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Date : 20200519


Dossier : A-348-18

Référence : 2020 CAF 90

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

LAWYERS’ PROFESSIONAL INDEMNITY COMPANY

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 17 octobre 2019.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 19 mai 2020.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MACTAVISH

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE LASKIN

 


Date : 20200519


Dossier : A-348-18

Référence : 2020 CAF 90

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

LAWYERS’ PROFESSIONAL INDEMNITY COMPANY

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE MACTAVISH

[1] Aux termes de l’alinéa 149(1)d.5) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la LIR), les revenus gagnés par certaines sociétés appartenant à des « organisme[s] [...] public[s] remplissant une fonction gouvernementale au Canada » sont exonérés d’impôt. Dans une décision publiée sous la référence 2018 CCI 194, la Cour canadienne de l’impôt a estimé que, même si le Barreau de l’Ontario était un « organisme public », il n’exerçait pas « une fonction gouvernementale au Canada ». Par conséquent, la Cour a conclu que les revenus gagnés par la Lawyers’ Professional Indemnity Company, une filiale du Barreau de l’Ontario, n’étaient pas exonérés de l’impôt pour ses années d’imposition 2013 et 2014.

[2] La Lawyers’ Professional Indemnity Company interjette appel à l’encontre du jugement de la Cour de l’impôt, faisant valoir que la Cour a commis une erreur de droit en concluant que le Barreau de l’Ontario n’était pas un « organisme public remplissant une fonction gouvernementale au Canada ».

[3] La Couronne soutient que, lorsqu’elle est interprétée de manière textuelle, contextuelle et téléologique, la disposition de la Loi sur l’impôt sur le revenu en cause dans le présent appel limite l’exonération fiscale aux entités appartenant aux municipalités, aux organismes municipaux et aux autres organismes publics analogues aux municipalités et aux organismes municipaux, tels que les entités responsables de la gouvernance d’une zone géographique localisée, qui gouvernent le public. Selon la Couronne, les organismes professionnels d’autoréglementation, tels que le Barreau de l’Ontario, et leurs filiales à but lucratif ne relèvent pas de cette disposition.

[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la disposition législative en cause en l’espèce doit être interprétée de la manière proposée par la Couronne. Par conséquent, je rejetterais l’appel.

I. Résumé des faits

[5] Les avocats et les parajuristes exerçant dans la province de l’Ontario sont encadrés par le Barreau de l’Ontario (anciennement le Barreau du Haut-Canada). Le Barreau a été créé par une loi de l’Assemblée législative pour servir la population de l’Ontario, défendre et maintenir des principes constitutionnels, tels que la cause de la justice et la primauté du droit : An act for the better regulating of the practice of law, S.U.C. 1797 (37 George III), chap. 13.

[6] Dans sa version actuelle, le Barreau de l’Ontario est une société sans capital-actions créée par une loi, dont les fonctions, les pouvoirs et les obligations sont énoncés dans la Loi sur le Barreau, L.R.O. 1990, chap. L.8, dans les règlements pris en application de cette loi et dans les règlements administratifs du Barreau lui-même.

[7] L’article 4.1 de la Loi sur le Barreau accorde au Barreau le pouvoir de s’assurer que toutes les personnes qui exercent le droit ou fournissent des services juridiques en Ontario respectent les normes de formation, de compétence professionnelle et de déontologie qui sont appropriées dans le cas des services juridiques qu’elles fournissent.

[8] L’article 4.2 de la Loi sur le Barreau prévoit également que le Barreau a l’obligation de tenir compte de certains principes dans l’exercice de ses fonctions, obligations et pouvoirs, notamment « l’obligation de maintenir et de faire avancer la cause de la justice et la primauté du droit » et d’agir « de façon à faciliter l’accès à la justice pour la population ontarienne ». En outre, le Barreau est tenu de « protéger l’intérêt public » et d’« agir de façon opportune, ouverte et efficiente ».

[9] Le Barreau est régi par un conseil d’administration, dont les membres sont qualifiés de « conseillers » et le président et directeur général du Barreau est qualifié de « trésorier ». Les avocats titulaires de permis élisent 40 des conseillers, alors que les parajuristes titulaires de permis en élisent cinq. Le procureur général de l’Ontario nomme huit « conseillers non juristes ». De plus, certaines personnes sont des conseillers d’office, pendant qu’elles sont membres du Barreau, le cas échéant. Il s’agit notamment du ministre de la Justice et du procureur général du Canada, du solliciteur général du Canada, du procureur général de l’Ontario et de toute personne ayant occupé la fonction de procureur général de l’Ontario à un moment donné avant le 1er janvier 2010.

[10] Le Barreau n’est pas financé par les contribuables, mais plutôt par les cotisations payées par ses membres titulaires d’un permis. Les soldes de fonds accumulés sont utilisés pour atténuer les hausses des cotisations des membres du Barreau.

[11] Conformément à son mandat de protection de l’intérêt public, le Barreau dispose de trois fonds créés par la loi pour protéger le public. Il s’agit notamment du Fonds d’indemnisation, qui est utilisé pour faire face aux pertes financières découlant de la conduite malhonnête des titulaires de permis; d’un fonds d’assurance erreurs et omissions, qui est composé des redevances perçues auprès des avocats pour financer l’assurance-responsabilité professionnelle; et les Fonds en fiducie non réclamés où sont versés les fonds non réclamés provenant des comptes en fiducie des avocats.

