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Date : 20200319


Dossier : A-407-18

Référence : 2020 CAF 64

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

HONEY FASHIONS LTD

intimée

Audience tenue à Montréal (Québec), le 6 novembre 2019.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 19 mars 2020.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE GLEASON

 


Date : 20200319


Dossier : A-407-18

Référence : 2020 CAF 64

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

HONEY FASHIONS LTD

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DE MONTIGNY

[1]  La Cour est saisie de l’appel d’un jugement du juge Zinn de la Cour fédérale (le juge de première instance) prononcé le 7 novembre 2018, qui a accueilli deux demandes de contrôle judiciaire présentées par Honey Fashions Ltd. (Honey Fashions ou l’intimée). La Cour fédérale a annulé les décisions de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), qui a rejeté les demandes de remise de droits de douane présentées par Honey Fashions en vertu du Décret de remise sur les textiles et vêtements (2014), DORS/2014-278 (le décret de 2014).

[2]  La question centrale est de savoir s’il était déraisonnable que l’ASFC revienne apparemment sur une pratique administrative et rejette la demande de changement de nom visant à désigner Honey Fashions comme importateur officiel de marchandises qui avaient été précédemment importées par d’autres, afin que Honey Fashions puisse obtenir des remises dans le cadre du programme auquel appartient le décret de 2014. Pour les motifs qui suivent, j’estime, à la lumière de l’arrêt de la Cour suprême Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov), que la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en annulant ces deux décisions de l’ASFC. L’appel devrait donc être rejeté.

I.  Faits

[3]  Toutes les marchandises importées au Canada sont assujetties à la Loi sur les douanes, L.R.C.(1985), ch. 1 (2e suppl.), au Tarif des douanes, L.C. 1997, ch. 36, à la Loi de 2001 sur l’accise, L.C. 2002, ch. 22, à la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, et à la Loi sur les mesures spéciales d’importation, L.R.C. (1985), ch. S-15, en application desquels les droits de douane et les taxes sont établis. Toutefois, le gouverneur en conseil peut, sur recommandation du ministre responsable, accorder une remise visant tout ou partie des droits de douane au moyen d’un décret de remise.

[4]  En 1988, le ministère des Finances a présenté une série de décrets de remise destinés à aider les fabricants canadiens de textiles et de vêtements aux prises avec une concurrence internationale accrue. Ce programme permettait aux entreprises énumérées (entreprises admissibles) d’importer certaines marchandises en franchise de droits, sous réserve du respect des conditions énoncées dans les décrets. Ainsi, les fabricants canadiens pourraient rationaliser leur production en se spécialisant dans quelques gammes seulement tout en obtenant des crédits de remise pour l’importation de marchandises complémentaires, ce qui leur permettrait de commercialiser une gamme complète de vêtements.

[5]  En 1997-1998, ces décrets ont été remplacés par des versions mises à jour par suite de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). La nouvelle version du programme fixait un plafond annuel de remises pour chaque entreprise énumérée, établi selon le montant total de remise que chaque fabricant avait reçu en 1995. Les six décrets de remise énumérés ci-dessous ont constitué le fondement du programme des DRTV :

  • Décret de remise des droits de douane sur les chemises à col façonné (1997) (DORS/97-291);
  • Décret de remise des droits de douane sur les tissus écrus pour vêtements de dessus (1998) (DORS/98-86);
  • Décret de remise des droits de douane sur les tissus pour chemises (1998) (DORS/98-87);
  • Décret de remise des droits de douane sur les vêtements de dessus (1998) (DORS/98-88);
  • Décret de remise concernant les blouses, les chemisiers et les coordonnés pour femmes (1998) (DORS/98-89);
  • Décret de remise des droits de douane sur les tissus pour vêtements de dessus (1998) (DORS/98-90).

[6]  De nombreux fabricants ont préféré se consacrer à la fabrication de textiles et de vêtements au Canada. Ils ne souhaitaient guère devenir des importateurs. Par conséquent, ils ont commencé à chercher des moyens de profiter des avantages du programme en tant que fabricants canadiens sans devoir créer ou agrandir une entreprise d’importation. Il appert que, pendant de nombreuses années, les fonctionnaires du ministère des Finances et de l’ASFC ont permis aux fabricants canadiens admissibles de conclure avec des importateurs canadiens des accords afin d’obtenir leurs droits de remise, pour tirer profit des avantages du programme de remise.

