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Date : 20200415


Dossier : A-118-19

Référence : 2020 CAF 73

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

LA JUGE MACTAVISH

 

ENTRE :

STEVE PIMENTAL DUQUE

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 3 février 2020.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 15 avril 2020.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LA JUGE MACTAVISH

 


Date : 20200415


Dossier : A-118-19

Référence : 2020 CAF 73

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

LA JUGE MACTAVISH

 

ENTRE :

STEVE PIMENTAL DUQUE

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1]  Notre Cour est saisie d’un appel du jugement oral rendu par la Cour canadienne de l’impôt le 8 février 2019 et signé le 12 février 2019 (dossier no 2016-3009(GST)G). La Cour de l’impôt a rejeté l’appel interjeté par Steve Duque visant la cotisation établie au titre de l’article 323 de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E-15 (la LTA) à son égard en sa qualité d’administrateur de la société 1210166 Ontario Inc. (la société) pour la taxe nette non versée, les intérêts et les pénalités.

[2]  Pour les motifs qui suivent, j’accueillerais en partie l’appel.

I.  Les faits

[3]  Les parties ont déposé un exposé conjoint des faits partiel auprès de la Cour de l’impôt. Pour les besoins du présent appel, il suffit d’en souligner certains.

[4]  Steve Duque a constitué la société le 26 novembre 1996. Il en était le seul administrateur durant les périodes de déclaration visées. La société fournissait des services de menuiserie sous le nom de DCC Carpentry. Il est fait mention, dans l’exposé conjoint des faits, d’une autre société qui exerçait ses activités également sous le nom de DCC Carpentry. Toutefois, c’est la taxe nette que doit payer la société qui est pertinente en l’espèce.

[5]  Les deux périodes de déclarations qui sont pertinentes en l’espèce sont celles se terminant le 30 novembre 2006 et le 28 février 2007. La société a cessé ses activités à un certain moment avant le 28 février 2007.

[6]  Le ministre du Revenu national (le ministre) a établi que la société avait, pour l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), un revenu non déclaré de 1 039 748 $ pour son année d’imposition se terminant le 30 novembre 2006 et de 209 244 $ pour son année d’imposition se terminant le 30 novembre 2007.

[7]  Il n’est pas contesté que les revenus non déclarés, pour l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu, ont été établis de la manière suivante :

  • a) en prenant la somme totale indiquée par la société dans son rapport faisant état de ses revenus par client pour la période de décembre 2005 à novembre 2006 (le rapport de 2006) (2 981 669 $) et dans son rapport faisant état de ses revenus par client pour la période de décembre 2006 à novembre 2007 (le rapport de 2007) (338 235 $);

  • b) en ajoutant à ce total les sommes établies après avoir obtenu de tiers des renseignements sur les ventes, soit Silverwood Condominiums (56 896 $ pour 2006) et Pegah Construction Ltd. (27 888 $ pour 2006 et 26 732 $ pour 2007);

  • c) en déduisant ensuite du total obtenu les revenus déclarés par la société dans sa déclaration de revenus des sociétés T2 (2 026 705 $ pour 2006 et 155 723 $ pour 2007).

[8]  La société a fait l’objet d’une nouvelle cotisation pour ces revenus non déclarés. Ces nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu ne sont pas les nouvelles cotisations qui font l’objet du présent appel. Toutefois, les revenus de la société qui ont été établis pour l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu ont mené aux cotisations de taxe nette établies en vertu de la LTA à l’égard de la société puis de M. Duque.

[9]  Pour établir l’incidence de l’augmentation du revenu de la société sur la taxe nette à payer en application de la LTA, le ministre a posé l’hypothèse de fait selon laquelle la société a tiré son revenu, tel qu’il a en fin de compte été établi à la suite de la vérification fiscale, en effectuant des fournitures taxables du même montant que le revenu, de sorte que le revenu correspondait au montant des fournitures taxables (net de TPS) effectuées par la société. La société ne conteste pas qu’elle a gagné son revenu en effectuant des fournitures taxables et, par conséquent, ne conteste pas que le revenu de la société représenterait également le montant des fournitures taxables effectuées par la société, net de TPS. Bien que les parties et la Cour de l’impôt aient utilisé l’expression [traduction] « ventes non déclarées » de la société, étant donné que la TPS est imposée du fait qu’une personne effectue des fournitures taxables, dans les présents motifs, il sera question des fournitures taxables non déclarées de la société.