[12] Aux termes du paragraphe 5(4) de la Loi sur le Barreau, le Barreau est autorisé à « posséder des actions ou détenir un intérêt à titre de membre d’une compagnie d’assurance constituée en personne morale dans le but de fournir une assurance-responsabilité professionnelle aux titulaires de permis et aux personnes qui sont autorisés à pratiquer le droit hors de l’Ontario, mais au Canada ». Selon l’alinéa 61a) de la Loi sur le Barreau, le Barreau est autorisé en outre à prendre, à l’égard des titulaires de permis, des dispositions visant l’assurance-responsabilité professionnelle ainsi que le paiement et la remise des primes liées à celle-ci. L’alinéa 61b) de la Loi sur le Barreau porte que le Barreau peut exiger que les titulaires de permis lui paient une cotisation relativement à cette assurance.

[13] La Lawyers’ Professional Indemnity Company est une société privée sous contrôle canadien aux fins de la LIR. Il s’agit d’une société d’assurance, autorisée à exercer ses activités en Ontario, et qui exerce ses activités sous le nom commercial « LawPRO ». Bien que LawPRO soit autorisée à exercer ses activités dans d’autres provinces et territoires du Canada, ses revenus provenant d’activités exercées en dehors de l’Ontario n’ont pas dépassé 10 % de son revenu annuel total pour les années en question. LawPRO a été constituée en société par le Barreau en 1990, et le Barreau détient au moins 90 % du capital de LawPRO.

[14] LawPRO offre une assurance-responsabilité professionnelle obligatoire aux avocats et aux parajuristes autorisés par le Barreau à pratiquer le droit en Ontario. Elle offre également des produits d’assurance aux cabinets d’avocats en Ontario ainsi qu’une assurance-titres complète aux propriétaires et aux prêteurs immobiliers dans l’ensemble des provinces et des territoires au Canada, y compris l’Ontario. LawPRO a réalisé des revenus d’environ 124 millions de dollars en 2013 et 143 millions de dollars en 2014.

[15] Le Barreau exige que tous les avocats et parajuristes qui exercent le droit en Ontario versent des cotisations pour souscrire à une assurance-responsabilité professionnelle par l’intermédiaire de LawPRO. Les cotisations sont prélevées par le Barreau, qui verse ensuite les sommes recueillies à LawPRO sous forme de primes d’assurance.

[16] Le Barreau a par le passé demandé une exonération de l’impôt sur le revenu en tant qu’organisme à but non lucratif admissible, exonération que la Cour de l’impôt a supposé être conforme à l’alinéa 149(1)l) de la LIR. LawPRO a produit des déclarations de revenus pour ses années d’imposition 2013 et 2014 en faisant valoir qu’elle était admissible à l’exonération prévue à l’alinéa 149(1)d.5) de la LIR, au motif que sa société mère, le Barreau, était un « organisme public remplissant une fonction gouvernementale au Canada ».

[17] Les cotisations de LawPRO ont été initialement établies selon ses déclarations de revenus produites pour les années d’imposition 2013 et 2014. Cependant, en octobre 2015, le ministre du Revenu national a établi de nouvelles cotisations à l’égard de LawPRO pour ces années d’imposition en lui refusant l’exonération d’impôt prévue aux termes de l’alinéa 149(1)d.5). Le ministre a ratifié les nouvelles cotisations en janvier 2016. LawPRO a porté ces nouvelles cotisations en appel.

II. Le régime législatif

[18] L’article 149 de la LIR régit les « exemptions diverses » et porte qu’aucun impôt n’est payable, en application de la partie I de la Loi, sur le revenu imposable d’une personne, pour la période où cette personne était l’une de celles énumérées à l’article. C’est ce qu’indiquent les parties pertinentes du paragraphe 149(1) auxquelles sont assujetties les années d’imposition 2013 et 2014 de LawPRO.

149. (1) Aucun impôt n’est payable en vertu de la présente partie, sur le revenu imposable d’une personne, pour la période où cette personne était :

149. (1) No tax is payable under this Part on the taxable income of a person for a period when that person was

[…]

[…]

d.5) sous réserve des paragraphes (1.2) et (1.3), une société, commission ou association dont au moins 90 % du capital appartenait à une ou plusieurs entités dont chacune est une municipalité du Canada ou un organisme municipal ou public remplissant une fonction gouvernementale au Canada, pourvu que le revenu de la société, commission ou association pour la période provenant d’activités exercées en dehors des limites géographiques des entités ne dépasse pas 10 % de son revenu pour la période; […]

(d.5) subject to subsections (1.2) and (1.3), a corporation, commission or association not less than 90% of the capital of which was owned by one or more entities each of which is a municipality in Canada, or a municipal or public body performing a function of government in Canada, if the income for the period of the corporation, commission or association from activities carried on outside the geographical boundaries of the entities does not exceed 10% of its income for the period …

[non souligné dans l’original]

[emphasis added]

Les paragraphes 149(1.2) et (1.3) ne s’appliquent pas en l’espèce.

III. La décision de la Cour de l’impôt

[19] La question dont a été saisie la Cour de l’impôt était de savoir si, au cours des années d’imposition 2013 et 2014, LawPRO était exonérée de l’impôt aux termes de l’alinéa 149(1)d.5) de la LIR. La Cour de l’impôt devait donc décider si le Barreau, en tant que société mère de LawPRO, était « un organisme public remplissant une fonction gouvernementale au Canada ».

[20] Les parties ont convenu devant la Cour de l’impôt que LawPRO satisfaisait à toutes les exigences de l’alinéa 149(1)d.5), sauf une, soit qu’au moins 90 % des actions de LawPRO étaient détenues par le Barreau, et que le revenu de LawPRO provenant de ses activités exercées en dehors de l’Ontario ne dépassait pas 10 % de son revenu total pour les années d’imposition en question. Les parties ne se sont pas entendues sur la question de savoir si le Barreau était « un organisme public remplissant une fonction gouvernementale au Canada ».