[7]  Comme preuve de cette pratique, l’intimée a déposé l’affidavit de Stephen Yanow, président d’une entreprise de fabrication de blouses qui a utilisé le programme des DRTV et dont l’activité principale entre 1998 et 2012 consistait à mettre en relation des fabricants canadiens admissibles avec des importateurs canadiens qui importaient des marchandises admissibles. Il a déclaré que les fonctionnaires du ministère des Finances approuvaient cette pratique et a joint comme pièce à son affidavit la note de service (à titre informatif) d’un fonctionnaire de ce ministère à cet égard. Le juge de première instance a cité cette note de service dans son intégralité au paragraphe 10 de ses motifs. Dans la note de service, la pratique émergente des « courtiers en droits de remise » est abordée et définie de la manière suivante :

[traduction]
Le « courtier en droits de remise » est un phénomène récent. Il s’agit de courtiers ou de consultants en douane qui identifient les fabricants qui n’ont pas utilisé tous leurs droits à l’importation. Contre paiement, ils localisent des importateurs intéressés à acheter le droit. Selon votre point de vue, ils fournissent essentiellement un service aux fabricants visant à localiser les importateurs disposés à acheter des droits excédentaires. De cette manière, les fabricants recevront une partie de la remise (sous forme d’argent) qu’ils ont gagnée mais qu’ils n’auraient pas utilisée autrement.

[Dossier d’appel, vol. 2, page 447.]

[8]  Le fonctionnaire a indiqué qu’une telle possibilité avait été envisagée au début du programme, et que cette pratique était conforme aux conditions énoncées dans les décrets de remise et la Loi sur les douanes :

[traduction]
Les responsables du ministère des Finances ont été informés, au début du programme, de la possibilité de vendre les droits et, dans l’état actuel des choses, la pratique est conforme aux conditions énoncées dans les décrets de remise et la Loi sur les douanes. (Les décrets ne précisent pas que l’importateur officiel doit être le propriétaire des marchandises importées. Les fabricants agissent simplement comme des mandataires pour le compte de tiers propriétaires et paient un droit remis – dont le bénéfice est transféré au propriétaire.) En fait, on pourrait soutenir que cela tient aux forces du marché.

[Dossier d’appel, vol. 2, page 448.]

[9]  Au cours de l’été 2010, l’ASFC a constaté des irrégularités dans son administration du programme des DRTV à l’égard du transfert des droits de remise entre plusieurs entreprises. Elle a suspendu le traitement de toutes les demandes concernant le programme des DRTV à l’automne 2010 et a procédé à un examen de l’assurance de la qualité (l’EAQ) du programme. Par conséquent, les demandes de Honey Fashions à l’égard de la remise des droits de douane sur les marchandises importées en 2006, 2007, 2008 et 2009 ont été suspendues.

[10]  L’EAQ a révélé trois erreurs par l’ASFC, notamment que cette dernière avait permis à tort à certaines entreprises admissibles de transférer leur droit de remise, vraisemblablement moyennant des frais, à d’autres entreprises. Une fois ces irrégularités décelées, l’ASFC a publié le Mémorandum D8-11-7 le 28 novembre 2012 (Politique de l’ASFC sur le transfert du droit de remise en vertu des décrets de remise sur les textiles et vêtements), qui explique le transfert du droit de remise des droits de douane prévu aux décrets de remise. On y explique que les droits d’un fabricant admissible ne peuvent être achetés, vendus ou transférés, mais qu’ils peuvent être réattribués de façon permanente à une autre entreprise si cette dernière acquiert ou achète le fabricant admissible ou prend autrement le contrôle de ses opérations.

[11]  Dans ce Mémorandum, on reconnaît en outre la possibilité de conclure des « ententes de partenariat ». Le paragraphe 5 est ainsi rédigé :

Sous réserve de certaines conditions, un fabricant de vêtements ou un producteur de tissus admissible (dont le nom figure dans l’annexe du décret), peut conclure une entente de partenariat avec une autre entreprise afin d’obtenir son attribution de remise intégrale pour une année donnée. Ainsi, l’entreprise admissible est l’importateur attitré des marchandises et l’autre entreprise est le propriétaire ou le destinataire des marchandises.

[12]  Une telle entente est assujettie à certaines conditions, notamment que l’entente soit finalisée et datée « avant que la mainlevée des marchandises importées soit accordée par l’ASFC » (Mémorandum D8-11-7, à l’alinéa 5b)).

[13]  Le paragraphe 6 du Mémorandum autorise aussi vraisemblablement une partie qui a importé des marchandises et qui a payé les droits applicables à être remplacée ultérieurement en tant qu’importateur officiel par un fabricant admissible, au moyen d’une demande de changement de nom. Une telle demande de changement de nom doit être faite en même temps et sur le même formulaire que la demande de remise par le fabricant admissible. Ce paragraphe est rédigé en partie ainsi :

Si des marchandises qui font l’objet d’une entente de partenariat et pour lesquelles une remise a été demandée, ou le sera, ont déjà été importées et déclarées en détail au nom de l’autre entreprise (c.‑à‑d. le propriétaire ou l’acheteur), il faudra alors modifier le nom de l’importateur avant que la remise ne soit approuvée. Dans de tels cas, une demande de changement de nom doit être présentée conformément aux directives énoncées dans le Mémorandum D17-2-3, Changement du nom/numéro de compte ou numéro d’entreprise de l’importateur de l’ASFC.

