Date : 20200402
Dossier : A-189-19
Référence : 2020 CAF 70
CORAM :
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LA JUGE DAWSON
LE JUGE STRATAS
LE JUGE LASKIN
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ENTRE :
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SA MAJESTÉ LA REINE
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appelante
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CAROLINE COLITTO
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intimée
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Audience tenue à Toronto (Ontario), le 26 février 2020.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 2 avril 2020.
MOTIFS DU JUGEMENT :
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LA JUGE DAWSON
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Y ONT SOUSCRIT :
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LE JUGE STRATAS
LE JUGE LASKIN
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Date : 20200402
Dossier : A-189-19
Référence : 2020 CAF 70
CORAM :
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LA JUGE DAWSON
LE JUGE STRATAS
LE JUGE LASKIN
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ENTRE :
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SA MAJESTÉ LA REINE
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appelante
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et
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CAROLINE COLITTO
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intimée
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MOTIFS DU JUGEMENT
LA JUGE DAWSON
[1]
La Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi), comporte plusieurs dispositions visant à garantir le recouvrement de sommes dues au titre de la Loi. Deux de ces dispositions sont en litige dans le présent appel : les paragraphes 160(1) et 227.1(1).
[2]
De manière générale, aux termes du paragraphe 227.1(1), lorsqu’une société omet de verser une somme qu’elle est tenue, par la Loi, de retenir à la source, les administrateurs de la société sont solidairement responsables, avec la société, du paiement de cette somme. Le paragraphe 160(1) impose une responsabilité solidaire au bénéficiaire d’un transfert de biens si son époux (ou d’autres personnes ayant un lien de dépendance) lui a transféré des biens pour une somme inférieure à leur juste valeur marchande et que l’auteur du transfert doit payer une somme en vertu de la Loi au cours de l’année d’imposition où les biens ont été transférés ou d’une année d’imposition antérieure ou pour une de ces années.
[3]
Le libellé du paragraphe 160(1) et de l’article 227.1 est reproduit en annexe des présents motifs.
Les faits
[4]
Domenic Colitto était administrateur et actionnaire de Core Precision Technologies Ltd. De février à août 2008, Precision a omis de verser des retenues à la source au ministre du Revenu national. Il a été admis au procès que, à titre d’administrateur de Precision, M. Colitto n’a pas fait preuve de diligence raisonnable de manière à éviter que Precision n’omette de verser les retenues à la source exigées.
[5]
Pendant que Precision manquait à son obligation de verser les retenues à la source exigées, M. Colitto a transféré des biens à son épouse, Caroline Colitto, l’intimée dans le présent appel. Plus précisément, le 2 mai 2008, M. Colitto a transféré à son épouse 50 % de sa part dans un bien appelé [traduction] « la propriété Aida »
. La juste valeur marchande de la part de 50 % transférée à son épouse était de 41 250 $. La juste valeur marchande de la contrepartie que lui a remise son épouse était de 2 $. Le 2 mai 2008, M. Colitto a également transféré à son épouse une part de 50 % qu’il détenait dans un bien appelé [traduction] « la propriété du chemin Concession »
. La juste valeur marchande de la part de 50 % était de 187 500 $. La juste valeur marchande de la contrepartie que lui a remise son épouse était de 2 $.
[6]
Le 10 octobre 2008, le ministre a établi, à l’égard de Precision, un avis de cotisation dont le total, constitué des déductions à la source non versées, des intérêts et de pénalités, s’élevait à 631 554,23 $. Aucun avis d’opposition n’a été déposé à l’encontre de la cotisation. Le 6 août 2009, un certificat attestant que Precision avait une dette fiscale de 794 286,98 $ a été enregistré à la Cour fédérale au titre de l’article 223 de la Loi. Le 23 novembre 2010, le shérif a reçu l’ordre d’exécuter le bref, la somme exigée étant de 776 380,32 $, compte tenu de paiements effectués pour réduire la dette. Le 4 janvier 2011, il y a eu défaut d’exécution à l’égard de la dette fiscale de Precision.
