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Date : 20200213


Dossier : A-350-18

Référence : 2020 CAF 44

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE GLEASON

LA JUGE RIVOALEN

 

ENTRE :

 

 

ANGELA WALKER

 

 

demanderesse

 

 

et

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

défendeur

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 11 février 2020.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 13 février 2020.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE RIVOALEN

 


Date : 20200213


Dossier : A-350-18

Référence : 2020 CAF 44

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE GLEASON

LA JUGE RIVOALEN

 

ENTRE :

 

 

ANGELA WALKER

 

 

demanderesse

 

 

et

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GLEASON

[1]  La demanderesse demande l’annulation d’une partie du jugement rendu par la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la CRTESPF ou la Commission) dans la décision Walker c. Administrateur général (ministère de l’Environnement et du Changement climatique), 2018 CRTESPF 78. Dans cette décision, la Commission a rejeté le grief de la demanderesse concernant son licenciement et sa plainte pour représailles, qui auraient été exercées en violation de l’article 147 du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2. Dans la présente demande de contrôle judiciaire, la demanderesse sollicite l’annulation de la partie de la décision portant sur le rejet de son grief de licenciement.

[2]  Bien que la demanderesse ait soulevé plusieurs questions, je n’ai à examiner que l’une d’entre elles, à savoir l’affirmation selon laquelle la décision de la Commission est déraisonnable, car celle-ci n’a pas répondu à l’un des principaux arguments avancés par la demanderesse selon lequel sa crainte réelle à l’égard d’un subalterne était une circonstance atténuante que la Commission était tenue de prendre en considération.

[3]  L’existence d’une telle crainte était au cœur de l’affaire de la demanderesse devant la CRTESPF, comme le démontrent les observations écrites présentées par la demanderesse à la Commission. La demanderesse a affirmé que nombre des actes pour lesquels elle a fait l’objet de mesures disciplinaires étaient motivés par un désir de se protéger et de protéger d’autres employés contre des actes menaçants et éventuellement dangereux de son subalterne ou constituaient une réponse non préméditée à ce qu’elle percevait comme un manquement de la direction à traiter une situation explosive.

[4]  C’est un principe bien établi en droit du travail qu’un arbitre dans une affaire disciplinaire doit évaluer si une conduite justifiant la prise de mesures disciplinaires s’est produite et si la sanction imposée était appropriée; si ce n’est pas le cas, il doit établir quelle sanction était appropriée (voir, p. ex. Basra c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 24, 398 N.R. 308, aux paragraphes 24 à 26; William Scott & Co. v. C.F.A.W., Local P-162, [1976] B.C.L.R.B.D. no 98, [1977] 1 Can. L.R.B.R. 1 [William Scott], aux paragraphes 13 et 14).

[5]  Toute interrogation à propos du caractère approprié de la sanction nécessite l’examen de toutes les circonstances pertinentes, y compris les facteurs atténuants tels que l’état d’esprit de l’employé, qui a un rapport direct avec la culpabilité (voir, p. ex. la décision William Scott, au paragraphe 14; Samuel-Acme Strapping Systems v. U.S.W.A., Local 6572 (2001), 65 C.L.A.S. 157, [2001] L.V.I. 3224-1 (arbitre Ellis), au paragraphe 210; Georgian Bay General Hospital and OPSEU, Local 367 (J. (K.)), Re (2014), 243 L.A.C. (4th) 112, 119 C.L.A.S. 7 (arbitre Sheehan), aux paragraphes 58, 65, 66 et 68; Fundy Gypsum Co. v. U.S.W.A., Local 9209 (2003), 117 L.A.C. (4th) 58, 73 C.L.A.S. 220, aux paragraphes 40 et 45; et, de façon plus générale, Donald J.M. Brown et David M. Beatty, Canadian Labour Arbitration, 5e éd. (Toronto : Thomson Reuters, 2019) (feuilles mobiles), page 7:4424).

[6]  En l’espèce, déterminer si la demanderesse craignait réellement son subalterne à l’égard duquel elle a commis des actes d’inconduite était directement pertinent à l’égard des questions que la Commission était appelée à trancher, car une telle crainte aurait pu expliquer plusieurs des actes qui étaient reprochés à la demanderesse et atténuer sa culpabilité, compte tenu notamment de ses longs états de service et de son dossier disciplinaire jusqu’alors irréprochable.

[7]  Néanmoins, la CRTESPF ne s’est pas penchée sur la question de savoir si la demanderesse était motivée par une crainte réelle pour sa sécurité et celle des autres. Contrairement à ce qu’affirme le défendeur, cette question n’a pas été traitée, même implicitement, par la Commission dans la décision. En effet, la Commission a même été jusqu’à dire dans la partie de la décision traitant de la plainte pour représailles, que ce n’était « pas à [elle] de déterminer si [...] [la demanderesse] […] avait une crainte légitime pour sa sécurité » (au paragraphe 609 de la décision).

[8]  Bien que ce commentaire ait été fait dans la partie de la décision traitant de la plainte pour représailles, ladite plainte était liée au grief de licenciement. La présence ou l’absence de motif valable pour le licenciement de la demanderesse est un facteur qui peut être pertinent pour déterminer si le licenciement de la demanderesse constituait un acte de représailles pour avoir soulevé des préoccupations en matière de santé et de sécurité concernant son subalterne, comme le défendeur l’a concédé devant nous. Ainsi, contrairement à ce que la Commission a déclaré, il lui appartenait précisément d’examiner si la demanderesse avait une crainte réelle pour sa sécurité et si, dans l’affirmative, cette crainte devrait atténuer la sanction qu’est le licenciement imposé par l’employeur.

[9]  La Cour suprême du Canada a récemment souligné, dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, aux paragraphes 96 à 98, et, à nouveau, aux paragraphes 127 et 128, que le fait pour un tribunal administratif de ne pas traiter un argument fondamental avancé par un plaideur peut très bien rendre sa décision déraisonnable, car ce manquement peut signifier que la décision manque de transparence et d’intelligibilité.

[10]  En l’espèce, la prétendue crainte de la demanderesse à l’égard de son subalterne a joué un rôle central et a été fondamentale pour sa défense. Cette crainte était également directement liée aux questions que la CRTESPF était tenue de trancher et aurait pu modifier l’issue du grief de licenciement. Par conséquent, le fait que la Commission n’ait pas examiné si cette crainte constituait une circonstance atténuante rend sa décision sur le grief de licenciement déraisonnable, car il est impossible de discerner dans la décision quel poids aurait été attribué à ce facteur par la Commission, si elle l’avait examiné.

[11]  J’accueillerais donc cette demande de contrôle judiciaire, avec dépens, et j’annulerais la décision de la CRTESPF à l’égard du grief de licenciement. Je suis d’accord avec la demanderesse que la voie la plus équitable serait de renvoyer le grief à un autre membre de la CRTESPF pour réexamen, étant donné que le membre qui a rendu la décision n’a pas saisi un élément clé de la défense de la demanderesse et compte tenu également du ton et de la teneur de la décision. J’ordonnerais donc que le grief de la demanderesse soit renvoyé à un autre membre de la CRTESPF en vue d’un nouvel examen.

« Mary J.L. Gleason »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Richard Boivin j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Marianne Rivoalen j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-350-18

 

 

INTITULÉ :

ANGELA WALKER c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 février 2020

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE RIVOALEN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 13 février 2020

 

COMPARUTIONS :

Andrew Raven

Michael Fisher

 

Pour la demanderesse

 

Joel Stelpstra

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP/s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour le défendeur

 

 

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