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Date : 20190118


Dossier : A‑425‑18

Référence : 2019 CAF 11

[TRADUCTION FRANÇAISE]

En présence de monsieur le juge Webb

ENTRE :

EVOLUTION TECHNOLOGIES INC.

appelante

et

HUMAN CARE CANADA INC.

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 16 janvier 2019.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 18 janvier 2019.

MOTIFS PUBLICS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE WEBB

 


Date : 20190118


Dossier : A‑425‑18

Référence : 2019 CAF 11

En présence de monsieur le juge Webb

ENTRE :

EVOLUTION TECHNOLOGIES INC.

appelante

et

HUMAN CARE CANADA INC.

intimée

MOTIFS PUBLICS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE WEBB

[1]  Evolution Technologies Inc. (Evolution) a présenté une requête, notamment pour faire surseoir à l’exécution de certains paragraphes du jugement supplémentaire de la Cour fédérale du 28 décembre 2018 (2018 CF 1304). La requête sollicitait également des ordonnances sur diverses autres questions. Toutefois, étant donné que seule la requête en sursis a été abordée à l’audition de la présente requête, c’est la seule question qui est abordée dans les présents motifs et dans l’ordonnance y afférente. Une ordonnance distincte, sans motif, sera rendue pour les autres passages de la requête puisque ceux-ci n’ont pas été contestés.

[2]  Evolution et Human Care Canada Inc. (Human Care) sont des concurrentes dans le domaine de la commercialisation d’appareils d’aide à la mobilité tels que les marchettes à quatre roues (déambulateurs). La Cour fédérale a conclu que les déambulateurs Xpresso d’Evolution contrefaisaient le brevet dont Human Care est titulaire.

[3]  La Cour fédérale, par un jugement supplémentaire rendu après l’instance, a statué en ces termes :

LA COUR STATUE :

1.  Le brevet canadien no 2 492 392 (le brevet 392) et chacune de ses revendications sont valides;

2.  La défenderesse a contrefait les revendications 16 et 18 du brevet 392 en procédant à la fabrication, à l’utilisation, à la mise en vente, à la vente, à l’importation et à l’exportation au Canada de déambulateurs Xpresso (la définition du terme « déambulateur Xpresso » est celle qui figure dans l’énoncé conjoint des faits daté du 15 août 2017 et qui est mentionnée au paragraphe 14 des motifs);

3.  La Cour accorde une injonction permanente interdisant à la défenderesse et à ses administrateurs, dirigeants, fonctionnaires, préposés et employés respectifs, ainsi qu’à toutes les personnes agissant pour le compte, par l’intermédiaire ou sous l’autorité et la direction de la défenderesse, de contrefaire le brevet 392 en fabricant, en utilisant, en vendant, en mettant en vente, en distribuant, en important, en exportant ou en soumettant à une quelque autre opération commerciale des déambulateurs Xpresso au Canada;

4.  pour plus de certitude, l’injonction prévue au paragraphe 3 n’empêche pas la défenderesse d’effectuer des réparations, lesquelles se limitent aux poignées, roulettes, freins, plaquettes de frein, cous[s]ins de siège, paniers/sacs souples et accessoires (plus précisément, porte-can[n]es, porte-tasses, grimpeurs de bordure, porte-fleurs, porte-réservoirs à oxygène et porte-téléphones) des déambulateurs Xpresso qui ont été vendus avant le 10 décembre 2018 inclusivement et qui font l’objet d’une garantie offerte dans le cours normal des affaires, et ce, par l’intermédiaire de ses réseaux de distribution et de ses concessionnaires habituels et existants;

