Dossier : A-186-19
Référence : 2020 CAF 125
[TRADUCTION FRANÇAISE]
CORAM :
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LE JUGE EN CHEF NOËL
LE JUGE BOIVIN
LA JUGE RIVOALEN
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ENTRE :
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SA MAJESTÉ LA REINE
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appelante
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et
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984274 ALBERTA INC.
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intimée
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Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe le 3 juin 2020.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 28 juillet 2020
MOTIFS DU JUGEMENT :
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LE JUGE EN CHEF NOËL
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Y ONT SOUSCRIT :
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LE JUGE BOIVIN
LA JUGE RIVOALEN
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Date : 20200728
Dossier : A-186-19
Référence : 2020 CAF 125
CORAM :
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LE JUGE EN CHEF NOËL
LE JUGE BOIVIN
LA JUGE RIVOALEN
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ENTRE :
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SA MAJESTÉ LA REINE
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appelante
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et
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984274 ALBERTA INC.
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intimée
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MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE EN CHEF NOËL
[1]
La Cour est saisie de l’appel interjeté par Sa Majesté la Reine (la Couronne ou l’appelante) contre le jugement rendu par la Cour canadienne de l’impôt (2019 CCI 85) par lequel le juge Smith (le juge de la Cour de l’impôt) a accueilli l’appel interjeté par 984274 Alberta Inc. (l’intimée ou Alberta) et annulé la cotisation établie par le ministre du Revenu national (le ministre) sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e supp.) (la Loi) ayant trait à son année d’imposition 2003.
[2]
La question à trancher est celle de savoir si la cotisation du 23 mars 2015 (la cotisation de 2015) était valide, compte tenu des dispositions pertinentes de la Loi. Le juge de la Cour de l’impôt répond à cette question par la négative, concluant que la cotisation de 2015 a été établie en dehors de la période normale de nouvelle cotisation et que le paragraphe 169(3), qui porte sur les règlements extrajudiciaires, ne permet pas de rendre la cotisation valide, car l’intimée n’était pas partie à l’appel ayant fait l’objet d’un règlement. Il conclut également que, même si la cotisation pouvait être établie en dehors de la période normale de cotisation, par application des paragraphes 160.1(1) et (3) ainsi que 164(3.1), ces dispositions ne jouent pas en l’espèce, vu les faits de l’affaire.
[3]
Selon l’appelante, le juge de la Cour de l’impôt s’est trompé dans les deux cas. Elle fait valoir qu’il était loisible au ministre en établissant la cotisation de 2015 de récupérer le remboursement d’impôt de 1 809 598 $, plus les intérêts courus, versé en trop à l’intimée en 2010.
[4]
L’intimée est d’accord sur la conclusion que le paragraphe 169(3) ne s’applique pas dans son cas, car elle n’est pas partie à l’appel s’étant soldé par la conclusion de l’entente. En outre, selon elle, c’est à bon droit que le juge de la Cour de l’impôt a conclu qu’aucune des dispositions régissant les remboursements excessifs invoqués par le ministre n’habilitait ce dernier à établir la cotisation de 2015.
[5]
Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis d’accueillir l’appel.
[6]
Les dispositions pertinentes de la Loi sont reproduites à la fin des motifs.
FAITS
[7]
L’appel devant la Cour de l’impôt était sous-tendu par un énoncé conjoint des faits, dont une copie figure à l’annexe du jugement dont il est interjeté appel. Suivent les principaux faits ainsi que les autres éléments pertinents qui ressortent du dossier.
[8]
L’intimée a été constituée en société sous le régime des lois de l’Alberta le 16 avril 2002, à titre de filiale en propriété exclusive de Henro Holdings Corporation (Henro).
[9]
Le 24 avril 2002, Henro transfère à l’intimée un terrain de 84 acres (le terrain) qu’elle a acquis en 1987. Selon Henro et l’intimée, le terrain constitue une immobilisation. Le transfert est fait par roulement suivant le choix fait en application du paragraphe 85(1) de la Loi. Plus tard le même jour, l’intimée vend le terrain à un tiers avec qui elle n’a pas de lien de dépendance.
[10]
Le 5 septembre 2002 et le 18 novembre 2002, l’intimée distribue une partie des profits de la vente à Henro sous la forme de dividendes en capital, en application du paragraphe 83(2) de la Loi. Les sommes versées s’établissent respectivement à 1 250 000 $ et 2 702 238 $.
[11]
Dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition se terminant le 31 mars 2003, l’intimée déclare un gain en capital imposable de 3 952 238 $ issu de la vente du terrain. Le 23 juin 2003, le ministre l’informe, par avis de cotisation, qu’elle est redevable, suivant la partie I de la Loi, d’un impôt établi à 1 809 598 $ (la cotisation de 2003). Un avis de nouvelle cotisation pour la même année d’imposition lui est transmis le 23 octobre 2003 l’informant que la cotisation initiale demeure inchangée et accusant réception du versement intégral de l’impôt pour l’année (la nouvelle cotisation de 2003).
[12]
Vu la date d’émission de la cotisation de 2003, la période normale de nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2003 de l’intimée expirait le 23 juin 2006 (paragraphe 152(3.1) de la Loi).
[13]
En juin 2006 — la date exacte n’est pas mentionnée —, l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) informe Henro qu’elle fera l’objet d’une vérification. Le 20 juillet 2007, l’ARC avise Henro qu’elle va établir de nouvelles cotisations à l’égard de ses années d’imposition 2003 à 2007. Selon l’ARC, le terrain transféré à l’intimée constituait un bien à porter à l’inventaire plutôt qu’une immobilisation, et ne pouvait donc être visé par le choix conjoint fait au titre du paragraphe 85(1) de la Loi.
[14]
Le 8 juin 2009, l’ARC informe l’avocat d’Henro que la période normale de nouvelle cotisation de l’intimée arrive à expiration et a demandé que cette dernière y renonce par écrit pour permettre à l’ARC de lui rembourser l’impôt payé sur le gain en capital déclaré à l’égard de son année d’imposition 2003. Même si le délai applicable à cette année est déjà expiré, l’intimée accepte de présenter une renonciation à cette fin (sous-alinéa 152(4)a)(ii) et paragraphe 152(3.1) de la Loi).
