Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20200728


Dossier : A-235-19

Référence : 2020 CAF 126

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

appelant

et

FATIH SOLMAZ

intimé

et

L'ASSOCIATION QUÉBÉCOISE DES AVOCATS ET AVOCATES EN DROIT DE L'IMMIGRATION

intervenante

Audience tenue par vidéoconférence en ligne organisée par le greffe, le 16 juin 2020.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 28 juillet 2020.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LEBLANC

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 


Date : 20200728


Dossier : A-235-19

Référence : 2020 CAF 126

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

appelant

et

FATIH SOLMAZ

intimé

et

L'ASSOCIATION QUÉBÉCOISE DES AVOCATS ET AVOCATES EN DROIT DE L'IMMIGRATION

intervenante

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LEBLANC

[1]  Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (l’appelant ou le Ministre) en appelle d’un jugement de la Cour fédérale (le juge Richard Bell), rendu le 24 mai 2019 (Solmaz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 736 (Jugement de la Cour fédérale)). Aux termes de ce jugement, le juge Bell accueillait la demande de contrôle judiciaire logée par l’intimé à l’encontre d’une décision de la Section d’appel de l’immigration (SAI), prise en vertu de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi). Cette décision refusait à l’intimé la prise de mesures spéciales, sur la base de motifs d’ordre humanitaire, à l’encontre d’une mesure de renvoi émise contre lui en février 2013 par la Section de l’immigration (SI).

[2]  Tel que le permet l’alinéa 74d) de la Loi, la Cour fédérale a certifié, aux fins d’appel, les deux questions suivantes :

1.  Est-ce que la SAI peut prendre en considération les faits qui sous-tendent des allégations criminelles pour lesquelles l’individu interdit de territoire n’a pas été condamné, lorsqu’elle exerce sa discrétion en vertu de l’alinéa 67(1)c) et paragraphe 68(1) de la [Loi]?

2.  Est-ce que la SAI peut prendre en considération les faits qui démontrent que l’appelant est membre d’une organisation criminelle comme prévu par l’alinéa 37(1)a) de la [Loi] lorsqu’elle exerce sa discrétion en vertu de l’alinéa 67(1)c) et paragraphe 68(1) de la LIPR, si le seul rapport et référence en vertu de l’article 44 de la [Loi] à l’égard de la personne interdite de territoire, se base uniquement sur la grande criminalité en application de l’alinéa 36(1)a) de la [Loi]?

[3]  L’intimé, un citoyen turc ayant le statut de résident permanent au Canada depuis une quinzaine d’années, est présentement interdit de territoire pour grande criminalité, en vertu de l’alinéa 36(1)a) de la Loi, après avoir été reconnu coupable de possession de cocaïne en vue d’en faire le trafic, une infraction punissable d’une peine d’emprisonnement à perpétuité aux termes de l’alinéa 5(3)a) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19. Il fait l’objet, pour cette raison, d’une mesure d’expulsion.

[4]  La présente affaire met en cause l’utilisation qu’a faite la SAI, dans l’exercice de la discrétion que lui confèrent l’alinéa 67(1)c) et le paragraphe 68(1) de la Loi, d’éléments de preuve qui sous-tendent des accusations qui ont soit été portées contre l’intimé puis retirées, soit simplement envisagées, ou qui pouvaient tendre à démontrer que l’intimé avait été, en sol canadien, un membre, et même l’âme dirigeante, d’une organisation criminelle.

[5]  La Cour fédérale a jugé nécessaire de certifier la première question en raison, selon elle, « de la divergence entre la jurisprudence de la [C]our fédérale et de la Cour d’appel fédérale » sur l’utilisation de faits qui sous-tendent des allégations criminelles pour lesquelles la personne interdite de territoire n’a ultimement fait l’objet d’aucune condamnation (Jugement de la Cour fédérale, DA, vol. 1, p. 21, au para. 34). Cette question mérite qu’on s’y attarde.

[6]  Toutefois, ce n’est pas le cas de la deuxième question certifiée que tant l’appelant que l’intimé exhortent cette Cour à ne pas considérer au motif qu’elle n’a pas été plaidée devant la Cour fédérale, que ce soit par écrit ou oralement, qu’elle n’a fait l’objet d’aucune demande de certification et qu’elle n’a non plus aucun lien avec les conclusions tirées par la SAI.

[7]  Cette question, qui, suivant son libellé, met en cause le pouvoir de la SAI d’examiner les faits liant l’intimé à une organisation criminelle en l’absence d’un rapport d’interdiction de territoire à cet effet, découle en fait du constat du juge Bell suivant lequel la SAI a, selon lui, en s’attardant aux allégations d’appartenance de l’intimé à une telle organisation, tenté de créer, en quelque sorte, un nouveau motif d’interdiction de territoire – celui prévu à l’alinéa 37(1)a) de la Loi - alors qu’aucun rapport fondé sur de telles allégations n’avait été préalablement produit par le Ministre. 

[8]  Il est bien établi par la jurisprudence de cette Cour qu’une question ne peut être certifiée que si elle est déterminante quant à l’issue de l’appel et qu’elle transcende les intérêts des parties au litige, de telle sorte qu’on peut en dire qu’elle est de portée générale (Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, [2014] 4 R.C.F. 290, au para. 9). De plus, pour satisfaire au test de la certification, la question proposée doit avoir été soulevée devant la Cour fédérale, qui doit l’avoir examinée dans sa décision. En d’autres termes, elle doit découler de l’affaire et non pas des seuls motifs de la cour de première instance; en ce sens, la certification ne doit pas servir de renvoi devant notre Cour (Canada (Citizenship and Immigration) v. Liyanagamage, (1994), 176 N.R. 4, au para. 4, [1994] A.C.F. no 1637 (QL) (C.A.F.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Zazai, 2004 CAF 89, au para. 12; Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145, [2010] 1 R.C.F. 129, au para. 29; Lai c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CAF 21, au para. 4).

[9]  Or, en l’espèce, il ne fait pas de doute que le juge Bell a traité de la question qui fait l’objet de sa seconde question certifiée. Toutefois, selon les indications des parties et tel que le révèlent les mémoires produits par elles devant la Cour fédérale, cette question ne faisait pas partie des questions en litige qui étaient devant cette dernière, de telle sorte que les parties n’ont pas eu l’occasion d’en traiter, que ce soit, tel qu’indiqué, dans leur mémoire déposé devant la Cour fédérale ou oralement, à l’audience. Elles rappellent aussi que la SAI n’a pas traité l’appel dont elle était saisie sous l’angle mis en relief par les préoccupations sous-jacentes à cette seconde question certifiée. En fait, comme le mentionne l’appelant dans son avis d’appel, la décision de la SAI ne comporte aucune conclusion voulant que l’intimé soit aussi interdit de territoire aux termes de l’alinéa 37(1)a) de la Loi (Dossier d’appel (DA), vol. 1, p. 2).

[10]  Il me paraît manifeste que la seconde question certifiée découle uniquement des motifs de la décision de la Cour fédérale, et non des faits de l’affaire, et qu’elle se présente, dans ce contexte, comme une demande de renvoi devant cette Cour. Comme on l’a vu, cela ne satisfait pas aux critères de certification envisagés par le paragraphe 74d) de la Loi, tel qu’interprétés par cette Cour. Elle ne sera donc pas considérée dans le cadre du présent appel.

I.  Contexte

[11]  L’intimé détient le statut de résident permanent au Canada depuis le 22 mars 2005, après avoir été parrainé par son épouse de l’époque. Un enfant naît de cette union en 2006, mais le couple divorce en 2008. Cette même année, l’intimé est déclaré coupable de possession de cocaïne en vue d’en faire le trafic, infraction pour laquelle il purge une peine de détention préventive de six mois suivie d’une ordonnance de probation de douze mois assortie, notamment, d’une interdiction de possession d’armes à feu.

[12]  Cette condamnation mène à la rédaction d’un rapport à l’intention du Ministre aux termes du paragraphe 44(1) de la Loi. On y conclut que l’intimé est interdit de territoire suivant l’alinéa 36(1)a) de la Loi. Cette disposition stipule que le fait d’être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé, emporte interdiction de territoire.

[13]  Ce rapport convainc le Ministre de déférer l’affaire à la SI pour enquête, comme le permet le paragraphe 44(2) de la Loi. Tel qu’indiqué précédemment, la SI, aux termes de son enquête, se dit satisfaite que l’intimé est visé par l’alinéa 36(1)a) de la Loi et qu’il est, dès lors, interdit de territoire. Elle prend donc contre lui, en date du 12 février 2013, une mesure d’expulsion.

[14]  C’est à l’encontre de cette mesure d’expulsion que l’intimé se pourvoit devant la SAI.

II.  La décision de la SAI

[15]  La SAI note, d’entrée de jeu, que l’intimé ne conteste pas la validité de la mesure d’expulsion dont il est frappé, mais qu’il requiert plutôt la prise de mesures spéciales pour motifs d’ordre humanitaire aux termes des pouvoirs discrétionnaires qui lui sont dévolus par l’alinéa 67(1)c) et le paragraphe 68(1) de la Loi.

[16]  Elle identifie ensuite les facteurs qui doivent guider son analyse, facteurs, non-exhaustifs précise-t-elle, qu’elle a elle-même développés dans l’affaire Ribic v. Canada (Minister of Employment and Immigration), [1985] I.A.B.D. no 4 (QL), et qui ont été plus tard entérinés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 R.C.S. 84 (les facteurs Ribic), à savoir :

  1. La gravité de l’infraction ou des infractions à l’origine de la mesure de renvoi;

  2. Les possibilités de réadaptation;

  3. La période passée par l’intimé au Canada;

  4. Les conséquences que le renvoi aurait sur les membres de la famille de l’intimé;

  5. Le soutien dont l’intimé bénéficie, non seulement au sein de sa famille, mais aussi de la collectivité;

  6. L’importance des difficultés que pourrait connaitre l’intimé dans le pays vers lequel il serait vraisemblablement renvoyé.

[17]  La SAI précise par la suite avoir tenu six séances d’une journée entière dans le cadre de cet appel, séances au cours desquelles elle a entendu le témoignage de l’intimé et de sa conjointe de fait, Salwa Haddadi, de même que, pour le compte du Ministre, ceux de Robert Balassa, un policier à la retraite, et d’Alexandre Leroux, qui est sergent-détective au sein du Service de police de la Ville de Montréal. Malgré les objections de l’intimé, la SAI reconnait à M. Balassa, sur la base de son expérience et de ses qualifications, le statut de témoin expert sur la question, soulevée par le Ministre, de l’existence d’une organisation criminelle turque/kurde dans la région de Montréal et des liens qu’entretenait l’intimé avec cette organisation.

[18]  Cette question préliminaire étant réglée, la SAI entreprend l’analyse de chacun des facteurs Ribic. Compte tenu, précise-t-elle, de l’importance que la Loi accorde à « la protection de la santé des Canadiens et sur la garantie de leur sécurité », elle souligne, d’entrée de jeu, l’importance « capitale », dans un cas comme celui-ci où l’appel concerne une mesure de renvoi pour criminalité, des facteurs liés à la gravité de l’infraction et aux possibilités de réadaptation (Décision de la SAI, DA, vol. 1, p. 43, au para. 11).

