Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20200207


Dossier : A-251-18

Référence : 2020 CAF 40

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

 

 

PATTERSON DENTAL CANADA INC.

 

 

appelante

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

intimée

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 5 novembre 2019.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 7 février 2020.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 


Date : 20200207


Dossier : A-251-18

Référence : 2020 CAF 40

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

 

 

PATTERSON DENTAL CANADA INC.

 

 

appelante

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GLEASON

[1]  Il s’agit d’un appel visant à faire infirmer la décision Patterson Dental Canada, Inc. c. La Reine, 2018 CCI 112, [2018] G.S.T.C. 67 (sous la plume du juge Favreau), dans laquelle la Cour canadienne de l’impôt a rejeté l’appel interjeté par l’appelante à l’encontre d’une cotisation établie aux termes de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15 (la LTA), relativement aux périodes de déclaration comprises entre le 1er mars 2005 et le 31 mai 2009. Dans cette cotisation, l’Agence du revenu du Québec, agissant au nom du ministre du Revenu national (collectivement, le ministre), a conclu que la taxe sur les produits et services (TPS) était payable pour les solutions anesthésiques locales vendues par l’appelante.

[2]  Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel avec dépens.

I.  Contexte

[3]  L’appelante vend et distribue des produits dentaires aux dentistes du Canada. Elle vend des milliers de produits, y compris une vingtaine de solutions anesthésiques locales, dont 95 % contiennent de l’épinéphrine.

[4]  Avant mai 2005, l’appelante vendait comme fournitures taxables ses solutions anesthésiques contenant de l’épinéphrine. Elle a changé cette façon de faire à partir du 1er mai 2005, peut-être après avoir appris que l’un de ses concurrents vendait des solutions similaires comme fournitures détaxées. Du 1er mai 2005 au 1er décembre 2008, l’appelante n’a pas facturé la TPS à ses clients pour ses solutions anesthésiques contenant de l’épinéphrine puisqu’elle considérait celles-ci comme des fournitures détaxées pour ce qui est de la TPS. Vers la fin de l’année 2008, l’appelante a eu connaissance d’une lettre d’interprétation émanant du ministre et indiquant que ce dernier considérait ces types de solutions comme des fournitures taxables. Elle a donc commencé, le 2 décembre 2008, à traiter ces solutions comme des fournitures taxables.

[5]  Dans la cotisation contestée, le ministre a établi à 1 111 930,52 $ le montant que devait l’appelante au titre de la TPS non versée, principalement à l’égard de solutions anesthésiques vendues comme fournitures détaxées au cours de la période en cause; plus des intérêts et des pénalités.

[6]  Dans la décision Patterson Dental Canada Inc. c. La Reine, 2014 CCI 62, [2014] G.S.T.C. 25, rendue le 6 juin 2013, la Cour de l’impôt a fait droit à la demande de l’appelante en prorogation du délai imparti pour produire un avis d’opposition à l’encontre de la cotisation; par conséquent, l’avis d’opposition produit par l’appelante le 27 avril 2011 a été considéré comme un avis d’opposition valide. Plus d’un an s’étant écoulé sans que le ministre ait rendu une décision sur l’opposition, l’appelante a déposé un avis d’appel auprès de la Cour de l’impôt le 8 juillet 2014.

II.  Les dispositions législatives pertinentes

[7]  Le paragraphe 165(1) de la LTA dispose que l’acquéreur d’une fourniture taxable effectuée au Canada est tenu de payer la TPS sur cette fourniture en fonction de la valeur de la contrepartie de la fourniture. Selon le paragraphe 123(1) de la LTA, une « fourniture » est une livraison de biens ou une prestation de services, notamment par vente, alors qu’une « fourniture taxable » est une fourniture effectuée dans le cadre d’une activité commerciale.