[15]
Entre décembre 2009 et juillet 2010, l’ARC établit des cotisations et nouvelles cotisations, comme il l’a annoncé, à l’égard de Henro au titre des parties I, III et IV de la Loi. La cotisation établie au regard de l’impôt payable selon la partie III résulte des dividendes en capital excessifs versés par Henro à ses actionnaires, vu la décision de l’ARC d’assimiler le terrain à un bien à porter à l’inventaire. Henro présente des objections à ces cotisations et nouvelles cotisations.
[16]
Les cotisations ont la conséquence directe suivante : le terrain transféré à l’intimée au cours de son année d’imposition 2003 était réputé, par application de l’article 69, avoir été acquis à sa juste valeur marchande; la vente du terrain le même jour à un tiers avec qui l’intimée n’avait aucun lien de dépendance n’a donc généré aucun revenu pour l’intimée. Ainsi, le ministre, par voie d’avis de nouvelle cotisation délivré en 2010 (la nouvelle cotisation de 2010 ou la cotisation néant), réduit la valeur du gain en capital imposable déclaré par l’intimée à l’égard de son année d’imposition 2003, la faisant passer de 3 952 238 $ à zéro, et rembourse à l’intimée 2 577 231 $, soit l’impôt payé (1 809 598 $) sur le gain en capital imposable déclaré en 2003, plus l’intérêt applicable (767 633 $). L’intimée accepte le versement (le versement de 2010).
[17]
L’appelante et l’intimée ont plaidé devant le juge de la Cour de l’impôt que la nouvelle cotisation de 2010 n’était pas valide, car elle avait été établie après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation de l’intimée (énoncé conjoint des faits, par. 30). Or, comme nous l’indiquons ci-après, les parties ont depuis changé leur fusil d’épaule. Selon l’appelante, la nouvelle cotisation de 2010 était susceptible d’invalidité, plutôt qu’invalide. Pour sa part, l’intimée prétend qu’elle est invalide ou qu’elle ne constitue pas véritablement une cotisation.
[18]
En avril 2012, l’ARC confirme les nouvelles cotisations établies au titre de la partie I et les cotisations établies au titre des parties III et IV à l’égard de Henro. Un appel est interjeté devant la Cour de l’impôt.
[19]
Des discussions en vue d’un règlement se tiennent. En juillet 2014, les représentants de l’ARC et de Henro concluent une entente de règlement de l’appel interjeté à la Cour de l’impôt intitulée [traduction] « Règlement extrajudiciaire intervenu en vertu du paragraphe 169(3) de la Loi »
. L’entente a été signée également par l’intimée. Cette dernière reconnaît que, si elle n’est pas partie à l’appel ayant fait l’objet du règlement, elle est partie à l’entente de règlement (mémoire de l’intimée, par. 20).
[20]
Aux termes de l’entente de règlement, entre autres choses, une nouvelle cotisation est établie à l’égard d’Henro, suivant laquelle le terrain transféré est de nouveau considéré comme une immobilisation, et non comme un bien à porter à l’inventaire, ainsi qu’à l’égard de l’intimée, pour l’année d’imposition 2003, suivant laquelle 7 904 475 $ sont ajoutés au titre des gains en capital (3 952 238 $ de ceux-ci étant imposables).
[21]
Le 23 mars 2015, le ministre établit la cotisation de 2015 ayant pour effet le recouvrement du versement de 2010, y compris le remboursement des intérêts, et des intérêts sur les arriérés depuis 2010. Le ministre estime alors que le terrain transféré constitue une immobilisation et que l’intimée est redevable de l’impôt applicable, comme sa déclaration et la cotisation initiales l’indiquent. La cotisation de 2015 est fondée sur le paragraphe 169(3) de la Loi, ainsi que sur les paragraphes 160.1(1) et (3) et le paragraphe 164(3.1) (réponse à l’avis d’appel, par. 1, dossier d’appel, vol. 1, p. 72).
[22]
L’intimée présente une objection à la cotisation de 2015, et ce même si elle a signé l’entente de règlement, et interjette appel à la Cour de l’impôt. Elle reconnaît ainsi, sans aborder la question de la prescription, qu’il est loisible au ministre de la poursuivre en inexécution de contrat, devant la Cour supérieure du Québec, pour recouvrer l’impôt et les intérêts remboursés par erreur (mémoire de l’intimée, par. 23).
[23]
Le juge de la Cour de l’impôt accueille l’appel. Essentiellement, il conclut que l’intimée n’est pas véritablement partie au règlement extrajudiciaire intervenu en vertu du paragraphe 169(3) de la Loi et que le versement de 2010 ne peut être récupéré par application des paragraphes 160.1(3) et 164(3.1), car il ne s’agit pas d’un remboursement autorisé par la Loi.
DÉCISION FAISANT L’OBJET DE L’APPEL
[24]
Le juge de la Cour de l’impôt résume ainsi la thèse de l’intimée (motifs, par. 27) :
L’appelante [l’intimée devant nous] soutient que le ministre n’était pas autorisé par la loi à faire le [versement de 2010]. L’impôt sur le gain en capital a été établi en 2003 et payé à ce moment. Le [versement de 2010] consiste simplement en une somme payée par erreur et le ministre a un recours civil, aux termes de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C-50, devant une juridiction compétente.
[25]
Il recense trois questions préliminaires, à savoir « La nouvelle cotisation de 2010 est-elle nulle et non avenue? »
, « Quelle est la conséquence du caractère nul et non avenu de la nouvelle cotisation de 2010? »
et « L’appelante est-elle liée par la transaction? »
. À la lumière des dispositions pertinentes et de la jurisprudence portant sur le paragraphe 152(8), il conclut à l’invalidité de la nouvelle cotisation de 2010, car elle a été établie après l’expiration de la période normale de cotisation (motifs, par. 39 à 49). Cette conclusion est conforme à la thèse des parties dans l’affaire à trancher.
