accréditation, l’employeur ne peut modifier ni les taux des salaires, ni les autres conditions d’emploi, ni les droits ou avantages des employés de l’unité visée, sauf si les modifications se font conformément à une convention collective ou sont approuvées par le Conseil. Cette interdiction s’applique, selon le cas :

(4) Where an application by a trade union for certification as the bargaining agent for a unit is made in accordance with this section, no employer of employees in the unit shall, after notification that the application has been made, alter the rates of pay, any other term or condition of employment or any right or privilege of such employees until

a) jusqu’au retrait de la demande par le syndicat ou au rejet de celle-ci par le Conseil;

(a) the application has been withdrawn by the trade union or dismissed by the Board, or

b) jusqu’à l’expiration des trente jours suivant l’accréditation du syndicat.

(b) thirty days have elapsed after the day on which the Board certifies the trade union as the bargaining agent for the unit,

[BLANC]

except pursuant to a collective agreement or with the consent of the Board.

[8]  Dans une partie de la décision que HCL ne conteste pas, le Conseil a déterminé que les pilotes nouvellement embauchés faisaient partie de l’unité de négociation. Le Conseil a conclu que HCL avait enfreint le paragraphe 24(4) en introduisant unilatéralement de nouvelles conditions d’emploi sans le consentement du syndicat, et il a rendu un jugement déclaratoire à cet effet.

III.  Conclusions et motifs du Conseil

[9]  En formulant la question à examiner aux termes du paragraphe 24(4), le Conseil a noté que les parties ne contestaient pas le fait que les conditions d’emploi des pilotes embauchés après la date de présentation de la demande d’accréditation différaient de celles des pilotes en service le 12 janvier 2018. Le Conseil a déclaré qu’il ressortait « manifestement de la preuve – et personne ne conteste – que les pilotes temporaires nouvellement embauchés travaillent davantage et gagnent moins que les pilotes qui ont été embauchés avant la présentation de la demande d’accréditation ». Il a ajouté que HCL avait « décidé de mettre en œuvre un modèle de calcul des coûts différent [du] […] modèle Shell, lequel se fondait sur des calendriers de travail à temps égal et une rémunération du surtemps à un taux majoré » (aux paragraphes 66 et 67).

[10]  La question en litige était donc celle « de savoir si les changements apportés aux conditions de travail relatives aux salaires et aux calendriers de travail étaient déjà prévus lorsque la demande d’accréditation a été présentée, de telle sorte que ces changements pourraient être considérés comme un maintien du “statu quo” de la part de l’employeur » (au paragraphe 68; non souligné dans l’original).

[11]  En juin 2017, l’équipe de direction de HCL a discuté, avec son groupe de pilotes existants, de l’intention de HCL de soumissionner en vue d’obtenir le contrat de BP. La direction a alors demandé au groupe de pilotes de [traduction] « faire preuve d’imagination » pour trouver des idées créatives qui permettraient d’élaborer une soumission concurrentielle (au paragraphe 78). La possibilité d’embaucher de nouveaux pilotes et de leur attribuer un calendrier de travail différent a aussi été examinée lors de ces discussions (au paragraphe 79).

[12]  Le Conseil a toutefois conclu que la preuve « ne démontre pas que des changements éventuels touchant le taux de rémunération des pilotes pour le surtemps ont été abordés au cours de la discussion entourant le calendrier de travail 2:1 ». Il a aussi conclu que rien ne démontrait que HCL « a jamais donné à entendre [...] qu’[elle] avait l’intention de mettre en œuvre un calendrier de travail 2:1 et de rémunérer le surtemps selon un taux différent » (au paragraphe 80).

[13]  Le Conseil a accepté la preuve indiquant qu’après juin 2017, la préparation de la soumission en vue d’obtenir le contrat de BP s’est poursuivie uniquement au niveau de la direction. Le Conseil n’a relevé aucun élément de preuve indiquant que, durant cette période, la direction avait discuté avec les pilotes en poste de la possibilité de modifier le calendrier de travail 1:1 et de rémunérer les heures supplémentaires selon un taux différent (au paragraphe 81).

