Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20200219


Dossier : A-102-19

Référence : 2020 CAF 48

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LOCKE

 

 

ENTRE :

TREVOR THOMAS LANGEVIN

demandeur

et

 

AIR CANADA

ASSOCIATION INTERNATIONALE DES MACHINISTES ET DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DE L’AÉROSPATIALE (AIMTA)

défenderesses

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 6 février 2020.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 19 février 2020.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LOCKE

 


Date : 20200219


Dossier : A-102-19

Référence : 2020 CAF 48

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LOCKE

 

 

ENTRE :

TREVOR THOMAS LANGEVIN

demandeur

et

 

AIR CANADA

ASSOCIATION INTERNATIONALE DES MACHINISTES ET DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DE L’AÉROSPATIALE (AIMTA)

défenderesses

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE RENNIE

[1]  La présente demande de contrôle judiciaire découle d’une décision du Conseil canadien des relations industrielles datée du 22 novembre 2018 (CIRB LD 4061). Dans sa décision, le Conseil a refusé de réexaminer son rejet de la plainte du demandeur selon laquelle la défenderesse, l’Association internationale des machinistes et des travailleurs de l’aérospatiale (le syndicat), a manqué à son devoir de juste représentation aux termes de l’article 37 du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2 (le Code). Cette plainte a été déposée dans le cadre d’un grief concernant le congédiement du demandeur (M. Langevin) de son poste à Air Canada. Pour les motifs suivants, je rejetterais la présente demande.

[2]  Aux termes du paragraphe 22(1) du Code, les décisions du Conseil sont définitives. Toutefois, selon l’article 18, le Conseil a le pouvoir discrétionnaire de réexaminer une décision antérieure. Le libellé de l’article 18 est large et non restreint :

Réexamen ou modification des ordonnances

18  Le Conseil peut réexaminer, annuler ou modifier ses décisions ou ordonnances et réinstruire une demande avant de rendre une ordonnance à son sujet.

Review or amendment of orders

18  The Board may review, rescind, amend, alter or vary any order or decision made by it, and may rehear any application before making an order in respect of the application.

[3]  La jurisprudence du Conseil, comme l’a confirmé la Cour, est constante : le réexamen ne constitue ni un appel ni un nouvel examen de la décision initiale (Williams c. Section Locale 938 de la Fraternité Internationale des Teamsters, 2005 CAF 302). Les comités de réexamen ne réévaluent pas la décision initiale, ne substituent pas leur propre appréciation de la preuve à celle du décideur initial et n’interviennent pas non plus simplement parce qu’ils auraient pu exercer leur pouvoir discrétionnaire différemment (Association des réalisateurs c. Société Radio-Canada, 2015 CCRI 763; Syndicat des communications de Radio-Canada (FNC-CSN) c. Mme Z, 2015 CCRI 752).

[4]  Ces principes soutiennent les critères d’irrévocabilité et de certitude, qui sont des valeurs importantes dans le milieu de travail. Par conséquent, la jurisprudence du Conseil limite le pouvoir de réexamen à des cas exceptionnels, notamment :

1)  lorsqu’il existe des faits qui n’auraient pas pu être portés à l’attention du comité initial et qui auraient pu persuader le Conseil de tirer une conclusion différente;

2)  les erreurs de droit ou de politique générale qui remettent en cause l’interprétation du Code; et

3)  le non-respect d’un principe de justice naturelle.

[5]  Le Conseil initial a estimé que le syndicat n’avait pas manqué à son devoir de représenter équitablement M. Langevin. Plus précisément, il a conclu que M. Langevin ne s’était pas acquitté de la charge qui lui incombait de démontrer que le syndicat avait agi de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi.

[6]  Le Conseil a rejeté la demande de réexamen de M. Langevin au motif qu’elle ne satisfaisait pas aux critères de réexamen pour l’un des trois motifs susmentionnés.

[7]  Le Conseil a estimé que les nouveaux éléments de preuve que M. Langevin lui avait présentés lors du réexamen (qui consistait en un prétendu règlement dans une affaire judiciaire, sans rapport avec la question et suivant une décision arbitrale, ainsi que des comptes rendus d’une séance de conseil à laquelle M. Langevin avait participé) ne répondaient pas aux critères applicables aux nouveaux éléments de preuve. Le Conseil a mis en doute la pertinence du dossier de consultation et a noté que, même s’il était pertinent, il était antérieur à la décision initiale du Conseil et aurait pu être déposé en preuve à ce moment-là. Le Conseil a également observé que les éléments de preuve concernant un règlement dans cette affaire non liée ont été présentés afin de montrer qu’un jugement arbitral pouvait être évité ou résolu par d’autres mécanismes. Une fois de plus, le Conseil a conclu que ces éléments de preuve n’étaient pas pertinents. Le Conseil a également estimé que ces éléments de preuve se rapportaient au privilège de règlement et ne constituaient pas un motif de réexamen.