[26]
Le juge de la Cour de l’impôt répond ensuite de manière concise à la deuxième question préliminaire. Il estime que, partant, la cotisation de 2003 – suivant laquelle le gain en capital doit être attribué à l’intimée, comme elle l’a initialement déclaré – demeure en vigueur (motifs, par. 50 à 52).
[27]
Ensuite, le juge de la Cour de l’impôt s’attache à décider si le paragraphe 169(3) s’applique à l’intimée et, plus précisément, si le paragraphe 165(1.2) empêche cette dernière de présenter une objection à la cotisation de 2015 (motifs, par. 56). Après une courte analyse textuelle, il conclut que le paragraphe 169(3) ne s’applique qu’à une partie à un appel ayant fait l’objet d’un règlement, ce que l’intimée n’est pas. Il est donc d’avis qu’il est loisible à l’intimée de présenter une objection à la cotisation de 2015 (motifs, par. 60 et 62).
[28]
Le juge de la Cour de l’impôt se penche ensuite sur la question de savoir si le versement de 2010 est autorisé par les paragraphes 164(1) et 164(3) de la Loi (motifs, par. 63 à 81). Plus précisément, il cherche à savoir s’il s’agit d’un remboursement d’impôt avec intérêts courus, pour l’application des paragraphes 164(1) et (3) et du paragraphe 164(7) de la Loi. Vu sa conclusion quant à l’invalidité de la nouvelle cotisation de 2010 et à la validité continue de la cotisation de 2003, il fait remarquer que la Couronne ne pouvait avoir effectué un « paiement en trop »
au sens où il faut l’entendre pour l’application du paragraphe 164(7). Selon le juge de la Cour de l’impôt, étant donné l’absence de « paiement en trop »
, le versement de 2010 ne peut être assimilé au remboursement prévu aux paragraphes 164(1) et (3) (motifs, par. 75 à 79).
[29]
Le juge de la Cour de l’impôt demande ensuite si le versement de 2010 tient néanmoins de la nature du remboursement prévu aux paragraphes 160.1(1) et (3) de telle sorte que les intérêts sur le remboursement sont récupérables en vertu du paragraphe 164(3.1) (motifs, par. 84). Ayant répété que le versement de 2010 n’est pas autorisé par le paragraphe 164(1), il conclut que ces intérêts ne sont pas récupérables (motifs, par. 85 à 90).
[30]
Sous une rubrique différente, le juge de la Cour de l’impôt s’attache à déterminer si le ministre était autorisé à établir une nouvelle cotisation au titre des paragraphes 160.1(1) et (3). Il rejette tout d’abord la prétention de l’intimée selon laquelle ces dispositions obligent le ministre à tirer une conclusion au préalable en application d’une autre disposition de la Loi (motifs, par. 94 à 99).
[31]
Il rejette ensuite l’autre prétention de l’intimée selon laquelle, pour que les paragraphes 160.1(1) et (3) puissent être invoqués, il faut que le contribuable ait demandé un remboursement (motifs, par. 100 à 106).
[32]
Toutefois, il accepte la prétention de l’intimée suivant laquelle, pour que le paragraphe 160.1(1) s’applique, il faut que le contribuable ait reçu un remboursement, au titre d’une disposition précise de la Loi, dont le montant excède la valeur du remboursement auquel il avait droit (motifs, par. 107 à 117). Étant donné que le versement de 2010 en l’espèce n’a été effectué au titre d’aucune disposition précise de la Loi, le juge de la Cour de l’impôt estime que le paragraphe 160.1(1) ne peut être invoqué à bon droit (motifs, par. 118).
[33]
Enfin, le juge de la Cour de l’impôt conclut que, même si le paragraphe 160.1(1) renvoie à un « remboursement »
suivant le sens ordinaire de ce mot, le versement n’ayant été effectué au titre d’aucune disposition précise, cette disposition n’est pas applicable (motifs, par. 120 à 134). La décision – à cet égard et à tous les autres – porte essentiellement que la cotisation de 2003 est restée en vigueur; aucun versement excessif n’a donc été fait, et aucun remboursement ne peut donc être récupéré.
[34]
Le juge de la Cour de l’impôt accueille l’appel, concluant que la cotisation de 2015 n’a pas été établie conformément aux paragraphes 160.1(1) et (3) et au paragraphe 164(3.1) de la Loi (motifs, par. 135).
THÈSE DE LA COURONNE
[35]
La Couronne affirme que, compte tenu du texte, du contexte et de l’objet du paragraphe 169(3) de la Loi, l’intimée est liée par l’entente de règlement extrajudiciaire qu’elle a signée en vue du règlement de l’appel interjeté par Henro. Selon la Couronne, cette disposition a pour objet de favoriser le règlement d’appels devant la Cour de l’impôt en permettant le règlement de questions connexes qui ne relèvent pas nécessairement de cette dernière. Elle se distingue du paragraphe 171(1) qui prévoit le jugement sur consentement, qui est très limité (mémoire de la Couronne, par. 30 à 31 et 36).
[36]
À propos du texte, la Couronne soutient que le libellé du paragraphe 169(3) habilite le ministre à établir une nouvelle cotisation à l’égard d’un contribuable « en vue de régler un appel interjeté en application d’une disposition de la présente loi »
. Le terme « contribuable »
renvoie à tout contribuable qui a consenti à une nouvelle cotisation. Selon la Couronne, le juge de la Cour de l’impôt a décidé à tort que ce terme ne visait pas l’intimée, car sa décision revient à substituer « une partie à l’appel »
au « contribuable »
(mémoire de la Couronne, par. 32 à 34).
[37]
Invoquant l’arrêt récent Freitas c. Canada, 2018 CAF 110 [Freitas], dans laquelle notre Cour conclut qu’une nouvelle cotisation établie après l’expiration de la période de nouvelle cotisation est susceptible d’annulation, et non invalide, la Couronne, contrairement à ce qu’elle affirmait devant le juge de la Cour de l’impôt, soutient devant nous que la nouvelle cotisation de 2010 était valide. Compte tenu de l’arrêt Freitas, la nouvelle cotisation de 2010 a eu pour effet d’annuler le gain en capital d’une somme de 7 904 475 $ qui avait été établi dans la cotisation de 2003 et de ramener à zéro le montant de l’impôt exigible, ce qui a emporté un versement excessif (mémoire de la Couronne, par. 44).