[19]  Sur le plan de la gravité de l’infraction, la SAI note le caractère « très grave » de l’infraction pour laquelle l’intimé a été reconnu coupable compte tenu, notamment, des « sérieux ravages sur les consommateurs, leur entourage et la société en général » causés par le trafic de drogues dures comme la cocaïne. Elle souligne également, comme facteur aggravant, le fait qu’il est raisonnable de croire que ce type de trafic « implique nécessairement la participation, d’une façon ou d’une autre, au crime organisé » (Décision de la SAI, DA, vol. 1, p. 45, au para. 16).

[20]  De plus, elle note que même si l’intimé a ultimement reçu une sentence suspendue pour le crime qu’il a commis, il a tout de même purgé plus de six mois de détention préventive, une mesure d’exception en matière criminelle, et s’est vu imposer une ordonnance d’interdiction de possession d’armes à feu pour une période de 10 ans, ce qui ajoute, selon elle, aux circonstances aggravantes du délit commis (Décision de la SAI, DA, vol.1, p. 10-11, aux para. 17-18).

[21]  La SAI s’est ensuite penchée sur le facteur des possibilités de réadaptation, auquel elle a consacré une bonne partie de son analyse. Malgré les années écoulées depuis la commission de l’infraction à l’origine de la mesure de renvoi dont l’intimé est frappé, elle juge que les possibilités qu’il se réadapte sont faibles.

[22]  Cette conclusion repose sur un certain nombre de constats. D’une part, la SAI estime que les remords exprimés par l’intimé manquent de sincérité, ce dernier, comme il l’avait fait au stade de la confection du rapport au Ministre ayant mené à la mesure de renvoi prise contre lui, faisant de nouveau porter le blâme de la commission de l’infraction de trafic de cocaïne sur son ancienne conjointe. Elle estime également que les remords exprimés par l’intimé sont brefs et généraux et n’offrent aucun élément concret d’introspection en rapport avec son comportement criminel.

[23]  D’autre part, la SAI note que bien que l’infraction à l’origine de la mesure de renvoi soit la seule pour laquelle l’intimé ait été condamné, il ne s’agit pas là de sa seule expérience avec le système de justice criminelle. À cet égard, elle recense, à partir de rapports de police produits par le Ministre, quatre incidents, s’étant produits entre juin 2007 et avril 2010, de violence conjugale et de conflits intrafamiliaux impliquant l’ancienne belle-famille de l’intimé. Dans un cas, des accusations de voies de fait auraient été portées contre l’intimé, puis retirées. Dans un autre, il a été acquitté d’accusations d’avoir proféré des menaces de mort à l’endroit de son ancienne conjointe et de membres de sa famille. Dans les deux autres cas, il n’a pas été cité à procès.

[24]  Confronté au contenu de ces rapports de police, l’intimé, selon la SAI, se montre vague et confus et ne peut offrir d’explications raisonnables, laissant plutôt entendre que ces histoires ont été inventées de toutes pièces par son ancienne conjointe et sa famille.

[25]  La SAI tire de ces « multiples interactions de [l’intimé] avec la police », une inférence négative au sujet des possibilités de réadaptation de ce dernier (Décision de la SAI, DA, vol. 1, p. 50, au para. 27). Elle s’attarde par la suite longuement aux allégations du Ministre selon lesquelles l’intimé serait non seulement membre d’une organisation criminelle turque/kurde dont l’une des activités principales serait le trafic d’héroïne dans la région de Montréal, mais qu’il en serait en fait la tête dirigeante.

[26]  Notant que l’intimé n’avait fait l’objet d’aucune allégation devant la SI voulant qu’il soit aussi interdit de territoire aux termes de l’article 37 de la Loi pour criminalité organisée, la SAI se dit néanmoins d’avis que la question de l’association de l’intimé à une organisation criminelle demeure pertinente aux fins de déterminer si, eu égard à toutes les circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales est justifiée (Décision de la SAI, DA, vol. 1, p. 50, au para. 28). 

[27]  Elle dit en être venue à conclure, selon la prépondérance des probabilités, au bien-fondé de ces allégations sur la base du rapport et du témoignage de M. Balassa, du témoignage de M. Leroux, des déclarations de certains membres de cette organisation criminelle – des dénommés Birol et Baybars - recueillies dans le cadre de l’opération policière « Narkotik », et de la décision de la cour criminelle relative à la procédure de remise en liberté de six des onze personnes arrêtées, accusées et plus tard condamnées, en marge de cette opération (Décision de la SAI, DA, vol. 1, p. 50, au para. 29). 

[28]  Confronté à cette preuve, l’intimé, selon la SAI, demeure « vague et évasif », et, généralement, non-crédible. Au surplus, selon la SAI, il ne peut offrir d’explications raisonnables quant à l’écart considérable entre ses revenus déclarés et son style de vie – voitures de luxe, trois à quatre voyages annuels à l’étranger et prêts hypothécaires démesurés par rapport auxdits revenus, ce qui laisse présager qu’il profite de revenus liés aux activités de l’organisation en question (Décision de la SAI, DA, vol.1, p. 57-58, au para. 52). 

[29]  La SAI conclut généralement que l’intimé présente un potentiel de dangerosité très élevé, ce qui, selon elle, met la société canadienne en danger et constitue un facteur aggravant militant contre la prise de mesures spéciales à l’encontre de la mesure de renvoi dont il fait l’objet (Décision de la SAI, DA, vol.1, p. 58-59, au para. 55).

[30]  Poursuivant son analyse des facteurs Ribic, la SAI exprime l’avis que l’intimé présente un faible degré d’établissement au Canada compte tenu du nombre d’années qu’il a passées au pays. Elle estime, à cet égard, que l’écart entre son style de vie et ses revenus déclarés nuit à sa crédibilité et tend à démontrer que ses avoirs proviennent des fruits de la criminalité (Décision de la SAI, DA, vol.1, p. 59, au para. 57).

[31]  Quant aux conséquences que le renvoi de l’intimé pourrait avoir sur les membres de sa famille présents au Canada, la SAI indique que le meilleur intérêt de l’enfant, né en 2006 de l’union de l’intimé avec son ancienne conjointe, est certes de demeurer avec ses deux parents au Canada. Toutefois, elle retient de la preuve produite devant elle que ce facteur positif est atténué par le fait que l’intimé, qui n’a pas la garde de l’enfant, n’a pas démontré à quelle fréquence il voyait l’enfant ou encore de quelle manière, sur le plan financier, il contribuait concrètement à ses besoins. En ce qui a trait à l’impact d’un renvoi sur la conjointe actuelle de l’intimé, la SAI a noté du témoignage de celle-ci qu’elle était disposée à suivre l’intimé en Turquie, où elle avait déjà voyagé en sa compagnie sans s’y sentir en danger. La SAI en a conclu que la conjointe de l’intimé ne subirait pas de difficultés indues si ce dernier devait être renvoyé du Canada (Décision de la SAI, DA, vol.1, p. 60-61, aux para. 60-61).

[32]  Sur le plan de l’importance des difficultés que l’intimé pourrait connaître dans le pays vers lequel il serait renvoyé, la SAI rejette la prétention de l’intimé selon laquelle il se sentait à risque de retourner en Turquie en raison de l’instabilité politique et économique régnant dans ce pays. Elle note, à cet égard, que l’intimé, qui a encore de la famille en Turquie, n’a produit aucune preuve venant corroborer les difficultés appréhendées. Elle note d’ailleurs qu’il y a voyagé à maintes reprises, parfois pour des séjours de plusieurs mois, depuis qu’il a obtenu le statut de résident permanent au Canada (Décision de la SAI, DA, vol. 1, p. 61, au para. 62).

[33]  Enfin, la SAI a observé que l’intimé ne semblait pas avoir un réseau de soutien important au Canada, notant que seule sa conjointe de fait actuelle était venue témoigner pour son compte lors des audiences. Elle en a tiré une inférence négative (Décision de la SAI, DA, vol. 1, p. 61, au para. 64).

[34]  Ayant ainsi soupesé cet ensemble de facteurs, la SAI a conclu de la sorte :

[65] Je conclus que le degré de gravité de l’infraction criminelle sous-jacente à la mesure de renvoi, les interactions de l’appelant avec la police depuis 2007, le faible degré d’établissement de l’appelant, le faible degré de soutien familial et dans la collectivité au Canada et le fait qu’il n’a pas démontré qu’un renvoi dans son pays de nationalité lui causerait des difficultés indues, surtout compte tenu de la présence de membres de sa famille proche et élargie en Turquie, l’emportent sur l’intérêt supérieur de l’enfant, surtout compte tenu des conclusions du tribunal concernant les liens de l’appelant avec une organisation criminelle.

[66] J’ai analysé la possibilité d’accorder un sursis à la mesure de renvoi assujettie à des conditions particulières. De sa propre admission, l’appelant n’a pas respecté dans le passé certaines conditions judiciaires, par exemple, de ne pas s’approcher de son ex-épouse. Compte tenu de l’élément de dangerosité de l’appelant du fait de son lien avec une organisation criminelle et des objectifs de la loi qui sont de protéger la sécurité des Canadiens, j’estime qu’il n’est pas approprié de prononcer un sursis dans le cadre de cet appel.

[67] Je conclus qu’il n’existe pas suffisamment de motifs humanitaires, selon la prépondérance des probabilités, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant et en tenant compte de toutes les circonstances de l’affaire, permettant la prise de mesures spéciales, soit pour accueillir l’appel, soit pour accorder un sursis d’exécution de la mesure d’expulsion.

III.  Le jugement de la Cour fédérale

[35]  Le juge Bell a noté d’entrée de jeu que les faits admis en preuve devant la SAI étaient « complexes », contestés à certains égards, mais généralement « hautement préjudiciable à l’encontre de [l’intimé] » (Jugement de la Cour fédérale, DA, vol.1, p. 7, au para. 2).

[36]  Après avoir énumérés les facteurs Ribic considérés par la SAI, le juge Bell a indiqué qu’il limiterait ses observations et son analyse au facteur des possibilités de réadaptation, dont il a jugé le traitement fait par la SAI déraisonnable (Jugement de la Cour fédérale, DA, vol.1, p. 8-9, au para. 6). Il a constaté, à cet égard, que la SAI avait considéré le passé criminel de l’intimé, malgré qu’il comprenne plusieurs accusations pour lesquelles il n’a pas été condamné et qu’elle avait également considéré, en l’absence d’un rapport émis à cet effet en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi, des allégations reliant l’intimé à une organisation criminelle, telle que définie à l’alinéa 37(1)a) de la Loi (Jugement de la Cour fédérale, DA, vol. 1, p. 10-11, aux para. 10-11).