[14]  Dans le Mémorandum D17-2-3, mentionné dans le Mémorandum D8-11-7, est définie la procédure à suivre lorsqu’un changement de nom de l’importateur est nécessaire en raison d’une erreur de la part de l’importateur ou de l’ASFC. Aux termes de l’article 7.1 de la Loi sur les douanes, tous les renseignements fournis à l’ASFC doivent être « véridiques, exacts et complets ». Dans les paragraphes 14 à 22 de ce Mémorandum est définie la procédure à suivre en cas d’erreur sur la partie désignée comme importateur officiel lorsque l’importateur véritable peut se prévaloir des conditions, exemptions ou privilèges (notamment la remise de droits dans le cadre du programme des DRTV). L’article 22 prévoit que la demande de changement de nom doit être justifiée au moyen :

a) de documents (p. ex. des bons de commande, des factures commerciales, des chèques annulés, des télécopies, de la correspondance écrite) qui démontrent clairement l’intérêt du demandeur et son rôle dans l’importation;

b) d’une lettre de l’importateur officiel qui renonce [à] sa participation dans l’importation;

c) d’une explication claire et exhaustive de la raison pour laquelle la partie a été désignée comme l’importateur dans la déclaration en détail originale et de la raison pour laquelle l’importateur, le courtier ou le mandataire croit maintenant qu’une deuxième partie est l’importateur véritable.

[15]  L’ASFC a reconnu que les erreurs relevées dans l’EAQ lui incombaient entièrement. Puisque les fabricants énumérés à l’annexe 1 qui ont reçu des remises s’étaient fiés de bonne foi aux déclarations faites et aux autorisations délivrées par les fonctionnaires de l’ASFC et avaient pris des décisions commerciales en conséquence, l’ASFC a conclu qu’il serait injuste de révoquer les autorisations et de chercher à percevoir les droits de douane visés par la remise.

[16]  Pour remédier à la situation, le décret de 2014 a été pris. Il s’appliquait à l’administration du programme des DRTV de 2008 à 2012, année où il a pris fin. Le décret de 2014 visait à garantir que les fabricants admissibles énumérés à l’annexe 1 reçoivent la pleine remise à laquelle ils avaient droit jusqu’en 2012. La remise aux entreprises énumérées à l’annexe 1 du décret était assujettie aux conditions suivantes : a) les marchandises ont été importées au Canada entre le 1er janvier 2008 et le 31 décembre 2012; b) l’autorisation erronée de remise doit avoir été délivrée par l’ASFC au plus tard le 31 décembre 2012; c) une demande de remise est reçue par l’ASFC au plus tard à la date limite indiquée à l’annexe 2 du décret. Les conditions des six programmes de DRTV originaux et distincts ont également été intégrées au décret de 2014.

[17]  Honey Fashions est l’une des entreprises figurant à l’annexe 1 du décret de 2014. Trois de ses demandes de drawback sont pertinentes dans l’appel. Chacune d’entre elles était accompagnée d’une demande de changement de nom :

  • La demande 262903 concernait des marchandises importées en 2009. Elle a été déposée le 22 novembre 2010 – avant l’EAQ et avant le décret de 2014. Elle a été mise en suspens pendant l’examen et approuvée par Gilles Cormier, un fonctionnaire de l’ASFC, le 30 avril 2015;
  • La demande M270228 de 68 512,48 $, datée du 19 octobre 2016, relative aux importations de 2011 et visant à obtenir une remise en vertu du Décret de remise des droits de douane sur les vêtements de dessus;
  • La demande de drawback M270217 de 3 071 133,83 $, datée du 23 décembre 2016, portait sur des importations effectuées en 2012 et visait à obtenir une remise en vertu du Décret de remise concernant les blouses, les chemisiers et les coordonnés pour femmes.

[18]  Dans les deux derniers cas, il s’agit essentiellement de secondes tentatives, car les demandes de drawback antérieures avaient été refusées par l’ASFC en février et août 2016 ‑ au motif que les documents requis conformément au Mémorandum D17-2-3 n’avaient pas été fournis. Ces demandes étaient accompagnées de lettres et d’arguments supplémentaires, mais Honey Fashions n’a pas fourni les documents justificatifs requis par le Mémorandum pour ses demandes de changement de nom. Le 6 septembre 2017, un haut fonctionnaire de l’ASFC a rejeté ces deux demandes au motif que les documents fournis [traduction] « n’établissent pas clairement que le changement de nom résulte d’une erreur attribuable à l’importateur ou à l’[ASFC], ni que les conditions du Mémorandum D17-2-3 ont été respectées » (dossier d’appel, vol. 1, p. 175 et 292).

II.  La décision contestée

[19]  Appliquant la norme de la décision raisonnable, la Cour fédérale s’est prononcée en faveur de Honey Fashions. Estimant que la décision de refuser à Honey Fashions les remises accordées dans le cadre du programme des DRTV repose sur celle de ne pas accueillir les demandes de changement de nom, la Cour a fait porter son analyse sur cette dernière. Elle a conclu que cette décision n’était pas conforme au devoir d’équité de l’ASFC, en plus d’être arbitraire et déraisonnable.

