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Date : 20200212


Dossier : A-315-18

Référence : 2020 CAF 43

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

LE JUGE LOCKE

 

ENTRE :

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

appelante

 

 

et

 

 

ALTA ENERGY LUXEMBOURG S.A.R.L.

 

 

intimée

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 12 novembre 2019.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 12 février 2020.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LE JUGE LOCKE

 


Date : 20200212


Dossier : A-315-18

Référence : 2020 CAF 43

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

LE JUGE LOCKE

 

ENTRE :

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

appelante

 

 

et

 

 

ALTA ENERGY LUXEMBOURG S.A.R.L.

 

 

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1]  La Cour est saisie d’un appel interjeté à l’encontre d’un jugement de la Cour canadienne de l’impôt prononcé le 22 août 2018 (2018 CCI 152) qui a accueilli l’appel d’Alta Energy Luxembourg S.A.R.L. (Alta Luxembourg) interjeté à l’encontre d’une cotisation établie en application de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi), pour son année d’imposition 2013. Selon Alta Luxembourg, l’important gain en capital imposable qu’elle a tiré de la disposition des actions d’Alta Energy Partners Canada Ltd. (Alta Canada) n’était pas imposable au Canada. L’exonération d’impôt était fondée sur les dispositions de la Convention entre le Gouvernement du Canada et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir la fraude fiscale en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune (la Convention de Luxembourg). Selon le ministre du Revenu national (le ministre) la Convention de Luxembourg ne s’appliquait pas. Subsidiairement, le ministre a invoqué la règle générale anti-évitement (la RGAÉ) pour assujettir à l’impôt ce gain en capital imposable au Canada. La Cour de l’impôt a conclu que la Convention de Luxembourg s’appliquait et que la RGAÉ ne s’appliquait pas. Par conséquent, l’appel d’Alta Luxembourg a été accueilli.

[2]  Pour les motifs qui suivent, je rejetterais le présent appel.

I.  Résumé des faits

[3]  Les parties ont déposé un important exposé conjoint des faits à la Cour de l’impôt. Aux fins du présent appel, il n’est pas nécessaire de rappeler tous les faits sur lesquels il y a eu accord. Il suffit d’en souligner quelques-uns.

[4]  Le 13 juin 2011, Alta Canada a été constituée en société en application des lois de l’Alberta. Cette société était une filiale en propriété exclusive d’Alta Energy Partners, LLC (une société à responsabilité limitée du Delaware), dont les actions appartenaient à deux groupes : un groupe ayant une expertise dans la prospection pétrolière et gazière et l’autre possédant le capital nécessaire pour accomplir de tels travaux de prospection.

[5]  Le juge de la Cour de l’impôt a conclu qu’Alta Canada exploitait une entreprise de gaz de schiste non classique dans la formation de gaz de schiste de Duvernay située dans le Nord de l’Alberta. Entre 2011 et 2013, Alta Canada a obtenu diverses licences d’exploitation de pétrole et de gaz naturel. Suivant l’exposé conjoint des faits, le 28 mars 2013, la position foncière nette d’Alta Canada, dans la formation de Duvernay-Kaybob, était de 67 891 acres.

[6]  En 2012 et 2013, Alta Canada a foré quatre puits verticaux et deux puits horizontaux. Il semble que cinq de ces six puits ont été forés après qu’Alta Luxembourg a été constituée et a acheté les actions d’Alta Canada. Alta Canada était aussi non-exploitante de deux puits supplémentaires.

[7]  En 2011, les actionnaires indirects d’Alta Canada ont été informés que la structure qui avait été adoptée n’était pas idéale, sur le plan fiscal, car les travaux de prospection étaient effectués sur des biens miniers au Canada. À la fin de 2011, une augmentation considérable de la valeur d’Alta Canada était prévue au cours des années suivantes.

[8]  Une restructuration a été entreprise en 2012. Alta Luxembourg a ainsi été constituée en application des lois du Luxembourg, et les actions d’Alta Canada lui ont été transférées. Les parties ont reconnu que ce transfert d’actions était une opération imposable. Cependant, l’Agence du revenu du Canada a convenu que la juste valeur marchande des actions d’Alta Canada, à cette époque, était égale au prix de base rajusté de ces actions. Par conséquent, aucun gain en capital n’a été réalisé lors du transfert des actions d’Alta Canada à Alta Luxembourg.

[9]  Après la restructuration, toutes les actions d’Alta Luxembourg étaient détenues par Alta Energy Canada Partnership. Cette société en nom collectif a été constituée en application des lois de l’Alberta. Les associés étaient les actionnaires d’Alta Energy Partners, LLC. En fait, la restructuration a eu pour résultat de remplacer Alta Energy Partners, LLC par Alta Luxembourg et Alta Energy Canada Partnership.

[10]  En 2013, les actions d’Alta Canada ont été vendues pour 680 millions de dollars environ. Le gain en capital qui en a résulté était supérieur à 380 millions de dollars.

II.  Dispositions pertinentes de la Loi

[11]  Le paragraphe 2(3) de la Loi prescrit qu’une personne non-résidente qui dispose de tout bien canadien imposable doit payer un impôt sur son revenu imposable déterminé en application de la section D de la Loi.

[12]  La section D comprend l’article 115. L’alinéa 115(1)b), en particulier, dispose ce qui suit :

115 (1) Pour l’application de la présente loi, le revenu imposable gagné au Canada pour une année d’imposition d’une personne qui ne réside au Canada à aucun moment de l’année correspond à l’excédent éventuel du montant qui représenterait son revenu pour l’année selon l’article 3:

115 (1) For the purposes of this Act, the taxable income earned in Canada for a taxation year of a person who at no time in the year is resident in Canada is the amount, if any, by which the amount that would be the non-resident person’s income for the year under section 3 if

[…]

b) si les seuls gains en capital imposables et les seules pertes en capital déductibles visés à l’alinéa 3b) étaient de semblables gains et de semblables pertes provenant de la disposition (sauf la disposition réputée effectuée selon le paragraphe 218.3(2)) de biens canadiens imposables (sauf des biens protégés par traité);

(b) the only taxable capital gains and allowable capital losses referred to in paragraph 3(b) were taxable capital gains and allowable capital losses from dispositions, other than dispositions deemed under subsection 218.3(2), of taxable Canadian properties (other than treaty-protected properties), and …

[13]  La définition d’un bien canadien imposable se trouve au paragraphe 248(1) de la Loi. Il n’est pas nécessaire d’inclure cette définition, car il n’est pas contesté que les actions d’Alta Canada étaient un bien canadien imposable. Leur valeur provenait d’avoirs miniers canadiens (définis au paragraphe 66(15) de la Loi).

[14]  Le bien protégé par traité est ainsi défini au paragraphe 248(1) de la Loi :

« bien protégé par traité » À un moment donné, bien d’un contribuable dont la disposition par lui à ce moment donne naissance à un revenu ou à un gain qui serait exonéré, par l’effet d’un traité fiscal, de l’impôt prévu à la partie I.

“treaty-protected property” of a taxpayer at any time means property any income or gain from the disposition of which by the taxpayer at that time would, because of a tax treaty with another country, be exempt from tax under Part I;

[15]  Les articles 38, 39 et 40 de la Loi prévoient le calcul du gain en capital imposable d’un contribuable. Étant donné que le montant du gain en capital imposable n’est pas contesté, il n’est pas nécessaire de rappeler ces provisions.

[16]  Par conséquent, si :

  • a) une personne réside dans un autre pays;

  • b) cette personne dispose d’un bien canadien imposable et réalise un gain en capital imposable;

  • c) il existe un traité entre le Canada et le pays où la personne réside;

  • d) aux termes de ce traité, le gain réalisé lors de la disposition du bien est exonéré de l’impôt au Canada;

le bien est un bien protégé par traité, sous le régime de la Loi, et le gain réalisé lors de la disposition d’un tel bien n’est pas assujetti à l’impôt en application de la Loi.

