Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20200311


Dossier : A-244-18

A-201-18

Référence : 2020 CAF 61

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE RENNIE

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

DNOW CANADA ULC,

NATIONAL OILWELL VARCO INC. et

769388 ALBERTA LTD.

appelantes

et

DARIN GRENKE, À TITRE DE REPRÉSENTANT PERSONNEL DE LA

SUCCESSION D’EDWARD GRENKE, et 284849 ALBERTA LTD.

intimés

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 25 novembre 2019.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 11 mars 2020.

VERSION PUBLIQUE DES MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE RIVOALEN


Date : 20200311


Dossier : A-244-18

A-201-18

Référence : 2020 CAF 61

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE RENNIE

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

DNOW CANADA ULC,

NATIONAL OILWELL VARCO INC. et

769388 ALBERTA LTD.

appelantes

et

DARIN GRENKE, À TITRE DE REPRÉSENTANT PERSONNEL DE LA

SUCCESSION D’EDWARD GRENKE, et 284849 ALBERTA LTD.

intimés

VERSION PUBLIQUE DES MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

[en blanc/blank]

Paragraphe

Introduction

1

Les parties

12

Les questions en litige

15

La norme de contrôle

16

Les règles de droit applicables

17

La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il existait un lien de causalité entre les ventes de produits contrefaisants réalisées par les appelantes et les ventes perdues par les intimés?

22

La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que la part de marché historique des intimés fournissait une base fiable pour calculer les ventes perdues par les intimés dans le monde hypothétique?

33

La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en retenant la version modifiée de la part de marché des intimés qu’ils ont proposée dans leurs conclusions finales après que le témoignage de leur témoin expert sur la part de marché a été discrédité au cours de son contre-interrogatoire?

33

La Cour fédérale a-t-elle commis des erreurs factuelles dans ses calculs de la part de marché dans un monde hypothétique?

88

a.  Le nombre d’unités contrefaisantes vendues par les appelantes

88

b.  Les ventes d’unités d’entraînement pour têtes de puits électriques par opposition à celles qui sont hydrauliques à compter de 2004

105

c.  Les ventes internationales

110

d.  Les ventes de Weatherford

121

La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que les ventes de produits contrefaisants réalisées par les appelantes ont fait perdre aux intimés des ventes de produits complémentaires?

142

La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en tenant le témoin expert des intimés, Shane Freeson, pour compétent?

171

Conclusion

173

Introduction

[1]  Une boîte à garniture est un mécanisme d’étanchéité utilisé pour empêcher les fuites de fluide entre les pièces coulissantes ou tournantes des éléments d’une machine. Aux fins d’illustration, une boîte à garniture est utilisée lorsque l’arbre porte-hélice d’un bateau passe au travers de la coque.

[2]  Dans l’industrie de la production de pétrole, une boîte à garniture empêche que le pétrole pompé par un arbre tournant, appelé tige polie, ne déborde sur la tête du puits. La boîte à garniture sert à prévenir les fuites de fluide de puits dans l’atmosphère. Dans des régions d’extraction de pétrole lourd, comme celles de l’Alberta et de la Saskatchewan, des pompes à rotor hélicoïdal excentré sont utilisées pour pomper le pétrole brut, chargé de sable et d’eau, à la surface. L’unité centrale de ces pompes à rotor hélicoïdal excentré est l’unité d’entraînement pour tête de puits. L’unité d’entraînement pour tête de puits abrite l’ensemble du mécanisme d’étanchéité.

[3]  Au début des années 1990, de graves problèmes environnementaux sont survenus en raison des fuites de boîtes à garniture. Les boîtes à garniture traditionnelles utilisées à l’époque pressaient un matériau en corde contre la tige polie. Un serrage manuel régulier était nécessaire. Cependant, les boîtes à garniture en corde n’étaient pas efficaces pour les pompes à rotor hélicoïdal excentré. Les fuites et les déversements de pétrole, lesquels provoquaient des fermetures imprévues de puits, étaient fréquents. À la fin des années 1990, les gouvernements de l’Alberta et de la Saskatchewan avaient considérablement intensifié leurs efforts pour faire respecter les règlements environnementaux. Des pénalités de plus en plus lourdes étaient imposées pour les infractions. Les producteurs de pétrole ont cherché de meilleures solutions d’étanchéité.

[4]  Le brevet canadien numéro 2 095 937 a été conçu pour résoudre les problèmes inhérents aux boîtes à garniture traditionnelles en corde. Edward Grenke, un machiniste, était l’inventeur et le titulaire du brevet 937.

[5]  Le brevet 937 offrait un mécanisme d’étanchéité amélioré pour limiter les fuites de pétrole des pompes de puits de pétrole. M. Grenke a concédé une licence du brevet 937 à GrenCo Industries Ltd. En fin de compte, tous les droits, titres et intérêts sur ce brevet ont été cédés à GrenCo, laquelle fabriquait l’unité d’entraînement pour tête de puits de GrenCo qui intégrait le mécanisme d’étanchéité breveté. Cette société s’appelle désormais 284849 Alberta Ltd.

[6]  Weatherford Canada Ltd. et Weatherford PC Pump Ltd. ont été autorisées sous licence à vendre l’unité d’entraînement de GrenCo. Plus tard, une nouvelle licence a été délivrée à Weatherford Canada Partnership. Ensemble, ces entités sont simplement appelées Weatherford dans les présents motifs.

[7]  Lorsque GrenCo a lancé son unité d’entraînement pour tête de puits, à laquelle a été intégré son mécanisme d’étanchéité breveté, les producteurs de pétrole ont découvert ses avantages, notamment la durabilité, la facilité d’entretien, le respect de l’environnement et la réduction des frais d’exploitation. L’unité d’entraînement de GrenCo, jumelée à son mécanisme d’étanchéité breveté, était décrite comme étant un produit « qui a révolutionné » le secteur des pompes rotatives à rotor hélicoïdal excentré.

[8]  Dans la décision Weatherford Canada Ltd. c. Corlac Inc., 2010 CF 602, 370 F.T.R. 54, la Cour fédérale a conclu que le brevet 937 était valide et qu’il avait été contrefait par Corlac Inc., Corlac Equipment Ltd., National Oilwell Inc. et National-Oilwell Canada Ltd. La Cour a prononcé une injonction permanente interdisant toute nouvelle contrefaçon et a conclu que les demandeurs avaient droit à une restitution des bénéfices ou à des dommages-intérêts. Le jugement de la Cour fédérale a été confirmé en grande partie en appel (2011 CAF 228; 2012 CAF 261).

[9]  Les demandeurs ont choisi de recouvrer des dommages-intérêts. Dans les motifs cités dans la décision 2018 CF 564, la Cour fédérale a fourni son évaluation selon laquelle les défenderesses étaient tenues de verser aux demandeurs des dommages-intérêts de 7 915 000 $.

[10]  Par la suite, les dommages ont été portés à 8 207 000 $ dans un jugement corrigé et modifié.

[11]  Il s’agit d’un appel global à l’endroit des jugements initiaux et modifiés de la Cour fédérale. Une copie de ces motifs doit être versée dans chaque dossier.

Les parties

[12]  Devant la Cour fédérale, les demandeurs étaient Darin Grenke, à titre de représentant personnel de son père, l’inventeur du brevet 937, et 284849 Alberta Ltd. Ils sont les intimés dans le présent appel. Dans les présents motifs, toutes ces parties sont appelées les demandeurs, les intimés ou GrenCo.

[13]  Devant la Cour fédérale, les défenderesses étaient DNOW Canada ULC (société qui a succédé à National-Oilwell Canada Ltd.), National Oilwell Varco Inc. (anciennement National Oilwell Inc.) et 769388 Alberta Ltd. (anciennement Corlac Inc.). Dans les présents motifs, toutes ces parties sont appelées les défenderesses, les appelantes ou Corlac. Dans les motifs de la Cour fédérale et dans certains témoignages cités dans les présents motifs, il est fait mention de « NOV », une forme abrégée de National Oilwell Varco Inc.

[14]  Par souci d’exhaustivité, je souligne que Corlac Equipment Ltd. (qui s’est avérée une contrefactrice au procès) a été achetée par National Oilwell Canada Ltd. avec laquelle elle a fusionné.

Les questions en litige

[15]  Les appelantes invoquent plusieurs questions en litige dans le présent appel. J’énoncerais les points en litige suivants :

  1. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il existait un lien de causalité entre les ventes de produits contrefaisants réalisées par les appelantes et les ventes perdues par les intimés?

  2. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que la part de marché historique des intimés fournissait une base fiable pour calculer les ventes perdues par les intimés dans le monde hypothétique?

  3. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en retenant la version modifiée de la part de marché des intimés qu’ils ont proposée dans leurs conclusions finales après que le témoignage de leur témoin expert sur la part de marché a été discrédité au cours de son contre-interrogatoire?

  4. La Cour fédérale a-t-elle commis des erreurs factuelles dans ses calculs de la part de marché dans un monde hypothétique en :

  1. Calculant de façon erronée le nombre d’unités contrefaites vendues par les appelantes?

  2. Acceptant une distinction artificielle et incohérente entre les unités d’entraînement pour tête de puits électriques et hydrauliques à compter de 2004?

  3. Omettant de tenir compte de façon appropriée des données sur les ventes internationales?

  4. Se fiant au volume des ventes réalisées par Weatherford, titulaire de licence du brevet 937, comme il est indiqué dans les pièces P56 et P57?

  5. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que les ventes de produits contrefaisants réalisées par les appelantes ont fait perdre aux intimés des ventes de produits complémentaires?

  1. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en tenant le témoin expert des intimés, Shane Freeson, pour compétent?

La norme de contrôle

[16]  La norme de contrôle applicable aux questions soulevées dans le présent appel est celle énoncée par la Cour suprême dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235. La norme de contrôle pour les questions de droit est celle de la décision correcte. Les conclusions de fait et les inférences de fait doivent être examinées selon la norme de l’erreur manifeste et dominante. Les conclusions mixtes de fait et de droit doivent être examinées selon la même norme de retenue, à moins qu’une erreur de droit isolable puisse être démontrée, auquel cas cette erreur est examinée selon la norme de la décision correcte.

Les règles de droit applicables

[17]  Avant d’entreprendre l’analyse des questions soulevées par les appelantes, il est utile de reformuler certaines des règles de droit applicables à ces questions.

[18]  Lorsque le titulaire d’un brevet, ou toute personne revendiquant aux termes du brevet (demandeur), demande des dommages-intérêts pour contrefaçon du brevet, les principes généraux suivants s’appliquent :

  • L’adjudication de dommages-intérêts vise à indemniser le demandeur à l’égard des pertes qu’il a subies en raison de la contrefaçon.

  • Lors de l’évaluation des dommages-intérêts, le demandeur a droit aux profits sur les ventes de marchandises brevetées qu’il aurait pu et aurait dû réaliser, n’eût été la présence du produit contrefait sur le marché.

  • Pour ce qui est des ventes faites par la défenderesse que le demandeur aurait dû ou aurait pu réaliser, le demandeur a droit à une redevance raisonnable en fonction des ventes de la défenderesse.

  • Lorsqu’elle examine les ventes qu’un demandeur aurait dû ou aurait pu réaliser, n’eut été la présence du produit contrefait, la Cour doit examiner un monde théorique et hypothétique. Ce qui se serait produit dans ce monde hypothétique doit être établi par des éléments de preuve admissibles et toutes les inférences admissibles découlant de ces éléments (Pfizer Canada Inc. c. Teva Canada Limited, 2016 CAF 161, 483 N.R. 275, au paragraphe 46).

  • Pour [TRADUCTION] « éviter que l’hypothèse devienne pure spéculation », il faut présenter une preuve de la nature du marché et des résultats probables sans tenir compte de la contrefaçon (Apotex Inc. c. Merck & Co., Inc., 2015 CAF 171, [2016] 2 R.C.F. 202, au paragraphe 55).

  • La tâche visant à construire le monde hypothétique aux fins d’appréciation des dommages-intérêts compensatoires constitue une recherche des faits « d’une manière décisive et logique » (arrêt Apotex, au paragraphe 45, arrêt Pfizer, au paragraphe 55, chaque arrêt citant l’arrêt Clements c. Clements, 2012 CSC 32, [2012] 2 R.C.S. 181, aux paragraphes 8 et 9).

  • En raison de sa nature hypothétique, le monde hypothétique n’est pas un monde dans lequel la perte [TRADUCTION] « peu[t] faire l’objet d’une évaluation correcte et chiffrée ». (Teva Canada Limited c. Janssen Inc., 2018 CAF 33, 420 D.L.R. (4th) 493, au paragraphe 36, citant la décision Watson, Laidlaw & Co. Ltd. v. Pott, Cassels, and Williamson (1914), 31 R.P.C. 104, aux pages 117 et 118).

  • Il incombe au demandeur d’établir le monde hypothétique, selon une prépondérance des probabilités (arrêt Pfizer, au paragraphe 54).

[19]  Dans un appel devant notre Cour d’un jugement de la Cour fédérale adjugeant des dommages-intérêts pour contrefaçon de brevet, il n’appartient pas à notre Cour d’instruire à nouveau l’affaire ou de substituer son point de vue à celui de la Cour fédérale sur les éléments de preuve. Comme l’a déclaré notre Cour dans l’arrêt Pfizer, au paragraphe 69 :

Il faut se rappeler que les motifs des juges – en particulier après des procès longs et complexes comportant de nombreuses questions en litige – sont souvent le produit d’une synthèse et d’une distillation. Lorsque vient le temps de rédiger les motifs d’une cause complexe, les juges de première instance « n’essaient pas de rédiger une encyclopédie où les plus petits détails factuels [pertinents] seraient consignés ». Plutôt, ils « examinent minutieusement des masses de renseignements et en font la synthèse, en séparant le bon grain de l’ivraie » et « en ne formulant finalement que les conclusions [...] les plus importantes et leurs justifications » : Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165, 431 N.R. 286, au paragraphe 50.

[20]  Par conséquent, les motifs doivent être « lus comme un tout, dans le contexte de la preuve, des questions en litige et des arguments présentés lors du procès, et “en tenant compte des buts ou des fonctions de l’expression des motifs” » (R. c. Villaroman, 2016 CSC 33, [2016] 1 R.C.S. 1000, au paragraphe 15, citant R. c. Laboucan, 2010 CSC 12, [2010] 1 R.C.S. 397, au paragraphe 16, citant R. c. R.E.M., 2008 CSC 51, [2008] 3 R.C.S. 3, au paragraphe 16).

[21]  Les motifs doivent toutefois fournir un fondement à un véritable examen en appel. À cette fin, la décision et le fondement de la décision doivent être intelligibles ou il doit être possible de les discerner selon une interprétation juste des motifs. Il doit être possible de relier logiquement la décision à son fondement. Pour déterminer si le lien logique entre la décision et son fondement est établi, la cour de révision doit examiner « la preuve, les observations des avocats et le déroulement du procès pour identifier les questions “en litige” telles qu’elles sont ressorties au procès » (R c. R.E.M., au paragraphe 35).

La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il existait un lien de causalité entre les ventes de produits contrefaisants réalisées par les appelantes et les ventes perdues par les intimés?

[22]  La Cour fédérale a conclu que les demandeurs ont démontré le lien de causalité. La Cour a conclu dans les faits « qu’ils ont perdu des ventes du fait de la contrefaçon de leurs produits par les défenderesses » (motifs, au paragraphe 90).