[37]  Appliquant la norme de contrôle de la décision raisonnable, le juge Bell s’est d’abord lancé dans une analyse du texte des articles 33 à 37 de la Loi de manière à faire ressortir que contrairement aux cas d’interdiction de territoire prévus aux articles 34, 35, 36(1)c) et 37 de la Loi, ceux pour grande criminalité prévus aux alinéas 36(1)a) et 36(1)b) ne pouvaient être opposables aux non-citoyens visés que sur preuve d’une condamnation.

[38]  Il s’est ensuite demandé si, une fois remplies, comme en l’espèce, les exigences de l’alinéa 36(1)a) de la Loi, le Ministre pouvait néanmoins « utiliser d’autres démêlés avec la justice en guise de preuve d’allégation de grande criminalité » (Jugement de la Cour fédérale, DA, vol. 1, p. 14, au para. 19). À cette question, le juge Bell a répondu par la négative, étant d’avis que la jurisprudence de la Cour fédérale et même celle de la SAI n’autorisait pas, pour étayer une conclusion d’antécédents criminels, la prise en compte de tels démêlés si ceux-ci ne débouchent pas sur des condamnations.

[39]  Pour en arriver à cette conclusion, le juge Bell a distingué l’affaire Sittampalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 326, [2007] R.C.F. 198, (Sittampalam), où cette Cour a rappelé que « la preuve relative à des accusations qui ont été retirées ou rejetées [pouvait] être prise en considération lors des audiences en matière d’immigration » en autant qu’elle ne constituait pas la « seule preuve de la criminalité d’une personne » (Jugement de la Cour fédérale, DA, vol.1, p. 15, au para. 21; Sittampalam, au para. 50).

[40]  Dans cette affaire, a-t-il rappelé, deux rapports suivant le paragraphe 44(1) de la Loi avaient été préparés, un, comme ici, pour grande criminalité, et un autre, contrairement à ici, pour criminalité organisée, où le fardeau de preuve du Ministre, suivant l’article 33 de la Loi, est moindre et n’exige que la démonstration de motifs raisonnables de croire que les faits — actes ou omissions — mentionnés au paragraphe 37(1) de la Loi, notamment, sont survenus, surviennent ou peuvent survenir. Selon le juge Bell, la prise en compte d’accusations criminelles retirées ou rejetées en lien avec la participation alléguée de M. Sittampalam aux activités d’une organisation criminelle devenait, dans un tel contexte, pertinente et, donc, permise (Jugement de la Cour fédérale, DA, vol. 1, p. 15-16, au para. 23).

[41]  Le juge Bell s’est aussi employé à tenter de distinguer une autre décision de cette Cour, soit celle rendue dans l’affaire Balathavarajan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CAF 340 (Balathavarajan). Estimant qu’il était « très difficile de réconcilier les observations de la Cour d’appel fédérale dans [cette affaire] avec la jurisprudence de la Cour fédérale », il a néanmoins jugé que le résultat de son analyse demeurait le même puisque, contrairement aux enseignements de Balathavarajan, la SAI avait, selon lui, utilisé les allégations relatives à la participation de l’intimé aux activités d’une organisation criminelle afin d’essayer de trouver un autre motif d’interdiction de territoire (Jugement de la Cour fédérale, DA, vol. 1, p. 18, au para. 27). 

[42]  En somme, le juge Bell a conclu que la SAI avait commis une erreur révisable en utilisant la preuve liée aux démêlés que l’intimé a eu avec la justice et pour lesquels il n’a fait l’objet d’aucune condamnation, et celle liée aux allégations de criminalité organisée, afin d’élargir le fondement de l’interdiction de territoire prononcée contre lui et ce, sans même que des rapports d’interdiction de territoire n’aient été préparés en lien avec ces démêlés et allégations.

[43]  Dans ce dernier cas, plus particulièrement, il a jugé que la SAI ne pouvait s’arroger cette compétence simplement parce qu’elle était appelée à décider si la prise de mesures spéciales sur le fondement de considérations d’ordre humanitaire était justifiée dans les circonstances de la présente affaire, étant d’avis, pour fins de transparence, qu’un résident permanent qui n’a pas fait l’objet d’un rapport d’interdiction de territoire pour un motif particulier ne devrait pas se voir opposer ce motif d’interdiction pour la première fois devant la SAI (Jugement de la Cour fédérale, DA, vol. 1, p. 20, au para. 32).

IV.  La position des parties

[44]  L’appelant soutient que la SAI, lorsqu’elle considère un appel porté devant elle aux termes de l’alinéa 67(1)c) de la Loi, dispose d’un large pouvoir discrétionnaire. Bien que l’exercice de ce pouvoir soit encadré par les facteurs Ribic, issus de la jurisprudence, ces facteurs, rappelle-t-il, ne sont pas exhaustifs et le poids à leur être accordé pourra varier selon les circonstances de chaque cas.

[45]  D’ailleurs, poursuit-il, la SAI, suivant la jurisprudence de cette Cour, est habilitée, lorsqu’elle se demande si des motifs d’ordre humanitaire justifient la levée d’une mesure de renvoi dans un cas, comme ici, d’interdiction de territoire pour grande criminalité, à tenir compte de toutes les circonstances pertinentes d’une affaire, y compris celles qui concernent le comportement et les agissements de l’individu concerné. Cela sert, notamment, à apprécier les possibilités de réadaptation de cette personne.

[46]  À cette fin, suivant l’appelant, l’arrêt de cette Cour dans Sittampalam établit une règle générale voulant que la preuve relative à des accusations qui ont été rejetées ou retirées peut être considérée dans toute affaire d’immigration, et non dans les seuls cas d’interdiction de territoire où la preuve de la culpabilité de la personne visée n’est pas requise, comme en a décidé la Cour fédérale en l’espèce, pourvu que ces accusations ne soient pas utilisées comme preuve de la criminalité de l’individu concerné.

[47]  Dans le cas présent, dit-il, la SAI ne s’est pas appuyée simplement sur le fait que des accusations subséquemment rejetées ou retirées, avaient été portées contre l’intimé pour évaluer ses possibilités de réadaptation; elle s’est fondée, notamment, comme il lui était permis de le faire, sur des rapports de police et des dépositions de témoins, de même que sur le manque de crédibilité affiché par l’intimé lors de son témoignage.

[48]  Il ajoute que la Cour fédérale était également liée par le jugement de cette Cour dans Balathavarajan, une affaire présentant des faits similaires au présent dossier dans la mesure où M. Balathavarajan était visé par une interdiction de territoire fondée sur un motif de criminalité, et s’était vu refuser la prise de mesures spéciales sur le fondement de considérations d’ordre humanitaire parce que la SAI en était notamment venue à conclure, à partir de la preuve provenant d’un informateur non-identifié, et ce, aux fins d’évaluer ses possibilités de réadaptation, qu’il était membre d’une organisation criminelle.

[49]  L’appelant conclut qu’il était dès lors tout à fait loisible à la SAI, dans l’exercice de sa discrétion, de considérer la preuve sous-tendant les accusations portées contre l’intimé, puis rejetées ou retirées, et les allégations de criminalité organisée pesant contre lui afin de déterminer si ses agissements, depuis qu’il s’était vu reconnaître le statut de résident permanent, signalaient une possibilité réelle de réadaptation, compte tenu de la gravité de l’infraction pour laquelle il avait été trouvé coupable. 

[50]  Pour sa part, l’intimé plaide qu’en se fondant sur une série d’accusations et de preuves non-avérées ou retirées pour entacher sa moralité et sa crédibilité dans l’évaluation de ses possibilités de réadaptation, la SAI a ignoré une « jurisprudence unanime et extensive » qui, selon lui, proscrit le recours à ce type de preuves dans l’évaluation de ce facteur Ribic, d’autant plus, ajoute-t-il, qu’il n’a été sujet que d’une seule condamnation, prononcée il y a une douzaine d’années déjà, et que la dernière accusation portée contre lui – et éventuellement retirée - date de 2010. Il soutient, sur la base de cette jurisprudence, que le fait d’invoquer une accusation retirée constitue, en lui-même, une erreur susceptible de révision.

[51]  Il prétend également que, dans l’éventualité où cette Cour devait se dire d’avis que le recours à ce type de preuves est permis dans l’évaluation des possibilités de réadaptation d’une personne interdite de territoire sollicitant la prise de mesures spéciales aux termes de l’alinéa 67(1)c) de la Loi, elle devrait néanmoins intervenir à l’encontre de la conclusion de la SAI concernant sa participation alléguée aux activités d’une organisation criminelle, puisque la preuve au dossier ne permet pas une telle conclusion.

[52]  Finalement, l’intimé, toujours dans cette éventualité, soutient que cette Cour serait néanmoins aussi tenue d’examiner la raisonnabilité des conclusions tirées par la SAI à l’égard des autres facteurs Ribic qu’elle a analysés, facteurs que le juge Bell, se disant d’avis que les erreurs commises par la SAI dans son examen des possibilités de réadaptation suffisaient pour prononcer l’invalidité de la décision, n’a pas considérés. À cet égard, l’intimé plaide que la SAI a erré dans son analyse de ces autres facteurs puisqu’il a fait la preuve de sa réadaptation, de la présence de sa femme et ses deux filles au Canada, du fait qu’il occupe un emploi stable et de sa contribution à la société canadienne.

V.  Le cadre juridique applicable

[53]  D’entrée de jeu, il convient de rappeler, comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans l’affaire Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CSC 51, [2005] 2 R.C.S. 539 (Medovarski), que la réforme du régime régissant l’immigration et la protection des réfugiés au Canada qui a culminé par l’adoption de la Loi en 2001 priorise la sûreté et la sécurité publique (Medovarski au para. 10). Cela se reflète, notamment, dans les principes directeurs énoncés à l’article 3 de la Loi parmi lesquels figurent, aux alinéas 3(1)h) et 3(1)i) de la Loi, la protection de la sécurité de la société canadienne de même que la promotion, à l’échelle internationale, de la justice et de la sécurité « par l’interdiction de territoire aux personnes qui sont des criminels ou constituent un danger pour la sécurité ».

[54]  À cet égard, la Loi, à ses articles 33 à 43, énonce divers motifs d’interdiction de territoire dont certains – soit ceux prévus aux articles 34 à 37 - sont en lien direct avec ces deux principes directeurs. C’est ainsi que l’article 34 de la Loi s’intéresse aux cas de ceux et celles à l’égard desquels il existe des motifs raisonnables de croire qu’ils présentent, ici comme ailleurs, une menace à la sécurité alors que l’article 35 de la Loi vise les cas de ceux et celles à l’égard desquels il existe des motifs raisonnables de croire qu’ils se sont rendus coupables ou complices de crimes contre l’humanité ou de crimes de guerre.

[55]  Pour sa part, l’article 36 de la Loi définit les cas d’interdiction de territoire pour « grande criminalité » et pour « criminalité ». Le paragraphe 36(1) de la Loi, en particulier, répertorie trois catégories de situations emportant interdiction de territoire pour « grande criminalité ». La première – soit celle aux termes de laquelle l’intimé a été déclaré interdit de territoire – vise les cas de non-citoyens déclarés coupables, au Canada, d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois leur est infligé. Les deuxième et troisième catégories de situations, prévues aux alinéas 36(1)b) et 36(1)c) de la Loi, visent des cas de crimes commis à l’étranger. C’est ainsi que le non-citoyen qui a été déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, si elle avait été commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans, sera interdit de territoire. Ce sera le cas aussi du non-citoyen à l’égard duquel il existe des motifs raisonnables de croire qu’il a commis ce même type d’infraction à l’extérieur du Canada.