[21] Pour parvenir à la conclusion que le Barreau était effectivement un « organisme public », la Cour de l’impôt s’est appuyée sur l’arrêt Le registraire des marques de commerce c. L’Association olympique canadienne, [1983] 1 CF 692, 139 D.L.R. (3d) 190 (CAF). Il s’agissait dans cette affaire de savoir si l’Association olympique canadienne était une « autorité publique » qui avait le droit de faire en sorte que ses marques de commerce fassent l’objet d’un avis public conformément au sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1970, ch. T-10.

[22] Pour aborder cette question, la Cour a adopté un critère à trois volets pour décider si l’Association olympique canadienne était une « autorité publique ». Les facteurs à prendre en considération au titre de ce critère sont les suivants :

  • a) [l’organisme] doit avoir une obligation envers le public général;

  • b) [l’organisme] doit, dans une mesure importante, être soumis au contrôle gouvernemental;

  • c) les bénéfices ne doivent pas servir un intérêt privé, mais doivent profiter à l’ensemble du public.

Après avoir examiné la mesure dans laquelle l’Association profitait au public et le degré de contrôle gouvernemental dont elle faisait l’objet, notre Cour a conclu que l’Association olympique canadienne était bien une « autorité publique » au sens de la Loi sur les marques de commerce.

[23] En l’espèce, la Cour de l’impôt a estimé que l’expression « autorité publique » était synonyme d’« organisme public ». En outre, la Cour de l’impôt a conclu que, dans l’exercice de ses fonctions, obligations et pouvoirs conformément à l’article 4.2 de la Loi sur le Barreau, le Barreau avait l’obligation de protéger l’intérêt public. La Cour a également conclu que le Barreau était soumis, dans une mesure importante, au contrôle gouvernemental de l’Ontario. À l’appui de cette conclusion, la Cour a noté, entre autres, que le procureur général de l’Ontario (qui fait office de gardien de l’intérêt public dans toutes les affaires relevant de la Loi sur le Barreau) nomme les huit conseillers non juristes, et que le gouvernement doit approuver la nomination des membres non juristes du Tribunal du Barreau.

[24] Enfin, la Cour de l’impôt a conclu que les éléments de preuve qui lui ont été présentés permettaient d’établir que les bénéfices réalisés par le Barreau étaient utilisés par ce dernier pour financer ses activités et qu’aucune somme d’argent n’avait été retournée aux titulaires de permis. Par conséquent, la Cour de l’impôt a estimé que le Barreau était bien un « organisme public ». La Cour de l’impôt n’était cependant pas convaincue que le Barreau remplissait « une fonction gouvernementale au Canada ».

[25] Pour en arriver à cette conclusion, la Cour de l’impôt a admis l’argument de LawPRO selon lequel la détermination de la question de savoir si une entité était un « organisme public remplissant une fonction gouvernementale au Canada » nécessitait l’application d’un critère à deux volets. En d’autres termes, l’entité en question devait être un « organisme public » et elle devait « remplir une fonction gouvernementale au Canada ». La Cour de l’impôt a conclu, cependant, qu’un organisme public remplit une fonction gouvernementale dans sa zone géographique précise seulement s’il remplit la fonction en question dans le cadre de la gouvernance du public qui se trouve dans cette zone géographique précise.

[26] La Cour de l’impôt a également conclu que le Barreau de l’Ontario ne gouverne pas le public en Ontario et que les fonctions qu’elle exerce ne constituent pas des « fonctions gouvernementales ». En conséquence, la Cour a conclu que LawPRO n’avait pas droit à l’exemption prévue à l’alinéa 149(1)d.5). L’appel de LawPRO, concernant ses nouvelles cotisations pour les années d’imposition 2013 et 2014, a toutefois été accueilli puisque la Cour de l’impôt a estimé que LawPRO devait pouvoir déduire de son revenu imposable pour ces années les sommes d’argent qu’elle avait le droit de déduire au titre de dons de bienfaisance.

[27] LawPRO interjette maintenant appel devant notre Cour.

IV. Norme de contrôle applicable

[28] Je crois comprendre que l’interprétation appropriée des faits de l’espèce n’est pas contestée par les parties. Le présent appel porte sur la bonne interprétation de l’alinéa 149(1)d.5) de la LIR. Je suis d’accord avec les parties pour dire que cette question est une question de droit, de sorte que la conclusion de la Cour de l’impôt sur cette question peut être examinée selon la norme de la décision correcte : Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 RCS 235.

V. Principes de l’interprétation des lois

[29] Avant d’examiner si la Cour de l’impôt a commis une erreur dans son interprétation de l’alinéa 149(1)d.5) de la LIR, il convient d’abord de se pencher sur les principes d’interprétation des lois à appliquer pour discerner le sens approprié de la disposition législative en cause en l’espèce.

[30] Dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 RCS 601 (arrêt Hypothèques Trustco), la Cour suprême du Canada a décidé de l’approche à utiliser dans l’interprétation de dispositions législatives, telle que celle en litige en l’espèce. Dans cet arrêt, la Cour a affirmé qu’ « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie générale de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : au paragraphe 10, citant 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, 179 DLR (4th) 577, au paragraphe 50.

[31] Bien que le libellé d’une disposition législative ne doive pas être interprété indépendamment de son contexte et de son objet législatif, la Cour a néanmoins poursuivi dans l’arrêt Hypothèques Trustco en observant que, lorsque le libellé d’une disposition législative est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation : précité, au paragraphe 10. En revanche, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier d’une cause à l’autre, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux : arrêt Hypothèques Trustco, précité, au paragraphe 10.

[32] En gardant ces principes à l’esprit, je vais maintenant examiner les observations des parties quant à la manière dont l’alinéa 149(1)d.5) de la LIR devrait être interprété.