[38]
À l’audience, l’appelante a reconnu que la nouvelle cotisation de 2010 portait qu’aucun impôt n’était payable. Ainsi, elle pouvait être établie à tout moment, mais elle n’a pas expliqué clairement les conséquences possibles sur la validité de la cotisation de 2015. En revanche, l’avocat de l’appelante a indiqué clairement que la cotisation néant constituait une cotisation pour l’application du sous-alinéa 164(1)a)(iii) et que, par conséquent, le versement de 2010 constitue un remboursement sous le régime de la Loi.
[39]
Enfin, la Couronne fait valoir que c’est à tort que le juge de la Cour de l’impôt a conclu que les paragraphes 160.1(1) et (3) et le paragraphe 164(3.1) ne s’appliquaient pas au versement de 2010, car ces dispositions habilitent expressément le ministre à déterminer s’il y a eu un remboursement excessif, à tout moment, peu importe que le remboursement ait été fait conformément à la Loi ou par erreur (mémoire de la Couronne, par. 56, 57 et 60).
THÈSE DE L’INTIMÉE
[40]
Dans son exposé des faits, l’intimée affirme que le recouvrement du remboursement et des arriérés d’intérêts n’était pas prévu dans l’entente de règlement (mémoire de l’intimée, par. 21 et 22). Elle fait ainsi fi du paragraphe 12 de l’entente de règlement qui porte expressément sur les intérêts et indique ceux auxquels le ministre consent à renoncer.
[41]
Ce qui explique peut-être pourquoi l’intimée n’a présenté aucune observation à ce sujet, et ne demande aucune réparation particulière à l’égard des intérêts. La seule thèse qu’elle invoque devant nous porte que la cotisation de 2015 n’a pas été établie conformément à la Loi et doit donc être annulée dans son intégralité (mémoire de l’intimée, par. 32 à 77).
[42]
À l’appui de cette thèse, l’intimée soutient tout d’abord que le paragraphe 169(3), mentionné dans l’entente de règlement, ne s’applique pas à cette dernière, car la conclusion contraire n’est pas conforme à l’économie de la Loi (mémoire de l’intimée, par. 39 à 42). Elle admet être partie à l’entente de règlement, mais prétend que le paragraphe 169(3) n’est pas applicable, car elle n’était pas partie à l’appel qui s’est soldé par l’entente. De l’avis de l’intimée, le libellé de la disposition est dépourvu d’ambiguïté; partant, elle doit être appliquée d’une manière [traduction] « qui n’est pas tendancieuse ou axée sur un quelconque résultat »
(mémoire de l’intimée, par. 43).
[43]
En outre, l’intimée affirme que l’interprétation que propose la Couronne du paragraphe169(3) fait fi de son énoncé liminaire : « Malgré l’article 152 [. . .] »
. Il en ressort clairement que le « contribuable »
mentionné au paragraphe 169(3) est celui à l’égard duquel le ministre a établi une cotisation sous le régime de l’article 152 et qui a interjeté appel à la Cour de l’impôt en vertu du paragraphe 169(1) (mémoire de l’intimée, par. 45 et 46).
[44]
Par conséquent, l’intimée soutient que le juge de la Cour de l’impôt n’a pas fait erreur en concluant que les paragraphes 169(3) et 165(1.2) ne l’empêchaient pas de s’opposer à la cotisation de 2015.
[45]
Quant à la nouvelle cotisation de 2010, l’intimée fait sienne la conclusion du juge de la Cour de l’impôt selon laquelle cette cotisation est invalide pour cause de prescription (mémoire de l’intimée, par. 47). Selon elle, la Couronne invoque à mauvais droit l’arrêt Freitas, car ce dernier ne mentionne pas la jurisprudence antérieure, qui arrive à la conclusion inverse. Pour cette raison, l’intimée prétend que l’arrêt Freitas a été rendu par inadvertance (mémoire de l’intimée, par. 49 à 50).
[46]
L’intimée signale également que la nouvelle cotisation de 2010 portait qu’aucun impôt n’était payable et ne constituait donc pas une véritable nouvelle cotisation. À l’audience, son avocat a fait valoir qu’une cotisation néant est dépourvue de conséquences juridiques et, partant, la nouvelle cotisation de 2010 n’avait pas eu d’incidence sur le calcul de l’impôt dont l’intimée était redevable pour l’année d’imposition 2003.
[47]
Quant à la cotisation de 2015, l’intimée soutient que les dispositions invoquées par le ministre pour l’établir, à savoir les paragraphes 160.1(1) et (3) ainsi que le paragraphe 164(3.1), ne l’étayent pas. À son avis, les paragraphes 160.1(1) et 160.1(3) n’autorisent le ministre à établir une cotisation à l’égard d’un contribuable que lorsqu’il a déterminé qu’un remboursement excessif avait été versé en application d’une disposition précise de la Loi (mémoire de l’intimée, par. 53 à 57 et 61).
[48]
Par conséquent, le ministre ne saurait invoquer à bon droit le paragraphe 164(3.1) pour recouvrer les intérêts sur le remboursement, car le versement de 2010 ne constituait pas un remboursement autorisé par la Loi (mémoire de l’intimée, par. 65).
[49]
En outre, l’intimée fait valoir l’arrêt Imperial Oil Resources Limited c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 139, [2016] 4 R.C.F. 389 [Imperial Oil] pour soutenir qu’[traduction] « en cas de versement, si l’impôt dont le contribuable est redevable pour l’année demeure inchangé, il n’y a pas de remboursement au titre de l’article 164 de la Loi »
(mémoire de l’intimée, par. 67).
[50]
Enfin, l’intimée affirme que seuls les remboursements demandés par le contribuable peuvent être recouvrés par le ministre en vertu de l’article 160.1. L’intimée n’ayant jamais demandé le remboursement qui lui a été versé, le ministre ne saurait invoquer l’article 160.1 (mémoire de l’intimée, par. 64 et 75 à 76). Puisque le ministre n’était pas habilité par la Loi à effectuer le versement de 2010, il ne saurait recouvrer les fonds par le truchement d’une cotisation émise en vertu de la Loi; il lui faut se pourvoir devant un tribunal de common law ou de droit civil compétent (mémoire de l’intimée, par. 71 et 73).