[8]  En ce qui concerne le deuxième motif, le Conseil a conclu que le demandeur n’avait pas relevé d’erreurs précises de droit ou de politique générale, ni d’erreurs remettant en cause la compréhension du Code par le comité initial. Le Conseil a expliqué que son rôle dans l’examen d’une plainte au titre de l’article 37 consistait à examiner la conduite du syndicat et non la décision d’arbitrage sous-jacente. Il a examiné la question de savoir si le Conseil initial avait appliqué le fardeau de présentation de la preuve adéquat et si le demandeur s’était acquitté de la charge qui lui incombait d’établir une violation du devoir de juste représentation. Le Conseil a réitéré sa conclusion que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau de présentation de la preuve qui lui incombait en démontrant que le syndicat avait agi de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi. Il a également conclu que les allégations du demandeur concernant la coercition et la collusion du syndicat n’étaient pas étayées par les éléments de preuve présentés.

[9]  En ce qui concerne la justice naturelle, le Conseil a observé que le demandeur n’avait pas précisé quel principe de justice naturelle ou d’équité procédurale avait été violé ou comment le comité initial avait manqué à ce principe.  Le Conseil a néanmoins abordé deux questions soulevées par le demandeur qui semblaient être liées à la justice naturelle : le manque d’accès du demandeur à une représentation par avocat et l’allégation selon laquelle la décision de l’arbitre était partiale.

[10]  En ce qui concerne la première question, le Conseil a conclu que l’absence de représentation par avocat de la part du demandeur ne constituait pas un manquement à l’équité procédurale. Quant à la seconde question, le Conseil a réitéré que son rôle n’est pas de remettre en cause les conclusions de l’arbitre ou de se prononcer sur son impartialité. Le rôle du Conseil consiste à examiner la conduite du syndicat, ce qu’elle a fait.

[11]  La norme de la décision correcte est la norme de contrôle qui doit s’appliquer pour déterminer si une décision a été prise dans le respect de l’équité procédurale (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 R.C.F. 121 au para. 34); en appliquant cette norme de contrôle, je ne vois aucune raison d’intervenir dans l’examen par le Conseil de la question de l’équité procédurale.

[12]  Je conclus que la décision du comité de réexamen est raisonnable. Elle est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et rationnel et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles fait face le décideur (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 aux para. 85, 101 et 102). La Cour n’a, par conséquent, aucune raison d’intervenir en ce qui concerne la décision du Conseil.

[13]  Cela étant dit, je dois émettre un commentaire sur un élément des motifs du Conseil.

[14]  Air Canada a présenté de nouveaux renseignements à l’arbitre après l’audience. Le syndicat a reçu une copie de cette communication. Dès réception de l’information, l’arbitre a, à son tour, informé Air Canada et le syndicat qu’il rouvrirait l’audience si les parties en faisaient la demande. Le syndicat n’a formulé aucune observation sur le contenu de la lettre et n’a pas demandé la réouverture de l’audience. Le syndicat a toutefois corrigé l’affirmation contenue dans la communication d’Air Canada avec l’arbitre selon laquelle le demandeur avait enfreint une directive de l’arbitre lui enjoignant de ne pas communiquer avec la compagnie, notant qu’aucune directive de ce type n’avait été émise.

[15]  Les éléments de preuve contenus dans cette lettre ont été utilisés par l’arbitre dans sa décision. L’arbitre écrit ce qui suit :

[traduction]

Il a également été prouvé que l’employeur avait ordonné à M. Langevin de ne pas avoir de contact avec l’auteur du grief, mais il l’a fait à deux reprises, notamment après l’audience, lorsque, le 18 décembre, il a envoyé une lettre qui contenait toutes les allégations contenues dans ses déclarations, adressée à la fois à AB et à son mari.

[16]  Le comité de réexamen a adopté, comme siens, les motifs du Conseil initial dans son examen de l’effet des nouveaux éléments de preuve. Il a longuement cité la décision du Conseil :

[traduction]

D’abord, le plaignant allègue que la communication des éléments de preuve supplémentaires par l’employeur à l’arbitre après la fin de l’audience d’arbitrage était une « erreur de procédure » et que, par conséquent, la décision devrait être annulée. Dans ce volet de sa plainte, M. Langevin semble suggérer que son syndicat n’est pas intervenu le 18 décembre 2015.

Contrairement aux allégations de M. Langevin, le dossier montre que le syndicat a reçu une copie de la lettre envoyée à l’arbitre le 18 décembre 2015, et que l’arbitre lui a également donné la possibilité, dans son courriel daté du 29 décembre 2015, de fournir d’autres observations, droit que le syndicat a choisi de ne pas exercer. En outre, l’arbitre a également informé les parties qu’il pouvait prendre des mesures si elles souhaitaient « rouvrir l’audience »; il semble que les parties n’aient pas choisi de le faire.