[23]  Les appelantes soutiennent que, selon les éléments de preuve présentés à la Cour fédérale, le lien de causalité n’était pas prouvé; par conséquent, une redevance raisonnable est la seule mesure équitable au titre des dommages-intérêts.

[24]  Je rejette l’argument des appelantes pour les motifs suivants.

[25]  Premièrement, aux paragraphes 74, 75, 86 et 87 de ses motifs, la Cour fédérale a bien tenu compte du critère juridique de la causalité : en ce qui a trait aux ventes perdues, les demandeurs « doivent établir qu’ils auraient réalisé les ventes en question n’eût été la contrefaçon » par les défenderesses.

[26]  Deuxièmement, après avoir tenu compte des règles de droit en jeu, la Cour fédérale a conclu que, dans les faits, les boîtes à garniture contrefaisantes vendues par les défenderesses « étaient un substitut direct » des boîtes à garniture vendues par les demandeurs (motifs, au paragraphe 52). La Cour a poursuivi en concluant que les parties commercialisaient leurs produits sur les mêmes marchés géographiques (motifs, au paragraphe 90). Ces conclusions factuelles ne sont pas contestées par les appelantes et constituent le fondement de la conclusion sur le lien de causalité.

[27]  La Cour fédérale a également fait référence aux éléments de preuve établissant la perte de ventes déterminées (motifs, au paragraphe 90).

[28]  Wesley Grenke a témoigné au procès à titre de représentant des demandeurs. La Cour fédérale a conclu qu’il a proposé un « témoignage utile » sur le « fonctionnement du marché » au cours de la période de contrefaçon. Il s’est montré « franc et modeste, et il a donné un témoignage généralement crédible » et les critiques formulées par les défenderesses contre son témoignage « ne sont pas fondées » (motifs, au paragraphe 23). Voici le témoignage de M. Grenke :

[TRADUCTION]

Q.  Vous avez dit que NOV était une concurrente de GrenCo. Y a-t-il eu un moment où vous avez constaté avoir perdu une vente au profit de NOV à cause des unités d’entraînement de NOV?

R.  Absolument. C’est-à-dire que cela s’est produit dès qu’elle a lancé son produit contrefaisant. Nous avons remarqué dans différents domaines que certains de leurs produits entraient en jeu. C’était en 2000 ou en 2002 que nous l’avons vue en faire la promotion dans les salons du pétrole et les publications. Nous avons certes constaté une forte poussée de ses produits, et nos clients les mettaient à l’essai et commençaient à les acheter. Cela a fait une grande différence dans nos activités commerciales.

Q.  Pouvez-vous donner des précisions sur l’endroit où vous vous souvenez que cela s’est produit, en particulier?

R.  Oui. Corlac était située dans la région de Lloydminster. Il était connu qu’elle vendait du matériel d’occasion. C’était un fournisseur de matériel d’occasion. Elle achetait et réparait du vieux matériel et le vendait à des utilisateurs finaux. Lorsqu’elle est arrivée sur le marché avec ce produit sur lequel elle a utilisé notre technologie d’étanchéité, nous avons commencé à constater une réduction des ventes dans les régions initialement les plus proches de la région de Lloydminster.

Il y a la région d’Elk Point, sa région de Bonnyville, la région de Provost, la région de Kerrobert. Nous avons commencé à voir que nos ventes diminuaient dans plusieurs de ces régions qui étaient plus près de la région de Lloydminster et ce phénomène s’est poursuivi dans les autres régions de l’Alberta et de la Saskatchewan.

Q.  En ce qui concerne les producteurs de pétrole, vous souvenez-vous de certains qui se sont tournés vers NOV de la manière que vous avez décrite?

R.  Absolument. Certains me viennent à l’esprit, dont Penn West, dans la région de Kerrobert. Nous leur vendions beaucoup d’équipement. Quand ils sont  passés à l’électrification de leur chantier et qu’ils ont voulu remplacer leur équipement par de l’équipement électrique, ils ont lancé un appel d’offres, et NOV a obtenu ce marché parce qu’elle avait un produit concurrent.

De même, il y avait Harvest Energy dans la région de Provost, puis dans toute la région de Bonnyville et d’Elk Point, il y a tellement d’entreprises qui ont changé de propriétaires. Il existe désormais plusieurs entreprises, dont CNRL, une grande entreprise. Elles ont délaissé GrenCo au profit d’un produit concurrent.

[Non souligné dans l’original]

(dossier d’appel, onglet 114, de la page 3764, ligne 1 à la page 3765, ligne 15)

[29]  De plus, lors de l’interrogatoire au préalable, le représentant des défenderesses, Anthony Moore, a déclaré :

[TRADUCTION]

Q.  Faisons marche arrière. Il y a un peu de confusion. La question qui se pose est la suivante : êtes-vous au courant que, en ce qui a trait à la vente d’unités d’entraînement, GrenCo livrait concurrence à votre entreprise, National?

R.  Oui.

Q.  En ce qui concerne la concurrence dans votre entreprise, avez-vous déjà tenu compte du fait que, lorsque vous livrez concurrence à une autre entreprise pour une vente et que vous réalisez la vente, en sachant que l’autre entreprise a présenté un argumentaire de vente en ce sens, vous enlevez cette vente à l’autre entreprise? Connaissez-vous ce genre de notion?

R.  Et bien, c’est un jeu à somme nulle.

Q.  Donc, cela se produit?

R.  C’est notre part du marché ou la leur.

Q.  En réalité, êtes-vous au courant qu’au cours de la période dont nous parlons, National a fait concurrence à Weatherford pour vendre des unités d’entraînement et que National a réalisé la vente au détriment de Weatherford?

R.  En particulier?

Q.  Oui.

R.  Je ne suis pas au courant.

Q.  Toutefois, vous estimez que c’est le cas?

R.  Nous sommes dans le même marché.

Q.  Donc, cela s’est produit?

R.  C’est peut-être arrivé.

Q.  Ce serait assez étonnant si cela ne s’était pas produit, n’est-ce pas?

R.  Oui.

Q.  Pouvez-vous dire la même chose pour GrenCo?

R.  Oui.

[Non souligné dans l’original]

(dossier d’appel, onglet 47, page 2058, paragraphe 36, citant la transcription du 6 octobre 2011, de la page 275, ligne 2 à la page 276, ligne 13)

[30]  Ce témoignage livré à l’interrogatoire préalable a été lu au procès par les demandeurs (pièce P63, dossier d’appel, onglet 47).

[31]  Je conclus qu’il y avait des éléments de preuve suffisants pour étayer la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle le produit contrefaisant des défenderesses concurrençait directement sur le même marché le produit des demandeurs et que les demandeurs avaient perdu les ventes de leurs unités d’entraînement au profit du produit contrefaisant des défenderesses.

[32]  La Cour fédérale n’a commis aucune erreur manifeste et dominante en concluant que les demandeurs s’étaient acquittés de leur fardeau d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que des ventes avaient été perdues par suite des activités de contrefaçon des défenderesses.

La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que la part de marché historique des intimés fournissait une base fiable pour calculer les ventes perdues par les intimés dans le monde hypothétique?

La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en retenant la version modifiée de la part de marché des intimés qu’ils ont proposée dans leurs conclusions finales après que le témoignage de leur témoin expert sur la part de marché a été discrédité au cours de son contre-interrogatoire?

[33]  Les deux questions suivantes sont interdépendantes et il convient de les traiter ensemble. Il faut d’abord expliquer comment ces questions se sont rendues à la Cour fédérale.

[34]  Les défenderesses ont commencé à vendre des produits contrefaisants fin 1999 ou début 2000. La Cour fédérale a prononcé une injonction permanente restreignant ces ventes le 3 juin 2010. Par conséquent, les demandeurs réclament une perte subie au cours de la période du 1er janvier 2000 au 3 juin 2010.

[35]  Au cours de cette période, trois fabricants dominants du marché ont vendu des unités d’entraînement écologiques pour tête de puits. Ces fabricants, appelés les « trois grands », étaient les demandeurs, les défenderesses et Weatherford (titulaire de licence du brevet 937). Au cours de ce litige, des données sur les ventes ont été produites pour chacun des trois grands (malgré cela, les volumes de ventes des défenderesses et de Weatherford ont été et sont contestés).

[36]  Au cours de cette période, afin de concurrencer les trois grands, d’autres fabricants ont conçu une technologie et ont commencé à pénétrer le marché.

[37]  Les demandeurs ont retenu les services de Shane Freeson, un ingénieur expérimenté dans l’industrie du pétrole et du gaz, pour fournir une opinion estimant la part de marché relative détenue par chaque fabricant qui a vendu des unités d’entraînement écologiques au cours de la période pertinente.

[38]  Cependant, M. Freeson ne connaissait pas le nombre total d’unités d’entraînement écologiques vendues au Canada ou à l’étranger pour chacune des années en question (contre-interrogatoire, dossier d’appel, onglet 115, page 3947, lignes 4 à 19). Il ne disposait pas non plus de renseignements sur le volume des ventes des autres fabricants ayant concurrencé les trois grands au cours de la période concernée. Cela a évidemment compliqué son analyse.

[39]  Devant cette lacune dans les données, M. Freeson s’est appuyé sur sa [TRADUCTION] « connaissance générale des unités d’entraînement déployées dans les champs pétroliers » pour fournir l’estimation de la part de marché des « autres » concurrents :

Autres

Zone de Texte: Autres

(pièce P47, rapport d’expertise de M. Freeson, dossier d’appel, onglet 18, paragraphes 93 et 94)

[40]  À partir de ces parts de marché estimatives et des données de ventes fournies sur les ventes des trois grands calculées par l’expert-comptable des demandeurs, M. Farley Cohen, M. Freeson a [TRADUCTION] « créé » sa vision du marché (interrogatoire principal de M. Freeson, dossier d’appel, onglet 115, de la page 3923, ligne 13 à la page 3924, ligne 7, faisant référence à l’annexe S du rapport d’expertise de M. Freeson).

[41]  À titre d’exemple, dans son rapport initial, pièce P50 (dossier d’appel, onglet 21), M. Cohen a calculé que les ventes des trois grands étaient de 2 033 unités en 2000. En supposant que « d’autres fabricants » détenaient une part de marché de 5 % en 2000, M. Freeson a calculé que les « autres » auraient vendu 107 unités. Il s’ensuit qu’un total de 2 140 unités écologiques auraient été vendues cette année-là. M. Freeson ignorait que certaines données sur les ventes de certains des trois grands fabricants incluaient des ventes internationales.

[42]   L’estimation des volumes de ventes de M. Freeson pour les années 2000 à 2010 et son estimation des parts de marché respectives sont présentées dans les tableaux 2 et 3 de son rapport :

(pièce P47, rapport d’expertise de M. Freeson, dossier d’appel, onglet 18, paragraphe 117)

[43]  M. Freeson a également indiqué dans son rapport ce qui suit :

[TRADUCTION]

124.  Comme il a été indiqué précédemment, si Corlac/National n’avait pas été présente sur le marché avec ses unités d’entraînement Enviro, les producteurs de pétrole se seraient tournés vers GrenCo, Weatherford ou l’un des autres fabricants. À mon avis, il est raisonnable de supposer que les producteurs de pétrole se seraient adressés à ces fabricants proportionnellement à leur part de marché relative après le retrait de Corlac/National. J’arrive à cette conclusion parce que je ne considère pas qu’il y ait des raisons précises pour lesquelles les clients de Corlac/National auraient privilégié Weatherford (et plus tard Oil Lift) plutôt que GrenCo.

[44]  À son tour, M. Cohen s’est appuyé sur ces données et cette opinion pour fournir une part de marché estimative des participants au marché hypothétique, à l’exclusion des défenderesses. En se fondant sur les volumes de vente d’unités et les estimations de pourcentage de part de marché dans le monde hypothétique, M. Cohen a ensuite calculé les pertes de bénéfices alléguées par les demandeurs pour les ventes d’unités perdues (voir les annexes 2b et 3 de son rapport, dans leurs versions révisées dans son rapport produit en réponse, pièce P51, dossier d’appel, onglet 22).

[45]  Au procès, les demandeurs ont cherché à faire reconnaître M. Freeson comme expert pour livrer un témoignage d’expert sur [TRADUCTION] « l’historique et la mise au point des mécanismes des [pompes rotatives à rotor hélicoïdal excentré] ainsi que pour donner une opinion sur la taille et le comportement du marché des équipements de tête de puits de surface utilisés dans les mécanismes de [pompes rotatives à rotor hélicoïdal excentré] au Canada de 2000 à 2010 » (interrogatoire sur les compétences de M. Freeson, dossier d’appel, onglet 115, page 3853, lignes 23 à 28).

[46]  Plus précisément, les avocats des demandeurs ont soutenu ce qui suit :

[TRADUCTION]

Le témoignage de M. Freeson porte directement sur ce point et est pertinent pour décider de l’attribution des dommages-intérêts en définitive. Je soutiens que la pertinence se situe à ce niveau-là. La fiabilité, je pense, est au cœur de l’argument de mon collègue ici. Il propose une approche unique et objective à la présente affaire. M. Freeson, comme vous l’avez entendu, n’a pas fabriqué ni commercialisé les produits en cause. Il ne travaillait pas pour l’un des fournisseurs. Vous allez entendre des témoignages des deux côtés de personnes qui se trouvaient du côté des fournisseurs.

LE JUGE PHELAN : Nous n’entendrons pas d’autres témoignages sur la part de marché?

M. STRATTON :   Nous n’entendrons aucun [autre] témoignage d’expert sur la part de marché. C’est tout quant au témoignage d’expert, mais ce que nous allons entendre, ce sont des témoignages de personnes qui travaillent pour les entreprises qui fabriquent le produit, sans qu’il y ait de documents toutefois. M. Freeson se trouve du côté où il a enquêté sur les produits. Il les a évalués, il en a acheté, et, comme vous l’avez entendu, il était tout à fait conscient de quiconque faisait la même chose et en assurait le suivi.

Il vous apporte le côté de l’exploitant, le côté de l’acheteur. Cela le rend objectif, impartial et, comme nous l’avons actuellement fait savoir, personne d’autre ne vous apportera ce côté de l’exploitant. Le nombre de fournisseurs est relativement faible. Il y a un grand nombre d’exploitants. Pour obtenir le côté de l’exploitant d’une manière que la Cour -- nous ne ferons pas défiler des centaines d’exploitants devant la Cour.

Nous devons faire appel à un expert pour donner un chiffre à la Cour. C’est ce que M. Freeson a fait.

[Non souligné dans l’original]

(dossier d’appel, onglet 115, de la page 3889, ligne 5 à la page 3890, ligne 4)

[47]  Les défenderesses s’y sont opposées.

[48]  Après avoir contre-interrogé M. Freeson sur ses compétences, les défenderesses n’ont formulé aucune objection quant à sa compétence pour parler [TRADUCTION] « de l’historique des mécanismes des pompes [rotatives à rotor hélicoïdal excentré] ». L’avocat des défenderesses a déclaré qu’elles [TRADUCTION] « n’avaient réellement aucune objection à ce qu’il témoigne de ce qu’il connaissait personnellement ». (dossier d’appel, onglet 115, page 3881, ligne 21 à la ligne 26). L’objection aux compétences du témoin portait sur le fait qu’il n’avait pas de compétence en tant [TRADUCTION] « qu’expert en part de marché » et qu’il n’avait pas la compétence pour livrer un témoignage d’expert sur les ventes et la part de marché des fabricants d’unités d’entraînement pour tête de puits autres que ceux des trois grands (dossier d’appel, onglet 115, de la page 3881, ligne 27 à la page 3882, ligne 3). Parmi ces autres fabricants, les plus importants étaient Oil Lift Technology Inc., KUDU Industries Inc. et Brightling Equipment Ltd.

