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Date : 20200428


Dossier : A-406-18

Référence : 2020 CAF 81

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE GLEASON

LA JUGE RIVOALEN

 

ENTRE :

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

appelant

 

 

et

 

 

ALLAN BRADLEY ZALYS

 

 

intimé

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 15 janvier 2020.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 28 avril 2020.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE BOIVIN

Y A SOUSCRIT :

LA JUGE RIVOALEN

MOTIFS DISSIDENTS :

LA JUGE GLEASON

 


Date : 20200428

Dossier : A-406-18

Référence : 2020 CAF 81

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE GLEASON

LA JUGE RIVOALEN

 

ENTRE :

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

appelant

 

 

et

 

 

ALLAN BRADLEY ZALYS

 

 

intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE BOIVIN

[1]  J’ai eu la possibilité de lire les motifs rédigés par ma collègue la juge Gleason. Je suis d’accord avec les faits qu’elle a exposés, ainsi qu’avec sa conclusion selon laquelle l’intitulé de la cause devrait être modifié comme le demande l’appelant. Toutefois, et avec tout le respect que je lui dois, je ne peux pas être d’accord avec elle pour dire que l’appel ne devrait être accueilli qu’en partie avec dépens en faveur de l’intimé.

[2]  L’appelant interjette appel du jugement de la Cour fédérale dans la décision Zalys c. Canada (Gendarmerie royale), 2018 CF 1122, 298 A.C.W.S. (3d) 863, qui a accueilli la demande de contrôle judiciaire de l’intimé concernant la décision rendue le 8 juin 2017 par une arbitre de niveau II (l’arbitre) nommée en application de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, c. R-10 (dans sa version antérieure au 28 novembre 2014). L’arbitre avait rejeté le grief de l’intimé qui demandait que la solde de service soit incluse dans le montant forfaitaire des congés annuels qu’il a reçu lorsqu’il a pris sa retraite de la GRC. L’intimé a ensuite demandé un contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. La Cour fédérale a estimé que la décision de l’arbitre était déraisonnable et a renvoyé l’affaire avec des instructions pour que l’arbitre « adopt[e] une interprétation qui confirme la position [de l’intimé] » (motifs de la Cour fédérale, aux paragraphes 26, 69 et 70).

[3]  Pour les motifs qui suivent, j’accueillerais l’appel avec dépens, j’annulerais le jugement de la Cour fédérale, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire et je rétablirais la décision de l’arbitre.

[4]  En cas d’appel d’une décision de contrôle judiciaire, comme l’a affirmé ma collègue, notre Cour doit déterminer si la Cour fédérale a choisi la norme de contrôle appropriée et si elle l’a appliquée correctement : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 RCS 559, aux paragraphes 45 à 47; Canada (Agence du revenu) c. Telfer, 2009 CAF 23, 386 N.R. 212, au paragraphe 18. La norme de contrôle dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de la décision raisonnable. Notre Cour doit donc se concentrer sur la décision de l’arbitre et déterminer si, lors de son contrôle, la Cour fédérale a identifié la norme de la décision raisonnable comme norme de contrôle et si elle l’a appliquée correctement.

[5]  En évaluant la décision de l’arbitre, je suis guidé par les enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, 441 D.L.R. (4th) 1 [arrêt Vavilov]. Lorsque la Cour détermine que la norme applicable est celle de la décision raisonnable, elle « doit tenir compte du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous‑jacent à celle‑ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée » (arrêt Vavilov, au paragraphe 15). Si les motifs de la majorité dans l’arrêt Vavilov qualifient le contrôle selon la norme de la décision raisonnable de « rigoureux », ils réitèrent également qu’il exige de faire montre de retenue. Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable « tire son origine du principe de la retenue judiciaire et témoigne d’un respect envers le rôle distinct des décideurs administratifs » et vise « à faire en sorte que les cours de justice interviennent dans les affaires administratives uniquement lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (arrêt Vavilov, aux paragraphes 12 et 13). Il n’est pas nécessaire que les motifs « [...] fassent [...] référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire » (arrêt Vavilov, au paragraphe 91, citant l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, au paragraphe 16). Ce qui distingue le contrôle selon la norme de la décision raisonnable du contrôle selon la norme de la décision correcte est l’accent mis par la Cour sur la décision administrative et la justification qui lui est donnée, « et non sur la conclusion à laquelle elle serait parvenue à la place du décideur administratif » (arrêt Vavilov, aux paragraphes 15 et 83). En outre, il n’est approprié d’infirmer une décision selon la norme de la décision raisonnable que lorsque « la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable » (arrêt Vavilov, au paragraphe 100).

[6]  En ce qui concerne le fond de la décision de l’arbitre qui nous est présentée, je suis d’avis qu’elle est raisonnable. Bien qu’il aurait été préférable que l’arbitre reconnaisse la définition du terme [TRADUCTION] « indemnité » en concluant que la solde de service était une [TRADUCTION] « indemnité » exclue de la définition du terme « salary » ([TRADUCTION] « taux de rémunération »), cette prétendue lacune ne justifie pas à elle seule de conclure que la décision est déraisonnable dans son ensemble. Le dossier démontre non seulement que la définition du terme [TRADUCTION] « indemnité » n’était pas au centre des observations de l’intimé au stade administratif, mais surtout, qu’elle n’est pas déterminante pour l’affaire. Que la solde de service soit considérée comme une [TRADUCTION] « indemnité » exclue de la définition du terme « salary » ([TRADUCTION] « taux de rémunération ») ou non, l’arbitre devait encore se pencher sur l’effet du terme « substantive » ([TRADUCTION] « niveau de titularisation ») à l’article 7.1 du Manuel d’administration de la GRC. C’est précisément ce qu’a fait l’arbitre, en formulant d’autres conclusions qui sont indépendantes de la notion que la solde de service est une [TRADUCTION] « indemnité » et qui justifient sa conclusion finale selon laquelle l’intimé n’a pas démontré que le montant d’argent qu’il a reçu n’était pas conforme aux lois et aux politiques générales pertinentes.

[7]  En effet, selon le dossier qui lui a été soumis, l’arbitre a fait remarquer à juste titre que le [TRADUCTION] « nœud du litige » concernait la définition de l’expression « substantive salary » ([TRADUCTION] « taux de rémunération du niveau de titularisation ») à l’article 7.1 du chapitre 19.1 du Manuel d’administration de la GRC et elle a signalé qu’elle se concentrait sur ce chapitre, qui concerne les congés annuels (motifs de l’arbitre, aux paragraphes 38, 55 et 61). Au lieu de s’appuyer sur sa conclusion que la solde de service était une [TRADUCTION] « indemnité », l’arbitre s’est penchée sur l’incidence du terme « substantive » ([TRADUCTION] « niveau de titularisation ») figurant à l’article 7.1. Dans les circonstances où l’expression « substantive salary » ([TRADUCTION] « taux de rémunération du niveau de titularisation ») n’était pas définie dans les manuels de politique générale applicables ou dans les lois habilitantes à l’époque, elle a raisonnablement conclu que le terme « substantive » ([TRADUCTION] « niveau de titularisation ») avait une connotation restrictive et [TRADUCTION] « qualifi[ait] une rémunération de base dénuée de toute autre forme de rémunération » (motifs de l’arbitre, aux paragraphes 62, 64 et 65; dossier d’appel, vol. II, aux pages 345, 471 et 489). 

[8]  L’arbitre a également répondu à l’argument de l’intimé selon lequel le fait d’exclure la solde de service du « substantive salary » ([TRADUCTION] « taux de rémunération du niveau de titularisation ») figurant à l’article 7.1 du chapitre 19.1 du Manuel d’administration de la GRC créait une iniquité. Elle n’était pas d’accord avec son affirmation pour deux raisons. Tout d’abord, elle a constaté que les membres qui prenaient leur retraite pouvaient choisir de recevoir la solde de service en prenant le reste de leurs congés sous forme de vacances avant de prendre leur retraite, ou ils pouvaient choisir de recevoir leur congé annuel en une somme forfaitaire sans solde de service (motifs de l’arbitre, aux paragraphes 66, 68, 69 et 73). Ensuite, elle a examiné comment les membres qui sont officiers cadres de la GRC reçoivent les paiements de leurs congés annuels lorsque ceux-ci dépassent leur droit au report de congés, selon le Manuel d’administration de la GRC. Elle a noté que, dans les dispositions qu’elle a consultées, le terme « substantive » ([TRADUCTION] « niveau de titularisation ») dénotait [TRADUCTION] « que le paiement doit être fondé sur la rémunération de base du membre, sans aucune indemnité ou autre forme de rémunération » et elle a suggéré que l’exclusion de la solde de service du « substantive salary » ([TRADUCTION] « taux de rémunération du niveau de titularisation ») à l’article 7.1 permettrait une application cohérente de la politique de paiement des congés annuels pour les membres en service et les membres qui prennent leur retraite (motifs de l’arbitre, aux paragraphes 70, 71 et 73).

[9]  En outre, l’arbitre a fourni une explication cohérente et intelligible de la raison pour laquelle la solde de service n’est pas liée aux congés annuels, mais à la rémunération aux deux semaines d’un membre, qu’un membre renvoyé ne reçoit plus (motifs de l’arbitre, aux paragraphes 67 et 68).

[10]  Aucune de ces conclusions supplémentaires ne dépend de la notion selon laquelle la solde de service est une [TRADUCTION] « indemnité ». Elles démontrent plutôt une analyse appropriée de l’article 7.1 du Manuel d’administration de la GRC dans son contexte, conduisant ainsi à une conclusion transparente, intelligible et justifiable que le paiement des congés annuels qu’a reçu l’intimé a été calculé correctement de manière à exclure la solde de service conformément aux lois et aux politiques générales pertinentes.

