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Date: 20200107


Dossier : A-481-19

Référence : 2020 CAF 3

[TRADUCTION FRANÇAISE]

En présence de monsieur le juge Nadon

ENTRE :

WESTERN OILFIELD EQUIPMENT RENTALS LTD.

et

MARANGONI INC.

appelantes

et

M-I L.L.C.

intimée

Audience tenue par téléconférence à Ottawa, Calgary et Toronto le 30 décembre 2019.

Motifs de l’ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 7 janvier 2020

VERSION PUBLIQUE DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE NADON

 


Date : 20200107


Dossier : A-481-19

Référence : 2020 CAF 3

En présence de monsieur le juge Nadon

ENTRE :

WESTERN OILFIELD EQUIPMENT RENTALS LTD.

et

MARANGONI INC.

appelantes

et

M-I L.L.C.

intimée

VERSION PUBLIQUE DE L’ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]  Le 30 décembre 2019, j’ai entendu d’urgence une requête présentée par les appelantes sur le fondement de l’article 50 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F-7 (la Loi), en suspension provisoire d’un jugement (le jugement) rendu par le juge O’Reilly de la Cour fédérale (le juge) le 23 décembre 2019 (2019 FC 1606) suivant lequel les appelantes avaient contrefait le brevet canadien 2 664 173 (le brevet 173) et avaient incité sa contrefaçon. À l’issue d’une audience tenue par téléconférence, d’une durée de trois heures, j’ai informé les parties que je rendrais mon jugement le lendemain. Le 31 décembre 2019, j’ai signé une ordonnance rejetant la requête des appelantes et indiqué que les motifs suivraient. Les motifs pour lesquels j’ai rejeté la requête des appelantes sont énoncés dans le présent document.

[2]  En raison de sa conclusion selon laquelle les appelantes avaient contrefait le brevet 173 et incité sa contrefaçon, le juge a accordé une injonction à l’intimée et a ordonné la remise de certains éléments. En outre, le juge a condamné les appelantes aux dommages-intérêts et à des dépens qui pourraient s’établir à plus de 5 millions de dollars.

[3]  Les appelantes ont fait appel du jugement. Leur avis d’appel soulève des questions de droit qui, selon elles, sont sérieuses et ne sauraient en aucun cas être considérées comme étant vexatoires ou frivoles.

[4]  Les appelantes soutiennent également que, sans l’octroi d’une suspension provisoire, elles subiront un préjudice irréparable pour lequel elles ne pourront être indemnisées par des dommages-intérêts. Plus précisément, les appelantes affirment notamment que leurs avoirs, qui sont grevés de sûretés, sont insuffisants pour leur permettre d’acquitter l’ordonnance pécuniaire. Elles font valoir qu’à défaut d’une suspension, leurs créanciers réaliseront la sûreté détenue en garantie et elles deviendront insolvables. Ainsi, selon les appelantes, sans la suspension de l’exécution du jugement, elles ne pourront pas poursuivre leur activité, ce qui les conduira inévitablement à la faillite. Par conséquent, les appelantes ne pourront pas poursuivre leur appel.

[5]  Ainsi, les appelantes sollicitent la suspension de l’exécution du jugement par voie d’ordonnance provisoire, en attendant l’audition de leur requête interlocutoire, et le prononcé d’une ordonnance, jusqu’à ce que la Cour se prononce sur leur appel.

[6]  Le critère applicable en l’espèce est énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, 1994 CanLII 117 [RJR-MacDonald]. Il s’agit d’un critère en trois étapes qui exige, en l’espèce, que les appelantes convainquent la Cour de ce qui suit :

  • 1) l’appel soulève une question sérieuse;

  • 2) elles subiront un préjudice irréparable si la suspension n’est pas accordée;

  • 3) la prépondérance des inconvénients joue en leur faveur.

[7]  Il est de droit commun que les appelantes doivent satisfaire à ces trois volets (Janssen Inc. c. Abbvie Corporation, 2014 CAF 112, [Janssen], par. 13 à 17).