[17]  En l’espèce, la Couronne soutient que la RGAÉ s’applique. Alta Luxembourg ayant reconnu qu’il y avait eu avantage fiscal et opération d’évitement, la disposition pertinente est le paragraphe 245(4) de la Loi :

(4) Le paragraphe (2) ne s’applique qu’à l’opération dont il est raisonnable de considérer, selon le cas :

(4) Subsection (2) applies to a transaction only if it may reasonably be considered that the transaction

a) qu’elle entraînerait, directement ou indirectement, s’il n’était pas tenu compte du présent article, un abus dans l’application des dispositions d’un ou de plusieurs des textes suivants :

(a) would, if this Act were read without reference to this section, result directly or indirectly in a misuse of the provisions of any one or more of

(i) la présente loi,

(i) this Act,

(ii) le Règlement de l’impôt sur le revenu,

(ii) the Income Tax Regulations,

(iii) les Règles concernant l’application de l’impôt sur le revenu,

(iii) the Income Tax Application Rules,

(iv) un traité fiscal,

(iv) a tax treaty, or

(v) tout autre texte législatif qui est utile soit pour le calcul d’un impôt ou de toute autre somme exigible ou remboursable sous le régime de la présente loi, soit pour la détermination de toute somme à prendre en compte dans ce calcul;

(v) any other enactment that is relevant in computing tax or any other amount payable by or refundable to a person under this Act or in determining any amount that is relevant for the purposes of that computation; or

b) qu’elle entraînerait, directement ou indirectement, un abus dans l’application de ces dispositions compte non tenu du présent article lues dans leur ensemble.

(b) would result directly or indirectly in an abuse having regard to those provisions, other than this section, read as a whole.

III.  Dispositions pertinentes de la Convention de Luxembourg

[18]  L’article 1 et les paragraphes 4(1), 13(4) et 13(5) de la Convention de Luxembourg sont pertinents.

Article 1

La présente Convention s’applique aux personnes qui sont des résidents d’un État contractant ou des deux États contractants.

Paragraphe 4(1)

1.  Au sens de la présente Convention, l’expression « résident d’un État contractant » désigne toute personne qui, en vertu de la législation de cet État, est assujettie à l’impôt dans cet État, en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue. Cette expression comprend également un État contractant ou l’une de ses subdivisions politiques ou collectivités locales ou toute personne morale de droit public de cet État, de cette subdivision ou de cette collectivité. Toutefois, cette expression ne comprend pas les personnes qui ne sont assujetties à l’impôt dans cet État que pour les revenus de sources situées dans cet État.

Paragraphes 13(4) et (5)

4.  Les gains qu’un résident d’un État contractant tire de l’aliénation :

a.  d’actions (autres que des actions inscrites à une bourse de valeurs approuvée dans l’autre État contractant) faisant partie d’une participation substantielle dans le capital d’une société et dont la valeur des actions est principalement tirée de biens immobiliers situés dans cet autre État; ou

b.  d’une participation dans une société de personnes, une fiducie ou une succession et dont la valeur est principalement tirée de biens immobiliers situés dans cet autre État,

sont imposables dans cet autre État. Au sens du présent paragraphe, l’expression « biens immobiliers » ne comprend pas les biens (autres que les biens locatifs) dans lesquels la société, la société de personnes, la fiducie ou la succession a exercé son activité; et, il existe une participation substantielle lorsque le résident et des personnes qui lui sont associées possèdent au moins 10 p. 100 des actions d’une catégorie quelconque du capital d’une société.

5.  Les gains provenant de l’aliénation de tous biens autres que ceux visés aux paragraphes 1 à 4 ne sont imposables que dans l’État contractant dont le cédant est un résident.

[19]  L’exonération d’impôt au Canada dont il est question en l’espèce découle de l’association des paragraphes 13(4) et (5). Le paragraphe 13(4) énonce la règle générale selon laquelle le Canada a le droit de soumettre un résident du Luxembourg à l’impôt sur le gain provenant de l’aliénation d’actions ou d’une participation dans une société de personne, une fiducie ou une succession. Ces dispositions sont pertinentes dans le présent appel dans la mesure où elles concernent les actions. Le paragraphe 13(4) ne s’applique pas aux gains provenant de la vente d’actions qui sont inscrites à une bourse de valeurs approuvée au Canada. Par conséquent, en règle générale, le Canada se réserve seulement le droit de soumettre à l’impôt les gains provenant de l’aliénation d’actions d’une société privée (ou celles qui ne sont pas inscrites à une bourse de valeurs approuvée au Canada).

[20]  Deux autres restrictions au droit du Canada de soumettre à l’impôt de tels gains sont aussi prévues au paragraphe 13(4). Les actions doivent aussi faire partie d’une participation substantielle dans la société, et la valeur des actions doit provenir principalement de biens immobiliers situés au Canada. Un résident du Luxembourg a une participation substantielle dans la société si ce résident et toute personne qui est associée à ce résident possèdent collectivement au moins 10 % des actions d’une catégorie quelconque de la société. Si le résident du Luxembourg n’a pas une participation substantielle dans la société, le Canada ne se réserve pas le droit de soumettre à l’impôt tout gain provenant de l’aliénation des actions dans ce cas, suivant cette disposition.

[21]  Par conséquent, la règle générale est la suivante :  si un résident du Luxembourg possède 10 % ou plus des actions d’une société privée qui détient des biens immobiliers au Canada (de sorte que la valeur de ses actions provient principalement de tels biens immobiliers), le Canada se réserve le droit de soumettre à l’impôt le gain provenant de la vente des actions de cette société. Le paragraphe 13(4), toutefois, prévoit aussi une exception importante à cette règle (qui est pertinente en l’espèce). Les biens immobiliers ne comprennent pas les biens (autres que les biens locatifs) dans lesquels la société exerce ses activités.

[22]  Il découle donc du paragraphe 13(4) que le Canada a renoncé à son droit de soumettre à l’impôt les gains qu’un résident du Luxembourg tire de la vente des actions d’une société privée, si la valeur de telles actions provient principalement de biens immobiliers (autres que des biens locatifs) situés au Canada dans lesquels la société exerce ses activités.

[23]  Étant donné que le paragraphe 13(4) ne s’appliquerait pas pour permettre au Canada de soumettre à l’impôt le gain issu de la disposition de telles actions, le paragraphe 13(5) s’appliquerait, et le gain ne pourrait être imposé qu’au Luxembourg. Par souci de commodité, nous employons dans ce cas le terme exonération découlant du paragraphe 13(4). Étant donné que le gain provenant de telles actions serait exonéré d’impôt au Canada, en application de la Convention de Luxembourg, de telles actions seraient des biens protégés par traité, sous le régime de la Loi.

IV.  Décision rendue par la Cour canadienne de l’impôt

[24]  La Couronne, lors de l’audience devant la Cour canadienne de l’impôt, a soulevé deux questions :

  • a) Les actions d’Alta Canadasont-elles des biens protégés par traité par application des paragraphes 13(4) et (5) de la Convention de Luxembourg?

  • b) Dans l’affirmative, la RGAÉ fait -elle obstacle à l’avantage fiscal que constitue l’imposition au Luxembourg du gain réalisé lors de la disposition de telles actions?

[25]  Le juge de la Cour de l’impôt a conclu que les actions d’Alta Canada étaient des biens protégés par traité par application des paragraphes 13(4) et (5) de la Convention de Luxembourg. Dans le présent appel, la Couronne ne conteste pas cette conclusion.