[11]  Contrairement à ma collègue, je ne suis pas convaincu non plus que l’arbitre ait été tenue d’aborder explicitement, dans ses motifs, une modification du Manuel national de la rémunération de la GRC, après le départ à la retraite de l’intimé, concernant la solde de service. Cette omission est relativement insignifiante parce que la modification ne milite pas clairement en faveur de la position de l’intimé, toute affirmation concernant la motivation sous-tendant cette modification, selon le dossier, est spéculative et la modification ne porte pas atteinte au bien-fondé de l’analyse effectuée par l’arbitre de l’article 7.1 du Manuel d’administration de la GRC qui l’a amenée à conclure que la solde de service était exclue du « substantive salary » ([TRADUCTION] « taux de rémunération du niveau de titularisation ») au moment pertinent. À mon avis, le fait de conclure que l’arbitre était tenue de traiter explicitement de la modification dans ses motifs va à l’encontre de l’observation de la majorité dans l’arrêt Vavilov, au paragraphe 128, selon laquelle :

Les cours de révision ne peuvent s’attendre à ce que les décideurs administratifs « répondent à tous les arguments ou modes possibles d’analyse » (Newfoundland Nurses, par. 25) ou « tire[nt] une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à [leur] conclusion finale » (par. 16). Une telle exigence aurait un effet paralysant sur le bon fonctionnement des organismes administratifs et compromettrait inutilement des valeurs importantes telles que l’efficacité et l’accès à la justice. [...]

[12]  En outre, j’estime que le dossier ne permet pas d’étayer l’affirmation selon laquelle l’intimé a relevé la différence de formulation entre l’article 7.1 du chapitre 19.1 du Manuel d’administration de la GRC et les articles 6.1.1 et 6.2.2, qui traitent du paiement des congés annuels aux membres de la GRC qui sont des officiers cadres, au stade administratif de cette affaire. Bien que l’intimé ait soulevé des arguments sur la différence de formulation entre ces dispositions devant notre Cour, il n’y avait aucune référence aux articles 6.1.1 ou 6.2.2 dans les observations de l’intimé au stade administratif. En soulevant cet argument devant notre Cour, l’intimé tente en fait de plaider à nouveau son affaire.

[13]  Enfin, la conclusion de l’arbitre selon laquelle il incombait à l’intimé d’établir le bien-fondé de sa demande était raisonnable. Elle est conforme à la pratique antérieure des arbitres de la GRC, et le dossier ne suggère pas que l’appelant a omis de fournir des renseignements auxquels lui seul avait accès (voir, par exemple, la décision Marsh c. Zaccardelli, 2006 CF 1466, 305 FTR 303, au paragraphe 59).

[14]  En appliquant les enseignements de l’arrêt Vavilov à l’espèce, la décision de l’arbitre est raisonnable et ses motifs le démontrent. Plus précisément, ses motifs expliquent que l’expression « substantive salary » ([TRADUCTION] « taux de rémunération du niveau de titularisation »), à l’article 7.1 du chapitre 19.1 du Manuel d’administration de la GRC, non définie dans les politiques pertinentes de la GRC, n’inclut pas la solde de service, car : l’adjectif « substantive » dans la version anglaise du Manuel d’administration désigne [TRADUCTION] « la partie essentielle de la rémunération », et non une rémunération qui comprend des indemnités ou d’autres formes d’indemnisation; la solde de service est liée à la réception de la rémunération d’un membre, et non aux congés annuels; les membres qui prennent leur retraite peuvent choisir l’option qui leur permet de recevoir la solde de service s’ils le souhaitent; et une indemnisation en plus de la rémunération de base, comme la solde de service, n’est pas versée aux membres en service lorsqu’ils reçoivent un paiement forfaitaire de congés annuels qui dépasse leur droit au report de congés (motifs de l’arbitre, aux paragraphes 63, 64, 67, 68 et 71).

[15]  Pour sa part, la Cour fédérale a correctement déterminé la norme de contrôle applicable comme étant celle de la décision raisonnable (motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 13). Toutefois, elle a procédé à sa propre analyse de la manière dont les dispositions pertinentes du Manuel d’administration de la GRC et du Manuel national de la rémunération devraient être interprétées (motifs de la Cour fédérale, aux paragraphes 27 à 37, 39, 45 à 50). Par conséquent, elle n’a pas fait preuve de suffisamment de déférence et s’est clairement engagée dans un contrôle déguisé selon la norme de la décision correcte, s’est concentrée à tort sur sa propre interprétation des manuels de politique de la GRC et a comparé cette interprétation à celle de l’arbitre, en utilisant sa propre interprétation comme « critère pour ensuite jauger ce qu’a fait [l’arbitre] » (arrêt Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, 472 N.R. 171, au paragraphe 28; voir également l’arrêt Canada (Procureur général) c. Heffel Gallery Limited, 2019 CAF 82, [2019] 3 R.C.F. 81, au paragraphe 49).

[16]  Pour les motifs qui précèdent, j’accueillerais entièrement l’appel, j’annulerais le jugement de la Cour fédérale du 8 novembre 2018 dans le dossier T-1635-17 (2018 CF 1122), je rejetterais la demande de contrôle judiciaire de l’intimé et je rétablirais la décision de l’arbitre du 8 juin 2017. J’accorderais à l’appelant le montant convenu de 5 300 $ pour les dépens et je modifierais également l’intitulé de la cause comme l’a demandé l’appelant. L’intitulé du présent document et du jugement de notre Cour dans le dossier A-406-18 reflète cette proposition de modification.

« Richard Boivin »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Marianne Rivoalen j.c.a. »
LA JUGE GLEASON (dissidente)

[17]  L’appelant fait appel de la décision de la Cour fédérale intitulée Zalys c. Canada (Gendarmerie royale), 2018 CF 1122, dans laquelle le juge Annis a accueilli une demande de contrôle judiciaire de la décision du 8 juin 2017 d’une arbitre de niveau II nommée aux termes de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, c. R-10 (dans sa version antérieure au 28 novembre 2014) (la Loi sur la GRC). Dans sa décision, l’arbitre a rejeté le grief de l’intimé qui demandait le paiement de la solde de service avec les congés annuels accumulés que la Gendarmerie royale du Canada (GRC) lui avait versés sous forme de somme forfaitaire au moment de sa retraite. L’appelant demande également que l’intitulé du présent appel soit modifié de manière à désigner comme appelant le procureur général du Canada, par opposition à la GRC, P. Lebrun et la surintendante Jennie Latham.

[18]  Pour les motifs qui suivent, je modifierais l’intitulé de la cause dans le sens demandé par l’appelant et j’accueillerais l’appel, mais seulement dans la mesure où je modifierais une partie de l’ordonnance rendue par la Cour fédérale. Par conséquent, comme je conclurais que l’intimé a largement obtenu gain de cause dans le présent appel, je lui accorderais les dépens, fixés au montant forfaitaire convenu de 4 700 $.

I.  L’appelant approprié

[19]  En ce qui concerne tout d’abord la demande de modification de l’intitulé de la cause, dans une demande de contrôle judiciaire visant à annuler une décision d’un arbitre en application de la Loi sur la GRC, l’appelant approprié est le procureur général du Canada. Ainsi, le procureur général du Canada devrait être désigné à titre d’appelant dans le présent appel.

[20]  Les paragraphes 303(1) et (2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, prescrivent ce qui suit concernant les défendeurs dans des demandes de contrôle judiciaire :

303 (1) Sous réserve du paragraphe (2), le demandeur désigne à titre de défendeur :

303 (1) Subject to subsection (2), an applicant shall name as a respondent every person

a) toute personne directement touchée par l’ordonnance recherchée, autre que l’office fédéral visé par la demande;

(a) directly affected by the order sought in the application, other than a tribunal in respect of which the application is brought; or

b) toute autre personne qui doit être désignée à titre de partie aux termes de la loi fédérale ou de ses textes d’application qui prévoient ou autorisent la présentation de la demande.

(b) required to be named as a party under an Act of Parliament pursuant to which the application is brought.

(2) Dans une demande de contrôle judiciaire, si aucun défendeur n’est désigné en application du paragraphe (1), le demandeur désigne le procureur général du Canada à ce titre.

(2) Where in an application for judicial review there are no persons that can be named under subsection (1), the applicant shall name the Attorney General of Canada as a respondent.

[21]  P. Lebrun était le représentant des Services nationaux de rémunération de la GRC, qui a présenté des observations à l’arbitre, et la surintendante Jennie Latham était l’arbitre, qui a rendu la décision faisant l’objet du contrôle, agissant en tant que déléguée du commissaire de la GRC conformément aux paragraphes 5(2) et 32(1) de la Loi sur la GRC. Ni l’un ni l’autre n’était un défendeur approprié dans une demande de contrôle judiciaire.

[22]  L’alinéa 303(1)a) interdit de désigner à titre de défendeur le décideur dont la décision fait l’objet d’un contrôle dans une demande de contrôle judiciaire, et toute personne qui a présenté des observations devant l’arbitre ou qui a agi au nom d’un employeur dans la procédure de règlement des griefs n’est pas directement touchée par l’ordonnance recherchée dans une demande de contrôle judiciaire et ne devrait donc pas être désignée à titre de défendeur aux termes de l’alinéa 303(1)a). Ainsi, ni P. Lebrun ni la surintendante Jennie Latham n’aurait dû être désigné à titre de défendeur et ils devraient donc être retirés à titre d’appelants.

[23]  Le caractère approprié du fait de désigner ou non la GRC à titre de défenderesse est peut-être moins évident. Il existe de nombreuses affaires dans lesquelles la GRC a été désignée à titre de défenderesse dans des demandes de contrôle judiciaire visant à contester une décision rendue par un arbitre aux termes de la Loi sur la GRC (voir, par exemple, la décision Marsh c. Zaccardelli, 2006 CF 1466, 305 F.T.R. 303 (désignant le commissaire de la GRC Zaccardelli, la GRC et le procureur général du Canada comme défendeurs); la décision Smiley c. Gendarmerie royale du Canada, 2007 CF 29, 155 A.C.W.S. (3d) 202 (désignant la GRC comme défenderesse); la décision Lee c. Canada (Gendarmerie Royale du Canada) (2000), 184 FTR 74, [2000] ACF no 887 (QL) (CF 1re inst.) (désignant Sa Majesté la Reine (Gendarmerie royale du Canada) et le commissaire Murray de la GRC comme défendeurs). Toutefois, la question de la désignation de la partie défenderesse ne semble pas avoir été soulevée dans ces affaires et, par conséquent, l’intitulé de la cause a été fixé par les parties dans leurs plaidoiries et n’a pas été contesté devant la Cour.

[24]  Bien que la GRC soit indubitablement concernée par l’ordonnance recherchée dans la présente demande, le paragraphe 23(1) de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, c. C-50, partie II, interdit de désigner la GRC comme défenderesse. Ce paragraphe prescrit ce qui suit :

Les poursuites visant l’État peuvent être exercées contre le procureur général du Canada ou, lorsqu’elles visent un organisme mandataire de l’État, contre cet organisme si la législation fédérale le permet.