[8]  Les parties s’entendent pour dire que la vente de solutions anesthésiques constitue une fourniture taxable à laquelle s’applique la TPS, à moins que la fourniture concernée ne soit une des fournitures détaxées énumérées à l’annexe VI de la LTA. La partie I de cette annexe, intitulée « Médicaments sur ordonnance et substances biologiques », contient la liste des médicaments détaxés. Selon la partie pertinente de l’article 2 de la partie I de l’annexe VI de la LTA, les produits qui suivent sont détaxés :

La fourniture des drogues ou substances suivantes :

A supply of any of the following drugs or substances:

a) les drogues incluses aux annexes C ou D de la Loi sur les aliments et drogues;

(a) a drug included in Schedule C or D to the Food and Drugs Act,

b) les drogues figurant, individuellement ou par catégories, sur la liste établie en vertu du paragraphe 29.1(1) de la Loi sur les aliments et drogues, à l’exception des drogues et des mélanges de drogues qui peuvent être vendus au consommateur sans ordonnance conformément à cette loi ou au Règlement sur les aliments et drogues;

(b) a drug that is set out on the list established under subsection 29.1(1) of the Food and Drugs Act or that belongs to a class of drugs set out on that list, other than a drug or mixture of drugs that may, under that Act or the Food and Drug Regulations, be sold to a consumer without a prescription,

[…]

[…]

d) les drogues contenant un stupéfiant figurant à l’annexe du Règlement sur les stupéfiants, à l’exception des drogues et des mélanges de drogues qui peuvent être vendus au consommateur sans ordonnance ni exemption accordée par le ministre de la Santé relativement à la vente, conformément à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances ou à ses règlements d’application;

(d) a drug that contains a substance included in the schedule to the Narcotic Control Regulations, other than a drug or mixture of drugs that may, pursuant to the Controlled Drugs and Substances Act or regulations made under that Act, be sold to a consumer with neither a prescription nor an exemption by the Minister of Health in respect of the sale,

[…]

[…]

e) les drogues suivantes :

(e) any of the following drugs, namely,

(i) digoxine,

(i) Digoxin,

(ii) digitoxine,

(ii) Digitoxin,

(iii) prénylamine,

(iii) Prenylamine,

(iv) deslanoside,

(iv) Deslanoside,

(v) tétranitrate d’érythrol,

(v) Erythrityl tetranitrate,

(vi) dinitrade d’isosorbide,

(vi) Isosorbide dinitrate,

(vi.1) 5-mononitrate d’isosorbide,

(vi.1) Isosorbide-5-mononitrate,

(vii) trinitrate de glycéryle,

(vii) Nitroglycerine,

(viii) quinidine et ses sels,

(viii) Quinidine and its salts,

(ix) oxygène à usage médical,

(ix) Medical oxygen,

(x) épinéphrine et ses sels,

(x) Epinephrine and its salts, and

(xi) naloxone et ses sels;

(xi) Naloxone and its salts,

[Non souligné dans l’original.]

[Emphasis added.]

III.  La décision de la Cour de l’impôt

[9]  La question dans la décision faisant l’objet de l’appel était de savoir si les solutions anesthésiques vendues par l’appelante constituaient des fournitures détaxées aux termes du sous-alinéa 2e)(x) de la partie I de l’annexe VI de la LTA. Après avoir examiné la preuve fournie par les trois experts qui avaient témoigné, la Cour de l’impôt a jugé inapplicable sa décision antérieure Centre Hospitalier Le Gardeur c. La Reine, 2007 CCI 425, 2008 G.T.C. 77 [Le Gardeur]. Dans cette décision, la Cour de l’impôt avait conclu que l’alinéa 2a) de la partie I de l’annexe VI de la LTA s’appliquait aux mélanges contenant des substances énumérées à l’annexe D de la Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F-27 (la LAD), si la substance principale du mélange était une substance visée à l’annexe D de la LAD. L’appelante a soutenu que la présente espèce était identique à Le Gardeur puisque l’épinéphrine était l’un des principaux composants de ses solutions anesthésiques, de sorte que, suivant le raisonnement tenu dans Le Gardeur, celles-ci devraient être considérées comme des fournitures détaxées.