[7]
Le 28 mars 2011, le ministre a établi un avis de cotisation de 733 812,98 $ à l’égard de M. Colitto. Aucun avis d’opposition n’a été déposé à l’encontre de la cotisation.
[8]
Le 13 janvier 2016, le ministre a établi des avis de cotisation à l’égard de l’intimée en vertu de l’article 160 de la Loi. Les avis de cotisation s’élevaient à 187 498 $ et à 41 248 $, soit la juste valeur marchande de l’avantage que l’intimée a reçu en raison du transfert des deux biens en sa faveur. L’intimée a déposé des avis d’opposition visant chacune des cotisations et a ensuite interjeté appel devant la Cour canadienne de l’impôt.
[9]
Pour les motifs exposés dans sa décision (2019 TCC 88), la Cour de l’impôt a accueilli les appels de l’intimée au motif que l’article 227.1 de la Loi, qui rend M. Colitto personnellement responsable de la dette, n’a joué qu’en 2011, lors du défaut d’exécution à l’égard de la dette fiscale de Precision. Par conséquent, les transferts de biens n’étaient pas visés par l’article 160 de la Loi.
[10]
Notre cour est saisie de ce jugement de la Cour de l’impôt.
La décision de la Cour de l’impôt
[11]
Lorsqu’il est satisfait à certaines conditions, le paragraphe 160(1) de la Loi rend le bénéficiaire d’un transfert de biens solidairement responsable de la dette fiscale de l’auteur du transfert. La condition essentielle en l’espèce est celle énoncée au sous-alinéa 160(1)e)(ii) : il faut déterminer si M. Colitto, l’auteur du transfert, était tenu, en application de la Loi, de payer une somme « au cours de »
l’année d’imposition où les biens ont été transférés ou d’une année d’imposition antérieure ou « pour »
une de ces années.
[12]
La Cour de l’impôt a donc dû examiner si la somme dont M. Colitto était responsable au titre de l’article 227.1 de la Loi était une somme qu’il devait payer au cours de l’année d’imposition 2008 ou pour cette année, celle où les biens ont été transférés (paragraphe 42 des motifs). L’analyse de la Cour de l’impôt sur cette question est exposée aux paragraphes 43 à 78 de ses motifs.
[13]
Les motifs de la Cour se résument ainsi :
Bien que le paragraphe 227.1(1) de la Loi impose, lorsque la société a omis de le faire, une responsabilité solidaire aux
« administrateurs de la société, au moment où celle-ci était tenue de déduire, de retenir, de verser ou de payer »
certaines sommes précisées, il« ne précise pas le moment où cette responsabilité prend naissance »
(paragraphe 43 des motifs).Bien que le paragraphe 227.1(1) de la Loi soit muet sur le moment où la responsabilité de l’administrateur prend naissance, le paragraphe 227.1(2) dispose qu’un
« administrateur n’encourt la responsabilité prévue au paragraphe (1) que dans l’un ou l’autre des cas suivants : [...] un certificat précisant la somme pour laquelle la société est responsable selon ce paragraphe a été enregistré à la Cour fédérale en application de l’article 223 et il y a eu défaut d’exécution totale ou partielle à l’égard de cette somme »
(paragraphe 45 des motifs) (soulignement de la Cour de l’impôt omis).Precision n’a pas versé les retenues à la source en 2008, mais il n’y a eu défaut d’exécution à l’égard de la dette fiscale que le 4 janvier 2011 (paragraphe 46 des motifs).
Le libellé du paragraphe 227.1(2)
« est très clair et non équivoque et laisse fortement à penser que la responsabilité d’un administrateur relative au non-versement de retenues à la source [...] ne prend naissance que lorsque les conditions pertinentes énoncées au paragraphe 227.1(2) de la Loi sont réunies »
. Ces conditions préalables n’ont été réunies que le 4 janvier 2011 (paragraphe 48 des motifs).Cette conclusion est conforme à l’arrêt rendu par notre Cour Canada (Procureur général) c. McKinnon, [2001] 2 C.F. 203, 2000 CanLII 16269 (C.A.F.), cité par la Cour de l’impôt sous le nom de Worrell (paragraphe 49 des motifs).