VI. Comment l’alinéa 149(1)d.5) de la LIR devrait-il être interprété?

a) Observations de LawPRO

[33] LawPRO soutient que l’expression « organisme public remplissant une fonction gouvernementale au Canada » comporte deux éléments distincts. Premièrement, l’entité doit être un « organisme public », et deuxièmement, elle doit remplir « une fonction gouvernementale au Canada ».

[34] Selon LawPRO, la Cour de l’impôt a conclu à juste titre que le Barreau était bien un « organisme public ». En effet, il a une obligation envers le public général, il est, dans une large mesure, soumis au contrôle du gouvernement de l’Ontario conformément à la Loi sur le Barreau et ses profits ne servent pas à l’avantage personnel de ses membres.

[35] Toutefois, LawPRO affirme que la Cour de l’impôt a commis une erreur en ce qui concerne le deuxième élément de l’alinéa 149(1)d.5), à savoir, si le Barreau « rempli[t] une fonction gouvernementale au Canada ». Selon LawPRO, la Cour a commis une erreur dans la formulation du critère juridique applicable en se posant la mauvaise question. Ce faisant, LawPRO affirme que la Cour a créé un élément supplémentaire qui ne se trouve pas dans l’alinéa 149(1)d.5) en concluant qu’une entité ne « rempli[t] pas une fonction gouvernementale » à moins que cette fonction ne s’applique à l’ensemble de la population. En d’autres termes, la Cour a remplacé le critère juridique plus large de « remplir une fonction gouvernementale » par son propre critère plus étroit qui est de [TRADUCTION] « gouverner le public ». À titre subsidiaire, LawPRO soutient que le Barreau « gouverne le public » quoi qu’il en soit.

[36] Pour appuyer cette dernière affirmation, LawPRO soutient qu’en réglementant la profession juridique dans l’intérêt du public, le Barreau exerce des fonctions réglementaires qui lui ont été déléguées par l’Assemblée législative de l’Ontario : Re Klein and Law Society of Upper Canada, Re Dvorak and Law Society of Upper Canada (1985), 50 OR (2d) 118, 16 DLR (4th) 489 (C. Div. Ont.), au paragraphe 82.

[37] LawPRO souligne également que la Cour suprême a conclu que la Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, qui constitue l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11, s’applique aux entités qui sont essentiellement de nature gouvernementale. Pour parvenir à cette conclusion, la Cour suprême a estimé que l’application de la Charte n’est pas limitée aux entités qui font officiellement partie des gouvernements fédéral ou provinciaux : Godbout c. Longueuil (Ville), [1997] 3 RCS 844, 152 DLR (4th) 577, aux paragraphes 47 et 48. La Charte s’est d’ailleurs révélée applicable au Barreau dans le cadre d’instances disciplinaires : Groia c. Barreau du Haut-Canada, 2018 CSC 27, [2018] 1 RCS 772, aux paragraphes 111 et 112.

[38] LawPRO soutient en outre que le Barreau exerce des fonctions législatives en adoptant des règlements et des règlements administratifs au titre des pouvoirs qui lui ont été délégués par le législateur en conformité avec la Loi sur le Barreau.

[39] LawPRO affirme également que le Barreau exerce des fonctions judiciaires lorsqu’il statue sur des allégations d’inconduite professionnelle de la part d’avocats et de parajuristes : Edwards v. Law Society of Upper Canada (No. 2) (2000), 48 OR (3d) 329, 188 DLR (4th) 613 (CA Ont.), conf. par 2001 CSC 80, [2001] 3 R.C.S. 562, au paragraphe 20.

[40] En outre, LawPRO fait valoir que le Barreau exerce des fonctions exécutives ou administratives du gouvernement en contribuant à l’élaboration et à la mise en œuvre de politiques discrétionnaires, dont un exemple est la décision des conseillers de refuser l’accréditation à la faculté de droit proposée par la Trinity Western University.

[41] Selon LawPRO, le Barreau remplit également des fonctions ministérielles du gouvernement dans le cadre des obligations d’origine législative ou publiques obligatoires qui lui incombent en application de la Loi sur le Barreau, telles que la délivrance de permis d’exercice du droit à ceux qui satisfont à toutes les conditions de la loi pour être titulaires d’un permis.

[42] LawPRO souligne en outre que l’Agence du revenu du Canada elle-même traite les barreaux comme des « organismes publics » aux fins de l’article 67.6 de la LIR, qui ordonne qu’une amende ou une pénalité imposée par un « organisme public » n’est pas déductible aux fins du calcul de l’impôt. Selon LawPRO, la cohérence au sein d’une même loi nécessite que le Barreau soit également un « organisme public » aux fins de l’alinéa 149(1)d.5) de la LIR.

[43] Enfin, LawPRO soutient que l’expression « organisme public » doit viser des organismes autres que les organismes municipaux; autrement, l’expression « organisme public » à l’alinéa 149(1)d.5) serait redondante.

b) Observations de la Couronne

[44] La Couronne ne conteste pas la conclusion de la Cour de l’impôt selon laquelle le Barreau est un « organisme public », admettant que le Barreau ait été qualifié d’« organisme public » ou d’« entité publique » dans des décisions relatives à d’autres lois : voir, par exemple, l’arrêt Trinity Western University c. Barreau du Haut-Canada, 2018 CSC 33, [2018] 2 RCS 453, au paragraphe 21 [arrêt Trinity Western]. La Couronne ne conteste pas non plus le fait que le Barreau a, dans certains contextes, été considéré comme exerçant des fonctions qui ont été présentées comme étant de nature réglementaire ou gouvernementale.

[45] La Couronne soutient toutefois que les décisions invoquées par LawPRO pour appuyer sa prétention selon laquelle le Barreau est un « organisme public » qui remplit des « fonctions gouvernementales » ont été rendues dans des contextes législatifs différents et ne sont pas déterminantes en l’espèce. En outre, le fait que le Barreau puisse agir dans l’intérêt public ne signifie pas qu’il « remplit une fonction gouvernementale ».