[49]  La Cour fédérale a décidé oralement qu’elle était prête à reconnaître l’expertise de M. Freeson et à accepter son rapport d’expertise. Selon la Cour, toute lacune dans le témoignage de M. Freeson serait prise en compte dans la pondération (dossier d’appel, onglet 115, de la page 3898, ligne 4 à la page 3899, ligne 19).

[50]  Par la suite, M. Freeson a fait des aveux au cours de son contre-interrogatoire qui ont considérablement miné la fiabilité des conclusions énoncées dans son rapport, y compris ses conclusions sur la part de marché respective détenue par chaque participant au cours de la période de 10 ans en cause. Le manque de fiabilité de ces conclusions a été reconnu par les demandeurs dans leur exposé final. Dans leur mémoire des faits et du droit sur les dommages-intérêts présenté à la fin de l’audience sur les dommages-intérêts, les demandeurs ont décrit le témoignage de M. Freeson dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

[82]  La seule personne compétente en tant qu’expert pour fournir une aide sur le nombre de parts de marché était M. Freeson, appelé à témoigner par les demandeurs. M. Freeson a été un témoin clair et transparent qui a franchement admis au cours de son contre-interrogatoire que ses estimations du marché auraient été meilleures s’il avait eu accès directement aux chiffres de ventes des concurrents autres que les parties à l’action. Des éléments de preuve relatifs aux chiffres des ventes de Kudu et d’Oil Lift ont été présentés au procès, lesquels, s’ils étaient exacts, étaient totalement incompatibles avec la quantification de la part de marché que M. Freeson a faite dans son rapport. Il est évident que M. Freeson a très bien compris les acteurs du marché, le moment où ils sont entrés sur le marché et avec quels produits. Il est également manifeste, compte tenu des éléments de preuve présentés au procès, qu’on ne peut accorder foi à ses conclusions pour chercher à traduire cette compréhension en nombre d’unités vendues par les acteurs du marché.

[Non souligné dans l’original]

[51]  La Cour fédérale a reconnu que, même si le « témoignage général [de M. Freeson] sur le marché s’est avéré utile, particulièrement pour la période allant jusqu’à 2004. [...] ses hypothèses relatives aux parts de marchés ultérieures se sont révélées incorrectes » (motifs, au paragraphe 25).

[52]  Devant l’absence d’éléments de preuve relatifs à la part de marché détenue au cours de la période concernée par des fabricants autres que les trois grands, les demandeurs se sont tournés vers les éléments de preuve présentés au procès concernant leur volume de ventes. Les demandeurs ont soutenu que la part de marché des « autres » concurrents devrait être estimée comme valeur de substitution qui pourrait être utilisée pour produire une estimation des ventes perdues des demandeurs sur le marché hypothétique. Autrement dit, il a été soutenu que les éléments de preuve du procès permettaient à la Cour de créer le marché hypothétique. Il était particulièrement important à l’appui de cet argument qu’il n’y ait aucun élément de preuve démontrant que M. Freeson avait négligé un concurrent sur le marché. Il a été reconnu qu’il avait mal compris l’étendue des ventes réalisées par Oil Lift et KUDU après leur entrée sur le marché. Ainsi, ce qui était contesté essentiellement était la part de marché détenue par les autres fabricants. Des éléments de preuve avaient été produits au procès concernant les ventes réalisées par Oil Lift, KUDU et Brightling (les principaux fabricants concurrents) et ces éléments de preuve permettaient d’estimer les parts de marché respectives.

[53]  En prenant l’annexe 3 du rapport en réponse de M. Cohen, qui énonçait les parts de marché estimatives des trois grands et des autres concurrents, le demandeur a soutenu que les éléments de preuve présentés oralement au procès confirmaient les changements suivants à l’annexe 3 qui ont ensuite été intégrés à l’annexe 2b que la Cour fédérale a appelée l’« annexe 2b modifiée » (voir, par exemple, les motifs, paragraphes 95 et 128).

  1. Pour les années 2000, 2001 et 2002, la part de marché des « autres » concurrents était réduite chaque année. Chaque année, les « autres » détenaient à l’origine, selon M. Freeson, 5 % du marché. Cela a été révisé pour montrer que d’autres fabricants détenaient 0 % du marché en 2000 et 4 % en 2001 et 2002. Cela reposait sur des témoignages oraux selon lesquels il n’y avait aucun produit d’Oil Lift sur le marché commercial en 2000 et que KUDU n’est entré sur le marché qu’après 2002 (interrogatoire principal de David Garland, dossier d’appel, onglet 118, page 4304, lignes 2 à 9). En ce qui concerne les unités vendues, l’annexe 3 présentait des ventes de 105, 83 et 75 unités à d’autres au cours de ces années. Cela a été changé en ventes de 0 unité en 2000 et de 60 unités au cours de chacune des années suivantes. Ces changements étaient fondés sur le témoignage d’un représentant d’Oil Lift, M. Hult. Il avait témoigné qu’en 2001, Oil Lift avait vendu plus de 50 unités d’entraînement pour un projet et qu’il y avait d’autres acheteurs (interrogatoire principal, dossier d’appel, onglet 123, de la page 4834, ligne 19 à la page 4835, ligne 1).

  2. Pour 2003, M. Cohen avait attribué, selon l’opinion de M. Freeson, 56 ventes à d’autres fabricants. Cela a été remplacé par 275 unités, dont 250 attribuées à Oil Lift et 25 attribuées à KUDU. Cela était fondé sur les éléments de preuve de M. Hult selon lesquels Oil Lift avait vendu 200 unités cette année-là à un client donné (interrogatoire principal, dossier d’appel, onglet 123, de la page 4835, ligne 15 à la page 4836, ligne 7). Un représentant de KUDU, M. Garland, avait déclaré qu’en 2003, les chiffres de ventes de cette dernière étaient limités, car son unité d’entraînement était entrée sur le marché après août 2003 (interrogatoire principal, dossier d’appel, onglet 118, page 4304, lignes 2 à 9).

  3. L’année 2004 aurait apporté deux changements importants au marché des unités d’entraînement au Canada qui se sont poursuivis jusqu’en 2010. Premièrement, les défenderesses ont commencé à proposer un mécanisme d’étanchéité de substitution, le système SAI, mis à la disposition des acheteurs à la recherche d’unités d’entraînement hydrauliques (par opposition aux unités d’entraînement électriques). Ce système n’a pas enfreint le brevet 937. Le deuxième fait nouveau est qu’Oil Lift et KUDU ont commencé à réaliser des ventes importantes et à occuper une place importante sur le marché.

M. Cohen avait déjà reconnu le premier changement dans son rapport en réponse, en reconnaissant que, si la Cour jugeait que la boîte à garniture de SAI était un substitut non contrefaisant aux unités d’entraînement hydrauliques, la perte de profits demeurerait une mesure appropriée des dommages-intérêts en ce qui concerne les ventes d’unités d’entraînement électriques et les revenus tirés des ventes connexes de produits complémentaires et de services d’entretien. Par conséquent, dans son rapport en réponse, M. Cohen a créé une nouvelle annexe b dans laquelle il a indiqué le total des pertes à l’annexe 1b, tandis que les pertes financières étaient ventilées par catégorie à l’annexe 2b. À titre d’exemple, dans son rapport initial, M. Cohen avait calculé les profits perdus en fonction des ventes par les défenderesses de 255 unités en 2004, de 283 unités en 2005, de 310 unités en 2006 et ainsi de suite. Pour ce qui est des produits de substitution non contrefaisants énoncés à l’annexe 2b de son rapport en réponse, M. Cohen a calculé les profits en fonction des unités électriques vendues par les défenderesses au cours de ces années, soit 115 unités, 178 unités et 243 unités. M. David Hall, l’expert-comptable des défenderesses, a abordé cette approche dans son rapport supplémentaire en réponse, sans exprimer de préoccupation concernant cette approche (pièce D85, dossier d’appel, onglet 27, paragraphe 69 et pièce jointe 47R).

En s’appuyant sur les éléments de preuve produits au procès, les demandeurs ont fait valoir qu’il faudrait apporter trois types de corrections à l’annexe 2b de M. Cohen. Premièrement, il faudrait y apporter une correction pour inclure les éléments de preuve relatifs aux ventes beaucoup plus élevées réalisées par Oil Lift, dont M. Freeson n’avait pas pris acte. Cependant, il aurait été contraire aux réalités du marché d’inclure les ventes de produits hydrauliques pressurisés d’Oil Lift comme ayant une incidence sur les parts de marché acquises par les demandeurs des unités d’entraînement électriques des défenderesses. Cela traduisait la réalité que, si un site de puits avait une connexion électrique, l’unité d’entraînement de choix serait électrique. Par conséquent, seules les ventes des unités d’entraînement électriques estimatives d’Oil Lift devraient être incluses. La prochaine correction concernait l’incapacité de M. Freeson à comprendre l’augmentation des ventes par KUDU de la boîte à garniture d’Oryx. Enfin, il a fallu inclure la reconnaissance des ventes d’unités d’entraînement réalisées par le troisième concurrent, Brightling.

À partir du témoignage de M. Hult selon lequel 75 % ou plus des unités d’entraînement vendues par Oil Lift étaient destinées à des applications hydrauliques uniquement, les chiffres postérieurs à 2004 ont été corrigés pour en tenir compte. Ils ont également été corrigés pour tenir compte de son témoignage concernant les ventes qu’il croyait qu’Oil Lift avait réalisées en 2004 et les années suivantes. Plus important encore, l’entreprise a atteint un « tournant décisif » en 2008 alors qu’il croyait qu’Oil Lift avait franchi le cap des ventes dans les milliers d’unités d’entraînement.

En s’appuyant sur les témoignages de MM. Garland et Glen Martinka, qui étaient employés par KUDU, les ventes estimatives de produits KUDU ont été augmentées.

En s’appuyant sur le témoignage apporté par Craig Hall, copropriétaire de Brightling, les ventes estimatives de ce fabricant ont été incluses dans le marché des « autres » pour les années 2008 et 2009 et l’année raccourcie de 2010.

[54]  L’effet cumulatif de ces changements sur la part de marché estimative des demandeurs a été de réduire de 5 111 000 $ à 4 468 000 $ leur perte de profits calculée sur la vente d’unités d’entraînement neuves.

[55]  Un tableau qui présente à la fois la partie pertinente de l’annexe 2b figurant dans le rapport en réponse de M. Cohen et la partie pertinente de l’annexe 2b modifiée est joint en annexe à ces motifs. Le tableau fournit une base pour comprendre les changements ou modifications apportés à l’annexe 2b proposés par les demandeurs lors de leur exposé final.

[56]  Grâce à cette explication, j’examine maintenant si la Cour fédérale a commis une erreur en se fondant sur la part de marché historique des demandeurs pour fournir une base fiable pour calculer les pertes de ventes.

[57]  La Cour fédérale a examiné la question du rôle que joue la part de marché historique aux paragraphes 91 à 97 de ses motifs. Dans ces paragraphes, la Cour fédérale :

  • a souligné que, dans le passé, la Cour fédérale a utilisé la « part de marché comme valeur de substitution pour calculer les ventes perdues » par un demandeur, comme le montre la décision JAY-LOR International Inc. c. Penta Farm Systems Ltd., 2007 CF 358, 313 F.T.R. 1 (motifs, au paragraphe 91);

  • s’est donnée comme directive qu’il incombait aux demandeurs d’« établir à la fois qu’ils auraient pu faire quelque chose et qu’ils l’auraient fait, par exemple qu’ils auraient réalisé des ventes ou auraient disposé d’une part de marché déterminée dans le monde hypothétique. » (motifs, au paragraphe 92);

  • a pris acte de l’argument des défenderesses selon lequel les demandeurs n’avaient pas produit de données fiables sur la part de marché et n’avaient présenté aucun élément de preuve sur la manière dont les clients se seraient comportés si ce n’était des ventes de produits contrefaisants (motifs, au paragraphe 93);

  • a pris acte de l’argument des demandeurs en réponse selon lequel la part de marché peut servir de valeurs de substitution pour établir ce qu’auraient fait les acheteurs de produits contrefaisants si ces produits n’avaient pas été offerts, puisque « le facteur des parts de marché a été défini comme l’un des facteurs permettant de déterminer le nombre de ventes [des défenderesses] que les [demandeurs] aurai[ent] acquises si les produits [des défenderesses] n’avaient pas été présents sur le marché » (motifs, au paragraphe 94, italiques dans l’original).

[58]  La Cour fédérale a ensuite énoncé les motifs lui permettant de conclure que l’estimation de la part de marché lui semble être « une méthode justifiée pour calculer les dommages-intérêts » :

[95]  Le marché acquis, c’est-à-dire le nombre de ventes d’unités d’entraînement perdues par GrenCo, est estimé à 911 dans le scénario 1 du rapport en réplique de M. Hall. Dans le rapport en réponse de M. Cohen, ce nombre d’unités dont GrenCo a manqué la vente est estimé à 1 268 à l’annexe 2, et à 1 192 dans la première version de l’annexe 2b. Comme je l’expliquerai plus loin, je considère comme d’une très grande utilité les calculs proposés par M. Cohen dans la version modifiée de l’annexe 2b.

[96]  L’estimation de la part de marché me paraît une méthode justifiée pour calculer les dommages-intérêts.

[97]  Contrairement à ce qu’avancent les défenderesses, nous n’avons pas ici affaire à un nombre restreint de consommateurs, comme dans le passage précité de la décision Jay-Lor, cas qui pourrait exiger une preuve « client par client ». Il est plus urgent de savoir si les demandeurs ont établi de manière satisfaisante la part de marché dont ils auraient disposé dans le monde hypothétique, comme il sera expliqué plus loin.

[souligné dans l’original]

[59]  Dans le présent appel, les appelantes reconnaissent qu’au paragraphe 92 de ses motifs, la Cour fédérale a établi le critère approprié à appliquer et fait référence, au paragraphe 93, à plusieurs facteurs pouvant avoir une incidence sur la décision d’achat d’un client (y compris des éléments comme le prix, le service, l’entretien, les relations personnelles et la nature du produit). Cependant, les appelantes soutiennent que la Cour fédérale n’a pas examiné si les demandeurs avaient prouvé le lien de causalité. Le simple fait de prouver la part de marché des demandeurs ne prouve pas que des ventes ont été perdues. Une base économique solide est nécessaire pour adopter la part de marché historique comme valeur de substitution des ventes perdues. Le fait que la Cour fédérale n’a pas examiné si la part de marché historique était une valeur de substitution raisonnable pour ce qui se serait produit dans un monde hypothétique constitue une erreur de droit.

[60]  Les intimés soutiennent qu’étant donné que la Cour fédérale a conclu que le marché avait le choix entre le produit des demandeurs et le mécanisme d’étanchéité des défenderesses (motifs, au paragraphe 89), l’approche basée sur la part de marché était une manière prudente de considérer le marché acquis. Les intimés n’ont pas allégué au procès qu’ils auraient acquis toutes les ventes d’unités contrefaites des appelantes. Ils ont plutôt recherché uniquement la proportion de ces ventes qui était compatible avec la part de marché globale des intimés. L’approche basée sur la part de marché a permis de prendre en compte d’autres acteurs du marché, l’évolution des tendances du marché (y compris les faits nouveaux concernant les mécanismes d’étanchéité hydrauliques pressurisés qui seront abordés ci-après) et les choix que les clients avaient faits par le passé en ce qui concerne l’achat d’unités d’entraînement pour têtes de puits.

