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Date : 20200706


Dossier : A-149-20

Référence : 2020 CAF 116

[TRADUCTION FRANÇAISE]

En présence de madame la juge Rivoalen

ENTRE :

ARCTIC CAT, INC. et ARCTIC CAT SALES, INC.

appelantes

et

BOMBARDIER RECREATIONAL PRODUCTS INC.

intimée

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Motifs publics de l’ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 6 juillet 2020.

MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT :

LA JUGE RIVOALEN

 


Date : 20200706


Dossier : A-149-20

Référence : 2020 CAF 116

En présence de madame la juge Rivoalen

ENTRE :

ARCTIC CAT, INC. ET ARCTIC CAT SALES, INC.

appelantes

et

BOMBARDIER RECREATIONAL PRODUCTS INC.

intimée

MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT

LA JUGE RIVOALEN

I.  Introduction

[1]  Arctic Cat, Inc. et Arctic Cat Sales Inc. (les appelantes) sollicitent par voie de requête le sursis à l’exécution du jugement rendu par la Cour fédérale le 15 juin 2020 (sous la plume du juge Roy) (2020 CF 691) jusqu’à la décision de notre Cour dans l’appel.

[2]  La Cour fédérale a conclu que les appelantes avaient contrefait le brevet canadien no 2 350 264 (le brevet 264) détenu par Bombardier Recreations Products Inc. (l’intimée). La Cour fédérale a prononcé une injonction permanente interdisant aux appelantes et à leurs dirigeants, administrateurs, employés, préposés, agents, distributeurs et concessionnaires informés de l’injonction et à toute entité sous leur autorité de contrefaire le brevet 264. Il est interdit à ces derniers de vendre ou d’offrir en vente, de fabriquer, d’utiliser ou de distribuer au Canada toute motoneige ou composante de motoneige revendiquée dans le brevet 264. Enfin, l’injonction leur interdit d’inciter ou de faciliter la vente, l’offre de vente, la fabrication, la construction, l’utilisation ou la distribution au Canada de toute motoneige ou composante de motoneige revendiquée dans le brevet en question. Cette injonction entre en vigueur le 6 juillet 2020.

[3]  La Cour fédérale a condamné les appelantes à des dommages-intérêts pour contrefaçon qu’elle a établis à 2 826 090 $. Elle a également adjugé à l’intimée les intérêts avant et après jugement sur les dommages-intérêts ainsi que les dépens.

[4]  Les appelantes demandent à la Cour de surseoir à l’exécution de l’injonction et du jugement sur les dommages-intérêts, les intérêts et les dépens jusqu’à ce qu’elle tranche l’appel. Invoquant l’alinéa 50(1)b) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, elles affirment que le sursis sert l’intérêt de la justice et invitent la Cour à rendre une ordonnance de cautionnement pour dépens ainsi qu’à imposer des conditions qui assureront l’exécution de l’ordonnance, en application du paragraphe 398(2) des Règles des Cours fédérales, D.O.R.S./98-106.

[5]  Précisons, en guise de contexte, que le litige en matière de brevet concerne le secteur canadien de la motoneige. Le brevet 264 que détient l’intimée porte sur le cadre de la motoneige. Le brevet expire en juin 2021.

[6]  Au Canada, quatre principales marques de motoneiges sont vendues, à savoir celles fabriquées par les appelantes, l’intimée, Polaris et Yamaha. Outre leurs produits Arctic Cat, les appelantes fabriquent également la plupart des motoneiges vendues par Yamaha dans le marché canadien.

[7]  Les appelantes vendent leurs motoneiges au Canada par le truchement d’un réseau d’environ ||| concessionnaires autorisés, situés aux quatre coins du pays. Au cours des vingt-cinq dernières années, les appelantes ont investi temps et argent dans le développement de leur réseau au Canada. Selon elles, il s’agit de l’une des principales causes de leur succès dans le marché canadien. Chaque concessionnaire autorisé est indépendant et aucun membre du réseau n’a de lien avec elles. Environ  |  des concessionnaires sont des concessionnaires « exclusifs », c’est-à-dire qu’ils ne vendent que les motoneiges fabriquées par les appelantes.

[8]  Selon les auteurs des affidavits produits par les appelantes, la vente de motoneiges au Canada constitue une part importante des activités globales des appelantes. En ce qui a trait au modèle de l’année 2021 (MA2021), la vente des produits a débuté en novembre 2019. Les clients ont passé leurs commandes et payé un acompte pour livraison ultérieure. La production des motoneiges commandées a été suspendue en raison de la pandémie de COVID-19, mais elle devrait reprendre plus tard cet été. Vu les circonstances extraordinaires, les appelantes comptent offrir aux clients canadiens, en août 2020, une deuxième chance d’acheter une motoneige MA2021.