[46] Par ailleurs, la Couronne prétend que l’approche à deux volets proposée par LawPRO pour l’interprétation et l’application de l’alinéa 149(1)d.5) de la LIR donne lieu à un résultat inexact, car elle sépare les mots choisis dans la disposition de leur contexte législatif et ne tient pas compte de l’objet de la disposition. L’approche proposée par LawPRO fait également fi des mots clés de la disposition et rend inutile le renvoi par le législateur aux municipalités et aux organismes municipaux.

[47] Selon la Couronne, l’alinéa 149(1)d.5) de la LIR n’est pas suffisamment large pour inclure tout « organisme public remplissant une fonction gouvernementale au Canada ». Elle soutient que, lue dans son contexte global, l’exemption prévue à l’alinéa 149(1)d.5) est limitée aux organismes dont les sociétés mères sont semblables à, ou de la même catégorie que, des municipalités et des organismes municipaux qui remplissent des fonctions similaires à celles exercées par les municipalités.

c) Discussion

[48] Les barreaux provinciaux jouent incontestablement un rôle important dans la société canadienne. Un barreau auto-réglementé et indépendant est important pour notre système juridique, car il facilite l’accès à la justice, l’avancement de la cause de la justice et la préservation de la primauté du droit. Il joue également un rôle clé dans la protection du public en garantissant le respect de normes en matière de professionnalisme et de compétence parmi les avocats : arrêt Trinity Western, précité, aux paragraphes 16 à 18. Cela dit, il ne s’ensuit pas nécessairement que le Barreau est un « organisme public remplissant une fonction gouvernementale au Canada » aux fins de l’alinéa 149(1)d.5) de la LIR.

[49] En effet, comme je l’expliquerai plus loin, l’examen du texte, du contexte et de l’objet de l’alinéa 149(1)d.5) permet de conclure que le Barreau n’est pas « un organisme public remplissant une fonction gouvernementale au Canada ». En tant que filiale du Barreau, LawPRO n’a donc pas le droit d’invoquer à son profit l’alinéa 149(1)d.5) de la LIR.

i) L’analyse textuelle de l’alinéa 149(1)d.5) de la LIR

[50] En ce qui concerne le texte de l’alinéa 149(1)d.5), comme nous l’avons mentionné ci-dessus, lorsque le libellé d’une disposition législative est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation : arrêt Hypothèques Trustco, précité, au paragraphe 10. Toutefois, le libellé d’une disposition législative n’est pas précis et non équivoque lorsqu’il peut raisonnablement avoir plus d’une signification : Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 RCS 559, au paragraphe 29, citant l’arrêt Westminster Bank Ltd. v. Zang (1965), [1966] AC 182, [1966] 1 All ER 114 (H.L. Eng.), à la page 222, sous la plume du lord juge Reid.

[51] Les mots et expressions « municipalité », « organisme municipal [...] remplissant une fonction gouvernementale » ou « organisme public remplissant une fonction gouvernementale » ne sont pas définis dans la LIR. Je suis d’accord avec les parties pour dire que la signification de ces expressions n’est pas claire et sans équivoque. Plus précisément, l’expression « organisme public remplissant une fonction gouvernementale au Canada » peut avoir plus d’un sens raisonnable. En effet, dans l’arrêt Association olympique canadienne invoqué par LawPRO, la Cour a expressément noté que la signification du terme analogue « autorité publique » peut varier en fonction de son contexte législatif.

[52] Avant de passer à l’examen du contexte législatif de l’alinéa 149(1)d.5), je voudrais toutefois faire remarquer que le législateur évite généralement d’utiliser des mots inutiles ou superflus dans les lois, et que chaque mot d’une loi est présumé avoir un rôle précis à jouer dans la réalisation de l’objet de la loi : Hill v. William Hill (Park Lane) Ltd, [1949] AC 530, à la page 546, [1949] 2 All ER 452 (H.L. Eng.); R. c. Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 RCS 61, au paragraphe 28). Si la portée de l’expression « organisme public remplissant une fonction gouvernementale au Canada » à l’alinéa 149(1)d.5) était aussi large que le dit LawPRO, il n’aurait pas été nécessaire que le législateur inclue les mots « municipal ou » dans l’expression « un organisme municipal ou public remplissant une fonction gouvernementale au Canada ». En effet, les entités appartenant à des organismes municipaux auraient déjà droit à l’exemption prévue à l’alinéa 149(1)d.5) en tant que filiales d’« organisme[s] public[s] remplissant une fonction gouvernementale au Canada ».

ii) L’analyse contextuelle

[53] En ce qui concerne le contexte de l’alinéa 149(1)d.5), il existe ailleurs dans le paragraphe 149(1) des indications qui éclairent le sens de cette disposition, notamment dans la note marginale qui accompagne l’alinéa 149(1)c).

[54] Je reconnais que, conformément à l’article 14 de la Loi d’interprétation, LRC (1985), ch. I-21, les notes marginales ne font pas partie d’une loi et ne sont insérées que pour en faciliter la consultation. Il est néanmoins permis de les considérer comme faisant partie du processus d’interprétation, bien qu’elles puissent avoir un poids moindre que d’autres outils d’interprétation : Corbett c. R., [1997] 1 C.F. 386 (CAF), [1997] 1 CTC 2, au paragraphe 13.