[61]  Compte tenu de l’importance d’établir le comportement du marché et la part de marché détenue par les autres concurrents aux trois grands, il aurait été utile que la Cour fédérale fournisse de plus amples motifs pour étayer sa conclusion selon laquelle la part de marché était une méthode justifiée pour calculer les dommages-intérêts. En l’absence de ces précisions, il faut examiner les éléments de preuve dont disposait la Cour, les questions en litige et les arguments présentés lors du procès (arrêt Villaroman, au paragraphe 15).

[62]  Je commence donc mon analyse en déclarant qu’au cours du procès, les procureurs ont soutenu deux théories concurrentes quant à la quantification adéquate des préjudices subis par les demandeurs du fait de la contrefaçon des défenderesses. Les demandeurs demandent à être dédommagés pour leur manque à gagner; les défenderesses ont soutenu que la perte serait réparée adéquatement par le paiement d’une redevance raisonnable pour les ventes que les demandeurs avaient perdues en raison des ventes d’unités d’entraînement contrefaisantes des défenderesses. Il est implicite dans les motifs de la Cour fédérale que le paiement d’une redevance raisonnable sur les ventes n’offrirait pas une indemnisation suffisante aux demandeurs.

[63]  Une fois qu’une redevance raisonnable a été rejetée en tant que mesure de réparation suffisante du préjudice subi, l’approche de la part de marché a permis aux demandeurs de revendiquer et de tenter de prouver que, malgré la présence de produits de substitution acceptables et non contrefaisants sur le marché, les demandeurs auraient acquis la proportion des ventes des défenderesses correspondant à leur part de marché historique.

[64]  Comme notre Cour l’a expliqué dans l’arrêt Apotex, il est difficile de construire un monde théorique et hypothétique dans lequel on suppose que le produit contrefaisant n’a jamais pénétré le marché. Pour éviter que « l’hypothèse devienne pure spéculation », il faut prouver la nature du marché et les résultats probables lorsque la contrefaçon est éliminée.

[65]  Dans la décision Alliedsignal Inc. c. du Pont Canada Inc., 1998 CanLII 7464, 142 F.T.R. 241 (C. F.), au paragraphe 34, la Cour fédérale fournit une liste non exhaustive des facteurs pertinents pour apporter une réponse à la question de savoir ce qu’il serait arrivé dans un monde hypothétique :

  1. Présence sur le marché de produits concurrents;

  2. Avantages offerts par le produit breveté par rapport aux produits contrefaits de la concurrence;

  3. Avantages offerts par le produit contrefaisant par rapport au produit breveté;

  4. Position du détenteur de brevet sur le marché;

  5. Position du contrefacteur sur le marché;

  6. Part de marché du détenteur de brevet avant et après l’arrivée sur le marché du produit de contrefaçon;

  7. Taille du marché avant et après l’arrivée sur le marché du produit de contrefaçon;

  8. Capacité du détenteur de brevet à fabriquer des produits additionnels.

[66]  Contrairement à ce que soutiennent les appelantes, la Cour fédérale a examiné un nombre important de ces facteurs, mais pas dans une analyse formelle semblable à celle dans la décision Alliedsignal. La Cour fédérale a examiné :

  1. La nature du marché et la présence sur le marché de produits concurrents (motifs, aux paragraphes 45 à 47).

  2. Les avantages offerts par les unités brevetées par rapport aux produits concurrents (motifs, aux paragraphes 18 à 21).

  3. La position des demandeurs sur le marché (motifs, aux paragraphes 45 à 47, 105 et 107).

  4. La position des défenderesses sur le marché (motifs, aux paragraphes 51 à 54).

  5. La part de marché des demandeurs avant et après l’arrivée sur le marché des unités d’entraînement de contrefaçon (motifs, aux paragraphes 48 à 50 et 105 à 113).

  6. La taille du marché avant et après l’arrivée sur le marché des unités d’entraînement de contrefaçon (motifs, aux paragraphes 43 à 47, 58 à 68 et 104 à 113).

[67]  Ce qu’il y a lieu de retenir ici, c’est que la Cour fédérale a fait preuve d’une compréhension de la valeur de l’unité d’entraînement brevetée et de la nature du marché, de manière à être bien placée pour apprécier si les demandeurs eussent probablement acquis une partie des ventes des défenderesses et qu’ils l’eussent fait proportionnellement à leur part de marché.

[68]  Avant de mettre fin à mon analyse de la décision Alliedsignal, au paragraphe 37 de ces motifs, la Cour a fait observer que, de manière générale, les tribunaux évitent d’exiger des demandeurs qu’ils prouvent qu’un certain nombre de détaillants auraient fait affaire avec eux si les défendeurs ne les avaient pas approvisionnés en produits de contrefaçon. Néanmoins, dans la décision Alliedsignal, comme il n’y avait que neuf clients sur le marché, un examen des éléments de preuve client par client s’est révélé nécessaire. Ce marché se distingue du marché en l’espèce. Comme la Cour fédérale l’a fait remarquer à juste titre au paragraphe 97 de ses motifs, il ne s’agit pas ici d’un marché ayant un nombre restreint de consommateurs qui pourrait exiger une preuve « client par client ».

[69]  La compréhension qu’avait la Cour fédérale de ce marché était fondée, du moins en partie, sur les éléments de preuve produits par M. Freeson qu’elle a retenus. Bien que la Cour ait rejeté les éléments de preuve produits par M. Freeson concernant la part de marché détenue par certains concurrents (motifs, paragraphes 25, 98 et 100), elle a retenu ses éléments de preuve concernant les avantages offerts par l’unité d’entraînement des demandeurs (motifs, au paragraphe 20) et ses éléments de preuve concernant le marché du produit en général, y compris les acteurs du marché (motifs, aux paragraphes 25 et 98). Plus précisément, la Cour a retenu ses éléments de preuve « concernant le marché du produit en général, ainsi que la taille et la nature des concurrents [...] jusqu’à l’entrée sur le marché d’Oil Lift et de certaines autres entreprises ». (motifs, au paragraphe 100).

[70]  Aucune objection n’a été formulée quant à la capacité de M. Freeson à témoigner [TRADUCTION] « sur ce qu’il connaissait personnellement ». Par conséquent, il est utile d’examiner le domaine d’expertise de M. Freeson et [TRADUCTION] « ce qu’il connaissait personnellement ». La connaissance du marché de M. Freeson est le fruit de plus de 25 ans d’expérience dans le domaine des mécanismes des pompes rotatives à rotor hélicoïdal excentré et dans l’achat de matériel de surface pour ces mécanismes en tant qu’ingénieur de production, ingénieur des installations et exploitant principal.

[71]  Grâce à son adhésion et à sa participation à l’Institut canadien des mines, de la métallurgie et du pétrole ainsi qu’à la Society of Petroleum Engineers, il s’est tenu à jour sur les dernières technologies et les gammes de produits offerts pour tous les fabricants qui vendaient des unités d’entraînement pour têtes de puits et d’autres équipements de surface. Lorsqu’il était employé chez Husky Energy, il était [TRADUCTION] « chargé de l’analyse continue des gammes de produits offerts par les différents fabricants afin d’évaluer d’année en année quels produits Husky devrait utiliser dans ses champs de pétrole ». (pièce P47, rapport d’expertise de M. Freeson, dossier d’appel, onglet 18, paragraphe 50)

[72]  Selon M. Freeson, lorsque les demandeurs ont lancé leur unité d’entraînement pour têtes de puits avec sa conception de mécanisme d’étanchéité unique, [TRADUCTION] « les producteurs de pétrole ont rapidement découvert les nombreux avantages, notamment la durabilité, la facilité d’entretien, le respect de l’environnement et la réduction des frais d’exploitation. [...] Le lancement du [mécanisme d’étanchéité breveté] a révolutionné le secteur des [pompes rotatives à rotor hélicoïdal excentré] » (pièce P47, rapport d’expertise de M. Freeson, dossier d’appel, onglet 18, paragraphe 58).

[73]  M. Freeson a déclaré qu’à partir de l’année 2000, le marché était tel que les producteurs de pétrole à la recherche d’une unité d’entraînement écologique pour têtes de puits à l’abri des fuites externes, se seraient, à une exception près, tournés vers l’un des trois grands fabricants. La seule exception concerne la fin de la période en question, où la part de marché d’Oil Lift a augmenté (pièce P47, rapport d’expertise de M. Freeson, dossier d’appel, onglet 18, paragraphe 93).

[74]  Selon ses connaissances du marché, M. Freeson a déclaré que, si le produit contrefaisant des défenderesses ne s’était pas trouvé sur le marché pendant la période en question, [TRADUCTION] « les acheteurs auraient certainement envisagé d’acheter des unités d’entraînement à Grenco, car cette dernière était reconnue pour avoir une unité d’entraînement pour têtes de puits de grande qualité, et qu’elle était une chef de file du marché, en particulier au début des années 2000 ». La liste non exhaustive suivante de facteurs a influencé [TRADUCTION] « la décision d’acheter des unités d’entraînement pour têtes de puits » : la relation avec le personnel des ventes; le dispositif de freinage; le dispositif d’étanchéité; le bruit, les dépenses (en immobilisations et dépenses d’exploitation); et la facilité d’installation et d’entretien. Chaque facteur a eu une influence variable au fil du temps (pièce P47, rapport d’expertise de M. Freeson, dossier d’appel, onglet 18, paragraphes 99, 100 et 101).

[75]  L’unité d’entraînement des demandeurs était reconnue pour avoir un excellent dispositif de freinage. Alors que les unités d’entraînement étaient généralement plus coûteuses, elles étaient généralement considérées comme moins coûteuses à installer, à utiliser et à entretenir. Les contremaîtres avaient tendance à privilégier les unités d’entraînement des demandeurs en raison de leur facilité d’installation et d’entretien, ce qui a entraîné une baisse des coûts d’exploitation et d’entretien (pièce P47, rapport d’expertise de M. Freeson, dossier d’appel, onglet 18, paragraphes 102 et 106).

[76]  De l’avis de M. Freeson, d’après sa connaissance personnelle des gammes de produits offerts et de la qualité des produits disponibles, si les défenderesses ne se trouvaient pas sur le marché avec leurs unités d’entraînement contrefaisantes, les producteurs de pétrole se seraient tournés vers les demandeurs, Weatherford ou l’un des autres fabricants. À son avis, il était raisonnable de supposer que les producteurs de pétrole se seraient adressés à ces fabricants proportionnellement à leur part de marché relative après le retrait des défenderesses, car il n’y avait aucune raison précise pour laquelle les clients des défenderesses auraient privilégié Weatherford, puis Oil Lift, aux demandeurs (pièce P47, rapport d’expertise de M. Freeson, dossier d’appel, onglet 18, paragraphe 124).

[77]  En résumé, sur la question de savoir si la Cour fédérale a commis une erreur en se fondant sur la part de marché historique des demandeurs pour fournir une base fiable pour calculer les ventes perdues :

  1. La Cour fédérale a correctement tenu compte du critère du lien de causalité.

  2. La Cour fédérale a fait mention de la décision Alliedsignal et de la liste non exhaustive des facteurs pertinents pour prévoir ce qui se serait vraisemblablement passé sur le marché hypothétique.

  3. La Cour fédérale a examiné plusieurs de ces facteurs, ce qui démontre sa compréhension de la valeur de l’unité d’entraînement brevetée et du marché, afin de pouvoir évaluer l’affirmation des demandeurs selon laquelle les éléments de preuve concernant la part de marché historique fournissaient une base fiable pour évaluer ce qui se serait vraisemblablement passé dans un marché hypothétique.

  4. La Cour fédérale a admis des éléments de preuve concernant le marché du produit, y compris ceux de M. Freeson concernant les avantages qu’offre l’unité d’entraînement des demandeurs, les concurrents sur le marché et les facteurs qui ont influencé les choix d’achat des consommateurs. D’après lui et selon son expérience dans le secteur, il n’y avait aucune raison pour que les clients des défenderesses aient préféré acheter une unité d’entraînement qui n’était pas fabriquée par les demandeurs.

[78]  À mon avis, les appelantes n’ont démontré aucune erreur de droit qui justifierait d’intervenir dans la conclusion de la Cour fédérale concernant la pertinence de la part de marché historique des demandeurs. Elles n’ont pas non plus démontré l’existence d’une erreur de fait manifeste et dominante ou une erreur mixte de fait ou de droit qui justifierait une intervention. La Cour disposait d’éléments de preuve suffisants pour étayer sa conclusion selon laquelle la part de marché historique des demandeurs constituait une base fiable pour calculer la perte de ventes que les demandeurs ont subies. Il s’ensuit que je rejetterais ce moyen d’appel.

[79]  En lien avec ce moyen d’appel, les appelantes ont avancé l’argument selon lequel la Cour fédérale a commis une erreur en retenant la version modifiée de la part de marché des demandeurs que ces derniers avaient proposée dans l’exposé final de leur avocat. Je vais maintenant examiner ce motif.

[80]  Les appelantes soutiennent que le fait de permettre aux intimés [TRADUCTION] « de déposer un nouveau modèle lors de la présentation de l’exposé final était préjudiciable [...] [i]l était trop tard pour permettre aux intimés de rejeter la thèse de leur propre expert et de fournir un nouveau modèle de part de marché après que les appelantes ont terminé la présentation de leur preuve. Si le troisième modèle avait été présenté avant le procès, les appelantes auraient eu l’occasion de présenter une autre thèse pour contester ce nouveau modèle ». Dans la mesure où la Cour fédérale [TRADUCTION] « a retenu la proposition, les appelantes auraient dû bénéficier de la possibilité de demander à leur expert d’examiner le modèle et de fournir une réponse. De plus, elles auraient dû avoir la possibilité de mener des contre-interrogatoires et le droit de rouvrir leur preuve » (mémoire des faits et du droit des appelantes, paragraphes 83, 84 et 87).

[81]  En toute déférence, je ne suis pas d’accord.

[82]  Au paragraphe 53 ci-dessus, j’ai résumé de manière assez détaillée les modifications proposées à l’annexe 3 lors de la plaidoirie verbale finale. Ces modifications apportées au calcul de la part de marché ont ensuite été utilisées pour créer l’annexe 2b modifiée à laquelle la Cour fédérale a fait référence.

[83]  Lorsque les modifications réelles apportées à l’annexe 2b sont prises en compte, à mon avis, il est juste de dire qu’aucun « nouveau modèle » n’a été créé après la clôture de la preuve. Des rajustements ont plutôt été proposés aux données utilisées dans le modèle existant pour calculer les parts de marché estimatives des participants au marché pendant la période concernée. Les modifications étaient fondées sur des éléments de preuve orale des représentants d’Oil Lift, de KUDU et de Brightling. Deux des témoins qui ont fourni ces éléments de preuve, M Hult d’Oil Lift et M. Hall de Brightling, ont été appelés à témoigner par les défenderesses. En tout état de cause, tous les témoins étaient disponibles aux fins d’interrogatoire ou de contre-interrogatoire par les défenderesses quant au nombre de ventes d’unités d’entraînement dont chaque témoin avait connaissance personnellement. Je ne constate aucune injustice.