Le paragraphe 227.1(1) est une disposition de recouvrement fiscal
« qui pénalise en substance les administrateurs personnellement lorsque ceux-ci ne veillent pas à ce que la société dont ils sont administrateurs déduise à la source et verse les montants exigés au ministre »
. Le législateur n’avait toutefois pas l’intention d’imposer une responsabilité absolue au moyen de cette disposition. C’est pourquoi il a« prévu des conditions à ce pouvoir au moyen des paragraphes 227.1(2) à 227.1(5) »
(paragraphe 53 des motifs).Sur le plan contextuel, une comparaison du libellé des paragraphes 227.1(2) et 227.1(4) de la Loi permet de confirmer l’interprétation selon laquelle le paragraphe 227.1(2)
« constitue une disposition temporelle »
. Il en est ainsi parce que le paragraphe 227.1(2) de la Loi dispose qu’un« administrateur n’encourt la responsabilité prévue au paragraphe (1) que dans l’un ou l’autre des cas suivants »
, alors que le paragraphe 227.1(4) dispose que« [l]’action ou les procédures visant le recouvrement d’une somme payable par un administrateur [...] en vertu du paragraphe (1) se prescrivent par deux ans à compter de la date à laquelle l’administrateur cesse pour la dernière fois d’être un administrateur de cette société »
. Bien que le paragraphe 227.1(4) prévoie un délai de prescription, ce n’est pas le cas du paragraphe 227.1(2). Il s’agit plutôt d’une« condition préalable à l’établissement d’une responsabilité aux termes de l’article 227.1 »
. Si le législateur avait voulu que le paragraphe 227.1(2) de la Loi signifie qu’il ne soit pas possible de recouvrer la somme que l’administrateur doit payer avant que les conditions soient réunies,« il aurait pu utiliser le même type de formulation que celui du paragraphe 227.1(4) »
(paragraphe 54 des motifs) (soulignement de la Cour de l’impôt omis).Ces dispositions démontrent que le législateur
« n’a jamais eu l’intention que la responsabilité d’un administrateur engagée aux termes de l’article 227.1 de la Loi en raison du manquement d’une société le soit de façon absolue dès que cette société fait défaut à ses obligations de versement »
(paragraphe 55 des motifs).La Cour a refusé de suivre l’enseignement de jugements en sens contraire qu’elle a elle-même rendus : Pliskow c. La Reine, 2013 CCI 283, [2013] G.S.T.C. 112; Sheck c. La Reine, 2018 CCI 125, [2018] G.S.T.C. 64; White c. La Reine, [1994] A.C.I. no 1042 (QL), [1995] 1 C.T.C. 2538 (C.C.I.); et Filippazzo c. La Reine, 2000 CanLII 250 (C.C.I.). Il ne lui apparaissait pas clairement que la Cour de l’impôt avait procédé dans ces décisions à l’interprétation textuelle, contextuelle et téléologique requise des articles 160 et 227.1. Qui plus est, la Cour a préféré suivre l’arrêt McKinnon de notre Cour ainsi que d’autres décisions citées de la Cour de l’impôt (paragraphe 65 des motifs).
La responsabilité d’un administrateur ne prend naissance en application du paragraphe 227.1(1) que
« lorsque les conditions pertinentes du paragraphe 227.1(2) sont réunies »
(paragraphe 68 des motifs).Par conséquent, la responsabilité qui échoit à M. Colitto à titre d’administrateur de Precision en vertu de l’article 227.1 n’a pris naissance que le 4 janvier 2011, lorsque les conditions prévues au paragraphe 227.1(2) ont été réunies (paragraphe 69 des motifs).
Il s’ensuit également que les transferts de biens effectués en 2008 n’ont pas fait jouer l’article 160 de la Loi et, par conséquent, les appels de Mme Colitto ont été accueillis (paragraphes 78 et 79 des motifs).
La question en litige
[14]
La seule question à trancher en l’espèce est celle de savoir si la somme dont M. Colitto était responsable au titre de l’article 227.1 de la Loi était à payer « au cours de »
son année d’imposition 2008 ou « pour »
cette année, au sens du sous-alinéa 160(1)e)(ii) de la Loi. Les parties reconnaissent que notre Cour est saisie d’une affaire sans précédent.