[55] L’alinéa 149(1)c) de la LIR utilise un libellé similaire à celui de l’alinéa 149(1)d.5), prévoyant qu’aucun impôt ne sera payable en application de la partie I de la Loi sur le revenu imposable d’une personne pour la période où cette personne était « une municipalité du Canada ou un organisme municipal ou public remplissant une fonction gouvernementale au Canada ». Alors que l’alinéa 149(1)d.5) exonère les filiales des municipalités du Canada, ou les organismes municipaux ou publics remplissant une fonction gouvernementale au Canada, l’alinéa 149(1)c) exonère les sociétés mères de ces entités, à condition qu’elles soient elles-mêmes « [des] municipalité[s] du Canada ou [des] organisme[s] municipa[ux] ou public[s] remplissant une fonction gouvernementale au Canada ».

[56] La note marginale qui accompagne l’alinéa 149(1)c) renvoie à la disposition comme étant relative aux « administrations municipales », indiquant qu’en utilisant l’expression « une municipalité du Canada, ou un organisme municipal ou public remplissant une fonction gouvernementale au Canada », le législateur a voulu exempter les municipalités et les administrations de [TRADUCTION] « type municipal ». Bien que [la version anglaise de] la note marginale accompagnant l’alinéa 149(1)d.5) renvoie au [TRADUCTION] « revenu provenant d’activités exercées à l’intérieur des limites géographiques des entités », plutôt qu’aux « administrations municipales », il s’agit néanmoins d’un principe fondamental de l’interprétation des lois selon lequel, lorsque les mêmes mots figurent dans différentes parties d’une loi, on présume qu’ils doivent avoir le même sens : R. c. Zeolkowski, [1989] 1 RCS 1378, 61 DLR (4th) 725, au paragraphe 19.

[57] Une deuxième considération contextuelle concerne l’architecture de la LIR. Il est constant que la raison d’être de la promulgation initiale de l’alinéa 149(1)d.5) de la LIR était de permettre la mise en application du principe constitutionnel interdisant la taxation intergouvernementale. Ce principe est énoncé à l’article 125 de la Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 et 31 Vict., ch. 3, reproduite dans les Lois révisées du Canada (1985), app. II, no 5, et édicte ce qui suit : « Nulle terre ou propriété appartenant au Canada ou à aucune province en particulier ne sera sujette à la taxation ». Comme l’a récemment fait observer la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Procureur général) c British Columbia Investment Management Corp., 2019 CSC 63, 441 DLR (4) 197, « [...] l’article 125 vise à “empêcher un palier de gouvernement de s’approprier, pour son propre usage, les biens de l’autre palier de gouvernement ou les fruits de ces biens” » : au paragraphe 67, citant le Renvoi relatif à la taxe sur le gaz naturel exporté, [1982] 1 RCS 1004, à la page 1078, 136 DLR (3d) 385.

[58] La manière dont le législateur a choisi de mettre en œuvre cet objectif dans la Loi de l’impôt sur le revenu est importante en l’espèce. L’article 125 de la Loi constitutionnelle de 1867 est mis en œuvre dans la LIR par une série de dispositions détaillées et soigneusement rédigées à l’aide d’un libellé particulier exonérant certains types d’entités du paiement de l’impôt, plutôt que par un seul article d’exemption général et large. En d’autres termes, la structure globale de la Loi de l’impôt sur le revenu fait ressortir des dispositions d’exemptions ponctuelles précises et soigneusement rédigées plutôt que des catégories larges et ouvertes qui exonèrent de l’impôt tous les types d’entités, comme LawPRO voudrait le prétendre.

[59] Citons comme exemples les sociétés d’État. L’article 17 de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21 dispose de façon générale ceci : « [s]auf indication contraire y figurant, nul texte ne lie Sa Majesté ni n’a d’effet sur ses droits et prérogatives ». Les sociétés d’État fédérales sont assujetties à la LIR aux termes de l’article 27 de la Loi, qui dispose expressément que la partie I de la Loi de l’impôt sur le revenu s’applique aux sociétés d’État fédérales, remplaçant ainsi l’article 17 de la Loi d’interprétation en ce qui concerne ces sociétés.

[60] Le libellé est ensuite nuancé au paragraphe 27(2) de la LIR où il est prévu que, malgré toute autre disposition de la LIR, « la société d’État prévue par règlement et toute société dont elle a le contrôle sont réputées chacune ne pas être une société privée, et les alinéas 149(1)d) à d.4) ne s’y appliquent pas ». Étant donné que les sociétés d’État sont incontestablement des organismes appartenant à un « organisme public remplissant une fonction gouvernementale », le régime prévu à l’article 27 de la LIR serait redondant si l’interprétation large de l’alinéa 149(1)d.5) alléguée par LawPRO était admise.

[61] Il en ressort clairement que, si l’adoption de l’alinéa 149(1)d.5) de la LIR devait donner effet au principe constitutionnel interdisant la taxation intergouvernementale, ce n’est qu’une des nombreuses dispositions de la LIR qui atteint cet objectif. Pour être conforme à l’architecture de la Loi, l’alinéa 149(1)d.5) ne devrait pas recevoir l’interprétation large que nous exhorte à adopter LawPRO.

[62] J’admets que certaines des fonctions exercées par le Barreau (telles que la délivrance de permis) peuvent être exercées par les gouvernements. Je reconnais également que, dans un autre contexte, la portée de l’expression « organisme public remplissant une fonction gouvernementale au Canada » pourrait être suffisamment large pour inclure des entités telles que le Barreau. Toutefois, j’estime que, lorsque l’expression, telle qu’elle figure à l’alinéa 149(1)d.5), est lue dans son contexte législatif particulier, son sens ne vise pas les organismes professionnels d’autoréglementation, tels que le Barreau de l’Ontario.

iii) L’analyse téléologique

[63] Comme je l’expliquerai plus loin, ma conclusion quant à la bonne interprétation de l’alinéa 149(1)d.5) de la LIR est renforcée lorsque l’on tient compte de l’objet de la disposition. C’est particulièrement le cas, compte tenu des circonstances qui ont mené à la modification de l’alinéa 149(1)d.5) en 2013 par l’ajout de la phrase « organisme municipal ou public remplissant une fonction gouvernementale au Canada ».