5.  d’ici au 18 janvier 2019, tous les déambulateurs Xpresso qui sont sous l’autorité, en la possession ou sous le contrôle de la défenderesse au Canada doivent être traités de la manière prévue par l’un ou l’autre des alinéas a) ou b) qui suivent, et ce, au choix de la demanderesse :

a) les déambulateurs Xpresso doivent être détruits et la demanderesse peut, à son entière discrétion, prendre les dispositions nécessaires pour qu’un tiers indépendant observe leur destruction et fournisse un affidavit approprié à cet effet;

b) les déambulateurs Xpresso doivent être livrés à la demanderesse à l’endroit et de la manière qu’elle peut prescrire, à la condition que cette livraison, si elle a lieu en-dehors de la Colombie-Britannique ou de l’Ontario, soit faite à ses frais;

6.  d’ici au 18 janvier 2019, la défenderesse paiera à la demanderesse une indemnisation raisonnable pour la période du 1er juillet 2008 au 30 novembre 2010, d’un montant de 241 022 $;

7.  d’ici au 18 janvier 2019, la défenderesse paiera à la demanderesse, au titre de la restitution des bénéfices et pour la période du 1er décembre 2010 au 30 juin 2016, un montant de 12 156 745 $;

8.  le montant des bénéfices que la défenderesse est tenue de payer à la demanderesse doit être mis à jour pour tenir compte de la période s’étendant du 1er juillet 201[7] à la date du présent jugement public. Le processus de mise à jour est le suivant :

a) d’ici au 15 janvier 2019, la défenderesse est tenue de fournir à la demanderesse des versions actualisées des documents EVO 48, 49, 52, 55, 56, 64, 65, 66, 67, 76, 78 et 79 pour la période s’étendant du 1er juillet 2016 à la date du présent jugement public et ces renseignements doivent être actualisés mensuellement, au besoin.

b. d’ici au 15 février 2019, la demanderesse est tenue de fournir à la défenderesse un calcul des bénéfices que cette dernière a réalisés en lien avec la fabrication, l’utilisation, la mise en vente, la vente, l’importation et l’exportation de ses déambulateurs Xpresso entre le 1er juillet 2016 et la date du présent jugement public. Le calcul de la demanderesse suivra la méthode que Mme Roger a employée dans son scénario 4a), laquelle est décrite au paragraphe 486 des motifs de décision, et le coût des stocks sera celui qui est décrit au paragraphe 68 des même motifs. Des intérêts avant et après jugement doivent être versés sur ce montant, conformément aux paragraphes 9 et 10 qui suivent;

c) si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur un montant d’ici au 1er mars 2019, la demanderesse pourra demander à la Cour de trancher toute question susceptible de se poser lors du calcul des bénéfices et des intérêts que la défenderesse doit à la demanderesse;

9.  d’ici au 18 janvier 2019, la défenderesse est tenue de payer à la demanderesse des intérêts avant jugement sur les montants prévus aux paragraphes 6 et 7, lesquels intérêts doivent être calculés de manière simple en prenant pour base le taux bancaire moyen annuel que publie la Banque du Canada plus 1 %;

10.  la demanderesse a droit à des intérêts après jugement au taux de 5 % par année sur les montants prévus aux paragraphes 6, 7, 8 et 9, lesquels intérêts doivent être calculés de manière simple, depuis la date du présent jugement public jusqu’à celle du paiement;

11.  la demande reconventionnelle de la défenderesse est par la présente rejetée;

12.  la demanderesse a droit aux dépens taxés conformément à la colonne IV du tarif B et les parties sont tenues de faire part à la Cour du montant dont elles auront conjointement convenu dans les 14 jours suivant la date du présent jugement public; à défaut d’une entente, elles seront renvoyées à un officier taxateur.