[20]  La Cour fédérale a estimé que Honey Fashions avait une attente légitime, fondée sur une pratique régulière claire, nette et explicite, selon laquelle l’ASFC accepterait ses demandes de changement de nom et approuverait les demandes de drawback. En rejetant les demandes sans motifs détaillés en raison de ce que la Cour fédérale a qualifié de « modification de la procédure relativement au changement de nom de l’importateur officiel », l’ASFC a traité Honey Fashions de façon inéquitable (motifs, par. 43 à 48).

[21]  La Cour fédérale a également conclu que la décision de l’ASFC était déraisonnable, car elle était dépourvue de justification, de transparence et d’intelligibilité. Selon elle, il n’y avait aucune différence significative entre la demande de 2010 et celles de 2015 (déposées à nouveau en 2016). Tout en reconnaissant que les fonctionnaires de l’ASFC ne sont pas tenus au principe du stare decisis, la Cour fédérale a conclu que la décision d’accueillir la première demande, mais de rejeter les dernières sans explication supplémentaire était arbitraire, et donc déraisonnable.

III.  Questions en litige

[22]  À mon avis, la seule question à trancher est celle de savoir si le juge de première instance a mal appliqué la norme de la décision raisonnable aux décisions de l’ASFC. Les parties ont également contesté la décision du juge de première instance sur l’équité procédurale. Or, pour les motifs exposés ci-dessous, je ne pense pas qu’il faille l’aborder en l’espèce, ne serait-ce que parce qu’elle n’est vraisemblablement qu’une simple reformulation de la conclusion sur la décision raisonnable quant au fond.

[23]  La conclusion de la Cour fédérale selon laquelle l’ASFC a compétence pour déterminer l’identité de l’importateur de marchandises au Canada ne fait pas l’objet de l’appel.

IV.  Question préliminaire

[24]  Les appelants initiaux dans le présent appel étaient le procureur général du Canada et le président de l’Agence des services frontaliers du Canada; ils étaient les défendeurs dans la demande de contrôle judiciaire accueillie par la Cour fédérale.

[25]  Conformément à l’article 303 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, cependant, le procureur général du Canada aurait dû être le seul défendeur en Cour fédérale. Par conséquent, le procureur général du Canada doit être le seul appelant dans le présent appel devant notre Cour. L’intitulé devrait donc être modifié en conséquence, et le président de l’Agence des services frontaliers du Canada doit être mis hors cause.

V.  Analyse

[26]  Après l’audition du présent appel, la Cour suprême du Canada a prononcé l’arrêt Vavilov. Notre Cour a donc demandé aux parties de présenter des observations écrites supplémentaires concernant la norme de contrôle applicable. Il n’est pas contesté entre les parties que, lorsque notre Cour siège en appel du contrôle judiciaire par la Cour fédérale d’une décision administrative, notre tâche consiste à déterminer si le juge de première instance a correctement choisi la norme de contrôle appropriée et s’il l’a bien appliquée : Agraira c. Canada (Sécurité publique et protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, par. 45 à 47 [Agraira]. En l’espèce, les deux parties reconnaissent que la norme de la décision raisonnable demeure la norme de contrôle applicable.

[27]  Il est compréhensible que l’appelant et l’intimée s’arrêtent à différents aspects de la décision Vavilov. L’appelant reconnaît que le décideur qui s’écarte de pratiques de longue date ou de ses propres précédents doit expliquer son choix dans ses motifs. Or, selon l’appelant, l’ASFC n’a pas rompu avec ses pratiques de longue date, car elle a toujours examiné les demandes de changement de nom de l’importateur avec les demandes de remise dans le cadre du programme de DRTV. Selon l’appelant, la pratique de longue date de Honey Fashions consistant à soumettre après l’importation des demandes de changement de nom non étayées ne doit pas être confondue avec les décisions antérieures de l’ASFC de faire droit à de telles demandes non étayées.

[28]  Pour sa part, l’intimée affirme que les juges majoritaires dans l’arrêt Vavilov ont souligné l’importance de la justification dans les décisions administratives et la nécessité d’un contrôle plus rigoureux pour assurer la cohérence et écarter la menace de l’arbitraire. Par conséquent, selon l’intimée, la Cour fédérale a eu raison de s’attacher aux motifs de l’ASFC et à la nécessité pour cette dernière d’expliquer son brusque changement de politique. Invoquant le paragraphe 131 de l’arrêt Vavilov, l’intimée souligne que l’une des contraintes qui joue lorsqu’il s’agit de décider si une décision raisonnable est la nécessité de fournir des explications lorsqu’une décision déroge à des pratiques de longue date ou à une jurisprudence interne établie. Il va sans dire que Honey Fashions conteste les arguments de l’appelant selon lesquels les pratiques antérieures et la jurisprudence interne diffèrent.