[84]  La Cour fédérale était consciente des faiblesses des éléments de preuve de M. Freeson concernant les ventes et la part de marché des concurrents autres que les trois grands qui en a découlé. Après avoir écarté ces éléments de preuve au paragraphe 100, la Cour fédérale a conclu :

101.  À l’aide des éléments de preuve plus exacts présentés au procès, la Cour peut examiner les analyses de marché concurrentes maintenant proposées par les parties. Nous n’avons pas ici affaire à une absence d’éléments de preuve, mais à la question de savoir lesquels peuvent servir à tirer des conclusions raisonnables.

[85]  Après un examen général des éléments de preuve concernant les ventes d’unités d’entraînement et des thèses des parties sur la part de marché, la Cour a conclu « que les faits prouvés dans la présente instance, y compris par les témoins des défenderesses, confirment la validité de l’approche suivie dans l’annexe 2b modifiée et le calcul qui y est proposé des profits perdus sur les unités d’entraînement neuves » (motifs, au paragraphe 128).

[86]  Les appelantes n’ont démontré aucune erreur manifeste et dominante dans l’appréciation par la Cour fédérale des éléments de preuve dont elle était saisie. La Cour fédérale n’a pas non plus commis d’erreur en retenant des calculs de parts de marché qui étaient conformes aux éléments de preuve orale dont elle disposait, même si le résultat ne correspondait pas parfaitement aux résultats et scénarios que les experts ont modélisés dans leurs rapports (Apotex Inc. c. Sanofi-Aventis, 2014 CAF 68, [2015] 2 R.C.F. 828, au paragraphe 139 en dissidence, mais pas sur ce point, voir le paragraphe 152). Un tribunal de première instance ne commet pas d’erreur en établissant la part de marché à la lumière de l’ensemble des éléments de preuve.

[87]  Je me penche maintenant sur la question suivante concernant l’affirmation des appelantes selon laquelle la Cour fédérale a commis plusieurs erreurs factuelles dans son calcul de la part de marché dans le monde hypothétique concernant ce qui suit :

  1. le nombre d’unités contrefaisantes vendues par les appelantes;

  2. les ventes d’unités d’entraînement pour têtes de puits électriques par opposition à celles qui sont hydrauliques à compter de 2004;

  3. les ventes internationales;

  4. les ventes de Weatherford.

La Cour fédérale a-t-elle commis des erreurs factuelles dans ses calculs de la part de marché dans un monde hypothétique?

a.  Le nombre d’unités contrefaisantes vendues par les appelantes

[88]  Au procès, les parties ont convenu du nombre d’unités d’entraînement contrefaites vendues par les défenderesses de 2005 à 2010 (motifs, au paragraphe 78). Ce qui était en litige, c’était le nombre d’unités vendues par les défenderesses de 2000 à 2004. Étant donné que les documents relatifs aux ventes des défenderesses étaient ambigus sur la question de savoir si une vente d’une unité d’entraînement comportait ou non une boîte à garniture contrefaisante, les parties et leurs experts n’étaient pas d’accord sur le nombre d’unités d’entraînement contrefaisantes vendues au cours de ces années. Dans son rapport en réponse, pièce P51, l’expert des demandeurs, M. Cohen, a conclu que les défenderesses avaient vendu 2 751 unités contrefaisantes. Dans son rapport supplémentaire en réponse, pièce D85, l’expert des défenderesses, M. Hall, a conclu que les défenderesses avaient vendu 2 416 unités contrefaisantes, soit une différence de 335 unités.

[89]  Les appelantes fondent leurs observations sur la question du nombre d’unités sur les paragraphes suivants des motifs de la Cour fédérale :

[79]  Concernant la période 2000-2004, les deux experts, soit MM. Cohen pour les demandeurs et Hall pour les défendeurs, ne s’accordent pas sur le nombre d’unités d’entraînement vendues. La raison en est qu’une partie des documents de NOV relatifs à ces ventes se révèlent ambigus sur le point de savoir si celles-ci comportaient ou non une boîte à garniture contrefaisante. La différence d’évaluation se chiffre à quelque 330 unités : M. Cohen soutient que le total le plus élevé, de 2 751, représente le nombre d’articles contrefaisants vendus, tandis que selon M. Hall, les défenderesses ont vendu 2 416 unités d’entraînement neuves et 80 d’occasion.

[80]  Les experts ont appliqué des méthodes différentes à l’interprétation des comptes ambigus. M. Hall a posé comme hypothèse que si les comptes n’indiquaient pas que les articles fussent contrefaisants, les ventes correspondantes ne l’étaient pas non plus. Quant à M. Cohen, il s’est fondé sur son constat que [traduction] « les ventes de boîtes à garniture en corde reculaient sur le marché et sur un rapprochement de comptes qu’il avait effectué pour classer comme contrefaisantes ces ventes non définies ». Ce rapprochement de comptes comparait le nombre d’unités fabriquées au nombre d’unités vendues. M. Cohen a constaté entre les deux une différence d’environ 2 %, le nombre des unités vendues dépassant celui des unités produites. Si l’on utilisait les chiffres de M. Hall, cette différence se révélait beaucoup plus importante.

[81]  M. Cohen a relevé dans son rapport en réponse un certain nombre d’anomalies de classement. Il a fait observer que, dans le cas de la vente de certaines catégories d’articles, M. Hall avait inclus la catégorie en question lorsqu’il était indiqué qu’elle était contrefaisante, mais qu’il avait exclu la même catégorie lorsque la description était muette à ce sujet; tel était le cas des modèles DH565K (108 unités) et DH682K (34 unités). À mon sens, on ne risque guère de se tromper en concluant que si certaines de ces unités étaient définies comme contrefaisantes, les ventes de toute leur catégorie étaient illicites. Par conséquent, j’accepte la conclusion de M. Cohen sur ces chiffres. Son approche cadrait avec la situation réelle du marché, tandis que la méthode de M. Hall était restrictive à l’excès.

[82]  Cependant, il a été établi au cours du contre-interrogatoire de M. Cohen que certains de ses chiffres étaient inexacts. Par exemple, la preuve a montré que les factures réunies sous la cote D63 s’appliquaient à des ventes non contrefaisantes. En outre, M. Cohen avait compté plus d’unités contrefaisantes qu’il n’en avait été fabriqué :

[traduction]

Il est apparu au cours de son contre-interrogatoire que M. Cohen avait en fait compté plus d’unités contrefaisantes qu’il n’en avait été produit pour les périodes 2000-2001, 2002, 2003 et 2004. Comme on peut le voir sur le tableau ci-dessous, M. Cohen a compté : 1) 103 unités vendues de plus qu’il n’en avait été produit pour 2000-2001; 2) 115 de plus pour la période 2000-2002; 3) 197 de plus pour la période 2000-2003; et 4) 127 de plus pour la période 2000-2004.

(Conclusions finales des défenderesses.)

[83]  L’écart séparant les évaluations proposées par les parties du nombre des unités d’entraînement vendues est relativement faible. Je constate comme M. Cohen que, selon la preuve produite dans la présente instance, les ventes de boîtes à garniture en corde reculaient sur le marché. En outre, la preuve établit sans ambiguïté que NOV n’a pas vendu d’unités d’entraînement neuves munies de boîtes à garniture en corde après 2006. Néanmoins, les défenderesses me paraissent avoir établi non moins clairement que le compte de M. Cohen pose problème du fait qu’il dénombre plus d’unités vendues qu’il n’en a été produit. Comme les demandeurs n’ont proposé aucune explication de ces anomalies, je suis d’avis d’accepter le compte de M. Hall concernant les unités d’entraînement neuves, sous réserve des légères modifications indiquées plus haut.

[84]  Cependant, l’erreur est de peu d’importance et compatible avec l’approche de l’évaluation des dommages-intérêts fondée sur la détermination approximative. La Cour corrigera les chiffres dans une certaine mesure, mais cette correction n’aura pas d’incidence importante.

[Non souligné dans l’original.]

[90]  Les appelantes soutiennent que la Cour fédérale a conclu que M. Cohen avait surestimé le nombre d’unités contrefaisantes vendues de 193 unités. En se fondant sur cette conclusion, les appelantes se plaignent qu’aucun motif ne justifie la conclusion selon laquelle « l’erreur est de peu d’importance » et « n’[avait] pas d’incidence importante ». En outre, elles soutiennent que le reste des motifs ne fait pas clairement ressortir si la Cour fédérale a apporté une correction au calcul des dommages-intérêts pour tenir compte de la question du nombre d’unités. Bien qu’au paragraphe 130 des motifs, la Cour fédérale ait révisé à la baisse les chiffres de ventes perdues de 68 000 $ en se fondant sur « les incertitudes dont la preuve est parfois entachée et le caractère discutable de certains éléments de coût et, d’autre part, l’approche fondée sur la “détermination approximative” », aucune mention explicite n’est faite de la question du compte des unités. Il n’y a non plus aucune explication sur les raisons pour lesquelles une réduction de 68 000 $ est appropriée ni sur la façon dont elle a été calculée.

[91]  Les appelantes soutiennent qu’il [TRADUCTION] « semble que le juge du procès a simplement arrondi à la baisse pour en arriver à la centaine de milliers de dollars près ».

[92]  Bien que je reconnaisse que les motifs de la Cour fédérale sont succincts et qu’il aurait été utile qu’ils soient plus étoffés à l’égard du raisonnement de la Cour, les appelantes n’ont pas atteint le seuil suffisant pour démontrer une erreur manifeste et dominante en ce qui concerne la question du nombre d’unités. J’en arrive à cette conclusion pour les motifs suivants.

[93]  Pour commencer, la Cour fédérale n’a pas conclu expressément que M. Cohen avait surestimé le nombre d’unités contrefaites de 193 unités. Il s’agit d’une inférence que les appelantes demandent à notre Cour de tirer de la déclaration « je suis d’avis d’accepter le compte de M. Hall concernant les unités d’entraînement neuves, sous réserve des légères modifications indiquées plus haut » (motifs, au paragraphe 83). Pour obtenir le chiffre de 193 unités, les appelantes se fondent sur le calcul de M. Hall selon lequel M. Cohen a surestimé le nombre d’unités vendues de 335 unités duquel nombre elles font la soustraction de 142 (soit le nombre d’unités qu’il a été jugé que M. Hall avait sous-estimé au paragraphe 81 des motifs de la Cour fédérale) (soit 335 – 142 = 193 unités).

[94]  Ce n’est pas une inférence juste ou autorisée à tirer des motifs. La Cour fédérale n’a pas accepté l’exactitude du compte de M. Hall concernant les unités. Bien que la Cour fédérale déclare au paragraphe 83 « je suis d’avis d’accepter le compte de M. Hall », cette déclaration est immédiatement suivie du mot « Cependant ».

[95]  La Cour explique que, si elle avait tenu compte de l’erreur de rapprochement de M. Cohen isolément, elle aurait retenu les éléments de preuve de M. Hall.

[96]  Le fait que la Cour n’ait pas retenu le compte de M. Hall est clairement indiqué aux paragraphes 127 à 130 des motifs de la Cour :

[126]  Comme j’ai généralement retenu de préférence l’approche de M. Cohen, que j’estime plus réaliste et plus équilibrée, l’annexe 2b modifiée de son rapport en réponse, ainsi que je le disais plus haut, m’a paru très utile. Il a modifié cette annexe pour prendre en compte les éléments de preuve produits au procès, notamment en corrigeant les chiffres en fonction des témoignages d’Oil Lift et de Kudu, qui ont infirmé les hypothèses erronées de M. Freeson sur la part de marché.

[127]  Un examen détaillé me convainc que les faits prouvés dans la présente instance, y compris par les témoins des défenderesses, confirment la validité de l’approche suivie dans l’annexe 2b modifiée et le calcul qui y est proposé des profits perdus sur les unités d’entraînement neuves.

[128]  Voici en résumé les chiffres qu’établit l’annexe 2b modifiée pour la période de 2000 au 3 juin 2010 :

Unités d’entraînement neuves vendues par NOV

2 592

Moyenne estimative de la part de marché de GrenCo

40,5 %

Nombre estimatif d’unités dont GrenCo a manqué la vente

1 051

Moyenne pondérée des prix unitaires de GrenCo

10 955 $

Total des revenus d’exploitation sur les unités neuves

11 513 722 $

Marge estimative sur coûts variables

38,8 %

Perte de profits sur les unités neuves

4 468 000 $

[129]  Étant donné, d’une part, les incertitudes dont la preuve est parfois entachée et le caractère discutable de certains éléments de coût, et d’autre part, l’approche fondée sur la « détermination approximative » que la Cour a adoptée, j’estime devoir octroyer pour ce chef de préjudice la somme de 4 400 000 $.

[Non souligné dans l’original.]

[97]  Dans ces paragraphes, la Cour accepte un nombre de 2 592 unités d’entraînement neuves, en se fondant sur le témoignage de M. Cohen, dans sa version modifiée pour tenir compte des éléments de preuve présentés au procès (comme il est expliqué en détail ci-dessus au paragraphe 53).

[98]  Cette conclusion était fondée sur la préférence clairement exprimée par la Cour pour l’approche de M. Cohen à l’égard des documents ambigus relatifs aux ventes des défenderesses. M. Hall avait supposé que, si des documents ambigus n’indiquaient pas qu’une unité vendue était une unité contrefaisante, la vente n’était pas celle d’un produit contrefaisant (motifs, aux paragraphes 80 et 81). Compte tenu des éléments de preuve, la Cour avait le droit de préférer les éléments de preuve présentés par M. Cohen, dont l’approche « cadrait avec la situation réelle du marché » tandis que l’approche de M. Hall était « restrictive à l’excès » (motifs, au paragraphe 81). J’ai déjà conclu qu’il n’y a eu aucune erreur de droit ni erreur de fait manifeste et dominante dans l’acceptation par la Cour de l’approche modifiée de l’annexe 2b.

[99]  En outre, il est important d’examiner attentivement la conclusion de la Cour, au paragraphe 82 des motifs, selon laquelle M. Cohen « avait compté plus d’unités contrefaisantes qu’il n’en avait été fabriqué ».

[100]  Ayant calculé le nombre d’unités contrefaites vendues, [TRADUCTION] « afin de vérifier le caractère raisonnable » de ses conclusions sur les ventes totales de produits contrefaisants par les défenderesses, M. Cohen a calculé le nombre d’unités contrefaisantes fabriquées par les défenderesses au cours de la période de 2000 à 2010 et les a comparées au nombre d’unités contrefaisantes que M. Cohen avait calculées.

[101]  Comme le montre la pièce D61C (dossier d’appel, onglet 88), l’erreur citée par la Cour fédérale au paragraphe 82 de ses motifs s’est produite lors de cet exercice de rapprochement lorsque M. Cohen a comparé des listes d’inventaire manuscrites à son nombre d’unités.

[102]  Et, contrairement à ce que la Cour a écrit au paragraphe 83 de ses motifs, lors du nouvel interrogatoire, M. Cohen a bien expliqué les divergences apparentes concernant l’exercice de rapprochement (nouvel interrogatoire de M. Cohen, dossier d’appel, onglet 117, de la page 4269, ligne 27 à la page 4271, ligne 18).