[56]  Le paragraphe 36(2) de la Loi, qui ne s’applique pas aux résidents permanents, fait état, quant à lui, des situations qui emportent interdiction de territoire pour « criminalité ». Notamment, le fait, pour un étranger, d’être déclaré coupable, au Canada, d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de deux infractions, à toute loi fédérale, qui ne découlent pas des mêmes faits (alinéa 36(2)a) de la Loi), ou encore le fait, pour cet étranger, d’être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, soit d’une infraction qui, si elle avait été commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation, soit de deux infractions ne découlant pas des mêmes faits qui, si commises au Canada, constitueraient des infractions à des lois fédérales (alinéa 36(2)b) de la Loi), emporte également interdiction de territoire pour « criminalité ».

[57]  Enfin, une mesure d’interdiction de territoire peut également être fondée sur les liens qu’entretient un non-citoyen avec une organisation criminelle. En effet, comme on l’a déjà vu, un non-citoyen, suivant l’alinéa 37(1)a) de la Loi, peut être déclaré interdit de territoire s’il est « membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de la perpétration, hors du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une telle infraction, ou se livrer à des activités faisant partie d’un tel plan ».

[58]  La procédure de mise en œuvre des dispositions emportant interdiction de territoire est prévue aux articles 44 à 53 de la Loi. Cette procédure, suivant le paragraphe 44(1) de la Loi, est enclenchée par la rédaction d’un rapport circonstancié par un agent d’immigration qui estime qu’un non-citoyen est interdit de territoire. Ce rapport est destiné au Ministre qui, s’il le juge bien-fondé, peut, aux termes du paragraphe 44(2) de la Loi, déférer l’affaire à la SI pour enquête.

[59]  Lorsqu’elle est saisie de l’affaire, la SI, après avoir procédé à l’enquête, peut, sur preuve que les conditions donnant ouverture à l’interdiction de territoire visée par le rapport de l’agent d’immigration sont réunies, prendre, tel que l’autorise à faire l’alinéa 45d) de la Loi, la mesure de renvoi applicable contre le non-citoyen. Dès lors, cette mesure, suivant l’article 48 de la Loi devient exécutoire, sauf si elle est susceptible d’appel ou encore fait l’objet, dans la mesure prévue à l’article 50 de la Loi, d’un sursis.

[60]  Si le non-citoyen dispose généralement d’un droit d’appel devant la SAI à l’encontre d’une mesure de renvoi prise à son endroit, ce droit est restreint par le paragraphe 64(1) de la Loi, lequel ne permet pas d’appel dans les cas d’interdiction de territoire décrétées pour des raisons de sécurité, pour atteinte aux droits humains ou internationaux, pour grande criminalité ou encore pour criminalité organisée. Dans le cas précis des interdictions de territoire prévues à l’alinéa 36(1)a) de la Loi, l’expression « grande criminalité », dans le contexte du paragraphe 64(1), doit, aux termes du paragraphe 64(2) de la Loi, être comprise comme ne visant que l’infraction punie au Canada par un emprisonnement d’au moins six mois.

[61]  Lorsqu’elle est valablement saisie d’un appel formé à l’encontre d’une mesure de renvoi, la SAI peut faire droit à l’appel si, suivant les alinéas 67(1)a) et b) de la Loi, elle est satisfaite que la décision décrétant ladite mesure est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait, ou encore a été rendue en violation d’un principe de justice naturelle. 

[62]  Par ailleurs, l’alinéa 67(1)c) de la Loi, sur la base duquel, je le mentionne de nouveau, l’appel de l’intimé était fondé, habilite la SAI à faire droit à un appel porté devant elle lorsqu’elle est d’avis, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché, que des motifs d’ordre humanitaire justifient la prise de mesures spéciales. Le paragraphe 68(1) de la Loi l’habilite aussi, sur cette même base, à sursoir à la mesure de renvoi. Ces deux dispositions se lisent comme suit :

Fondement de l’appel

Appeal allowed

67 (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

67 (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

[...]

[…]

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

[...]

[…]

Sursis

Removal order stayed

68 (1) Il est sursis à la mesure de renvoi sur preuve qu’il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

68 (1) To stay a removal order, the Immigration Appeal Division must be satisfied, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, that sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

[63]  Enfin, il importe de souligner que dans l’exercice de sa compétence, la SAI, bien qu’elle soit assujettie à l’obligation de respecter les principes de justice naturelle (Yiu c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 480, au para. 18), n’est pas liée, tel que le prévoit l’alinéa 175(1)b) de la Loi, par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve et est habilitée, suivant l’alinéa 175(1)c) de la Loi, à recevoir les éléments de preuve qu’elle considère crédibles et dignes de foi et à fonder sa décision sur ces derniers.

VI.  Question en litige et norme de contrôle

[64]  Il s’agit ici de déterminer si la SAI était autorisée à considérer les démêlés que l’intimé a eus avec le système de justice mais qui n’ont pas mené à des condamnations, incluant les allégations d’activités de criminalité organisée pesant contre lui, lorsqu’elle a été appelée à décider, à partir des pouvoirs qui lui sont dévolus par l’alinéa 67(1)c) et le paragraphe 68(1) de la Loi, si des considérations d’ordre humanitaire justifiaient la levée ou la suspension de la mesure de renvoi prise contre l’intimé.

[65]  Il est bien établi que lorsque cette Cour siège en appel d’une décision rendue par la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire, son rôle consiste à déterminer si la norme de contrôle appropriée a été utilisée et si elle a été appliquée correctement (Agraira c. Canada (Sécurité publique et protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, au para. 47). En d’autres termes, une fois décidé que la bonne norme de contrôle a été appliquée, cette Cour doit « se mettre à la place » de la Cour fédérale et faire porter son effort sur la décision administrative faisant l’objet du contrôle judiciaire (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Singh, 2016 CAF 96, [2016] 4 R.C.F. 230, au para. 22; Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, [2012] 1 R.C.S. 23, au para. 247).

[66]  En l’espèce, le juge Bell a déterminé que la norme déférente de la décision raisonnable était de mise lors du contrôle judiciaire d’une décision – de nature essentiellement discrétionnaire – prise par la SAI aux termes de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1) de la Loi. Les parties ne contestent pas le choix de la norme de contrôle applicable, mais ne s’entendent pas sur l’application qu’en a fait le juge Bell. 

[67]  J’estime que la Cour fédérale a appliqué la norme appropriée et que l’arrêt de la Cour suprême dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov), rendu postérieurement au jugement de la Cour fédérale, n’a pas modifié la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer en l’espèce. En effet, dans cette affaire, la Cour suprême a cristallisé la présomption voulant que la norme de la décision raisonnable soit la norme applicable dans tous les cas, sous réserve d’un certain nombre d’exceptions qui – et les parties n’ont pas prétendu le contraire - ne trouvent pas application en l’espèce (Vavilov aux para. 10 et 25).

[68]  Comme cette Cour, en appel d’un jugement en matière de contrôle judiciaire, doit « se mettre à la place » de la Cour fédérale, je devrai aussi me prononcer, si je réponds par l’affirmative à la question principale que pose le présent pourvoi, sur la raisonnabilité de la décision de la SAI dans son ensemble, et ce, même si cette Cour n’a pas le bénéfice de la position du juge Bell sur les autres facteurs Ribic examinés par la SAI (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au para. 12; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, au para. 25; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Tennant, 2018 CAF 132, au para. 9).

[69]  Il convient, à ce stade, de souligner que la Cour a autorisé l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration (AQAADI) à intervenir au présent appel afin d’apporter sa contribution au débat portant sur « les pouvoirs (ou la limite de pouvoirs) de la [SAI], sous les articles 67(1)c) et 68(1) de la [Loi], à considérer des allégations criminelles qui n’ont pas été prouvées devant une Cour criminelle ou pénale dans le cadre d’un appel d’une interdiction de territoire sous l’article 36(1)a) de la [Loi] » (Ordonnance autorisant l’AQAADI à intervenir, au para. 3).

[70]  L’AQAADI a essentiellement pris fait et cause pour l’intimé. J’y reviendrai.

VII.  Analyse

  1. La SAI était-elle habilitée, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire dont elle est investie aux termes de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1) de la Loi, à considérer les faits qui sous-tendent des allégations criminelles pour lesquelles l’intimé n’a ultimement pas été condamné?

[71]  Cette question met en cause la portée réelle des jugements rendus par cette Cour dans les affaires Sittampalam et Balathavarajan et son rapport à la jurisprudence de la Cour fédérale en cette matière. Je rappelle que le juge Bell a vu une divergence entre ces deux jugements et cette jurisprudence, alors que, pour l’intimé, le recours à une série d’accusations et de preuves non-avérées ou retirées pour entacher la moralité et la crédibilité d’un non-citoyen interdit de territoire dans l’évaluation de ses possibilités de réadaptation contrevient à une « jurisprudence unanime et extensive » (Mémoire des faits et du droit de l’intimé, au para. 4).

[72]  Qu’en est-il au juste?

(1)  La portée de l’arrêt Sittampalam

[73]  Comme le souligne le juge Bell, cette Cour, dans Sittampalam, a statué que, suivant sa propre jurisprudence, la preuve relative à des accusations qui ont été retirées, rejetées ou simplement envisagées pouvait être considérée « lors des audiences en matière d’immigration », en autant qu’elle ne soit pas utilisée « comme seule preuve de la criminalité d’une personne » (Sittampalam au para. 50). 

[74]  Dans cette affaire, M. Sittampalam, un résident permanent, faisait face à une mesure d’expulsion, prononcée par la SI, pour, notamment, criminalité organisée au sens de l’alinéa 37(1)a) de la Loi. Cette décision, qui privait M. Sittampalam de son droit d’appel devant la SAI en raison, comme nous l’avons vu, du paragraphe 64(1) de la Loi, a été contestée devant la Cour fédérale, qui n’a pas vu matière à intervenir.

[75]  Devant notre Cour, M. Sittampalam a soutenu que la SI, et la Cour fédérale après elle, avaient incorrectement interprété certaines des conditions statutaires donnant ouverture à l’interdiction de territoire pour criminalité organisée. Il soutenait également que la Cour fédérale avait erré en avalisant le recours, par la SI, dans son évaluation du rapport d’interdiction de territoire auquel il faisait face, au contenu de certains rapports et témoignages de policiers qui n’avaient donné lieu ni à des déclarations de culpabilité, ni même à des accusations. Il leur reprochait plus particulièrement d’avoir déterminé que ces rapports et témoignages démontraient sa participation, et celle de l’organisation à laquelle on l’associait, à des activités criminelles (Sittampalam, aux para. 4 et 48).