[29]  À mon avis, l’intimée souligne à juste titre l’importance accordée par la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov à la justification d’une décision. Lorsque des motifs ont été fournis, la cour de révision doit accorder une attention particulière à ces motifs pour s’assurer que la décision est le résultat d’une « analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » (Vavilov, par. 85). En d’autres termes, les motifs peuvent être aussi importants que le résultat. Comme les juges majoritaires l’affirment au paragraphe 86 :

En somme, il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur doit également, au moyen de ceux‑ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique. Si certains résultats peuvent se détacher du contexte juridique et factuel au point de ne jamais s’appuyer sur un raisonnement intelligible et rationnel, un résultat par ailleurs raisonnable ne saurait être non plus tenu pour valide s’il repose sur un fondement erroné.

[30]  La Cour suprême dans l’arrêt Vavilov ordonne à la cour de révision d’examiner, outre les motifs fournis, la décision administrative pour décider si elle est raisonnable au regard des contraintes juridiques et factuelles qui encadrent le pouvoir discrétionnaire du décideur. Parmi les contraintes qui jouent lorsqu’il s’agit de décider si une décision est raisonnable figurent le régime légal applicable, les éléments de preuve dont disposait le décideur, les pratiques et la jurisprudence antérieures et l’incidence de la décision sur l’intéressé. J’aborde chacun de ces facteurs, car ils sont les plus pertinents pour la résolution de la présente instance.

[31]  Parce qu’ils exercent un pouvoir délégué, les décideurs administratifs doivent évidemment agir dans le cadre des pouvoirs qui leur sont conférés par la loi; par conséquent, le régime légal applicable est d’une importance cruciale lorsqu’il s’agit de déterminer si leurs décisions sont raisonnables. À cet égard, la marge d’appréciation accordée à un décideur joue tout particulièrement dans l’analyse servant à vérifier s’il a agi dans les limites de la loi.

[32]  En l’espèce, l’appelant fait valoir que les décisions de l’ASFC sont conformes à l’objet et à la portée du régime légal dans lequel elles s’inscrivent, à savoir l’article 7.1 de la Loi sur les douanes et les DRTV. Dans des situations comme celle-ci, le Mémorandum D8-11-7 ordonne aux parties de présenter des demandes de changement de nom « conformément aux directives énoncées dans le Mémorandum D17-2-3 [...] de l’ASFC ». Dans chaque demande de remise en cause, Honey Fashions a fourni des documents comptables qui désignaient une autre entreprise comme étant l’importateur des marchandises admissibles. Les demandes de drawback comprenaient des lettres dans lesquelles était souligné le mémorandum de l’ASFC sur les changements de nom de l’importateur, et indiquant qu’[traduction] « [u]ne mauvaise partie a été désignée comme importateur officiel » (affidavit de Tevel, dossier d’appel, vol. 1, onglet 7, pièce E, pages 332, 341-342, 351, 354 et 362)

[33]  Le Mémorandum D17-2-3 indique très clairement les documents devant appuyer une demande de changement de nom (voir le paragraphe 14 des présents motifs). Une entente de partenariat préalable à l’importation aurait constitué une preuve acceptable, ainsi que tout document établissant clairement la demanderesse à titre de véritable importateur. Honey Fashions n’a pas fourni les documents nécessaires; elle a plutôt tenté d’exciper d’une déclaration selon laquelle elle assumait les obligations d’importateur officiel avec le consentement de l’importateur original (dossier d’appel, vol. 1, p. 300 et 387).

[34]  Je suis d’accord avec l’appelant pour dire qu’aux termes de la Loi sur les douanes, l’ASFC doit vérifier si la personne qui fait exporter les marchandises au Canada est vraiment l’importateur avant d’approuver rétroactivement la demande de changement de nom d’un importateur. Une telle interprétation est conforme à l’article 7.1, qui exige que tous les renseignements fournis à l’ASFC soient véridiques, exacts et complets, et au sens ordinaire du terme « importateur ». On peut certainement faire valoir que, s’il est interdit à l’ASFC d’exclure la participation après l’importation et qu’elle est obligée d’accepter des demandes de changement de nom étayées par des accords de partenariat conclus après l’importation effective des marchandises au Canada, elle serait limitée dans l’exercice de ses fonctions réglementaires de vérification et contreviendrait à l’article 7.1 de la Loi sur les douanes.

[35]  Si les décisions faisant l’objet du contrôle étaient seulement évaluées à l’aune de leur conformité au régime légal complet en vertu duquel elles ont été prises, elles pourraient être jugées raisonnables. On peut soutenir que les décisions de l’ASFC sont conformes à la Loi sur les douanes et aux DRTV applicables. Ainsi, elles sont raisonnables dans l’abstrait.