[14]  Le Conseil a conclu que HCL n’avait « mis en œuvre et [n’avait] annoncé, le ou avant le 12 janvier 2018, » aucune des options examinées durant les discussions avec les pilotes en poste qui ont eu lieu en juin 2017 (au paragraphe 82). Il a conclu que la preuve indiquait clairement qu’avant cette date, les pilotes avaient toujours travaillé selon un calendrier 1:1 et que leurs heures supplémentaires étaient rémunérées selon un taux correspondant à une fois et demie le taux normal (au paragraphe 83). Il en est arrivé à cette conclusion en se basant en partie sur les documents de HCL (aux paragraphes 84 à 88).

[15]  Le Conseil a ensuite examiné sa propre jurisprudence portant sur les exigences du paragraphe 24(4) du Code (aux paragraphes 90 et 91). Le Conseil a indiqué qu’il était bien établi que le syndicat n’était pas tenu de prouver l’existence d’un sentiment antisyndical et qu’aucun motif opérationnel légitime pouvant avoir amené l’employeur à modifier les conditions de travail n’était pertinent et ne pouvait justifier la violation de cette disposition.

[16]  Le Conseil a expliqué (aux paragraphes 93 à 95) que, selon le paragraphe 24(4), il incombe initialement au syndicat de démontrer que les conditions de travail en cause existaient à la date de présentation de la demande d’accréditation et qu’elles ont été modifiées sans son consentement ou celui du Conseil. Si le Conseil estime que l’employeur a modifié le statu quo sans son autorisation ou celle du syndicat, il incombe alors à l’employeur de prouver que les modifications apportées s’inscrivaient dans la poursuite des activités comme celles qui existaient avant le dépôt de la demande d’accréditation.

[17]  Renvoyant à nouveau à sa jurisprudence, le Conseil a ajouté que les dispositions du paragraphe 24(4) « ne supposent pas nécessairement que les salaires et les conditions de travail doivent demeurer inchangées; elles imposent plutôt un “maintien du statu quo” pendant la période de gel prescrite par la loi » (au paragraphe 96). Citant la décision BHP Billiton Diamonds Inc., 2006 CCRI 353, [2006] CCRI n353, aux paragraphes 50 et 54, le Conseil a déclaré (au paragraphe 98) que, dans cette vérification du « statu quo », il

sera influencé par le fait qu’un employeur ait cherché à aviser, à consulter ou à informer le syndicat du processus qu’il entreprenait pour mettre en œuvre un changement [...]. Lorsque les actions d’un employeur sont planifiées ou formulées, décidées et communiquées aux employés, et qu’elles sont effectivement mises en application avant le dépôt de la demande d’accréditation, la disposition du Code sur le gel ne s’applique pas à ces actions, même si la date réelle de commencement est postérieure au dépôt de la demande [...].

[18]  En l’espèce, le Conseil a déclaré que « ce [n’était] pas de cette façon que [HCL avait] agi » (au paragraphe 99). Le Conseil a précisé que rien ne démontrait que HCL avait consulté ou averti le syndicat ou les pilotes déjà en fonction de sa décision d’embaucher de nouveaux pilotes qui seraient soumis à une structure salariale et à un calendrier de travail différents. Il a ajouté ceci :

En outre, le Conseil n’a constaté, en examinant les circonstances générales de l’exploitation de l’employeur, rien qui témoignerait d’une pratique courante ou établie relativement à la mise en œuvre d’une structure salariale et d’un calendrier de travail différents. L’idée de surtemps rémunéré selon un taux différent n’a jamais été mentionnée dans les témoignages relatifs au remue-méninges auquel on a procédé au début de juin 2017, pour trouver des idées créatives qui permettraient de doter en personnel l’aéronef nécessaire à l’exécution du contrat avec BP.