[76]  Le juge Bell, comme on l’a vu, a réduit la portée de cet arrêt aux seuls cas où l’interdiction de territoire en cause n’exige pas la preuve d’une déclaration de culpabilité, ce qui est le cas de l’interdiction de territoire visée par l’alinéa 37(1)a) de la Loi, mais non le cas de celle visée par l’alinéa 36(1)a) de la Loi. Comme l’interdiction de territoire prononcée contre l’intimé découle ici du seul alinéa 36(1)a), l’arrêt Sittampalam, en a conclu le juge Bell, ne trouvait pas application.

[77]  À mon sens, et ceci dit avec égards, cette interprétation ne peut être retenue.

[78]  D’une part, elle procède d’une lecture indûment réductrice de l’énoncé de la Cour à l’effet que la preuve relative à des accusations qui ont été retirées ou rejetées puisse être considérée « lors des audiences en matière d’immigration ». Comme le note l’appelant, la Cour, en appui à cet énoncé, a cité deux jugements de la Cour fédérale comme exemples de situations où ce type d’éléments de preuve a été pris en compte lors d’audiences en matière d’immigration. Ces jugements sont ceux rendus dans les affaires Veerasingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1661 (Veerasingam) et Thuraisingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 607 (Thuraisingam).

[79]  L’affaire Veerasingam, en particulier, présente une situation similaire au présent dossier, soit celle du contrôle judiciaire d’une décision de la SAI rendue, comme ici, aux termes de ce qui est maintenant l’alinéa 67(1)c) de la Loi, sur la base d’un constat d’interdiction de territoire pour criminalité, dont la validité, comme ici aussi, n’a pas été contestée devant la SAI. Quant à l’affaire Thuraisingam, elle s’inscrit dans le contexte de la délivrance, par le Ministre, en vertu de ce qui est maintenant le paragraphe 115(2) de la Loi, d’un avis de danger pour le public à l’égard d’une personne interdite de territoire pour grande criminalité.

[80]  À l’évidence, la portée de l’affaire Sittampalam, en ce qui a trait à l’usage qui peut être fait, lors d’audiences en matière d’immigration, d’éléments de preuve relatifs à des accusations qui ont été retirées ou rejetées, n’est pas limitée aux seuls cas où l’interdiction de territoire en cause n’exige pas la preuve d’une déclaration de culpabilité.

[81]  Les affaires Veerasingam et Thuraisingam nous instruisent par ailleurs sur la portée réelle de cet énoncé de la Cour dans Sittampalam. En particulier, elles nous fournissent des indications de ce qu’il faut comprendre de la réserve exprimée par la Cour, réserve voulant que ce type de preuves ne puisse être utilisé pour prouver la criminalité d’une personne, si c’est là la seule preuve disponible.

[82]  Dans Veerasingam, le demandeur soutenait que la jurisprudence de la Cour fédérale était divisée sur la question de savoir si la preuve à l'appui d'accusations par la suite retirées était recevable devant la SAI. Il invoquait les affaires Bakchiev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1881, Bertold c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1492, La c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 649, et Lau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1984] 1 C.F. 434, à titre d’exemples de cas où la Cour fédérale avait jugé ce type de preuve irrecevable. Je note que ces mêmes décisions sont aussi invoquées par l’intimé dans la présente affaire.

[83]  S’inspirant des propos de la juge Anne Mactavish (maintenant juge à notre Cour), dans Thuraisingam, la Cour fédérale, sous la plume de la juge Judith Snider, a disposé de cet argument de la façon suivante :

[5]  Après avoir examiné la jurisprudence, je ne suis pas convaincue qu'il existe une divergence d'opinion au sein de la Cour. Je conclurais plutôt qu'il ressort de ces affaires une opinion unanime selon laquelle une accusation retirée ne peut pas, en elle-même, être invoquée. La question de savoir si la SAI l'a fait dépend des faits particuliers dont dispose le juge chargé de contrôler la décision. Après avoir examiné les affaires dont on a fait référence, je conclurais que le processus de contrôle de la Cour est basé sur deux considérations.

Premièrement, le fait d'invoquer l'accusation retirée, en elle-même, constituerait une erreur susceptible de révision.

Le deuxième aspect à apprécier est celui de savoir si la preuve sous-tendant l'accusation, et sur laquelle la décision de la SAI a été fondée, est fiable et crédible. Je remarque que la SAI n'est pas appelée à trancher la question de savoir si le demandeur est coupable d'un crime en application du Code criminel, où une norme de preuve hors de tout doute raisonnable serait requise. Dans le contexte de son appréciation de l'ensemble des circonstances, la preuve n'a pas à respecter une norme comme celle qui serait requise dans le cas d'une déclaration de culpabilité criminelle; l'analyse de la SAI doit plutôt être conforme à la norme de la décision raisonnable. Autrement dit, je dois être convaincue que la conclusion de la Commission portant sur tout aspect de l'affaire est appuyée par une preuve crédible et fiable.

[84]  Cette approche, qui établit une distinction « entre le fait de se fonder sur le fait qu'une personne a été accusée d'une infraction criminelle et le fait de se fonder sur la preuve qui sous-tend les accusations en question » (Thuraisingam, au para. 35), et qui n’exclut donc pas, contrairement à ce que prétend l’intimé, le recours à une preuve relative à des accusations qui ont été retirées, rejetées ou envisagées, lorsque certaines conditions sont rencontrées, demeure profondément ancrée dans la jurisprudence de la Cour fédérale. Elle a été suivie dans différents contextes liés à la mise en œuvre de la Loi, y compris, comme ce fut le cas dans Veerasingam, dans le contexte de décisions fondées sur des considérations d’ordre humanitaire (Ali c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 588, au para. 18; Daniels c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 463, au para. 24; Muneeswarakumar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 80, au para. 21; Clarke c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 910, aux para. 31-32; Tran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 1040, au para. 22; Sirisena Kalansyriyage c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 183, aux para. 12-13 (Kalansyriyage); Abde Kharrat c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 842, au para. 21; Younis c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 944, aux para. 46 et 54).

[85]  Les conditions d’ouverture à l’utilisation d’une preuve qui sous-tend des accusations retirées, rejetées ou envisagées, sont que cette preuve ne serve pas, à elle-seule, à établir la criminalité de la personne interdite de territoire, puisque le seul fait que cette personne ait pu faire l’objet d’accusations ne prouve, en soi, rien, et qu’elle repose, de l’avis du décideur, sur des éléments crédibles et dignes de foi (Sittampalam, au para. 49). Il va sans dire que cette preuve doit être portée à l’attention de la personne visée et que celle-ci doit pouvoir y répondre. Il va sans dire aussi que les conclusions tirées à partir de cette preuve doivent être le fruit d’un examen indépendant de la part du décideur et ne pas simplement reposer sur le fait que des accusations ont été portées ou sont pendantes (Thuraisingam, au para. 35).

[86]  Le juge Russel Zinn, dans l’affaire Kalansyriyage, avait bien raison de dire que toute la question de l’admissibilité de la preuve relative à des accusations qui ont été retirées ou rejetées, qui se soulève de temps à autre lors des audiences tenues devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, avait été résolue par cette Cour dans Sittampalam et que la règle énoncée par la Cour au paragraphe 50 de cet arrêt représentait un énoncé exact de l’état du droit (Kalansyriyage, au para. 12).

[87]  Plus récemment, l’approche préconisée dans Veerasingam et Thuraisingam, et avalisée par cette Cour dans Sittampalam, a de nouveau été suivie dans l’affaire McAlpin c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 422, [2018] 4 R.C.F. 225 (McAlpin). Bien qu’elle mettait en cause la décision du Ministre de déférer un rapport d’interdiction de territoire à la SI, aux termes du paragraphe 44(2) de la Loi, cette décision contient des rappels utiles et contemporains sur l’état du droit, découlant de l’arrêt Sittampalam, concernant l’utilisation, en matière d’immigration, de preuves relatives à des accusations retirées, rejetées ou envisagées. 

[88]  L’erreur du délégué du Ministre, dans cette affaire, aura été de qualifier et de traiter les accusations déposées contre le demandeur, puis retirées, comme une preuve « d’antécédents criminels », et donc, de la criminalité de celui-ci, contrevenant ainsi clairement aux enseignements de l’arrêt Sittampalam (McAlpin, aux para. 98 à 101).

[89]  Toutefois, le juge en chef Crampton a jugé nécessaire de préciser, en se fondant sur l’arrêt Sittampalam et sur le jugement de la juge Mactavish dans Thuraisingam, que la conclusion qu’il venait de tirer « ne devrait pas être interprétée comme laissant entendre que la preuve des accusations qui pèsent contre [le demandeur] ou qui ont été retirées ne peuvent pas être prises en compte par un agent ou un délégué du Ministre dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire très limité en vertu des paragraphes 44(1) et (2) de la [Loi] » (McAlpin, au para. 102).

[90]  Il a pris soin de souligner, à cet égard, qu’en autant que cette preuve soit jugée crédible et digne de foi, elle « [pouvait] être prise en considération dans ce contexte et dans d’autres contextes que soulève la [Loi] » (McAlpin, au para. 102). (Je souligne)

[91]  Le juge en chef Crampton a ajouté que dans un contexte où la sécurité des Canadiens doit être priorisée, il était approprié d’examiner les dossiers officiels de la police en vue d’évaluer les antécédents des interactions d’un individu interdit de territoire avec celle-ci, lesquelles font partie de l’ensemble des circonstances qui peuvent être pertinentes à considérer, « plus particulièrement quand [cette] personne[s] présente[nt] des motifs d’ordre humanitaire à l’appui d’une demande de ne pas être renvoyé pour enquête » :

[103]  Dans ce contexte particulier, où une priorité doit être fondée sur la sécurité des Canadiens, je suis d’avis qu’il soit tout à fait approprié pour l’agent ou le délégué du ministre d’examiner les dossiers officiels de la police de l’interaction d’un individu interdit de territoire avec la police pour exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu des paragraphes 44(1) et (2). En l’absence de preuve pour attaquer la crédibilité ou la fiabilité d’un dossier officiel de la police comme preuve d’une interaction avec la police, la raison pour laquelle un tel dossier ne devrait pas être considéré comme crédible et fiable à ces fins n’est pas évidente.

[104]    Les interactions d’une personne avec la police font partie de l’ensemble des circonstances qui peuvent être pertinentes à considérer pour un agent ou un délégué du ministre, plus particulièrement quand les personnes présentent des motifs d’ordre humanitaire à l’appui d’une demande de ne pas être renvoyé pour enquête. En bref, en examinant la mesure dans laquelle une personne demande la réparation du fonctionnement normal de la LIPR sur des motifs de compassion, l’étendue des interactions de cette personne avec la loi peut être très pertinente. Autrement dit, il peut être difficile de faire preuve de compassion pour une personne qui a des antécédents d’interactions avec la loi. Ceci est d’autant plus vrai quand la personne est également interdite de territoire pour raison de « sécurité » (article 34), d’« atteinte aux droits humains ou internationaux » (article 35), de « grande criminalité » (paragraphe 36(1)), de « criminalité » (paragraphe 36(2)) et de « criminalité organisée » (paragraphe 37(1)).

