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Date : 20200219


Dossier : A-357-18

Référence : 2020 CAF 49

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE STRATAS

LA JUGE WOODS

 

ENTRE :

 

ENERGIZER BRANDS, LLC et

 

ENERGIZER CANADA, INC.

 

appelantes

 

et

 

THE GILLETTE COMPANY, DURACELL CANADA, INC., DURACELL U.S. OPERATIONS, INC. et

 

PROCTOR & GAMBLE INC.

 

intimées

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 21 janvier 2020.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 19 février 2020.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE WOODS


Date : 20200219


Dossier : A-357-18

Référence : 2020 CAF 49

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE STRATAS

LA JUGE WOODS

 

ENTRE :

 

ENERGIZER BRANDS, LLC et

 

ENERGIZER CANADA, INC.

 

appelantes

 

et

 

THE GILLETTE COMPANY, DURACELL CANADA, INC., DURACELL U.S. OPERATIONS, INC. et

 

PROCTOR & GAMBLE INC.

 

intimées

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DAWSON

[1]  Comme il est expliqué plus en détail ci-après, la principale question en litige dans le présent appel et l’appel incident est de déterminer si la Cour fédérale a commis une erreur en rendant un jugement sommaire rejetant certains éléments de l’action intentée par les appelantes au titre des alinéas 7a) et d) et du paragraphe 22(1) de la Loi sur les marques de commerce et du paragraphe 52(1) de la Loi sur la concurrence, mais accueillant d’autres éléments. Pour les motifs suivants, j’accueillerais en partie l’appel. Je rejetterais l’appel incident.

Introduction

[2]  Ensemble, les appelantes fabriquent, vendent et distribuent des piles, et en font la promotion, au Canada. Dans les présents motifs, les appelantes sont désignées collectivement Energizer. Energizer est titulaire de plusieurs marques de commerce déposées au Canada, soit : ENERGIZER (LMC157162); ENERGIZER (LMC740338); ENERGIZER MAX (LMC580557); RABBIT & DESIGN (LMC399312) et ENERGIZER BUNNY & DESIGN (LMC943350) (ensemble, les marques de commerce d’Energizer).

[3]  Les intimées sont des sociétés apparentées qui fabriquent, offrent en vente et vendent les piles Duracell, ou en font la publicité, au Canada. Dans les présents motifs, elles sont désignées Duracell.

[4]  Au Canada, les piles de marque Energizer sont en concurrence directe avec celles de marque Duracell. Il s’agit des deux marques de piles les plus populaires au Canada. Ensemble, Energizer et Duracell détiennent plus de 80 % du marché canadien des piles.

[5]  Le présent appel et l’appel incident résultent d’autocollants apposés par Duracell sur le devant d’emballages de piles AA et de piles pour appareils auditifs vendus aux détaillants du Canada.

[6]  Ces autocollants comportent des allégations, en français et en anglais, selon lesquelles les piles Duracell durent « jusqu’à 15 % » ou « jusqu’à 20 % » plus longtemps que les piles de « l’autre marque concurrente la plus populaire » et « la marque du lapin ».

[7]  Energizer a intenté une action contre Duracell notamment au motif que les autocollants et les présentoirs aux points de vente de Duracell utilisaient les marques de commerce d’Energizer d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à ces marques de commerce (en contravention du paragraphe 22(1) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 (la Loi)). Energizer affirmait en outre que les autocollants et les présentoirs aux points de vente comportaient des déclarations fausses ou trompeuses qui tendaient à discréditer les piles Energizer (en contravention de l’alinéa 7a) de la Loi) et qui, sous un rapport essentiel, étaient de nature à tromper le public quant aux caractéristiques, à la qualité et au rendement des piles Energizer (en contravention de l’alinéa 7d) de la Loi). Enfin, Energizer prétendait que Duracell avait, sciemment ou sans se soucier des conséquences, donné au public des indications fausses et trompeuses sur un point important (en contravention du paragraphe 52(1) de la Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34), et elle demandait la restitution des bénéfices pour violation du paragraphe 52(1) de la Loi sur la concurrence.

[8]  L’action a été mise au rôle. Duracell a ensuite présenté une requête, sous le régime des articles 213 à 219 des Règles des Cours fédérales, en jugement sommaire. Elle sollicitait le rejet des allégations formulées par Energizer au titre des alinéas 7a) et d) et du paragraphe 22(1) de la Loi, relativement à l’emploi par Duracell des expressions « la marque du lapin » et « l’autre marque concurrente la plus populaire », et leurs équivalents en anglais (question liée aux marques de commerce) et le rejet de la demande de restitution des bénéfices présentée par Energizer au titre du paragraphe 52(1) de la Loi sur la concurrence (question liée à la réparation).

[9]  Pour les motifs énoncés sous la référence 2018 CF 1003, la Cour fédérale a accueilli, en partie, la requête en jugement sommaire. Cette requête demandait, à juste titre, le rejet de certains éléments de la demande d’Energizer. La Cour fédérale a ordonné que les actes de procédure d’Energizer renvoyant aux alinéas 7a) et d) et au paragraphe 22(1) de la Loi, ainsi qu’à l’emploi de l’expression « l’autre marque concurrente la plus populaire », soient « radiés de la demande d’Energizer » (motifs, par. 7). La demande de restitution des bénéfices présentée par Energizer au titre du paragraphe 52(1) de la Loi sur la concurrence a également été radiée. Le reste de la requête en jugement sommaire de Duracell a été rejeté, sauf en ce qui concerne les dépens (motifs, par. 8 et 100).

[10]  Je ne crois pas que le fait que la Cour fédérale a indiqué qu’elle radiait certains éléments de la demande d’Energizer est déterminant. Je pars du principe que la Cour fédérale avait l’intention de rejeter ces aspects de la demande et les a de fait rejetés.

[11]  Notre Cour est saisie de l’appel interjeté par Energizer à l’encontre du jugement rendu par la Cour fédérale, qui a rejeté son action fondée sur le paragraphe 52(1) de la Loi sur la concurrence et les alinéas 7a) et d) et le paragraphe 22(1) de la Loi, relativement à l’emploi par Duracell de l’expression « l’autre marque concurrente la plus populaire ». Elle est également saisie d’un appel incident interjeté par Duracell à l’encontre de la portion du jugement ayant rejeté sa requête en jugement concernant l’action d’Energizer au titre des alinéas 7a) et d) et du paragraphe 22(1) de la Loi relativement à l’emploi par Duracell de l’expression « la marque du lapin ».