[10]  Le ministre a comparé le revenu total de la société pour son année se terminant le 30 novembre 2006 (3 066 453 $) au total des fournitures taxables pour les trois premières périodes de déclaration de son année d’imposition 2006 (se terminant le 28 février 2006, le 31 mai 2006 et le 31 août 2006) (2 134 083 $) (dossier d’appel, page 636). Le ministre a fait cette comparaison parce que la société avait déjà fait l’objet d’une vérification au titre de la LTA pour ces trois périodes de déclaration. Il a été supposé que les sommes établies à la suite de la vérification correspondaient bien aux fournitures taxables pour ces périodes de déclaration. La différence entre le revenu total pour l’année d’imposition et les fournitures taxables pour les neuf premiers mois de cette année d’imposition est de 932 370 $.

[11]  Le ministre a ensuite établi que les fournitures taxables pour la dernière période de déclaration de 2006 (la période de déclaration se terminant le 30 novembre 2006) auraient dû s’élever à 932 370 $ pour que le total des fournitures taxables des quatre périodes de déclaration se terminant en 2006 corresponde au revenu total pour la même période. Comme la société avait déclaré des fournitures taxables de 602 012 $ pour cette période de déclaration, il y avait un écart de 330 358 $ en fournitures taxables non déclarées (pour l’application de la LTA), somme qui a été ajoutée aux fournitures taxables pour la période de déclaration se terminant le 30 novembre 2006. Il s’en est suivi une augmentation de 19 823 $ de la taxe nette à payer pour cette période de déclaration.

[12]  Bien qu’elle ait déclaré des revenus dans sa déclaration de revenus des sociétés T2 pour son année d’imposition se terminant le 30 novembre 2007, la société n’a pas déclaré de fournitures taxables pour la période de déclaration se terminant le 28 février 2007. Pour les besoins de l’impôt sur le revenu, le revenu non déclaré a été établi comme étant le revenu total (calculé à la suite de la vérification fiscale) de 364 967 $ moins le revenu déclaré par la société de 155 723 $, soit 209 244 $. Pour l’application de la LTA, les fournitures taxables non déclarées ont été établies comme étant le revenu total calculé à la suite de la vérification (364 967 $), étant donné que la société n’avait déclaré aucune fourniture taxable pour la période de déclaration se terminant le 28 février 2007.

[13]  Le 4 avril 2012, la société a fait l’objet d’une cotisation au titre de la LTA pour les périodes de déclaration se terminant le 30 novembre 2006 et le 28 février 2007. La société n’a pas déposé d’avis d’opposition à l’égard de cette cotisation. Le 18 décembre 2014, M. Duque a fait l’objet d’une cotisation, en vertu de l’article 323 de la LTA, pour la taxe nette non versée, les intérêts et les pénalités de la société, laquelle s’élevait à 82 937,80 $. C’est cette cotisation à l’égard de M. Duque qui fait l’objet du présent appel.

II.  La décision de la Cour de l’impôt

[14]  À l’audience devant la Cour de l’impôt, M. Duque a soulevé plusieurs questions, notamment celles de savoir si les montants de la TPS pour 2006 avaient été attribués à la bonne période de déclaration, si des sommes avaient été comptées en double parce qu’on avait inclus à la fois le montant total de certaines factures (malgré les retenues dont elles pouvaient faire l’objet) et le montant des retenues dans le calcul des fournitures taxables supplémentaires, et s’il satisfaisait aux exigences lui permettant de plaider la diligence raisonnable. La juge de la Cour de l’impôt a rejeté son appel sur les deux premières questions, essentiellement au motif que la société ne tenait pas de livres et de registres adéquats. La juge de la Cour de l’impôt a également estimé que M. Duque ne satisfaisait pas aux exigences lui permettant de plaider la diligence raisonnable.