[4]  Avant ce jugement supplémentaire, la Cour fédérale avait rendu jugement dans l’instance le 21 décembre 2018 (2018 CF 1302), en ces termes :

LA COUR ORDONNE :

[1] La demanderesse a droit à :

(a)  une déclaration portant que le brevet 392 et chacune de ses revendications sont valides;

(b)  une déclaration portant que la défenderesse a contrefait les revendications 16 et 18 du brevet 392;

(c)  une ordonnance de dédommagement raisonnable d’un montant de 241 022 $;

(d)  une ordonnance de comptabilisation et de restitution des bénéfices, actuellement fixée à 12 156 745 $;

(e)  une injonction permanente interdisant à Evolution et à ses administrateurs, dirigeants, fonctionnaires, préposés, employés ainsi qu’à toutes les personnes agissant pour le compte, par l’intermédiaire ou sous l’autorité et la direction d’Evolution, de contrefaire le brevet 392;

(f)  une ordonnance prescrivant de remettre à la demanderesse ou de détruire sous serment la totalité des produits contrefaisants qui sont en la possession ou sous la garde ou le contrôle de la défenderesse;

(g)  des intérêts avant et après jugement à calculer;

(h)  de plus, les dépens de l’instance suivront l’issue de la cause et les parties sont tenues de faire part à la Cour du montant dont elles auront conjointement convenu dans un délai de 14 jours, conformément à la colonne IV du Tarif B de la Cour; à défaut d’une entente, les parties seront renvoyées à un officier taxateur.

[5]  Le jugement supplémentaire précisait qu’il remplaçait entièrement le jugement rendu précédemment. L’avocat d’Evolution a indiqué que le jugement supplémentaire avait été rendu en vertu de l’article 394 des Règles des Cours fédérales, DORS /98‑106. Cette disposition prévoit toutefois que :

394(1) Lorsque la Cour donne des motifs, elle peut donner des directives à une partie pour qu’elle rédige un projet d’ordonnance donnant effet à la décision de la Cour, dont la forme et le fond ont été approuvés par les autres parties ou, si les parties ne peuvent s’entendre sur la forme et le fond, pour qu’elle présente une requête pour jugement selon la règle 369.

394(1) Where the Court gives reasons, it may direct one of the parties to prepare for endorsement a draft order to implement the Court's conclusion, approved as to form and content by the other parties or, where the parties cannot agree on the form and content of the order, to bring a motion for judgment in accordance with rule 369.

(2) Sur réception de la requête pour jugement visée au paragraphe (1), la Cour fixe les termes du jugement et le prononce. Le jugement est consigné et signé par le juge ou le protonotaire présidant.

(2) On the return of a motion under subsection (1), the Court shall settle the terms of and pronounce the judgment, which shall be endorsed in writing and signed by the presiding judge or prothonotary.

[6]  Il semblerait que cette disposition s’applique lorsque le jugement n’a pas encore été rendu. Toutefois, en l’espèce, le jugement initial a été rendu le 21 décembre 2018. Rien n’indique qu’une requête a été présentée, en vertu de l’article 397 ou de l’article 399 des Règles des Cours fédérales, en réexamen ou en modification du jugement original. Il convient particulièrement de souligner, en ce qui concerne la présente requête visant à surseoir à l’exécution du jugement supplémentaire, l’ajout de la date (le 18 janvier 2019) au plus tard à laquelle doit être acquittée la somme considérable « de comptabilisation et de restitution des bénéfices, actuellement fixée à 12 156 745 $ ». Le jugement initial ne précisait pas la date à laquelle cette obligation devait être honorée. De plus, le paragraphe 484 des motifs dont était assorti le jugement original indique ce qui suit :

484  Étant donné qu’Evolution est autorisée à effectuer quelques déductions discrétionnaires mais n’a pas fourni de preuves détaillées sur ses dépenses, je souscris à la méthode dite de « justice sommaire » que Mme Rogers a suivie dans son scénario 4(a). J’ordonne donc à Evolution de payer à Human Care un montant total de 12 156 745 $.

[7]  Le paragraphe 484 des motifs ne mentionne pas la date à laquelle les 12 156 745 $ doivent être payés; le jugement original concorde donc avec les motifs. Quoi qu’il en soit, comme aucune des parties n’a mis en doute le bien-fondé du jugement supplémentaire, je ne tranche pas cette question dans le cadre de la présente requête.