[9]  Les matériaux nécessaires à la fabrication des motoneiges MA2021 déjà commandées ont été achetés et attendent dans les entrepôts des appelantes aux États-Unis. Aux dires des appelantes, il leur est impossible de redessiner leurs motoneiges MA2021 de sorte qu’elles ne comportent plus le cadre protégé par le brevet 264 et de fabriquer les produits ainsi redessinés à temps pour acquitter les commandes actuelles et futures de motoneiges MA2021.

II.  Analyse

[10]  Pour obtenir un sursis au jugement de la Cour fédérale, les appelantes doivent respecter le critère à trois volets énoncé dans l’arrêt RJR –MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, 1994 CanLII 117, à la page 334 [RJR­MacDonald]. Elles doivent démontrer qu’il existe une question sérieuse à juger, qu’elles subiraient un préjudice irréparable si leur requête était rejetée et que la prépondérance des inconvénients milite en faveur du sursis. Il faut que ces trois questions reçoivent une réponse affirmative; une seule réponse négative est fatale à la requête. La norme de preuve est celle de la prépondérance des probabilités, et le fardeau de la preuve incombe aux appelantes à chacune des étapes (Novopharm Limited c. Janssen-Ortho Inc., 2006 CAF 406, par. 8 et 11).

[11]  Selon l’intimée, la Cour doit répondre à une seule véritable question : devrait-elle surseoir à l’exécution de l’injonction ordonnée par la Cour fédérale pour empêcher la contrefaçon? Elle affirme qu’Arctic Cat n’a pas démontré que les conditions pécuniaires de l’ordonnance lui causeraient un préjudice irréparable et ne traite pas de la prépondérance des inconvénients.

A.  Existence d’une question sérieuse à juger

[12]  En règle générale, lorsqu’elle étudie une requête en suspension, la Cour mène un examen préliminaire sur le fond. Les exigences minimales quant à l’existence d’une question sérieuse « ne sont pas élevées » et doivent être l’objet d’une interprétation libérale. La partie requérante n’a qu’à démontrer que sa requête « n’est ni futile ni vexatoire » (RJR­MacDonald, p. 337).

[13]  Selon l’intimée, une exception cruciale à la règle générale s’applique en l’espèce. Elle affirme que la Cour ne doit pas mener un examen préliminaire des motifs d’appel des appelantes, mais doit au contraire examiner [traduction] « sérieusement » leur chance de succès. Il en est ainsi, car le sort de la requête en suspension déterminera en fin de compte celui de l’injonction visant à empêcher la contrefaçon, et ce pour de bon. L’été et l’automne 2020 constituent la période décisive pour le secteur de la motoneige, et le brevet expire avant cette même époque en 2021. Selon l’intimée, pour que l’injonction permanente ait quelque effet pratique que ce soit, il faut qu’elle soit ordonnée sans tarder, sinon elle sera totalement inutile (Fox c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 346, par. 20 à 24; May c. CBC/Radio-Canada, 2011 CAF 130, par. 21 et 23).

[14]  En l’espèce, l’avis d’appel énumère les motifs qui fondent l’appel devant notre Cour. Selon les appelantes, la Cour fédérale a fait erreur dans son évaluation et ses conclusions quant à l’antériorité et à l’évidence, dans ses conclusions quant au taux raisonnable de redevances à appliquer dans le calcul des dommages-intérêts pour contrefaçon et dans sa décision d’imposer une injonction permanente.

[15]  L’intimée soutient que l’appel est voué à l’échec au fond. Ses prétentions à cet égard sont détaillées. Elle souligne également le fait que le sort de la requête en suspension déterminera en fin de compte si l’intimée obtiendra ou non l’injonction qu’elle a sollicitée.

[16]  Malgré les excellentes observations écrites présentées par l’intimée, je ne suis pas convaincue que l’appel est voué à l’échec au fond. Je suis d’avis que les motifs d’appel ne sont ni futiles ni vexatoires, et il est trop tôt pour dire que l’appel est ridiculement précaire ou qu’il s’agit d’une cause perdue (Janssen Inc. c. Abbvie Corporation, 2014 CAF 112, par. 23).

[17]  J’estime que les appelantes ont satisfait au premier volet du critère.

