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Date : 20200708


Dossier : A-327-18

Référence : 2020 CAF 118

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

THOMAS HUNT

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience par vidéoconférence en ligne organisée par le greffe, le 9 juin 2020.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 juillet 2020.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LA JUGE MACTAVISH

 


Date : 20200708


Dossier : A-327-18

Référence : 2020 CAF 118

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

THOMAS HUNT

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE STRATAS

[1]  L’appelant interjette appel d’une ordonnance de la Cour canadienne de l’impôt (2018 CCI 193) prononcée le 2 octobre 2018 en application du paragraphe 58(1) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS/90-688a. Dans son ordonnance, la Cour canadienne de l’impôt a répondu à deux questions préliminaires dont elle était saisie. Le présent appel porte uniquement sur l’une des deux questions, à savoir :

L’article 207.05 de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) est-il inconstitutionnel en raison d’une délégation incorrecte de l’élément d’établissement du taux d’imposition aux termes de celui-ci au ministre du Revenu national, donc contraire à l’article 53 de la Loi constitutionnelle de 1867 (qui dispose que « Tout bill ayant pour but l’appropriation d’une portion quelconque du revenu public, ou la création de taxes ou d’impôts, devra originer dans la Chambre des Communes ».)?

Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a répondu par la négative à cette question.

[2]  Les faits donnant lieu à la présente question peuvent être décrits brièvement. Le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelant, en application de l’article 207.05 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.) ch. 1. Le ministre a déterminé que l’appelant avait obtenu un « avantage » indu en transférant ses actions d’une société privée à un compte d’épargne libre d’impôt. Le ministre a initialement proposé d’imposer l’appelant sur 100 % de la valeur de l’« avantage » conformément au paragraphe 207.05(2).

[3]  L’appelant s’est opposé à cette proposition. En réponse, le ministre a invité l’appelant à présenter des observations sur la question de savoir si le ministre devrait renoncer à une partie de l’impôt en application du paragraphe 207.06(2) de la Loi. Des pourparlers s’en sont ensuivis. Le ministre a proposé un taux inférieur. Les parties ne sont pas parvenues à une entente. Le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelant, et ce dernier a interjeté appel devant la Cour canadienne de l’impôt. Un peu plus tard, à la demande des parties, la Cour canadienne de l’impôt a énoncé les questions préliminaires à trancher.

[4]  Devant la Cour canadienne de l’impôt, l’appelant a soutenu qu’il n’était pas assujetti à l’impôt en raison de l’inconstitutionnalité des dispositions législatives. Il a fait valoir que l’article 53 exige que l’impôt soit établi par le législateur, et non le ministre. Il a invoqué les arrêts phares suivants de la Cour suprême : Succession Eurig (Re), [1998] 2 RCS 565, 165 D.L.R. (4th) 1; Première nation de Westbank c. British Columbia Hydro and Power Authority, [1999] 3 RCS 134, 176 D.L.R. (4th) 276; Ontario English Catholic Teachers’ Assn. c. Ontario (Procureur général), 2001 CSC 15, [2001] 1 RCS 470; 620 Connaught Ltd. c. Canada (Procureur général), 2008 CSC 7, [2008] 1 RCS 131; Confédération des syndicats nationaux c. Canada (Procureur général), 2008 CSC 68, [2008] 3 RCS 511. Selon l’appelant, aux termes des articles 207.05 et 207.06, c’est le ministre qui établit le taux d’imposition, et non le législateur, ce qui contrevient à l’article 53 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[5]  La Cour canadienne de l’impôt a rejeté les arguments de l’appelant et a répondu à la question par la négative, en concluant qu’il n’y a pas eu violation de l’article 53 de la Loi constitutionnelle de 1867. Ce faisant, la Cour canadienne de l’impôt a exercé le pouvoir discrétionnaire qu’elle croyait avoir, soit celui d’aller au-delà de la question et d’examiner non seulement l’article 207.05, le seul article mentionné dans la question, mais également l’article 207.06 : voir les motifs de la Cour canadienne de l’impôt, aux paragraphes 42 à 71.

[6]  L’appelant fait maintenant appel à la Cour. Je rejetterais l’appel.

[7]  La question, telle qu’elle a été formulée, est uniquement de savoir si l’article 207.05 contrevient à l’article 53 de la Loi constitutionnelle de 1867, et est inconstitutionnel. Dans cette question, on ne demande pas si l’article 207.06 est inconstitutionnel ou si l’effet combiné des articles 207.05 et 207.06 est inconstitutionnel.

[8]  Tel qu’elle a été formulée, il faut répondre par la négative à cette question. À l’article 207.05, le législateur a établi les responsabilités du contribuable à l’égard de l’impôt, les contribuables qui y sont assujettis, les conditions en vertu desquelles un contribuable y est assujetti et les critères permettant de déterminer le montant d’impôt. L’article 207.05 ne délègue rien au ministre. L’objection constitutionnelle n’est pas recevable.

[9]  Aux fins de la discussion, je présumerai, tout comme l’a fait la Cour canadienne de l’impôt, que nous pouvons exercer notre pouvoir discrétionnaire au-delà des limites de la question formulée, et trancher la question plus générale, à savoir si les articles 207.05 et 207.06, pris séparément ou dans leur effet combiné, constituent une délégation non valide des pouvoirs de taxation au ministre. Mais devrions-nous? Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que nous ne devrions pas.

[10]  La réponse à la question plus générale, à savoir si les articles 207.05 et 207.06, pris séparément ou dans leur effet combiné, constituent une délégation non valide des pouvoirs de taxation au ministre, dépend de la réponse à certaines questions accessoires précises. À première vue, j’irais jusqu’à dire que deux ensembles de questions doivent être examinés.