[8]  Il convient également de noter qu’Evolution a reconnu, lors de l’audition de la présente requête, qu’elle avait acquiescé à l’ajout dans le jugement supplémentaire de la date du 18 janvier 2019 pour le paiement de la somme en question (ainsi qu’aux autres modifications apportées par le jugement supplémentaire). Étant donné qu’Evolution prétend maintenant qu’elle ne sera pas en mesure d’honorer cette obligation d’ici le 18 janvier 2019, il semble inusité qu’elle ait acquiescé à une telle chose.

[9]  Human Care soulève une question préliminaire relativement au sursis sollicité. Elle soutient qu’Evolution ne se présente pas à la Cour avec « les mains nettes »; par conséquent, les bilans et les états des résultats qu’elle présente dans le cadre de la requête sont inadmissibles et il faut lui refuser le sursis. Si Human Care réussit à faire écarter les états financiers comme preuve dans le cadre de la présente requête, la Cour sera privée du fondement même de l’argument d’Evolution selon lequel elle ne sera pas en mesure de payer l’indemnité pécuniaire.

[10]  Dans ses observations écrites, Human Care soulève quatre arguments à l’appui de sa thèse selon laquelle Evolution n’a pas les mains nettes. Citons les paragraphes 66 et 67 des observations écrites de Human Care :

[traduction]

66.  Tout d’abord, Evolution a manqué aux ordonnances de la Cour concernant la communication de ses documents financiers, ceux-là mêmes par lesquels elle veut maintenant étayer sa prétention quant au préjudice irréparable. Ce faisant, Evolution a manqué de respect à la Cour dans le cadre de l’action, et on ne devrait pas lui accorder quelque réparation discrétionnaire que ce soit.

67.  Deuxièmement, dans l’action en contrefaçon, on a dit à Human Care que ces documents n’existaient pas; en fait, ils n’ont jamais été produits. Tant les experts financiers d’Evolution que ceux de Human Care ont demandé que soient produits ces états financiers dans le cadre de l’action. Human Care n’a reçu des copies des prétendus états financiers d’Evolution que le 28 décembre 2018, dans le dossier de preuve produit par Evolution dans le cadre de la présente requête.

[11]  La seule ordonnance à laquelle Evolution aurait contrevenu, comme le prétend Human Care, est celle rendue par la protonotaire Milczynski le 16 janvier 2015. Cette ordonnance prévoyait qu’Evolution devait produire divers renseignements et documents. La liste de renseignements et de documents demandés fait environ trois pages. Toutefois, cette liste ne fait mention ni d’un bilan ni d’un état des résultats d’Evolution.

[12]  Les documents pertinents pour la présente requête en sursis seraient les plus récents états des résultats et bilans d’Evolution. Selon le dossier, il s’agirait de ceux relatifs aux exercices s’étant terminés le 30 juin 2016 et le 30 juin 2017. M. Liu (l’unique actionnaire d’Evolution) a préparé un état des résultats pour 2018, mais il ne semble pas y avoir de bilan pour l’exercice s’étant terminé le 30 juin 2018. Évidemment, les états des résultats et les bilans pour 2016 ou 2017 n’auraient pu être visés par l’ordonnance du 16 janvier 2015.

[13]  De plus, Human Care a renvoyé à la question posée à Jose‑Luis Pita (directeur des ventes et du marketing d’Evolution) lors de son interrogatoire préalable :

[traduction]

Q.  Veuillez énumérer les rapports financiers produits dans le cours ordinaire des activités.

[14]  M. Pita a commencé par refuser de répondre à la question au motif qu’elle était [traduction] « non pertinente et trop générale ». Le 22 septembre 2015, la réponse suivante a été fournie [traduction] « [a]ucun rapport n’est produit dans le cours ordinaire des activités ». Toutefois, cette réponse ne concerne pas les états financiers de 2016 ou de 2017, car ces documents n’existaient pas le 22 septembre 2015.