[10]  La Cour de l’impôt a conclu que la décision Le Gardeur ne s’appliquait pas aux solutions anesthésiques contenant de l’épinéphrine vendues par l’appelante, et ce, en raison de la différence de formulation et d’objet des alinéas 2a) et e) de la partie I de l’annexe VI de la LTA. La Cour de l’impôt a fait le raisonnement suivant, aux paragraphes 55 à 59 :

[...] je ne crois pas que la décision Le Gardeur énonce un principe ou une règle qui s’applique en l’espèce, pour les raisons suivantes. En premier lieu, le jugement Le Gardeur porte sur l’application de l’alinéa 2a) de la partie 1 de l’annexe VI de la LTA, dont l’objectif est différent de celui de l’alinéa 2e). Sous le régime de l’alinéa 2a), la fourniture d’une substance ou d’un mélange de substances est détaxée si ces dernières servent au diagnostic et si elles sont de l’annexe D de la Loi sur les aliments et drogues. En deuxième lieu, les drogues visées à l’annexe D ne peuvent pas se trouver à l’état pur dans un contenant. Or, dans le cas qui nous occupe, l’épinéphrine comme ingrédient actif unique est commercialisée comme traitement pour des troubles graves.

Les anesthésiques fournis par l’appelante qui sont en cause ici ne sont pas conçus pour traiter d’urgence des patients ayant des troubles graves, et ne sont donc pas visés par l’alinéa (2)e) de la partie 1 de l’annexe VI de la LTA.

Le législateur a délibérément omis l’expression « mélange de drogues » dans le libellé de l’alinéa 2e) de la partie I de l’annexe VI de la LTA, contrairement aux alinéas 2b) et 2d).

À mon avis, il serait contraire à la politique du ministère des Finances de caractériser un mélange quelconque contenant de l’épinéphrine, ou une autre substance visée à l’alinéa 2e), comme étant une fourniture détaxée.

Si le législateur souhaite détaxer d’autres substances ou mélanges de substances sous le régime de l’alinéa 2e), il devrait modifier le texte légal, comme il l’a fait pour le 5- mononitrate d’isosorbide en 2012 et la naloxone en 2017.

IV.  Questions en litige

[11]  L’appelante prétend que la Cour de l’impôt a commis une erreur de droit en tirant la conclusion énoncée ci-dessus. Elle dit qu’en raisonnant ainsi, la Cour de l’impôt ne s’est pas penchée sur les questions juridiques qu’elle devait examiner, soit celles de savoir si les solutions contenant de l’épinéphrine vendues par l’appelante constituaient une fourniture mélangée et, dans l’affirmative, si l’épinéphrine en était la substance principale.

[12]  L’appelante soutient plus précisément que l’approche suivie dans la décision Le Gardeur est prescrite par la jurisprudence faisant autorité en la matière, soit l’arrêt Calgary (Ville) c. Canada, 2012 CSC 20, [2012] 1 R.C.S. 689 [Calgary (Ville)], de la Cour suprême du Canada, et les arrêts Global Cash Access (Canada) Inc. c. Canada, 2013 CAF 269, 451 N.R. 358 [Global Cash Access (Canada) Inc.], et Club Intrawest c. Canada, 2017 CAF 151, [2017] G.S.T.C. 51 [Club Intrawest] de notre Cour. Ces trois arrêts exigent, selon l’appelante, que l’on détermine d’abord s’il y a eu une fourniture unique. Dans l’affirmative, et si cette fourniture comprend un élément taxable et un élément détaxé, l’appelante prétend que, d’après la jurisprudence susmentionnée, il faut alors examiner si la partie détaxée de la fourniture unique en est l’élément principal. Si la réponse est affirmative, soutient l’appelante, la fourniture doit être qualifiée de non taxable.