Analyse
[15]
La question de savoir si la somme dont M. Colitto était responsable au titre de l’article 227.1 de la Loi était à payer « au cours de »
son année d’imposition 2008 ou « pour »
cette année repose sur l’interprétation correcte de l’article 227.1. Puisqu’il s’agit d’une question de droit, l’interprétation de la disposition par la Cour de l’impôt est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.
[16]
Comme l’a affirmé à juste titre la Cour de l’impôt au paragraphe 47 de ses motifs, l’interprétation de l’article 227.1 doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble.
[17]
Par conséquent, je commencerai par un examen du libellé des dispositions pertinentes. Par souci de commodité, les passages pertinents des paragraphes 227.1(1) et (2) sont reproduits ci-dessous :
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[18]
Je ne souscris pas à la conclusion de la Cour de l’impôt selon laquelle le paragraphe 227.1(1) est muet sur le moment où la responsabilité de l’administrateur prend naissance (paragraphe 43 des motifs). À tout le moins, la version anglaise est ambiguë. Le passage suivant, «
the directors of the corporation at the time the corporation was required to deduct, withhold, remit or pay the amount are jointly and severally, or solidarily, liable, together with the corporation, to pay that amount »
, peut être interprété comme servant simplement à préciser quels administrateurs sont responsables de l’omission de la société de déduire, de retenir, de verser ou de payer la somme en cause (les administrateurs de la société au moment de l’omission).Cela dit, on peut aussi l’interpréter comme servant non seulement à préciser quels directeurs sont responsables, mais aussi à préciser le moment auquel cette responsabilité prend naissance (au moment où la société omet de verser les sommes dues).
[19]
La Cour de l’impôt n’a pas pris en considération la version française du paragraphe 227.1(1), laquelle fait tout autant autorité. Dans la mesure où il y a ambiguïté dans la version anglaise, la version française n’apporte aucun éclaircissement.
[20]
Cependant, toute ambiguïté quant au sens du paragraphe 227.1 (1) est levée lorsqu’on examine le contexte et l’objet de la disposition.
[21]
Le critère contextuel le plus important se trouve au paragraphe 227.1(2).
[22]
La Cour de l’impôt a interprété le paragraphe 227.1(2) comme donnant « fortement »
à penser que la responsabilité de l’administrateur « ne prend naissance que lorsque les conditions pertinentes énoncées au paragraphe 227.1(2) de la Loi sont réunies »
(paragraphe 48 des motifs). Contrairement à l’interprétation que donne la Cour de l’impôt à la disposition, le paragraphe 227.1(2) dispose clairement que c’est le paragraphe 227.1(1) qui impose la responsabilité aux administrateurs. Le paragraphe 227.1(2) est une disposition d’allégement qui présente les circonstances précises dans lesquelles l’administrateur peut échapper à la responsabilité qui lui incombe au titre du paragraphe 227.1(1). Par conséquent, un « administrateur n’encourt la responsabilité prévue au paragraphe (1) que dans l’un ou l’autre des cas suivants »
ou, dans la version anglaise, «
[a] director is not liable under subsection 227.1(1), unless »
.
[23]
La version anglaise du paragraphe 227.1(2) n’indique pas que l’administrateur n’est responsable de l’omission de la société « que si et à partir du moment où »
(«
unless and until »
en anglais) les actes précisés ont été commis. Il aurait fallu que cette disposition comporte une expression de la sorte pour que la conclusion de la Cour de l’impôt soit justifiée. Pour conclure que la responsabilité qui incombe à l’administrateur au titre du paragraphe 227.1(1) prend naissance « lorsque les conditions pertinentes du paragraphe 227.1(2) sont réunies »
(paragraphe 68 des motifs), la Cour de l’impôt a interprété à tort le paragraphe 227.1(2) comme s’il comportait les mots « à partir du moment où »
.