[8]  Abordons le premier volet du critère, qui exige des appelantes qu’elles démontrent que leur appel soulève une question sérieuse. Dans l’arrêt RJR-MacDonald, à la page 337 de ses motifs, la Cour suprême indique clairement que « [l]es exigences minimales ne sont pas élevées ». Autrement dit, dès lors que la Cour est convaincue que le recours n’est ni vexatoire ni frivole, elle examine les deuxième et troisième volets du critère. Que la Cour estime que la partie qui sollicite la suspension aura gain de cause ou non dans l’appel n’est pas pertinent. Pour citer la Cour suprême à la page 338 : « [i]l n’est en général ni nécessaire ni souhaitable de faire un examen prolongé du fond de l’affaire ».

[9]  Malgré les arguments convaincants de Me Crain en faveur de l’intimée, je suis convaincu que les appelantes ont satisfait au premier volet du critère, du moins en ce qui concerne la question relative à l’interprétation du brevet 173. Je ne peux évidemment pas dire à la présente étape si l’appel sera accueilli ou non. Toutefois, je suis convaincu, au vu des éléments dont je suis saisi, que l’appel n’est ni frivole ni vexatoire.

[10]  Abordons ensuite le deuxième volet du critère, à savoir si les appelantes subiront un préjudice irréparable si je n’accorde pas la suspension provisoire qu’elles sollicitent. Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincu que la preuve à l’appui de la requête démontre que les appelantes subiront un préjudice irréparable si la suspension n’est pas accordée. Plus précisément, comme je l’explique ci-après, j’estime que la preuve présentée par les appelantes est très insatisfaisante.

[11]  Je commence par les remarques de mon collègue, le juge Stratas, qui figurent au paragraphe 24 de l’arrêt Janssen, où il expose sa compréhension du deuxième volet du critère :

Quant au volet du préjudice irréparable, le requérant doit établir de manière détaillée et concrète qu’il subira un préjudice réel, certain et inévitable — et non pas hypothétique et conjectural — qui ne pourra être redressé plus tard : Première nation de Stoney c. Shotclose, 2011 CAF 232, aux paragraphes 47 à 49; Laperrière c. D. & A. MacLeod Company Ltd., 2010 CAF 84, aux paragraphes 14 à 22; Gateway City Church c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 126, aux paragraphes 14 à 16; Glooscap Heritage Society, précité, au paragraphe 31; Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l’information), 2001 CAF 25, au paragraphe 12. Encore une fois, il serait étrange qu’une partie faisant valoir un préjudice qu’elle a elle‑même causé, un préjudice qu’elle aurait pu ou pourrait encore éviter ou un préjudice auquel elle aurait pu ou pourrait encore remédier, puisse justifier un redressement de si grave portée. Il serait de même étrange que de vagues hypothèses et de simples affirmations, plutôt que des éléments de preuve détaillés et précis, puissent justifier un redressement aussi important.

[12]  Je souscris entièrement à l’interprétation que le juge Stratas fait du deuxième volet du critère énoncé dans l’arrêt RJR-MacDonald.

[13]  Les appelantes ont produit deux affidavits. Le premier a été souscrit par M. Nic Stanton, directeur des opérations de l’appelante Western Oilfield Equipment Rentals Ltd. (Western). Le second l’a été par Mme Cathy Konski, contrôleuse chez Western.

[14]  Pour les besoins de l’espèce, il me suffit d’examiner l’affidavit de Mme Konski, qui traite de la situation financière des appelantes, et plus précisément de celle de Western. En effet, Mme Konski affirme que Western n’a pas d’argent et qu’elle est incapable, quel que soit le sort de l’instance, de s’acquitter de ses obligations financières. Sa preuve est claire : Western ne peut exécuter la décision.

[15]  Il ressort du témoignage de Mme Konski que Western a survécu parce que sa banque a été disposée à lui offrir des facilités de crédit et que deux sociétés de capital-risque ont injecté des liquidités à différents moments. Il ne fait pas de doute que, sans l’« aide » apportée par la banque et les sociétés de capital-risque, Western n’aurait pas survécu jusqu’à présent.

[16]  Dans son affidavit, Mme Konski soutient qu’à partir du 2 janvier 2020, les facilités de crédit de Western auprès de la banque passeront de |||||||||||||||| $ à |||||||||||||||| $. Je note également qu’avant le 20 janvier 2017, la marge de crédit consentie par la banque était de |||||||||||||||||| $ et qu’elle a été réduite pour s’établir à |||||||||||||||| $ en janvier 2017. À l’heure actuelle, Western doit à sa banque |||||||||||||||||||||| $.