[103]  Pour conclure sur ce point, l’action en contrefaçon de brevet a été intentée en 2001. La difficulté à déterminer le nombre d’unités contrefaisantes que les défenderesses ont vendues de 2000 à 2004 est le résultat direct du manquement des défenderesses à tenir des registres complets, exacts et sans ambiguïté de leurs ventes. C’est dans ce contexte que la Cour a rejeté l’avis de M. Hall sur le nombre de ventes de produits contrefaisants.

[104]  Je rejetterais ce moyen d’appel.

b.  Les ventes d’unités d’entraînement pour têtes de puits électriques par opposition à celles qui sont hydrauliques à compter de 2004

[105]  Au paragraphe 53(iii) ci-dessus, j’ai expliqué deux changements importants sur le marché des unités d’entraînement au Canada qui ont eu lieu en 2004, et les modifications apportées à l’annexe 2b du rapport Cohen qui ont donné l’annexe 2b « modifiée ». Les changements sur le marché des unités d’entraînement étaient la disponibilité de l’unité d’entraînement hydraulique non contrefaisante des défenderesses, soit l’unité d’entraînement de SAI, et l’augmentation du nombre de ventes réalisées par Oil Lift et KUDU. Il a été tenu compte de la première modification dans le rapport en réponse de M. Cohen (au paragraphe 80). À la suite des éléments de preuve présentés au procès, d’autres modifications ont été apportées pour tenir compte de l’augmentation des ventes réalisées par Oil Lift, KUDU et Brightling. Des éléments de preuve concernant les ventes d’Oil Lift ont été fournis par M. Hult, propriétaire et cofondateur de l’entreprise. Son témoignage comportait des éléments de preuve selon lesquels 75 % ou plus des unités d’entraînement vendues par Oil Lift étaient uniquement destinées à des applications hydrauliques.

[106]  Les appelantes soutiennent qu’en retirant toutes les ventes d’unités d’entraînement hydrauliques d’Oil Lift du marché pour les années 2004 à 2010, les intimés ont créé un marché « d’unités électriques », mais seulement pour deux participants au marché : les appelantes et Oil Lift. Les appelantes affirment que la Cour fédérale n’a donné aucun motif pour le rejet de leur argument selon lequel cette distinction n’était pas appliquée à tous les participants au marché et que si les intimés [TRADUCTION] « avaient appliqué cette distinction de manière uniforme, il y aurait probablement eu une diminution du montant des dommages-intérêts ». (mémoire des faits et du droit des appelantes, au paragraphe 113).

[107]  Encore une fois, à mon avis, les appelantes n’ont démontré aucune erreur manifeste et dominante. Aucun rajustement n’a été nécessaire pour les ventes d’unités d’entraînement réalisées par les autres participants au marché, Weatherford, KUDU et Brightling, car leurs unités d’entraînement pouvaient être utilisées dans des installations de têtes de puits électriques ou hydrauliques (concernant Weatherford : contre-interrogatoire de M. Roland Moneta, dossier d’appel, onglet 115, de la page 3844, ligne 25 à la page 3845, ligne 17; concernant KUDU : pièce P73; dossier d’appel, onglet 57, concernant Brightling : contre-interrogatoire de M. Craig Hall, dossier d’appel, onglet 119, page 4462, lignes 8 à 16).

[108]  Il était loisible à la Cour fédérale de conclure que, non seulement la séparation des unités hydrauliques des unités électriques était logique, mais encore elle a vraisemblablement permis d’éviter de sous-indemniser les demandeurs pour la contrefaçon (motifs, paragraphe 110). La conclusion de la Cour fédérale a également tenu compte du fait que l’expert des défenderesses, M. Hall, a utilisé un modèle semblable dans un scénario de rechange sans contrefaçon où la boîte à garniture de SAI a été jugée par la Cour constituer une solution de rechange sans contrefaçon uniquement pour les unités d’entraînement hydrauliques. Dans ce scénario, M. Hall a eu recours à l’approche de M. Cohen visant à écarter les ventes hydrauliques sans exprimer de préoccupation concernant l’approche (pièce D85, rapport supplémentaire en réponse de M. Hall, dossier d’appel, onglet 27, paragraphe 69 et pièce jointe 47R).

[109]  Je rejetterais ce moyen d’appel.

c.  Les ventes internationales

[110]  Au procès, il y avait un consensus voulant que le marché international se distingue du marché canadien. Les boîtes à garniture en corde étaient plus populaires dans les régions où les réglementations environnementales étaient moins rigoureuses. De plus, il était plus difficile de faire l’entretien des boîtes à garniture écologiques à l’étranger.

[111]  Les appelantes soutiennent qu’au procès, les intimés ont demandé une réparation pour perte de profits en ce qui concerne les ventes internationales des appelantes. Les appelantes soutiennent également que les intimés ont inclus leurs propres ventes internationales dans leur revendication de part de marché; cependant, les intimés n’incluaient pas les ventes internationales de leurs concurrents. Cela aurait faussé injustement les chiffres de ventes perdues des intimés et le calcul de la part de marché connexe. En adoptant l’annexe 2b modifiée, la Cour fédérale aurait commis des erreurs manifestes et dominantes qui auraient entraîné une indemnisation plus élevée des intimées en raison du traitement réservé aux ventes internationales.

[112]  Les appelantes affirment également que le fait que la Cour fédérale n’ait pas abordé la question des ventes internationales dans ses motifs constituait une erreur de droit.

[113]  Il aurait été idéal que la Cour fédérale traite la question des ventes internationales dans ses motifs. Cependant, cette omission pourrait bien être attribuable au fait que les défenderesses ont apparemment présenté un argument différent au procès concernant les ventes internationales.

[114]  Au procès, après avoir observé que M. Cohen avait utilisé des chiffres de ventes qui comprenaient les ventes internationales de GrenCo et de Corlac, les défenderesses ont soutenu que [TRADUCTION] « les demandeurs ont pris une décision stratégique de ne pas faire de distinction entre les ventes canadiennes et internationales des défenderesses dans leurs rapports d’expertise. Les demandeurs n’ont pas non plus fait de distinction entre les ventes canadiennes et internationales de Grenco lors de la création de leur étude de part de marché », (observations finales écrites des défenderesses, dossier d’appel, onglet 128, paragraphes 150 et 152).

[115]  Les défenderesses ont ensuite déclaré qu’elles s’étaient [TRADUCTION] « appuyées sur la thèse adoptée par les demandeurs pour se préparer au procès et n’avaient pas soutenu que les ventes internationales des défenderesses devraient être traitées différemment », (observations écrites finales des défenderesses, dossier d’appel, onglet 128, paragraphe 153). Les défenderesses ont ensuite exposé l’argument selon lequel le marché comprenait des boîtes à garniture en corde.

[116]  La Cour fédérale n’a pas retenu cet argument. La Cour fédérale a conclu que le « marché sur lequel opérait GrenCo et sur lequel les défenderesses voulaient prendre pied avec leurs produits contrefaisants était le marché des unités d’entraînement écologiques de têtes de puits pour application générale dans le secteur pétrolier » (motifs, au paragraphe 45). La Cour fédérale a renchéri comme suit au paragraphe 105 de ses motifs :

S’agissant de la part de marché, il faut se concentrer sur le point de savoir ce que les clients des défenderesses auraient fait si les produits contrefaisants de ces dernières n’avaient pas été sur le marché. D’après leurs achats dans le monde réel, ces clients recherchaient un produit « écologique »; par conséquent, j’estime que les défenderesses font erreur en prenant en compte les boîtes à garniture en corde et en focalisant leur analyse sur ces produits. L’analyse de la part de marché s’en trouve faussée, et orientée dans un sens contraire au marché déjà défini pour le produit. Le marché en question est en effet celui des « boîtes à garniture écologiques ».

[117]  Comme la question que les appelantes tentent maintenant de débattre ne semble pas avoir été présentée à la Cour fédérale, on ne peut pas dire que la Cour fédérale a commis une erreur de droit en omettant de trancher la question. Quoi qu’il en soit, dans la mesure où notre Cour est à bon droit saisie de la question, ce n’est pas une question étayée par des éléments de preuve qui permettraient de conclure à une erreur manifeste et dominante de la part de la Cour fédérale.

[118]  M. Hall était conscient de l’existence de ventes internationales. Par exemple, dans son premier rapport, pièce D84, il conteste au paragraphe 41 l’hypothèse de M. Cohen selon laquelle toutes les données sur les ventes des défenderesses sont exprimées en dollars canadiens. Il note que certaines ventes incluaient des opérations déclarées en dollars américains (faisant apparemment état de ventes réalisées aux États-Unis). Les pièces jointes 7, 9, 11, 13 et 27 de son rapport indiquent que les ventes de Corlac libellées en devises étrangères ont été converties en dollars canadiens. La pièce jointe 22, relative à l’état des résultats de GrenCo, indique que les opérations de change sont une autre source de revenus.

[119]  Tout en étant conscient de la présence de ventes internationales, M. Hall n’a, à aucun moment, contesté la façon dont les ventes à l’étranger ont été intégrées dans le calcul ni exprimé l’avis que les ventes à l’étranger auraient une incidence importante sur la détermination de la part de marché.

[120]  En l’absence de preuve permettant de conclure à une erreur manifeste et dominante, je rejetterais ce moyen d’appel.

d.  Les ventes de Weatherford

[121]  Comme il a été expliqué ci-dessus, Weatherford a été autorisée sous licence à vendre l’unité de GrenCo. Elle a déjà été partie à ce litige à un moment donné. En tant que partie, Weatherford a préparé et produit des documents de base de données pour montrer les ventes de produits producteurs de redevances aux termes de la licence accordée par GrenCo. Ces documents ont été acceptés comme pièces P56 et P57 lors de l’audience sur les dommages-intérêts. Étant donné que les documents ont été préparés en vue du litige, ils n’étaient pas admissibles en tant que documents commerciaux.

[122]  M. Cohen s’est appuyé sur les pièces P56 et P57 pour estimer la part de marché de Weatherford. M. Hall ne l’a pas fait. Plutôt, M. Hall a calculé les ventes de Weatherford en fonction des paiements de redevances qu’elle avait effectués.

[123]  Au procès, la Cour fédérale a accepté les pièces P56 et P57 en preuve pour démontrer la véracité de leur contenu. Ce faisant, la Cour a rejeté l’objection des défenderesses selon laquelle les témoins qui prétendaient identifier les documents ne pouvaient pas attester de l’exactitude des données qui y figuraient. Les données étaient donc considérées comme des éléments de preuve par ouï-dire inadmissibles.

[124]  La Cour fédérale n’a pas traité de cette question dans ses motifs écrits. L’explication relative à l’acceptation des pièces suivante ressort de la transcription du procès :

[TRADUCTION]

M. REGAN : Nous aimerions procéder à un contre-interrogatoire de ce témoin au sujet de ces documents. Soit nous pouvons les étiqueter provisoirement maintenant aux fins d’identification, puis débattre du point –

JUGE PHELAN : Pourquoi seraient-ils indiqués comme étant aux fins d’identification? Il dit qu’il les a supervisés et a organisé leur collecte. Vous pouvez certainement contre-interroger à ce sujet, mais pourquoi en feraient-ils l’objet –

M. REGAN : Nous croyons comprendre que ce n’est pas la personne qui a réellement extrait les données. Ce n’est pas lui qui a réellement créé ce document. Il ne peut pas témoigner à savoir si ces données ont été extraites avec exactitude, si quoi que ce soit a été reçu ou s’il s’agit vraiment d’un document sur lequel nous pouvons nous appuyer. À notre avis, il n’est pas admissible. Il ne peut pas témoigner et authentifier ce document.

JUGE PHELAN : Selon cette thèse, dans tous les documents comptables qui font surface, il vous faudrait appeler à témoigner la personne au bas de la hiérarchie et toutes les autres personnes de la chaîne qui y ont eu accès pour prouver la continuité du contrôle du document comme s’il s’agissait d’une affaire de stupéfiants. Ce n’est pas la norme. Je ne vais pas -- cela sera admis comme une pièce au dossier. Vous pouvez faire état de toutes les lacunes qu’il vous plaira et finir par dire que c’est un témoin qui ne connaît rien à ce sujet et ne lui accorder aucun poids, mais il a identifié le document. Cela est tout à fait approprié. Le document est admis.

(interrogatoire principal de M. Gazdewich, dossier d’appel, onglet 117, page 4183, lignes 1 à 25)

[125]  En appel, les appelantes soutiennent que la Cour fédérale a commis une erreur de droit et a commis une erreur manifeste et dominante en acceptant les pièces en vue de prouver la véracité de leur contenu.

[126]  Les demandeurs ont d’abord cherché à verser les documents en preuve lors du témoignage de Roland Moneta, technologue principal des applications à Weatherford. Son témoignage indiquait que le document avait été assemblé sous la direction de M. Gazdewich, contrôleur des activités canadiennes de Weatherford, qui [TRADUCTION] « aurait dû rassembler tous les renseignements exacts pour ce document », (interrogatoire principal de M. Moneta, dossier d’appel, onglet 115, page 3824, lignes 8 à 20). La Cour fédérale n’a pas reconnu que les documents avaient été correctement identifiés par l’intermédiaire de M. Moneta et a exigé que M. Gazdewich témoigne, ce qu’il a fait.

[127]  M. Gazdewich a déclaré que les pièces P56 et P57 avaient été rassemblées par trois personnes : lui-même, un consultant qu’il avait engagé (James Allan) et un spécialiste en informatique. M. Gazdewich était responsable du groupe, supervisait leur travail et disposait du pouvoir d’approuver en définitive la collecte des données (interrogatoire principal de M. Gazdewich, dossier d’appel, onglet 117, de la page 4181, ligne 21 à la page 4182, ligne 17). M. Gazdewich a identifié un document intitulé « Discovery Plan Weatherford Data Capture & Analysis Procedure » (pièce P58, dossier d’appel, onglet 43) qui décrit le processus à suivre pour identifier et déclarer tous les revenus tirés des ventes ou les opérations de coûts d’achat.

[128]  Le document intitulé Discovery Plan exigeait que les données soient extraites de la base de données financières par [TRADUCTION] « ShowCase, une application de recherche et d’établissement de rapport distincte ». Cette fonction devait être réalisée par M. Gazdewich. Le Plan exigeait également que M. Gazdewich importe les résultats de la recherche réalisée dans ShowCase vers un classeur MS Excel par une fonction d’extraction automatique dans ShowCase. Les formules vérifiant la portée et l’exactitude des résultats devaient être examinées et approuvées par M. Gazdewich.

[129]  M. Gazdewich a confirmé qu’il avait examiné et approuvé tous les rapports produits en réponse au document intitulé Discovery Plan avant leur présentation. Il a déclaré qu’au moment où les pièces P56 et P57 ont été préparées, il [TRADUCTION] « avait conclu que l’ensemble renfermait des renseignements complets ». De plus, il n’a jamais entendu de commentaires sur l’exhaustivité de l’ensemble de documents (interrogatoire principal de M. Gazdewich, dossier d’appel, onglet 117, page 4187, lignes 13 à 21).

[130]  J’en déduis que, compte tenu de l’ensemble de ces éléments de preuve, la Cour fédérale a conclu qu’on n’y gagnerait pas grand-chose si on devait exiger que M. Allan, l’expert-conseil, témoigne. En effet, les appelantes reconnaissent que [TRADUCTION] « [a]u mieux, la conclusion du juge de première instance selon laquelle il était déraisonnable d’exiger des intimés la convocation de trois témoins constituait une évaluation des critères de nécessité » (mémoire des faits et du droit des appelantes, au paragraphe 97).