[24]
Lorsqu’il est interprété correctement, le paragraphe 227.1(2) sert à réaliser, entre autres choses, un objet qui sous-tend plusieurs dispositions de la Loi : éviter la double imposition. Par conséquent, l’alinéa 227.1(2)a) permet d’éviter la double imposition en interdisant au ministre de recouvrer les retenues à la source non versées d’un administrateur par ailleurs responsable des retenues si la société a déjà payé la totalité de la somme due (voir également le paragraphe 227.1(5) dans le cas où la société a payé une partie de la somme due). De même, sous réserve de l’application éventuelle de l’article 166 de la Loi (voir, par exemple, les arrêts Kyte c. Canada, [1996] A.C.F. no 1615 (QL), 51 D.T.C. 5022 (C.A.F.); Moriyama c. Canada, 2005 CAF 207, [2005] A.C.F. no 966 (QL)), le ministre ne peut recouvrer une somme supérieure à celle due par la société après le début de procédures de liquidation, de dissolution ou de faillite.
[25]
Quant à l’objet de la disposition, notre Cour a conclu dans l’arrêt Smith c. Canada, 2001 CAF 84, [2001] A.C.F. no 448 (QL), que le paragraphe 227.1(1) a été adopté pour permettre à la Couronne de mieux faire respecter l’obligation que la loi impose aux sociétés de verser les retenues à la source. On a « constaté qu’une société, surtout lorsqu’elle faisait face à des difficultés financières, pourrait préférer ne pas satisfaire son obligation de verser les impôts afin de payer des créanciers dont les réclamations semblent plus pressantes »
. La disposition sur la responsabilité des administrateurs a été adoptée pour dissuader les sociétés de faire un tel choix. La disposition « présuppose que ce sont les administrateurs qui prennent la décision faisant que la société ne respecte pas ses obligations de verser les sommes en cause »
.
[26]
L’interprétation adoptée par la Cour de l’impôt rend cet objet inopérant et futile. L’interprétation de la Cour de l’impôt donnerait à l’administrateur beaucoup de temps, après que la société se trouve en défaut de paiement, pour réorganiser ses finances de manière à éviter de se trouver personnellement responsable de la dette. Le législateur ne peut avoir eu l’intention de permettre que la disposition sur la responsabilité des administrateurs soit contournée, comme c’est le cas en l’espèce.
[27]
Après avoir examiné le texte, le contexte et l’objet du paragraphe 227.1(1), je conclus que les retenues à la source non versées étaient des sommes qu’il incombait à M. Colitto de payer au cours de l’année d’imposition 2008 ou pour cette année. La Cour de l’impôt a commis une erreur de droit en concluant le contraire.
[28]
Pour parvenir à cette conclusion, j’ai pris en considération les notes explicatives de 1982 relatives à l’article 227.1 et les notes techniques de 1988 relatives à l’alinéa 227.1(2)a) sur lesquelles s’est fondé l’avocate de l’intimée.
[29]
Bien que les notes explicatives et les notes techniques soient des outils d’interprétation extrinsèques autorisés (Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, au paragraphe 15), elles ne lient pas la Cour et ne peuvent remplacer l’analyse textuelle, contextuelle et téléologique requise. En l’espèce, les passages invoqués décrivent de façon générale le fonctionnement de l’article 227.1. Ils ne portent pas précisément sur la question dont la Cour est saisie et n’y apportent pas d’éclaircissements. Quoi qu’il en soit, les notes ne peuvent supplanter le résultat de l’exercice d’interprétation.
[30]
Avant de terminer, il convient d’examiner l’utilisation qu’a faite la Cour de l’impôt de l’arrêt McKinnon rendu par notre Cour. Aux paragraphes 49 et 50, la Cour de l’impôt a invoqué les passages suivants, tirés des paragraphes 37 et 76 des motifs de notre Cour dans l’arrêt McKinnon (dans la version publiée dans le Recueil des décisions des Cours fédérales) :
En cinquième lieu, les administrateurs n’encourent aucune responsabilité personnelle par application du paragraphe 227.1(1) et n’ont donc pas besoin d’invoquer le paragraphe 227.1(3) si à un moment donné, la dette de la compagnie envers Revenu Canada, y compris intérêts et pénalités pour retard de paiement, est acquittée. Il en est ainsi parce que le paragraphe 227.1(2) tempère le paragraphe 227.1(1) en prévoyant en effet qu’un administrateur n’est tenu de verser à Revenu Canada les sommes en souffrance qu’après que tous les efforts de recouvrement ont été épuisés.