  • Pris individuellement ou ensemble, aux termes de ces articles, quels sont les pouvoirs précis du ministre? En quoi consiste exactement son pouvoir discrétionnaire?

  • Existe-t-il des critères discernables et définitifs, explicites ou implicites régissant le pouvoir discrétionnaire du ministre aux termes de ces articles? Ou encore, ces critères rendent-ils ce pouvoir discrétionnaire si indéfini et illimité – laissant une large place à l’arbitraire – que le ministre, et non le législateur, fixe réellement le taux d’imposition ou établit un impôt?

Pour le libellé exact de ces questions accessoires et pour déterminer si d’autres questions sont pertinentes, il faudra attendre l’argumentation complète dans un litige ultérieur.

[11]  Pour répondre à ces questions, nous devons interpréter la loi au moyen de la méthode acceptée. Cette méthode prévoit que nous examinions le texte, le contexte et l’objet de la disposition législative : voir, par exemple, les arrêts Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 RCS 601, au paragraphe 10; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27, 154 D.L.R. (4th) 193 et Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 RCS 559; voir également l’arrêt Entertainment Software Assoc. v. Society Composers, 2020 FCA 100, au paragraphe 39, ainsi que la jurisprudence qui y est citée concernant la façon dont la cette analyse devrait être effectuée. Pour une analyse récente et éclairante en la matière effectuée par la Cour suprême, voir les arrêts suivants : TELUS Communications Inc. c. Wellman, 2019 CSC 19, [2019] 2 RCS 144, ainsi que R. c. Rafilovich, 2019 CSC 51, 442 D.L.R. (4th) 539.

[12]  Imaginons une disposition qui, dans son texte littéral, semble accorder au ministre un large pouvoir discrétionnaire quasi illimité d’établir un impôt. L’analyse ne s’arrête cependant pas ici. La Cour doit pousser l’analyse plus loin et examiner le contexte et l’objet de la disposition : ATCO Gas & Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy & Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 RCS 140, au paragraphe 48; Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc., 2005 CSC 62, [2005] 3 RCS 141, au paragraphe 10; voir également les arrêts CIBC World Markets Inc. c. Canada, 2019 CAF 147, au paragraphe 27 et Hillier c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 44, 431 D.L.R. (4th) 556, au paragraphe 24. Cet examen plus approfondi peut éclairer le sens des mots et révéler des ambiguïtés latentes devant être résolues.

[13]  Dans certains cas, après un examen exhaustif du libellé en fonction de son contexte et de son objet, la Cour pourrait conclure que la disposition législative, dans son sens véritable, restreint de manière satisfaisante le pouvoir discrétionnaire du ministre, et définit ce qu’il peut faire et la façon dont il doit le faire. Le ministre ne créerait ni n’établirait un impôt ou un taux d’imposition de son propre chef. Il ne ferait pas la loi.

[14]  Toutefois, dans d’autres litiges, la Cour pourrait conclure que la disposition du législateur, dans son sens véritable, accorde au ministre un pouvoir discrétionnaire indéfini et illimité, guidé par aucune norme précise. Le ministre, et non le législateur, créerait et établirait un impôt ou un taux d’imposition de son propre chef. Il ferait la loi.

[15]  Dans un tel scénario, toute mesure adoptée par l’Agence du revenu du Canada visant à guider l’exercice du vaste pouvoir discrétionnaire indûment accordé au ministre par le législateur, comme les politiques, les pratiques ou les bulletins d’interprétation, serait inutile. Une telle mesure ne réglerait pas le problème fatal, soit la délégation excessive du pouvoir de taxation au départ, qui est contraire à l’article 53 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[16]  Les mémoires des faits et du droit des parties n’ont pas abordé ou approfondi ces questions de façon suffisamment détaillée. La même observation vaut pour la Cour canadienne de l’impôt : motifs de la Cour canadienne de l’impôt, au paragraphe 34.

[17]  Pendant l’audience, la Cour a à maintes reprises demandé aux parties si, sur le plan de l’interprétation législative, l’article 207.06 confère au ministre un pouvoir discrétionnaire indéfini ou lui impose des contraintes et, le cas échéant, dans quelle mesure et de quelle façon. Les parties n’ont pas été en mesure de fournir des réponses précises ou suffisamment approfondies pour aider la Cour de façon satisfaisante.

[18]  Le fait de trancher cette question pourrait avoir un effet important à titre de précédent : elle pourrait avoir des répercussions sur d’autres dispositions. De même, lorsque le fondement à l’appui d’une décision portant sur une question constitutionnelle est absent ou erroné et que nous n’avons pas à trancher la question, nous ne devrions pas le faire : Mackay c. Manitoba, [1989] 2 RCS 357, 61 D.L.R. (4th) 385. C’est le cas en l’espèce : nous ne disposons pas d’observations adéquates et de motifs détaillés de la Cour canadienne de l’impôt.

[19]  Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a correctement répondu par la négative à la question qui a été posée. Nous ne devrions pas poursuivre l’analyse. La question plus générale devrait être examinée à une autre occasion.

[20]  Par conséquent, je rejetterais l’appel avec dépens.

« David Stratas »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Wyman W. Webb, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Anne L. Mactavish, j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-327-18

APPEL D’UNE ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE PIZZITELLI DATÉE DU 25 SEPTEMBRE 2018, DOSSIER NO 2016-1689(IT)G

INTITULÉ :

THOMAS HUNT c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 JUIN 2020

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE STRATAS

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 JUILLET 2020

 

COMPARUTIONS :

David R. Davies

Alexander Demner

Jennifer Flood

 

POUR L’APPELANT

 

David Everett

Lisa Macdonell

Shannon Fenrich

 

POUR L’INTIMÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Thorsteinssons LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR L’APPELANT

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 

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