Questions en litige

[12]  Bien que les parties soulèvent plusieurs questions dans le présent appel et l’appel incident, je suis d’avis qu’une seule permet de trancher la question liée aux marques de commerce : Energizer a-t-elle été dûment informée des arguments à réfuter à l’égard de la requête en jugement sommaire de Duracell? Autrement dit, la Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en statuant sur une question dont elle n’avait pas été saisie? En ce qui a trait à la réparation, la question en litige est de savoir si la Cour fédérale a commis une erreur de droit en concluant que la restitution des bénéfices ne s’appliquait pas à une présumée violation du paragraphe 52(1) de la Loi sur la concurrence.

La norme de contrôle

[13]  Notre Cour doit appliquer les normes de contrôle définies dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 pour statuer sur les présents appel et appel incident interjetés à l’encontre du jugement de la Cour fédérale.

Analyse

[14]  Pour décider si Energizer a été dûment informée des arguments à réfuter eu égard à la requête en jugement sommaire de Duracell, je passe en revue les actes de procédure pour déterminer les questions en litige. J’examine ensuite l’avis de requête en jugement de Duracell, les éléments de preuve déposés à l’appui de la requête de Duracell, les observations soumises par Duracell à la Cour fédérale, les observations présentées en réponse par Energizer ainsi que les motifs de la Cour fédérale.

A.  Les actes de procédure

[15]  Les faits substantiels qui ont été résumés plus haut sont exposés aux paragraphes 23 à 28 de la deuxième déclaration modifiée d’Energizer, où celle-ci fait valoir que les consommateurs associent les expressions « la marque du lapin » et « l’autre marque concurrente la plus populaire » aux marques de commerce d’Energizer. Elle allègue en outre que les actes de Duracell contrevenaient aux dispositions précitées de la Loi et de la Loi sur la concurrence.

[16]  Duracell a réfuté ces allégations sans toutefois fournir plus de détails.

B.  Requête en jugement de Duracell

[17]  Dans son avis de requête, Duracell demandait que soit rendue une ordonnance :

[traduction]

[...] en application des articles 213 à 219 des Règles, prononçant un jugement sommaire en faveur des défenderesses et rejetant les allégations formulées par les demanderesses au titre des alinéas 7a) et d) et du paragraphe 22(1) de la Loi sur les marques de commerce et rejetant également la demande de restitution des bénéfices présentée par les demanderesses au titre du paragraphe 52(1) de la Loi sur la concurrence, relativement à l’emploi par les défenderesses des expressions « la marque du lapin » et « l’autre marque concurrente la plus populaire », et de leurs équivalents anglais « bunny brand » et « the next leading competitive brand ».

[18]  Les motifs invoqués par Duracell à l’appui de sa requête étaient les suivants :

[traduction]

4.  Dans la présente action, les demanderesses allèguent qu’il y a eu violation des alinéas 7a) et d) et du paragraphe 22(1) de la Loi sur les marques de commerce, ainsi que du paragraphe 52(1) de la Loi sur la concurrence, parce que les défenderesses ont utilisé les expressions « la marque du lapin » et « l’autre marque concurrente la plus populaire » (et leurs équivalents anglais), ainsi que les marques ENERGIZER et ENERGIZER MAX, sur des autocollants apposés sur des emballages de piles AA et de piles pour appareils auditifs vendus au Canada.

5.  Cependant, les allégations de dépréciation de l’achalandage invoquées par les demanderesses au titre du paragraphe 22(1) de la Loi sur les marques de commerce, en lien avec l’emploi par les défenderesses des expressions « la marque du lapin » et « l’autre marque concurrente la plus populaire » (et leurs équivalents anglais) sur des emballages de piles au Canada, ne soulèvent aucune véritable question litigieuse.

6.  Le paragraphe 22(1) exige l’emploi d’une marque de commerce déposée. Or, les expressions « la marque du lapin » et « l’autre marque concurrente la plus populaire » (et leurs équivalents anglais) ne sont même pas des marques de commerce des demanderesses; elles ne peuvent donc pas être des marques de commerce déposées. Par conséquent, ces causes d’action fondées sur le paragraphe 22(1) sont vouées à l’échec au procès. [Souligné dans l’original.]

7.  De même, les allégations formulées par les demanderesses au titre des alinéas 7a) et d) de la Loi sur les marques de commerce, relativement à l’emploi par les défenderesses des expressions « la marque du lapin » et « l’autre marque concurrente la plus populaire » (et leurs équivalents anglais) sur des emballages de piles au Canada, ne soulèvent aucune véritable question litigieuse.

8.  Selon les alinéas 7a) et d), les déclarations fausses et trompeuses doivent porter sur un droit de propriété intellectuelle légitime et, en l’espèce, sur les marques de commerce appartenant aux demanderesses. Or, les expressions « la marque du lapin » et « l’autre marque concurrente la plus populaire » (et leurs équivalents anglais) ne sont pas des marques de commerce appartenant aux demanderesses. Ces allégations sont donc elles aussi vouées à l’échec au procès. [Non souligné dans l’original.]

9.  Les demanderesses demandent à notre Cour que leur soient conférés les droits afférents à une marque de commerce déposée eu égard aux expressions « la marque du lapin » et « l’autre marque concurrente la plus populaire » (et leurs équivalents anglais) sans qu’elles aient à se soumettre au processus d’enregistrement de marque de commerce, afin d’empêcher les défenderesses et des tiers d’utiliser ces expressions. Si l’honorable Cour devait accorder aux demanderesses la réparation qu’elles demandent au titre des articles 7 et 22 de la Loi sur les marques de commerce, cela reviendrait à leur accorder des droits réservés aux marques de commerce déposées qui ont été soumises au processus d’enregistrement, ainsi qu’un réel monopole opposable aux tiers relativement à l’emploi de ces expressions, alors que les demanderesses ne les ont elles-mêmes jamais utilisées.