III.  Les questions en litige et la norme de contrôle

[15]  Dans le présent appel, M. Duque ne soulève que deux questions. Elles portent toutes deux sur l’établissement de la taxe nette à payer par la société pour les deux périodes de déclaration se terminant le 30 novembre 2006 et le 28 février 2007, qui a donné lieu aux cotisations établies à son égard en vertu de l’article 323 de la LTA. La première question est de savoir si les fournitures taxables non déclarées ont été attribuées à la bonne période de déclaration. La deuxième question est de savoir si des sommes ont été comptées en double en raison de la façon dont ont été prises en compte les retenues pour certains projets figurant dans le rapport de 2006 et le rapport de 2007, sur lesquels les cotisations établies au titre de la LTA étaient fondées. Ces deux questions sont liées à des questions de fait et, par conséquent, la norme de contrôle applicable est celle de l’erreur manifeste et dominante (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235).

IV.  Analyse

A.  Le droit de contester la cotisation sous-jacente

[16]  L’article 323 de la LTA dispose que l’administrateur d’une société est responsable de la taxe nette que cette société n’a pas versée, mais qu’elle aurait dû verser au titre du paragraphe 228(2) de la LTA. Cette disposition prévoit le versement de la taxe nette, si celle-ci est d’un montant positif. La taxe nette représente généralement la différence entre la taxe percevable ou perçue et les crédits de taxe sur les intrants de la personne (paragraphe 225(1) de la LTA).

[17]  En l’espèce, M. Duque conteste indirectement la cotisation de taxe nette à payer au titre de la LTA qui a été établie à l’endroit de la société. Comme la société ne s’est pas opposée à la cotisation qui a été établie à son égard, cette cotisation n’est pas celle visée par l’appel.

[18]  Dans l’arrêt Gaucher c. La Reine, 2000 CanLII 16513, [2000] A.C.F. no 1869 (QL) (C.A.F.), notre Cour a jugé que le contribuable qui fait l’objet d’une cotisation établie en vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu pour la dette fiscale d’une autre personne peut contester la cotisation qui a été établie à l’égard de cette autre personne.

[19]  Dans la décision Scavuzzo c. Canada, 2005 CCI 772, [2005] A.C.I. no 620 (QL), le juge en chef adjoint Bowman (plus tard juge en chef), au paragraphe 10, a élargi ce principe aux cotisations établies au titre de la responsabilité des administrateurs prévue à l’article 227.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu et de l’article 323 de la LTA. Dans l’arrêt Abrametz c. La Reine, 2009 CAF 70, [2009] G.S.T.C. 43, notre Cour n’a pas expressément examiné la question de savoir si l’administrateur ayant fait l’objet d’une cotisation pour la taxe nette non versée d’une société pouvait contester la cotisation établie à l’égard de cette société. Toutefois, notre Cour a implicitement appliqué ce principe en accueillant l’appel interjeté par un administrateur contre une cotisation établie à son égard en vertu de l’article 323 de la LTA pour la taxe nette non versée d’une société, au motif que la cotisation sous-jacente de la société était erronée.

[20]  À mon avis, il convient d’affirmer explicitement que l’administrateur qui a personnellement fait l’objet d’une cotisation pour la taxe nette non versée d’une société doit pouvoir contester la cotisation sous-jacente établie à l’égard de cette société pour la taxe nette à payer. L’administrateur ne doit pas être tenu personnellement responsable d’une taxe nette non versée, de pénalités et d’intérêts d’un montant supérieur à la cotisation qui aurait dû être correctement établie à l’égard de cette société.

B.  L’attribution de toutes les fournitures taxables non déclarées de 2006 à une seule période de déclaration

[21]  La première question en litige en l’espèce concerne l’attribution de toutes les fournitures taxables non déclarées pour l’année d’imposition se terminant le 30 novembre 2006, telles qu’elles ont été établies pour l’application de la LTA, à la période de déclaration se terminant le 30 novembre 2006.