[15]  L’avocat de Human Care a renvoyé à la décision de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse, dans l’affaire White v. E. B. F. Manufacturing Limited, 2005 NSCA 103, de refuser de surseoir à l’exécution avant l’issue de l’appel. Dans ce cas, la décision semble découler de l’omission par la partie ayant demandé le sursis de se conformer à une ordonnance de la cour lui enjoignant de verser des redevances. Par conséquent, il y a eu manquement à une ordonnance dans cette affaire. Étant donné que Human Care n’a pas démontré de la part d’Evolution un tel manquement, l’espèce se distingue de cette affaire.

[16]  Human Care a également soulevé la question de savoir si Evolution avait communiqué tous ses éléments d’actif. L’avocat d’Evolution a reconnu qu’aucun bilan n’avait été fourni pour les filiales d’Evolution, à savoir ‑ selon Human Care ‑ Evolution Technologies USA Inc., Evolution Technologies Japan Inc. et Evolution Technologies Ltd. (située en Chine). La preuve au dossier révélait que les ventes réalisées aux États-Unis étaient incluses dans le produit des ventes, que les ventes réalisées au Japon étaient minimes et qu’aucune vente n’avait été réalisée en Chine. Les biens réels dont l’entreprise est propriétaire aux États-Unis ont été comptés à titre d’actif transférable par l’expert d’Evolution lorsqu’il cherchait à déterminer si Evolution pourrait acquitter l’obligation pécuniaire.

[17]  En outre, selon la preuve présentée par M. Liu, la filiale américaine de l’entreprise ne disposait pas d’autres éléments d’actif importants (seuls un ou deux chariots élévateurs à fourche et quelques étagères). Bien qu’il eût été préférable d’obtenir des états financiers distincts pour chaque filiale en l’espèce, la question est de savoir si, selon la prépondérance des probabilités, Evolution s’est acquittée du fardeau qui lui incombait d’établir le préjudice irréparable, dont nous allons traiter ci-après.

[18]  Human Care fait également valoir que certains renseignements concernant les coûts et revenus qui figurent dans les documents afférents à la présente requête sont incompatibles avec les renseignements présentés au procès. Toutefois, la question que soulève la requête en sursis concerne la solvabilité d’Evolution et non l’exactitude de l’information relative aux coûts.

[19]  Dans l’arrêt Centre d'information et d'animation communautaire c. R., [1984] 2 C.F. 866, [1985] R.D.J. 16, le juge Pratte, s’exprimant au nom des juges majoritaires au sujet de l’opportunité d’une injonction interlocutoire, fait remarquer ce qui suit :

6  Il ne me paraît pas, non plus, qu'il y ait lieu d'appliquer ici la règle d’equity suivant laquelle « He who comes into equity must come with clean hands. » La conduite des appelants peut certes être critiquée. Cependant, je ne crois pas qu'elle soit si répréhensible et, dans la mesure où elle est répréhensible, si intimement liée au remède qu'ils sollicitent qu'il y ait lieu, pour ce seul motif, de le leur refuser.

[20]  En l’espèce, Evolution n’a pas fourni de renseignements financiers au cours de l’action en Cour fédérale. Toutefois, la suspension des procédures constitue un pouvoir discrétionnaire (article 50 de la Loi sur les Cours fédérales (L.R.C. 1985, ch. F-7) et article 398 des Règles des Cours fédérales) et peut être accordée « lorsque, pour quelque autre raison, l’intérêt de la justice l’exige » (alinéa 50(1)b) de la Loi sur les Cours fédérales). À mon avis, la conduite d’Evolution est un facteur dont il ne faut pas tenir compte isolément lorsqu’il s’agit de décider si l’intérêt de la justice exige que l’on sursoie à l’exécution du jugement supplémentaire. Le critère en trois étapes énoncé dans l’arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, [1994] A.C.S. no 17, s’applique aux faits de l’espèce.