Proceedings against the Crown may be taken in the name of the Attorney General of Canada or, in the case of an agency of the Crown against which proceedings are by an Act of Parliament authorized to be taken in the name of the agency, in the name of that agency.

[25]  Il n’y a rien dans la Loi sur la GRC ou dans d’autres lois qui autorise des poursuites comme celle-ci contre la GRC en son nom. Comme notre Cour l’a noté au paragraphe 38 de l’arrêt Gingras c. Canada (1994), 113 D.L.R. (4th) 295, 165 N.R. 101 (C.A.F.), la GRC est une division de l’administration publique fédérale et un « ministère » au sens de l’article 2 et de l’annexe I.1 de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, ch. F-11. Notre Cour a jugé que les ministères n’ont pas de personnalité juridique distincte de la Couronne (Canada (Commissariat à l’information) c. Calian Ltd., 2017 CAF 135, 414 D.L.R. (4th) 165, au paragraphe 63). Il s’ensuit que, comme les ministères ne sont pas des entités juridiques distinctes, ils ne sont pas correctement désignés comme défendeurs dans une demande de contrôle judiciaire, à moins qu’une loi n’en dispose autrement (voir, par exemple, la décision Enniss c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1995] A.C.F. no 1593 (QL), 104 F.T.R. 145 (CF 1re inst.), aux paragraphes 7 à 9; et Gravel c. Canada (Procureur général), 2011 CF 832, 393 F.T.R. 219, au paragraphe 6). Un raisonnement semblable s’applique à la GRC.

[26]  Comme la GRC n’aurait pas dû être désignée comme défenderesse, le paragraphe 303(2) des Règles des Cours fédérales dispose que le procureur général du Canada aurait dû être désigné comme défendeur devant la Cour fédérale. Il convient donc de modifier l’intitulé de la cause afin de nommer le procureur général du Canada à titre d’appelant devant notre Cour.

II.  Résumé des faits

[27]  En ce qui concerne le bien-fondé du présent appel, il est utile de rappeler brièvement le contexte factuel dans lequel s’inscrit le grief de l’intimé. L’intimé était un membre régulier de la GRC. Au moment de prendre sa retraite, il comptait 37 ans de service au sein de la GRC et détenait le grade de sergent d’état-major, un grade de sous-officier au sein de la GRC.

[28]  Lorsqu’il était employé, l’intimé avait droit à un congé annuel payé et à une solde de service. Cette dernière correspond à la somme payée aux membres de la GRC qui y ont droit sur chaque chèque de paie reçu aux deux semaines et est basée sur leur ancienneté. Au moment de prendre sa retraite, l’intimé percevait une solde de service au taux maximum de 10,5 % de sa rémunération en tant que sergent d’état-major.

[29]  Lorsque l’intimé a décidé de prendre sa retraite en 2012, il avait accumulé 1 398 heures de congé annuel qu’il n’avait pas pu utiliser au cours de sa carrière. La GRC a offert à l’intimé la possibilité soit de prendre le congé et de reporter la date de son départ à la retraite jusqu’à ce que ses crédits de congé soient épuisés, soit de prendre sa retraite et de choisir de se faire payer un montant forfaitaire pour les congés annuels non utilisés. L’intimé a choisi cette dernière option. Si l’intimé avait plutôt choisi de demeurer sur la liste de paye, la GRC lui aurait versé une solde de service pour chaque heure de congé annuel qu’il a prise.

[30]  À la suite du départ à la retraite et du renvoi de l’intimé, la GRC lui a versé la valeur de ses crédits de congé annuel accumulés, mais n’a pas ajouté aux congés annuels de montant pour la solde de service. S’il l’avait fait, le montant brut du paiement forfaitaire aurait été augmenté de 7 257,01 dollars.

[31]  Le Manuel d’administration et le Manuel national de la rémunération de la GRC définissent les conditions d’emploi des membres de la GRC. La disposition clé du présent appel est l’article 7.1 au chapitre 19.1 du Manuel d’administration, qui prescrivait à l’époque ce qui suit :

[TRADUCTION]

7.  Paiement des congés annuels au renvoi ou au décès

7.1  Lorsque le membre est renvoyé de la GRC ou qu’il décède, le membre ou sa succession reçoit un montant égal au nombre de jours de congé annuel acquis mais non utilisés au crédit du membre, calculé à son taux de rémunération du niveau de titularisation [substantive salary en anglais] le jour du renvoi ou du décès.

[Non en gras dans l’original.]

[32]  L’expression « substantive salary » ([TRADUCTION] « taux de rémunération du niveau de titularisation ») et le terme « substantive » ([TRADUCTION] « niveau de titularisation ») ne sont définis dans aucun des deux manuels. Toutefois, comme le fait remarquer l’intimé, l’adjectif « substantive » est un terme technique utilisé au sein de la fonction publique fédérale pour désigner le poste permanent auquel l’employé a été nommé, par opposition à une affectation intérimaire, comme l’a fait remarquer notre Cour dans les arrêts Sinclair c. Canada (Conseil du Trésor) (1991), 137 N.R. 345, 92 C.L.L.C. 14,008 (C.A.F.) [arrêt Sinclair] et Procureur général du Canada c. Dupuis (1991), 137 N.R. 349, 30 A.C.W.S. (3d) 1009 (C.A.F.) [arrêt Dupuis].

[33]  Le Manuel national de la rémunération de la GRC, à l’époque pertinente, prescrivait dans la section [TRADUCTION] « Définitions » que le terme « salary » ([TRADUCTION] « taux de rémunération ») signifie [TRADUCTION] « un taux de rémunération annuel; pas une indemnité ni aucune autre indemnisation [...] » [Non en gras dans l’original.]

[34]  En outre, le Manuel national de la rémunération, dans la version en vigueur au moment du départ à la retraite de l’intimé, contenait les définitions suivantes dans la section [TRADUCTION] « Définitions » qui sont pertinentes pour le présent appel :

[TRADUCTION]

Indemnité – la rémunération payable au titre d’un poste, en raison de fonctions de nature spéciale, ou pour des tâches que l’employé est tenu d’accomplir en plus de ses fonctions habituelles.

[Non en gras dans l’original.]

Rémunération – la rémunération salariale et non salariale fournie à un employé pour les services rendus, et comprend, sans s’y limiter : la rémunération et les autres indemnisations, par exemple les primes de rendement; les prestations de retraite et d’assurance; les congés payés; les diverses indemnités, par exemple l’indemnité provisoire de haut gradé, la solde de service, la prime au bilinguisme; et, l’indemnisation des coûts liés au service dans des environnements difficiles [...].

[Non en gras dans l’original.]

Taux de rémunération journalier – rémunération divisée par 260,88, ce qui correspond au nombre moyen de jours de travail dans une année [...]

Prime – une somme d’argent n’ouvrant pas droit à pension, versée en plus de la rémunération.

Traitement – salaire et/ou indemnités.

[35]  Le Manuel d’administration de la GRC dans la version en vigueur à l’époque pertinente contenait également des dispositions régissant le paiement des congés annuels aux officiers brevetés avant leur retraite. Les parties pertinentes de ces dispositions sont indiquées au chapitre 19.1 :

[TRADUCTION]

6.1  Le 31 mars, le membre qui est officier cadre et dont la réserve de congés annuels dépasse une année d’acquis se fait automatiquement payer les crédits de congés excédentaires jusqu’à concurrence d’une année d’acquis.

6.1.1  Le paiement est calculé en fonction du taux de rémunération du niveau de titularisation [substantive salary en anglais] de base du membre en vigueur le 31 mars de l’année de référence en cours. Les indemnités ou les primes de rendement ne sont pas comprises.

6.2  Avec l’approbation de son supérieur hiérarchique, un membre qui est officier cadre peut encaisser ses crédits de congé annuel acquis mais non utilisés à tout moment pendant l’année de référence.

[...]

6.2.2  Le paiement volontaire [des crédits de congé annuel] est calculé en fonction du taux de rémunération du niveau de titularisation [substantive salary en anglais] de base du membre en vigueur le 31 mars de l’année de référence précédente. Les indemnités ou les primes de rendement ne sont pas comprises.

[Non en gras dans l’original.]

[36]  Enfin, l’article 7.2 du chapitre 19.1 du Manuel d’administration de la GRC prescrivait ce qui suit à l’époque pertinente :

[TRADUCTION]

7.2 Si la cessation d’emploi a lieu pour des raisons autres qu’un renvoi pour raisons médicales ou le décès du membre, alors que les crédits de congé annuel non acquis ont déjà été utilisés par le membre, l’employeur recouvre une somme égale aux crédits de congé annuel non acquis sur toute somme due au membre, calculée au taux de rémunération du niveau de titularisation [substantive salary en anglais] du membre à la date du renvoi.

[37]  L’intimé a déposé un grief dans lequel il demandait, entre autres, le paiement de la solde de service contestée. À l’époque, la Loi sur la GRC et les Consignes du commissaire (Griefs), DORS/2003-181 (CC (Griefs)) prévoyaient une procédure de règlement des griefs à deux niveaux, où les audiences au deuxième palier étaient menées de novo, conformément aux paragraphes 31(1) et 32(1) de la Loi sur la GRC et aux articles 13 et 17 des CC (Griefs). Comme nous le verrons plus en détail ci-dessous, l’intimé a présenté devant les arbitres des griefs certains des arguments – mais pas tous – qu’il a présentés devant notre Cour concernant l’importation des dispositions précitées des deux manuels de la GRC.

III.  La décision de l’arbitre de niveau II

[38]  Comme l’arbitre de niveau II a procédé de novo, bien que sur la base des observations écrites présentées aux deux niveaux de la procédure de règlement des griefs, il est seulement nécessaire de contrôler la décision de l’arbitre de niveau II. Devant elle, l’intimé n’a poursuivi que la demande de versement de la solde de service avec le paiement de ses crédits de congé annuel. (Dans son grief initial, il avait demandé un redressement supplémentaire). L’arbitre a rejeté le grief, en estimant que la décision de la GRC d’exclure la solde de service du paiement forfaitaire n’était pas incompatible avec les lois ou les politiques générales applicables de la GRC et du Conseil du Trésor.