10.  La grande majorité des ventes des défenderesses qui sont en litige dans la présente action concerne des piles dont les emballages portent les expressions « la marque du lapin » et « l’autre marque concurrente la plus populaire ». Par comparaison, les ventes de piles sur lesquelles figuraient les expressions ENERGIZER et ENERGIZER MAX étaient très faibles.

11.  Le prononcé d’un jugement sommaire à l’égard de la requête permettra de trancher d’importantes questions soulevées dans l’action principale. Il permettra également de réduire considérablement toute restitution de bénéfices, si les demanderesses devaient avoir gain de cause relativement aux autres questions en litige au procès, puisqu’une restitution des bénéfices ne peut être accordée dans les cas de violation de l’article 52 de la Loi sur la concurrence.

12.  Articles 3, 213 à 219 et 401 des Règles des Cours fédérales, articles 7 et 22 de la Loi sur les marques de commerce et articles 36 et 52 de la Loi sur la concurrence.

C.  Preuve de Duracell

[19]  Duracell n’a présenté aucun élément de preuve permettant de déterminer si les consommateurs associaient les expressions « la marque du lapin » et « l’autre marque concurrente la plus populaire » aux marques de commerce d’Energizer.

[20]  L’élément de preuve le plus convaincant à l’appui de la requête est énoncé dans l’affidavit du directeur des ventes de Duracell Canada Inc., qui a déclaré ce qui suit sous serment :

[traduction]

16.  Comme l’indique l’autocollant, l’expression « l’autre marque concurrente la plus populaire » découle des données que Duracell a obtenues de la société Nielsen, qui tient à jour une base de données sur les analyses du marché du détail. Les données de Nielsen sur les ventes indiquaient que les piles AA Energizer étaient la deuxième marque concurrente la plus populaire, après Duracell.

17.  Ni le mot « Energizer » ni aucune illustration de lapin ne figurent sur les emballages des piles sur lesquels est apposé l’autocollant « l’autre marque concurrente la plus populaire ».

[…]

19.  Les expressions « durent jusqu’à 20 % plus longtemps* » et « *que les piles 10, 13 et 312 de la marque du lapin » (et leurs équivalents anglais) figurent sur l’autocollant « la marque du lapin ». L’allégation « durent jusqu’à 20 % plus longtemps* » renvoie aux piles Energizer 10, 13 et 312 pour appareils auditifs.

20.  Ni le mot « Energizer » ni aucune illustration de lapin ne figurent sur les emballages des piles sur lesquels est apposé l’autocollant « la marque du lapin ».

[Non souligné dans l’original.]

[21]  Duracell a déposé l’affidavit d’un assistant juridique auquel étaient jointes les réponses aux questions qui avaient été posées à un représentant d’Energizer lors de l’interrogatoire préalable. Interrogé sur les faits ou les documents qu’Energizer avait en sa possession et qui indiquaient que les consommateurs comprenaient que les expressions « la marque du lapin » et « l’autre marque concurrente la plus populaire » renvoyaient aux marques de commerce d’Energizer, le témoin a répondu : [traduction] « [à] l’heure actuelle, Energizer a produit tous les faits qui sont en sa possession, sous son autorité ou sous sa garde, qui répondent aux questions et à l’égard desquels aucun privilège de non-communication n’est revendiqué. Un témoignage d’expert sera présenté sur cette question ».

D.  Mémoire des faits et du droit des parties

[22]  Les arguments juridiques invoqués par les parties sont révélateurs.

[23]  Dans son mémoire des faits et du droit présenté à l’appui de la requête en jugement, Duracell résume ainsi ses observations :

[traduction]

1.  Les défenderesses demandent par voie de requête que soit rendu un jugement sommaire partiel tranchant les allégations des demanderesses selon lesquelles l’emploi, par les défenderesses, des expressions « l’autre marque concurrente la plus populaire » et « la marque du lapin » (et leurs équivalents anglais) contrevient à l’article 22 de la Loi sur les marques de commerce (la Loi). Les demanderesses allèguent que, par cet emploi, les défenderesses ont utilisé les marques de commerce déposées d’ENERGIZER d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à ces marques.

2.  L’article 22 de la Loi exige l’emploi d’une marque de commerce déposée. Or, les seules marques de commerce déposées invoquées par les demanderesses sont les marques ENERGIZER et ENERGIZER MAX ainsi qu’une illustration d’un lapin. Les demanderesses ont reconnu qu’elles ne possèdent aucune marque de commerce déposée à l’égard des expressions « la marque du lapin » et « l’autre marque concurrente la plus populaire ». Il n’y a pas violation de l’article 22 si un défendeur emploie une expression autre qu’une marque de commerce, telle qu’elle a été déposée ou une expression ne comportant qu’une faute d’orthographe mineure par rapport à la marque déposée. L’emploi des expressions « l’autre marque concurrente la plus populaire » et « la marque du lapin » n’est pas visé par cette disposition.

3.  Les demanderesses soutiennent que l’article 22 vise également l’emploi d’expressions qui ne sont pas des marques de commerce déposées, parce que les consommateurs associent ces expressions à des marques de commerce déposées. Il ne s’agit pas du critère énoncé à l’article 22. Même s’il en était ainsi, ce que nous n’admettons pas, les demanderesses n’ont déposé aucun élément de preuve d’une telle association par les consommateurs.

4.  Les arguments des demanderesses en ce qui concerne les expressions « l’autre marque concurrente la plus populaire » et « la marque du lapin » sont fallacieux. Non seulement l’emploi de ces types d’expressions de publicité comparative est courant sur le marché, mais aussi les demanderesses ont elles‑mêmes employé l’expression « l’autre marque la plus populaire » pour faire allusion aux défenderesses dans le cadre de la publicité de leurs propres piles.

5.  De plus, pour qu’une réparation soit accordée pour infraction aux alinéas 7a) et d) de la Loi, les causes d’action doivent porter sur une marque de commerce légitime dont les demanderesses sont titulaires, à défaut de quoi la Cour n’a pas compétence pour accorder la réparation demandée. Comme les demanderesses ont admis ne pas être titulaires de marques de commerce déposées à l’égard des expressions « l’autre marque concurrente la plus populaire » et « la marque du lapin », et ne les avoir en fait jamais utilisées, ces causes d’action sont également vouées à l’échec.