[13]  L’appelante prétend que la Cour de l’impôt a commis une erreur susceptible de révision en n’entreprenant pas l’examen décrit ci-dessus.

[14]  L’appelante soutient également que, si la Cour de l’impôt avait appliqué le bon critère, une seule conclusion aurait été possible, à savoir que les solutions contenant de l’épinéphrine vendues par l’appelante doivent être considérées comme des fournitures détaxées. Elle fait valoir que les seuls éléments de preuve pertinents dont disposait la Cour de l’impôt avait été fournis par son expert, qui était le seul expert possédant de l’expérience dans les domaines de la médecine et de la chirurgie dentaires. Selon l’appelante, la preuve d’expert qu’elle a présentée établit que, dans les cas où les dentistes administrent des solutions anesthésiques contenant de l’épinéphrine, la présence d’épinéphrine est médicalement nécessaire afin de maîtriser le saignement. Elle prétend par conséquent que l’épinéphrine est l’ingrédient principal de ses solutions, ce qui fait qu’elles relèvent de l’alinéa 2e) de la partie I de l’annexe VI de la LTA.

V.  Analyse

[15]  Bien que les arrêts Calgary (Ville), Global Cash Access (Canada) Inc. et Club Intrawest énoncent effectivement les principes régissant les fournitures uniques qui comprennent des éléments taxables et des éléments détaxés, je ne suis pas d’accord pour dire que ces décisions mènent au résultat recherché par l’appelante, et ce, pour deux raisons.

[16]  Tout d’abord, cette jurisprudence ne s’applique qu’en présence d’une fourniture composée d’un élément taxable et d’un élément détaxé. En l’espèce, pour sensiblement les mêmes motifs que ceux exposés par la Cour de l’impôt, les solutions vendues par l’appelante ne constituent pas une fourniture de ce type. Comme l’a souligné à juste titre la Cour de l’impôt, il existe d’importantes différences de formulation et d’historique législatif entre les alinéas 2a) et e) de la partie I de l’annexe VI de la LTA. L’alinéa 2a) s’applique aux médicaments énumérés dans les annexes de la LAD, tandis que l’alinéa e) comprend les médicaments en vente libre servant à traiter des maladies graves.

[17]  L’historique législatif pertinent le montre clairement. Les notes explicatives du projet de loi C-62 concernant la taxe sur les produits et services, publiées en 1990 par le ministre des Finances, disent ceci : « Un certain nombre de drogues pouvant être vendues sans ordonnance et utilisées dans le traitement des maladies incurables, détaillées à l’alinéa e), sont aussi détaxées ».

[18]  Au fil des ans, d’autres médicaments en vente libre ont été ajoutés à la liste de l’alinéa 2e), ces ajouts étant toujours accompagnés de la même explication.

[19]  Par exemple, lorsque la naloxone a été ajoutée en 2017, le document « Mesures fiscales : Renseignements supplémentaires », dans le Plan budgétaire du 22 mars 2017, disait ce qui suit :

Les médicaments sur ordonnance et une liste de médicaments en vente libre qui servent à traiter des conditions mettant la vie en danger sont détaxés sous le régime de la [TPS/TVH]. […] Santé Canada a retiré l’exigence d’une ordonnance lorsque la naloxone est indiquée pour une utilisation d’urgence contre les surdoses par opioïdes hors du milieu hospitalier. […] Afin de rétablir la détaxation de la naloxone sous le régime de la TPS/TVH, le budget de 2017 propose d’ajouter ce médicament (et ses sels) à la liste des médicaments en vente libre qui servent à traiter des conditions mettant la vie en danger et qui sont détaxés sous ce régime.