[39]  L’arbitre a commencé son analyse au paragraphe 54 en notant qu’en application de la partie III de la Loi sur la GRC, un plaignant [TRADUCTION] « est tenu de présenter des éléments de preuve susceptibles d’étayer les faits allégués afin de convaincre l’arbitre, selon la prépondérance des probabilités, du bien-fondé du grief ».

[40]  Elle a poursuivi en déclarant que le nœud du litige portait sur la définition de l’expression « substantive salary » ([TRADUCTION] « taux de rémunération du niveau de titularisation »), telle qu’elle est utilisée à l’article 7.1 du Manuel d’administration de la GRC, et se concentrait sur la question de savoir si ce terme incluait les indemnités. L’arbitre a noté que les définitions des termes « salary » ([TRADUCTION] « taux de rémunération ») et « compensation » ([TRADUCTION] [« indemnisation »]), contenues dans le Manuel national de la rémunération de la GRC, étaient utiles. Elle a déclaré que la définition du terme « salary » ([TRADUCTION] « taux de rémunération ») exclut les indemnités et que la définition du terme « compensation » indique clairement que la solde de service est une forme d’indemnité. Elle en a déduit que la solde de service était exclue de la définition du terme « salary » ([TRADUCTION] « taux de rémunération »).

[41]  Elle s’est ensuite demandé si cette conclusion était influencée par l’utilisation de l’adjectif « substantive » de l’article 7.1 du Manuel d’administration. Pour répondre à cette question, l’arbitre s’est appuyée sur la définition donnée par le Oxford Dictionary de l’adjectif « substantive » et sur la signification de l’expression [TRADUCTION] « qui a une existence distincte et indépendante ». Selon elle, l’adjectif « substantive » a une connotation restrictive plutôt que large du substantif qu’il décrit. Elle a ensuite donné l’exemple de l’emploi de ce terme pour décrire un grade ou un poste, dans le cas d’un poste permanent par opposition à un poste temporaire, qui s’apparente à un rôle intérimaire. Elle a poursuivi en indiquant au paragraphe 64 que ce mot se rapporte au droit fondamental d’une personne et que, si [TRADUCTION] « on lui confère la même relation avec une rémunération, ce mot peut uniquement désigner la partie essentielle de la rémunération, ou la rémunération de base, plutôt qu’une rémunération qui dépend du montant des indemnités attribuées à chaque employé individuel ».

[42]  L’arbitre a ensuite rejeté l’argument de l’intimé selon lequel cette interprétation entraînait un traitement inéquitable par rapport au traitement offert à ceux qui choisissent de prendre leurs congés accumulés sous forme de vacances, déclarant au paragraphe 73 que [TRADUCTION] « les choix offerts ne sont pas proposés en tant qu’options équitables, mais plutôt en tant qu’options à considérer individuellement ».

[43]  Enfin, l’arbitre a noté que son interprétation était conforme au traitement accordé aux membres qui sont des officiers cadres aux termes des articles 6.1.1 et 6.2.2 du chapitre 19.1 du Manuel d’administration, qui disposent expressément que le paiement des congés annuels accumulés est fondé sur la rémunération de base du particulier et exclut donc la solde de service.

[44]  Par conséquent, l’arbitre a rejeté le grief de l’intimé.

IV.  La décision de la Cour fédérale

[45]  La Cour fédérale est intervenue en concluant que la décision de l’arbitre était déraisonnable et elle a renvoyé le grief aux fins de nouvel examen selon des directives prescriptives concernant le sens à donner aux dispositions pertinentes des manuels de la GRC. La Cour fédérale a estimé que la décision de l’arbitre était déraisonnable pour plusieurs motifs.

[46]  Premièrement, la Cour fédérale a conclu que l’arbitre avait, de manière déraisonnable, imposé à l’intimé le fardeau de démontrer que le paiement contesté violait les lois ou les politiques applicables. La Cour fédérale a conclu que c’était plutôt à la GRC qu’incombait le fardeau d’expliquer clairement aux membres comment fonctionnaient les politiques concernées.

[47]  Deuxièmement, la Cour fédérale a jugé que l’interprétation contextuelle par l’arbitre de l’expression « substantive salary » ([TRADUCTION] « taux de rémunération du niveau de titularisation ») figurant à l’article 7.1 du chapitre 19.1 du Manuel d’administration était déraisonnable, car l’arbitre ne l’a pas examinée et conciliée avec les articles 6.1.1 et 6.2.2 de ce même chapitre, qui utilisent l’expression « base substantive salary » ([TRADUCTION] « taux de rémunération du niveau de titularisation de base »). L’absence du terme « base » à l’article 7.1 était une question que, selon la Cour fédérale, l’arbitre devait aborder, car les dispositions, lorsqu’elles sont lues ensemble, soutiennent plus raisonnablement une conclusion opposée à celle à laquelle l’arbitre est parvenue.

[48]  Troisièmement, la Cour fédérale a conclu que l’arbitre s’était appuyée de manière déraisonnable sur une définition donnée dans les dictionnaires de l’adjectif « substantive » et n’avait pas tenu compte de la signification de ce mot dans le contexte de la fonction publique et des lois régissant la GRC, où l’adjectif « substantive » désigne le poste permanent d’un membre, par opposition à un poste temporaire.

[49]  Quatrièmement, la Cour fédérale a conclu que l’interprétation de l’arbitre était déraisonnable, car elle aboutissait à une disparité de traitement injuste, ce qui était particulièrement troublant pour les membres décédés qui, de ce fait, ne pouvaient pas choisir d’utiliser leurs congés annuels accumulés et se voyaient donc refuser la possibilité de choisir de se voir verser la solde de service avec les congés annuels.

[50]  Enfin, la Cour fédérale a conclu que la GRC avait manqué à son devoir d’informer les membres qu’ils ne recevraient pas de solde de service s’ils choisissaient l’option de paiement forfaitaire et que ce manquement signifiait que le grief devait être accueilli.

[51]  La Cour fédérale a donc annulé la décision de l’arbitre et a renvoyé le grief de l’intimé à l’arbitre de niveau II, en indiquant à l’arbitre, au paragraphe 70 :

[...] de déclarer que les mots [« substantive salary »], à l’article 7.1 du chapitre 19.1 du [Manuel national de la rémunération] ou du [Manuel d’administration], incluent la solde de service accumulée, en se fondant sur le poste permanent du membre plutôt que sur n’importe quel poste temporaire qu’il occupe, et qu’elle est payable à la date de son décès ou de son renvoi.

V.  Questions en litige

[52]  Dans ce contexte, je passe maintenant aux différents arguments avancés par les parties.

[53]  Les deux parties conviennent que la norme applicable est celle de la décision raisonnable. Elles conviennent également que l’approche à adopter par notre Cour en appel d’une décision découlant d’un contrôle judiciaire de la Cour fédérale est celle énoncée dans l’arrêt Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559 (arrêt Agraira). Elles conviennent plus précisément que le récent jugement de la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, 441 D.L.R. (4th) 1 (arrêt Vavilov), où la Cour a établi un paradigme quelque peu remanié pour le contrôle des décisions administratives, laisse intacte l’approche énoncée dans l’arrêt Agraira.

[54]  Conformément à l’arrêt Agraira, une cour d’appel saisie d’une demande de contrôle judiciaire doit se mettre à la place de la juridiction inférieure et déterminer si elle a choisi le critère de contrôle approprié et si elle l’a appliqué correctement. Ainsi, en appel, la cour d’appel est effectivement tenue de procéder à une nouvelle analyse du contrôle judiciaire.

[55]  Les parties ne partagent pas le même avis sur la manière dont la Cour fédérale a appliqué l’analyse du caractère raisonnable.

[56]  L’appelant affirme que la Cour fédérale a été beaucoup trop interventionniste et, en fait, s’est engagée dans un contrôle selon la norme de la décision correcte par opposition au contrôle selon la norme de la décision raisonnable, ce qui est inapproprié comme l’a récemment souligné la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov, au paragraphe 83.

[57]  L’appelant soutient plus particulièrement que la décision de l’arbitre est raisonnable parce qu’elle offre une interprétation logiquement cohérente et raisonnable des dispositions pertinentes des manuels de la GRC. L’appelant affirme à cet égard que l’arbitre a raisonnablement (et même correctement) déterminé que la solde de service était une [TRADUCTION] « indemnité » parce qu’elle est citée comme exemple d’[TRADUCTION] « indemnité » dans la définition du terme « compensation » contenue dans le Manuel national de la rémunération. Et, comme le terme « salary » ([TRADUCTION] « taux de rémunération ») est défini dans ce même manuel comme incluant la [TRADUCTION] « solde », mais excluant les [TRADUCTION] « indemnités », il était loisible à l’arbitre de conclure que la solde de service ne faisait pas partie de la définition du terme « salary » ([TRADUCTION] « taux de rémunération ») et qu’elle ne doit donc pas être versée aux termes de l’article 7.1 du chapitre 19.1 du Manuel d’administration.

[58]  L’appelant poursuit en faisant valoir que, en l’absence d’une définition de l’adjectif « substantive » dans la version anglaise de l’un ou l’autre des manuels, il était raisonnable pour l’arbitre de se référer aux définitions du dictionnaire et que la signification du dictionnaire choisie par l’arbitre est raisonnable et étaye sa conclusion.

[59]  L’appelant soutient en outre qu’il n’y a rien d’injuste dans la manière dont la GRC a abordé ces questions, car ceux qui choisissent de prendre leurs congés annuels accumulés sont en disponibilité et ont donc droit à une solde de service, alors que ceux qui choisissent de recevoir une somme forfaitaire ou qui meurent en cours de service ne sont pas en disponibilité. De même, selon l’appelant, il n’y a rien d’inconvenant à ce que ceux qui ont emprunté des crédits de congé et qui quittent la Gendarmerie avant de les avoir gagnés ne soient pas tenus de rembourser leur solde de service aux termes de l’article 7.2.2 du chapitre 19.1 du Manuel d’administration, car ces personnes étaient de garde et avaient donc droit à la solde de service lorsqu’elles ont pris un congé avant d’avoir gagné le droit à l’indemnité de congé. En bref, selon l’appelant, la solde de service est dans tous les cas liée au fait d’être en service et en disponibilité.