[26]  Le juge de la Cour de l’impôt a aussi conclu que la RGAÉ ne s’appliquait pas, car il n’y a pas eu d’abus dans l’application de la Loi ou de la Convention de Luxembourg. Dans le présent appel, la Couronne conteste cette conclusion.

V.  Question en litige et norme de contrôle

[27]  Comme il est mentionné plus haut, Alta Luxembourg reconnaît l’existence d’un avantage fiscal et d’une opération d’évitement. Par conséquent, dans le présent appel, la seule question en litige est celle de savoir si les opérations ont entraîné un abus dans l’application des dispositions de la Loi ou de la Convention de Luxembourg comme on l’entend pour l’application de la RGAÉ. Comme le fait observer notre Cour dans l’arrêt Canada c. Oxford Properties Group Inc., 2018 CAF 30, [2018] 4 R.C.F. 3 (Oxford Properties) :

[39]  La question de savoir s’il y a eu abus est une question mixte de fait et de droit, et elle est par conséquent assujettie à la norme de l’erreur manifeste et dominante (Trustco, par. 44; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 (C.S.C.), par. 37 [Housen]). Cependant, l’analyse relative à l’abus se fait en deux étapes. La première étape consiste à déterminer l’objet et l’esprit des dispositions invoquées au soutien de l’avantage fiscal, et la deuxième étape consiste à décider si l’avantage fiscal obtenu contrecarre les dispositions compte tenu de l’interprétation qui en a été donnée (Trustco, par. 44). L’objet et l’esprit des dispositions sont cernés grâce à l’interprétation législative (Copthorne, par. 70). Il s’agit d’une question de droit et d’une partie isolable de l’analyse, par conséquent, la norme de la décision correcte y est applicable (Trustco, par. 44; Housen, par. 8 et 37).

VI.  Discussion

[28]  Aux termes de la Loi, le gain en capital imposable réalisé par des non-résidents du Canada, par suite de la disposition d’un bien canadien imposable, est assujetti à l’impôt au Canada, sauf si le bien est un bien protégé par traité. Si le Canada a convenu, dans un traité intervenu avec un autre pays, que tout gain découlant de la disposition d’un bien est exonéré d’impôt en application de la partie I de la Loi, un tel bien constitue alors un bien protégé par traité. En l’espèce, l’exonération d’impôt au Canada est prévue dans la Convention de Luxembourg.

[29]  L’exonération dont il est question dans le présent appel ne figure pas dans toutes les conventions négociées par le Canada avec d’autres pays. Plus précisément, comme le fait remarquer la Couronne, elle n’est pas prévue dans la Convention entre le Canada et les États-Unis d’Amérique en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune (la Convention fiscale entre le Canada et les États-Unis). La Couronne semble affirmer que, parce que cette exonération ne figure pas dans toutes les conventions que le Canada a conclues, celle qui est prévue à la Convention de Luxembourg devrait être limitée.

[30]  Or, le fait que cette disposition existe dans la Convention de Luxembourg – et qu’elle n’est pas prévue dans toutes les conventions que le Canada a conclues –, doit signifier que le traitement du gain sera différent de celui que réserve une autre convention ne prévoyant pas l’exonération, comme la Convention fiscale entre le Canada et les États-Unis. Il faut examiner les dispositions de la Convention de Luxembourg afin de déterminer leur objet et leur esprit. La Convention entre le Canada et les États-Unis, qui ne comprend pas cette exonération, a peu d’utilité lorsqu’il s’agit déterminer la raison d’être de cette disposition dans la Convention de Luxembourg.

[31]  Bien que la Couronne ait soulevé l’abus dans l’application de l’alinéa 115(1)b) de la Loi, l’audience a porté principalement sur l’abus éventuel des dispositions pertinentes de la Convention de Luxembourg. L’exception relative aux biens protégés par traité, à l’alinéa 115(1)b) de la Loi, traduit simplement ce que le Canada a convenu de faire aux termes de la Convention de Luxembourg, c’est-à-dire de ne pas imposer le gain réalisé par suite de la  disposition de certains biens. Par conséquent, à mon avis, l’analyse relative à la RGAÉ doit porter sur les dispositions de la Convention de Luxembourg. Si aucun abus dans l’application de la Convention de Luxembourg n’est constaté, il n’y a aucun abus dans l’application de l’alinéa 115(1)b) de la Loi.

[32]  Comme le dit la Cour dans l’arrêt Oxford Properties, le premier volet de l’analyse consiste à déterminer l’objet et l’esprit des dispositions qui confèrent l’avantage fiscal. En l’espèce, l’avantage fiscal en question est l’exonération d’impôt au Canada sur le gain en capital imposable réalisé lors de la disposition des actions d’Alta Canada. Les paragraphes 13(4) et (5) de la Convention de Luxembourg décrivent les biens qui exonérés d’impôt au Canada (et qui sont donc reconnus comme des biens protégés par traité pour l’application de la Loi).

[33]  Dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601 (Trustco), la Cour suprême du Canada fait les remarques suivantes :

64  Par contre, pour décider s’il y a évitement fiscal abusif au sens du par. 245(4), il faut effectuer une analyse textuelle, contextuelle et téléologique des dispositions invoquées pour obtenir l’avantage fiscal. Nous ne voyons aucune raison de maintenir la distinction entre la conception théorique et la conception pratique du fardeau de la preuve que les juges majoritaires de la Cour d’appel fédérale ont établie dans l’arrêt OSFC [OSFC Holdings Ltd. C. Canada, 2001 CAF 260, [2002] C.F. 288]. La Cour d’appel fédérale a statué qu’aucun fardeau ne pèse sur l’une ou l’autre des parties à l’étape de l’interprétation des dispositions en cause, puisqu’il s’agit là d’une question de droit qu’il incombe en fin de compte à la cour de trancher. Elle a ajouté, au par. 68, que « dans une perspective pratique, le ministre doit [...] énoncer la politique générale en mentionnant les dispositions de la Loi ou les moyens extrinsèques sur lesquels il s’appuie ».

65  En pratique, c’est le dernier énoncé qui est important. Une fois qu’il a démontré qu’il respecte le libellé d’une disposition, le contribuable ne devrait pas avoir à prouver qu’il n’a pas, de ce fait, contrevenu à l’objet ou à l’esprit de la disposition. Il appartient au ministre qui tente d’invoquer la RGAÉ de décrire l’objet ou l’esprit des dispositions qui auraient été contournées, selon une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique des dispositions de la Loi. Le ministre est mieux placé que le contribuable pour présenter des observations sur l’intention du législateur dans le but d’interpréter les dispositions de façon harmonieuse avec le régime législatif général qui s’applique à l’opération en cause.

[Non souligné dans l’original.]

[34]  En l’espèce, la Couronne reconnaît qu’Alta Luxembourg a respecté le libellé des articles 1 et 4 et des paragraphes 13(4) et (5) de la Convention de Luxembourg. Par conséquent, c’est à la Couronne de décrire l’objet ou l’esprit des dispositions qui, selon elle, auraient été contournées.

[35]  La Couronne a consacré 19 paragraphes de son mémoire aux [traduction] « principes sous-tendant les articles 1 et 4 et le paragraphe 13(4) de la Convention [de Luxembourg] ». Cependant, la plupart des paragraphes contiennent uniquement des renvois à des principes généraux, un examen du libellé des dispositions pertinentes de la Convention de Luxembourg et des renvois à la doctrine ou à des décisions générales qui n’abordent pas la raison d’être qui sous-tend les dispositions en cause en l’espèce.