6.  Les demanderesses demandent également une restitution des bénéfices, au titre du paragraphe 52(1) de la Loi sur la concurrence. Cependant, cette mesure de réparation ne peut être accordée. En conséquence, cette cause d’action doit elle aussi être rejetée.

7.  Par conséquent, ni les allégations fondées sur les alinéas 7a) et d) et le paragraphe 22(1), relativement à l’emploi des expressions précitées et de leurs équivalents anglais, ni la demande de restitution des bénéfices présentée aux termes du paragraphe 52(1) de la Loi sur la concurrence, ne soulèvent de véritable question litigieuse.

[Non souligné dans l’original.]

[24]  Duracell a décrit plus en détail ses observations sur ces points :

[traduction]

63.  Dans l’arrêt Veuve Clicquot, la Cour suprême a conclu que l’emploi du mot « Cliquot » ne constituait pas un emploi de la marque de commerce déposée VEUVE CLICQUOT de la demanderesse, et que la demanderesse n’avait pas satisfait au premier volet du critère à remplir. Bien que la Cour ait indiqué que des fautes d’orthographe mineures, comme l’omission de la lettre « c », pourraient satisfaire à ce critère, elle n’a pas élargi son application au-delà des fautes d’orthographe mineures, citant en exemple Kleenex et Klenex :

L’appelante reconnaît que les intimées n’ont jamais employé ses marques de commerce déposées comme telles, mais elle affirme que l’emploi du mot Cliquot en transmet l’idée. Je conviens que l’orthographe différente de Cliquot ne pouvait être opposée comme moyen de défense. Si le simple observateur pouvait reconnaître la marque employée par les intimées comme celle de l’appelante (comme ce serait le cas si Kleenex était orthographié Klenex), l’emploi du mot Cliquot mal orthographié serait suffisant.

64.  Ce critère s’applique depuis l’arrêt Veuve Clicquot et, depuis, aucun tribunal canadien n’a conclu que l’emploi d’expressions ne présentant guère de ressemblance avec les marques de commerce déposées en cause, comme l’allègue Energizer relativement à l’emploi par Duracell des expressions « la marque du lapin » et « l’autre marque concurrente la plus populaire », avait entraîné une dépréciation de l’achalandage. En appliquant le critère défini dans l’arrêt Veuve Clicquot, la Cour suprême et les Cours fédérales interprètent simplement l’article 22 comme exigeant l’emploi d’une marque de commerce déposée ou d’une expression dont l’orthographe ne diffère que de façon mineure de celle de la marque déposée.

[…]

73.  Il ressort de ces affaires que la portée de la protection conférée par l’article 22 se limite à l’emploi d’une marque qui est identique à la marque de commerce déposée, qui comporte des fautes d’orthographe mineures ou qui s’apparente étroitement à la marque de commerce déposée. Jamais le premier volet du critère défini dans l’arrêt Veuve Clicquot n’a-t-il été élargi pour s’appliquer à des marques qui ne s’apparentaient pas à une marque déposée. Si la marque utilisée par une défenderesse n’entre pas dans l’une de ces catégories, alors la demanderesse n’a pas réussi à satisfaire au premier volet du critère. La cour n’examinera les éléments de preuve crédibles indiquant un lien dans l’esprit du consommateur que si la marque utilisée par le défendeur comporte une faute d’orthographe mineure par rapport à la marque déposée ou qu’elle s’y apparente étroitement. Aucune jurisprudence ne permet d’élargir davantage la portée du premier volet du critère appelant l’application de l’article 22.

74.  En l’espèce, on ne peut faire droit aux prétentions d’Energizer selon lesquelles l’emploi, par Duracell, des expressions « l’autre marque concurrente la plus populaire » et « la marque du lapin » contrevient à l’article 22 de la Loi, pour les motifs suivants :

a)  Energizer n’est pas titulaire d’enregistrements de marques de commerce à l’égard des expressions « l’autre marque concurrente la plus populaire » ou « la marque du lapin ». De fait, elle n’a jamais utilisé l’une ou l’autre de ces expressions dans la commercialisation ou la publicité de ses produits ou sur ses emballages. Les seules marques de commerce déposées invoquées par Energizer en l’espèce sont les marques ENERGIZER et ENERGIZER MAX, ainsi que RABBIT & Design.

b)  Les expressions « l’autre marque concurrente la plus populaire » et la « marque du lapin » n’ont aucune ressemblance avec les marques de commerce déposées d’Energizer. Elles ne sont pas identiques aux marques de commerce déposées d’Energizer. Il ne s’agit pas d’expressions comportant des fautes d’orthographe mineures par rapport aux marques de commerce déposées d’Energizer ou s’y s’apparentant étroitement. Il n’y a donc pas eu emploi des marques de commerce déposées des demanderesses, comme l’exige l’article 22.

c)  De plus, les allégations d’Energizer, selon lesquelles l’article 22 de la Loi vise également ce que les consommateurs croiraient ou comprendraient en lisant les expressions « l’autre marque concurrente la plus populaire » ou « la marque du lapin », ne sont pas fondées en droit. Au contraire, dans la décision BMW, la Cour fédérale a conclu que les souvenirs ou les perceptions qu’évoquaient chez les consommateurs des termes différents de la marque déposée ne satisfaisaient pas au critère en matière d’emploi prévu à l’article 22 de la Loi. Une telle interprétation constituerait un élargissement déraisonnable de la portée de cet article, qui irait à l’encontre de l’intention du législateur qui a précisément utilisé le mot « déposée » dans cet article. Une conclusion contraire rendrait le libellé de cet article vide de sens.