[60]  Enfin, l’appelant affirme que le fait pour l’arbitre de se baser sur les articles 6.1.1 et 6.2.2 du chapitre 19.1 du Manuel d’administration était raisonnable, car un traitement similaire est accordé aux officiers brevetés qui se voient verser des paiements de leurs congés accumulés. L’appelant ajoute qu’il n’était pas nécessaire que l’arbitre fasse des commentaires sur l’utilisation de l’expression « base substantive salary » ([TRADUCTION] « taux de rémunération du niveau de titularisation de base ») dans ces paragraphes.

[61]  L’intimé, en revanche, affirme que la décision de l’arbitre était déraisonnable, bien que pour des motifs quelque peu différents de ceux avancés par la Cour fédérale.

[62]  Selon l’intimé, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Vavilov, a proposé l’adoption d’une approche plus invasive du contrôle selon la norme de la décision raisonnable que celle qui a été appliquée précédemment, en ordonnant que ce contrôle soit « rigoureux » (arrêt Vavilov, aux paragraphes 12, 13, 67 et 72). L’intimé déclare en outre que la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov expose deux façons dont une décision, pour laquelle des motifs sont donnés par le décideur administratif, pourrait être déraisonnable. Comme la majorité des juges de la Cour suprême l’a noté au paragraphe 101 de l’arrêt Vavilov, il peut y avoir, d’une part, un « manque de logique interne du raisonnement ». D’autre part, la décision pourrait être « indéfendable sous certains rapports compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision ».

[63]  L’intimé affirme que la décision de l’arbitre en l’espèce va à l’encontre du second point, car elle fait fi de la jurisprudence pertinente et des principes d’interprétation que l’arbitre était tenue d’appliquer. Sur ce dernier point, l’intimé affirme que les principes d’interprétation contractuelle s’apparentent à des règles d’interprétation législative et soutient que, dans l’arrêt Vavilov, au paragraphe 120, la Cour suprême du Canada ordonne aux cours de révision de déterminer si l’interprétation par le décideur administratif de la disposition est « conforme à son texte, à son contexte et à son objet ». L’intimé renvoie également au paragraphe 111 de l’arrêt Vavilov, où la Cour suprême a déclaré que « [l]orsqu’une relation est régie par le droit privé, il serait déraisonnable de la part du décideur de faire abstration [sic] de ce fait lorsqu’il se prononce sur les droits des parties dans le cadre de cette relation ». Compte tenu de ce qui précède, l’intimé déclare que notre Cour, en examinant la décision de l’arbitre après le prononcé de l’arrêt Vavilov, doit déterminer si elle a correctement appliqué les règles pertinentes d’interprétation contractuelle en tenant compte du sens de l’article 7.1 du chapitre 19.1 du Manuel d’administration de la GRC. Cela nous invite effectivement à nous engager dans quelque chose qui s’apparente à un contrôle selon la norme de la décision correcte.

[64]  L’intimé soutient que l’arbitre n’a pas correctement appliqué les règles pertinentes d’interprétation contractuelle pour plusieurs motifs.

[65]  Premièrement, selon l’intimé, l’arbitre n’a pas suivi la jurisprudence applicable et a fait fi du contexte pertinent en se tournant vers les définitions du dictionnaire de l’adjectif « substantive ». L’intimé fait valoir que, selon une interprétation correcte, l’adjectif « substantive » s’applique simplement à la rémunération applicable au poste à plein temps d’un membre et que ce mot n’est pas pertinent pour l’enquête visant à déterminer si le terme « salary », tel qu’il est utilisé à l’article 7.1, inclus la solde de service.

[66]  Deuxièmement, selon l’intimé, l’arbitre n’a pas appliqué la règle d’interprétation selon laquelle tous les termes d’un texte doivent produire un effet. L’intimé affirme que cette règle obligeait l’arbitre à examiner la différence de formulation entre les articles 6.1.1 et 6.2.2 et l’article 7.1 du chapitre 19.1 du Manuel d’administration. L’intimé soutient en outre que l’absence du mot « base » à l’article 7.1 signifie que l’expression « substantive salary » ([TRADUCTION] « taux de rémunération du niveau de titularisation ») aux fins du paiement est autre chose que le taux de rémunération du niveau de titularisation de base d’un ancien membre, c’est-à-dire qu’il doit inclure son traitement de base plus la solde de service.

[67]  Troisièmement, l’intimé affirme que l’arbitre n’a pas appliqué la règle d’interprétation contractuelle qui veut qu’une disposition plus précise ait préséance sur une disposition plus générale. Si cette règle avait été appliquée, selon l’intimé, l’arbitre aurait été tenue de conclure que la définition du mot [TRADUCTION] « indemnité » dans le Manuel national de la rémunération régit la manière dont ce mot est défini, et non la mention de ce qui peut constituer une indemnité dans la définition du mot « compensation » ([TRADUCTION] « indemnisation ») dans le Manuel national de la rémunération. En outre, la définition du mot [TRADUCTION] « indemnité », selon l’intimé, indique clairement que la solde de service ne peut pas être une indemnité, car elle est sans rapport avec les fonctions exercées par un membre et se fonde uniquement sur la durée du service. Comme il ne s’agit pas d’une indemnité, selon l’intimé, la solde de service doit être considérée comme faisant partie du taux de rémunération. L’intimé note également l’inclusion d’une disposition supplémentaire dans la section 2.8.7.1.4.3 du Manuel national de la rémunération, insérée après son départ à la retraite, qui dispose que la solde de service ne fait pas partie du taux de rémunération. L’intimé fait valoir que l’absence d’une telle disposition dans les manuels aux moments pertinents pour son grief favorise son interprétation des dispositions alors en vigueur.

[68]  Quatrièmement, l’intimé affirme que l’arbitre a commis une erreur en ne tenant pas compte du principe contra proferentem, qui exigerait que l’arbitre tranche toute ambiguïté dans les politiques de la GRC en faveur de l’intimé, puisque la GRC a promulgué unilatéralement les politiques.

[69]  Cinquièmement, l’intimé affirme que l’arbitre n’a pas tenu compte du principe d’interprétation qui dispose qu’il faut éviter une interprétation qui conduit à des absurdités ou à des résultats injustes. L’intimé soutient que l’interprétation de l’arbitre conduit à deux absurdités ou iniquités. Tout d’abord, il est injuste que les membres décédés ne puissent jamais recevoir de solde de service avec leurs crédits de congé accumulés, car ils ne peuvent pas choisir de prendre leurs crédits de vacances inutilisés sous forme de congés. Deuxièmement, il est absurde de penser que les membres qui empruntent des crédits de congé et qui cessent leur emploi avant d’avoir acquis le droit au congé ne seraient pas tenus de rembourser à la fois la solde de service et les crédits de congé auxquels ils n’ont pas droit. Aux termes de l’article 7.2 du chapitre 19.1 du Manuel d’administration de la GRC, la GRC a le droit de recouvrer les [TRADUCTION] « crédits de congé annuel non acquis [...] calculés en fonction du taux de rémunération du niveau de titularisation [« substantive salary »] à la date du renvoi ». L’intimé soutient que les mots « substantive salary » doivent avoir la même signification dans les articles 7.1 et 7.2 et que l’interprétation de l’arbitre conduit à un résultat absurde en permettant aux membres renvoyés de conserver un gain fortuit.

[70]  Enfin, l’intimé soutient que, selon une application appropriée des principes d’interprétation pertinents, il ne peut y avoir qu’une seule issue, à savoir que l’intimé avait droit à une solde de service avec le paiement de ses congés annuels accumulés. L’intimé demande donc que l’appel soit rejeté.

[71]  Comme il a été mentionné, l’intimé, qui n’était pas représenté par un avocat à aucun des deux niveaux de l’arbitrage, a avancé certains des arguments susmentionnés, mais pas tous, que son avocat a présentés à notre Cour. Plus particulièrement, l’intimé a présenté des observations concernant l’incidence de la définition du mot [TRADUCTION] « indemnité » en vigueur à la date de son départ à la retraite dans le Manuel national de la rémunération dans les documents qu’il a déposés auprès de l’arbitre de niveau I. Il a fait valoir que, selon cette définition, la [TRADUCTION] « solde de service » n’est pas une [TRADUCTION] « indemnité » et n’est donc pas exclue de la définition du terme « salary » ou de l’expression « substantive salary ». Il a également noté que la modification ultérieure des dispositions, mentionnée ci-dessus, n’était pas en vigueur lorsque son renvoi a pris effet. Ces conclusions ont été présentées à l’arbitre de niveau II, qui a procédé de novo, et qui avait devant elle tous les documents qui avaient été présentés à l’arbitre de niveau I ainsi que les observations supplémentaires présentées au niveau II.

[72]  Comme il est expliqué plus en détail ci-dessous, je conclus que le fait que l’arbitre de niveau II n’a pas tenu compte de ces arguments rend sa décision déraisonnable au regard des principes récemment énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov.

VI.  Discussion

[73]  Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a entrepris un certain réajustement du droit concernant le contrôle judiciaire du bien-fondé des décisions administratives. Il est nécessaire dans le présent appel de n’examiner que trois questions découlant de l’arrêt Vavilov, à savoir : si l’arrêt impose la forme de contrôle plus invasive que l’intimé préconise; deuxièmement, si le fait que l’arbitre n’ait pas pris en considération certains des arguments de l’intimé rend la décision de l’arbitre déraisonnable et, enfin, quelle est la réparation appropriée.

A.  L’arrêt Vavilov impose-t-il le type de contrôle plus invasif préconisé par l’intimé?

[74]  Bien que le jugement de la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov puisse très bien exiger un contrôle plus invasif que ne l’exigeait une partie de la jurisprudence antérieure, il n’oblige pas notre Cour à s’engager dans ce qui équivaut en fait à un contrôle selon la norme de la décision correcte, comme le demande l’intimé. À mon avis, l’intimé a eu tort de s’appuyer sur le fait que la Cour suprême a qualifié de « rigoureux » le contrôle selon la norme de la décision raisonnable pour faire valoir que ce contrôle exige désormais que les cours de révision examinent si les décideurs administratifs ont correctement interprété les politiques de l’employeur.