[105]  Compte tenu de ce qui précède, il aurait été raisonnablement loisible à l’agent et au délégué de prendre en compte les accusations retirées et les rapports de police associés de M. McAlpin dans le but d’évaluer les antécédents de ses interactions avec la loi. En l’absence de preuve indiquant que la police aurait pu avoir une raison de fabriquer de telles accusations et de tels rapports, le fait qu’ils ont porté ces accusations et déposé des rapports associés était une preuve crédible et fiable des interactions passées de M. McAlpin avec la loi. […] . »

[92]  Cette approche a été de nouveau suivie par la Cour fédérale il y a quelques semaines de cela seulement, soit le 9 juillet 2020, dans l’affaire Pascal v. Canada (Citizenship and Immigration), 2020 CF 751, au para. 22, la Cour réitérant la distinction à faire entre le fait de se fonder sur les accusations elle-même, ce qui est inadmissible, et le fait de se fonder sur la preuve sous-tendant les accusations en cause, ce qui est permis.

[93]  En tout respect, je ne vois pas de divergence entre la jurisprudence de la Cour fédérale et celle de notre Cour sur cette question. Je vois encore moins de courant jurisprudentiel « unanime et extensi[f] » qui s’écarterait des principes établis dans l’arrêt Sittampalam. Je constate plutôt le contraire. L’intimé ne m’a pas davantage convaincu que ces principes ne valent pas dans les cas d’interdiction de territoire pour grande criminalité ou lorsque la SAI est appelée à exercer son pouvoir discrétionnaire aux termes de l’alinéa 67(1)c) de la Loi. L’affaire Veerasingam, citée avec approbation, je le rappelle, dans Sittampalam, et l’arrêt de cette Cour dans Balathavarajan, sur lequel je reviendrai, témoignent de l’application de ces principes à ces deux contextes.

[94]  Je ne vois par ailleurs rien dans la Loi qui limiterait le pouvoir de la SAI, lorsqu’elle est saisie d’un appel formé en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la Loi, avec comme arrière-plan une interdiction de territoire pour grande criminalité dont la validité n’est pas contestée, de considérer, dans les limites fixées par l’arrêt Sittampalam, la preuve sous-tendant des accusations retirées, rejetées ou encore envisagées dans son évaluation des facteurs Ribic, notamment, et surtout, celui lié aux possibilités de réadaptation. 

[95]  Comme l’a indiqué le juge en chef Crampton, dans McAlpin, vu la priorité que le Parlement a accordée à la sûreté et à la sécurité publique, il peut être tout à fait approprié pour le Ministre, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de renvoyer pour enquête le dossier d’une personne interdite de territoire au Canada, « d’accorder beaucoup d’importance au nombre élevé d’interactions que la personne a eu avec la loi » (McAlpin, au para. 6).

[96]  Si cela est vrai pour le Ministre, lorsqu’il est appelé à exercer le pouvoir que lui confère le paragraphe 44(2) de la Loi, un pouvoir comportant une faible marge discrétionnaire (McAlpin, au para. 58, citant Sharma c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CAF 319, [2017] 3 R.C.F. 492, aux para. 23-24), il faut qu’il en soit tout autant pour la SAI, lorsqu’elle exerce le pouvoir discrétionnaire qui lui est dévolu par l’alinéa 67(1)c), un pouvoir étendu, faut-il le préciser (Santiago c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 91, [2018] 1 R.C.F. 166, au para. 28; Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 R.C.S. 84, au para. 66 (Chieu); Gonzalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 1274, au para. 36; Altiparmak c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 776, au para. 18; Karshe c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 530, au para. 22; Tong c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 6, au para. 27).

[97]  Il doit en être ainsi car dans un tel contexte, la SAI est appelée à exercer ce pouvoir alors que la validité de l’interdiction de territoire en cause est acquise, que la personne visée réclame, de fait, une exemption de l’application des termes de la Loi, qu’elle le fait sur la base d’un concept d’une très large portée, celui des considérations d’ordre humanitaire, et que cet exercice doit être axé, contrairement à ce qui est le cas, par exemple, des demandes d’exemption formulées aux termes de l’article 25 de la Loi, sur la sûreté et la sécurité publique (McAlpin, au para. 65).

[98]  L’intimé plaide cependant que le Ministre ne peut pas invoquer devant la SAI, dans le contexte d’un appel formé en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la Loi, des allégations de criminalité organisée si celles-ci n’ont pas d’abord fait l’objet, aux termes de l’article 44 de la Loi, d’un rapport d’interdiction de territoire fondé sur l’alinéa 37(1)a) de la Loi, suivi d’un déféré dudit rapport à la SI pour enquête. Autrement, dit-il, la personne sollicitant la clémence de la SAI en serait désavantagée sur le plan de sa capacité à répondre à de telles allégations.

[99]  Cet argument ne peut être retenu. Comme j’ai eu l’occasion de le mentionner, les règles les plus élémentaires d’équité procédurale et de justice naturelle exigent que la SAI porte ces allégations à l’attention de la personne visée et que celle-ci se voit offrir la possibilité d’y répondre. En l’espèce, je note que les audiences de la SAI se sont étendues sur plusieurs jours, lesquels ont majoritairement servi à l’administration de la preuve concernant les allégations de criminalité organisée dirigées contre l’intimé dans le cadre de l’examen de ses possibilités de réadaptation.

[100]  On peut toujours questionner la décision du Ministre de ne pas avoir opté pour la rédaction d’un rapport d’interdiction de territoire à l’encontre de l’intimé fondé sur l’alinéa 37(1)a) de la Loi. Toutefois, quelles qu’en soient les raisons, le Ministre, en faisant ce choix en l’espèce, s’est assujetti à un fardeau de preuve plus lourd que celui qui se serait appliqué s’il avait opté pour le prononcé d’une interdiction de territoire formelle sur une telle base. En effet, aux termes de l’article 33 de la Loi, il lui aurait suffi de démontrer la présence de motifs raisonnables de croire que les faits, actes ou omissions sous-jacents à l’interdiction de territoire revendiquée sont survenus, surviennent ou peuvent survenir. En l’espèce, il lui a fallu démontrer, par prépondérance des probabilités, un fardeau plus exigeant (Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100, au para. 114), et ce dans le cadre d’une procédure – l’appel aux termes de l’alinéa 67(1)c) – auquel l’intimé n’aurait autrement pas eu accès vu le paragraphe 64(1) de la Loi, que les possibilités de réadaptation étaient faibles vu sa participation aux activités d’une organisation criminelle. 

[101]  Quoi qu’il en soit, cet argument, comme nous le verrons, se défend difficilement à la lumière de l’arrêt Balathavarajan.

(2)  L’impact de l’arrêt Balathavarajan

[102]  L’interprétation de l’arrêt Sittampalam à laquelle en est arrivée le juge Bell se heurte aussi à l’arrêt Balathavarajan, où cette Cour a confirmé le pouvoir de la SAI, dans le contexte d’un appel fondé, comme ici, sur l’alinéa 67(1)c) de la Loi, de considérer le témoignage d’un informateur non-identifié afin de déterminer, dans son examen des facteurs Ribic, si M. Balathavarajan, interdit de territoire, lui aussi, pour grande criminalité, appartenait à un gang criminalisé (Balathavarajan, aux para. 11-12). L’évaluation de cette preuve visait, notamment, à vérifier la capacité que M. Balathavarajan disait avoir de se réhabiliter (Balathavarajan, au para. 13). Comme ici également, et comme c’était le cas aussi dans l’affaire Veerasingam, l’examen de la question de l’appartenance de M. Balathavarajan à une organisation criminelle n’avait pas été précédé d’un rapport d’interdiction de territoire pour criminalité organisée émis aux termes du paragraphe 44(1) de la Loi.

[103]  Reconnaissant qu’il lui « [était] impossible de distinguer l’affaire Balathavarajan comme [il l’avait] fait avec Sittampalam », le juge Bell s’en est néanmoins distancé sur la base de la mise en garde suivant laquelle le recours à ce type de preuve était permis en autant qu’il n’avait pas pour but « de trouver un autre motif d’interdiction de territoire » (Balathavarajan, au para. 13). Étant d’avis que c’était justement-là l’erreur qu’avait commise la SAI dans la présente affaire, le juge Bell a conclu que l’arrêt Balathavarajan ne venait pas modifier le résultat de son analyse.

[104]  Je ne saurais davantage souscrire à ce point de vue. En effet, il me paraît manifeste que la SAI a considéré la preuve des démêlés que l’intimé a eue avec la justice mais qui n’ont pas débouché sur des condamnations ou des accusations, dans le seul but de vérifier la capacité que celui-ci disait avoir de se réhabiliter. La légalité de l’interdiction de territoire étant acquise, et, conséquemment, celle de la mesure de renvoi prise dans sa foulée, il est à se demander, puisque l’intimé ne contestait ni l’une ni l’autre aux termes de son appel, en quoi il aurait été nécessaire à la SAI, pour disposer dudit appel, d’étayer un motif supplémentaire d’interdiction de territoire.

[105]  Étant saisie d’un appel en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la Loi, la SAI n’était appelée qu’à décider si des motifs d’ordre humanitaire justifiaient, au regard de l’ensemble des circonstances de l’affaire, y compris l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché, la prise de mesures spéciales à l’encontre de la mesure de renvoi. Elle n’avait pas, contrairement à ce qu’aurait été le cas d’un appel fondé sur l’alinéa 67(1)a), par exemple, à se prononcer sur le bien-fondé de la mesure de renvoi et de l’interdiction de territoire la sous-tendant.

[106]  Contrairement au juge Bell, je suis donc incapable de me convaincre que la SAI s’est intéressée à la preuve sous-tendant les accusations portées contre l’intimé, puis rejetées ou retirées, et les allégations de criminalité organisée pesant contre lui, pour tenter de bonifier le fondement de la mesure de renvoi en y greffant l’interdiction de territoire fondée sur l’alinéa 37(1)a) de la Loi. Cela, je le rappelle, n’a d’ailleurs jamais été la prétention de l’intimé.

[107]  L’intervenante, l’AQAADI, n’a pas ébranlé cette conviction. En effet, elle soutient, d’une part, que la Loi interdit à la SAI, lorsqu’elle est saisie d’un appel formé en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la Loi, de tenir compte de faits autres que ceux qui ont servi à la SI pour rendre sa décision relative à l’interdiction de territoire. En d’autres termes, il ne serait pas loisible au Ministre de présenter, devant la SAI, de la preuve nouvelle.

[108]  Cet argument est sans fondement puisque les audiences tenues devant la SAI constituent des procédures de novo, celle-ci étant tenue d’examiner les affaires dont elle est saisie dans leur ensemble et de considérer, à cette fin, tout nouvel élément de preuve pertinent qui lui est présenté (Islam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 80, au para. 11). Je rappelle que la SAI jouit, en cette matière, d’un très large pouvoir discrétionnaire et qu’il lui revient, dans l’exercice de ce pouvoir, de déterminer, aux termes de l’alinéa 67(1)c) de la Loi, à la fois en quoi consistent les motifs d’ordre humanitaires pertinents et en quoi, eu égard à l’ensemble des circonstances, la prise de mesures spéciales serait justifiée (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au para. 57 (Khosa)).