[64] Comme l’a déclaré la Cour suprême dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27, 154 DLR (4) 193, bien que les tribunaux doivent être conscients des faiblesses associées à son utilisation, il est néanmoins approprié d’avoir recours à l’historique législatif d’une disposition de la loi comme outil pour déterminer l’intention du législateur : aux paragraphes 31 et 35.

[65] L’article 125 de la Loi constitutionnelle de 1867 n’étend pas l’immunité constitutionnelle contre la taxation intergouvernementale aux gouvernements municipaux. Toutefois, la disposition qui a précédé l’alinéa 149(1)c) de la LIR a été ajouté à la Loi en 1948, étendant l’exemption à une « municipalité ou un corps municipal ou public remplissant une fonction gouvernementale » : S.C. 1948, ch. 52, alinéa 57(1)c).

[66] Des versions antérieures de ce qui est finalement devenu l’alinéa 149(1)d.5) ont encore étendu l’exonération fiscale intergouvernementale aux entités « apparten[ant] à Sa Majesté du chef du Canada ou d’une province, ou à une municipalité canadienne ou une corporation filiale possédée en propriété exclusive par une semblable corporation, commission ou association [...] ». Les exigences en ce qui a trait au revenu, à la propriété et à la géographie ont été ajoutées avec l’adoption de l’alinéa 149(1)d.5) en 1998, étendant ainsi l’immunité contre l’impôt fédéral aux filiales de « municipalités du Canada » : Loi de 1997 modifiant l’impôt sur le revenu, L.C. 1998, ch. 19.

[67] En d’autres termes, avant les modifications de 2013, l’alinéa 149(1)d.5) de la LIR n’exonérait de l’impôt que les entités dont les actions appartenaient à « une ou plusieurs municipalités du Canada ». Aucune exemption n’était accordée aux filiales d’« organisme[s] municipa[ux] ou public[s] remplissant une fonction gouvernementale au Canada ».

[68] Cela dit, la jurisprudence prévoyait néanmoins qu’une exonération de l’impôt sur le revenu était accordée aux entités filiales appartenant à des bandes indiennes autonomes, lorsque les bandes en question fournissaient à leurs membres des services de type municipal. Il s’agissait notamment de services tels que l’éducation, les soins de santé, les services sociaux (y compris les services à l’enfance et à la famille), les services d’emploi et de formation, le counselling en matière d’alcoolisme et de toxicomanie, et le développement économique : Otineka Development Corp. c. Canada [1994] ACI no 23, 94 D.T.C. 1234, 1 C.T.C. 2424 (C.C.I.).

[69] En effet, dans la décision Otineka, la Cour de l’impôt a estimé que la bande dans cette affaire fonctionnait essentiellement selon les mêmes principes que toute autre municipalité, fournissant à ses membres vivant dans sa réserve des services sensiblement identiques à ceux qui seraient fournis par toute autre municipalité du Canada de taille comparable : au paragraphe 8.

[70] Toutefois, la Cour d’appel du Québec est arrivée à la conclusion contraire dans l’arrêt Corp. de développement Tawich c. Québec (Sous-ministre du Revenu), [2000] J.Q. n1552, 98 ACWS (3d) 1134, [2000] 3 CNLR 383. Bien que l’autorisation d’interjeter appel de cette décision devant la Cour suprême du Canada ait été accordée (270 NR 194 (note)), il semble que l’appel n’ait pas été instruit.

[71] L’arrêt Tawich concernait des dispositions législatives qui étaient similaires aux alinéas 149(1)c) et 149(1)d.5) de la LIR. En effet, l’article 984 de la Loi sur les impôts, L.R.Q., ch. I-3, prévoyait une exonération d’impôt pour les « municipalité[s] » ou les « organisme[s] public[s] exerçant des fonctions gouvernementales ». L’article 985 de la Loi sur les impôts du Québec prescrivait également une exonération d’impôt pour la société dont au moins 90 % de ses actions appartiennent à « Sa Majesté aux droits du Canada » ou à « Sa Majesté aux droits du Québec » ou à une « municipalité canadienne ».

[72] Dans l’arrêt Tawich, la Cour d’appel a estimé qu’une filiale d’une bande indienne ne pouvait bénéficier d’une exonération d’impôt au seul motif que sa bande mère était de nature similaire à une « municipalité » et possédait des pouvoirs similaires à ceux exercés par les municipalités.

[73] Pour parvenir à cette conclusion, la Cour a estimé qu’une entité ne pouvait pas obtenir le statut de « municipalité » en exerçant simplement des fonctions qui seraient normalement exercées par une municipalité. Au contraire, le statut de « municipalité » ne pouvait être conféré à une entité que par une loi ou un autre document constitutif qui l’investissait de ces fonctions. En l’absence d’un tel acte constitutif, la Cour a jugé dans l’arrêt Tawich que la bande ne pouvait être qualifiée de « municipalité » aux fins des lois fiscales québécoises, de sorte que sa filiale n’avait pas droit à l’exonération d’impôt.

[74] Il ressort clairement du contexte législatif que la modification de 2013 de l’alinéa 149(1)d.5) ayant permis le renvoi à « un organisme municipal ou public remplissant une fonction gouvernementale au Canada » a été déclenchée par le jugement rendu par la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Tawich.

[75] En effet, il est précisé dans les Notes explicatives publiées par le ministre des Finances concernant la modification de 2013 que l’alinéa 149(1)d.5) de la LIR faisait l’objet d’une modification pour résoudre l’incertitude qui avait résulté du conflit entre les décisions Otineka et Tawich : Canada, ministère des Finances, Notes explicatives concernant la Loi de l’impôt sur le revenu, la Loi sur la taxe d’accise et des textes connexes (Ottawa : octobre 2012) à la « Partie 5 : autres modifications concernant la Loi de l’impôt sur le revenu et des textes connexes ».