ANALYSE
[51]
Il est évident que l’entente de règlement n’aurait pu être conclue sans que l’intimée y soit partie et consente à payer l’impôt sur le gain en capital réalisé en 2003. Cependant, une fois que la société mère, Henro, eût profité des avantages que lui procurait l’entente, l’intimée, avec l’approbation nécessaire de Henro, refuse maintenant d’honorer l’engagement qu’elle a pris en concluant l’entente et de rendre le remboursement d’impôt et les intérêts qui lui avaient été versés en 2010.
[52]
Point n’est besoin de déterminer, comme le demande la Couronne, si les paragraphes 169(3) et 165(1.2) empêchent l’intimée de faire valoir cette thèse. Que ces dispositions s’appliquent ou non, l’intimée est en droit de contester la cotisation de 2015 au motif qu’elle n’a pas été établie conformément à la Loi (Galway c. Ministre du Revenu national, [1974] 1 C.F. 600 (S.A.) [Galway]; Harris c. Canada, [2000] 4 C.F. 37 (S.A.); SoftSim Technologies Inc. c. La Reine, 2012 CCI 181; University Hill Holdings Inc. (589918 B.C. Ltd.) c. Canada, 2017 CAF 232). La question qu’il faut trancher est celle de savoir si c’est à bon droit que le juge de la Cour de l’impôt a conclu que la cotisation de 2015 est sans fondement statutaire. L’affaire soulève plusieurs questions de droit qui sont assujetties à la norme de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 8 et 37).
[53]
Avant de procéder à l’analyse, signalons que les parties et le juge de la Cour de l’impôt estimaient que la cotisation de 2003 était en vigueur lorsque la nouvelle cotisation a été établie en 2010. Or, la cotisation de 2003 avait été remplacée par la nouvelle cotisation de 2003. Il s’agit d’une précision nécessaire (voir le paragraphe 152(8), anciennement le paragraphe 46(7) appliqué dans l’arrêt Abrahams v. Minister of National Revenue, [1967] 1 R.C. de l’É. 333, p. 336 et 337; Transcanada Pipelines Ltd. c. La Reine, 2001 CAF 314, par. 12) qui n’a toutefois aucune incidence sur l’issue de l’appel, car le montant de l’impôt payable n’est pas modifié par la nouvelle cotisation de 2003.
-
La nouvelle cotisation de 2010 était-elle invalide?
[54]
Les parties et le juge de la Cour de l’impôt estiment que la nouvelle cotisation de 2010 était invalide, car elle avait été établie plus de trois ans après l’émission de la cotisation de 2003. Compte tenu de son invalidité, ils étaient convenus qu’elle ne pouvait remplacer la cotisation de 2003. Cette conclusion est importante; si la cotisation de 2003 est restée en vigueur, le paiement par l’intimée de 1 809 598 $ en impôts pour cette année ne saurait être assimilé à un « paiement en trop »
pour l’application du paragraphe 164(7). Faute d’un « paiement en trop »
, la somme versée à l’intimée par suite de la nouvelle cotisation de 2010 ne saurait être assimilée à un « remboursement »
; la Couronne ne dispose donc d’aucun moyen de recouvrer un « remboursement en trop »
pour l’application des paragraphes 160.1(1) et (3) et du paragraphe 164(3.1).
[55]
L’appelante invoque l’arrêt Freitas, rendu par notre Cour après la tenue de l’audience devant le juge de la Cour de l’impôt en l’espèce, au soutien de son argument selon lequel une nouvelle cotisation établie après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation est susceptible d’invalidité et non invalide. Comme nous l’expliquons ci-après, cette distinction ne joue pas en l’espèce, mais le principe selon lequel la nouvelle cotisation établie après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation est invalide ‑ et non susceptible d’invalidité ‑ est bien ancré dans la jurisprudence et repose sur une logique implacable (Lornport Investments Ltd. c. La Reine, [1992] 2 C.F. 293 (S.A.) [Lornport]; Canadian Marconi Company c. Canada, [1992] 1 C.F. 655 (S.A.) [Canadian Marconi]; Blackburn Radio c. The Queen, 2012 CCI 255, par. 62 [Blackburn Radio], Cougar Helicopters Inc. c. Canada¸ 2017 CCI 126). Comme l’explique cette jurisprudence, le paragraphe 152(8), suivant lequel une cotisation est réputée valide malgré tout vice, erreur ou omission, n’a pas pour effet de rendre valide une cotisation établie après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation, et ce même de manière temporaire (voir tout particulièrement Lornport, p. 297). Je suis d’accord avec l’intimée pour dire que l’arrêt Freitas ne fait pas autorité sur cette question, car la Cour n’a manifestement pas tenu compte de ce courant jurisprudentiel ni du raisonnement qui l’étaye (Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370, par. 10). En outre, comme l’appelante n’a pas contesté ce courant jurisprudentiel, rien ne justifie de s’en écarter.
[56]
Or, devant nous, l’intimée affirme, sur le fondement de l’arrêt Canada c. Interior Savings Credit Union, 2007 CAF 151 [Interior Savings], que la nouvelle cotisation de 2010 n’était pas véritablement une nouvelle cotisation (mémoire de l’intimée, par. 51). Elle soutient qu’il s’agissait d’un avis portant qu’aucun impôt n’était payable. Le juge de la Cour de l’impôt mentionne à plusieurs reprises le fait que la nouvelle cotisation 2010 établissait l’impôt à zéro (motifs, par. 2, 14 et 77), mais omet d’évaluer les répercussions sur l’affaire dont il était saisi.
-
Quel est l’effet de la cotisation néant?
[57]
On qualifie souvent l’avis informant le contribuable qu’aucun impôt n’est payable de « cotisation néant »
. Il ne s’agit pas véritablement d’une fausse appellation, car cette cotisation néant, si elle ne prélève pas d’impôt, joue le même rôle qu’une cotisation à d’autres égards. C’est vraisemblablement la raison pour laquelle à ce jour l’avis portant qu’aucun impôt n’est payable porte le titre de « cotisation »
ou « nouvelle cotisation »
, comme en l’espèce (mémoire d’appel, vol. 2, p. 138).