B.  Préjudice irréparable

[18]  Abordons le deuxième volet du critère énoncé dans l’arrêt RJR­-MacDonald. La Cour suprême, à la page 341, affirme que le terme « irréparable » renvoie à la nature du préjudice subi plutôt qu’à son étendue. Il s’agit d’un préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue pécuniaire ou auquel il ne peut être remédié, en général parce qu’une partie ne peut être dédommagée par l’autre.

[19]  Pour démontrer le préjudice irréparable, les appelantes doivent produire une preuve claire qui ne repose pas sur des conjectures selon laquelle le rejet de la requête en suspension de l’instance emportera un préjudice irréparable. Il ne saurait être fondé sur de simples affirmations (United States Steel Corporation c. Canada, 2010 CAF 200, par. 7).

[20]  Au contraire, il doit y avoir « des éléments de preuve suffisamment probants, dont il ressort une forte probabilité que, faute de sursis, un préjudice irréparable sera inévitablement causé » (Glooscap Heritage Society c. Canada (Revenu national), 2012 CAF 255, par. 31 [Glooscap]; voir également Dywidag Systems International, Canada, Ltd. c. Garford Pty Ltd., 2010 CAF 232, au par. 14; Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l’information), 2001 CAF 25, au par. 12; Laperrière c. D. & A. MacLeod Company Ltd., 2010 CAF 84, au par. 17; Janssen Inc. c. Abbvie Corporation, 2014 CAF 176, au par. 46).

[21]  À l’appui de leur requête, les appelantes font valoir les affidavits souscrits par trois de leurs dirigeants, à savoir le vice-président américain chargé des motoneiges et des véhicules tout-terrain pour les États-Unis et le reste du monde, le directeur canadien régional des ventes et le directeur américain de la stratégie de production (anciennement le directeur du groupe de conception des motoneiges). Les documents portent sur la nature des produits des appelantes, des activités et du secteur, ainsi que les divers préjudices qui seront causés à ces dernières s’il n’est pas sursis à l’injonction avant l’issue de l’appel.

[22]  Aucun des concessionnaires des appelantes n’a souscrit d’affidavit.

[23]  Les appelantes avancent cinq arguments pour démontrer que le défaut de surseoir à l’exécution de l’injonction avant l’issue de l’appel leur causera un préjudice immédiat et de longue durée.

[24]  Premièrement, elles affirment que leur position dans le marché très concurrentiel canadien subira un préjudice irréparable si elles en sont mises à l’écart pour le reste de l’année 2020. Elles seront contraintes de réduire leur effectif de vente au Canada et de consacrer des ressources à la recherche d’une solution évitant la contrefaçon pour le modèle de l’année 2022 (MA2022).

[25]  Deuxièmement, elles invoquent le préjudice permanent à leur réseau de concessionnaires au Canada et à leurs rapports avec ces derniers et les clients au Canada. Il se peut que des concessionnaires canadiens indépendants qui vendent leurs produits au Canada doivent cesser leurs activités, causant des pertes et une réduction du réseau de concessionnaires des appelantes dont ces dernières ne se remettraient pas avant de nombreuses années ou dont elles ne se remettraient jamais.

[26]  Troisièmement, selon les appelantes, |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||. |||||||||||||||||||||||||||||||| découlant de la pandémie mondiale de COVID-19, il serait manifestement judicieux d’éviter ||||||||||||||||||||||||||||||. Indubitablement, l’intérêt public l’exige.

[27]  Quatrièmement, elles font valoir le préjudice sérieux à leur réputation découlant du dommage causé à leur réseau de concessionnaires, aux concessionnaires qui offrent leurs produits en vente et à leur position concurrentielle.

[28]  Enfin, selon les appelantes, les concessionnaires indépendants canadiens qui vendent leurs produits, à savoir ceux qui n’appartiennent pas aux appelantes ou ne sont pas exploités ou autrement dirigés par elles, et qui n’ont pas participé à la contrefaçon ou n’étaient pas autrement au courant de l’action en contrefaçon intentée par l’intimée, subiront un préjudice irréparable à leurs activités au Canada. Il se peut que ces concessionnaires soient contraints de cesser leurs activités et de mettre à pied des employés canadiens, vu la portée excessivement large de l’injonction. Même si les concessionnaires exclusifs tentaient de remplacer les produits des appelantes par une autre marque, il est possible qu’ils en soient empêchés par les restrictions géographiques et les ententes d’exclusivité territoriales que d’autres concessionnaires sont susceptibles d’avoir conclues avec des marques concurrentes.