[20]  Vont dans le même sens les « Notes explicatives relatives à la Loi de l’impôt sur le revenu, à la Loi sur la taxe d’accise, à la Loi sur l’accise, à la Loi de 2001 sur l’accise et à des textes connexes », publiées par le ministère des Finances en avril 2017, qui précisent concernant l’ajout de la naloxone à l’alinéa 2e) de la partie I de l’annexe VI de la LTA :

L’alinéa 2e) de la partie I de l’annexe VI de la Loi dresse la liste des drogues en vente libre servant à traiter des conditions mettant la vie en danger qui sont détaxées.

La naloxone est un médicament servant à traiter les surdoses d’opioïdes. Avant le 22 mars 2016, les fournitures du médicament étaient détaxées, puisqu’elle était inscrite à la Liste des drogues sur ordonnance établie sous le régime de la Loi sur les aliments et drogues et ne pouvait pas être vendue à un consommateur sans ordonnance. Depuis le 22 mars 2016, une ordonnance n’est plus requise pour la naloxone en vertu du Règlement sur les aliments et drogues lorsque la drogue est indiquée en cas d’urgence pour une surdose d’opioïdes hors du milieu hospitalier. Afin que la naloxone continue d’être détaxée sous le régime de la TPS/TVH dans ces circonstances, le nouveau sous-alinéa (xi) a pour effet d’ajouter la naloxone et ses sels à la liste figurant à l’alinéa 2e).

[21]  Le 5‑mononitrate d’isosorbide, un vasodilatateur utilisé dans le traitement de l’angine, a été ajouté à l’alinéa 2e) de la partie I de l’annexe VI de la LTA en 2012. Le ministère des Finances, dans ses « Notes explicatives concernant la Loi de l’impôt sur le revenu, la Loi sur la taxe d’accise et des lois et règlements connexes », publiées en avril 2012, fait cette remarque : « L’alinéa 2e) de la partie I de l’annexe VI de la Loi dresse la liste des drogues en vente libre servant à traiter des maladies graves qui sont détaxées à tous les niveaux de production et de distribution. »

[22]  David M. Sherman, dans Canada GST Service (Toronto, Thomson Reuters, 1990, édition à feuilles mobiles mise à jour en septembre 2017), vol. C-11, section VI-154.4, confirme que les médicaments énumérés à l’alinéa 2e) sont des médicaments en vente libre détaxés pour la raison suivante :

[traduction]
[...] ils sont nécessaires pour traiter des troubles mettant la vie en danger quand on ne dispose pas de suffisamment de temps pour obtenir une ordonnance. [...] Ils ne sont donc pas détaxés aux termes de l’alinéa 2b) parce qu’ils ne figurent pas sur la Liste des drogues sur ordonnance; pourtant, on a jugé que leur détaxation était indiquée.

[Caractères gras dans l’original.]

[23]  Les solutions contenant de l’épinéphrine vendues par l’appelante ne sont pas utilisées pour le traitement de troubles médicaux mettant la vie en danger. Les éléments de preuve soumis à la Cour de l’impôt établissaient plutôt que l’épinéphrine contenue dans ces solutions y est ajoutée comme vasoconstricteur afin de maîtriser le saignement dans le champ opératoire et de diminuer le taux d’absorption de l’anesthésique local dans le sang. C’est ce qu’a affirmé l’expert de l’appelante, le Dr Gizzarelli, dans son témoignage, dont des extraits sont reproduits aux paragraphes 13 à 16 et 51 des motifs de la Cour de l’impôt. Ainsi, l’épinéphrine dans les solutions anesthésiques ne remplit pas la même fonction que celle administrée à une personne en danger de mort, l’épinéphrine étant alors le seul ingrédient actif du médicament. Par conséquent, la fourniture d’épinéphrine mélangée à un analgésique dans les solutions vendues par l’appelante ne constitue pas une fourniture unique contenant un élément taxable et un élément détaxé.