[58]
Le paragraphe 152(4) habilite le ministre à « donner avis par écrit qu’aucun impôt n’est payable pour l’année »
. C’est le pouvoir qui a été exercé pour l’établissement de la nouvelle cotisation de 2010. L’avis portant qu’aucun impôt n’est payable peut être délivré en tout temps, car la période de trois ans prévue plus loin dans la disposition ne s’applique pas à l’avis portant qu’aucun impôt n’est payable. Ainsi, il importe peu que la nouvelle cotisation de 2010 ait été établie après l’expiration de ce délai ou que la renonciation à l’égard de l’année d’imposition 2003 fût invalide pour cause de prescription.
[59]
Il est un principe bien établi qu’une cotisation néant ne peut être l’objet d’un appel, car elle n’établit pas le montant de l’impôt (Okalta Oils Ltd. v. Minister of National Revenue, [1955] R.C.S. 824, p. 826 [Okalta]; Interior Savings, par. 17; Imperial Oil, par. 61; Blackburn Radio¸ par. 28). Or, elle n’est pas dépourvue d’effet juridique. Quel est donc l’effet de cette cotisation néant?
[60]
Une cotisation néant, à l’instar de la cotisation qui établit le montant de l’impôt, peut avoir une incidence sur « l’assujettissement à l’impôt »
, une notion générale qui figure à l’article 2 de la Loi, et sur l’« impôt payable »
à l’égard d’une année d’imposition, un concept plus étroit défini au paragraphe 248(2) de la Loi. Le contribuable est assujetti à l’impôt dès lors qu’il gagne un revenu, peu importe qu’une cotisation ait été établie ou non (paragraphe 152(3); Terra Nova Properties Ltd. v. Minister of National Revenue, [1967] 2 R.C. de l’É. 46, p. 51; Canada c. Wesbrook Management Ltd. 1996 CanLII 11881 (C.F.S.A.), Riendeau v. The Queen (1991), 91 D.T.C. 5416 (C.F.S.A.); voir également La Reine c. Simard-Beaudry Inc., [1971] 1 C.F. 396 (1re inst.), p. 403). En revanche, l’« impôt payable »
pour une année d’imposition donnée est le montant d’impôt exigible « tel que le fixe une cotisation ou nouvelle cotisation »
(paragraphe 248(2) de la Loi).
[61]
Le paragraphe 152(4) prévoit l’établissement d’un avis de cotisation, d’une nouvelle cotisation ou d’une cotisation supplémentaire et la délivrance d’un avis portant qu’aucun impôt n’est payable. Si ce dernier est initialement délivré à l’égard d’une année d’imposition, la prescription commence à courir à compter de cette date, comme dans le cas de la cotisation initiale (alinéa 152(3.1)b)), et il indique qu’aucun impôt n’est payable pour l’année d’imposition en question (paragraphe 152(4)). Lorsqu’un impôt avait été payé en raison de l’assujettissement à l’impôt pour une année donnée, l’avis portant qu’aucun impôt n’est payable peut donner lieu à un paiement en trop.
[62]
C’est ce qui ressort des Notes explicatives du ministère des Finances sur le sous-alinéa 161.1(3)c)(v) de la Loi, une disposition qui traite des intérêts sur les remboursements et des arriérés d’intérêts. Pour citer les Notes explicatives, le droit au remboursement joue dans les cas : « [. . .] où un trop-payé est déterminé en l’absence d’un avis de cotisation. Cela pourrait se produire [par exemple] lorsqu’un montant a été payé au titre de l’impôt, mais qu’une cotisation dite “nulle” est établie, indiquant qu’il n’y a aucun impôt à payer »
(ministère des Finances, Notes explicatives sur le sous-alinéa 161.1(3)c)(v) publiées en 1999). Si cette disposition mentionne un « trop-payé »
, défini au paragraphe 161.1(1), les Notes explicatives démontrent néanmoins comment une cotisation néant peut emporter un paiement en trop au titre de l’impôt.
[63]
Tout compte fait, rien n’étaye l’argument de l’intimée selon lequel une cotisation néant ne constitue qu’un simple avis dépourvu de conséquence juridique pour l’application de la Loi. Rien n’étaye non plus l’argument selon lequel la nouvelle cotisation de 2010 a été « invalidée »
par l’entente de règlement car une cotisation ne peut être invalidée de cette façon.
-
Y a-t-il eu paiement en trop au sens où il faut l’entendre pour l’application du paragraphe 164(7)?
[64]
Selon le juge de la Cour de l’impôt, il n’y a eu aucun paiement en trop en l’espèce. Toutefois, il a tiré cette conclusion après avoir décidé que la nouvelle cotisation de 2010 n’était pas valide. Comme la nouvelle cotisation de 2010 constituait une cotisation néant, établie validement après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation, la question à trancher est celle de savoir si elle a emporté un paiement en trop en l’espèce.
[65]
Lorsqu’un avis portant qu’aucun impôt n’est payable est donné après une cotisation ou une nouvelle cotisation, comme en l’espèce (le paragraphe 248(1) dispose que le terme « cotisation »
s’entend également d’une nouvelle cotisation), il remplace la cotisation antérieure et ramène à zéro l’« impôt payable »
pour l’année d’imposition. En l’espèce, l’impôt payable par l’intimée pour l’année d’imposition 2003 a été fixé par la nouvelle cotisation de 2003 à la somme de 1 809 598 $, qu’elle a payé lorsqu’elle a fait sa déclaration visant cette année d’imposition. L’émission subséquente de la cotisation néant en 2010 a eu pour effet de faire passer le montant de l’impôt payable de la somme payée à zéro. Toutefois, un montant a bien été payé par l’intimée à l’égard de l’année d’imposition 2003. Il s’ensuit qu’il y a eu un « paiement en trop »
au sens où il est défini pour l’application de l’alinéa 164(7)b) suite à l’émission de la cotisation néant.