[109]  L’AQAADI soutient, d’autre part, que la prise en compte d’accusations retirées ou encore rejetées dans le cadre de l’examen des possibilités de réadaptation d’une personne interdite de territoire, contrevient non seulement à la jurisprudence citée par le juge Bell, mais aussi à la façon dont le concept de réadaptation est abordé par la Loi.

[110]  Cet argument se saurait davantage prévaloir. Outre ce que j’ai déjà dit de la jurisprudence applicable, il n’y a rien dans la Loi, selon moi, qui vient définir le concept de réadaptation d’une manière qui viendrait restreindre le pouvoir de la SAI de considérer la preuve sous-tendant des accusations par ailleurs retirées ou rejetées lorsque l’interdiction de territoire visée repose sur l’alinéa 36(1)a) de la Loi.

[111]  Si, comme le soutient l’intervenante, la réadaptation de l’interdit de territoire pour grande criminalité ou criminalité est déterminée, tel qu’envisagée par l’alinéa 36(3)b) de la Loi et son règlement d’application, le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, D.O.R.S./2002-227, par le seul passage du temps et la non-récidive coupable, il n’en est pas ainsi de la réadaptation de l’interdit de territoire visé par l’alinéa 36(1)a) de la Loi, dont il n’est pas fait mention à l’alinéa 36(3)b). Autrement dit, cette disposition ne vise que certains cas d’interdiction de territoire pour grande criminalité ou criminalité, soit ceux ayant comme fondement une infraction commise hors du Canada ou encore une déclaration de culpabilité rendue hors du pays. Il est donc manifeste que le législateur n’entendait pas restreindre à ces seuls facteurs la question de la réadaptation des personnes interdites de territoire aux termes de l’alinéa 36(1)a) de la Loi.

[112]  L’intervenante plaide aussi que, de par leur nature, les demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire visent à favoriser celui qui les invoque. Ultimement, sans doute, mais un appel fondé sur des motifs d’ordre humanitaire demeure une « mesur[e] exceptionnell[e] » (Khosa, au para. 57) dont le fardeau repose, comme ici, sur l’individu frappé d’une mesure de renvoi valide (Chieu, au para. 57). Il en est ainsi parce qu’une telle personne n’a aucun droit de rester au Canada, si elle ne peut bénéficier d’un privilège particulier. En d’autres mots, cette personne ne cherche pas à se faire reconnaître un droit, mais cherche plutôt à obtenir un privilège discrétionnaire, avec, en arrière-plan, dans ce cas précis, la priorisation de la sûreté et de la sécurité publique (Prata c. Ministre de la Main‑d’œuvre et de l’Immigration, [1976] 1 R.C.S. 376, p. 377; McAlpin, au para. 65). Cet argument n’avance pas la cause de l’intimé. Comme le souligne avec à-propos le juge en chef Crampton, « il peut être difficile de faire preuve de compassion pour une personne qui a des antécédents d’interactions avec la loi », particulièrement « quand cette personne est également interdite de territoire pour raison de […] grande criminalité […] » (McAlpin, au para 104).

[113]  Enfin, l’AQAADI soutient que la position mise de l’avant par l’appelant dans la présente affaire est susceptible de produire des résultats qui contreviennent à certains droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, qui constitue l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11. Ces arguments n’ont été soulevés ni devant la SAI, ni devant la Cour fédérale. Ils dépassent ainsi largement les paramètres de l’ordonnance autorisant l’AQAADI à intervenir en l’instance. Il n’y sera pas donné suite.

[114]  Pour tous ces motifs, j’en arrive donc à la conclusion que la SAI peut, dans les limites fixées par l’arrêt Sittampalam, considérer les faits qui sous-tendent des allégations criminelles pour lesquelles l’individu interdit de territoire n’a pas été condamné, lorsqu’elle exerce sa discrétion en vertu de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1) de la Loi.

[115]  Ces limites, je le rappelle, sont les suivantes :

  1. Les faits qui sous-tendent des allégations criminelles pour lesquelles l’individu interdit de territoire n’a pas été condamné ne doivent pas servir, à eux-seuls, à établir la criminalité de la personne interdite de territoire;

  2. Ils doivent reposer sur des éléments crédibles et dignes de foi et être portés à l’attention de la personne visée qui doit se voir offrir la possibilité d’y répondre; et

  3. Les conclusions que le décideur en tire doivent être le fruit d’un examen indépendant de sa part et non du simple fait que des accusations ont été portées contre cette personne.

[116]  Il me faut maintenant déterminer si la SAI a agi à l’intérieur de ces limites et si, le cas échéant, la décision qu’elle a rendue rencontre les exigences de la raisonnabilité.

  1. La décision de la SAI est-elle conforme aux enseignements de l’arrêt Sittampalam et, le cas échéant, est-elle raisonnable?

[117]  Je rappelle que la SAI s’est notamment fondée sur les deux éléments suivants pour conclure comme elle l’a fait relativement aux possibilités de réadaptation de l’intimé : la preuve sous-tendant les accusations de voies de fait et de menaces portées contre l’intimé, puis retirées, lesquelles accusations se rapportent à quatre incidents de violence conjugale et de conflits intrafamiliaux s’étant produits entre 2007 et 2010; et la preuve sous-tendant des allégations à l’effet que l’intimé aurait été membre d’une organisation criminelle impliquée dans le trafic de drogues et qu’il en aurait même été la tête dirigeante.

[118]  En ce qui a trait aux accusations portées, puis retirées, il ressort de la décision de la SAI que celle-ci a examiné les rapports de police préparés suite à ces quatre incidents, lesquels contenaient les déclarations de différents témoins. La décision de la SAI révèle aussi qu’elle a confronté l’intimé au contenu de ces rapports, mais qu’elle s’est avérée insatisfaite des explications qu’il a données, lesquelles consistaient, pour l’essentiel, à accuser son ancienne conjointe et sa belle-famille d’avoir inventé ces histoires. 

[119]  Tout en reconnaissant qu’elle ne pouvait s’en remettre au simple fait que des accusations avaient été portées contre l’intimé en lien avec ces incidents dans son analyse des motifs d’ordre humanitaire, la SAI a conclu de l’ensemble de la preuve administrée devant elle, preuve qu’elle a jugée crédible et digne de foi, que l’intimé avait eu de multiples interactions avec les autorités policières, ce qui, en se référant à l’affaire McAlpin, justifiait qu’elle puisse en tirer une inférence négative quant à ses possibilités de réadaptation. (Décision de la SAI, DA, p. 59, au para. 56).

[120]  Contrairement à ce qui a été reproché au délégué du Ministre dans l’affaire McAlpin, la SAI n’a ni qualifié, ni traité ces accusations comme une preuve « d’antécédents criminels » et n’a jamais tenté de les utiliser comme preuve de la criminalité de l’intimé.

[121]  J’estime donc que la SAI a fait usage de la preuve sous-tendant les accusations portées contre l’intimé en lien avec ces quatre incidents de violence conjugale et de conflits intrafamiliaux, d’une manière conforme aux enseignements de l’arrêt Sittampalam.

[122]  Qu’en est-il maintenant du traitement même de la preuve? Était-il raisonnable? J’estime que oui.

[123]  Comme le rappelait notre Cour dans l’arrêt Sittampalam, la SAI, conformément à l’ancien article 173 (maintenant l’alinéa 175(1)b)) de la Loi, n’est pas liée par des règles de preuve strictes et « se trouve dans une situation unique pour apprécier la crédibilité de la preuve qui lui est présentée dans le cadre d’une audience », si bien que les conclusions qu’elle en tire « doivent faire l’objet d’une grande déférence dans le cadre d’un contrôle judicaire et […] ne peuvent être infirmées qui si elles sont abusives ou arbitraires ou ont été tirées sans qu’il soit tenu compte de la preuve […] » (Sittampalam, aux para. 49 et 53).

[124]  Comme elle le rappelait également dans Balathavarajan, c’est à la SAI de décider du poids à accorder à la preuve, et non à la Cour (Balathavarajan, au para. 12). À cet égard, je fais mien les propos du juge en chef Crampton dans McAlpin relatifs au poids que devraient se voir accorder les dossiers officiels de police : « En l’absence de preuve pour attaquer la crédibilité ou la fiabilité d’un dossier officiel de police comme preuve d’une interaction avec la police, la raison pour laquelle un tel dossier ne devrait pas être considéré comme crédible et fiable à ces fins n’est pas évidente » (McAlpin, au para. 103).

[125]  Comme la question du traitement qu’a fait la SAI de la preuve qui lui a été soumise en lien avec les incidents de violence conjugale et de conflits intrafamiliaux qui ont mené aux accusations en cause est éminemment factuelle, j’ajouterais, comme l’a rappelé la Cour suprême du Canada dans Vavilov, « qu’à moins de circonstances exceptionnelles », il n’appartient pas aux cours de révision de modifier les conclusions de fait du décideur administratif, pas plus qu’il ne leur revient « d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur » (Vavilov, au para. 125).

[126]  L’intimé, qui a surtout fait porter son effort sur la question du pouvoir même de la SAI de considérer la preuve sous-tendant ces accusations de voies de fait et de menaces portées contre lui, ne m’a pas convaincu que les conclusions de la SAI ou l’acceptation de cette preuve étaient abusives ou arbitraires.

[127]  Les mêmes conclusions s’imposent, à mon sens, en ce qui a trait au traitement de la preuve sous-tendant les allégations voulant que l’intimé ait été membre d’une organisation criminelle. Ici, je le rappelle, la SAI a reçu le témoignage des policiers Balassa et Leroux, le premier en tant qu’expert de l’organisation criminelle turque/kurde ayant pignon sur rue dans la région de Montréal et à laquelle l’intimé a été associé, et le second en tant que policier-enquêteur ayant été impliqué dans l’opération « Narkotik », menée par le Service de police de la Ville de Montréal entre octobre 2016 et mai 2017 sur les crimes de violence et le crime organisé dans la région de Montréal.

[128]  La SAI a jugé que M. Leroux avait témoigné de façon crédible à propos de cette opération, laquelle, selon son témoignage, avait permis de conclure à l’existence d’une organisation criminelle dirigée par l’intimé s’adonnant au trafic de l’héroïne à Montréal (Décision de la SAI, DA, vol.1, p. 52, au para. 35). Quant au rapport et témoignage de M. Balassa, la SAI a jugé qu’ils corroboraient sur plusieurs aspects les détails de l’opération « Narkotik » et leur a accordé une valeur probante importante, malgré que le témoignage de M. Balassa ait souffert de quelques imprécisions (Décision de la SAI, DA, vol. 1 p. 53., au para. 37).