[24]  Ensuite, et à titre subsidiaire, même si les solutions devaient être considérées comme une telle fourniture, on arriverait malgré tout au même résultat. En effet, la jurisprudence établit que l’élément détaxé doit être l’élément principal de la fourniture unique pour que celle-ci soit détaxée. La juge Dawson, s’exprimant au nom de notre Cour dans l’arrêt Club Intrawest, a affirmé ce qui suit au paragraphe 82 :

Ce que je tire de la décision Global Cash Access, c’est l’attention qu’il faut porter à l’élément prédominant d’une fourniture unique en vue d’appliquer la [LTA]. C’est une erreur de droit que d’appliquer la [LTA] en portant attention aux services qui ne font pas partie de l’élément prédominant de la fourniture unique (voir également la décision Great-West, Compagnie d’assurance-vie c. Canada, 2016 CAF 316, [2016] A.C.F. no 1408, au paragraphe 43).

[25]  En l’espèce, bien que l’épinéphrine soit un élément important dans les solutions anesthésiques de l’appelante, ce n’est pas l’élément principal ou prédominant. C’est plutôt l’anesthésique local qui est l’élément principal.

[26]  Dans des affaires de cette nature, nous avons pour nous guider les enseignements utiles de la Cour d’appel d’Angleterre dans l’arrêt Customs and Excise Commissioners v. Scott, [1978] S.T.C. 191 (Q.B.) (R.-U.) [Scott], cité et approuvé par la Cour de l’impôt dans l’arrêt O.A. Brown Ltd. c. Canada, [1995] G.S.T.C. 40, [1995] A.C.I. no 678, dont les passages pertinents ont, à leur tour, été cités et approuvés par notre Cour dans l’arrêt Hidden Valley Golf Resort Assn. c. La Reine, 257 N.R. 164, [2000] G.S.T.C. 42 (C.A.F.). Dans Scott, le juge en chef Widgery a fait remarquer, à la page 195, que, pour déterminer s’il existe une fourniture unique détaxée, on ne devrait pas se livrer à une interrogation trop légaliste, mais plutôt faire cette détermination [traduction] « en faisant appel à un petit peu de sens commun et en se préoccupant de ce qui se passe en réalité ».

[27]  En l’espèce, le bon sens et la preuve d’expert établissent que les anesthésiques utilisés en médecine dentaire, y compris ceux qui contiennent de l’épinéphrine, sont administrés afin de traiter la douleur (rapport d’expert du Dr Gino Gizzarelli, pièce A-3, dossier d’appel, onglet 12, page 545; rapport d’expert du Dr Pierre Beaulieu, pièce R-1, dossier d’appel, onglet 14, page 588; rapport d’expert d’Eric Ormsby, pièce R-2, dossier d’appel, onglet 15, page 785; interrogatoire principal et contre-interrogatoire du Dr Gino Gizzarelli, dossier d’appel, onglet 8, pages 96, 119 et 120; interrogatoire principal du Dr Pierre Beaulieu, dossier d’appel, onglet 8, page 136). Par conséquent, l’élément prédominant des solutions anesthésiques contenant de l’épinéphrine vendues par l’appelante n’est pas l’épinéphrine, mais plutôt l’anesthésique local.

[28]  Il s’ensuit que la Cour de l’impôt n’a pas commis d’erreur en concluant que les solutions anesthésiques contenant de l’épinéphrine vendues par l’appelante sont assujetties à la TPS.

VI.  Dispositif proposé

[29]  Je rejetterais donc l’appel avec dépens.

« Mary J.L. Gleason »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

  Richard Boivin, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

  Yves de Montigny, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-251-18

 

 

INTITULÉ :

PATTERSON DENTAL CANADA INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 novembre 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 7 féVRIER 2020

 

COMPARUTIONS :

Dominic Belley

Catherine Dubé

Pour l’appelante

 

Antoine Lamarre

Pour L’IntIMÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (Québec)

 

Pour l’appelante

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour L’IntIMÉE

 

 

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