[36]  Dans ses observations, la Couronne renvoie aux commentaires sur certains modèles de convention fiscale préparés par l’Organisation de coopération et de développement économiques (l’OCDE). On ne sait pas si ces commentaires portent sur le Modèle de convention fiscale de 1998 ou un autre modèle. Quoi qu’il en soit, les seuls modèles de convention inclus dans le recueil conjoint de jurisprudence et de doctrine datent de 1998 ou après. La première convention intervenue entre le Canada et le Luxembourg a été adoptée par la Loi de 1989 sur la Convention Canada-Luxembourg en matière d’impôts sur le revenu, L.C. 1989, ch. 20, art. 3. Cette version prévoyait aussi l’exonération en question, quoique par un libellé légèrement différent. Les commentaires mentionnés par la Couronne se rapportent à un Modèle de convention fiscale de l’OCDE qui a été créé après l’inclusion de l’exonération en question dans la première convention entre le Canada et le Luxembourg. Ces commentaires portent sur un modèle de convention qui n’a pas été adopté par le Canada et le Luxembourg. Ils ne sont guère utiles lorsqu’il s’agit de déterminer la raison d’être de l’exonération en l’espèce.

[37]  C’est au paragraphe 91 de son mémoire que la Couronne semble le mieux circonscrire la raison d’être des dispositions. Cependant, la proposition est formulée à la négative et énonce généralement ce que la Couronne affirme ne pas être l’objet de ces dispositions.

[38]  Il est ainsi rédigé :

[traduction]

91.  Ensemble, les articles 1 et 4 et le paragraphe 13(4) de la Convention visent à accorder un avantage particulier prévu par une convention aux investisseurs du Luxembourg dont les investissements dans certains biens canadiens imposables donnent lieu à des gains pour eux, au Luxembourg. Ces dispositions ne sont pas censées profiter aux entités qui ne sont pas susceptibles de réaliser un revenu au Luxembourg ou qui n’ont pas de liens commerciaux ou économiques avec le Luxembourg. De telles situations sont totalement différentes des liens ou des opérations qui sont prévus par ces dispositions de la Convention.

[39]  Trois principaux aspects de ce court paragraphe doivent être abordés :

  • a) le changement d’identité des personnes qui sont admissibles à l’exonération, passant de « résidents » à « investisseurs »;

  • b) la déclaration selon laquelle les dispositions [traduction] « ne sont pas censées profiter aux entités qui ne sont pas susceptibles de réaliser un revenu au Luxembourg », qui ajouterait une réserve, soit que les « entités » soient susceptibles de gagner un revenu au Luxembourg;

  • c) la déclaration selon laquelle les dispositions [traduction] « ne sont pas censées profiter aux entités qui n’ont pas [...] de liens commerciaux ou économiques » avec le Luxembourg, qui ajouterait une exigence, celle de liens commerciaux ou économiques avec le Luxembourg.

A.  Investisseur par rapport à résident

[40]  Les premiers mots du paragraphe 13(4) de la Convention de Luxembourg sont clairs : « Les gains qu’un résident d’un État contractant tire [...] » [italique ajouté]. L’exonération est prévue pour les résidents du Luxembourg, et non les investisseurs. L’article 1 précise également que la Convention de Luxembourg s’applique aux « personnes qui sont des résidents d’un État contractant ou des deux États contractants » [italique ajouté]. La Couronne n’explique pas pourquoi elle a remplacé le terme « résident » par le terme « investisseur ».

[41]  En revanche, le juge de la Cour de l’impôt mentionne, dans sa description de la raison d’être des dispositions pertinentes de la Convention de Luxembourg, un « investissement ». Le juge de la Cour de l’impôt conclut ce qui suit :

[100]  [...] La raison d’être de l’exception est d’exempter les résidents du Luxembourg de l’impôt canadien lorsqu’un investissement dans un bien immobilier est utilisé dans une entreprise. Les investissements importants de l’appelante pour atténuer le risque dans la formation schisteuse de Duvernay constituent un investissement dans un bien immobilier utilisé dans une entreprise. Par conséquent, je conclus que la règle générale anti-évitement ne peut être appliquée afin d’empêcher l’appelante de se prévaloir de l’exemption prévue par le paragraphe 13(5) de la Convention.

[42]  Dans cette déclaration, le juge de la Cour de l’impôt ne détermine pas la source ou le montant de l’investissement qui serait requis pour que l’exonération s’applique. Cette déclaration est également conforme à ses remarques au paragraphe 43 : « l’exception du bien exclu semble avoir été prévue, entre autres, pour encourager les investissements par les résidents du Luxembourg dans des biens immeubles acquis pour être utilisés dans le cadre des activités d’une entreprise ».

[43]  Les commentaires au paragraphe 43 suivent immédiatement un extrait cité d’un document daté, selon le juge de la Cour de l’impôt, du 31 janvier 1991, mais qui est probablement le document daté du 23 janvier 1991 et du 28 février 1991. Quoi qu’il en soit, le document fait référence aux diverses conventions que le Canada a signées et qui comprennent l’exonération en cause en l’espèce. Le document a été préparé en réponse à plusieurs demandes [traduction] « d’interprétation technique concernant la signification du terme ‘biens (autres que les biens locatifs) dans lesquels la société [...] a exercé son activité’ (désigné ci-après ‘bien exclu’) dans le secteur des ressources » que le gouvernement avait reçues (page 1 de la pièce E9011711 – « Exemption pour gain en capital »).

[44]  La seule thèse de ce document qui a été citée par le juge de la Cour de l’impôt (au paragraphe 42 de ses motifs) est la dernière thèse qui est indiquée dans les présentes :

[traduction]

6.  Le bien immeuble (p. ex. un bien immobilier) qui n’est pas utilisé ni détenu pour être utilisé dans le cadre des activités de l’entreprise, mais est détenu comme un investissement aux fins de gain en capital n’est pas considéré comme un bien exclu.

[Souligné dans l’original.]

[45]  Cet énoncé – selon lequel un bien qui est détenu comme un investissement (sur lequel la société prévoit réaliser un gain en capital) n’appartient pas aux biens exclus – ne mène pas nécessairement à la conclusion que, pour qu’un actionnaire d’une société soit exonéré d’impôt au Canada, il doit avoir investi dans cette société. Cet énoncé concerne simplement l’objet pour lequel le bien est détenu par la société; il ne concerne pas la source des fonds qui ont servi à acheter ce bien.

[46]  Même si, comme le fait remarquer le juge de la Cour de l’impôt, au paragraphe 43 de ses motifs, l’un des objets de l’exonération était de favoriser l’investissement au Canada, point n’est besoin selon moi de subordonner l’exonération d’impôt au Canada à un tel investissement. Bien que la RGAÉ puisse modifier les conséquences fiscales, elle ne saurait servir à justifier l’ajout d’une exigence relative à l’investissement qui ne figure pas dans la Convention de Luxembourg.

[47]  Les paragraphes 13(4) et (5) de la Convention de Luxembourg disposent qu’une personne qui a vendu les actions d’une société canadienne privée qui font partie d’une participation substantielle (c.-à-d. 10 % ou plus) des actions d’une catégorie quelconque de cette société n’est pas assujettie à l’impôt au Canada sur le gain réalisé lors d’une telle disposition, si les conditions suivantes sont remplies :

  • a) la personne est un résident du Luxembourg;

  • b) la valeur de ces actions provient principalement de biens immobiliers (autres que des biens locatifs) dans lesquels la société exerce ses activités.