75.  Cependant, même si la portée de cet article pouvait être élargie pour englober ces allégations, ce que nous n’admettons pas, Energizer n’a fourni aucun élément de preuve sur le lien ou la connexion qui se crée dans l’esprit des consommateurs lorsqu’ils voient les expressions « l’autre marque concurrente la plus populaire » ou « la marque du lapin ». Lors du contre-interrogatoire, la déposante d’Energizer a admis que son affidavit ne comportait aucun élément de preuve à cet égard, si ce n’est de vagues déclarations. Ainsi qu’il a été indiqué précédemment, le témoin d’Energizer a livré un témoignage évasif, peu crédible et peu sincère. De plus, lors de l’interrogatoire préalable, Energizer n’a présenté aucun fait ni élément de preuve sur ce point.

[…]

85.  Aux termes des alinéas 7a) et d), les allégations ou descriptions fausses et trompeuses doivent porter sur un droit de propriété intellectuelle légitime, en l’espèce, sur les marques de commerce des demanderesses. Or, les expressions « la marque du lapin » et « l’autre marque concurrente la plus populaire » ne sont pas des marques de commerce d’Energizer. Elles ne sont même pas des marques de commerce. Les allégations fondées sur les alinéas 7a) et d) sont donc sans fondement. Une décision contraire rendrait inconstitutionnelles ces dispositions de la Loi sur les marques de commerce.

[…]

88.  La Cour fédérale a récemment confirmé que la portée de l’alinéa 7a) doit se « limiter à établir une cause d’action se rapportant à des déclarations fausses ou trompeuses faites à propos d’une marque de commerce ou autre droit de propriété intellectuelle appartenant au demandeur [...] » [non souligné dans l’original]. Il ne suffit pas qu’une déclaration puisse « évoquer » un droit de propriété intellectuelle – comme semble le prétendre Energizer en l’espèce.

89.  En l’espèce, les déclarations concernent des allégations à propos de piles qui durent plus longtemps (p. ex. jusqu’à 20 % [ou 15 %] plus longtemps que « la marque du lapin » ou « l’autre marque concurrente la plus populaire »). Ces déclarations ne portent pas sur des marques de commerce ni sur d’autres droits de propriété intellectuelle. De fait, elles évitent expressément l’emploi de marques de commerce. De plus, ce type de déclarations est fréquent dans le commerce.

90.  Les expressions « la marque du lapin » et « l’autre marque concurrente la plus populaire » ne sont pas des marques de commerce appartenant à Energizer; l’emploi de ces expressions ne satisfait donc pas aux exigences pour que l’alinéa 7a) s’applique – les expressions doivent faire plus qu’« évoquer » une marque de commerce. Quoi qu’il en soit, aucun élément de preuve n’indique que les consommateurs associeraient ces expressions à Energizer, à ses marques de commerce ou à ses produits.

[…]

96.  Pour les motifs énoncés précédemment relativement à l’alinéa 7a), les autocollants apposés par Duracell sur ses emballages, utilisant les expressions « la marque du lapin » et « l’autre marque concurrente la plus populaire », ne portent pas atteinte à un droit de propriété intellectuelle ni ne l’emploient. Ces expressions ne sont pas des marques de commerce. Ainsi qu’il est indiqué dans la décision LBI Brands, le fait d’avoir des conséquences sur une entreprise (c.-à-d. Energizer), mais non sur sa propriété intellectuelle, ne suffit pas pour formuler des allégations fondées sur l’alinéa 7d).

[Souligné dans l’original.]

[25]  Ainsi qu’il est indiqué aux paragraphes 75 et 90 de son mémoire, Duracell a mentionné brièvement l’absence d’éléments de preuve sur la question de la perception des consommateurs.

[26]  Dans son mémoire des faits et du droit, Energizer a répondu ainsi à cette observation :

[traduction]

87.  Dans son mémoire, Duracell a soulevé une nouvelle question qui n’avait pas été mentionnée dans son avis de requête, à savoir la perception des consommateurs à l’égard des expressions « l’autre marque concurrente la plus populaire » et la « marque du lapin ». Les seuls motifs invoqués dans l’avis de requête se limitaient au fait que ces expressions ne sont pas des marques de commerce. Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale, l’avis de requête a pour but de fournir à son destinataire un préavis adéquat de l’ordonnance sollicitée et des motifs invoqués à l’appui, et d’indiquer précisément à la Cour ce que le demandeur sollicite et pourquoi. Duracell a aggravé le problème en ne présentant aucun élément de preuve permettant de croire que le « premier moment de vérité » provoqué par les expressions utilisées sur ses emballages (« l’autre marque concurrente la plus populaire » et la « marque du lapin ») ne visait pas à évoquer dans l’esprit des consommateurs ce qu’elles étaient censées signifier, c’est-à-dire les marques de commerce ENERGIZER et ENERGIZER Bunny. Duracell ne devrait pas être autorisée à étoffer davantage les motifs de sa requête après coup.

[Non souligné dans l’original.]

E.  Plaidoiries d’Energizer

[27]  Energizer a maintenu son opposition lors de l’audition de la requête en jugement sommaire. D’entrée de jeu, l’avocat d’Energizer a passé en revue en détail les expressions utilisées dans l’avis de requête de Duracell et soutenu que Duracell avait soulevé une pure question de droit, en demandant si l’emploi des expressions « la marque du lapin » et « l’autre marque concurrente la plus populaire » pouvait étayer des demandes présentées aux titres des articles 7 ou 22 de la Loi, alors qu’il ne s’agissait pas d’expressions comportant des fautes d’orthographe mineures par rapport aux marques de commerce d’Energizer (transcription de l’audience devant la Cour fédérale, de la page 123, ligne 1, à la page 128, ligne 12).

F.  Les motifs de la Cour fédérale

[28]  Au paragraphe 37 de ses motifs, la Cour fédérale a énoncé en ces termes les questions devant être tranchées :

1.  L’article 22 de la Loi sur les marques de commerce s’applique‑t‑il à l’emploi par Duracell des expressions « l’autre marque concurrente la plus populaire » et « la marque du lapin » (et leurs équivalents anglais) figurant sur les autocollants apposés sur ses emballages?

2.  Les alinéas 7a) et d) de la Loi sur les marques de commerce s’appliquent‑ils à l’emploi par Duracell des expressions « l’autre marque concurrente la plus populaire » et « la marque du lapin » (et leurs équivalents anglais) figurant sur les autocollants apposés sur ses emballages?