[22]  En rejetant l’argument de M. Duque selon lequel les fournitures taxables non déclarées pour l’année d’imposition 2006 n’auraient pas dû être attribuées à la dernière période de déclaration de 2006, la juge de la Cour de l’impôt a fait observer ce qui suit, à la page 19 de la transcription des motifs oraux :

[traduction]

Comme les ventes des trois premières périodes trimestrielles de l’exercice financier de 2006 avaient déjà fait l’objet d’une vérification, il était raisonnable, à mon avis, que l’intimée attribue les revenus non déclarés à la première période. En outre, l’intimée a choisi cette période parce qu’il était plus avantageux pour la société que les revenus non déclarés soient déclarés au cours de la première période, car la TPS, les intérêts et les pénalités à payer seraient moins élevés ainsi.

[23]  Dans ses motifs oraux, la juge de la Cour de l’impôt avait établi que la première période était celle se terminant le 30 novembre 2006.

[24]  M. Duque soutient essentiellement que, selon le rapport de 2006, les fournitures taxables pour la période de déclaration se terminant le 30 novembre 2006 n’étaient que de 670 790 $, et non de 932 370 $. Il conteste donc l’attribution de toutes les fournitures taxables non déclarées à cette seule période de déclaration. Il s’agit d’une question de fait et la norme de contrôle applicable est celle de l’erreur manifeste et dominante.

[25]  La Cour suprême du Canada a adopté les descriptions suivantes de l’erreur manifeste et dominante dans l’arrêt Benhaim c. St-Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 R.C.S. 352 :

38  Il est tout aussi utile de rappeler ce qu’on entend par « erreur manifeste et dominante ». Le juge Stratas décrit la norme déférente en ces termes dans l’arrêt   c. R., 2012 CAF 165, 4 B.L.R. (5th) 31, par. 46 :

L’erreur manifeste et dominante constitue une norme de contrôle appelant un degré élevé de retenue [...] Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente, et par erreur « dominante », une erreur qui touche directement à l’issue de l’affaire. Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier.

39  Ou, comme le dit le juge Morissette dans l’arrêt J.G. c. Nadeau, 2016 QCCA 167, par. 77 (CanLII), « une erreur manifeste et dominante tient, non pas de l’aiguille dans une botte de foin, mais de la poutre dans l’œil. Et il est impossible de confondre ces deux dernières notions. »

[26]  M. Duque n’a pas démontré que la juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur manifeste et dominante en rejetant son appel sur cette question. La juge de la Cour de l’impôt a fait observer que [traduction] « l’appelant a déclaré dans son témoignage que certaines factures étaient antidatées ». M. Duque n’a pas contesté cette conclusion. Cela soulève la question de la fiabilité des dates des factures telles qu’elles figurent dans le rapport de 2006.

[27]  Dans son témoignage à l’audience devant la Cour de l’impôt, M. Duque a également reconnu qu’il était incapable de reconnaître un grand nombre de comptes ou de projets figurant dans le rapport de 2006. Cela soulèverait également des doutes sur l’exactitude de ses allégations quant aux dates auxquelles les travaux ont été effectués sur les différents projets.

[28]  Le total des fournitures taxables non déclarées pour l’année se terminant le 30 novembre 2006 était de 330 358 $. Si on ajoute cette somme aux fournitures taxables pour la période de déclaration se terminant le 30 novembre 2006, le total des fournitures taxables pour cette période de déclaration s’élève à 932 370 $. Le total des fournitures taxables pour la période de déclaration précédente (se terminant le 31 août 2006) était de 913 501 $. La différence entre ces deux sommes n’est que de 18 869 $ (932 370 $ - 913 501 $). Étant donné que les fournitures taxables pour la période de déclaration se terminant le 30 novembre 2006, après l’attribution à cette période des 330 358 $ supplémentaires de fournitures taxables, ne sont supérieures que de 2 % aux fournitures taxables pour la période se terminant le 31 août 2006, il n’y a pas d’erreur manifeste dans l’attribution qu’a faite le ministre de ces fournitures taxables non déclarées.