[19]  D’après les éléments de preuve présentés, le Conseil a conclu que ce n’est qu’après que les pilotes ont décidé de se syndiquer que HCL a décidé d’introduire un calendrier de travail 2:1 et une structure de rémunération différente des heures supplémentaires pour les pilotes nouvellement embauchés (au paragraphe 100). Le Conseil a noté que HCL n’avait jamais embauché de pilotes selon un calendrier de travail 2:1 ou dont les heures supplémentaires étaient payées au taux normal, avant le 12 janvier 2018. Il a donc conclu que, « à moins que son initiative s’inscrivît dans le “maintien du statu quo”, l’employeur ne pouvait pas modifier unilatéralement ces conditions de travail préexistantes sans l’approbation du syndicat » (au paragraphe 101).

[20]  En formulant cette conclusion sur la question en litige, le Conseil a déclaré qu’il « [comprenait] les impératifs » ayant amené l’employeur à élaborer une nouvelle structure salariale et un calendrier de travail différent pour les pilotes embauchés après la présentation de la demande d’accréditation. Il a toutefois noté qu’il n’avait été présenté « aucun élément de preuve à l’appui de l’affirmation selon laquelle la mise en place de cet ensemble de conditions de travail différentes participait du “statu quo” ». Bien que des éléments de preuve montrent que HCL prévoyait embaucher des pilotes temporaires pour l’aider à répondre aux exigences du contrat avec BP et que l’employeur avait envisagé de mettre en place un calendrier de travail modifié aux fins de ce contrat, « aucun élément de preuve ne donnait à penser que [HCL] avait déjà exigé, avant la présentation de la demande d’accréditation, qu’un pilote travaille selon un calendrier 2:1 sans lui verser une rémunération correspondant à une fois et demie le taux de salaire quotidien pour le travail en surtemps ». Il a ajouté que « [r]ien ne démontre non plus que la nouvelle structure salariale et le nouveau calendrier de travail mis en place par l’employeur ont été formulés, décidés et communiqués aux employés, et effectivement mis en application, avant le dépôt de la demande d’accréditation » (au paragraphe 102).

[21]  Le Conseil a donc conclu que le nouveau calendrier de travail et la nouvelle structure de rémunération mis en place pour les pilotes embauchés après le 12 janvier 2018 ne s’inscrivaient pas dans le « maintien du statu quo » et que HCL était donc tenue d’obtenir l’approbation du syndicat avant de les mettre en œuvre. Comme HCL ne l’a pas fait, elle a contrevenu au paragraphe 24(2) (au paragraphe 102).

IV.  Norme de contrôle

[22]  Les parties conviennent que la décision du Conseil doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable.

[23]  Après l’audition de la présente demande, la Cour suprême a rendu deux décisions offrant de nouvelles orientations sur le contrôle selon la norme de la décision raisonnable; il s’agit des arrêts Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, et Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67.

[24]  En résumé, ces décisions indiquent que, dans une affaire comme celle-ci, lorsque le décideur administratif a énoncé les motifs à l’appui de sa décision, le rôle de la cour consiste à « examiner les motifs […] et à déterminer si la décision est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes » : arrêt Société canadienne des postes, au paragraphe 2. Lorsque des motifs sont requis, le contrôle judiciaire « concerne [alors] non seulement le résultat, mais aussi la justification du résultat […] » : Société canadienne des postes, au paragraphe 29. « [S]i des motifs sont communiqués, mais que ceux‑ci ne justifient pas la décision de manière transparente et intelligible […], la décision sera déraisonnable » : arrêt Vavilov, au paragraphe 136.

[25]  Ces décisions récentes confirment également qu’en l’absence de circonstances exceptionnelles la cour de révision ne devrait pas intervenir dans les conclusions de fait du décideur. La cour de révision doit « s’abstenir “d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur” » : Vavilov, au paragraphe 125. Le décideur doit néanmoins « prendre en considération la preuve versée au dossier et la trame factuelle générale qui ont une incidence sur sa décision et celle-ci doit être raisonnable au regard de ces éléments » : arrêt Vavilov, au paragraphe 126.