3.  Une demande de restitution des bénéfices peut‑elle être faite au titre de l’article 52 de la Loi sur la concurrence?

4.  La demande de jugement sommaire partiel présentée par Duracell est‑elle appropriée dans les circonstances de la présente action?

Ces questions, ainsi formulées, cadrent avec la réparation demandée et les motifs invoqués par Duracell dans son avis de requête. Elles n’étendent pas les motifs énoncés dans l’avis de requête.

[29]  Au paragraphe 47, la Cour résume ainsi la thèse de Duracell concernant les éléments de la requête portant sur le paragraphe 22(1) de la Loi :

Essentiellement, Duracell soutient que l’interdiction prévue au paragraphe 22(1) s’applique uniquement aux marques de commerce enregistrées et aux fautes d’orthographe mineures d’une marque de commerce enregistrée. Energizer indique qu’il s’agit d’une interprétation trop restrictive. Évidemment, la question centrale concernant le paragraphe 22(1) consiste à savoir s’il s’applique aux deux expressions en litige, notamment « l’autre marque concurrente la plus populaire » et « la marque du lapin » figurant sur les autocollants apposés sur les emballages de piles [de] Duracell.

[Souligné dans l’original.]

[30]  La Cour fédérale poursuit ainsi :

[48]  Il n’est pas contesté que ni l’une ni l’autre des expressions « l’autre marque concurrente la plus populaire » et « la marque du lapin » ne sont [pas] des marques de commerce enregistrées d’Energizer et c’est ce que je conclus.

[49]  En résumé et tel que cela est expliqué ci‑dessous, en ce qui concerne le paragraphe 22(1), je souscris à l’interprétation d’Energizer. Je suis d’avis que l’interprétation faite par Duracell [du] paragraphe 22(1) est trop restrictive et ne respecte pas le droit établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23 [Veuve Clicquot]. Les arguments de Duracell auraient pu être justes avant l’arrêt Veuve Clicquot, mais il n’en est plus ainsi. À mon humble avis, l’arrêt Veuve Clicquot a modifié de manière importante la jurisprudence en ce qui concerne l’interprétation du paragraphe 22(1). Le changement dans la jurisprudence a été confirmé récemment par la Cour d’appel fédérale : Venngo Inc. c Concierge Connection Inc., 2017 CAF 96, la juge Gleason [Venngo]. À mon humble avis, le paragraphe 22(1) interprété de la manière exigée par l’arrêt Veuve Clicquot interdit l’emploi par Duracell de l’expression « la marque du lapin », même si elle n’est pas une marque de commerce enregistrée d’Energizer. Toutefois, le paragraphe 22(1) n’interdit pas l’emploi par Duracell de l’expression « l’autre marque concurrente la plus populaire ».

[Souligné dans l’original.]

[31]  Au paragraphe 49 de ses motifs, la Cour fédérale répond à la question de droit soulevée par Duracell : le paragraphe 22(1) ne s’applique pas qu’aux marques de commerce déposées et aux simples fautes d’orthographe dans une marque de commerce déposée. Par conséquent, il n’est pas interdit, en droit, à Energizer de prétendre que les expressions « la marque du lapin » et « l’autre marque concurrente la plus populaire » évoquent dans l’esprit des consommateurs une association avec les marques de commerce d’Energizer.

[32]  Cependant, ayant répondu à cette question de droit, la Cour a appliqué cette règle de droit aux faits qui lui avaient été présentés et a conclu qu’il existait un lien suffisant entre l’expression « la marque du lapin » et les marques de commerce d’Energizer pour justifier l’application du paragraphe 22(1) de la Loi, mais que le lien était insuffisant pour justifier l’application de cette disposition à l’expression « l’autre marque concurrente la plus populaire ».

[33]  La Cour fédérale s’est ensuite fondée sur cette conclusion pour établir que l’expression « la marque du lapin » comportait « un intérêt suffisant quant à la marque de commerce ou quant à la “propriété intellectuelle” [...] pour bénéficier de la protection et de l’application en l’espèce des alinéas 7a) et d) de la Loi sur les marques de commerce ». Elle est arrivée à la conclusion contraire en ce qui concerne l’expression « l’autre marque concurrente la plus populaire » (motifs, par. 79 et 80).

[34]  Enfin, en ce qui concerne la demande de restitution des bénéfices présentée par Energizer au titre du paragraphe 52(1) de la Loi sur la concurrence, la Cour a cité la décision Garford Pty Ltd. c. Dywidag Systems International, Canada, Ltd., 2010 CF 997, pour conclure que les réparations prévues au paragraphe 36(1) de la Loi sur la concurrence, relativement au paragraphe 52(1), se limitent aux dommages-intérêts. Energizer ne pouvait donc pas avoir droit à une réparation sous la forme d’une restitution des bénéfices, et ses demandes à ce titre ont été rejetées.

[35]  La Cour fédérale n’a pas examiné l’opposition soulevée par Energizer du fait que Duracell avait, de façon inadmissible, soulevé une nouvelle question.

G.  La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en décidant si, dans les faits, les expressions en litige pouvaient créer, dans l’esprit des consommateurs, un lien avec les marques de commerce d’Energizer?

[36]  À mon humble avis, la Cour fédérale, après avoir rejeté les observations de Duracell –voulant que le paragraphe 22(1) de la Loi ne s’applique qu’aux marques de commerce déposées et aux expressions comportant des fautes d’orthographe mineures, et que les alinéas 7a) et d) de la Loi ne s’appliquent qu’aux marques de commerce déposées –, a commis une erreur en cherchant à répondre à la question factuelle de savoir si la ressemblance entre les expressions et les marques de commerce d’Energizer suffisait « pour établir, dans l’esprit des consommateurs de la population de référence, un lien entre les deux marques qui est susceptible de déprécier l’achalandage » attaché aux marques de commerce d’Energizer (Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, [2006] 1 R.C.S. 824, par. 38).

[37]  J’en arrive à cette conclusion pour les motifs suivants.

[38]  L’article 359 des Règles des Cours fédérales exige que toute requête soit introduite au moyen d’un avis de requête qui précise notamment la réparation recherchée ainsi que les motifs qui seront invoqués, avec mention de toute règle ou disposition législative applicable. Ces exigences remplissent deux fonctions importantes et bénéfiques.