[29]  En conséquence, rien dans les observations de M. Duque n’étaye la conclusion voulant que la juge de la Cour de l’impôt ait commis une erreur manifeste et dominante en confirmant l’inclusion dans la période de déclaration se terminant le 30 novembre 2006 de toutes les fournitures taxables non déclarées pour l’année d’imposition 2006. Par conséquent, je rejetterais l’appel en ce qui concerne cette question.

C.  Les retenues

[30]  La deuxième question soulevée par M. Duque en l’espèce concerne la question de savoir si le montant des retenues a été compté en double. À mon avis, la juge de la Cour de l’impôt a bel et bien commis une erreur manifeste et dominante à cet égard.

[31]  La juge de la Cour de l’impôt a rejeté en quelques mots l’argument de M. Duque à ce sujet, en un seul paragraphe, à la page 19 de la transcription des motifs oraux :

[traduction]

Malgré les affirmations de l’appelant selon lesquelles des sommes seraient comptées en double si le montant des retenues n’était pas soustrait, il n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour expliquer les retenues ni fourni de contrats ou de factures détaillées montrant clairement que des factures pour la retenue étaient envoyées ultérieurement, après l’établissement des factures pour le montant total de la vente. À mon avis, les éléments de preuve n’étayent pas l’affirmation de l’appelant selon laquelle les retenues ont été comptées deux fois.

[32]  Toutefois, en l’espèce, il faut rappeler que la taxe nette supplémentaire de la société a été calculée sur le fondement des données figurant dans le rapport de 2006 et le rapport de 2007, et sur celles obtenues de Silverwood Condominiums et de Pegah Construction. La question pertinente n’est pas de savoir si [traduction] « des factures pour la retenue étaient envoyées ultérieurement, après l’établissement des factures pour le montant total de la vente », mais si le rapport de 2007 comprenait des sommes dont il avait déjà été tenu compte dans le rapport de 2006 ou le rapport de 2007.

[33]  Comme l’a reconnu le vérificateur de l’Agence du revenu du Canada dans son contre-interrogatoire à l’audience devant la Cour de l’impôt, si des retenues ont été prises en compte deux fois, c’était inapproprié. La cotisation de taxe nette ne doit pas dépasser le montant de la taxe nette réellement due.

[34]  Le rapport de 2006 et le rapport de 2007 sont organisés par client ou par projet et, dans chacun des groupes, les factures sont énumérées en ordre numérique. Alors que le rapport de 2006 compte 29 pages, le rapport de 2007 n’en compte que deux.

[35]  Pour ce qui est des retenues, deux factures du rapport de 2007 sont pertinentes. La première facture porte le numéro 953 et se trouve sous l’article « Amacon Eden Park – H118 ». Plusieurs éléments sont énumérés sous la rubrique de la facture 953, dont le premier comporte cette mention : [traduction] « Veuillez libérer la retenue de 10 % de […] » Cette mention est suivie d’une liste de 12 factures différentes, chacune assortie d’une somme. Les dix premiers numéros de facture correspondent à des factures figurant dans le rapport de 2006. Les deux derniers numéros de facture correspondent à des factures figurant ailleurs dans le rapport de 2007 et il en est question au paragraphe 37.

[36]  Le tableau suivant présente les dix premières factures mentionnées (qui correspondent à des factures énumérées dans le rapport de 2006), la somme indiquée pour chacune d’elle dans le rapport de 2006 et la somme indiquée pour chacune d’elle dans le rapport de 2007 sous la rubrique de la facture 953 :

Numéro de facture

Somme indiquée dans le rapport de 2006

Somme indiquée dans le rapport de 2007

764

24 375,00 $

2 437,50 $

785

108 875,00 $

10 887,50 $

799

58 500,00 $

5 850,00 $

820

56 875,00 $

5 687,50 $

848

102 375,00 $

10 237,50 $

863

121 875,00 $

12 187,50 $

882

50 375,00 $

5 037,50 $

911

81 575,00 $

8 157,50 $

925

22 750,00 $

2 275,00 $

940

8 125,00 $

812,50 $

Total :

635 700,00 $

63 570,00 $

[37]  Le rapport de 2007 renvoie également à deux factures, portant les numéros 946 et 952, sous rubrique de la facture 953. Ces deux factures figurent dans le rapport de 2007, mais pas dans le rapport de 2006. La facture 946 s’élève à 3 900 $ et la somme inscrite sous la rubrique de la facture 953 correspond à la retenue de 390 $. La facture 952 s’élève à 10 400 $ et la somme inscrite sous la rubrique de la facture 953 correspond à la retenue de 1 040 $.