[21]  Dans l’arrêt RJR-MacDonald c. Canada ce critère est ainsi résumé :

L’arrêt Metropolitan Stores établit une analyse en trois étapes que les tribunaux doivent appliquer quand ils examinent une demande de suspension d'instance ou d’injonction interlocutoire. Premièrement, une étude préliminaire du fond du litige doit établir qu’il y a une question sérieuse à juger. Deuxièmement, il faut déterminer si le requérant subirait un préjudice irréparable si sa demande était rejetée. Enfin, il faut déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse le redressement en attendant une décision sur le fond. [p. 334]

I.  La « question sérieuse à juger »

[22]  Pour citer la Cour suprême dans l’arrêt RJR-MacDonald c. Canada :

Quels sont les indicateurs d’une « question sérieuse à juger »? Il n’existe pas d’exigences particulières à remplir pour satisfaire à ce critère. Les exigences minimales ne sont pas élevées. Le juge saisi de la requête doit faire un examen préliminaire du fond de l’affaire […]

Une fois convaincu qu'une réclamation n’est ni futile ni vexatoire, le juge de la requête devrait examiner les deuxième et troisième critères, même s’il est d’avis que le demandeur sera probablement débouté au procès. Il n’est en général ni nécessaire ni souhaitable de faire un examen prolongé du fond de l’affaire. [p. 337 et 338]

[23]  Evolution soulève des questions qu’elle se propose de présenter dans le cadre de son appel. À ce stade-ci, il ne serait pas indiqué de les examiner toutes. Il suffit, à ce stade, qu’Evolution soulève au moins une question sérieuse à juger dans le cadre de l’appel. L’avocat de Human Care a fini par admettre, vu ce critère peu élevé, qu’au moins une question sérieuse a été soulevée par Evolution dans son avis d’appel. C’est suffisant pour qu’il soit satisfait à ce volet du critère. Comme le fait remarquer la Cour suprême, il ne serait pas indiqué de commenter au fond une question particulière soulevée par Evolution dans son avis d’appel.

[24]  Par conséquent, je suis convaincu qu’Evolution a soulevé une question sérieuse.

II.  Le préjudice irréparable

[25]  En ce qui concerne le préjudice irréparable, la question est de savoir si Evolution a établi qu’elle en subira un si le sursis n’est pas accordé et qu’elle a finalement gain de cause en appel. L’existence ou l’absence de préjudice irréparable est déterminée à la lumière de l’aspect pécuniaire du jugement et de l’injonction qui empêche Evolution de vendre certains produits.

[26]  Pour ce qui est de l’aspect pécuniaire, les sommes les plus élevées servent à la restitution des bénéfices (paragraphes 7 et 8 du jugement supplémentaire). Il s’agit de sommes importantes. L’expert-comptable d’Evolution a confirmé que, suivant son examen des renseignements dont il disposait, l’entreprise ne serait pas en mesure d’honorer cette obligation en entier. Il en découlerait un manque à gagner de plusieurs millions de dollars, qui entraînerait l’insolvabilité de l’entreprise. Incapable de continuer à exercer ses activités, elle ferait faillite. L’impossibilité pour Evolution d’honorer l’obligation et l’insolvabilité qui en résulterait causeraient à l’entreprise un préjudice irréparable. Or, si Evolution a gain de cause en appel, l’insolvabilité serait alors évitée. À cet égard, il importe de faire remarquer que, si le fardeau est dit lourd pour la partie qui sollicite le sursis, le fardeau de preuve est celui de la prépondérance des probabilités. Par conséquent, Evolution n’a qu’à convaincre le tribunal, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle sera insolvable si le sursis n’est pas accordé.