[36]  L’intimée affirme cependant que les décisions contestées de l’ASFC ne respectent pas les pratiques et les décisions antérieures. S’appuyant sur des témoignages et des éléments de preuve documentaire, Honey Fashions fait valoir une pratique ministérielle uniforme de longue date consistant à accepter les changements de nom après l’importation sur le fondement d’accords de partenariat conclus après l’importation. Le juge de première instance a admis cet élément de preuve dans les termes suivants :

[47] Il ressort des éléments de preuve non contestés présentés à la Cour que Honey Fashions participe au programme des DRTV depuis sa création, qu’[elle] n’était pas un importateur de vêtements important, mais tirait pleinement parti de ses droits au titre du programme en devenant l’importateur officiel de marchandises précédemment importées par d’autres. [Elle] l’a fait en déposant un changement de nom auprès de l’ASFC pour s’enregistrer en tant qu’importateur officiel, avec l’accord de l’importateur original. Cette procédure a été acceptée et sans doute approuvée par l’ASFC. Jusqu’à ce que les décisions visées par le contrôle soient prises, [traduction] « les fonctionnaires de l’ASFC acceptaient systématiquement cet avis de changement de nom afin de changer l’importateur officiel et traitaient les demandes de remise de Honey Fashions au motif que Honey Fashions était l’importateur officiel ». La modification de la procédure relativement au changement de nom de l’importateur officiel a eu des conséquences graves pour Honey Fashions.

[37]   Dans ses premières observations, l’appelant souligne que le principe du stare decisis ne s’applique pas aux décideurs administratifs, et que ces derniers ne sont pas tenus d’expliquer les différences entre deux décisions. Après l’arrêt Vavilov, l’avocat a reconnu que les écarts par rapport aux pratiques de longue date ou aux précédents internes établis doivent dorénavant être expliqués, mais a fait valoir l’absence d’un pareil écart en l’espèce. Dans un argument quelque peu spécieux, l’avocat soutient que la pratique de l’ASFC relative aux demandes de remise de droits de douane n’a pas changé parce que sa décision d’accepter le changement de nom n’est pas une pratique, mais un résultat concret. Pour citer ses observations écrites (au paragraphe 6 de sa lettre du 31 janvier 2020), [traduction] « [e]ssentiellement, Honey Fashions confond sa prétendue pratique de longue date, consistant à soumettre des demandes de changement de nom après l’importation sans preuve à l’appui, avec les décisions antérieures de l’ASFC d’accepter sa demande sans preuve à l’appui ». À mon avis, il s’agit d’une distinction vide de sens et, partant, d’un argument sans fondement.

[38]  Tout d’abord, je note que, dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême traite comme un tout les « pratiques et décisions antérieures », et se préoccupe davantage de la nécessité de cohérence et de justification que de la sémantique. Ce qui importe, c’est que des cas semblables soient traités de la même manière et que les résultats ne dépendent pas de l’identité du décideur (par. 129). Dans cet esprit, il n’importe guère qu’une ligne de conduite soit qualifiée de pratique antérieure ou de décision antérieure. Bien entendu, je suis d’accord avec l’appelant pour dire que l’ASFC doit toujours pouvoir exercer son pouvoir discrétionnaire pour déterminer comment et quand la vérification de la conformité est effectuée, et pour examiner les demandes de changement de nom de l’importateur en même temps que les demandes de remise de droits de douane présentées sous le régime du programme des DRTV. Cependant, si la preuve établit que l’ASFC a toujours autorisé les demandes de changement de nom de l’importateur aux fins de remise des droits de douane sans exiger que ces demandes soient étayées d’ententes de partenariat conclues avant l’importation, ces décisions antérieures équivalent à des pratiques antérieures (à la fois pour Honey Fashions et pour l’ASFC).

[39]  Comme il est mentionné au paragraphe 18 des présents motifs, les demandes de 2011 et 2012 ont été rejetées sans aucune explication ou justification du traitement différent qui leur avait été accordé. La situation est particulièrement criante lorsqu’on se rappelle que la demande de 2009 avait été acceptée au vu des mêmes renseignements que ceux fournis par Honey Fashions (quoique sur le fondement de politiques antérieures à l’EAQ et avant la publication du Mémorandum D8-11-7 par l’ASFC). Répétons qu’il ne faut pas en conclure que l’ASFC était tenue de suivre la même ligne de conduite que par le passé. Il lui est en effet loisible de modifier sa politique afin de se conformer à la Loi sur les douanes, à condition que son interprétation soit raisonnable. Toutefois, en l’espèce, l’ASFC aurait dû fournir une explication à Honey Fashions sur la raison pour laquelle elle s’était écartée de sa pratique antérieure. Comme la Cour suprême l’affirme dans l’arrêt Vavilov (par. 131) :

Nous le répétons, il ne s’ensuit pas pour autant que les décideurs administratifs sont liés par les décisions antérieures au même titre que les cours de justice. Cela veut plutôt dire qu’une décision dérogeant à une pratique de longue date ou à une jurisprudence interne établie sera raisonnable si cette dérogation est justifiée, ce qui réduit le risque d’arbitraire, lequel a un effet préjudiciable sur la confiance du public envers les décideurs administratifs et le système de justice dans son ensemble.