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Le remboursement de ce paiement en trop était-il autorisé par le paragraphe 164(1)?
[66]
Le juge de la Cour de l’impôt n’a pas analysé cette question non plus, car il avait conclu à l’absence de paiement en trop (motifs, par. 85 à 90). La question qu’il faut trancher est celle de savoir si le versement de 2010, effectué par suite de la cotisation néant constitue un « remboursement »
pour l’application du sous-alinéa 164(1)a)(iii); cette disposition permet le remboursement « au moment de l’envoi de l’avis de cotisation pour l’année ou par la suite »
. La question précise est celle de savoir si une telle cotisation néant constitue une « cotisation »
au sens où il faut l’entendre pour l’application du sous-alinéa 164(1)a)(iii). La réponse à cette question, comme à toutes les questions de ce genre, doit tenir compte du texte, du contexte et de l’objet de la disposition (Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, par. 10).
[67]
Comme nous le signalons plus haut, si la cotisation néant fixe le montant de l’impôt payable pour l’année, elle n’établit aucun impôt. Il s’ensuit que cette cotisation n’emporte aucun droit d’appel, car rien ne justifie un appel ou une objection, ce que confirme la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Okalta. Avant cette jurisprudence, la Loi n’établissait aucune distinction entre les deux situations. Une cotisation néant était traitée de la même façon que toute autre cotisation. Toutefois, cinq ans après le prononcé de la décision Okalta, le législateur a établi expressément une distinction. La Loi dispose depuis que le ministre, après avoir pris connaissance d’une déclaration de revenu, peut établir une cotisation ou donner avis portant qu’aucun impôt n’est payable (Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu, 1960, ch. 43, art. 15 ayant modifié le paragraphe 46(4), devenu le paragraphe 152(4)).
[68]
Outre la distinction fondamentale établie par la Cour suprême dans l’arrêt Okalta, une cotisation qui prélève un impôt et une cotisation néant ont le même effet sur le plan juridique : le délai de prescription commence à courir à compter de la date où elles sont établies si elles constituent l’avis initial, elles remplacent une cotisation ou une nouvelle cotisation antérieures lorsqu’elles constituent le dernier avis et elles fixent le montant de l’impôt payable pour l’année.
[69]
Le législateur, en subordonnant le versement d’un remboursement à la délivrance préalable d’un avis de cotisation — dans les cas qui ne concernent pas les remboursements découlant de paiements réputés (voir les sous-alinéas 164(1)a)(i) et 164(1)a)(ii)) — vise à établir l’existence d’un « paiement en trop »
, qui est défini au paragraphe 164(7) comme la somme payée sur l’impôt dont le contribuable est redevable pour l’année en plus de l’impôt payable pour l’année. À cet égard, une cotisation néant a le même effet qu’une cotisation qui prélève un impôt, à cette différence près que la seconde fixe le montant de l’impôt payable à une valeur donnée supérieure à 2 $ tandis que la première fixe le montant de l’impôt à zéro (voir le paragraphe 161.4(1) qui prévoit qu’une somme cotisée de 2 $ ou moins est réputée nulle).
[70]
Il s’ensuit qu’une cotisation néant constitue une cotisation pour l’application du sous-alinéa 164(1)a)(iii). En effet, toute interprétation suivant laquelle le ministre ne pourrait rembourser un paiement en trop pour la seule raison qu’il découle d’une cotisation néant plutôt que d’une cotisation qui prélève un impôt serait logiquement insoutenable.
[71]
C’était l’état du droit avant l’arrêt Okalta, à l’époque où un remboursement pouvait être effectué sur le fondement de l’une ou l’autre catégorie de cotisations (voir les dispositions ayant précédé le paragraphe 164(1) : le paragraphe 10(4) la Loi de l’Impôt de Guerre sur le Revenu, 1917, S.C. 1917, ch. 28, modifiée par la Loi modifiant la Loi de l’Impôt de Guerre sur le Revenu, 1917, 1919, 9-10 Geo. V, ch. 55 (Can.), par. 8(2); l’article56 de la Loi de l’impôt de guerre sur le revenu, S.R.C. 1927, ch. 97; le paragraphe 52(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1948, ch. 52 et le paragraphe 57(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148.). Comme le raisonnement énoncé par la Cour suprême dans l’arrêt Okalta n’était pas censé avoir d’incidence sur le droit d’un contribuable à un remboursement au titre de la disposition devenue le paragraphe 164(1), cette disposition doit continuer de recevoir la même interprétation et la même application (voir également Glatt c. Canada (Revenu national), 2019 CF 738, par. 16).
[72]
À un autre égard, ajoutons que l’intimée invoque à mauvais droit l’arrêt Imperial Oil à l’appui de son argument selon lequel le paragraphe 164(1) ne s’applique pas. Cette décision repose sur des faits différents de la présente espèce et porte qu’un décret de remise pris en application de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11, ne saurait emporter un paiement en trop au titre du paragraphe 164(7) de la Loi (Imperial Oil, par. 50 à 57). Cet arrêt ne s’applique pas aux faits de la présente espèce.
[73]
J’en conclus que le versement de 2010 constitue un remboursement autorisé par le sous-alinéa 164(1)a)(iii).
[74]
Sur le plan légal, il découle notamment de cette conclusion que les intérêts sur le remboursement versés par le ministre à l’intimée en 2010 peuvent être recouvrés en vertu du paragraphe 164(3.1) of the Act.
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Les paragraphes 160.1(1) et (3) habilitent-ils le ministre à recouvrer le paiement en trop?
[75]
L’intimée fait valoir la conclusion du juge de la Cour de l’impôt, selon laquelle le versement de 2010 n’était pas autorisé par une disposition de la Loi, pour soutenir que les fonds ne peuvent être recouvrés au titre des paragraphes 160.1(1) et (3). Or, comme nous l’expliquons plus haut, le remboursement était autorisé par le sous-alinéa 164(1)a)(iii), partant, il était conforme à une disposition de la Loi. Il s’ensuit que les paragraphes 160.1(1) et (3) étayaient la cotisation de 2015.