[76] Cet objectif se reflète également dans le fait que, si la modification de l’alinéa 149(1)d.5) de la LIR a été apportée en 2013, elle s’appliquait néanmoins aux années d’imposition commençant après le 8 mai 2000 – c’est-à-dire la date de la décision de la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Tawich.

[77] Il est en outre précisé dans les Notes explicatives qu’il était souhaitable « [d]u point de vue de la politique de l’impôt » que les entités qui avaient auparavant droit à l’exonération d’impôt de la partie I en se fondant sur la décision Otineka « continuent d’y avoir droit ». LawPRO n’est pas une de ces entités.

[78] Le libellé des Notes explicatives appuie en outre la conclusion selon laquelle l’expression « organisme municipal ou public remplissant une fonction gouvernementale au Canada » a été ajoutée à l’alinéa 149(1)d.5) de la LIR pour continuer à exonérer de l’impôt les revenus gagnés par des personnes morales appartenant à des administrations publiques locales (comme les bandes indiennes). En d’autres termes, les entités qui, bien qu’elles ne soient pas légalement des municipalités, en possèdent néanmoins les attributs et fournissent des services similaires à ceux des municipalités. Là encore, LawPRO n’est pas une de ces personnes morales.

[79] De plus, rien dans le contexte législatif relatif à l’alinéa 149(1)d.5) de la LIR n’indique que la modification de 2013 était censée être si large qu’elle créerait une toute nouvelle exonération fiscale pour les sociétés appartenant à des organismes de réglementation professionnelle, et encore moins qu’elle rendrait cette exonération rétroactive pour quelque 13 ans.

[80] LawPRO fait remarquer que l’expression « gouvernement autochtone » figure quelque huit fois dans la LIR, et fait valoir que, si tout ce que le législateur avait l’intention de faire à la suite de l’arrêt Tawich était de préciser que les filiales des administrations locales indiennes étaient exonérées d’impôt, il savait quel libellé utiliser pour atteindre cet objectif. Cependant, le législateur a choisi de ne pas étendre l’exemption de l’alinéa 149(1)d.5) aux filiales des « gouvernements autochtones » : il a plutôt choisi de suivre le libellé plus général qui figure à l’alinéa 149(1)c) de la LIR.

[81] Selon LawPRO, il s’ensuit que l’utilisation par le législateur de l’expression plus générale « organisme public remplissant une fonction gouvernementale au Canada » était intentionnelle, et qu’il n’entendait pas limiter l’exemption prévue à l’alinéa 149(1)d.5) aux gouvernements autochtones qui fournissent des services de type municipal.

[82] Je ne puis souscrire à cette affirmation.

[83] Il ressort clairement de l’inclusion de l’expression « organisme public remplissant une fonction gouvernementale » à l’alinéa 149(1)d.5) que le législateur n’avait pas l’intention de limiter strictement l’accès à l’exonération fiscale aux entités appartenant aux municipalités, ou aux gouvernements municipaux ou autochtones remplissant une fonction gouvernementale au Canada. Il ne s’ensuit pas nécessairement, cependant, que la modification visait à exempter les entités appartenant à tout type d’organisme public dont le mandat comporte une composante d’intérêt public, lorsque cette entité peut exercer une fonction qui, dans certains cas, peut être exercée par un gouvernement au Canada.

[84] La modification de 2013 apportée à l’alinéa 149(1)d.5) de la LIR reconnaît plutôt simplement qu’il peut y avoir d’autres organismes de nature locale (autres que les municipalités, les organismes municipaux et les gouvernements autochtones) qui remplissent le type de fonctions habituellement exercées par les municipalités et fournissent le type de services qui sont habituellement fournis par les municipalités.

[85] Contrairement aux municipalités et aux organismes municipaux, le Barreau de l’Ontario ne reçoit aucun financement des contribuables, mais est plutôt financé en grande partie par les cotisations payées par ses membres titulaires de permis. Ses administrateurs ne sont pas élus démocratiquement par le grand public et ne rendent pas compte au gouvernement. Le Barreau se concentre principalement sur la réglementation de la profession juridique en Ontario, et ne fournit pas le type de services qui sont généralement fournis par les municipalités ou les organismes municipaux dans une zone géographique localisée. Il n’est donc pas un « organisme public remplissant une fonction gouvernementale au Canada » aux fins de l’alinéa 149(1)d.5) de la LIR.

[86] Le fait de permettre que les revenus gagnés par LawPRO soient assujettis à l’impôt fédéral sur le revenu n’enfreint pas le principe de l’immunité fiscale accordée aux gouvernements provinciaux, aux municipalités, aux organismes municipaux et aux organismes publics qui exercent des fonctions similaires en percevant et en utilisant des fonds publics.

VII. Conclusion

[87] Pour les raisons susmentionnées, je conclus que LawPRO n’a pas droit à l’exemption prévue à l’alinéa 149(1)d.5) de la LIR.

[88] Par conséquent, je rejetterais l’appel, avec dépens.

« Anne L. Mactavish »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

David Stratas, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

J. B. Laskin, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

A-348-18

 

INTITULÉ :

LAWYERS’ PROFESSIONAL INDEMNITY COMPANY c.

SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 octobre 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MACTAVISH

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE LASKIN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 MAI 2020

 

COMPARUTIONS :

Mark Gelowitz

Hemant Tilak

Pooja Mihailovich

 

Pour l’appelante

 

Justine Malone

Kaylee Silver

 

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

Pour l’appelante

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimée

 

 

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