[29]  Outre la preuve présentée par leurs haut-dirigeants, les appelantes soulignent également les actes de l’intimée à l’appui de leur argument quant au préjudice irréparable. Après le jugement de la Cour fédérale, rendu le 15 juin 2020, l’intimée a écrit aux concessionnaires pour leur demander [traduction] « de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer le respect de l’injonction et, compte tenu des conséquences graves du non-respect, nous vous recommandons d’obtenir des conseils juridiques indépendants à propos de la vente [. . .] de motoneiges Arctic Cat visées par l’injonction ». Selon les appelantes, quelques heures après avoir reçu cette communication, de nombreux concessionnaires se sont enquis auprès d’elles de l’incidence de l’injonction sur leurs activités.

[30]  Examinons globalement ces arguments.

[31]  En ce qui concerne l’incidence de l’injonction sur les concessionnaires indépendants, je ne suis pas convaincue par le dossier de preuve qui m’a été présenté qu’à défaut de motoneiges contrefaisantes à vendre, les concessionnaires seront contraints de mettre des employés à pied et de fermer boutique. Je ne dispose d’aucune preuve directe en ce sens de la part des concessionnaires, et la preuve produite par les appelantes constitue du ouï-dire et des conjectures. Les transcriptions des contre-interrogatoires portant sur les affidavits font partie du dossier de requête de l’intimée. Les contre-interrogatoires révèlent que les préjudices non courants que les appelantes ont tenté de démontrer étaient fondés sur des conjectures ou des exagérations. Par exemple, les concessionnaires dits « exclusifs » vendent également d’autres produits, comme des véhicules tout-terrain et des véhicules côte à côte, qui peuvent être utilisés l’hiver. En outre, ils vendent des accessoires et fournissent des services de réparation sous garantie et d’autres services à leurs clients. Leurs activités ne se limitent pas à la vente de motoneiges.

[32]  Plus important encore, quel que soit le préjudice que subiront les concessionnaires personnellement, les appelantes ne sauraient l’invoquer pour démontrer le préjudice irréparable. Seuls les préjudices subis par les appelantes mêmes peuvent être examinés au deuxième volet du critère de l’arrêt RJR­MacDonald. Notre Cour a rejeté les arguments fondés sur le préjudice causé aux tiers, à l’exception des organismes de bienfaisance (Glooscap, par. 29 à 30 et 33 à 34; Droits des voyageurs c. Canada (Office des transports), 2020 CAF 92, par. 30; Chinese Business Chamber of Canada c. Canada, 2006 CAF 178, par. 6 à 7).

[33]  En outre, je suis d’avis que le préjudice irréparable invoqué par les appelantes est principalement attribuable à ces dernières et aurait pu être évité. Près de deux ans se sont écoulés depuis que notre Cour a confirmé la contrefaçon du brevet 264 (2018 CAF 172). Selon notre Cour, le principal expert des appelantes n’était pas crédible. Dans les circonstances, les appelantes auraient dû prévoir une solution de rechange au cas où elles n’obtiendraient pas le renvoi. En décidant de n’en rien faire, elles ont pris un risque calculé et ont misé sur la possibilité que leur contestation de la validité du brevet 264 constituait un bon moyen de défense à l’action en contrefaçon (Janssen, par. 24). La Cour fédérale a également conclu que le préjudice que causerait aux appelantes l’imposition d’une injonction permanente était limité et leur était principalement attribuable (motifs de jugement, par. 186).

[34]  De plus, je ne suis pas convaincue par la preuve que, parce qu’il est impossible aux appelantes de modifier leur chaîne de production et de redessiner les motoneiges de manière à respecter les conditions du jugement à temps pour MA2021, elles seront tenues à l’écart du marché canadien et ne pourront y vendre la plupart de leurs motoneiges pour MA2021. Les appelantes fabriquent des motoneiges qui ne contrefont pas le brevet 264. Elles fabriquent également des motoneiges pour Yamaha. Ces produits ne sont pas touchés par l’injonction.

[35]  Il faut souligner que l’injonction ne touche qu’une seule année et le modèle de motoneiges de cette même année car le brevet 264 expire le 12 juin 2021. La période d’expédition été-automne 2021 suit l’expiration du brevet; les motoneiges MA2022 pourront alors être livrées sans problème au Canada. Les stocks actuels de motoneiges contrefaisantes des appelantes ne sont pas perdus pour toujours. En effet, il est loisible aux appelantes de fabriquer et d’entreposer les motoneiges contrefaisantes aux États-Unis et de les expédier au Canada dès le lendemain de l’expiration du brevet 264.