[48]  Rien n’exige que la personne investisse dans la société. Comme il est mentionné précédemment, si la personne et toutes les personnes liées possèdent moins de 10 % des actions, le gain ne serait pas imposable au Canada, peu importe les actifs détenus par la société. Le seuil de propriété d’actions (le taux au-delà duquel les actifs comptent) n’est que de 10 % des actions d’une catégorie quelconque. Par conséquent, l’objet et l’esprit de l’exonération d’impôt au Canada emportent-ils impérativement l’exigence qu’un actionnaire minoritaire (possédant seulement 10 % des actions) résidant au Luxembourg affecte des fonds à une société qui exerce ses activités au Canada, à des milliers de kilomètres du Luxembourg?

[49]  Il ne me semble pas que l’exonération d’impôt au Canada sur le gain réalisé lors de la vente d’actions d’une société soit subordonnée à l’investissement par le résident du Luxembourg dans cette société. Exiger que le résident du Luxembourg ait investi dans la société nécessiterait des conjectures sur la somme et la source d’un tel investissement préalables à l’exonération d’impôt au Canada. La Convention de Luxembourg exige simplement que la personne demandant l’exonération (qui détient une participation substantielle) soit un résident du Luxembourg et que la société (dont les actions ont été vendues) respecte le critère concernant les biens énoncé au paragraphe 13(4). Il n’y a pas d’autres exigences.

[50]  L’absence d’obligation pour le résident du Luxembourg d’avoir investi dans la société peut aussi être illustrée par un exemple qui ne concerne pas la RGAÉ. Supposons qu’un résident du Luxembourg hérite de 10 % des actions d’une société privée. Supposons que la valeur de cette société provient principalement de biens immobiliers (autres que des biens locatifs) situés au Canada, dans lesquels la société exerce ses activités. Pour quels motifs la personne ne serait-elle pas admissible à l’exonération d’impôt sur un gain en capital réalisé lors d’une disposition subséquente de ces actions, qu’elle ait investi ou non de l’argent dans la société?

[51]  Comme le fait remarquer la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Copthorne Holdings Ltd. c. Canada, 2011 CSC 63, [2011] 3 R.C.S. 721 (Copthorne) :

[69]  Pour conclure au caractère abusif d’une opération, la cour doit d’abord déterminer « l’objet ou l’esprit des dispositions [...] qui sont invoquées pour obtenir l’avantage fiscal, eu égard à l’économie de la Loi, aux dispositions pertinentes et aux moyens extrinsèques admissibles » (Trustco, par. 55). Un auteur assimile cet objet ou cet esprit à la [traduction] « raison d’être qui sous-tend des dispositions particulières ou interdépendantes de la Loi » (V. Krishna, The Fundamentals of Income Tax Law (2009), p. 818).

[70]  L’objet ou l’esprit peuvent être circonscrits grâce à la méthode qu’emploie notre Cour pour toute interprétation législative, à savoir une méthode « textuelle, contextuelle et téléologique unifiée » (Trustco, par. 47; Lipson c. Canada, 2009 CSC 1, [2009] 1 R.C.S. 3, par. 26). Bien que la méthode d’interprétation soit la même dans le cas de la RGAÉ, l’analyse vise en l’espèce à dégager un aspect différent de la loi. Dans un cas classique d’interprétation législative, la cour applique l’analyse textuelle, contextuelle et téléologique pour établir le sens du texte de la loi. Dans le cas de la RGAÉ, l’analyse textuelle, contextuelle et téléologique vise à établir l’objet ou l’esprit d’une disposition. Il est alors possible que le sens des mots employés par le législateur soit suffisamment clair. La raison d’être de la disposition peut ne pas ressortir de la seule signification des mots eux-mêmes. Il ne faut cependant pas confondre la détermination de la raison d’être des dispositions applicables de la Loi avec le jugement de valeur quant à ce qui est bien ou mal non plus qu’avec les conjectures sur ce que devrait être une loi fiscale ou sur l’effet qu’elle devrait avoir.

[52]  Qu’il s’agisse de la recherche de la raison d’être qui sous-tend le libellé de dispositions dans une affaire faisant intervenir la RGAÉ ou de l’interprétation des mots d’une disposition dans une affaire où la RGAÉ n’est pas invoquée, la même méthode d’interprétation est appliquée : une méthode « textuelle, contextuelle et téléologique unifiée ». En appliquant cette méthode en l’espèce, on ne saurait ajouter une exigence en matière d’investissement dans un cas faisant intervenir la RGAÉ qui ne serait pas nécessaire dans les cas où la RGAÉ ne joue pas. Présumer, en appliquant la RGAÉ, l’existence d’un critère supplémentaire obligeant le résident du Luxembourg a avoir investi dans la société pour être admissible à l’exonération risque de mener à l’abus dans l’application de la Convention de Luxembourg dans le cas où le résident du Luxembourg n’a pas investi dans la société. Une telle interprétation entraînerait une modification importante des exigences applicables au résident du Luxembourg, qui n’est pas justifiée à mon avis. Rien ne porte à croire que la raison d’être de l’exonération est de ne s’appliquer qu’au résident du Luxembourg qui investit dans la société dont il détient des actions.

[53]  Le paragraphe 13(4) s’applique aux résidents de chaque État contractant. Si une personne est un résident du Luxembourg au sens de l’article 4, alors elle est aussi un résident pour l’application du paragraphe 13(4). La Couronne ne conteste pas qu’Alta Luxembourg était résidente du Luxembourg pour l’application de la Convention de Luxembourg. L’exigence établie au paragraphe 13(4) est donc respectée, sans qu’il soit nécessaire de déterminer les investissements, s’il en est, faits par Alta Luxembourg dans Alta Canada. Bien entendu, si Alta Luxembourg n’avait pas fait des investissements importants dans Alta Canada, elle n’aurait probablement pas réalisé le gain important mentionné au paragraphe 10 des présents motifs.

B.  Possibilité de tirer des revenus

[54]  Les prétentions de la Couronne relativement à la possibilité de réaliser un revenu au Luxembourg semblent concerner l’entente de participation aux bénéfices intervenue entre Alta Luxembourg et Alta Energy Canada Partnership, qui détenait toutes les actions d’Alta Luxembourg. Aux termes de cette entente, Alta Luxembourg a emprunté des sommes importantes à la société de personnes. Suivant l’article 4.1 de cette entente, les intérêts sur la dette impayée [traduction] « sont composés d’intérêts découlant de la participation aux bénéfices (les intérêts variables) et d’intérêts ordinaires (les intérêts fixes) ». Les intérêts variables étaient prévus à l’article 4.2.1 et représentaient 100 % du bénéfice net ajusté moins les intérêts fixes et d’autres éléments.

[55]  Il n’est pas contesté que le gain en capital en cause en l’espèce, pour l’application de la Loi, est supérieur à 380 millions de dollars (et que, par conséquent, de tels intérêts n’étaient pas déductibles dans le calcul de ce gain). On ignore toutefois si, dans le calcul du revenu assujetti à l’impôt au Luxembourg, le gain réalisé lors de la vente des actions d’Alta Canada serait inclus dans le calcul du bénéfice net d’Alta Luxembourg et si les intérêts variables seraient déductibles. Si l’on suppose qu’un tel gain serait inclus dans le calcul du bénéfice net d’Alta Luxembourg et que la déduction des intérêts variables serait permise dans le calcul du revenu qui serait assujetti à l’impôt au Luxembourg, il semble découler de ces dispositions qu’Alta Luxembourg n’aurait pas de revenu imposable au Luxembourg; partant aucun impôt sur le revenu ne serait exigible au Luxembourg.