[131]  L’essentiel des observations des appelantes sur cette question porte sur la fiabilité des pièces P56 et P57. Les appelantes soulignent les erreurs suivantes :

  • La pièce P56 ne comprend pas tous les numéros de pièce des produits sur lesquels des redevances ont été payées (interrogatoire principal de M. Gazdewich, dossier d’appel, onglet 117, page 4190, lignes 1 à 28).

  • Il manque des données sur les pièces P56 et P57. Aucune donnée ne figure à la pièce P56 pour la période de janvier à septembre 2003 (contre-interrogatoire de M. Gazdewich, dossier d’appel, onglet 117, page 4196, lignes 3 à 16).

  • Alors que la pièce P57 était censée être un résumé de la pièce P56, les documents font état de différents nombres d’unités pour le numéro de pièce 495894. Le nombre d’unités devrait être le même pour chaque document (contre-interrogatoire de M. Gazdewich, dossier d’appel, onglet 117, de la page 4193, ligne 23 à la page 4195, ligne 4).

[132]  Bien que la Cour fédérale ait déclaré lors de l’admission des pièces P56 et P57 en preuve que les défenderesses pouvaient contester le poids à accorder aux données figurant dans les pièces, et bien que les défenderesses aient soutenu au procès que les données n’étaient pas fiables et qu’on ne devrait pas leur accorder de poids, la Cour fédérale n’a pas traité dans ses motifs de la fiabilité des données de Weatherford telles qu’elles sont exprimées dans les pièces P56 et P57.

[133]  Devant des éléments de preuve à l’appui de la conclusion selon laquelle les données, ou du moins certaines des données, contenues dans les pièces P56 et P57 n’étaient pas fiables et n’auraient pas dû se voir accorder un quelconque poids, la Cour doit se demander si les appelantes ont démontré que la Cour fédérale avait commis une erreur manifeste et dominante en acceptant les pièces P56 et P57 en preuve en vue de prouver la véracité de leur contenu.

[134]  L’erreur manifeste et dominante est une norme de contrôle faisant appel à un degré élevé de retenue (Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165, 431 N.R. 286, au paragraphe 46, citant H.L. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 25, [2005] 1 R.C.S. 401; Peart v. Peel Regional Police Services (2006), 217 O.A.C. 269, 2006 CanLII 37566 (C.A.); et Waxman v. Waxman (2004), 186 O.A.C. 201, 2004 CanLII 39040 (C.A.)).

[135]  Une erreur manifeste est une erreur évidente. Une erreur dominante est une erreur qui touche à l’issue de l’affaire.

[136]  Pour démontrer l’importance de l’erreur, les appelantes soutiennent ce qui suit :

  • Au cours de la période de sept mois allant de janvier à septembre 2003, lorsqu’il manquait des données dans les pièces P56 et P57, Weatherford a payé plus de 100 000 $ en redevances.

  • La différence entre les estimations de M. Hall et de M. Cohen quant au nombre d’unités d’entraînement vendues est importante. Elles répètent l’argument selon lequel M. Cohen a surestimé le nombre de nouvelles unités d’entraînement vendues de 193 unités.

[137]  Ces arguments posent plusieurs difficultés :

  • Des montants de redevances ont été comptabilisés lorsque Weatherford a fabriqué, et non vendu, des unités (interrogatoire principal de M. Moneta, dossier d’appel, onglet 115, de la page 3829, ligne 18 à la page 3830, ligne 6).

  • Les rapports sur les redevances sur lesquels M. Hall s’est fondé n’indiquaient pas les unités pour lesquelles des redevances ont été prélevées. Différents taux de redevance s’appliquaient à différentes unités. Par conséquent, M. Hall a pris le total des paiements de redevances et a divisé cette somme par le taux de redevances potentiellement le plus élevé et le plus bas pour obtenir une fourchette d’unités. M. Hall a ensuite utilisé le point médian de la fourchette pour calculer son estimation du nombre d’unités vendues. Pour 2003, l’année dont les données sont manquantes, il a estimé que le nombre d’unités vendues par Weatherford variait de 676 à 1 095 unités (une très large fourchette) et a sélectionné le point médian de 885 unités. M. Cohen avait calculé que Weatherford avait vendu 215 unités cette année, (pièce D84, rapport en réponse de M. Hall, dossier d’appel, onglet 26, paragraphe 49, et pièce jointe 16; voir également la pièce jointe 16R à son rapport supplémentaire en réponse, pièce D85, dossier d’appel, onglet 27).

  • Une analyse fondée sur les paiements de redevances ne prend pas en compte les problèmes de garantie. Plusieurs boîtes à garniture et têtes d’entraînement complètes vendues par Weatherford étaient défectueuses. Des échanges ou des remplacements de têtes d’entraînement ont été faits, soit par courtoisie, soit à titre de garantie ou d’échange. Des redevances ont été versées indépendamment du fait qu’une unité d’entraînement ou une boîte à garniture ait été donnée en garantie ou échangée ou vendue. (interrogatoire principal de M. Moneta, dossier d’appel, onglet 115, de la page 3830, ligne 24 à la page 3831, ligne 16).

  • M. Hall n’avait pas accès aux données relatives aux problèmes de garantie de Weatherford (contre-interrogatoire de M. Hall, dossier d’appel, onglet 121, de la page 4735, ligne 27 à la page 4736, ligne 2).

[138]   La grande divergence entre les estimations de M. Hall et celles de M. Cohen au sujet des unités vendues en 2003 est troublante, étant donné l’apparente lacune dans les données des pièces P56 et P57. Cependant, au cours des années antérieures, 2001 et 2002, l’analyse de M. Cohen a fait en sorte que davantage de ventes soient portées au crédit de Weatherford (et que celle-ci bénéficie donc d’une part de marché plus importante) que l’analyse de M. Hall. Par exemple, en 2001, M. Cohen a estimé les ventes de Weatherford à 692 unités, par rapport à l’estimation de M. Hall de 410 unités. Pour 2002, M. Cohen a estimé les ventes de Weatherford à 687 unités, par rapport à 606 unités pour M. Hall.

[139]  L’approche de M. Hall s’appuyait sur les paiements de redevances comme indicateur indirect des ventes. Cependant, il n’avait pas accès à des informations très pertinentes (le taux de redevances réel applicable au matériel vendu et les informations sur les problèmes de garantie). Son approche posait donc problème. Dans ces circonstances, les appelantes n’ont pas démontré que la Cour fédérale avait commis une erreur manifeste et dominante en rejetant l’approche de M. Hall et en se fondant sur les calculs de M. Cohen dans la mesure où ils étaient fondés sur les pièces P56 et P57. Les appelantes n’ont pas établi une erreur évidente qui aurait eu une incidence importante sur l’issue.

[140]  Cela est particulièrement vrai lorsque le monde hypothétique exige le recours au bon sens dans des circonstances où la perte ne [TRADUCTION] « peu[t] faire l’objet d’une évaluation correcte et chiffrée » (Teva Canada Limited c. Janssen Inc., au paragraphe 36). Je rejetterais ce moyen d’appel.

[141]  Je me penche maintenant sur la question suivante.

La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que les ventes de produits contrefaisants réalisées par les appelantes ont fait perdre aux intimés des ventes de produits complémentaires?

[142]  Les produits « complémentaires » sont les produits qui sont généralement vendus avec un produit breveté ou à la suite de la vente de ce dernier. Les produits complémentaires ne sont pas en soi protégés par le brevet. Les ventes de produits complémentaires sont également appelées ventes connexes ou ajouts.

[143]  Une entité présentant une réclamation aux termes d’un brevet « a droit à des dommages-intérêts évalués en fonction de la vente des éléments constitutifs non argués de contrefaçon lorsqu’une conclusion de fait établit que cette vente s’est faite par suite de la contrefaçon de l’élément constitutif breveté » (Beloit Canada Ltée. c. Valmet-Dominion Inc., [1997] 3 CF 497, aux pages 551 à 552, 214 N.R. 85, à la page 120 (CAF).

[144]  Comme notre Cour l’a souligné dans l’arrêt Beloit, il est nécessaire de tirer une conclusion, en se fondant sur des éléments de preuve, selon laquelle des ajouts non contrefaisants ont été vendus en raison de la vente d’articles contrefaisants et uniquement en raison de cette vente.

[145]  La Cour fédérale a correctement tenu compte de ce critère aux paragraphes 156 et 163 de ses motifs. Pour conclure que les demandeurs avaient droit à des dommages-intérêts de 750 000 $ pour la perte de profits sur les ventes de produits complémentaires, la Cour a fait le raisonnement suivant (en-têtes omis) :

[156]  Dans la présente instance, la preuve établit que GrenCo vendait ordinairement avec ses unités d’entraînement de multiples produits complémentaires tels que les suivants : [traduction] « couvercles, crampons, têtes de puits, dispositifs de transmission d’énergie, pompes pour produits chimiques, pompes de recirculation, moteurs électriques, raccords en T, génératrices, poulies, coussinets, courroies, moteurs d’entraînement, plates-formes (comprenant une pompe et un réservoir hydrauliques), enveloppes, abris, rotateurs de tubage, et unités d’entraînement à fréquence variable avec leurs enveloppes (en option) ». Ces produits n’étaient pas vendus indépendamment des unités d’entraînement.

[157]  Les producteurs de pétrole achetaient souvent un ensemble de matériel de surface à un même fabricant, encore qu’il leur arrivât aussi d’acheter des éléments constitutifs de fabricants différents. D’autres fabricants, notamment les défenderesses, vendaient des produits complémentaires avec leurs unités d’entraînement. Les demandeurs soutiennent que [traduction] « [l]a perte de ventes de produits complémentaires était prévisible à partir du modèle opérationnel de GrenCo comme de celui de ses concurrents ».

[…]

[163]  Je conclus que, d’après une conception normale du lien de causalité, les ventes en cause étaient des ventes de produits complémentaires que les demandeurs, selon la prépondérance des probabilités, auraient réalisées n’eussent été les activités de contrefaçon des défenderesses.

[164]  Les défenderesses ont raison de dire que la décision d’acheter ou non des [traduction] « produits connexes » appartenait au consommateur et que certains de ces produits pouvaient être interchangeables. Cependant, la preuve me paraît amplement démontrer qu’on achetait souvent (encore que pas toujours) des produits connexes avec l’unité d’entraînement. Comme on le verra plus loin, je pense qu’on peut à la fois prendre en compte le fait que ce ne sont pas toutes les unités d’entraînement qui étaient vendues avec des produits complémentaires et retenir le modèle de M. Cohen, en minorant d’une quantité correspondante la perte estimative qu’il a calculée.

[…]

[165]  La méthode de M. Cohen, consistant à se fonder sur le revenu moyen que GrenCo aurait touché par vente d’unité d’entraînement neuve et la moyenne historique des marges sur coûts variables, me paraît plus raisonnable que l’approche des défenderesses. M. Cohen prend en considération le fait que les producteurs de pétrole achetaient parfois des produits complémentaires à d’autres fabricants.

[166]  Comme je l’expliquais plus haut à propos des coûts variables et de la marge sur coûts variables, les chiffres de M. Cohen me semblent rendre mieux compte de la situation de GrenCo.

[167]  Selon l’estimation de M. Cohen, GrenCo a perdu les ventes de 1 051 articles complémentaires. Si l’on pose que ce ne sont pas toutes les ventes d’unités d’entraînement qui ont entraîné la vente de produits complémentaires, mais que tel était souvent le cas, il faut minorer en conséquence l’estimation de M. Cohen. La preuve établissant que la majorité des ventes comprenaient des produits complémentaires, mais pas toutes, je suis d’avis de retenir, conformément à l’approche fondée sur une « détermination approximative », le pourcentage médian entre 50 % et 100 %, pour conclure que 75 % des ventes d’unité d’entraînement comportaient la vente de tels produits connexes.

[168]  M’appuyant sur l’annexe de M. Cohen, je conclus que la perte de profits sur les ventes de produits complémentaires doit être estimée à 750 000 $, et j’octroie ce montant aux demandeurs au titre de ce chef de dommages-intérêts.

[Non souligné dans l’original.]

[146]  Avant d’examiner les observations des appelantes sur cette question, il est utile de comprendre comment M. Cohen a abordé les ventes complémentaires. Il a expliqué son approche dans son rapport initial (pièce P50, dossier d’appel, onglet 21) comme suit (en-têtes et notes de bas de page omis) :

[TRADUCTION]

82.  Au cours de la période de contrefaçon, Grenco aurait perçu des revenus et des profits supplémentaires tirés des produits complémentaires vendus en même temps que chaque vente d’unité d’entraînement d’origine, comme il est indiqué dans nos calculs décrits ci-après.

83.  Selon notre analyse, nous avons supposé que Grenco aurait tiré des revenus et des profits tirés des ventes de produits complémentaires avec chaque unité d’entraînement d’origine perdue (voir la section 4.3.1 et l’annexe E).

84.  La moyenne de la marge sur coûts variables de Grenco pour une vente de produits complémentaires typique pour chaque année a été calculée en fonction des données de ventes de Grenco, comme variant de 364 $ à 2 550 $ pendant la période de contrefaçon (voir l'annexe 9).

85.  Nous avons multiplié le nombre estimatif d’unités d’entraînement perdues par la moyenne de la marge sur coûts variables pondérée de Grenco provenant des ventes de produits complémentaires pour obtenir une marge sur coûts variables perdue totale d’environ 1,6 million de dollars (voir l'annexe 2).

86.  Pour calculer la moyenne de la marge sur coûts variables par ensemble de vente de produits complémentaires, nous avons analysé les données sur les ventes de Grenco comme suit :

a)  Nous avons isolé les factures liées uniquement aux ventes d’unités d’entraînement d’origine;

b)  Nous avons supprimé le composant d’origine de l’unité d’entraînement des factures, ainsi que d’autres articles divers qui peuvent ne pas être liés directement à la vente de l’unité d’entraînement (c.-à-d., main-d’œuvre, fret, surtaxes et droits, divers, etc.);

c)  Nous avons quantifié la marge estimative sur coûts variables totale pour les éléments restants, soit le total des revenus supplémentaires moins le coût différentiel moyen total et les frais estimatifs de transport;

d)  Nous avons divisé la marge restante estimative sur coûts variables totale par la quantité d’unités d’entraînement vendues annuellement avec les ventes de produits complémentaires isolés, afin de déterminer la moyenne de la marge pondérée sur coûts variables de Grenco par vente d’unités d’origine.

87.  Selon ce qui précède, le total estimatif des profits perdus de Grenco sur les ventes de produits complémentaires par rapport aux ventes estimatives d’unités d’origine perdues réalisées par NOV, est d’environ 1,6 million de dollars. (voir l’annexe E).

[147]  Soit dit en passant, au procès, ces chiffres ont été révisés dans l’annexe 2b modifiée. Le nombre d’unités estimatives perdues a été révisé à la baisse pour s’établir à 1 051, entraînant ainsi une perte de profits de 1 078 000 $.

[148]  Dans son rapport en réponse (pièce D84, dossier d’appel, onglet 26), M. Hall s’est opposé à l’approche de M. Cohen, en indiquant que cette approche ne permettait pas d’identifier les produits généralement vendus avec une unité et qu’aucun lien de causalité n’était établi entre les ventes de produits complémentaires ou les ventes associées et la vente d’une unité contrefaisante.