[38]  Pour chacune des factures énumérées sous la rubrique de la facture 953 dans le rapport de 2007, une somme figure soit dans le rapport de 2006, soit dans le rapport de 2007. Si l’on compare, pour chaque facture mentionnée, la somme figurant dans le rapport de 2006 ou le rapport de 2007 à la somme inscrite sous la rubrique de la facture 953, on constate que la somme inscrite dans le rapport de 2007 sous la rubrique de facture 953 correspond à exactement 10 % du montant de la facture à laquelle elle se rapporte. Si, dans les premières factures, il était tenu compte des retenues faites par les clients, les montants des retenues indiqués dans le rapport de 2007 ne seraient pas ceux reproduits dans le tableau ci-dessus. Par exemple, pour la facture portant le numéro 764, si le montant de 24 375 $ avait représenté la somme après déduction de la retenue de 10 %, cela aurait signifié que le prix brut du contrat aurait été de 27 083,33 $ et que la retenue aurait été de 2 708,33 $.

[39]  Pour la question des retenues, la deuxième facture pertinente est la facture portant le numéro 955, pour « Rockport Group – Scarlett Heights – H115 ». À la première ligne de cette rubrique, il est écrit : [traduction] « Veuillez libérer la retenue de 10 % de […] » Cet élément est suivi d’une liste de dix factures différentes. Les huit premiers numéros de facture correspondent à des factures figurant dans le rapport de 2006. Les deux derniers numéros de facture correspondent à des factures figurant ailleurs dans le rapport de 2007 et il en est question au paragraphe 41.

[40]  Le tableau suivant présente les huit premières factures mentionnées (qui correspondent à des factures énumérées dans le rapport de 2006), la somme indiquée pour chacune d’elles dans le rapport de 2006 et la somme indiquée pour chacune d’elles dans le rapport de 2007 sous la rubrique de la facture 955 :

Numéro de facture

Somme indiquée dans le rapport de 2006

Somme indiquée dans le rapport de 2007

786

13 300,00 $

1 330 $

800

13 300,00 $

1 330 $

847

39 613,95 $

3 961,40 $

868

111 905,80 $

11 190,58 $

885

105 255,80 $

10 525,58 $

910

111 905,80 $

11 190,58 $

926

55 952,90 $

5 595,29 $

939

32 963,95 $

3 296,40 $

Total :

484 198,20 $

48 419,83 $

[41]  Le rapport de 2007 renvoie également aux factures portant les numéros 944 et 954 sous la rubrique de la facture 955. Ces deux factures figurent dans le rapport de 2007, et non dans le rapport de 2006. La facture 944 s’élève à 55 952,90 $ et la somme indiquée pour la retenue sous la rubrique de la facture 955 est de 5 595,29 $. La facture 954 s’élève à 52 627,90 $ et la somme indiquée pour la retenue sous la rubrique de la facture 955 est de 5 262,79 $.

[42]  À mon avis, il s’agit là de la « poutre dans l’œil » à laquelle la Cour suprême du Canada faisait référence lorsqu’elle a décrit l’erreur manifeste et dominante. De toute évidence, le rapport de 2007 fait référence à la retenue de 10 % et énumère des factures qui figurent dans le rapport de 2006 ou le rapport de 2007. Chaque somme inscrite sous la rubrique des factures 953 et 955 qui est liée à une autre facture représente exactement 10 % du montant de cette autre facture.