[26]  La Cour a invité les parties à lui soumettre des observations écrites sur les répercussions que le cadre énoncé et appliqué dans les arrêts Vavilov et Société canadienne des postes, précités, pourrait avoir sur la présente demande. J’examine les observations reçues dans la discussion qui suit.

V.  Observations et discussion

[27]  HCL fait valoir que ni le résultat ni le raisonnement invoqués par le Conseil pour appuyer sa conclusion selon laquelle l’employeur a contrevenu au gel prévu par la loi, n’étaient raisonnables. HCL soutient que la preuve montre que le nouveau calendrier de travail inclus dans les contrats des pilotes temporaires embauchés pour exécuter le contrat de BP faisait partie de la planification opérationnelle de l’entreprise bien avant le dépôt de la demande d’accréditation, en janvier 2018. HCL rappelle notamment les observations du Conseil, à savoir que la possibilité d’adopter un calendrier de travail différent a été discutée avec les pilotes existants en juin 2017; que l’entreprise a décidé de mettre en œuvre un modèle de calcul des coûts différent du modèle Shell au moment de soumissionner le contrat de BP en juillet 2017 et que le recrutement des pilotes temporaires a débuté en décembre 2017, même si ceux-ci n’ont réellement été embauchés qu’après le dépôt de la demande d’accréditation.

[28]  HCL fait en outre valoir qu’en aucun moment n’avait-elle prévu de conclure un contrat avec BP basé sur un calendrier de travail 1:1 et qu’aucun raisonnement rationnel ne permettrait de conclure qu’elle a enfreint le paragraphe 24(2) du Code. Elle fait valoir que le raisonnement suivi par le Conseil, dans son évaluation de la question fondamentale en litige basée sur le nouveau cadre d’analyse selon la norme de la décision raisonnable, témoigne d’une faille sur le plan de la rationalité qui rend la décision déraisonnable. Elle soutient en outre que le résultat est incompatible avec la jurisprudence confirmant que les dispositions relatives au gel ne doivent pas être utilisées pour empêcher les employeurs de tenter de s’adapter à l’évolution des circonstances, et que ce facteur et d’autres facteurs rendent la décision du Conseil indéfendable.

[29]  Le syndicat pour sa part insiste sur le fait que les conclusions de fait du Conseil commandent la retenue. Il est d’avis que la contestation par HCL de la décision du Conseil ne constitue pas fondamentalement une attaque contre le raisonnement du Conseil, mais témoigne plutôt d’un désaccord avec ses conclusions de fait. Le syndicat fait valoir que le raisonnement du Conseil est inattaquable : n’ayant trouvé aucune preuve indiquant que les nouvelles conditions de travail des pilotes temporaires s’inscrivaient dans la poursuite des activités de l’entreprise par rapport à ce qui existait avant le dépôt de la demande d’accréditation, le Conseil a conclu, à juste titre, que les conditions de travail avaient été modifiées d’une manière incompatible avec le « maintien du statu quo », de sorte que l’employeur avait enfreint les dispositions relatives au gel.

[30]  J’accepte que les conclusions de fait du Conseil soient décisives en l’espèce. Comme le fait valoir le syndicat, les conclusions de fait du Conseil mènent directement à la conclusion que la modification des conditions de travail allait au-delà du « maintien du statu quo ». D’après le dossier qui a été présenté au Conseil, je ne considère pas que cette conclusion soit déraisonnable.

[31]  Je suis d’avis que le Conseil aurait pu, en l’absence de preuve directe, tirer des conclusions basées sur le dossier présenté qui auraient appuyé davantage la position de HCL. Ainsi, le Conseil aurait pu conclure que le modèle de calcul des coûts sur lequel HCL a fondé sa soumission pour le contrat de BP en juillet 2017 non seulement différait du modèle Shell, mais prévoyait également à la fois un calendrier de travail 1:1 et le paiement des heures supplémentaires au taux normal – soit les conditions finalement adoptées pour les pilotes temporaires. De même, il aurait pu conclure que le recrutement des pilotes temporaires a été fait en regard de ces mêmes conditions et que le modèle de calcul des coûts modifié avait été communiqué aux candidats potentiels avant le dépôt de la demande d’accréditation. Ces deux inférences auraient pu, en soi, être suffisantes pour que le Conseil en arrive à une conclusion différente quant au « maintien du statu quo ».