[39]  Premièrement, elles permettent d’assurer l’équité procédurale en donnant à l’autre partie un avis suffisant des arguments à réfuter. Deuxièmement, elles informent la Cour de la nature et de la portée de la réparation demandée ainsi que des motifs invoqués à l’appui. À défaut de circonstances inhabituelles, ou de consentement, la cour ne peut accorder que la réparation demandée dans l’avis de requête.

[40]  L’application de ces principes est illustrée dans l’arrêt Albian Sands Energy Inc. c. Positive Attitude Safety System Inc., 2005 CAF 332, [2006] 2 R.C.F. 50, une affaire de violation du droit d’auteur. Dans cette affaire, Albian Sands était accusée d’avoir violé le droit d’auteur de Positive Attitude en vendant ou en distribuant des œuvres de Positive Attitude protégées par le droit d’auteur et en les reproduisant. Albian Sands a sollicité par voie de requête un jugement sommaire partiel. Il est pertinent dans le présent appel de souligner qu’Albian Sands avait demandé que soit rejetée l’allégation de violation du droit d’auteur fondée sur la prétention portant qu’Albian Sands ait vendu, loué, exposé ou offert en vente ou en location des œuvres protégées par le droit d’auteur.

[41]  La Cour fédérale a tranché la requête en jugement en concluant que, même si Positive Attitude possédait un droit d’auteur valide, il n’y avait eu aucune vente, location, exposition ni offre en vente ou en location des œuvres protégées par le droit d’auteur.

[42]  En appel, Albian Sands a fait valoir que la Cour fédérale ne pouvait statuer que sur les questions soulevées dans l’avis de requête, lequel ne mentionnait que les faits ayant donné lieu à la violation, et non la question de la validité du droit d’auteur.

[43]  En examinant les arguments invoqués par Albian Sands, notre Cour a insisté sur l’importance de bien comprendre la portée restreinte de la requête en jugement sommaire partiel. La requête visait uniquement le rejet de la prétention de violation du droit d’auteur résultant de la vente, de la location, de l’exposition ou de l’offre en vente ou en location des œuvres protégées par droit d’auteur, au motif que cette prétention n’était étayée par aucun fait. Par conséquent, lorsque la Cour fédérale a conclu qu’aucun fait n’étayait la prétention, elle ne pouvait qu’accueillir la requête en jugement sommaire. Cependant, en étendant son examen au-delà de la question qui lui avait été dûment soumise et en examinant la question de la validité du droit d’auteur, la Cour fédérale a commis une erreur en statuant sur une question dont elle n’avait pas été saisie. En élargissant ainsi la portée de la requête dont elle avait été saisie, la Cour fédérale a privé Albian Sands de la possibilité d’exposer son point de vue sur la question. En conséquence, notre Cour a annulé la conclusion selon laquelle Positive Attitude possédait un droit d’auteur valide sur ces œuvres.

[44]  Je suis d’avis que la Cour fédérale a commis la même erreur en l’espèce, en statuant sur une question dont elle n’avait pas été saisie, c’est-à-dire sur la question de fait visant à déterminer si les expressions en litige pouvaient, dans l’esprit des consommateurs, être associées aux marques de commerce d’Energizer.

[45]  Les documents qui ont été présentés à la Cour fédérale ont été décrits en détail plus haut, et ils définissent la portée exacte de la requête devant la Cour.

[46]  L’avis de requête précisait que la requête en jugement présentait deux arguments, à savoir que le paragraphe 22(1) de la Loi exige l’emploi d’une marque de commerce déposée (ce que ne sont pas les expressions en litige) et que les alinéas 7a) et d) n’étaient pas en jeu, car les expressions en litige n’étaient pas des marques de commerce appartenant à Energizer.

[47]  Un intimé dans la position d’Energizer aurait raisonnablement compris que la question en litige était de savoir si les articles 7 et 22 de la Loi pouvaient, après l’arrêt Veuve Clicquot, s’appliquer à l’emploi par Duracell des expressions « la marque du lapin » et « l’autre marque concurrente la plus populaire ».

[48]  Le caractère raisonnable d’une telle thèse ressortit à la lumière de la documentation liée à la requête de Duracell. Duracell n’a présenté aucun élément de preuve sur la perception des consommateurs qui permettrait de faire jouer cette question. Dans ses observations écrites, Duracell a fait valoir que, selon l’article 7 de la Loi, les allégations ou descriptions fausses et trompeuses doivent porter sur un droit de propriété intellectuelle légitime, en l’espèce les marques de commerce appartenant à Energizer. De même, Duracell a fait valoir que l’article 22 ne s’applique qu’aux marques de commerce déposées et aux expressions comportant des fautes d’orthographe mineures. Selon Duracell, dans l’arrêt Veuve Clicquot, la Cour suprême a limité la portée de l’article 22 aux expressions comportant des fautes d’orthographe mineures, citant en exemple l’emploi du mot « Klenex » au lieu de « Kleenex ». Il n’a été fait mention que brièvement des éléments de preuve sur la perception des consommateurs.

[49]   L’avis de requête ne soulevait pas la question de savoir si, dans les faits, les expressions « la marque du lapin » et « l’autre marque concurrente la plus populaire » s’apparentaient suffisamment aux marques de commerce d’Energizer pour évoquer dans l’esprit des consommateurs le lien nécessaire entre les deux. En tranchant la question, la Cour fédérale a commis une erreur et ainsi privé Energizer de la possibilité de présenter ses arguments sur la question.

[50]  Il s’ensuit que j’accueillerais l’appel portant sur la portion du jugement de la Cour fédérale ayant rejeté les allégations formulées par Energizer fondées sur les alinéas 7a) et d) et le paragraphe 22(1) de la Loi sur les marques de commerce, relativement à l’emploi par Duracell de l’expression « l’autre marque concurrente la plus populaire ». De plus, je rejetterais l’appel incident par lequel Duracell demande une réparation qu’elle n’a pas mentionnée dans son avis de requête en jugement sommaire.