[43]  En application de la Loi sur la construction, L.R.O. 1990, ch. C.30, chaque responsable du paiement est tenu de conserver une retenue de 10 % du prix des biens et services pouvant donner lieu à un privilège :

22 (1) Chaque responsable du paiement doit dans le cas d’un contrat ou d’un contrat de sous-traitance qui donne lieu à un privilège, faire une retenue égale à 10 pour cent du prix des services ou des matériaux au fur et à mesure qu’ils sont effectivement fournis en vertu du contrat ou du contrat de sous-traitance jusqu’à ce que tous les privilèges qui peuvent être exercés contre cette retenue se soient éteints ou aient été acquittés, ou jusqu’à ce que mainlevée en ait été donnée ou qu’il y ait été pourvu autrement aux termes de la présente loi.

22 (1) Each payer upon a contract or subcontract under which a lien may arise shall retain a holdback equal to 10 per cent of the price of the services or materials as they are actually supplied under the contract or subcontract until all liens that may be claimed against the holdback have expired or been satisfied, discharged or otherwise provided for under this Act.

[44]  L’entreprise de la société consistait à fournir des services de menuiserie. Les services qui font l’objet du présent appel n’ont été fournis que pour deux projets. Selon toute probabilité, le contrat régissant ces travaux pouvait donner lieu à un privilège et, par conséquent, les dispositions de la Loi sur la construction relatives à la retenue s’appliquaient. Étant donné que la retenue se calcule sur le prix des services ou des matériaux (généralement le prix du contrat – paragraphe 1(1) de la Loi sur la construction), le responsable du paiement serait obligé de retenir 10 % du prix facturé. Par conséquent, lorsqu’elle a envoyé la première facture, la société n’aurait reçu que 90 % du prix facturé. Si on prend en compte et le montant total de la première facture et le montant de la retenue de 10 % figurant sous la rubrique des factures 953 et 955, le montant de la retenue est pris en compte deux fois.

[45]  En conséquence, à mon avis, la juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur manifeste et dominante en ne concluant pas que le ministre, en utilisant les totaux du rapport de 2006 et du rapport de 2007 pour établir la cotisation de taxe nette supplémentaire à l’égard de la société, a compté en double le montant des retenues.

[46]  Il s’ensuit qu’il faut maintenant déterminer s’il faut faire le rajustement sur le total des fournitures taxables établi dans le rapport de 2006 ou sur le total des fournitures taxables établi dans le rapport de 2007. Au paragraphe 31 de son mémoire, M. Duque a déclaré :

[traduction]

Si on ne soustrait pas les factures de retenues des ventes de 2007, il y aurait une taxation double de ces ventes.

[47]  Par conséquent, M. Duque soutient que le rajustement doit être apporté au total des fournitures taxables établi pour la période de déclaration se terminant le 28 février 2007.

[48]  Le paragraphe 168(7) de la LTA porte sur la question du moment où doit être payée la TPS sur une somme qui est retenue conformément à une loi provinciale :

168 (7) Par dérogation aux paragraphes (1), (2), (3), (5) et (6), la taxe prévue à la présente section, calculée sur la valeur d'une partie de la contrepartie d'une fourniture taxable que l'acquéreur retient, conformément à une loi fédérale ou provinciale ou à une convention écrite portant sur la construction, la rénovation, la transformation ou la réparation d'un immeuble ou d'un bateau ou autre bâtiment de mer, en attendant que tout ou partie de la fourniture soit effectuée de façon complète et satisfaisante, est payable au premier en date du jour où la partie de la contrepartie est payée et du jour où elle devient payable.

168 (7) Notwithstanding subsections (1), (2), (3), (5) and (6), where the recipient of a taxable supply retains, pursuant to

(a) an Act of Parliament or of the legislature of a province, or

(b) an agreement in writing for the construction, renovation or alteration of, or repair to, any real property or any ship or other marine vessel,

a part of the consideration for the supply pending full and satisfactory performance of the supply, or any part thereof, tax under this Division, calculated on the value of that part of the consideration, is payable on the earlier of the day that part is paid and the day it becomes payable.