[…]

Comme les éléments de preuve ne révèlent aucun fait exceptionnel, le Conseil n’examinera pas, dans le cadre de la présente plainte pour manquement au devoir de juste représentation, la manière dont le syndicat a traité l’affaire ou la manière dont il aurait dû traiter les éléments de preuve relatifs aux événements ultérieurs, et ne s’interrogera pas à ce sujet. Comme le Conseil l’a indiqué précédemment, c’est au syndicat et à son avocat ou représentant, et non au plaignant, qu’il appartient de prendre les décisions finales, par exemple en ce qui concerne les témoins à appeler et les arguments à présenter à l’arbitre. Le Conseil estime que les éléments de preuve présentés ne soutiennent pas l’affirmation du plaignant selon laquelle le syndicat a agi de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi. Le syndicat a examiné les preuves et a décidé de ne pas formuler de commentaire à ce sujet. Il n’appartient pas au Conseil d’intervenir ou de remettre en question la décision et la stratégie du syndicat à cet égard.

En outre, le fait que le syndicat n’ait pas informé le plaignant de ces éléments de preuve ne change rien; c’était au syndicat qu’il revenait de prendre une décision et le plaignant n’a subi aucun préjudice du fait que le syndicat ne l’a pas informé de la lettre déposée par l’employeur.

[17]  Le Conseil a ensuite conclu :

[traduction]

L’analyse qui précède ne révèle aucune erreur de droit ou de politique générale de la part du Conseil. L’analyse du comité initial est conforme à la jurisprudence applicable au devoir de juste représentation relativement à la conduite du syndicat lors de l’arbitrage. Comme l’indique à juste titre le Conseil dans sa décision initiale, celui-ci a un rôle très limité lorsqu’il examine la conduite du syndicat lors de l’arbitrage et il n’examinera pas « à la loupe » la conduite du syndicat (voir la décision Bayers, 2008 CCRI 416)

[18]  Les motifs du Conseil à cet égard testent les limites de la cohérence et de la justification. Ils n’expliquent pas comment le Conseil a conclu que le défaut de présenter des observations et d’informer le demandeur des nouveaux éléments de preuve n’ont causé aucun préjudice à M. Langevin, alors que l’arbitre a estimé qu’il était suffisamment important d’inclure ces éléments de preuve dans ses motifs. Cela revient à l’affirmation « passe-partout » et catégorique selon laquelle une plainte relative au devoir de représentation équitable ne mène pas à un examen microscopique de la conduite de l’avocat. D’après le raisonnement suivi par le Conseil, si toutes les questions de stratégie et de jugement sont en dehors du champ d’application du devoir de juste représentation, il n’est pas clair en quoi consiste le devoir de juste représentation, ni s’il a un contenu et peut être enfreint.

[19]  Cela dit, la justice administrative n’est pas la justice judiciaire (arrêt Vavilov aux para. 91 à 98). Bien qu’il aurait été hautement souhaitable que le Conseil apporte des précisions sur ce point dans ses motifs, l’examen de l’ensemble du dossier et la lecture de la décision arbitrale suggèrent qu’une réponse du syndicat n’aurait guère été utile. Le fait essentiel tiré par l’arbitre (que M. Langevin a continué à communiquer avec des personnes mises en cause dans cette affaire, même après qu’Air Canada lui ait demandé de ne pas le faire) a été et demeure non démenti. M. Langevin n’a pas suggéré ce qui, selon lui, constituait le type de réponse que le syndicat aurait pu formuler et qui lui aurait été utile. Je ne considère donc pas que les motifs, aussi insuffisants soient-ils, constituent une erreur susceptible de révision.

[20]  Devant notre Cour, le demandeur soulève deux nouveaux arguments. D’abord, il fait valoir que son incapacité à accéder à une représentation par avocat viole l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11. Il réitère l’allégation selon laquelle l’arbitrage était partial et l’arbitre n’était pas suffisamment indépendant d’Air Canada.

[21]  Ces arguments ne justifient pas l’intervention de notre Cour. Il est bien connu que, lorsque le défendeur n’a pas eu la possibilité de déposer les éléments de preuve nécessaires pour répondre à une question constitutionnelle en appel, notre Cour n’accueillera pas d’arguments constitutionnels (Hérold c. Canada, 2013 CAF 19 au para. 7; Nation crie de Little Red River No. 447 c. Laboucan, 2011 CAF 87 au para. 1). Quant aux allégations de partialité et de manque d’indépendance exprimées par le demandeur, elles ne sont pas étayées par le dossier.

[22]  En conséquence, je rejetterais la demande de contrôle judiciare avec dépens.

« Donald J. Rennie »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny j.c.a. »

« Je suis d’accord.

George R. Locke j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


(DEMANDE PRÉSENTÉE EN APPLICATION DU PARAGRAPHE 18.1(1) DE LA LOI SUR LES COURS FÉDÉRALES, L.R.C. 1985, ch. F-7)

DOSSIER :

A-102-19

 

 

INTITULÉ :

TREVOR THOMAS LANGEVIN c. AIR CANADA

ASSOCIATION INTERNATIONALE DES MACHINISTES ET DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DE L’AÉROSPATIALE (AIMTA)

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 février 2020

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 19 février 2020

 

COMPARUTIONS :

Trevor Thomas Langevin

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Elichai Shaffir

 

Pour la défenderesse, l’AIMTA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cavalluzzo, s.r.l.

Pour la défenderesse, l’AIMTA

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.