[36]  La preuve produite par les appelantes ne m’a pas convaincue que ces dernières subiront un préjudice irréparable s’il n’est pas sursis à l’injonction. Vu le dossier, je ne suis pas convaincue que leur part du marché en souffrira ou que leur réputation à long terme comme fournisseur fiable de motoneiges en sera irrémédiablement ternie.

[37]  La conclusion qui précède suffit à clore l’analyse mais, néanmoins, je me permets quelques remarques à l’égard du troisième volet du critère.

C.  Prépondérance des inconvénients

[38]  Si les deux premières questions qu’énonce le critère de l’arrêt RJR­MacDonald reçoivent une réponse affirmative, la prépondérance des inconvénients doit militer en faveur des appelantes pour que la Cour accorde le sursis.

[39]  Même si les appelantes avaient réussi à démontrer le préjudice irréparable, à mon avis, en l’espèce, la prépondérance des inconvénients milite sans contredit en faveur de l’intimée.

[40]  Selon la Cour fédérale, l’intimée subira un préjudice irréparable, et sa part du marché souffrira, à moins que l’injonction soit ordonnée (motifs du jugement, par. 189). Autrement dit, la Cour fédérale a conclu que, grâce à l’injonction interdisant aux appelantes de contrefaire le brevet 264, l’intimée serait en mesure d’agrandir sa part du marché en privant les appelantes des ventes de produits contrefaisants.

[41]  Selon l’intimée, l’injonction permanente n’a d’effet que si elle vise l’été et l’automne 2020, car il s’agit de la période commerciale cruciale pour le secteur nord-américain de la motoneige. Les motoneiges MA2021 sont expédiées au Canada à la fin de 2020. Les motoneiges MA2022 seront expédiées au Canada à l’automne 2021. La période cruciale va de septembre à novembre 2020, car le brevet 264 expirera avant la période d’expédition de 2021. Donc, si l’intimée n’obtient pas l’injonction à présent, c’est comme si elle n’avait pas obtenu d’injonction du tout. Je suis d’accord.

[42]  S’il est sursis à l’injonction avant l’issue de l’appel, j’estime que l’intimée ne tirera aucun avantage de son brevet. Elle n’aura pas joui de l’exclusivité que lui garantit le brevet – la définition même du marché qui sous-tend les brevets – et ce, de la date du sursis jusqu’à l’expiration du brevet. C’est comme si elle n’était pas titulaire du brevet du tout.

[43]  Je suis également convaincue par les arguments de l’intimée selon lesquels elle a intenté son action dès qu’elle a pris connaissance de la contrefaçon par les appelantes. L’intimée a déposé contre les appelantes sa déclaration pour contrefaçon en décembre 2011, et le procès a été entrepris en février 2015. Il a fallu attendre le 15 juin 2020 pour la confirmation de la validité du brevet 264. Il ne reste que onze mois à l’intimée pour bénéficier des droits à l’exclusivité que le brevet lui assure. Il serait injuste de l’en priver.

III.  Conclusion

[44]  Les appelantes n’ont pas démontré qu’elles subiront un préjudice irréparable si elles sont contraintes d’acquitter les dommages-intérêts pécuniaires auxquels la Cour fédérale les a condamnées.

[45]  La preuve à l’appui de leur requête en suspension de l’injonction ne satisfait pas au critère à trois volets énoncé dans l’arrêt RJR­MacDonald.

[46]  Pour les motifs qui précèdent, la requête en suspension du jugement de la Cour fédérale rendu le 15 juin 2020 (2020 CF 691) est rejetée, avec dépens.

« Marianne Rivoalen »

j.c.a.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-149-20

INTITULÉ :

ARTIC CAT, INC. ET ARTIC CAT SALES, INC. c. BOMBARDIER RECREATIONAL PRODUCTS INC.

 

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

DATE :

le 6 juillet 2020

 

COMPARUTIONS

Ronald E. Dimock

James Green

Harvey Lim

 

pour les appelantes

ARTIC CAT, INC. et ARTIC CAT SALES, INC.

 

Marek Nitoslawski

David Turgeon

Joanie Lapalme

Michael Shortt

 

pour l’intimée

BOMBARDIER RECREATIONAL PRODUCTS INC.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

GOWLING wlg

Toronto (Ontario)

 

pour les appelantes

ARTIC CAT, INC. ET ARTIC CAT SALES, INC.

 

Fasken Martineau DuMoulin s.r.l.

Montréal (Québec)

 

For The Respondent

BOMBARDIER RECREATIONAL PRODUCTS INC.

 

 

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