[75]  Lorsque la majorité des juges de la Cour suprême a utilisé le terme « rigoureux » dans les paragraphes 12 et 13 de ses motifs, elle n’a pas utilisé ce terme de manière isolée. La majorité a plutôt indiqué que le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est à la fois suffisamment respectueux des décisions administratives et rigoureux. Ce dernier commentaire a été proposé pour répondre à la préoccupation exprimée par certains des intervenants devant la Cour selon laquelle le contrôle selon la norme de la décision raisonnable entraîne une justice moindre pour ceux dont les droits sont régis par des régimes administratifs. La majorité des juges de la Cour a abordé cette question aux paragraphes 11 à 15 des motifs :

[11]  […] La Cour a entendu les préoccupations exprimées au sujet de la norme de la décision raisonnable qui est parfois perçue comme favorisant un système de justice à deux vitesses où les personnes visées par des décisions administratives n’ont droit qu’à un résultat se situant entre une solution « assez bonne » et une solution « pas trop mauvaise ». [...]

[12]  Ces préoccupations sur l’application de la norme de la décision raisonnable témoignent de la nécessité d’expliquer plus clairement ce que signifie cette norme et comment elle devrait être appliquée en pratique. Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est méthodologiquement distinct du contrôle selon la norme de la décision correcte. Il tient compte de la nécessité de respecter le choix du législateur de déléguer le pouvoir décisionnel à un décideur administratif plutôt qu’à une cour de révision. Afin de remplir la promesse formulée dans l’arrêt Dunsmuir d’assurer « la légalité, la rationalité et l’équité du processus administratif et de la décision rendue », le contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit comporter une évaluation sensible et respectueuse, mais aussi rigoureuse, des décisions administratives : par. 28.

[13]  Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est une approche visant à faire en sorte que les cours de justice interviennent dans les affaires administratives uniquement lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif. Il tire son origine du principe de la retenue judiciaire et témoigne d’un respect envers le rôle distinct des décideurs administratifs. Toutefois, il ne s’agit pas d’une « simple formalité » ni d’un moyen visant à soustraire les décideurs administratifs à leur obligation de rendre des comptes. Ce type de contrôle demeure rigoureux.

[14]  D’une part, les cours de justice doivent reconnaître la légitimité et la compétence des décideurs administratifs dans leur propre domaine et adopter une attitude de respect. D’autre part, les décideurs administratifs doivent adhérer à une culture de la justification et démontrer que l’exercice du pouvoir public qui leur est délégué peut être [traduction] « justifié aux yeux des citoyens et citoyennes sur les plans de la rationalité et de l’équité » : la très honorable B. McLachlin, « The Roles of Administrative Tribunals and Courts in Maintaining the Rule of Law » (1998), 12 R.C.D.A.P. 171, p. 174 (soulignement supprimé); voir également M. Cohen‑Eliya et I. Porat, « Proportionality and Justification » (2014), 64 U.T.L.J. 458, p. 467‑470.

[15]  Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit tenir compte du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous‑jacent à celle‑ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée. Ce qui distingue le contrôle selon la norme de la décision raisonnable du contrôle selon la norme de la décision correcte tient au fait que la cour de justice effectuant le premier type de contrôle doit centrer son attention sur la décision même qu’a rendue le décideur administratif, notamment sur sa justification, et non sur la conclusion à laquelle elle serait parvenue à la place du décideur administratif.

[Non en gras dans l’original.]

[76]  Compte tenu de ce qui précède, ainsi que des commentaires formulés par la majorité dans les paragraphes suivants des motifs de l’arrêt Vavilov, il en ressort clairement que la Cour suprême n’a pas imposé un abandon total de la retenue comme l’intimé le soutient et n’a pas abandonné l’idée que les arbitres de griefs ont droit à une retenue considérable en ce qui concerne leurs interprétations contractuelles. Bien au contraire.

[77]  Par exemple, au paragraphe 75 de l’arrêt Vavilov, la majorité a écrit :

[75]  Nous signalons que la manière dont nos collègues [c’est-à-dire les juges Abella et Karakatsanis dans leurs motifs concordants] abordent le contrôle selon la norme de la décision raisonnable ne diffère pas fondamentalement de la nôtre. Nos collègues affirment que les cours de révision devraient respecter les décideurs administratifs et leur expertise spécialisée; ne devraient pas se demander comment elles auraient elles-mêmes tranché une question; et devraient se concentrer sur la question de savoir si la partie demanderesse a démontré le caractère déraisonnable de la décision : par. 288, 289 et 291. Nous sommes du même avis. Comme nous le mentionnons déjà au par. 13, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable a pour point de départ la retenue judiciaire et le respect du rôle distinct des décideurs administratifs. [...]

[78]  La majorité a poursuivi dans la même veine au paragraphe 83 de l’arrêt Vavilov :

[83]  Il s’ensuit que le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision. Le rôle des cours de justice consiste, en pareil cas, à réviser la décision et, en général à tout le moins, à s’abstenir de trancher elles‑mêmes la question en litige. Une cour de justice qui applique la norme de contrôle de la décision raisonnable ne se demande donc pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif, ne tente pas de prendre en compte l’« éventail » des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo, et ne cherche pas à déterminer la solution « correcte » au problème. Dans l’arrêt Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, la Cour d’appel fédérale a signalé que « le juge réformateur n’établit pas son propre critère pour ensuite jauger ce qu’a fait l’administrateur » : par. 28; voir aussi Ryan, par. 50‑51. La cour de révision n’est plutôt appelée qu’à décider du caractère raisonnable de la décision rendue par le décideur administratif — ce qui inclut à la fois le raisonnement suivi et le résultat obtenu.

[Non en gras dans l’original.]

[79]  En fait, la Cour suprême a souligné que, lorsque les éléments de preuve présentés à un décideur administratif permettent plusieurs résultats, que ce dernier fait appel à des compétences, telles que la connaissance, l’expérience et la familiarité avec la dynamique des relations de travail, et que le libellé législatif est relativement peu contraignant, le décideur administratif disposera d’une grande marge de manœuvre pour prendre des décisions acceptables : voir l’arrêt Vavilov, aux paragraphes 31, 111 à 114, 125 et 126. De nombreuses décisions rendues par des arbitres du travail, y compris celle qui nous occupe ici, entrent dans cette catégorie.

[80]  Il s’ensuit donc qu’il n’appartient pas à notre Cour de reprendre l’interprétation des dispositions pertinentes du Manuel d’administration et du Manuel national de la rémunération de la GRC en se fondant sur les arguments qui nous ont été présentés concernant la manière dont ces dispositions devraient être interprétées. Ainsi, la question n’est pas de savoir comment les manuels doivent être interprétés, mais plutôt si l’interprétation proposée par l’arbitre était raisonnable. Par conséquent, nous devons nous concentrer sur la décision de l’arbitre, qui doit être examinée à la lumière des facteurs pertinents décrits dans l’arrêt Vavilov.

[81]  Selon le contexte, il peut s’agir du contenu des lois pertinentes régissant la décision et le décideur, de la common law pertinente, du droit international, des éléments de preuve présentés au décideur, des observations faites au décideur, des précédents administratifs pertinents et de l’incidence de la décision sur l’individu.

[82]  Contrairement à ce qu’affirme l’intimé, je n’interprète pas l’invocation par la Cour suprême des dispositions législatives et des principes de common law pertinents dans l’arrêt Vavilov comme une invitation ouverte à une cour de révision à procéder à nouveau à l’analyse contractuelle requise sur la base d’arguments qui n’ont même pas été présentés au décideur administratif, en particulier lorsque, comme en l’espèce, les dispositions contractuelles en cause sont ambiguës. Réaliser à nouveau l’analyse contractuelle, c’est traiter le fond de la décision, tâche que le législateur a confiée à l’arbitre, et non à notre Cour, qui se limite à une simple fonction de contrôle : arrêt Vavilov, au paragraphe 83.

[83]  D’une part, les définitions des termes « salary » et « compensation » contenues dans la version anglaise du Manuel national de la rémunération soutiennent l’interprétation de l’arbitre. En revanche, la définition du mot [TRADUCTION] « indemnité » contenue dans le Manuel national de l’indemnisation et dans les articles 6.1.1 et 6.2.2 du chapitre 19.1 du Manuel d’administration conduit à une conclusion contraire, tout comme les autres arguments avancés par l’intimé devant notre Cour.

[84]  Il n’est tout simplement pas loisible à notre Cour, dans le contexte du contrôle selon la norme de la décision raisonnable d’une telle décision, de se prononcer sur le sens à donner à ces dispositions, en particulier en l’absence de toute jurisprudence antérieure les interprétant. Si nous devions le faire, nous nous engagerions dans un contrôle selon la norme de la décision correcte et nous nous écarterions d’un précédent solidement établi qui reconnaît qu’il y a lieu de faire preuve d’une grande retenue eu égard aux interprétations contractuelles des arbitres de griefs (voir, par exemple, S.C.F.P. c. Société des Alcools du N.-B., [1979] 2 R.C.S. 227, 26 N.R. 341, aux pages 235 et 236; Canada Safeway Ltd. c. SDGMR, section locale 454, [1998] 1 R.C.S. 1079, 226 N.R. 319, aux paragraphes 26 à 29; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 68; Canada (Procureur général) c. Gillis, 2007 CAF 112, 361 N.R. 301, aux paragraphes. 24 à 30; Administration de pilotage des Laurentides c. Pilotes du Saint-Laurent Central Inc., 2018 CAF 117, 299 A.C.W.S. (3D) 235, au paragraphe 45). D’ailleurs, la majorité dans l’arrêt Vavilov, citant un jugement que la Cour suprême a rendu antérieurement dans l’arrêt Nor-Man Regional Health Authority Inc. c. Manitoba Association of Health Care Professionals, 2011 CSC 59, [2011] 3 R.C.S. 616, au paragraphe 113 des motifs de la majorité, a reconnu que les arbitres de griefs ne sont pas « nécessairement tenus d’appliquer les principes d’equity et de common law de la même façon qu’une cour de justice pour que leurs décisions soient raisonnables ».

[85]  Ainsi, plutôt que d’adopter l’approche préconisée par l’intimé devant nous, nous devons plutôt évaluer si l’interprétation proposée par l’arbitre était raisonnable compte tenu des facteurs qui, parmi ceux énumérés dans l’arrêt Vavilov, se rapportent à l’espèce.

B.  Le fait que l’arbitre n’ait pas pris en considération certains des arguments de l’intimé rend-il sa décision déraisonnable?