[27]  Même si les états financiers des filiales d’Evolution ne figuraient pas au dossier, compte tenu des éléments de preuve attestant que les ventes réalisées aux États-Unis étaient incluses dans les renseignements fournis à l’expert d’Evolution, du faible volume de ventes réalisées au Japon, de l’absence de ventes en Chine et de la faible valeur d’éléments d’actif omis par l’expert d’Evolution, il est probable que la juste valeur marchande de ces éléments d’actif non déclarés ne suffirait pas à combler le très important manque à gagner indiqué par l’expert d’Evolution.

[28]  Il existe un écart important entre l’encaisse au 30 juin 2016 et au 30 juin 2017 selon le bilan et l’encaisse attestée par les relevés bancaires d’Evolution à ces mêmes dates. Les bilans font état d’une encaisse beaucoup plus importante (environ 3 millions de dollars de plus) que celle indiquée dans les relevés bancaires. Aucune explication n’a été fournie pour cet écart. Toutefois, on a présumé de l’existence d’une telle encaisse lorsqu’il s’agissait de déterminer le risque d’insolvabilité d’Evolution. En l’absence d’une telle encaisse, le risque d’insolvabilité est encore plus grand. Il eut été souhaitable que l’on nous explique la raison d’un tel écart. Par contre, étant donné que cette encaisse figure dans le bilan d’Evolution et qu’elle a mené à la conclusion d’insolvabilité probable, Evolution s’est à mon avis acquittée du fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle deviendrait insolvable si elle était tenue d’honorer les obligations pécuniaires considérables prévues dans le jugement supplémentaire.

[29]  Comme le fait remarquer la Cour suprême à la page 341 de l’arrêt RJR-MacDonald, un préjudice irréparable survient notamment dans le cas « où la décision du tribunal aura pour effet de faire perdre à une partie son entreprise ». À mon avis, Evolution a établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle sera acculée à la faillite si le sursis n’est pas accordé et qu’elle a gain de cause en appel. Par conséquent, elle subira un préjudice irréparable s’il n’est pas sursis à la restitution des bénéfices et qu’elle finit par avoir gain de cause en appel.

[30]  Même si Evolution a démontré qu’elle subirait un préjudice irréparable s’il n’était pas sursis aux importantes obligations pécuniaires, elle n’a pas démontré qu’elle subirait un préjudice irréparable s’il n’était pas sursis aux obligations pécuniaires moins élevées (dont il est fait état aux paragraphes 6, 9 et 12 du jugement supplémentaire). Par conséquent, le sursis ne s’appliquera qu’aux obligations destinées à la restitution des bénéfices figurant aux paragraphes 7 et 8 du jugement supplémentaire.

[31]  Quant à l’injonction et aux obligations énoncées aux paragraphes 3 et 5, respectivement, du jugement supplémentaire, Human Care a déclaré qu’elle ne prendrait aucun engagement relativement à l’indemnisation des pertes subies par Evolution si cette dernière a gain de cause en appel et qu’il n’est pas sursis à l’injonction. Si le sursis n’est pas accordé, Evolution ne pourra pas vendre certains produits et réaliser des profits; si elle a gain de cause en appel, elle ne pourra pas récupérer ces pertes. À mon avis, elle en subirait un préjudice irréparable. Étant donné que les pertes de profits constitueraient un préjudice irréparable si Evolution obtenait gain de cause en appel, il n’est pas nécessaire d’aborder ses autres arguments en matière de préjudice irréparable découlant de l’injonction.

III.  La prépondérance des inconvénients

[32]  La prépondérance des inconvénients milite en faveur du sursis. Comme il est mentionné plus haut, si le sursis n’était pas accordé, Evolution a établi qu’elle subira de graves conséquences financières, car elle ne serait pas en mesure d’honorer ses obligations et serait insolvable. Ce serait la fin de l’entreprise. D’autre part, si le sursis est accordé et que Human Care obtient gain de cause en appel, tout inconvénient pour cette dernière pourra être atténué par des conditions assorties au sursis.