[32]  Cependant, ainsi qu’il a été mentionné dans l’extrait précité de l’arrêt Vavilov, le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur. En se basant sur les éléments de preuve qui lui avaient été présentés, le Conseil a choisi de ne pas tirer de conclusions en l’absence de preuve directe sur ces questions, et je ne peux conclure qu’il a commis une erreur en agissant ainsi.

[33]  D’autant que HCL aurait pu présenter au Conseil une preuve manifeste du modèle de calcul des coûts qu’elle avait adopté, plutôt que laisser au Conseil le soin de tirer de possibles conclusions. Il semble que HCL ait choisi de ne pas le faire, aucune preuve de ce type ne nous ayant été présentée. De même, HCL aurait pu également présenter au Conseil une preuve manifeste de l’information qui avait été communiquée aux candidats potentiels, durant le processus de recrutement ayant débuté en décembre 2017, au sujet du calendrier de travail et du paiement des heures supplémentaires, plutôt que de laisser le Conseil tirer encore ses propres conclusions. Là encore, aucune preuve de ce type ne nous a été présentée. Je ne vois donc aucune raison de modifier la décision du Conseil, notamment compte tenu des choix qui ont été faits au moment de présenter la preuve.

VI.  Règlement proposé

[34]  Pour ces motifs, je rejetterais la demande. Conformément à l’accord conclu entre les parties, j’accorderais des dépens de 5 000 $, tout compris, en faveur du syndicat.

VII.  Post-scriptum

[35]  Avant de conclure, je tiens à préciser qu’au moment de statuer sur la présente demande, je n’ai pas tenu compte d’un argument que la Cour avait présenté aux parties durant l’audience et que HCL aurait pu invoquer en se basant sur la décision rendue par la Cour suprême dans l’arrêt Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 503 c. Compagnie Wal‑Mart du Canada, 2014 CSC 45, [2014] 2 R.C.S. 323. Dans cet arrêt, la Cour suprême a conclu (au paragraphe 57) ce qui suit : 

un changement pourra donc être déclaré conforme à la « politique habituelle de gestion » de l’employeur (1) s’il est cohérent avec ses pratiques antérieures de gestion ou, à défaut, (2) s’il est conforme à la décision qu’aurait prise un employeur raisonnable placé dans les mêmes circonstances.

[36]  Les parties conviennent que le deuxième motif énoncé dans l’arrêt Wal-Mart n’a pas été invoqué devant le Conseil. Il ne peut donc pas constituer un motif valable pour annuler la décision du Conseil, même si la décision du Conseil aurait pu être différente s’il avait été invoqué.

« J.B. Laskin »

j.c.a.

« Je souscris aux présents motifs.

Wyman W. Webb, j.c.a. »

« Je souscris aux présents motifs.

D.G. Near, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-393-18

(DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE D’UNE DÉCISION DU CONSEIL CANADIEN DES RELATIONS INDUSTRIELLES DATÉE DU 1ER NOVEMBRE 2018, NO DE DOSSIER 32455-C)

INTITULÉ :

HÉLICOPTÈRES CANADIENS LIMITÉE faisant affaire sous le nom de HÉLICOPTÈRES CANADIENS OFFSHORE c. SYNDICAT INTERNATIONAL DES EMPLOYÉS PROFESSIONNELS ET DE BUREAU

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 OCTOBRE 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LASKIN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 FÉVRIER 2020

COMPARUTIONS :

Bradley D. J. Proctor

 

Pour la demanderesse

 

Wassim Garzouzi

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McInnes Cooper

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

Pour la demanderesse

 

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP/s.r.l.

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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