[51]  Avant de clore cette question, j’ajouterais simplement que, bien qu’un tribunal doive toujours prêter attention à la portée réelle des requêtes dont il est saisi, il convient d’accorder une attention particulière aux requêtes en jugement sommaire dans les cas où les accueillir empêche la présentation de tout autre élément de preuve ou argument sur une question à l’égard de laquelle une décision finale a été rendue.

[52]  Il reste maintenant à examiner la dernière question soulevée en appel par Energizer.

H.  La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en rejetant la demande de restitution des bénéfices présentée par Energizer en application du paragraphe 52(1) de la Loi sur la concurrence?

[53]  La Cour fédérale a rejeté la demande de restitution des bénéfices d’Energizer, au motif que le paragraphe 36(1) de la Loi sur la concurrence a pour effet, en droit, de limiter les réparations en cas de violation du paragraphe 52(1) de cette même loi au recouvrement du montant des pertes ou des dommages réellement subis par le demandeur.

[54]  Dans le présent appel, Energizer fait valoir que la Cour fédérale a commis une erreur en statuant sur une importante question de droit qui aurait dû être tranchée par le juge de première instance. Energizer invoque la décision Industrial Milk Producers Assn. c. Colombie-Britannique (Milk Board), [1989] 1 C.F. 463,1988 CanLII 5739 (CF) où, à l’égard d’une requête en radiation de certaines portions d’un acte de procédure, la Cour fédérale a conclu que la question de savoir si la version antérieure du paragraphe 36(1) limitait la réparation à l’octroi de dommages-intérêts était justiciable.

[55]  Je ne suis pas d’accord. Dans l’arrêt Apotex Inc. c. Merck & Co., 2002 CAF 210, [2003] 1 C.F. 242, notre Cour a expliqué que des questions de droit peuvent être tranchées dans le cadre d’une requête en jugement sommaire, à moins qu’elles ne reposent sur des éléments de preuve ou appellent des inférences. La question de savoir si le paragraphe 52(1) offre des réparations d’equity est une pure question de droit, qui peut être tranchée de façon satisfaisante sur requête en jugement sommaire. Il n’y aurait aucun avantage à reporter cette question au procès.

[56]  Je suis d’avis qu’il était justifié pour la Cour fédérale de rejeter la demande de restitution des bénéfices d’Energizer.

[57]  Le paragraphe 52(1) de la Loi sur la concurrence interdit à quiconque de donner au public, sciemment ou sans se soucier des conséquences, des indications fausses ou trompeuses sur un point important. Selon le paragraphe 36(1), toute personne qui subit une perte ou des dommages par suite de telles indications peut recouvrer « une somme égale au montant de la perte ou des dommages qu’elle est reconnue avoir subis, ainsi que toute somme supplémentaire que le tribunal peut fixer et qui n’excède pas le coût total [...] de toute enquête relativement à l’affaire et des procédures engagées en vertu du présent article ».

[58]  Le libellé du paragraphe 36(1) est clair et restrictif : la réparation prévue par la loi consiste en une indemnisation pour des pertes, des dommages et des coûts. La restitution des bénéfices n’y est pas prévue. Il s’agit d’une réparation fondée sur la restitution visant à dépouiller l’auteur d’un tort des gains ou des bénéfices acquis par un comportement fautif. Ni le contexte ni l’objet de cette disposition n’altèrent le sens clair de son libellé. La demande de restitution des bénéfices présentée au titre du paragraphe 52(1) a donc, à juste titre, été rejetée.

[59]  Cette conclusion est conforme à la jurisprudence de la Cour fédérale et de la Cour d’appel de Terre-Neuve-et-Labrador : Garford Pty et Atlantic Lottery Corporation Inc.-Société des loteries de l’Atlantique v. Babstock, 2018 NLCA 71, 29 C.P.C. (8th) 1, et à la jurisprudence qui y est mentionnée.

[60]  Il s’ensuit que je rejetterais l’appel dans la mesure où il porte sur la portion du jugement de la Cour fédérale ayant rejeté la demande de restitution des bénéfices présentée par Energizer au titre du paragraphe 52(1) de la Loi sur la concurrence.

Conclusion

[61]  Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel en partie et j’annulerais le jugement de la Cour fédérale. Rendant le jugement qui aurait dû être prononcé, je rejetterais la requête en jugement sommaire de Duracell, sauf en ce qui a trait à la demande de restitution des bénéfices présentée par Energizer au titre du paragraphe 52(1) de la Loi sur la concurrence. Je rejetterais la demande de restitution des bénéfices présentée par Energizer en application du paragraphe 52(1) de la Loi sur la concurrence.

[62]  Je rejetterais l’appel incident.

[63]  J’ordonnerais à Duracell de payer à Energizer les dépens afférents à la requête en jugement sommaire devant la Cour fédérale, quelle que soit l’issue de la cause, ainsi que les dépens afférents aux présents appel et appel incident.

[64]  Enfin, la réparation demandée par Energizer en appel se limite aux demandes voulant que le jugement de la Cour fédérale soit annulé et que la requête en jugement sommaire soit rejetée. Comme l’a fait valoir l’avocat de Duracell durant la plaidoirie, la question du bien-fondé de la conclusion de la Cour fédérale, selon laquelle l’emploi des expressions « la marque du lapin » et « l’autre marque concurrente la plus populaire » pourrait mettre en jeu les alinéas 7a) et d) et le paragraphe 22(1) de la Loi, n’a pas été soumise à notre Cour. En conséquence, cette question devra être tranchée par la Cour fédérale.

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

David Stratas, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Judith Woods, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-357-18

 

 

INTITULÉ :

ENERGIZER BRANDS, LLC ET ENERGIZER CANADA, INC. c. THE GILLETTE COMPANY, DURACELL CANADA, INC., DURACELL U.S. OPERATIONS, INC. ET PROCTER & GAMBLE INC.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 janvier 2020

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE WOODS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 février 2020

 

COMPARUTIONS :

Warren Sprigings

Mingquan Zhang

 

Pour les appelantes

 

Henry Lue

Thomas Kurys

 

Pour les intimées

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sprigings Intellectual Property Law

Toronto (Ontario)

 

Pour les appelantes

 

Wilson Lue LLP

Toronto (Ontario)

Pour les intimées

 

 

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