[33]  Dans ses observations écrites présentées en réponse, Human Care a demandé qu’un séquestre soit nommé en cas de sursis. Human Care invoque l’article 44 de la Loi sur les Cours fédérales, qui habilite la Cour à nommer un séquestre sans préciser la procédure que doit suivre la personne qui demande le séquestre. Or, le paragraphe 375(1) des Règles des Cours fédérales prévoit qu’ « [u]n juge peut, sur requête, nommer un séquestre judiciaire dans toute instance. ». Human Care n’a pas présenté de requête en ce sens, mais a plutôt fait cette demande dans le cadre de ses observations écrites en réponse à la requête d’Evolution. Une telle démarche n’est pas régulière et ne constitue pas une requête en bonne et due forme. La nomination d’un séquestre demandée par Human Care est refusée.

[34]  Afin d’atténuer tout inconvénient pour Human Care, Evolution a proposé que le sursis, s’il est accordé, soit assorti de plusieurs conditions. Human Care n’a pas exprimé d’objections à ce sujet outre sa demande quant à la nomination d’un séquestre et les restrictions à l’aliénation du bien réel situé en Colombie‑Britannique. La question de savoir si Human Care pourra grever d’une sûreté ce bien si le sursis est accordé devra être tranchée en fonction des lois de la Colombie‑Britannique.

[35]  Certes, la conduite d’Evolution, qui n’a pas produit les renseignements financiers requis pour l’instruction de l’action, ne saurait être approuvée. Or, les conséquences très graves qu’emporterait le refus du sursis si l’appel d’Evolution était finalement accueilli inclinent la balance. Par conséquent, la prépondérance des inconvénients joue en faveur d’Evolution, et il est dans l’intérêt de la justice d’accorder le sursis.

[36]  Evolution a proposé des conditions dont pouvait être assorti le sursis et, à l’audience, a également proposé que la rémunération mensuelle totale versée à Stephen Liu et à sa famille soit limitée à 12 500 $. L’ordonnance reprendra ces conditions, sous réserve de quelques modifications.

[37]  Human Care a également demandé qu’Evolution dépose un cautionnement pour dépens de 250 000 $. Evolution a proposé un cautionnement de 50 000 $, auquel Human Care a convenu à condition qu’il ne soit pas sursis aux obligations pécuniaires moins élevées. Étant donné qu’il ne sera pas sursis aux obligations prévues aux paragraphes 6, 9 et 12, Evolution devra déposer un cautionnement de 50 000 $ pour dépens dans le cadre du présent appel.

[38]  Il n’est pas nécessaire de surseoir à l’exécution du paragraphe 10, car il n’a trait qu’au paiement d’intérêts courant à compter de la date du jugement public jusqu’au paiement comme tel. Même s’il est sursis au paiement des obligations, les intérêts continueront de courir sur celles-ci.

[39]  Par conséquent, la requête en sursis est accueillie, et l’ordonnance comporte, avec certaines modifications, les conditions proposées par Evolution dans ses observations écrites et pendant l’audition de la présente requête. Les dépens relatifs à la présente requête suivront l’issue de la cause.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


REQUÊTE DE VIVE VOIX SOLLICITANT UNE ORDONNANCE EN SURSIS D’EXÉCUTION D’UN JUGEMENT SUPPLÉMENTAIRE

DOSSIER :

A‑425‑18

 

INTITULÉ :

EVOLUTION TECHNOLOGIES INC. c. HUMAN CARE CANADA INC.

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 JanVIER 2019

MOTIFS PUBLICS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE WEBB

DATE DES MOTIFS :

LE 18 JANVIER 2019

COMPARUTIONS :

Andrew R. Brodkin

Jordan D. Scopa

Jaclyn Tilak

POUR L’AppellantE

Kristin Wall

Amy Grenon

Chelsea Nimmo

POUR L’INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Goodmans LLP

Toronto (Ontario)

POUR L’APPELLANTE

Norton Rose Fulbright Canada LLP

Toronto (Ontario)

POUR L’INTIMÉE

 

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