[86]  Parmi ces facteurs, un des plus importants est la mesure dans laquelle la décision de l’arbitre répond aux arguments qui lui sont présentés. Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a renforcé le rôle des motifs d’un décideur administratif dans le contrôle selon la norme de la décision raisonnable et a conclu que le fait pour un décideur de ne pas tenir compte des principaux arguments des parties peut souvent rendre une décision déraisonnable. La majorité a écrit ce qui suit aux paragraphes 127 et 128 :

[127]  Les principes de la justification et de la transparence exigent que les motifs du décideur administratif tiennent valablement compte des questions et préoccupations centrales soulevées par les parties. Le principe suivant lequel la ou les personnes visées par une décision doivent avoir la possibilité de présenter entièrement et équitablement leur position est à la base de l’obligation d’équité procédurale et trouve son origine dans le droit d’être entendu : Baker, par. 28. La notion de « motifs adaptés aux questions et préoccupations soulevées » est inextricablement liée à ce principe étant donné que les motifs sont le principal mécanisme par lequel le décideur démontre qu’il a effectivement écouté les parties.

[128]  Les cours de révision ne peuvent s’attendre à ce que les décideurs administratifs « répondent à tous les arguments ou modes possibles d’analyse » (Newfoundland Nurses, par. 25) ou « tire[nt] une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à [leur] conclusion finale » (par. 16). Une telle exigence aurait un effet paralysant sur le bon fonctionnement des organismes administratifs et compromettrait inutilement des valeurs importantes telles que l’efficacité et l’accès à la justice. Toutefois, le fait qu’un décideur n’ait pas réussi à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties permet de se demander s’il était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise. En plus d’assurer aux parties que leurs préoccupations ont été prises en considération, le simple fait de rédiger des motifs avec soin et attention permet au décideur d’éviter que son raisonnement soit entaché de lacunes et d’autres failles involontaires : Baker, par. 39.

[Non en gras dans l’original.]

[87]  Plus haut dans ses motifs, la majorité a déclaré que le fait de ne pas avoir abordé une question clé soulevée par les parties, lorsqu’il est impossible, à partir du dossier, de déterminer comment le décideur aurait pu trancher cette question, suffit à rendre une décision administrative déraisonnable. La majorité a écrit ce qui suit aux paragraphes 96 à 98 de l’arrêt Vavilov :

[96]  Lorsque, même s’ils sont interprétés en tenant dûment compte du contexte institutionnel et du dossier, les motifs fournis par l’organisme administratif pour justifier sa décision comportent une lacune fondamentale ou révèlent une analyse déraisonnable, il ne convient habituellement pas que la cour de révision élabore ses propres motifs pour appuyer la décision administrative. Même si le résultat de la décision pourrait sembler raisonnable dans des circonstances différentes, il n’est pas loisible à la cour de révision de faire abstraction du fondement erroné de la décision et d’y substituer sa propre justification du résultat : Delta Air Lines, par. 26‑28. Autoriser une cour de révision à agir ainsi reviendrait à permettre à un décideur de se dérober à son obligation de justifier, de manière transparente et intelligible pour la personne visée, le fondement pour lequel il est parvenu à une conclusion donnée. Cela reviendrait également à adopter une méthode de contrôle selon la norme de la décision raisonnable qui serait axée uniquement sur le résultat de la décision, à l’exclusion de la justification de cette décision. Dans la mesure où des arrêts comme Newfoundland Nurses et Alberta Teachers ont été compris comme appuyant une telle conception, cette compréhension est erronée.

[97]  En effet, l’arrêt Newfoundland Nurses est loin d’établir que la justification donnée par le décideur à l’appui de sa décision n’est pas pertinente. Cet arrêt nous enseigne plutôt qu’il faut accorder une attention particulière aux motifs écrits du décideur et les interpréter de façon globale et contextuelle. L’objectif est justement de comprendre le fondement sur lequel repose la décision. Nous souscrivons aux observations suivantes du juge Rennie dans l’affaire Komolafe c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 431, par. 11 :

L’arrêt Newfoundland Nurses ne donne pas à la [cour] toute la latitude voulue pour fournir des motifs qui n’ont pas été donnés, ni ne l’autorise à deviner quelles conclusions auraient pu être tirées ou à émettre des hypothèses sur ce que le tribunal a pu penser. C’est particulièrement le cas quand les motifs passent sous silence une question essentielle. Il est ironique que l’arrêt Newfoundland Nurses, une affaire qui concerne essentiellement la déférence et la norme de contrôle, soit invoqué comme le précédent qui commanderait [à la cour] ayant le pouvoir de surveillance de faire le travail omis par le décideur, de fournir les motifs qui auraient pu être donnés et de formuler les conclusions de fait qui n’ont pas été tirées. C’est appliquer la jurisprudence à l’envers. L’arrêt Newfoundland Nurses permet aux cours de [révision] de relier les points sur la page quand les lignes, et la direction qu’elles prennent, peuvent être facilement discernées. [...]

[98]  En ce qui concerne l’arrêt Alberta Teachers, elle concernait un contrôle judiciaire exercé dans des circonstances très précises et exceptionnelles : la question d’interprétation législative en litige n’avait jamais été soumise au décideur administratif et, en conséquence, ce dernier n’avait communiqué aucuns motifs à cet égard : par. 22‑26. De plus, il avait été convenu que la décideuse — la déléguée du commissaire à l’information et à la protection de la vie privée — avait appliqué une interprétation bien établie de la disposition législative pertinente, et que si on lui avait demandé de motiver son interprétation, elle aurait souscrit aux motifs fournis par le commissaire dans des décisions antérieures. En d’autres termes, les motifs du commissaire invoqués par notre Cour pour conclure que la décision sous examen était raisonnable n’étaient pas simplement les motifs qui auraient pu être fournis, dans l’abstrait, mais ceux qui auraient été fournis si la question avait été soulevée devant la décideuse. Loin de suggérer dans l’arrêt Alberta Teachers que le contrôle selon la norme de la décision raisonnable porte principalement sur le résultat plutôt que sur la justification, notre Cour a rejeté la position selon laquelle la cour de révision a le pouvoir de « reformuler la décision en substituant à l’analyse qu’elle juge déraisonnable sa propre justification du résultat » : par. 54, citant Petro‑Canada c. Colombie‑Britannique (Workers’ Compensation Board), 2009 BCCA 396, 276 B.C.A.C. 135, par. 53 et 56. Dans l’arrêt Alberta Teachers, notre Cour a aussi confirmé l’importance de motiver adéquatement une décision et rappelé que « la déférence inhérente à la norme de la raisonnabilité se manifeste optimalement lorsqu’une décision administrative est justifiée de façon intelligible et transparente et que la juridiction de révision contrôle la décision à partir des motifs qui l’étayent » : par. 54. Lorsque le décideur omet de justifier, dans les motifs, un élément essentiel de sa décision, et que cette justification ne saurait être déduite du dossier de l’instance, la décision ne satisfait pas, en règle générale, à la norme de justification, de transparence et d’intelligibilité.

[Non en gras dans l’original.]

[88]  Ici, comme il est indiqué, l’intimé a soulevé les implications de la définition du mot [TRADUCTION] « indemnité » dans le Manuel national d’indemnisation et de la modification ultérieure des dispositions pertinentes dans ses observations qui ont été présentées aux arbitres. Il a fait valoir que la définition de l’[TRADUCTION] « indemnité » en vigueur à l’époque pertinente pour son grief n’incluait pas la solde de service et a donc affirmé que la solde de service était incluse dans le [TRADUCTION] « taux de rémunération du niveau de titularisation » [« substantive salary »] payable au titre de l’article 7.1 du chapitre 19.1 du Manuel d’administration, ce qui lui donnait droit au paiement qu’il demandait. Il a également noté la nécessité de modifier ultérieurement les dispositions pertinentes. Ni l’arbitre de niveau I ni celui de niveau II n’ont tenu compte de ces arguments dans leurs décisions.

[89]  En outre, et c’est là un point crucial, l’arbitre de niveau II a fondé sa décision en grande partie sur la conclusion que la solde de service est une [TRADUCTION] « indemnité » et qu’elle est donc exclue du [TRADUCTION] « taux de rémunération » [« salary »] et du [TRADUCTION] « taux de rémunération du niveau de titularisation » [« substantive salary »] à l’article 7.1 du chapitre 19.1 du Manuel d’administration. Un point clé de son raisonnement a été la détermination que la solde de service est une indemnité, sur la base de sa mention en tant qu’indemnité dans la définition du mot « compensation ». Toutefois, en arrivant à cette conclusion, elle n’a pas abordé la définition de l’[TRADUCTION] « indemnité », mise en évidence par l’intimé, laquelle conduit à une conclusion contraire. Elle n’a pas non plus tenu compte de la nécessité sous-jacente à la clarification par voie de modification des dispositions effectuée après le départ à la retraite de l’intimé de la Gendarmerie, qui met en évidence l’ambiguïté inhérente de ces dispositions et la nécessité de concilier la définition de l’[TRADUCTION] « indemnité » avec celle du [TRADUCTION] « taux de rémunération » [« salary »]. Il y a donc une lacune importante dans les motifs de l’arbitre de niveau II, car ces arguments contredisent totalement sa chaîne d’analyse.

[90]  Il ne s’agit pas ici d’un cas où un décideur a simplement décidé de ne pas traiter un argument de conséquence limitée ou nulle : une analyse de cette question était essentielle et aurait très bien pu aboutir à une interprétation favorable pour l’intimé selon le propre raisonnement de l’arbitre. C’est ce qui rend important le fait de ne pas aborder la question – les arguments non traités de l’intimé sapent l’un des éléments essentiels de la chaîne d’analyse de l’arbitre.

[91]  À mon avis, le fait que l’arbitre ne se soit pas attaquée aux arguments susmentionnés avancés par l’intimé dans les circonstances de l’espèce « permet de se demander s[i elle] était effectivement attenti[ve] et sensible à [ces questions particulières] » (arrêt Vavilov, au paragraphe 128). Le fait que l’arbitre de niveau II n’ait pas abordé ces questions rend donc, à mon avis, sa décision déraisonnable, car, pour reprendre la formulation de la majorité de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov, ce fait constitue une « lacune fondamentale » dans les motifs. En effet, l’examen de ces questions aurait très bien pu conduire à une conclusion contraire et, compte tenu du libellé des politiques pertinentes, il est impossible d’inférer des autres motifs de l’arbitre ou du dossier comment l’arbitre aurait concilié les dispositions contradictoires du Manuel national de la rémunération et du Manuel d’administration de la GRC. Ainsi, je pense que le fait de ne pas aborder ces arguments, contrairement à ce qu’exigeait l’arrêt Vavilov, signifie que la décision de l’arbitre doit être annulée.