[...]
Que les administrateurs aient fait preuve ou non de diligence raisonnable pour prévenir le défaut est à la fois un point de droit et un point de fait. Sur le plan juridique, la responsabilité d’un administrateur en cas de défaut de versement des retenues à la source et de la TPS ne se cristallise qu’une fois que les conditions prévues au paragraphe 227.1(2) auront été réunies. Qui plus est, si les sommes dues sont par la suite intégralement réglées, même tardivement, ces administrateurs ne seront pas tenus responsables du défaut par la compagnie de les verser en premier lieu.
[Souligné par la Cour de l’impôt, notes de bas de page omises.]
[31]
Il convient de préciser deux points. Premièrement, comme l’a noté la Cour de l’impôt, il s’agit de remarques incidentes, puisque notre Cour n’était pas saisie dans cette affaire de la question à trancher en l’espèce. Notre Cour a formulé ces observations dans le cadre d’une description générale du texte législatif, et celles-ci n’étaient pas considérées comme étant une interprétation du paragraphe 227.1(1). Deuxièmement, le fait qu’un administrateur ne puisse être tenu de payer la dette d’une société qu’une fois épuisés les efforts de recouvrement auprès de la société n’est pas incompatible avec le fait que la responsabilité de l’administrateur prenne naissance au cours d’une année d’imposition antérieure ou pour une année d’imposition antérieure.
[32]
L’utilisation que fait l’intimée de précédents tels que l’arrêt Canadian-Automatic Data Processing Services Ltd. v. CEEI Safety & Security Inc. (2004), 246 D.L.R. (4th) 400, 192 O.A.C. 152 (C.A. Ont.), n’est pas plus fondée. Cette affaire portait sur une allégation d’enrichissement injustifié dans le contexte d’une loi provinciale qui, dans certains cas, tenait les administrateurs d’une société responsables des salaires impayés. La Cour d’appel de l’Ontario n’était pas tenue de déterminer, et elle ne l’a pas fait, à quel moment les administrateurs devenaient responsables des salaires impayés.
Conclusion
[33]
Pour les motifs qui précèdent, j’accueillerais l’appel avec dépens et j’annulerais la décision de la Cour de l’impôt. Prononçant le jugement qui aurait dû être rendu, je rejetterais les appels de Caroline Colitto à l’égard des cotisations datées du 13 janvier 2016, établies en vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu, et je lui ordonnerais de payer les dépens de Sa Majesté la Reine devant la Cour de l’impôt.
« Eleanor R. Dawson »
j.c.a.
« Je suis d’accord.
|
David Stratas, j.c.a. »
|
« Je suis d’accord.
|
John B. Laskin, j.c.a. »
Traduction certifiée conforme
Elisabeth Ross, jurilinguiste
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ANNEXE
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COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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A-189-19
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INTITULÉ :
|
SA MAJESTÉ LA REINE c. CAROLINE COLITTO
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|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
TORONTO (ONTARIO)
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DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 26 FÉVRIER 2020
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MOTIFS DU JUGEMENT :
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LA JUGE DAWSON
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Y ONT SOUSCRIT :
|
LE JUGE STRATAS
LE JUGE LASKIN
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DATE DES MOTIFS :
|
LE 2 AVRIL 2020
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COMPARUTIONS :
Amy Kendell
Caitlin Ward
Stephanie Samson
|
POUR L’APPELANTE
|
Kristen Duerhammer
|
POUR L’INTIMÉE
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Nathalie G. Drouin
Sous-procureure générale du Canada
|
POUR L’APPELANTE
|
KPMG cabinet juridique s.r.l./S.E.N.C.R.L.
Toronto (Ontario)
|
POUR L’INTIMÉE
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