[149]  M. Cohen a répondu à cette critique dans son rapport de réponse (pièce P51, dossier d’appel, onglet 22) au paragraphe 60, exprimant sa compréhension que les [TRADUCTION] « éléments inclus sur une facture qui [ont] également une unité répertoriée font généralement partie d’un “ensemble” comme il est décrit dans le rapport Freeson ». Il a été fait mention des paragraphes 142 à 146 du rapport Freeson.

[150]  Aux paragraphes 142 et 143 de son rapport (pièce P47, dossier d’appel, onglet 18), M. Freeson a déclaré :

[TRADUCTION]

142.  Les producteurs de pétrole achetaient régulièrement des produits dans un ensemble, comprenant souvent une unité d’entraînement pour têtes de puits. Comme il est indiqué ci-dessus, le motif pour acheter ces ensembles de produits a évolué au fil du temps. Dans les années 1980 et 1990, la pompe rotative à rotor hélicoïdal excentré a été le premier produit sélectionné par les producteurs de pétrole, les produits restants étant [traduction] « des articles en prime ». Une fois qu’une pompe d’un fabricant particulier était choisie, les producteurs de pétrole achetaient souvent les autres équipements de ce même fabricant, s’ils étaient offerts. Du milieu jusqu’à la fin des années 1990 (c’est-à-dire au moment du lancement des unités d’entraînement de Grenco avec le nouveau modèle de mécanismes d’étanchéité de tige polie), les producteurs de pétrole ont commencé à acheter de l’équipement auprès de plusieurs fournisseurs pour un projet donné. De la fin des années 1990 jusqu’aux années 2000, il était courant pour les producteurs de pétrole de demander des soumissions distinctes pour un ensemble d’équipements de surface et un ensemble d’équipements de fond de puits. Au cours de cette période, il était également courant qu’un fabricant remporte une soumission pour l’équipement de surface tandis qu’un autre fabricant remporte l’offre pour l’équipement de fond de puits. Cette pratique s’est poursuivie jusqu’à la fin de 2010.

143. Tout au long de la période de 2000 à 2010, les unités d’entraînement pour têtes de puits ont été généralement classées comme des unités d’entraînement électriques (alimentées par des génératrices ou le réseau électrique) ou des unités d’entraînement hydrauliques (alimentées par des pompes et des moteurs hydrauliques). Chacune de ces catégories d’unités d’entraînement était livrée avec un ensemble d’équipement légèrement différent. Par exemple, en ce qui concerne les nouvelles configurations de puits ou les activités de réactivation :

a)  Les unités d’entraînement électriques étaient presque toujours vendues avec un moteur électrique, un raccord en T, une génératrice (en option), un couvercle (en option), des poulies, des coussinets, des courroies, des unités d’entraînement à fréquence variable avec leurs enveloppes (en option) et un rotateur de tubage (en option).

b)  Les unités d’entraînement hydrauliques étaient presque toujours vendues avec un moteur (principal), une plate-forme (qui comprend une pompe et un réservoir hydrauliques), un raccord en T, une enveloppe, un abri (en option), un couvercle (en option) et un rotateur de tubage (en option).

[Non souligné dans l’original.]

[151]  Dans ce contexte, je me penche maintenant sur les observations des appelantes. Leur principale observation est que [TRADUCTION] « [l]e seul fait que le produit non contrefaisant figure sur la même facture qu’une unité d’entraînement n’est pas suffisant pour établir le lien de causalité ». [Note de bas de page omise.]

[152]  Les appelantes soutiennent que, alors qu’aux paragraphes 157, 158 et 165 de ses motifs, la Cour fédérale a discuté des produits vendus « ordinairement » avec les unités d’entraînement des intimés, la Cour fédérale n’a jamais analysé si la vente d’une unité contrefaite avait occasionné la vente d’autres produits.

[153]  Je partage cet avis. Dans la décision J.M. Voith GmbH c. Beloit Corp., [1993] 2 CF 515, à la page 550, 61 F.T.R. 161, à la page 182, le juge de première instance a raisonné comme suit au sujet de la question des ventes connexes (aux pages 550 à 551 du Recueil des décisions des Cours fédérales) :

Je ne peux accepter l’argument des défenderesses que les dommages-intérêts accordés à la demanderesse devraient être limités à la presse de la machine dans les cas où elles ont vendu une machine complète. La jurisprudence ne va pas dans le sens d’une limitation des dommages-intérêts au manque à gagner afférent à l’article breveté lui-même. S’il se trouve que l’article breveté est vendu séparément dans le cours normal des affaires du breveté, il se peut que ce soit là tout ce qu’il lui revient. Cependant, si l’article breveté n’est pas toujours ou nécessairement vendu seul, il est raisonnable de présumer que le préjudice causé au breveté réside, non seulement dans le manque à gagner afférent à cet article lui-même, mais dans la vente des articles dont il fait le commerce, en l’occurrence les machines à papier avec presse à triple pince. En effet, telle est la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Colonial Fastener Co. Ltd. v. Lightning Fastener Co. Ltd. [...]

[Non souligné dans l’original.]

[154]  Ce raisonnement, semblable à celui suivi par la Cour fédérale en l’espèce, a été rejeté par notre Cour en appel :

Nous ne pouvons souscrire à l’énoncé du juge de première instance selon lequel « si l’article breveté n’est pas toujours ou nécessairement vendu seul, il est raisonnable de présumer que le préjudice causé au breveté réside [...] dans la vente des articles dont il fait le commerce ». Ainsi qu’il appert de l’examen de la jurisprudence qui précède, l’étendue des dommages-intérêts auxquels un breveté a droit n’est pas fondée sur une hypothèse, mais plutôt sur une conclusion de fait. À notre humble avis, les motifs du juge de première instance ne renferment pas une conclusion spécifique fondée sur la preuve portant que la vente des éléments constitutifs non argués de contrefaçon des machines était liée à la vente des presses arguées de contrefaçon. Par conséquent, nous devons conclure, d’après le dossier, que le juge de première instance a commis une erreur en ordonnant que VDI paie des dommages-intérêts fondés sur les autres éléments constitutifs avec lesquels les presses ont été vendues plutôt que sur les presses seules.

[Non souligné dans l’original.]

(arrêt Beloit, CAF, à la page 552 du Recueil des décisions des Cours fédérales).

[155]  La même approche a été adoptée par la Cour d’appel anglaise dans l’arrêt Gerber Garment Technology Inc. v. Lectra Systems Ltd., [1997] R.P.C. 443, à la page 456 :

[TRADUCTION]

Il ne s’ensuit pas que, si les clients avaient l’habitude d’acheter un article breveté au supermarché du breveté, par exemple, il pourrait intenter une action contre un contrefacteur pour manque à gagner sur tous les autres articles que les clients achèteraient au supermarché, mais qu’ils n’achètent plus. Il y aurait une limite de causalité, d’éloignement, ou les deux.

[Non souligné dans l’original.]

[156]  En s’appuyant sur des éléments de preuve selon lesquels « GrenCo vendait ordinairement avec ses unités d’entraînement de multiples produits » (motifs, au paragraphe 157) et « qu’on achetait souvent (encore que pas toujours) des produits connexes avec l’unité d’entraînement » (motifs, au paragraphe 165) pour établir le lien de causalité, la Cour fédérale a commis une erreur de droit.

[157]  De plus, l’estimation de M. Cohen des ventes perdues de produits complémentaires était erronée.

[158]  Premièrement, l’approche de M. Cohen à l’égard des ventes de produits complémentaires reposait sur l’opinion de M. Freeson. Cependant, M. Freeson n’a fourni aucun élément de preuve indiquant qu’il avait une connaissance personnelle des articles connexes, le cas échéant, qu’un client de Corlac aurait probablement achetés si les unités d’entraînement contrefaites des défenderesses n’étaient pas offertes. Le rapport de M. Freeson suggère également que bon nombre des « ensembles » auxquels M. Cohen s’est fié renfermaient plusieurs articles qui étaient facultatifs. Aucun ensemble particulier n’était vendu avec une unité d’entraînement.

[159]  Deuxièmement, l’approche de M. Cohen à l’égard des ventes de produits complémentaires a également fait fi de l’exigence relative à la causalité. Son rapport n’a pas identifié quels produits étaient inclus en tant qu’ajouts. Les demandeurs avaient reconnu qu’il n’existait aucun ensemble standard d’ajouts vendus avec des unités d’entraînement. M. Cohen a donc supposé que tout ce qui était vendu sur la même facture comme unité d’entraînement était une vente associée (contre-interrogatoire de M. Cohen, dossier d’appel, onglet 117, page 4266, lignes 10 à 21). En conséquence, l’approche de M. Cohen a inclus des éléments comme des rotors et des stators comme ajouts. Les demandeurs n’ont pas allégué que ces articles étaient des ajouts.

[160]  Compte tenu de l’erreur de droit de la Cour fédérale et des lacunes dans l’approche et dans le rapport de M. Cohen, la Cour est appelée à décider si elle peut trancher la question des ventes complémentaires en se fiant au dossier.

[161]  Les appelantes ont présenté des éléments de preuve montrant à quel point les ventes complémentaires étaient variables et singulières.

[162]  En contre-interrogatoire, M. Grenke a simplement exprimé la thèse selon laquelle l’intérêt que suscitait l’unité d’entraînement de GrenCo avec son mécanisme d’étanchéité breveté a placé les demandeurs [TRADUCTION] « en position pour vendre ces autres produits », (contre-interrogatoire de M. Grenke, dossier d’appel, onglet 114, page 3799, lignes 12 à 21). Cela est bien loin d’établir qu’en raison de la vente d’une unité d’entraînement, il en résulterait une vente d’articles associés.

[163]  Les plates-formes, les unités d’entraînement à fréquence variable et les moteurs électriques ont été traités comme des ajouts. M. Grenke a admis que les demandeurs facturaient des plates-formes lorsqu’aucune unité d’entraînement n’était facturée et que les demandeurs vendaient des unités d’entraînement à fréquence variable et des moteurs électriques lorsqu’aucune unité d’entraînement n’était vendue. M. Grenke a admis que des consommateurs avaient pu avoir acheté des unités d’entraînement à fréquence variable pour les utiliser dans l’unité d’entraînement d’un concurrent (dossier d’appel, onglet 114, de la page 3802, ligne 4, à la page 3803, ligne 18). Il a également admis que les demandeurs avaient vendu des unités d’entraînement sans ajouts (dossier d’appel, onglet 114, page 3809, lignes 7 à 9 et 22 à 25).

[164]  La Cour fédérale a admis que la décision d’acheter des produits connexes revenait dans tous les cas au consommateur (motifs, paragraphe 165).

[165]  Les éléments de preuve ont également établi que de nombreux consommateurs, y compris de grandes entreprises comme Husky, CNRL et Penn West, ont soumissionné pour un « ensemble » de composants et ont attribué des contrats distincts pour chaque composant (interrogatoire principal de M. Denis Blaquiere, dossier d’appel, onglet 119, de la page 4390, ligne 14, à la page 4393, ligne 15; interrogatoire principal de M. Jared Kaluski, dossier d’appel, onglet 118, de la page 4344, ligne 19, à la page 4345, ligne 2; interrogatoire principal de M. Aaron Shaw, dossier d’appel, onglet 120, de la page 4507, ligne 18 à la page 4509, ligne 5).

[166]  Il a également été prouvé que certains produits étaient recherchés par les consommateurs en raison de leurs avantages individuels. Les abris de KUDU en étaient un exemple (c’est-à-dire les plates-formes dans une boîte pour supprimer le bruit) (contre-interrogatoire de M. Darin Austin, dossier d’appel, onglet 120, de la page 4497, ligne 3, à la page 4498, ligne 7). Les unités d’entraînement des intimés ont donc parfois été achetées avec des plates-formes d’un concurrent.

[167]  Dans les circonstances où il n’y avait pas d’ensemble d’ajouts standard et où les consommateurs choisissaient d’acheter certains articles supplémentaires ou de ne pas en acheter, les demandeurs n’ont pas démontré dans le monde hypothétique que les clients de Corlac qui choisissaient d’acheter plutôt une unité d’entraînement de GrenCo achèteraient, en raison de cet achat, également des articles connexes.

[168]  Je conclus également qu’en raison des lacunes cernées ci-dessus, la prétendue quantification de la perte de ventes de produits complémentaires par M. Cohen était tellement erronée qu’elle ne quantifiait pas de manière fiable les pertes et ne pouvait donc pas être invoquée à cette fin.

[169]  Pour ces raisons, je n’accorderais aucuns dommages-intérêts pour la réclamation pour perte de ventes de produits complémentaires.

[170]  J’examinerai maintenant la dernière question soulevée par les appelantes.

La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en tenant le témoin expert des intimés, Shane Freeson, pour compétent?

[171]  Bien que les appelantes [TRADUCTION] « ne croient pas que le témoignage d’expert de M. Freeson ait joué un rôle important dans la décision du juge de première instance » (mémoire des faits et du droit des appelantes, paragraphe 139), elles soutiennent que, dans la mesure où il l’a fait, la Cour fédérale a commis une erreur en tenant M. Freeson pour compétent et en s’appuyant de quelque manière que ce soit sur son opinion.

[172]  Je crois que le témoignage d’expert discrédité de M. Freeson n’a joué aucun rôle important dans la décision de la Cour fédérale. Il n’y a donc aucun fondement à ce moyen d’appel.

Conclusion

[173]  Pour ces motifs, j’accueillerais en partie l’appel. J’annulerais entièrement l’attribution de dommages-intérêts de 750 000 $ en raison de la perte de profits sur les ventes de produits complémentaires. À tous autres égards, je rejetterais l’appel.

[174]  Nous n’avons pas été saisis de la question des dépens devant la Cour fédérale. Comme les intimés ont obtenu gain de cause pour l’essentiel dans cet appel, j’ordonnerais aux appelantes de leur payer les dépens dans le cadre du présent l’appel.

[175]  La réduction de l’attribution des dommages-intérêts 750 000 $ aura une incidence sur le calcul des intérêts antérieurs au jugement dans la mesure où les appelantes ont respecté le jugement de la Cour fédérale. Je renverrais donc l’affaire à la Cour fédérale afin de réviser l’octroi des intérêts antérieurs au jugement et d’ordonner le remboursement du montant approprié aux appelantes.

[176]  Enfin, ces motifs sont publiés à titre confidentiel pour permettre aux parties de présenter des observations, le cas échéant, au sujet des renseignements confidentiels qui devraient en être supprimés avant qu’ils soient rendus publics. Ces observations doivent être signifiées et déposées dans les sept jours suivant la date des présents motifs.

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

« Je souscris à ces motifs.

Donald J. Rennie, j.c.a. »

« Je souscris à ces motifs.

Marianne Rivoalen, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste


ANNEXE

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-244-18

A-201-18

 

 

INTITULÉ :

DNOW CANADA ULC, NATIONAL OILWELL VARCO INC. et 769388 ALBERTA LTD. c. DARIN GRENKE, À TITRE DE REPRÉSENTANT PERSONNEL DE LA SUCCESSION D’EDWARD GRENKE, et 284849 ALBERTA LTD.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 NOVEMBRE 2019

 

VERSION PUBLIQUE DES MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE RIVOALEN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 MARS 2020

COMPARUTIONS :

Christopher J. Kvas

William Regan

Evan Reinblatt

 

Pour les appelantes

 

Bruce W. Stratton

Cristina Mihalceanu

 

Pour les intimés

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Piasetzki Nenniger Kvas LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour les appelantes

 

DLA Piper (Canada) LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour les intimés

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.