[40]  Je suis donc d’avis que les décisions de l’ASFC n’étaient pas raisonnables compte tenu de cet important facteur contextuel en l’espèce. Il ne suffisait pas de prétendre, a posteriori, que les décisions prises par le fonctionnaire de l’ASFC étaient conformes à l’objet et à la portée du régime légal dans lequel elles s’inscrivent. Compte tenu de l’incidence des décisions sur l’intimée, l’ASFC devait expliquer à cette dernière les raisons pour lesquelles la pratique antérieure avait été écartée et, vraisemblablement, un accord de partenariat conclu après l’importation contrevenait à l’article 7.1 de la Loi sur les douanes et sapait le régime douanier, alors que de tels accords avaient été acceptés sans conteste dans le passé. Par conséquent, à la lumière des récents enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov, il était loisible à la Cour fédérale de s’attacher à l’absence de mention par le fonctionnaire de l’ASFC de sa décision antérieure ou de la pratique ministérielle de longue date consistant à accepter les demandes de changement de nom sans documentation à l’appui. Je souscris donc à la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle les décisions de l’ASFC manquent de justification, de transparence et d’intelligibilité.

[41]   Enfin, l’appelant conteste la conclusion de fait tirée par la Cour fédérale sur l’existence à l’ASFC d’une politique, datant de la création du programme des DRTV, suivant laquelle les changements de nom étaient approuvés après l’importation. Il soutient que, faute d’élément de preuve direct, la Cour fédérale ne pouvait tenir compte que de présomptions graves, précises et concordantes, qui ne ressortissent pas du présent dossier. L’intimée, quant à elle, affirme qu’il existait des éléments de preuve directs et indirects permettant au juge de première instance de conclure qu’une telle pratique a été « sans doute approuvée » par l’ASFC.

[42]  Je retiens l’argument de l’appelant selon lequel les témoignages de Bernie Tevel et Stephen Yanow ne démontrent pas que l’ASFC était au courant de la pratique de Honey Fashions consistant à demander une remise de droits sur des marchandises précédemment importées par d’autres et qu’elle approuvait telle pratique. Certes, ils peuvent témoigner que l’ASFC acceptait couramment les demandes de changement de nom sur les formulaires de déclaration en douane de l’importateur original au fabricant canadien, sans savoir si l’accord avait été conclu avant ou après l’importation, mais ils ne peuvent pas prétendre connaître ce que l’ASFC savait au moment où ces décisions ont été prises, tout particulièrement si l’ASFC savait que le changement de nom de l’importateur était fondé sur un accord conclu après l’importation. C’est précisément la raison pour laquelle la Cour fédérale a pris soin d’affirmer que cette procédure était acceptée [traduction] « et sans doute approuvée » par l’ASFC (motifs, par. 47).

[43]  Or, ce n’est pas le seul élément ayant mené la Cour fédérale à conclure à l’existence d’une preuve directe que l’ASFC a toujours accepté les avis de changement de nom après l’importation pour permettre aux fabricants énumérés à l’annexe 1 de demander des remises applicables à des marchandises précédemment importées par d’autres. Selon la Cour fédérale, il n’était pas ressorti de l’EAQ que cette procédure administrative était inacceptable ou illégitime et elle n’avait pas été rejetée à l’issue des vérifications auxquelles Honey Fashions avait été soumise à au moins trois reprises (motifs, par. 48). Ces conclusions de fait commandent de notre part une très grande retenue.

[44]  L’appelant soutient, en outre, que la Cour fédérale a conclu à tort, au vu d’éléments de preuve indirects (principalement une note de service d’un fonctionnaire du ministère des Finances en date du 26 avril 1993 et le Mémorandum D8-11-7), que l’ASFC acceptait les avis de changement de nom après l’importation. Je suis d’accord avec l’appelant pour dire que ces deux documents ne sont pas concluants et seraient insuffisants, à eux seuls, pour établir que l’ASFC a approuvé et toléré les ententes de changement de nom après l’importation. Or, là n’est pas la question.

[45]  Premièrement, il est loin d’être évident que la conclusion de la Cour fédérale est fondée sur cette preuve. Il y avait suffisamment d’éléments de preuve directs à cet effet au dossier. Plus important encore, le Mémorandum D8-11-7 ne pouvait démontrer la pratique de l’ASFC, puisqu’il n’a été publié qu’à la fin de 2014. Sa production ne servait qu’à établir sa conformité à la pratique imputée à l’ASFC et à appuyer des éléments de preuve directs. En fin de compte, j’estime que les éléments de preuve indirects ne sont guère utiles pour la résolution des questions dont nous sommes saisis.

[46]  Compte tenu de tout ce qui précède, je suis d’avis que la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en concluant que la décision de l’ASFC de ne pas accepter les demandes de changement de nom était déraisonnable. Au contraire, cette conclusion est étayée par l’arrêt récent Vavilov, où la Cour suprême insiste, pour qu’une décision soit raisonnable, qu’elle soit assortie d’une justification, compte tenu des contraintes juridiques et factuelles qui interviennent. Un décideur ne saurait s’écarter de décisions antérieures ou d’une pratique antérieure de longue date, en particulier lorsqu’il est trop tard pour que les intéressés adaptent leur comportement en conséquence, sans fournir une explication raisonnable de cet écart.