[49]  Le paragraphe 168(7) de la LTA dispose que, lorsqu’une somme est retenue conformément à une loi provinciale en attendant que la fourniture soit effectuée de façon complète et satisfaisante, la TPS sur la retenue est payable au premier en date du jour où la retenue est payée ou du jour où elle devient payable. En l’espèce, ni l’une ni l’autre des parties n’a fait référence à ce paragraphe de la LTA. Elles n’ont pas non plus présenté d’observations sur la date à laquelle la retenue serait payable. Il est impossible, en l’espèce, d’établir quand le privilège visé par la Loi sur la construction se serait éteint ou quand il en aurait été donné mainlevée, de sorte qu’il est impossible d’établir quand la retenue aurait été payable.

[50]  M. Duque n’a pas fourni d’éléments de preuve suffisants pour déterminer s’il conviendrait d’effectuer le rajustement sur le total des fournitures taxables établi en fonction du rapport de 2006. De plus, il a demandé que le rajustement soit apporté sur les fournitures taxables établies en fonction du rapport de 2007. Par conséquent, à mon avis, parce qu’il n’a pas été établi que les retenues ne seraient pas payables avant la période visée par le rapport de 2007, le rajustement qui conviendrait en l’espèce consisterait à soustraire des fournitures taxables de la période visée par le rapport de 2007 le montant des retenues, soit ce que demande M. Duque. Le rajustement apporté à ces fournitures taxables aura une incidence sur la TPS à percevoir ainsi que sur les pénalités et les intérêts y afférents.

[51]  Par conséquent, pour établir ce que doit M. Duque pour la taxe nette non versée de la société et les intérêts et pénalités applicables, il faut calculer la taxe nette de la société pour la période de déclaration se terminant le 28 février en fonction des montants ci-après de fournitures taxables non déclarées :

Fournitures taxables non déclarées telles qu’elles ont été établies par le ministre pour la période de déclaration se terminant le 28 février 2007 :

364 967 $

Retenues pour les factures 764, 785, 799, 820, 848, 863, 882, 911, 925 et 940

(63 570 $)

Retenues pour les factures 946 et 952

(1 430 $)

Retenues pour les factures 786, 800, 847, 868, 885, 910, 926 et 939

(48 420 $)

Retenues pour les factures 944 et 954

(10 858 $)

Fournitures taxables non déclarées révisées :

240 689 $

[52]  J’accueillerais donc l’appel en partie, j’annulerais le jugement de la Cour de l’impôt et, rendant le jugement que la Cour de l’impôt aurait dû rendre, j’accueillerais en partie l’appel de M. Duque contre la cotisation établie au titre de l’article 323 de la LTA. Je renvoie l’affaire au ministre pour réexamen et pour établissement d’une nouvelle cotisation sur le fondement que, pour l’établissement de la dette fiscale de M. Duque au titre de l’article 323 de la LTA, la taxe nette de la société pour la période de déclaration se terminant le 28 février 2007 doit être calculée en fonction de fournitures taxables non déclarées de la société s’élevant à 240 689 $. Les intérêts et pénalités dont M. Duque est redevable au titre de l’article 323 de la LTA doivent également être calculés en fonction de la taxe nette révisée de la société pour cette période de déclaration.

[53]  Après l’audience, les parties ont présenté une lettre indiquant qu’elles avaient convenu que, si M. Duque obtenait partiellement gain de cause dans le présent appel, chaque partie assumerait ses propres dépens devant la Cour de l’impôt et devant notre Cour. Je n’accorderais donc pas de dépens pour la procédure devant notre Cour ni pour celle devant la Cour de l’impôt.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

D.G. Near, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Anne L. Mactavish, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UN JUGEMENT DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT

DU 12 FÉVRIER 2019, DOSSIER NO 2016-3009(GST)G

DOSSIER :

A-118-19

 

INTITULÉ :

STEVE PIMENTAL DUQUE c.

SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 février 2020

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :

Le 15 avril 2020

COMPARUTIONS :

Charles Haworth

Pour l’appelant

Cédric Renaud-Lafrance

Pour l’intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Radnoff Law Offices

Toronto (Ontario)

Pour l’appelant

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimée

 

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