[17]  Selon Mme Konski, si Western informe sa banque du jugement contre les appelantes, il est probable que la banque réalisera sa sûreté sur les actifs de Western. Il semble que la banque, au moment de l’audience, n’avait pas été informée du prononcé du jugement, ce qui m’amène à supposer que si la banque avait été informée du jugement, elle aurait pu, indépendamment de la possibilité d’une suspension, encaisser l’avance de |||||||||||||||||||||| $ de Western et réaliser sa sûreté. Je ne peux que conjecturer sur ce point, faute de renseignement de la part des appelantes.

[18]  Ajoutons que, si les appelantes ont pris connaissance du jugement le 5 décembre 2019, lorsqu’elles ont reçu une ébauche de l’ordonnance et des motifs de la Cour fédérale afin d’assurer la confidentialité du jugement à rendre, elles ont eu amplement le temps de produire un affidavit de leur banque exposant sa position après le prononcé du jugement et sa position au cas où la suspension ne serait pas accordée.

[19]  Dans les circonstances, une telle preuve est, à mon humble avis, nécessaire, voire essentielle, lorsqu’il s’agit de décider si le refus de la suspension provisoire emportera un préjudice irréparable ou si ce préjudice s’est déjà produit. J’estime donc que l’absence d’un tel renseignement affaiblit considérablement l’argument des appelantes sur le préjudice irréparable. Pour être franc, les renseignements que seule la banque pouvait fournir étaient, à mon avis, essentiels à une décision.

[20]  Passons aux renseignements qui auraient pu être fournis à la Cour par les sociétés de capital-risque. Je tire une conclusion semblable à ma conclusion sur les renseignements qui auraient dû être fournis par la banque des appelantes.

[21]  Selon Mme Konski, ces sociétés, qui ont jusqu’à présent avancé |||||||||||||| $ ( | |||| |  | || |   $ et |||||||||||||||| $) à Western, ne financeront plus Western si cette dernière ne peut générer des revenus au motif que la suspension ne lui est pas accordée. Mme Konski soutient qu’elle a été informée de cette situation par le directeur général des sociétés de capital-risque.

[22]  À mon avis, ces éléments de preuve sont totalement insatisfaisants. La preuve fournie par Mme Konski constitue du ouï-dire. Dans les circonstances, étant donné que les appelantes avaient amplement le temps de produire une preuve concernant les sociétés de capital-risque, je ne suis pas disposé à ajouter foi à la preuve de Mme Konski.

[23]  À l’instar de ma conclusion sur les renseignements que la banque aurait dû être invitée à fournir dans un affidavit, j’estime que les appelantes auraient dû demander au directeur général des sociétés de capital-risque de souscrire un affidavit exposant leur position en ce qui concerne le financement de Western, tout particulièrement en ce qui concerne l’incidence du jugement sur leurs décisions de financement et l’effet d’une suspension du jugement sur leur position.

[24]  En outre, l’absence de renseignements sur la position des sociétés de capital-risque affaiblit considérablement l’argument des appelantes sur le préjudice irréparable. En fin de compte, je suis amené à conclure que les appelantes ne se sont pas acquittées de la charge qui leur incombait de démontrer qu’un préjudice irréparable leur serait causé si je refusais de leur accorder une suspension provisoire.

[25]  Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la demande de sursis provisoire des appelantes doit être rejetée.

« M. Nadon »

j.c.a.

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-481-19

INTITULÉ :

WESTERN OILFIELD EQUIPMENT RENTALS LTD. et MARANGONI INC. c. M-I L.L.C.

 

 

REQUÊTE JUGÉE PAR TÉLÉCONFÉRENCE SANS COMPARUTION DES PARTIES

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIence :

Le 30 décembre 2019

 

VERSION PUBLIQUE DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE NADON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 7 janvier 2020

 

COMPARUTIONS :

Patrick Stewart Smith

R. Nelson Godfrey

 

POUR LES APPELANTES

 

Kirsten T. Crain

POUR L’INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GOWLING WLG

Calgary (Alberta)

Toronto (Ontario)

 

Pour les appelantes

 

BORDEN LADNER GERVAIS S.E.N.C.R.L., S.R.L.

Ottawa (Ontario)

 

Pour l’intimée

 

 

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