[76]
Dans une communication après la tenue de l’audience, l’intimée soutient en outre que, si la nouvelle cotisation de 2010 était valide et autorisait donc le remboursement au titre du sous-alinéa 164(1)a)(iii), ce remboursement n’était aucunement excessif, puisque le ministre n’avait pas établi de nouvelle cotisation ramenant l’impôt payable pour 2003 à celui déclaré et annulant la cotisation néant.
[77]
L’argument pourrait être convaincant (comparer avec Canada c. Bulk Transfer Systems, 2005 CAF 94, par. 19 à 21), si ce n’était de l’arrêt Markevich c. Canada, 2003 CSC 9, [2003] 1 R.C.S. 94 [Markevich] suivant lequel l’émission préalable d’une nouvelle cotisation n’est pas requise afin de permettre au ministre de déterminer qu’un contribuable a reçu un remboursement en trop. En effet, il ressort clairement de l’arrêt Markevich qu’un remboursement en trop peut faire l’objet d’une cotisation, et ce même si l’établissement d’une nouvelle cotisation pour l’année en question en vertu du paragraphe 152(4) est prescrit.
[78]
À cet égard, je suis d’accord avec le juge de la Cour de l’impôt pour dire que subordonner l’application des paragraphes 160.1(1) et (3) à l’émission préalable d’une nouvelle cotisation, limitée par un délai précis, serait contraire au sens ordinaire des mots qui figurent dans ces dispositions, qui habilitent le ministre à déterminer s’il y a eu un remboursement en trop et à le recouvrer « à tout moment »
au moyen d’une cotisation. En l’espèce, la conclusion du ministre découlait forcément du fait que l’intimée avait généré un gain en capital imposable totalisant 3 952 238 $, mais s’était vu rembourser l’impôt payé à ce titre, plus les intérêts courus, cinq ans auparavant. Le ministre n’avait pas besoin d’aller plus loin pour conclure à un remboursement en trop au sens du paragraphe 160.1(1) et pour recouvrer les fonds en établissant la cotisation de 2015 en vertu du paragraphe 160.1(3). Cette conclusion est dans le droit fil de celle de la Cour suprême dans l’arrêt Markevich selon laquelle l’expression équivalente « en tout temps »
doit s’interpréter à la lumière de son sens ordinaire (par. 16). Comme l’explique le juge de la Cour de l’impôt, une telle incidence « serait fortement diminuée si son application dépendait de l’établissement de la nouvelle cotisation en application d’une autre disposition de la Loi assujettie à un délai de prescription »
(motifs, par. 99).
[79]
Si on interprète l’expression suivant son sens ordinaire, on permet au ministre de déterminer qu’un remboursement excédentaire de l’impôt payable selon la Partie I a été effectué après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation, mais uniquement pour l’habiliter à récupérer l’impôt exigible qui avait été remboursé à tort. Ce pouvoir découle du libellé adopté par le législateur, lequel, comme nous le mentionnons plus haut, prévoit expressément que le recouvrement des fonds n’est pas limité dans le temps (voir à cet effet les motifs dissidents du juge Rothstein dans Addison & Leyen Ltd. c. Canada, 2006 CAF 107, [2006] 4 R.C.F. 532, tels qu’ils furent confirmés par 2007 CSC 33, [2007] 2 R.C.S. 793, par. 90).
[80]
Enfin, l’intimée prétend que le ministre n’est pas habilité à recouvrer un remboursement en trop au titre du paragraphe 160.1(1) à moins que le remboursement ayant emporté un excédent n’ait été demandé par le contribuable (mémoire de l’intimée, par. 64 et 75). Toutefois, rien dans le libellé ne l’exige. L’interprétation technique publiée par l’ARC (TI 2009-0334351I7, le 29 janvier 2010) invoquée par l’intimée au soutien de l’interprétation contraire est fondée sur le jugement de la Cour de l’impôt Matte c. La Reine, 2002 CanLII 768 [Matte]. Contrairement à la prétention avancée dans l’interprétation technique, la décision Matte ne dit pas que le contribuable doit avoir demandé le remboursement d’une somme supérieure à celle à laquelle il avait droit pour qu’il y ait un remboursement en trop pour l’application des paragraphes 160.1(1) et (3). Dans cette affaire, le remboursement dont il était question devait être demandé (Matte, par. 2), ce qui n’est pas le cas du remboursement prévu au sous-alinéa 164(1)a)(iii). Je suis d’accord avec le juge de la Cour de l’impôt sur ce point (motifs, par. 105).
[81]
Il s’ensuit que la prétention de l’intimée, selon laquelle la cotisation de 2015 n’avait pas été établie conformément à la Loi, doit être rejetée, et la validité de cette cotisation confirmée.
DISPOSITIF
[82]
Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis d’accueillir l’appel avec dépens, et d’annuler la décision du juge de la Cour de l’impôt. Rendant le jugement qu’il aurait dû rendre, je rejetterais l’appel interjeté par Alberta devant la Cour de l’impôt avec dépens au motif que la cotisation de 2015 fut émise conformément à la Loi.
« Marc Noël »
Juge en chef
« Je suis d’accord.
Richard Boivin j.c.a. »
« Je suis d’accord.
Marianne Rivoalen j.c.a. »
ANNEXE
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COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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Dossier :
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A-186-19
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INTITULÉ :
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SA MAJESTÉ LA REINE c. 984274 ALBERTA INC.
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Lieu de l’audience :
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Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe le 3 juin 2020
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DATE de l’audience :
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le 3 juin 2020
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motifs du jugement :
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le juge en chef NOËL
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Y ont souscrit :
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LE JUGE BOIVIN
LA JUGE RIVOALEN
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DATE :
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Le 28 juillet 2020
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COMPARUTIONS
SIMON PETIT
CHANTAL ROBERGE
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pour l’appelante
sa majesté la Reine
|
BARRY LANDY
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pour l’intimée
984274 ALBERTA INC.
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Nathalie G. Drouin
Sous-procureure générale du Canada
|
pour l’appelante
SA MAJESTÉ LA REINE
|
Spiegel Sohmer
Montréal (Québec)
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pour l’intimée
984274 ALBERTA INC.
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