[56]  Cette crainte ‑ que l’entente de participation aux bénéfices ait pour effet qu’Alta Luxembourg ne réalise jamais un revenu imposable au Luxembourg ‑ ressort aussi du dernier paragraphe de la section du mémoire de la Couronne qui aborde la [traduction] « Raison d’être : articles 1, 4 et paragraphe 13(4) de la Convention [de Luxembourg] ». Il est ainsi rédigé :

[traduction]

94.  Les faits continuent d’être de la plus grande importance dans une analyse fondée sur la RGAÉ. Le cadre de la RGAÉ, en particulier la deuxième partie de l’enquête sur l’abus dans l’application, permet de distinguer une planification fiscale acceptable d’un évitement fiscal abusif. En l’espèce, le fait qu’il était impossible pour l’intimée, installée au Luxembourg et prévoyant réaliser un gain, de tirer un revenu au Luxembourg, donnait lieu à l’abus dans l’application des dispositions de la Convention. La RGAÉ devrait, comme l’indique l’OCDE, « joue[r] un rôle important afin d’empêcher l’octroi inapproprié des avantages des conventions », comme en l’espèce.

[57]  Cependant, la question de savoir si, par suite de l’entente de participation aux bénéfices, Alta Luxembourg n’aura pas de revenu imposable au Luxembourg relève des autorités fiscales du Luxembourg (sous réserve, en cas de litige, d’un contrôle ou d’un appel possible dans ce pays). La question ne relève pas de notre Cour. Quoi qu’il en soit, ce paragraphe semble faire fi de l’analyse en deux volets de l’abus dans l’application qui est décrite dans l’arrêt Oxford Properties. Le premier volet consiste à circonscrire l’objet et l’esprit des dispositions pertinentes. Le deuxième consiste à décider si les opérations ont entraîné un abus dans l’application de ces dispositions. Le paragraphe 94 du mémoire de la Couronne mentionne un abus dans l’application des dispositions, sans décrire la raison d’être qui sous-tend ces dernières ou leur objet ou esprit. L’avertissement formulé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Copthorne est pertinent :

[70]  [...] Il ne faut cependant pas confondre la détermination de la raison d’être des dispositions applicables de la Loi avec le jugement de valeur quant à ce qui est bien ou mal non plus qu’avec les conjectures sur ce que devrait être une loi fiscale ou sur l’effet qu’elle devrait avoir.

[58]  La définition de « résident » à l’article 4 prévoit qu’une personne « qui, en vertu de la législation de cet État, est assujettie à l’impôt dans cet État, en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue » est un résident. Une personne est un résident si elle est assujettie à l’impôt pour les motifs énoncés à l’article 4. Le taux ou le montant de l’impôt n’est pas pertinent. Ajouter ou inférer une condition selon laquelle une personne n’est un résident du Luxembourg, au sens de la Convention de Luxembourg, que si elle verse un certain impôt, modifierait la définition par rapport aux termes choisis. La question de savoir si le Luxembourg imposera le revenu d’Alta Luxembourg relève des autorités fiscales de ce pays (sous réserve, en cas de litige, d’un contrôle ou d’un appel possible au Luxembourg).

[59]  La Couronne n’a pas contesté la conclusion selon laquelle les dispositions de la Convention de Luxembourg s’appliquent à Alta Luxembourg (sous réserve seulement de l’application de la RGAÉ). Par conséquent, elle ne conteste pas qu’Alta Luxembourg correspond à la définition d’un résident du Luxembourg, au sens de cette Convention. En tentant d’inclure, comme raison d’être des dispositions, l’exigence selon laquelle une personne n’est admissible à l’exonération que si elle paie effectivement un impôt, la Couronne :

  • a) tente de créer deux catégories de résidents : ceux qui paient effectivement des impôts et ceux qui n’en paient pas;

  • b) prétend qu’Alta Luxembourg n’est pas un résident du Luxembourg.

[60]  Aucune de ces thèses n’est raisonnable. Si deux catégories de résidents étaient créées, l’exonération prévue au paragraphe 13(4) serait alors fondée sur un autre critère que celui de la résidence, défini à l’article 4. Je ne souscris pas à cette thèse. Il ressort clairement de la Convention de Luxembourg que l’avantage est offert à tout résident du Luxembourg, pas seulement à certains résidents qui respectent certaines autres conditions qui ne font pas partie de la définition d’un résident à l’article 4.

[61]  Si la Couronne tente ainsi de prétendre qu’Alta Luxembourg n’est pas un résident du Luxembourg, aux fins de la Convention de Luxembourg, elle est désormais privée de la possibilité de présenter cet argument. Elle n’a pas contesté la conclusion selon laquelle Alta Luxembourg est un résident du Luxembourg, aux fins de la Convention de Luxembourg. En reconnaissant ce fait, la Couronne admet qu’Alta Luxembourg était assujettie à l’impôt au Luxembourg. La Couronne ne peut pas désormais prétendre indirectement qu’Alta Luxembourg n’était pas assujettie à l’impôt au Luxembourg.

[62]  Rien ne permet de conclure que la raison d’être qui sous-tend la définition du terme « résident » à l’article 4 donne à penser que d’autres critères, outre ceux prévus à cette définition, interviennent lorsqu’il s’agit de décider si une personne est un résident du Luxembourg aux fins de la Convention de Luxembourg.

C.  Liens commerciaux ou économiques

[63]  La thèse sous-entendue par la Couronne, au paragraphe 91 de son mémoire ‑ suivant laquelle l’objet de l’exonération est de ne viser que les personnes ayant des liens commerciaux ou économiques avec le Luxembourg ‑ est semblable aux arguments invoqués dans l’affaire Fiducie familiale Garron c. La Reine, 2009 CCI 450. La juge Woods, alors juge de la Cour canadienne de l’impôt, a rejeté ces observations en ces termes :

[380]  Le ministre affirme également que l’exemption prévue par l’Accord n’avait pas pour but de s’appliquer aux fiducies puisque celles-ci avaient fort peu de liens avec la Barbade. Il a été noté que les actifs, les contribuants et les bénéficiaires étaient tous Canadiens. L’application de l’exemption prévue par l’Accord dans ces circonstances faciliterait l’évitement d’impôt par des Canadiens.

[381]  Le problème que pose selon moi cet argument est que, s’il était retenu, il entraînerait une application sélective de l’Accord aux résidents de la Barbade, et ce, selon des critères autres que la résidence. Il me semble que cela va à l’encontre de l’objet et de l’esprit de l’Accord, tel qu’il ressort de l’article premier et du paragraphe IV(1). Les résidents de la Barbade, selon la définition qui s’applique à l’Accord, ont droit aux avantages qu’offre le paragraphe XIV(4), dans la mesure où ils ne résident pas également au Canada.

[382]  Je tiens également à mentionner que l’Accord ne renferme aucune règle spéciale pour les fiducies. À l’alinéa III(1)c) de l’Accord, les fiducies sont définies comme étant des personnes.

[383]  L’Accord prévoit que le paragraphe XIV(4) s’applique aux fiducies si elles résident uniquement à la Barbade en vertu de ces principes. Il importe peu que les fiducies aient peu de liens avec la Barbade.

[Non souligné dans l’original.]

[64]  En rejetant l’appel dans l’affaire Fundy Settlement c. Canada, 2010 CAF 309, [2012] 2 R.C.F. 374), notre Cour fait observer ce qui suit :

[89]  Si, contrairement aux avis exposés ci-dessus, le lieu de résidence d’une fiducie était uniquement fonction du lieu de résidence du fiduciaire, et que, par conséquent, les fiducies en question résident à la Barbade, mais ont droit à l’exonération prévue au paragraphe 4 de l’article XIV de l’Accord fiscal avec la Barbade, il y aurait lieu de se demander si les cotisations en cause en l’espèce se justifient néanmoins au regard de la disposition générale anti-évitement inscrite à l’article 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Comme devant la Cour de l’impôt, la réponse va en l’espèce dépendre de la question de savoir si la série d’opérations qui a ouvert aux fiducies le droit de se prévaloir de l’exonération prévue dans l’accord malgré les dispositions de l’article 94 constitue un détournement ou un abus de l’Accord fiscal avec la Barbade. La juge Woods a estimé que ce n’était pas le cas. C’est aussi mon avis.