[129]  Outre ces deux témoignages, la SAI s’est également fondée sur les conclusions d’une ordonnance de la Cour du Québec disposant, en juin 2017, de requêtes pour remise en liberté dans la foulée des arrestations effectuées dans le cadre de l’opération « Narkotik ». Dans son ordonnance, la Cour du Québec, selon la SAI, a considéré digne de foi la preuve établissant que l’intimé était la tête dirigeante de l’organisation criminelle en cause (Décision de la SAI, DA, vol. 1, p. 57, au para. 50).

[130]  La SAI a également considéré le contenu des déclarations assermentées des dénommés Birol et Baybars, tous deux arrêtés dans le cadre de l’opération « Narkotik », déclarations dans lesquelles ces personnes reconnaissent avoir fait du trafic d’héroïne pour le compte d’une organisation dont l’intimé était la tête dirigeante (Décision de la SAI, DA, vol. 1, p. 53, au para. 38). J’y reviendrai.

[131]  La SAI a confronté l’intimé à l’ensemble de cette preuve, mais n’a pas été satisfaite de ses réponses, estimant qu’il était resté plutôt vague et évasif sur les relations qu’il entretenait avec les membres de l’organisation. Elle a aussi déterminé que la crédibilité de l’intimé était entachée par la preuve produite par le Ministre sur son style de vie, qui, a-t-elle jugée, était incompatible avec ses revenus déclarés et laissait présager qu’il avait bénéficié du fruit des activités illégales de l’organisation (Décision de la SAI, DA, vol. 1, p. 55 et 57, aux para. 46 et 52).

[132]  À mon sens, la SAI a fait usage de cette preuve d’une manière conforme à l’arrêt Sittampalam : elle n’a pas cherché, par cette preuve, à établir la criminalité de l’intimé; elle s’est satisfaite que cette preuve reposait sur des éléments crédibles et dignes de foi; elle a confronté l’intimé à cette preuve et lui a offert la possibilité d’y répondre; et les conclusions qu’elle en a tirées sont manifestement le fruit d’un examen indépendant de sa part et non fondées sur le simple fait que des accusations criminelles auraient pu être portées contre l’intimé en lien avec cette preuve.

[133]  Quant à la raisonnabilité du traitement que la SAI a fait de cette preuve, l’intimé soutient que celle-ci ne disposait d’aucun élément de preuve tangible le reliant, à quelque titre que ce soit, à cette organisation criminelle. Les conclusions tirées par la SAI, poursuit-il, ne sont qu’une « grave série de spéculations, de conjonctures et d’allégations sans fondement […] » et sont, dès lors, déraisonnables (Mémoire des faits et du droit de l’intimé, au para. 57).

[134]  Il plaide également qu’il faut, de façon plus particulière, écarter la preuve émanant des déclarations des dénommés Birol et Baybars puisque ces deux individus, suite à un jugement rendu par la Cour supérieure du Québec en juin 2019, ont été condamnés pour diffamation en lien avec le contenu de ces déclarations. Je note que ce jugement est postérieur à la décision de la SAI; on ne peut donc reprocher à cette dernière de ne pas en avoir tenu compte. Je note aussi qu’il résulte d’une transaction si bien qu’il n’est pas le fruit de conclusions tirées par le tribunal lui-même, mais plutôt le fruit de motivations que nous ne connaissons pas.

[135]  Quoi qu’il en soit, j’estime, lorsque sa décision est examinée, comme il se doit, à l’aune de la norme de la décision raisonnable, que, même si je devais faire abstraction des déclarations de ces deux individus, la SAI disposait de suffisamment d’éléments de preuve pour conclure comme elle l’a fait.

[136]  En effet, elle disposait, notamment, du rapport de M. Balassa qui indique que les informations détenues par les autorités policières plaçaient l’intimé « non plus comme soldat, mais chef du crime organisé turc/kurde » (DA, vol. 2, p. 885) et qu’à l’occasion de deux tentatives de meurtre survenues en 2014, l’information signalait que les victimes avaient voulu quitter le groupe dirigé par l’intimé (DA, vol. 2, p. 888). M. Balassa souligne également que depuis 2013, l’intimé est moins visible, « ce qui est compatible avec le comportement d’un chef » (DA, vol. 2, p. 894) et que ce dernier « jouit d’une importante place au sein du crime organisé turc » (DA, vol. 2, p. 894). Il est à noter que le rapport de M. Balassa est fondé sur des informations qui ne proviennent pas des déclarations des dénommés Birol et Baybars. D’ailleurs, je rappelle que M. Balassa a témoigné en qualité d’expert du crime organisé devant la SAI et que cette dernière a jugé à la fois le rapport et le témoignage de M. Balassa dignes de foi. Or, l’intimé n’a ni contesté devant la Cour fédérale, ni devant notre Cour, cette qualification.

[137]  La SAI disposait aussi d’un rapport de filature, qui établissait la présence de l’intimé à l’endroit où les autorités policières soupçonnaient l’organisation d’effectuer la majeure partie de ses opérations de trafic d’héroïne et où une grande quantité de drogue et d’armes avait été trouvée lors de la perquisition effectuée en mai 2017 (DA, vol. 3, p. 1049 et 1154-1155). Finalement, elle disposait du témoignage de M. Leroux qui indiquait que la cible ultime de l’opération « Narkotik » était toujours l’intimé, et que, par expérience, les enquêteurs devaient être conscients « qu’en aucun temps », il sera possible de prendre l’intimé « la main dans le sac avec des stupéfiants », étant donné son rôle de tête dirigeante de l’organisation (DA, vol. 4, p. 1607).

[138]  Ultimement, l’intimé demande ici à notre Cour de réévaluer la preuve qui était devant la SAI, ce qui ne cadre pas, comme je l’ai déjà mentionné, avec le rôle qui est le sien lorsqu’elle siège en appel d’un jugement disposant d’une demande de contrôle judiciaire (Balathavarajan, au para. 12; Singh, au para. 22, Merck Frosst, au para. 47).

[139]  Il faut rappeler ici, encore une fois, que la SAI n’est pas liée par les règles strictes de preuve et qu’elle peut se fonder sur des éléments de preuve qui n'ont pas entraîné de condamnation criminelle dans la mesure où ces éléments sont dignes de foi (Balathavarajan, au para. 12; Thuraisingam, au para. 23; Legault c. Canada (Secrétaire d'État) (1997), 219 N.R. 376 (C.A.F.), au para. 9). En d’autres mots, elle n’est pas astreinte au fardeau de preuve applicable en matière criminelle. En l’espèce, elle a appliqué, correctement à mon avis, la norme de preuve applicable en matière civile, soit celle de la balance des probabilités et a tiré des conclusions, à la lumière de la preuve qu’elle avait devant elle, qui se situent à l’intérieur de la fourchette des issues possibles, acceptables en regard des faits et du droit (Vavilov, au para. 85; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au para. 47).

[140]  Il n’y a donc pas lieu d’intervenir à l’encontre des conclusions auxquelles en est arrivée la SAI quant aux faibles possibilités de réadaptation de l’intimé.

[141]  L’intimé conteste aussi le refus de la SAI de sursoir à l’exécution de la mesure de renvoi à laquelle il fait face, refus qu’il juge déraisonnable compte tenu de l’évolution de sa situation personnelle depuis sa condamnation de décembre 2008. Il invoque à cet égard la relation stable qu’il entretient avec Mme Haddadi, l’enfant qu’il a eu avec elle et le poste de cuisinier et gérant qu’il occupe dans une pizzeria depuis 2015. Il cite, à l’appui de ses récriminations, un certain nombre de décisions de la SAI où celle-ci a paru faire preuve de plus d’ouverture qu’elle ne l’a fait à son égard.

[142]  La SAI a analysé ces divers éléments dans le cadre de son examen des autres facteurs Ribic, à savoir le degré d’établissement de l’intimé au Canada, les conséquences que son renvoi pourrait avoir sur les membres de sa famille au Canada et le soutien dont il bénéficie au Canada, non seulement de sa famille, mais aussi de la collectivité.

[143]  Après avoir considéré ces facteurs un à un, la SAI en est arrivée à la conclusion qu’aucun d’entre eux ne favorisait la prise de mesures spéciales ou un sursis de la mesure de renvoi sur la base de motifs d’ordre humanitaire.

[144]  À moins de procéder moi-même à la revue de ces facteurs en vue d’en tirer mes propres conclusions, ce que je ne peux pas faire, je ne vois pas matière à intervenir dans la façon dont la SAI, qui, je le rappelle, est investie d’un large pouvoir discrétionnaire en cette matière, a disposé de ces éléments de l’appel de l’intimé. Il ne faut pas perdre de vue, à cet égard, que la SAI a aussi fondé le rejet de l’appel dont elle était saisie sur la gravité de l’infraction pour laquelle l’intimé a plaidé coupable, l’absence de remords sincères, la faible possibilité de réadaptation et sur le fait que l’intimé n’avait pas démontré qu’un éventuel retour en Turquie lui causerait des difficultés indues compte tenu de sa situation personnelle.

[145]  Quant au meilleur intérêt de l’enfant directement touché, la SAI a examiné la situation de l’enfant né en 2006 de l’union de l’intimé avec son ancienne conjointe, enfant dont cette dernière a la garde exclusive. L’intimé ne semble pas contester les conclusions tirées par la SAI sur ce point. Toutefois, comme on l’a vu, il invoque maintenant le meilleur intérêt de l’enfant qu’il a eu avec Mme Haddadi. Selon ce qu’on peut comprendre du dossier qui est devant notre Cour, cet enfant serait né en avril 2019, soit bien après les audiences tenues par la SAI et bien après la décision qui s’en est suivie. On ne peut donc reprocher à la SAI de ne pas avoir considéré le meilleur intérêt de cet enfant.

[146]  C’est à la SAI qu’il revient d’accorder aux divers facteurs Ribic le poids et l’importance que les circonstances de chaque affaire, selon elle, commandent (Balathavarajan, au para. 12). Je ne peux donc dire, en l’espèce, qu’elle a commis une erreur d’appréciation de l’ensemble des circonstances du présent dossier qui justifierait l’intervention de la Cour.

[147]  Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel du Ministre, sans dépens, j’annulerais la décision de la Cour fédérale dont la référence est 2019 CF 736 et rendant la décision que la Cour fédérale aurait dû rendre, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire de l’intimé, sans dépens aussi. Quant à la première question certifiée par le juge Bell, la seule à laquelle notre Cour devrait répondre, j’y répondrais par l’affirmative.

« René LeBlanc »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Richard Boivin j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-235-19

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION c. FATIH SOLMAZ et L'ASSOCIATION QUÉBÉCOISE DES AVOCATS ET AVOCATES EN DROIT DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 juin 2020

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LEBLANC

 

Y ONT SOUSCRIT :

le juge boivin

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 JUILLET 2020

 

COMPARUTIONS :

Michel Pépin

 

Pour l'appelant

 

Guillaume Cliche-Rivard

Rosalie Caillé-Lévesque

 

Pour l'intimé

 

Dan Bohbot

 

Pour l'intervenante

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

 

Pour l'appelant

 

Cliche-Rivard, Avocats inc.

Montréal (Québec)

 

Pour l'intimé

 

Dan Bohbot Avocat

Montréal (Québec)

 

Pour l'intervenante

 

 

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