[47]  Quant à la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle le refus de l’ASFC d’accepter la demande de changement du nom de l’importateur présentée par Honey Fashions était contraire aux attentes légitimes de cette dernière, point n’est besoin d’en dire long. Je partage l’avis de l’appelant selon lequel l’intimée n’a pas soulevé le devoir d’équité devant la Cour fédérale, ni dans ses avis de demande, ni dans ses mémoires des faits et du droit, ni à l’audience. Certes, on a reproché aux décisions contestées leur caractère injuste et arbitraire, mais ces arguments visaient à prouver que ces décisions étaient déraisonnables, et non un manquement à l’équité procédurale.

[48]  Par souci d’équité, les tribunaux devraient limiter leur examen aux seuls motifs invoqués dans les actes de procédure. Comme l’affirme la Cour suprême dans l’arrêt Saadati c. Moorhead, 2017 CSC 28, [2017] 1 R.C.S. 543, au paragraphe 9, « chacune des parties a le droit de connaître les arguments qu’on entend présenter contre elle et d’y répondre ». Je reconnais que l’intimée a fait valoir un manquement à l’équité par rapport à ses attentes légitimes, mais, à mon avis, ce n’est pas suffisant pour faire jouer directement la question de l’équité procédurale proprement dite. Il ressort clairement d’une transcription de l’audience que les parties ne se sont jamais entendues sur cette question (voir notamment le dossier d’appel, vol. 2, aux pages 629, 657 et 671). La Cour fédérale a donc commis une erreur de droit en concluant que l’appelant avait porté atteinte aux attentes légitimes de Honey Fashions.

[49]  Quoi qu’il en soit, l’analyse de l’équité procédurale à laquelle la Cour fédérale a procédé équivalait en réalité à un examen au fond déguisé. Sa conclusion en matière d’équité procédurale semble n’être rien d’autre qu’une reformulation de sa conclusion selon laquelle la décision était raisonnable au fond, comme il ressort des deux conclusions suivantes :

  • Équité procédurale : La Cour fédérale a conclu qu’« il existe une pratique administrative régulière claire, nette et explicite de l’ASFC, selon laquelle le changement de nom [...] serait accepté ». Ainsi, Honey Fashions s’attendait légitimement à ce que l’ASFC accepte ses demandes de changement de nom ultérieures. La décision était injuste, car elle s’écartait des décisions précédentes sans en expliquer les raisons (motifs, par. 46).
  • La décision raisonnable sur le fond : Les décisions de l’ASFC étaient déraisonnables, car elle n’a pas accepté les demandes de changement de nom malgré ses décisions antérieures et la « pratique ministérielle de longue date » (motifs, par. 53).

[50]  Enfin, je suis également d’accord avec l’appelant pour dire que le principe des attentes légitimes ne saurait créer des droits fondamentaux : Agraira, par. 97; Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525, 1991 CanLII 74, p. 557; arrêt Canada (Revenu national) c. JP Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557, par. 75. Les pratiques antérieures ne pouvaient donc pas fonder une attente légitime qu’une demande de changement de nom concernant l’importateur officiel soit accordée à l’avenir, même si une telle pratique était établie. La Cour ne peut accorder une réparation procédurale convenable que si les conditions d’application de ce principe sont remplies : voir S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539, au paragraphe 131.

[51]  En outre, les attentes légitimes ne sont qu’un des facteurs qui jouent lorsqu’il s’agit de déterminer ce qu’exige l’équité procédurale dans un contexte donné : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, 1999 CanLII699, par. 22 à 28. En l’espèce, rien n’indique que Honey Fashions n’a pas bénéficié d’une procédure équitable, notamment d’un préavis et de la possibilité de fournir des éléments de preuve supplémentaires à l’appui de ses demandes. J’estime donc que la Cour fédérale a conclu à tort que la décision de l’ASFC de ne pas accéder aux demandes de changement de nom a été prise en violation de son obligation d’équité.

VI.  Conclusion

[52]  Pour les motifs qui précèdent, je rejetterais l’appel, je maintiendrais le jugement de la Cour fédérale et je renverrais les demandes de remise présentées par Honey Fashions à l’ASFC aux fins de réexamen à la lumière des présents motifs, le tout avec dépens devant notre Cour et devant l’instance inférieure. Je modifierais l’intitulé pour mettre hors de cause le président de l’Agence des services frontaliers du Canada. L’intitulé des présents motifs et du jugement sont modifiés en conséquence.

« Yves de Montigny »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

  Richard Boivin, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

  Mary J.L. Gleason, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-407-18

 

 

INTITULÉ :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. HONEY FASHIONS LTD

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 novembre 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE GLEASON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 19 mars 2020

 

COMPARUTIONS :

Stéphanie Lauriault

David Di Sante

 

Pour l’appelant

 

Peter Kirby

Alexandra Logvin

 

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

 

Pour l’appelant

 

Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l.

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

Pour l’intimée

 

 

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