[90]  Si la résidence des fiducies est fonction de la résidence de St. Michael Trust Corp. (hypothèse sur laquelle repose l’argument avancé par la Couronne au regard de la disposition générale anti‑évitement), les fiducies ne peuvent pas se soustraire à l’article 94 et, au contraire, tombent nettement sous le coup de cette disposition. Le fait que les fiducies auraient également droit à l’exonération prévue dans l’accord est dû au fait que, dans l’Accord fiscal avec la Barbade, le Canada a convenu de ne pas imposer certains gains en capital réalisés par une personne résidant à la Barbade. Si, aux fins de l’accord, les fiducies résident à la Barbade, on ne saurait dire qu’en invoquant à leur profit l’exonération prévue, elles détournent ou abusent des dispositions de l’Accord fiscal avec la Barbade.

[65]  La même logique s’applique en l’espèce. Étant donné qu’il n’est pas contesté qu’Alta Luxembourg est un résident du Luxembourg, elle a le droit de demander l’exonération prévue aux paragraphes 13(4) et (5) de la Convention de Luxembourg. Ce document ne fait aucune distinction entre les résidents ayant des liens économiques ou commerciaux solides avec l’État et ceux ayant des liens faibles. Si une personne correspond à la définition de résident à l’article 4, cette personne est un résident aux fins des paragraphes 13(4) et (5). La Couronne n’a pas étayé son affirmation selon laquelle l’objet et l’esprit des paragraphes 13(4) et (5) étaient de ne pas assujettir à l’impôt au Canada les gains provenant de la disposition d’actions détenues par des résidents du Luxembourg ayant des liens économiques ou commerciaux solides avec ce pays.

D.  Conclusion sur la raison d’être des articles 1 et 4 et du paragraphe 13(4)

[66]  La Couronne n’a pas avancé d’autre raison d’être sous-tendant les articles 1 et 4 et le paragraphe 13(4) de la Convention de Luxembourg, autre que celle qui émane du libellé de ces dispositions. Dans l’arrêt Copthorne, la Cour suprême du Canada fait observer ce qui suit :

[110]  Je n’écarte pas la possibilité que, dans certains cas, la raison d’être d’une disposition n’ait pas une plus grande portée que son libellé. En pareils cas, la disposition, compte tenu de son contexte et de son objet, peut étayer la prétention que son texte est déterminant parce qu’il correspond à sa raison d’être et l’explique entièrement.

[67]  Le libellé des dispositions dispose que l’exonération d’impôt au Canada est offerte aux résidents du Luxembourg qui tirent un gain de la vente d’actions d’une société, si la valeur sous-jacente de cette société provient de biens immobiliers (autres que des biens locatifs) utilisés pour des activités exercées au Canada.

[68]  À l’audience, la Couronne a sous-entendu que la résidence des associés d’Alta Energy Canada Partnership (qui détenait les actions d’Alta Luxembourg) était un facteur pertinent. Cependant, l’exonération prévue à la Convention de Luxembourg ne dépend d’un critère fondé sur la propriété des actions d’une société résidente qui a vendu les actions ayant donné lieu au gain en cause. À défaut d’un libellé exprès à cet effet, la Cour ne saurait scruter les sociétés résidentes et lever le voile corporatif pour savoir qui en détient les actions. Si l’exonération était censée ne s’appliquer qu’à certaines sociétés résidant au Luxembourg, le critère aurait été prévu dans la Convention de Luxembourg.

[69]  À mon avis, la raison d’être des dispositions pertinentes de la Convention de Luxembourg émane du libellé même de ces dispositions. Elles ne sont ni longues ni complexes. Le seul outil d’interprétation externe est celui mentionné aux paragraphes 43 à 45 des présents motifs. Comme je le signale plus haut, cette interprétation technique a peu d’utilité dans l’analyse portant sur la raison d’être de ces dispositions.

[70]  Par conséquent, l’analyse de ces dispositions est circonscrite par leur libellé. Cette conclusion (selon laquelle la raison d’être des dispositions pertinentes de la Convention de Luxembourg émane de leur libellé) est également conforme à l’arrêt Canada c. MIL (Investments) S.A., 2007 CAF 236, rendu par notre Cour. La question en litige dans cette affaire concernait aussi l’application de la RGAÉ et le paragraphe 13(4) de la Convention de Luxembourg.

[71]  La Cour de l’impôt dans l’arrêt MIL (Investments) S.A. c. La Reine, 2006 CCI 460, a conclu qu’aucune des opérations en question dans cette affaire ne constituait une opération d’évitement. Par conséquent, il n’a pas eu besoin d’aborder la question de savoir s’il y a eu un abus dans l’application de la Convention de Luxembourg.

[72]  En appel, le contribuable a admis que sa prorogation en tant que société au Luxembourg constituait une opération d’évitement. La question était alors de savoir si la vente des actions faisait partie de la même série d’opérations. En concluant qu’elle ne devait pas répondre à cette question pour décider si la RGAÉ s’appliquait, notre Cour s’est ainsi exprimée :

[5]  Nous n’avons pas à répondre à cette question car nous sommes d’avis que l’appel serait en tout état de cause rejeté, puisque nous ne voyons rien, dans les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi) et du traité fiscal auxquelles nous avons été renvoyés, interprétées d’après leur objet et leur contexte, qui appuierait l’argument selon lequel l’avantage fiscal obtenu par l’intimée constituait un abus de l’objet de l’une quelconque de ces dispositions.

[6]  Il est clair que la Loi entend soustraire les non-résidents à l’impôt sur les gains provenant de l’aliénation de biens exonérés en vertu du traité fiscal. Il est clair également que, en vertu du traité fiscal, la participation financière de l’intimée dans la société DFR constituait un bien exonéré. L’appelante nous a invités à aller au‑delà de cette conformité textuelle aux dispositions applicables et à conclure à l’existence d’un objet qui nous autoriserait, dit‑elle, à nous écarter des termes mêmes du texte législatif. Il nous est impossible de conclure à l’existence d’un tel objet.

[7]  Si l’objet de la disposition d’exonération devait se limiter aux investissements de portefeuille ou aux participations non majoritaires dans des biens immeubles (au sens du traité fiscal), comme le voudrait l’appelante, il eût été assez facile de le dire. En outre, et aspect plus important, l’appelante n’a pu expliquer en quoi le fait que l’intimée ou M. Boulle exerçait ou conservait une influence ou un contrôle sur la société DFR, si tant est que l’un ou l’autre ait exercé ou conservé un tel contrôle, constituait en soi un motif de soumettre à la fiscalité canadienne plutôt qu’à la fiscalité luxembourgeoise le gain tiré de la vente des actions.

[8]  Dans la mesure où l’appelante fait valoir que le traité fiscal ne devrait pas être interprété de manière à autoriser une double non‑imposition, le point que soulève la DGAE est l’incidence de la fiscalité canadienne, non la renonciation du fisc luxembourgeois à des recettes publiques.

[Non souligné dans l’original.]

[73]  À l’instar de notre Cour qui n’a pas décelé d’autre raison d’être du paragraphe 13(4) et des dispositions connexes de la Convention de Luxembourg que celle qui émane du libellé même de ces dernières, je ne décèle pas non plus d’autre objet ou esprit que ceux qui émanent de ces termes. L’objet et l’esprit des articles 1 et 4 et du paragraphe 13(4) veut qu’une personne soit admissible à l’exonération en cause dans le présent appel, qui s’applique aux gains tirés de la disposition de certaines actions, si :

  • a) cette personne est un résident du Luxembourg pour l’application de la Convention de Luxembourg;

  • b) la valeur des actions provient principalement de biens immobiliers (autres que des biens locatifs) situés au Canada, dans lesquels la société exerce ses activités.