[92]  J’ai eu l’occasion de lire les motifs de mon collègue, le juge Boivin, à l’état de projet et, avec tout le respect que je lui dois, je ne suis pas d’accord avec le fait que l’incidence d’un défaut d’aborder un argument présenté à un décideur administratif ne dépend que de la vigueur et de la clarté avec lesquelles cet argument a été présenté au décideur. Il me semble plutôt qu’une considération tout aussi importante doit être la pertinence de l’argument par rapport à la conclusion tirée par le décideur administratif. C’est particulièrement le cas lorsque, comme en l’espèce, une partie n’est pas représentée par un(e) avocat(e) devant le décideur et n’est donc pas en mesure de présenter des arguments de droit d’une manière aussi nette qu’un(e) avocat(e).

[93]  Ainsi, pour moi, pour déterminer si le fait de ne pas aborder un argument rend une décision déraisonnable, ce sont autant la pertinence et le bien-fondé éventuel d’un argument non traité que la façon dont il a été présenté qui sont pertinents.

[94]  En effet, la majorité dans l’arrêt Vavilov, au paragraphe 128, après avoir fait les commentaires auxquels mon collègue fait référence au paragraphe 11 de son ébauche de motifs, a noté que « le fait qu’un décideur n’ait pas réussi à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties permet de se demander s’il était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise » [Non souligné dans l’original.]

[95]  En établissant une distinction entre les questions clés et les arguments centraux, j’ai interprété ce passage comme indiquant que c’est à la fois la pertinence et le bien-fondé éventuel des arguments non abordés ainsi que la force et la clarté avec lesquelles les arguments non traités ont été présentés au décideur administratif qui peuvent signifier que le fait de ne pas les aborder rend une décision administrative déraisonnable.

[96]  Ici, l’avocat de l’intimé a présenté à la Cour les arguments non abordés, et ce, de façon plus claire que lorsqu’ils avaient été présentés par son client aux arbitres. Cela n’est pas surprenant. Il n’en reste pas moins que ces arguments ont été avancés, qu’ils ont été présentés de manière suffisamment claire aux arbitres pour être compréhensibles et qu’ils contredisent totalement le raisonnement de l’arbitre de niveau II.

[97]  Contrairement à l’opinion du juge Boivin, l’examen par l’arbitre de niveau II du sens à donner à l’adjectif « substantive » et l’examen des définitions du dictionnaire de ce mot sont totalement hors de propos par rapport aux questions sur lesquelles l’arbitre a été appelée à se prononcer. L’adjectif « substantive » est un terme technique utilisé dans la fonction publique fédérale pour désigner le poste permanent auquel l’employé a été nommé, par opposition à une affectation intérimaire, comme l’a jugé cette Cour dans les arrêts Sinclair et Dupuis (cités au paragraphe 32 ci-dessus). Compte tenu de ce qui précède, le terme « substantive » ne peut avoir aucune autre signification raisonnable et n’a aucune incidence sur le fait que le taux de rémunération attribuable au poste d’attache d’un membre de la GRC qui prend sa retraite comprenne ou non la solde de service. Dans le contexte des dispositions pertinentes des manuels de la GRC, le terme « substantive » signifie simplement que la rémunération à verser au moment de la retraite est celle qui s’applique au poste permanent ou au poste d’attache du membre qui prend sa retraite. Cela laisse sans réponse la question qui était au cœur du litige que devait trancher l’arbitre, à savoir si le taux de rémunération pour ce poste inclut ou non la solde de service.

[98]  Au centre de cette question clé se trouvent les questions auxquelles l’arbitre ne s’est pas attaquées, à savoir comment concilier les définitions contradictoires, dans les manuels, des mots [TRADUCTION] « taux de rémunération » et [TRADUCTION] « indemnité », dont l’une inclurait la solde de service dans l’expression [TRADUCTION] « taux de rémunération du niveau de titularisation » [« substantive salary »], et l’autre non. L’omission d’aborder ce conflit – qui a été soulevé par l’intimé – rend la décision de l’arbitre de niveau II déraisonnable. En bref, il n’est tout simplement pas possible pour une cour de révision, à la lumière de l’arrêt Vavilov, de confirmer une décision administrative lorsque le décideur ne s’attaque pas à une question clé soulevée par une partie alors que, comme en l’espèce, cette question devait être tranchée et que le dossier ne fournit aucune indication sur la manière dont cette question aurait été tranchée par le décideur.

[99]  Il s’ensuit donc que la décision de l’arbitre doit être annulée.

C.  Quelle réparation est appropriée?

[100]  Ceci m’amène à la question de la réparation.

[101]  Pour les mêmes motifs qu’il est inapproprié pour notre Cour de confirmer la décision de l’arbitre à la lumière de l’ambiguïté contenue dans les manuels, il est également inapproprié pour notre Cour de donner des directives sur la façon dont les manuels doivent être interprétés. Contrairement à l’approche adoptée par la Cour fédérale, je suis d’avis qu’il n’y a pas une seule façon d’interpréter les dispositions pertinentes, car elles sont intrinsèquement ambiguës. La question de leur interprétation doit donc être renvoyée à un arbitre pour réexamen.

[102]  Bien que la procédure interne de règlement des griefs de la GRC ait été modifiée depuis que ce grief a été entendu, l’article 68 de la Loi visant à accroître la responsabilité de la Gendarmerie royale du Canada, L.C. 2013, ch. 18, dispose que l’ancienne procédure de règlement des griefs s’applique à tout grief présenté avant le 28 novembre 2014. Par conséquent, le grief peut être renvoyé à un arbitre de niveau II aux fins de réexamen.

[103]  Tout en admettant le fait que le réexamen est généralement la réparation appropriée dans une demande de contrôle judiciaire accueillie – et que la Cour suprême du Canada a approuvé cette approche comme étant typique dans l’arrêt Vavilov – l’intimé soutient néanmoins qu’il s’agit d’une situation exceptionnelle et que le temps qui s’est écoulé depuis le dépôt du grief devrait amener notre Cour à exercer son pouvoir discrétionnaire et à régler plutôt la question de savoir comment les manuels doivent être interprétés.

[104]  Je refuse de le faire pour trois motifs. Premièrement, le seuil à franchir pour refuser de renvoyer une question à un décideur administratif lorsqu’il y a une question à trancher est élevé, comme l’a fait remarquer notre Cour dans les arrêts Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. LeBon, 2013 CAF 55, 444 N.R. 93 et D’Errico c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 95, 459 N.R. 167, aux paragraphes 14 à 17. Ce seuil n’a pas été franchi en l’espèce.

[105]  Deuxièmement, bien qu’il y ait eu un retard considérable dans la détermination de ces questions dans le contexte de la procédure de règlement des griefs de la GRC, notre Cour peut garantir qu’il n’y aura pas de retard supplémentaire inutile en fixant un délai pour le nouvel examen. Je donnerais donc à l’arbitre de niveau II, auquel le grief est renvoyé, 120 jours à compter de la date de reprise des opérations normales de la GRC à la fin de la pandémie de COVID-19 au Canada pour rendre une décision sur le nouvel examen.

[106]  Enfin, dans une certaine mesure, l’arrêt Vavilov a modifié la manière dont le contrôle judiciaire doit être effectué en mettant davantage l’accent sur l’importance des motifs. Dans cette optique, il est préférable de donner à un arbitre de niveau II l’occasion de réexaminer ces questions, cette fois-ci en tenant compte du fait que les motifs doivent traiter de manière adéquate toutes les questions clés, comme l’exige l’arrêt Vavilov.

[107]  Compte tenu des questions supplémentaires soulevées par l’avocat de l’intimé devant notre Cour et de leur incidence potentielle sur l’issue du grief, tous les arguments clés avancés par l’intimé, comme il est reflété dans les présents motifs, devraient être traités par l’arbitre dans la décision concernant le nouvel examen. En les abordant, il se peut que l’arbitre n’ait pas besoin d’en dire beaucoup, comme l’a souligné la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov aux paragraphes 91 à 98 et 127 à 128. Toutefois, si ces questions ne sont pas abordées, la décision risque d’être annulée une seconde fois, conformément aux principes énoncés dans l’arrêt Vavilov. Comme certains de ces arguments n’ont pas été présentés auparavant à l’arbitre, les parties devraient avoir la possibilité de présenter des observations supplémentaires à l’arbitre de niveau II auquel le grief est renvoyé, et je laisse à cet arbitre le soin de déterminer le moment de la présentation de ces observations et leur longueur.

[108]  Enfin, en ce qui concerne la question des dépens, ils devraient suivre l’issue de la cause. L’intimé ayant eu largement gain de cause dans le présent appel, il convient de lui accorder les dépens. Les parties ont convenu que, si la Cour devait accorder à l’intimé ses dépens, ceux-ci devraient être fixés à un montant forfaitaire de 4 700 $. Je suis d’accord pour dire que cette somme est appropriée et j’accorderais donc les dépens en conséquence.

VII.  Règlement proposé

[109]  En conclusion, je désignerais le procureur général du Canada à titre d’appelant de remplacement dans le présent appel. J’accueillerais également le présent appel en partie, j’annulerais la décision de la Cour fédérale et, en rendant le jugement qu’elle aurait dû rendre, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire de l’intimé et je renverrais le grief de l’intimé à un arbitre de niveau II pour un nouvel examen, conformément aux motifs de notre Cour, sur la base que la décision concernant le nouvel examen doit être rendue dans un délai de 120 jours à compter de la date de reprise des opérations normales de la GRC à la fin de la pandémie de COVID-19 au Canada. Étant donné que je considère que l’intimé a eu largement gain de cause dans le présent appel, je lui accorderais les dépens pour le montant forfaitaire convenu de 4 700 $.

« Mary J.L. Gleason »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

A-406-18

INTITULÉ :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. ALLAN BRADLEY ZALYS

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 janvier 2020

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE BOIVIN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE RIVOALEN

 

MOTIFS DISSIDENTS :

LA JUGE GLEASON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 avril 2020

 

COMPARUTIONS :

Susanne Pereira

Courtenay Landsiedel

 

Pour l’appelant

 

Christopher C. Rootham

Pour l’intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

 

Pour l’appelant

 

Nelligan O’Brien Payne s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

Pour l’intimé

 

 

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