E.  Course aux traités

[74]  La Couronne a aussi renvoyé à un extrait des commentaires du juge Iaccobucci au paragraphe 52 de l’arrêt Crown Forest Industries Ltd. c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 802, 1995 CanLII 103 (CSC). L’application de la RGAÉ n’était pas en litige dans cette affaire. Le texte intégral du paragraphe 52 de l’arrêt Crown Forest est le suivant :

52.  Les lacunes que présente l’interprétation donnée par l’intimée vont toutefois au-delà des scénarios envisagés par l’appelante. En fait, suivant l’interprétation de l’intimée, une société étrangère dont le siège de direction est aux États-Unis serait un résident des États-Unis aux fins de la Convention, même s’il se peut qu’elle n’ait pas un revenu effectivement relié aux États-Unis et qu’elle ne soit donc assujettie à aucun impôt aux États-Unis. Cette possibilité est, à mon avis, fort peu souhaitable. Cela pourrait encourager la « course aux traités » grâce auxquels des entreprises pourraient faire passer leurs revenus par certains États de manière à se prévaloir de bénéfices destinés aux seuls résidents des États contractants. Ce résultat serait manifestement contraire à la raison pour laquelle le Canada a cédé sa compétence en matière fiscale à titre de pays-source du revenu, à savoir que les États-Unis, à titre de pays de résidence, imposeraient ce revenu. À ce sujet, voir également Richard G. Tremblay, « Crown Forest – Tax Treaty Interpretation Bonanza » (1994), Can. Curr. Tax C41.

[75]  Les commentaires du juge Iaccobucci dans l’arrêt Crown Forest ont été soulevés en ce qui concerne la course aux traités (aussi chalandage fiscal). Le seul renvoi direct à la « course aux traités » dans le mémoire de la Couronne (autre qu’en note de bas de page) figure au paragraphe 61 :

[traduction]

61.  Le gouvernement du Canada, depuis de nombreuses années, a toujours soutenu qu’il contesterait la course abusive aux traités, notamment en ayant recours à la RGAÉ. En outre, de nombreuses conventions fiscales du Canada limitent expressément les abus. Par exemple, certaines des conventions du Canada limitent l’application d’avantages (p. ex. en refusant leur application à certains types d’entités ou d’opérations). Cependant, de telles dispositions n’empêchent pas l’application de la RGAÉ visant à contrecarrer l’application abusive des dispositions de la convention.

[Renvois aux notes de bas de page supprimés.]

[76]  Le renvoi à la note de bas de page pour la première phrase est un renvoi au « Document de consultation sur le chalandage fiscal – Le problème et les solutions possibles », Canada, ministère des Finances, août 2013 et aux interprétations techniques précédentes fournies par l’Agence du revenu du Canada.

[77]  Le juge de la Cour de l’impôt a aussi mentionné les mesures que le ministère des Finances prendrait pour empêcher la course aux traités. Cependant, aucune mesure n’a été prise avant les opérations dans cette affaire. Toutes les mesures qui ont été adoptées après les opérations dans cette affaire, ou qui pourraient être adoptées à l’avenir, ne s’appliquent pas dans cette affaire, mais pourraient avoir une incidence sur les opérations futures.

[78]  Quant à la course aux traités, le juge de la Cour de l’impôt, dans l’arrêt MIL (Investments) S.A., fait observer ce qui suit :

[72]  Dans son mémoire, l’avocat de l’intimée a soutenu que le « chalandage fiscal » constitue un emploi abusif des conventions fiscales bilatérales et que la Cour suprême du Canada a reconnu cette réalité. Au cours de sa plaidoirie, l’avocat a cité l’extrait suivant de l’arrêt Crown Forest Industries Limited c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 802, à la page 825, pour faire valoir que, si la Cour suprême avait eu l’article 245 à sa disposition, elle l’aurait appliqué afin de supprimer un avantage découlant du « chalandage fiscal » :

Il me semble que Norsk et l’intimée cherchent toutes deux à réduire au minimum leur assujettissement fiscal en choisissant les régimes internationaux qui leur sont le plus directement avantageux sur le plan fiscal. Bien que ce comportement n’ait rien de répréhensible, j’estime certainement qu’il ne doit pas être encouragé ni favorisé par l’interprétation judiciaire des ententes existantes.

Je ne crois pas qu’il soit possible d’utiliser les remarques incidentes du juge Iaccobucci pour tirer une conclusion prima facie d’abus découlant du choix de la convention fiscale la plus avantageuse. Le choix d’un régime étranger par opposition à un autre n’a rien de foncièrement approprié ou inapproprié en soi. L’avocat de l’intimée a fait remarquer à juste titre que le choix d’une juridiction où le fardeau fiscal est peu élevé peut constituer un élément de preuve convaincant de l’objet fiscal inhérent à une opération qui est apparemment une opération d’évitement, mais le choix d’une convention fiscale pour minimiser l’impôt ne peut en soi être perçu comme une stratégie abusive. C’est l’utilisation de la convention fiscale choisie qui doit être examinée.

[Souligné dans l’original et renvois aux notes de bas de page omis.]

[79]  La question et les arguments de la Couronne, dans cette affaire, étaient dans le droit fil de ces commentaires, car ils étaient axés sur les dispositions de la Convention de Luxembourg elle-même.

VII.  Conclusion

[80]  Je souscris à l’arrêt MIL (Investments) S.A. de notre Cour, à savoir que l’objet et l’esprit des dispositions pertinentes de la Convention de Luxembourg émanent des termes choisis par le Canada et le Luxembourg. Les dispositions ayant été appliquées comme prévu, il n’y a pas eu d’abus.

[81]  Par conséquent, je rejetterais l’appel.

[82]  Dans son mémoire, Alta Luxembourg indique qu’elle souhaite présenter des observations écrites quant aux dépens, si elle a gain de cause dans le présent appel. Je proposerais de donner aux parties la possibilité de s’entendre sur les dépens, à défaut de quoi elles pourront présenter des observations. Je proposerais que, si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur les dépens d’ici le 13 mars 2020, Alta Luxembourg soit autorisée à présenter des observations écrites supplémentaires, d’une longueur maximale de dix pages, au plus tard le 3 avril 2020. La Couronne aura ensuite jusqu’au 24 avril 2020 pour présenter des observations écrites d’une longueur maximale de dix pages. Alta Luxembourg sera ensuite autorisée à produire, au plus tard le 1er mai 2020, une réponse d’une longueur maximale de trois pages. Les parties ont jusqu’au 13 mars 2020 pour indiquer à la Cour si elles se sont entendues sur les dépens, et auquel cas en préciser les modalités.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

« Je suis d’accord

D.G. Near, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

George R. Locke, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UN JUGEMENT DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT DATÉ DU

22 AOÛT 2018, RÉFÉRENCE NO 2018 CCI 152, DOSSIER NO 2014-4359(IT)G

DOSSIER :

A-315-18

 

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LA REINE c. ALTA ENERGY LUXEMBOURG S.A.R.L.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 novembre 2019

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LE JUGE LOCKE

DATE DES MOTIFS :

LE 12 FÉVRIER 2020

 

COMPARUTIONS :

Natalie Goulard

Christopher Bartlett

Dominic Bédard-Lapointe

Pour l’appelante

Matthew G. Williams

E. Rebecca Potter

Pour l’intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’appelante

Thorsteinssons LLP

Toronto (Ontario)

Pour l’intimée

 

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